Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20131120


Dossier :

T-1083-13

 

Référence : 2013 CF 1177

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

KULWINDER KAUR

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’un appel du rejet de la demande de citoyenneté de Mme Kulwinder Kaur. La demanderesse faisait reposer sa demande sur le fait qu’elle avait été adoptée en Inde par des citoyens canadiens. L’agent de citoyenneté [l’agent] a rejeté la demande aux termes du paragraphe 5.1(1) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 [la Loi].

 

5.1 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

 

a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

 

b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

 

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

 

 

 

d) elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

5.1 (1) Subject to subsection (3), the Minister shall on application grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child if the adoption

 

 

 

 

 

(a) was in the best interests of the child;

 

 

(b) created a genuine relationship of parent and child;

 

(c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen; and

 

(d) was not entered into primarily for the purpose of acquiring a status or privilege in relation to immigration or citizenship.

II.        CONTEXTE

[2]               L’appelante est citoyenne de l’Inde. Elle a été « adoptée » par sa tante et son oncle canadiens en 2002 lorsqu’elle avait 13 ans. Elle est de foi sikhe.

 

[3]               L’appelante a affirmé qu’elle avait été adoptée conformément à la Hindu Adoption and Maintenance Act de 1956, une loi de l’Inde, comme le prévoit l’alinéa 5.1(1)c) de la Loi. Un acte d’adoption a été délivré en septembre 2002. Bien que l’adoption ait prétendument eu lieu en 2002, ce n’est qu’en 2010 que des démarches ont été entreprises pour faire venir l’appelante au Canada; en premier lieu, une demande de citoyenneté canadienne a été déposée.

 

[4]               Les parties ont reconnu que le droit indien exige la tenue d’une cérémonie de don et de prise en adoption de l’enfant :

 

[traduction]

(…) une adoption n’est valide que si l’adopté (enfant) est transféré d’une famille à une autre et que le transfert est concrétisé par la cérémonie de don et de prise en adoption. L’objet de la cérémonie solennelle de don et de prise en adoption est de toute évidence d’obtenir la publicité attendue. Pour atteindre cet objet, il est essentiel de procéder à une cérémonie officielle. Aucune forme en particulier n’est prescrite pour la cérémonie, mais la loi exige que les parents naturels remettent physiquement l’enfant adopté dans les bras des parents adoptifs et que ceux‑ci reçoivent l’enfant des bras des parents naturels. La nature de la cérémonie peut varier selon les circonstances de chaque cas, mais une cérémonie doit être célébrée durant laquelle ont lieu le don et la prise en adoption de l’enfant.

 

Lakshman Singh v Rup Kanwar, AIR 1961 LC 1378

[5]               L’agent n’était pas convaincu qu’il y ait eu une cérémonie concrète de don et de prise en adoption de l’enfant. L’appelante a soutenu qu’une petite cérémonie avait eu lieu, mais la nature de la cérémonie et la date à laquelle elle s’était déroulée n’ont pas clairement été indiquées. En particulier, les notes prises lors de l’entrevue avec la mère biologique de l’appelante mettent en doute l’affirmation de l’appelante selon laquelle la cérémonie a bel et bien eu lieu comme l’exige la loi.

 

[6]               L’agent a invoqué le critère énoncé dans Mayne’s Treatise on Hindu Law and Usage (12e éd., 1986) voulant que la simple délivrance d’un certificat relatif au don et à la prise en adoption ne remplace pas l’acte proprement dit. Cette conclusion n’a pas été contestée.

 

[7]               En outre, l’agent a conclu que l’appelante n’avait pas démontré qu’il existait un véritable lien affectif parent-enfant entre elle et ses parents adoptifs. À cet égard, l’agent a relevé les faits importants suivants :

                     Les parents adoptifs ont attendu jusqu’en 2010 pour donner une procuration relative au soin de l’appelante, alors que celle‑ci avait déjà atteint l’âge adulte. Les parents adoptifs ont quitté l’Inde en 2002 et n’y sont retournés qu’à quelques occasions depuis. Aucune procuration relative au soin de l’appelante n’avait été donnée pendant ce temps. La procuration donnée en 2010 avait pour but d’aider l’appelante à obtenir un passeport de sorte qu’elle puisse quitter l’Inde.

