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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20131119

Dossier : T-1720-12

Référence : 2013 CF 1175

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

NEIL VAN BOEYEN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, de la décision du 7 août 2012 par laquelle la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, [la section d’appel] a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’égard du refus de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la CLCC] de lui accorder une libération conditionnelle totale ou une semi‑liberté.

 

CONTEXTE

 

[2]               Depuis qu’il a été qualifié de délinquant dangereux le 4 mai 1990, le demandeur purge une peine d’emprisonnement indéterminée dans un pénitencier fédéral. Cette peine lui a été imposée après qu’il eut été déclaré coupable de plusieurs infractions, notamment d’agression sexuelle armée, d’agression sexuelle, d’enlèvement et de tentative d’enlèvement, relativement à quatre agressions distinctes sur des femmes âgées de douze à trente ans. Si l’on tient compte de sa détention avant la tenue de son procès, le demandeur est incarcéré depuis le 7 décembre 1988.

 

[3]               Durant son incarcération, les seuls programmes correctionnels auxquels il a participé jusqu’en 2011 étaient le Programme prélibératoire pour toxicomanes (en 1994) et le Programme de counselling par les aidants/pairs (en 1999). Le demandeur explique qu’il n’a pas pu faire davantage parce qu’il n’a été autorisé à s’inscrire à des programmes de traitement qu’en 2006. Il a par après refusé de participer parce qu’il craignait d’être renvoyé des programmes de traitement pour ensuite être qualifié d’« intraitable », étant donné qu’il continuait de clamer son innocence. Il voulait obtenir des garanties écrites qu’il pouvait suivre les programmes et les réussir tout en maintenant son innocence, sans avoir à en payer le prix.

 

[4]               Après avoir été avisé par lettre datée du 4 novembre 2010 (affidavit de M. Van Boeyen, dossier du défendeur, pièce B) qu’il pouvait s’inscrire au Programme d’intensité élevée pour délinquants sexuels relevant du Modèle de programme correctionnel intégré [programme du MPCI] et se déclarer innocent sans craindre de sanctions, le demandeur s’est inscrit à ce programme et l’a réussi le 17 juin 2011.

 

[5]               Le 20 décembre 2011, l’agent de libération conditionnelle en établissement [l’ALCE] du demandeur a fait une évaluation en vue d’une décision pour déterminer s’il était opportun de lui accorder une libération conditionnelle totale ou une semi‑liberté (affidavit de M. Van Boeyen, dossier du défendeur, pièce D). L’agent de libération conditionnelle a reconnu que le demandeur avait réussi le programme du MPCI, mais il a observé que le demandeur n’ayant pas reconnu sa culpabilité à l’égard d’aucune infraction de nature sexuelle, toutes les aptitudes qu’il avait acquises grâce au programme ne se rapportaient qu’à ses infractions non sexuelles. L’agent de libération conditionnelle a fait remarquer que les infractions sexuelles étaient des infractions désignées – c’est‑à‑dire que le demandeur a été qualifié de délinquant dangereux après les avoir commises – et que ce dernier était encore un délinquant sexuel non traité. Le risque de récidive générale et violente de la part du demandeur a été jugé moyen ou élevé, et le risque de récidive sexuelle élevé. Ses chances de réinsertion ont été estimées faibles. En conséquence, son équipe de gestion des cas [EGC] s’est prononcée contre l’octroi d’une libération conditionnelle totale ou d’une semi‑liberté.

 

[6]               Le 22 décembre 2011, un rapport psychologique a été établi aux fins de la prochaine audience en vue de l’éventuelle libération conditionnelle du demandeur par M. Robert Zanatta, un psychologue clinicien de l’Établissement Mountain (affidavit de M. Van Boeyen, dossier du défendeur, pièce F). D’après ce document, le demandeur avait réussi le programme du MPCI, mais ce programme visait à briser le cycle de criminalité propre à son ancien mode de vie, et non à résoudre le problème des infractions sexuelles pour lesquelles il avait été condamné. Pour M. Zanatta, comme le demandeur continuait de nier les infractions sexuelles désignées qu’il avait commises, il n’était pas possible d’évaluer avec plus de précision son cycle de criminalité, ses déviances sexuelles sous‑jacentes et d’autres facteurs de risque. Il a estimé dans l’ensemble que le risque de récidive de la part du demandeur restait à tout le moins moyen, malgré son vieillissement et ses troubles physiques apparents.

 

[7]               Le demandeur a contesté un certain nombre des observations contenues dans le rapport de M. Zanatta, et a rédigé une lettre détaillée réclamant des changements ou des clarifications. Cette lettre est restée sans réponse, mais a été présentée à la CLCC à l’audience en vue de l’éventuelle libération conditionnelle du demandeur.

 

La décision de la CLCC

 

[8]               Le 24 janvier 2012, la CLCC a tenu une audience pour examiner les arguments du demandeur en vue d’une libération conditionnelle totale ou d’une semi‑liberté (affidavit de M. Hymander, dossier du défendeur, pièce A). Durant l’audience, le demandeur a fait valoir que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la LSCMLC], ne pouvait s’appliquer à son audience en vue de son éventuelle libération conditionnelle puisqu’il a été déclaré coupable et condamné avant qu’elle n’entre en vigueur. D’après lui, c’est le droit qui régissait les libérations conditionnelles au moment où l’infraction a été commise qui devait s’appliquer.

 

[9]               La CLCC a entendu les observations portant sur les programmes auxquels le demandeur a participé et sur son déni persistant des infractions désignées, et l’a questionné ainsi que son ALCE. Le demandeur a soumis une contre-preuve détaillée en réponse au rapport psychologique ainsi qu’un plan de prévention des rechutes. Il a demandé à pouvoir interroger son ALCE, mais la Commission a refusé. Sa mère était présente à l’audience pour lui prêter assistance et s’est exprimée en faveur de sa libération.

 

[10]           La CLCC a conclu que le risque de récidive générale, violente et sexuelle de la part du demandeur restait moyen ou élevé, malgré les programmes qu’il avait faits. La Commission a jugé particulièrement préoccupant que le demandeur ne croie pas nécessaire d’être soumis à une condition spéciale lui interdisant de fréquenter des femmes de 18 ans ou moins sans supervision. La CLCC a observé que les progrès imputables aux programmes étaient récents, et qu’il n’avait pas eu l’occasion d’en assimiler les bienfaits.

 

[11]           La CLCC a conclu que le demandeur présenterait un risque inacceptable s’il était relâché, et a refusé de lui accorder une libération conditionnelle totale ou une semi‑liberté. Le 24 mai 2012, le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la section d’appel.

 

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

 

[12]           Le 7 août 2012, la section d’appel a confirmé la décision par laquelle la CLCC a refusé d’accorder au demandeur une libération conditionnelle totale ou une semi‑liberté. Le demandeur soulève, dans ses observations, des questions de partialité et de divulgation de l’information ainsi que des erreurs de droit.

 

[13]           Le demandeur a soutenu que la CLCC avait fait preuve de partialité en ne l’autorisant pas à interroger son agent de libération conditionnelle, en accordant peu de poids à ses observations et en faisant des déclarations erronées sur sa vie. Il reproche également à la CLCC de l’avoir interrompu et d’avoir réorienté ses observations.

 

[14]           Après avoir examiné la jurisprudence pertinente en matière de partialité, la section d’appel a fait remarquer qu’une [traduction] « crainte alléguée de partialité doit reposer sur des motifs sérieux, et non sur de simples hypothèses ». Elle a écouté l’enregistrement audio de l’audience, et estimé qu’une personne raisonnable et avisée ne conclurait pas que les membres de la CLCC avaient des opinions préétablies ou qu’ils étaient partiaux. Ils lui ont posé des questions honnêtes et pertinentes et se sont adressés à lui d’une manière professionnelle, en lui laissant tout le loisir d’y répondre, d’exprimer ses opinions et de présenter ses arguments.

 

[15]           Le demandeur soutient que la CLCC a commis des erreurs de droit et l’a empêché de répondre et de se défendre pleinement pour les raisons suivantes :

  • elle ne l’a pas autorisé à présenter des décisions pertinentes et à interroger son ALCE;
  • elle n’a pas dûment compte du manuel relatif au programme du MPCI qu’il a présenté pour réfuter l’argument selon lequel le fait pour lui de participer à un traitement alors qu’il clame son innocence ne serait pas un moyen efficace de prévenir de nouvelles infractions de nature sexuelle;
  • elle s’est appuyée sur des renseignements qui ne lui avaient pas été communiqués au préalable, et ces renseignements auraient, à son avis, été repris dans le témoignage de son ALCE.

La section d’appel a rejeté chacun de ces arguments, estimant que le demandeur n’avait pas été indûment privé de la possibilité d’interroger son ALCE, puisque la jurisprudence a établi que la CLCC n’était pas un organe judiciaire ou quasi judiciaire. Les audiences qui se déroulent devant elle sont de nature administrative et ne sont assujetties à aucune règle formelle de preuve. Après avoir écouté l’enregistrement audio, la section d’appel a conclu que le témoignage de l’ALCE ne contenait pas des renseignements non divulgués au préalable au demandeur. Elle a par ailleurs estimé que le manuel relatif au programme du MPCI était un document d’information générale qu’il n’y avait pas lieu de l’admettre en preuve pour qu’il soit versé au dossier, vu que le rapport final rédigé après qu’il eut terminé le programme contenait assez de renseignements pertinents, fiables et concluants pour permettre à la CLCC d’évaluer les facteurs de risque qu’il présentait après son traitement.

 

[16]           Le demandeur a également fait valoir que la CLCC a eu tort de tenir compte d’un rapport sur le profil criminel [RPC] rédigé en 1990, dont il n’avait aucun souvenir, et qui lui semblait inexact, obsolète et peu fiable. La section d’appel a toutefois fait remarquer que cette question avait été soulevée par la CLCC et le demandeur a confirmé que le rapport en question lui avait été communiqué en 1996. La CLCC a souligné que ce document se trouvait dans le dossier du demandeur et qu’il pouvait se prévaloir de certains recours s’il désirait en contester l’exactitude. Le demandeur a confirmé auprès de la CLCC qu’il ne voulait pas faire reporter l’audience à cette fin.

 

[17]           Le demandeur a soutenu que la CLCC n’était pas compétente pour appliquer la LSCMLC à son dossier, et que celui‑ci relevait des lois en vigueur au moment où sa peine a été prononcée (à savoir la Loi sur la libération conditionnelle, LRC 1985, c P‑2 [Loi sur la libération conditionnelle], et la Loi sur les pénitenciers, LRC 1985, c P‑5). La section d’appel a estimé que cet argument était infondé et que, conformément à l’article 223 de la LSCMLC, tout délinquant ayant commencé à purger sa peine sous le régime de la loi antérieure devait être traité comme si sa peine avait débuté sous le régime de la LSCMLC.

 

[18]           Le demandeur a soutenu en outre qu’il était déraisonnable de la part de la CLCC de le traiter comme un délinquant sexuel non traité. Il allègue que la CLCC a commis diverses erreurs factuelles, et que ses conclusions reposaient sur des renseignements incomplets ou inexacts. La section d’appel a jugé ces arguments infondés, et déclaré que les motifs de la CLCC étaient clairement formulés et qu’ils reposaient sur des renseignements pertinents, fiables et concluants, débattus à l’audience et figurant au dossier du demandeur. La CLCC avait d’ailleurs spécifiquement évoqué son statut de délinquant sexuel, mais n’avait pas conclu qu’il était un délinquant sexuel non traité. Elle avait plutôt observé qu’il avait réussi le programme destiné aux délinquants sexuels; elle estimait que son déni de culpabilité ne l’empêcherait pas un jour d’obtenir une libération conditionnelle, mais qu’il n’avait pas encore réussi à réduire le risque qu’il présentait malgré les progrès récents.