                     L’appelante a communiqué peu souvent avec ses parents adoptifs et elle avait une connaissance limitée de la vie au Canada.

                     Il n’a pas été expliqué de façon satisfaisante pourquoi les parents adoptifs n’avaient pas entamé les démarches visant à faire venir l’appelante au Canada aussitôt après l’adoption. L’excuse selon laquelle ces parents souhaitaient que l’appelante reçoive son éducation en Inde a été jugée peu convaincante par l’agent.

                     Il n’y avait pas de preuve suffisante pour démontrer que l’appelante avait rompu les liens de façon permanente avec ses parents naturels.

 

[8]               L’agent n’était pas convaincu de l’authenticité de l’adoption et a conclu que ce processus visait principalement l’acquisition de la citoyenneté canadienne.

 

III.       ANALYSE

[9]               La décision de l’agent sur le bien‑fondé de la demande est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dufour c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 340). Aucun point n’a été soulevé concernant le droit applicable en Inde.

 

[10]           La question fondamentale dans le présent appel a trait à un litige au sujet du caractère suffisant de la preuve permettant d’établir l’existence d’un véritable lien affectif entre les parents adoptifs et l’enfant. En l’espèce, l’agent disposait d’une preuve amplement suffisante pour justifier la conclusion. Il aurait été abusif pour lui de tirer une conclusion contraire.

 

[11]           Il s’agit d’une décision formulée de façon détaillée et claire. Étant donné le manque de précisions ou les détails confus dans la preuve présentée par l’appelante, l’agent avait de bonnes raisons de considérer cette demande avec circonspection.

 

[12]           En ce qui a trait à la question de la validité de l’adoption, il n’a pas été démontré de manière raisonnable que l’exigence relative à la tenue d’une cérémonie concrète de don et de prise en adoption de l’enfant, ainsi qu’il en est fait mention dans Dhadda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 206, ait été satisfaite.

 

[13]           Au sujet de la question de la création d’un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté, il y a plusieurs éléments de preuve qui justifient la conclusion de l’agent. Le fait primordial que les parents adoptifs n’ont pas entrepris les démarches pour faire venir l’appelante au Canada à la première occasion est en telle contradiction avec leur comportement (peu importe leurs antécédents culturels) qu’il met en cause le fait même de l’adoption. Il était loisible à l’agent de repousser l’excuse selon laquelle les parents adoptifs souhaitaient que l’appelante fasse ses études en Inde.

 

[14]           Le caractère raisonnable de la conclusion est renforcé par l’absence d’une procuration au moment où l’appelante était au début de l’adolescence et ses besoins, vraisemblablement plus grands; par le nombre restreint de visites faites par les parents adoptifs à l’appelante dans son pays d’origine; par le peu de connaissance que l’appelante a de la vie au Canada. Il était raisonnable de considérer ces lacunes comme des éléments de preuve plus convaincants que ceux, plus faibles, consistant dans les appels téléphoniques et transferts d’argent faits à l’oncle, en Inde, qui agissait comme procureur, mais aussi comme agent responsable des investissements des parents adoptifs en Inde.

 

[15]           Le scepticisme de l’agent au regard de la procuration était justifié. Le fait que la procuration ait été donnée au moment où l’appelante était rendue à l’âge adulte, alors qu’elle pouvait souhaiter venir au Canada afin d’y immigrer donne à penser que l’adoption visait uniquement l’acquisition d’un statut relatif à l’immigration.

 

[16]           Je ne décèle aucune lacune juridique dans cette décision, et je rejette l’argument selon lequel l’agent n’aurait pas suivi les lignes directrices du Ministère. Non seulement s’agit‑il de simples lignes directrices – ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs possibles dans l’analyse –, mais l’agent a traité tous les points pertinents dans ces lignes directrices.

 

IV.       CONCLUSION

[17]           J’en conclus que cette décision, examinée dans son ensemble et par rapport à chacune de ses principales composantes, est raisonnable. L’appel sera donc rejeté.

 

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE            que l’appel est rejeté.

 

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Michel Charuest, trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-1083-13

 

INTITULÉ :

KULWINDER KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 18 NOVEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT : 

Le juge PHELAN

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 20 NOVEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Baldev Sandhu

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Marjan Double

 

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Office

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.