 

[19]           La section d’appel était d’avis que le rapport psychologique et l’évaluation en vue d’une décision contenaient tous deux des renseignements exacts, dignes de foi et concluants, examinés comme il se doit par la CLCC. Il y avait dans le rapport psychologique des déclarations selon lesquelles le demandeur avait précédemment reconnu son implication dans les infractions désignées, et qu’il avait offert une pléthore d’excuses pour justifier sa non‑participation aux programmes de traitement. Le rapport et les contre‑arguments du demandeur ont été évoqués à l’audience. La CLCC a examiné les motifs pour lesquels il avait refusé de participer aux programmes destinés aux délinquants sexuels, et ses explications concernant les progrès réalisés. Elle a également invoqué l’avis de l’EGC selon lequel les problèmes liés à son comportement sexuel n’étaient toujours pas réglés, et a offert au demandeur la possibilité de répondre.

 

[20]           La section d’appel a souligné que, suivant les critères prévus à l’article 102 de la LSCMLC, une récidive du demandeur ne doit pas présenter un risque inacceptable pour la société et sa libération doit contribuer à la protection de celle‑ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois. Le risque inacceptable est évalué à la lumière du risque de récidive, eu égard à la nature et à la gravité de l’infraction.

 

[21]           En conclusion, la section d’appel a établi que la CLCC était parvenue à une décision raisonnable et valablement motivée, qui pondérait équitablement les facteurs favorables et défavorables. La CLCC a noté que sa responsabilité était considérable lorsqu’elle examinait le cas d’un détenu purgeant une peine indéterminée, et qu’elle devait s’assurer que son incarcération ne devenait pas exagérément disproportionnée. La section d’appel a confirmé la décision de la CLCC et refusé d’accorder au demandeur une libération conditionnelle totale ou une semi‑liberté.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[22]           Le demandeur soulève de nombreuses questions dans le cadre de la présente demande, mais les principaux motifs de contrôle qu’il fait valoir sont les suivants :

a.                   La section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en appliquant la LSCMLC rétroactivement au moment de rendre sa décision?

b.                  La section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en qualifiant le demandeur de [traduction] « délinquant sexuel non traité »?

c.                   La section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’intention du juge qui avait imposé la peine indéterminée?

d.                  La section d’appel a‑t‑elle porté atteinte à l’équité procédurale en modifiant le libellé des motifs avancés par le demandeur dans les observations écrites produites en appel avant d’y répondre?

e.                   La section d’appel a‑t‑elle omis de signifier sa décision au demandeur comme l’y oblige la loi dans le délai prescrit?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[23]           Les dispositions suivantes de la LSCMLC, telles qu’elles existaient à la date de l’audience du demandeur devant la CLCC, s’appliquent à la présente instance :

Exactitude des renseignements

 

24. (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

 

Correction des renseignements

 

(2) Le délinquant qui croit que les renseignements auxquels il a eu accès en vertu du paragraphe 23(2) sont erronés ou incomplets peut demander que le Service en effectue la correction; lorsque la demande est refusée, le Service doit faire mention des corrections qui ont été demandées mais non effectuées.

 

[...]

 

Objet

 

 

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

 

Principes

 

 

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

 

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

 

 

b) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

 

[...]

 

Critères

 

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle‑ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

 

 

 

 

[...]

 

Examen des dossiers en instance

 

223. L’examen des dossiers en instance se poursuit indépendamment de la loi antérieure sous le régime de la présente loi.

Accuracy, etc., of information

 

24. (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

 

 

Correction of information

 

 

(2) Where an offender who has been given access to information by the Service pursuant to subsection 23(2) believes that there is an error or omission therein,

 

(a) the offender may request the Service to correct that information;

 

 

[...]

 

Purpose of conditional release

 

100. The purpose of conditional release is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by means of decisions on the timing and conditions of release that will best facilitate the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law‑abiding citizens.

 

Principles guiding parole boards

 

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are

 

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the determination of any case;

 

(b) that parole boards take into consideration all available information that is relevant to a case, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, any other information from the trial or the sentencing hearing, information and assessments provided by correctional authorities, and information obtained from victims and the offender;

 

 

[...]

 

Criteria for granting parole

 

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

 

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

 

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law‑abiding citizen.

 

[...]

 

Reviews in progress

 

 

223. A review of the case of an offender begun under the former Act shall be continued after the commencement day as if it had been begun under this Act.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[24]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse concernant la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question donnée est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision qui en est saisie peut l’adopter. Si tel n’est pas le cas, ou que la jurisprudence paraît incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, alors seulement le tribunal de révision examinera les quatre facteurs entrant dans l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48 [Agraira].

 

[25]           Certains des arguments soulevés par le demandeur font intervenir des questions de compétence et d’interprétation de nature législative. Les questions de droit, et notamment de constitutionnalité, appellent la norme de la décision correcte (Dunsmuir, précité; Canada c Conseil canadien pour les réfugiés, 2008 CAF 229).

[26]           D’autres arguments avancés par le demandeur font intervenir des questions d’équité procédurale. Dans l’arrêt S.C.F.P. c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada explique, au paragraphe 100, qu’« [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». En outre, dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, la Cour d’appel fédérale affirme ce qui suit : « La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. » La norme de contrôle applicable à ces questions est celle de la décision correcte.

 

[27]           D’autres questions soulevées par le demandeur appellent une évaluation des conclusions factuelles de la section d’appel, lesquelles sont soumises à la norme de la raisonnabilité (Fournier c Canada (Procureur général), 2004 CF 1124; Cotterell c Canada (Procureur général), 2012 CF 302). Dans le cas du contrôle d’une décision suivant la norme du caractère raisonnable, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

Le demandeur

 

[28]           D’après le demandeur, la section d’appel a eu tort d’appliquer rétroactivement la LSCMLC en l’espèce, plutôt que la loi qui était en vigueur au moment où sa peine lui a été infligée. Il y voit une erreur de compétence, car la LSCMLC ne prévoit aucune disposition transitoire.

 

[29]           Le demandeur cite à l’appui de son argument le jugement Langard c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1993] ACF no 1168 (QL) (CF 1re inst.) [Langard], aux paragraphes 17 à 21 :

17        À mon sens, aussi bien la Commission que le requérant ont donné aux paragraphes 225(1) et 139(1) une interprétation qu’ils ne sauraient recevoir. J’estime très clair le libellé du paragraphe 225(1). Il s’agit d’une disposition transitoire de fond. Le législateur voulait clairement que la Loi SCMLSC n’ait pas d’effet rétroactif et que les peines imposées sous le régime de la Loi sur la libération conditionnelle soient traitées, aux fins du calcul de la semi‑liberté, selon la formule prévue dans la Loi sur la libération conditionnelle.

 

18        Étant donné le clair libellé de l’article et l’absence, dans la Loi SCMLSC, de toute disposition contraire ou apportant des réserves, je suis d’avis que le paragraphe 225(1) s’applique aux peines imposées avant le 1er novembre 1992, qu’il y ait ou non des peines supplémentaires imposées au contrevenant en vertu de la Loi SCMLSC. La Commission a commis une erreur de droit en négligeant le paragraphe 225(1) en l’espèce et en traitant la totalité de la peine de 10 ans comme s’il s’agissait d’une peine imposée sous le régime de la Loi SCMLSC et assujettie uniquement à la formule que prévoit cette dernière.

 

19        L’avocat de la Commission a soutenu que le paragraphe 139(1) était une disposition d’interprétation, et que l’alinéa 15(2)a) de la Loi d’interprétation s’applique. Sans décider si le paragraphe 139(1) est une disposition d’interprétation, j’ai conclu que l’alinéa 15(2)a) n’est pas utile parce que, à mon sens, le paragraphe 225(1) de la Loi SCMLSC apporte la preuve d’une intention contraire. C’est‑à‑dire que les peines imposées en application de la Loi sur la libération conditionnelle ne sont pas assujetties à la formule prévue par la Loi SCMLSC aux fins du calcul de la semi‑liberté.

 

20        Je conclus également que la position du requérant fausse le sens des paragraphes 225(1) et 139(1). L’interprétation donnée par le requérant au paragraphe 139(1) n’est pas raisonnable, car elle donne à la disposition transitoire une trop grande extension en l’appliquant aux peines imposées en vertu de la Loi SCMLSC.

 

21        Comme l’a souligné l’avocat de la Commission nationale des libérations conditionnelles, les dispositions transitoires sont censées avoir une certaine durée, et on ne doit pas les interpréter de façon à en prolonger indûment l’application.

 

 

[30]           Le demandeur a fourni à la CLCC le jugement Abel c Edmonton Institution for Women, 2000 ABQB 851 [Abel], qui énonce ce qui suit :

[traduction]

16        Le jugement Gamble établit clairement qu’il est essentiel, dans tout système juridique reconnaissant la primauté du droit, qu’une personne accusée soit jugée et punie en vertu du droit en vigueur au moment de l’infraction. Toujours selon le jugement Gamble, ce principe prévoit que l’admissibilité à la libération conditionnelle compte parmi les éléments de la peine. Il est vrai que les défendeurs affirment que les affaires dans lesquelles ce principe est manifestement suivi traitent toutes de la question au moment du prononcé de la peine, elles ne s’appliquent pas lorsque les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition visent l’admissibilité à la libération conditionnelle. Il s’agit d’une distinction qui ne prête pas à conséquence. Il est bien établi dans notre droit que la possibilité d’obtenir une libération conditionnelle est un élément de la notion de peine et que le droit applicable au moment où l’infraction a été commise devrait régir aussi les modalités de la peine de l’accusé. J’ai donc conclu qu’il était opportun que la Cour rende un jugement déclarant que l’admissibilité de ce demandeur à la libération conditionnelle relève des dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui étaient en vigueur au moment de la perpétration de l’infraction.

 

[31]           Le demandeur soutient qu’en appliquant rétroactivement la LSCMLC pour juger de son admissibilité à la libération conditionnelle totale ou à la semi‑liberté, la CLCC et la section d’appel ont outrepassé leur compétence et ont contrevenu aux lois du Canada : Abel, précité; Langard, précité; ainsi que Le c Canada (Procureur général), [2001] CFPI 156 (CF 1re inst.) [Le]. Il affirme que le seul régime de libération conditionnelle légitimement applicable aux décisions de cet ordre le concernant, aujourd’hui et en tout temps depuis qu’il a été incarcéré, est la Loi sur la libération conditionnelle, LRC 1985, c P‑2, mod. par c 35 (2e suppl.) [Loi sur la libération conditionnelle] et le Règlement sur la libération conditionnelle, DORS/78‑428.

 

[32]           Le demandeur soutient également qu’il n’a pas été autorisé à déposer au dossier des décisions pertinentes sur ce point lorsqu’il a présenté ses arguments devant la CLCC, et que la section d’appel s’est trompée en postulant qu’il s’agit d’un tribunal administratif qui n’est pas tenu de suivre les règles formelles de preuve. Le demandeur fait valoir que cette jurisprudence était capitale pour étayer sa thèse, et qu’aucune disposition de la LSCMLC n’autorise la CLCC ou la section d’appel à exclure des renseignements pertinents ou à empêcher de les soumettre. Il ajoute qu’il était déraisonnable de la part de la section d’appel de conclure que la CLCC n’avait pas commis d’erreur en lui refusant cette possibilité.

 

[33]           Le demandeur affirme en outre que son incarcération a dépassé largement la période d’admissibilité à une libération conditionnelle, ce qui contrevient à l’article 12 de la Charte. Il précise que la CLCC et la section d’appel n’ont pas adapté sa peine d’une durée indéterminée aux circonstances, la transformant ainsi en une peine cruelle et inusitée contraire à l’article 12 de la Charte (Steele c Établissement Mountain, [1990] 2 RCS 1385 [Steele]).

 

[34]           Le demandeur soutient que le raisonnement adopté dans l’arrêt Steele s’applique en l’espèce, car en refusant de lui accorder sa libération conditionnelle, la section d’appel a mal rempli l’objectif énoncé à l’article 100.1 de la LSCMLC (alinéa 101a) au moment de l’audience devant la CLCC), qui fait de la protection de la société le critère prépondérant dans les décisions en matière de libération conditionnelle. Ce faisant, elle a fait abstraction des critères qu’elle aurait dû appliquer, tels qu’énoncés au paragraphe 16(1) de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle. Il affirme que l’article 100.1 de la LSCMLC constitue une disposition dérogatoire permettant à la CLCC d’écarter les droits à la liberté et à la sécurité de la personne protégés par les articles 7 et 12 de la Charte en faveur de la « protection de la société ».

 

[35]           Il fait aussi valoir que la section d’appel aurait dû se servir de l’estimation de la durée d’emprisonnement du juge qui a infligé la peine pour évaluer correctement la durée de sa détention suivant le régime de libération conditionnelle en vigueur lors du prononcé de sa peine. C’est dans cette mesure qu’il a subi une peine cruelle et inusitée du fait de l’application répétée de la mauvaise loi aux décisions en matière de libération conditionnelle, au fil des ans.

 

[36]           Le demandeur renvoie au raisonnement suivi dans le jugement Galbraith c Mountain Institution, [1988] BCJ no 2043 (QL) (CS C-B), à la page 9, et estime qu’il aurait dû être appliqué en l’espèce :

[traduction]

La commission des libérations conditionnelles doit tenir compte des critères spécifiques énoncés à l’art. 10 de la Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. 1970, ch. P‑2. Cet article est libellé ainsi :

 

10.(1)

 

La Commission peut :

 

a) accorder la libération conditionnelle à un détenu, sous réserve des modalités qu’elle juge opportunes, si la Commission considère que

 

(i)                 dans le cas d’un octroi de libération conditionnelle autre qu’une libération conditionnelle de jour, le détenu a tiré le plus grand avantage possible de l’emprisonnement,

(ii)               l’octroi de la libération conditionnelle facilitera le redressement et la réhabilitation du détenu, et

(iii)             la mise en liberté du détenu sous libération conditionnelle ne constitue pas un risque indu pour la société;

 

Le juge La Forest a indiqué que c’est l’examen obligatoire reposant sur les critères susmentionnés qui empêche la peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée de contrevenir à l’article 12. Sa Seigneurie déclarait à la page 342 que :

 

Bien que les critères que renferment l’al. 10(1)a) ne soient pas censés reproduire les conclusions de fait sur lesquelles doit reposer la décision de condamner le délinquant à une peine d’emprisonnement pour une période indéterminée, ils offrent tout de même des possibilités d’adaptation suffisantes pour que les dispositions en cause n’aillent pas à l’encontre de l’art. 12. Il faut se rappeler que, si le délinquant se voit condamner à une peine d’une durée indéterminée, c’est parce qu’au moment de la condamnation on a jugé qu’il avait une propension à un certain type de conduite. Cette peine est imposée « au lieu de toute autre peine » qui aurait pu être infligée et, comme toute autre peine, elle doit être purgée intégralement. Le délinquant n’est pas condamné à purger une peine d’emprisonnement jusqu’à ce qu’il ne soit plus dangereux. L’article 695.1 prescrit d’ailleurs l’examen de la situation du délinquant afin d’établir s’il y a lieu d’accorder la libération conditionnelle et, dans l’affirmative, à quelles conditions; cet article n’exige ni la suppression ni la modification du qualificatif de « délinquant dangereux ». Finalement, le texte même de l’art. 695.1 du Code et celui de l’al. 10(1)a) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus créent un processus permanent qui permet que la peine infligée à un délinquant dangereux soit adaptée à sa situation particulière.

 

[37]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la section d’appel de conclure qu’il n’avait pas encore réussi à réduire le risque qu’il présentait, malgré ses progrès récents. Il s’est soumis au programme d’intensité élevée du MPCI qu’il a réussi, s’améliorant dans tous les domaines. Son évaluation globale était « bonne », ce qui correspond à la meilleure note, les animateurs ayant pour politique de laisser place au perfectionnement. La conclusion selon laquelle il n’avait pas encore réussi à réduire le risque qu’il présentait était primordiale était un élément fondamental de la décision, et elle était déraisonnable.

 

[38]           Le demandeur prétend également qu’il était déraisonnable de la part de la section d’appel de le qualifier de [traduction] « délinquant sexuel non traité », ou d’affirmer qu’il n’avait pas encore réussi à réduire le risque malgré les traitements, ce qui d’après lui veut dire la même chose. Le demandeur a réussi les programmes disponibles, il n’y a donc pas de raisons de dire qu’il [traduction] « n’est pas traité ». Par ailleurs, il n’est pas autorisé à reprendre ce programme, ce qui le met en position de n’être jamais considéré comme un délinquant [traduction] « traité ». Dans le jugement Pinkney c Canada (Service correctionnel), 2001 CFPI 1053 (CF 1re inst.), la Cour a ordonné à la Commission des libérations conditionnelles de s’abstenir d’emprunter le terme « psychopathe » à une évaluation du risque discutable.

 

[39]           Le demandeur affirme qu’il était également déraisonnable de la part de la section d’appel de ne pas tenir compte des déclarations du juge ayant infligé la peine, lequel s’attendait à le voir purger entre cinq et sept ans de prison. Le demandeur affirme que l’objet de la LSCMLC, tel que l’énonce l’article 100, et les principes directeurs mentionnés à l’article 101 exigent que les intentions du juge qui a prononcé la peine soient prises en compte, comme le veut l’alinéa 101b) selon lequel « [les commissions de libération conditionnelle] doivent tenir compte de toute l’information pertinente dont elles disposent, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine ».

 

[40]           La section d’appel aurait d’ailleurs indûment altéré le libellé de la LSCMLC en déclarant : [traduction] « Veuillez prendre note que conformément à l’article 223 de la LSCMLC, tout délinquant ayant commencé à purger sa peine sous le régime de la loi antérieure devait être traité comme si sa peine avait débuté sous le régime de la LSCMLC. » Le demandeur fait remarquer que l’article 223 prévoit en fait : « L’examen des dossiers en instance se poursuit indépendamment de la loi antérieure sous le régime de la présente loi. » Le demandeur affirme que la section d’appel a, en agissant ainsi, contrevenu au mandat que lui confère la loi, ce qui lui fait perdre compétence. De ce fait, toutes les décisions subséquentes seraient invalides et sa détention illégale, et la Cour devrait examiner la possibilité de délivrer un habeas corpus : Fraser c Kent Institution, (1997) 167 DLR (4th) 457 (CA C-B) [Fraser].

 

[41]           Le demandeur avance par ailleurs que la section d’appel n’a pas entièrement examiné les questions soulevées dans son appel. Prendre acte des motifs invoqués n’équivaut pas à y répondre, et cette omission revient à un défaut d’exercice de compétence de part de la section d’appel. Le demandeur demande à la Cour de prononcer un jugement déclarant que cette omission illégale.

 

[42]           Le demandeur soutient en outre qu’en ne l’autorisant pas à contre‑interroger son ALCE, la CLCC a manqué à son obligation de lui garantir une audience équitable. Compte tenu de ses objections concernant l’exactitude factuelle des renseignements dont disposait la CLCC, la Commission était à tout le moins tenue de faire un effort raisonnable pour déterminer si ceux‑ci étaient faux ou entachés de quelque manière.

 

[43]           Le demandeur fait également valoir qu’il n’a pas reçu tous les documents quinze jours avant l’audience, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale : Fraser, précité.

 

[44]           Le demandeur soutient que la décision devrait être infirmée en raison de ces atteintes à l’équité procédurale, que celles‑ci aient entraîné ou non des erreurs judiciaires substantielles : Pickard c Mountain Institution (1994), 75 FTR 147 (CF 1re inst.).

 

Le défendeur

Équité procédurale

 

[45]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas le droit de mener un contre‑interrogatoire lors d’une audience en vue de son éventuelle libération conditionnelle se déroulant devant la CLCC ou la section d’appel. Aucun de ces organes n’agit à titre judiciaire ou quasi judiciaire, et les règles traditionnelles de preuve ne s’appliquent pas (Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75 [Mooring], aux paragraphes 25 à 29).

 

[46]           Le fait que la CLCC n’aurait pas accepté la jurisprudence soumise par le demandeur ne constitue pas non plus un manquement à l’équité procédurale. La section d’appel n’a pas commis d’erreur en concluant que la CLCC avait agi de manière raisonnable sur ce point. Celle‑ci a accepté de verser une copie du jugement Abel dans son dossier, l’a examinée, mais a jugé que ce jugement ne s’appliquait pas. Par ailleurs, même si la CLCC n’avait pas tenu compte de ce jugement, son omission n’aurait pas constitué une atteinte à l’équité procédurale ou quelque autre acte illégal. Comme nous l’avons souligné ci-dessus, l’audience était une procédure administrative dépourvue de règles formelles de preuve, et la CLCC n’était pas tenue d’interpréter ou de suivre la jurisprudence. Elle agissait à titre inquisitoire pour déterminer si le demandeur présenterait un risque inacceptable pour la société en cas de libération conditionnelle.

 

[47]           Quant à l’argument du demandeur selon lequel le défaut de lui remettre tous les documents pertinents dans le délai prescrit par la loi contrevenait à l’équité procédurale, en définitive, ce facteur n’aurait rien changé au caractère raisonnable de la décision, de sorte qu’il n’y pas lieu d’accorder le contrôle judiciaire. Il n’est pas nécessaire que la procédure se déroule de façon parfaite pour être équitable : Yu c Canada (Procureur général), 2009 CF 1201 [Yu], aux paragraphes 28 à 30; Uniboard Surfaces Inc. c Kronotex Fussboden GmbH and Co., 2006 CAF 398 [Uniboard Surfaces], au paragraphe 48.

 

[48]           En l’espèce, la CLCC n’a commis aucun manquement; elle a plutôt mis neuf jours à communiquer les motifs de sa décision au demandeur. Ce dernier avait déjà été informé du rejet de sa demande de libération conditionnelle à la fin de l’audience du 24 janvier 2012. Il n’a subi aucun préjudice du fait de ce retard administratif (Yu, précité, au paragraphe 30). Il a pu interjeter son appel devant la section d’appel.

 

Compétence

 

[49]           Le demandeur affirme que l’application des dispositions de la LSCMLC par la section d’appel est invalide d’un point de vue constitutionnel et viole les droits qu’il tire de l’article 12 de la Charte; le défendeur soutient pour sa part que la section d’appel a eu raison de renvoyer à l’article 223 de la LSCMLC lorsqu’elle a conclu que cette loi s’appliquait à compter de la date de son entrée en vigueur, soit le 1er novembre 1992. La section d’appel n’a pas appliqué la mauvaise loi : Roxborough c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), (1994) 80 FTR 26 (CF 1re inst.) [Roxborough], aux paragraphes 37 et 44.

 

[50]           De plus, la section d’appel n’a pas perdu sa compétence à cause de la manière dont elle a renvoyé à l’article 223 de la LSCMLC. Elle n’en pas modifié le libellé, mais a simplement expliqué au demandeur que sa peine et les examens en vue de sa libération conditionnelle relevaient de la LSCMLC, même s’il avait commencé à purger sa peine sous le régime de la loi antérieure.

 

[51]           Même si la Cour devait conclure que la section d’appel a mal paraphrasé l’article 223 de la LSCMLC, le défendeur soutient qu’il ne s’agit pas d’une erreur importante. Elle n’a aucune incidence sur le critère juridique qu’il fallait appliquer pour établir s’il y avait lieu d’accorder une libération conditionnelle au demandeur. Son cas relève manifestement de la LSCMLC. La CLCC a examiné à fond son dossier, entendu ses observations et appliqué les bons critères juridiques pour déterminer si sa libération présentait un risque inacceptable pour le public : Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384 [Cartier], aux paragraphes 29 à 36.

 

Erreurs de droit

 

[52]           Le défendeur ne voit pas de fondement à l’argument du demandeur selon lequel la CLCC a commis une erreur en ne tenant pas expressément compte de l’intention du juge qui lui avait infligé sa peine. L’alinéa 101a) de la LSCMLC exige de prendre en compte les motifs de détermination de la peine, mais rien n’oblige à considérer les « intentions » du juge qui l’a prononcée.

 

[53]           Qui plus est, les commissaires sont présumés avoir considéré toute la preuve à moins que le demandeur ne prouve le contraire : Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF). Ce dernier n’a pas établi que la CLCC n’avait pas considéré les motifs du juge qui a infligé la peine. Par ailleurs, il n’a pas soulevé cet enjeu devant la section d’appel, et on ne saurait donc reprocher à celle‑ci de ne pas avoir examiné une question qui ne lui a pas été soumise.

 

[54]           Le demandeur prétend également que la section d’appel n’a pas répondu aux motifs énoncés dans son appel de la décision de la CLCC. Or, il n’a pas précisé de quels motifs il s’agit. De plus, même si elle a peut‑être résumé certains des motifs d’appel, un examen de la décision montre clairement que la section d’appel a répondu à toutes les préoccupations du demandeur.

 

Caractère raisonnable

 

[55]           Le demandeur s’oppose à l’usage de l’expression [traduction] « délinquant sexuel non traité », estimant que la section d’appel a eu tort de ne pas reconnaître qu’elle reposait sur des renseignements faux et non fondés. Le défendeur juge cet argument infondé.

 

[56]           Premièrement, les avis professionnels versés au dossier du demandeur tiennent parfaitement compte du fait qu’il a réussi le programme du MPCI. Deuxièmement, la section d’appel n’est pas en mesure de douter de l’opinion de ces experts. Elle peut, comme la CLCC, s’appuyer sur les documents contenus dans le dossier du demandeur qu’elle juge fiables et convaincants : A.S.R. c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2002 CFPI 741 (CF 1re inst.). Enfin, comme l’a observé la section d’appel, si le demandeur estime que le rapport psychologique le qualifie à tort de [traduction] « délinquant sexuel non traité », le recours adéquat consiste à demander la correction des renseignements tenus pour inexacts en vertu du paragraphe 24(2) de la LSCMLC.

 

Les droits garantis par la Charte

 

[57]           Le défendeur soutient que l’argument du demandeur concernant la violation des droits qu’il tire de l’article 12 de la Charte est infondé. Les observations du demandeur à cet égard reposent sur l’argument erroné selon lequel la loi antérieure abrogée s’applique à l’examen en vue de sa libération conditionnelle. Comme nous l’avons souligné plus haut, c’est la LSCMLC qui s’applique à cet examen : Collier c Canada (Procureur général), 2006 CF 728 [Collier].

 

[58]           Par ailleurs, l’application de la LSCMLC à l’examen en vue de la libération conditionnelle du demandeur n’a pas enfreint les droits qu’il tire de l’article 12 de la Charte. Dans le cas d’une peine d’une durée indéterminée, le maintien en incarcération du délinquant pourrait contrevenir à l’article 12 de la Charte si la CLCC n’appliquait pas à sa situation particulière les critères que la loi prévoit en matière de libération conditionnelle : Steele, précité, aux paragraphes 61 à 67; Bouchard c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2008 CF 248, aux paragraphes 42 à 44.

 

[59]           En l’espèce, la section d’appel a souligné à raison que la CLCC s’était demandé si la situation du demandeur avait été dûment prise en compte afin de s’assurer que la poursuite de son incarcération n’était pas devenue exagérément disproportionnée. La CLCC a examiné en profondeur le dossier du demandeur, et a conclu que ses progrès étaient récents et qu’ils ne suffisaient pas à atténuer le risque de récidive. La CLCC a également évoqué les efforts consentis pour répondre aux besoins du demandeur, et les progrès qu’il accomplit dans le cadre de son plan correctionnel. La CLCC a donc raisonnablement conclu que la situation du demandeur ne démontrait pas une violation l’article 12 de la Charte.

 

Réparation

 

[60]           Si la Cour devait conclure que la section d’appel a commis une erreur en tenant compte des documents qui qualifient le demandeur de [traduction] « délinquant sexuel non traité », le défendeur soutient que les réparations demandées par ce dernier ne sont pas appropriées. Le recours indiqué est de présenter un grief fondé sur le paragraphe 24(2) de la LSCMLC. Quoi qu’il en soit, le rapport psychologique et l’évaluation en vue d’une décision n’ont pas été soumis à l’examen de la Cour.

 

ANALYSE

 

[61]           Le demandeur a produit dans le cadre de la présente demande des observations écrites détaillées : certaines ne se rapportent pas aux questions dont je suis saisi, d’autres sont très répétitives. Comme il l’a expliqué lors de l’audience qui s’est tenue devant moi, en tant que demandeur non représenté par avocat, il a dû effectuer des recherches considérables et s’instruire tout seul, de sorte qu’il sait beaucoup mieux comment formuler et faire valoir ses arguments maintenant qu’au moment où il a rédigé son mémoire des faits et du droit.

 

[62]           En fait, au moment de l’audience qui s’est déroulée devant moi, il me semblait clair que le demandeur avait une solide compréhension des questions pertinentes intéressant le contrôle ainsi que des principes juridiques applicables. Il s’exprime très bien et il a démontré qu’il possédait d’excellentes habiletés pour savoir se défendre.

 

Applicabilité de la LSCMLC

 

[63]           Les motifs de contrôle avancés par le demandeur sont fondés sur l’allégation selon laquelle la CLCC et la Section d’appel ont commis une erreur de droit et outrepassé leur compétence en évaluant son admissibilité à la libération conditionnelle totale ou à la semi‑liberté sous le régime de la LSCMLC. Le demandeur estime que son cas aurait dû être évalué en vertu de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle et invoque à l’appui des précédents tels que Steele, Le, Langard et Abel, précités. Or, l’examen de ces décisions m’induit à penser qu’elles ne concernent pas ce sujet.

 

[64]           Le demandeur a soulevé cette question devant la section d’appel, laquelle a estimé que sa demande de libération conditionnelle avait été dûment examinée sous le régime de la LSCMLC, eu égard à l’article 223 de cette loi, qui prévoit :

223. L’examen des dossiers en instance se poursuit indépendamment de la loi antérieure sous le régime de la présente loi.

223. A review of the case of an offender begun under the former Act shall be continued after the commencement day as if it had been begun under this Act.

 

 

[65]           D’après le demandeur, cette disposition signifie que la LSCMLC, relativement aux critères d’évaluation, ne s’applique pas à son évaluation. Il affirme que cette loi ne s’applique qu’à [traduction] « [l’]examen du dossier », de telle sorte que celui qui le concerne se poursuivra aux termes de la LSCMLC, mais conformément au critère énoncé dans l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle.

 

[66]           Le défendeur estime que la Section d’appel a eu raison de renvoyer le demandeur à l’article 223 de la LSCMLC, et que cette question a été réglée dans le jugement Roxborough, précité.

 

[67]           Le défendeur soutient, par analogie avec Roxborough, que comme l’audience du demandeur devant la CLCC s’est tenue le 24 janvier 2012, elle n’a pas commencé sous le régime de la Loi sur la libération conditionnelle, et que par conséquent [traduction] « c’est le droit en vigueur au moment de [l’audience en vue de la libération conditionnelle] qui doit s’appliquer. » Le demandeur rétorque que cette interprétation de l’article 223 adoptée par le juge Teitelbaum dans le jugement Roxborough a été infirmée et supplantée par les jugements Steele, Le, Langard et Abel, précités, sans toutefois expliquer comment.

 

Aperçu des conclusions concernant l’applicabilité de la LSCMLC

 

[68]           Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, la Cour ne peut accepter l’argument du demandeur selon lequel ce sont les critères du paragraphe 16(1) de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle qui doivent régir les décisions en matière de libération conditionnelle, même si le processus d’examen relève de la LSCMLC. Pour éclairer cette conclusion, je commencerai par formuler certaines observations générales, avant de passer à une analyse plus détaillée de la jurisprudence pertinente :

 

•           les dispositions transitoires de la LSCMLC ne permettent pas d’appliquer l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle à la situation du demandeur, mais elles l’autorisent dans d’autres circonstances spécifiques (voir Langard, précité), ce qui tend à indiquer que si le législateur avait voulu que cette loi s’applique à la situation actuelle, il l’aurait indiqué;

 

•           l’article 223 de la Loi, dont il est question dans le jugement Roxborough, précité, que le défendeur invoque pour expliquer pourquoi la LSCMLC s’applique, est pertinent en l’espèce, mais seulement de manière indirecte. La LSCMLC s’applique, mais son application ne découle pas de l’article 223;

 

•           la Cour d’appel fédérale a récemment affirmé, en réponse à un argument très similaire à celui du demandeur en l’espèce, que ce sont les critères énoncés dans la LSCMLC qui s’appliquent aux délinquants condamnés avant que la Loi n’entre en vigueur, du moins en l’absence d’une contestation constitutionnelle réussie (voir Ouellette c Canada (Procureur général), 2013 CAF 54 [Ouellette], évoqué plus bas, mais non cité par les parties);

 

•           d’un point de vue constitutionnel, la question de l’application rétroactive doit être examinée dans le contexte de la disposition spécifique de la Charte en cause. Quoique l’alinéa 11i) (invoqué dans le jugement Abel, précité) ne soit pas pertinent en l’espèce, l’alinéa 11h) (invoqué dans le jugement Whaling c Canada (Procureur général), 2012 BCSC 944, conf. par 2012 BCCA 435, autorisation d’appel accordée, [2012] CSCR no 431 [Whaling], examiné plus bas, mais non cité par les parties) pourrait l’être. L’article 12 (examiné dans l’arrêt Steele, précité, et dans l’arrêt R c Lyons, [1987] 2 RCS 309 [ [Lyons]), sur lequel le demandeur fonde son argument concernant l’application rétroactive de la LSCMLC, est le plus pertinent;

 

•           en définitive, j’estime que l’enjeu constitutionnel soulevé ne concerne pas l’application rétroactive, mais plutôt la question de savoir si les nouveaux critères peuvent empêcher la peine de devenir excessivement disproportionnée par rapport aux crimes commis, et ainsi contrevenir à l’article 12 de la Charte;

 

•           il me semble que le législateur a relevé la barre pour les décisions en matière de libération conditionnelle (du moins en ce qui a trait aux peines indéterminées) en adoptant l’article 102 de la LSCMLC. Le demandeur soutient que l’article 100.1 a le même effet. Je traite plus loin de la question de savoir si une peine exagérément disproportionnée (et donc cruelle et inusitée) peut en résulter;

 

•           si je concluais que les critères de la LSCMLC eux‑mêmes résistent à un examen constitutionnel fondé sur l’article 12 (ou que la question n’a pas été correctement soulevée), l’arrêt Steele, précité, oblige cependant la Cour à se demander si la CLCC a bien appliqué ces critères au cas d’espèce afin de s’assurer que la peine ne devienne ni cruelle ni inusitée;

 

•           il ne m’apparaît pas évident que le dossier ou les arguments qui m’ont été présentés me permettent de déterminer si l’application de l’alinéa 102 et de l’article 100.1 de la LSCMLC à un délinquant purgeant une peine indéterminée peut entraîner une peine cruelle et inusitée contraire à l’article 12 de la Charte. Comme j’ai conclu que la peine du demandeur n’est pas devenue exagérément disproportionnée, je ne crois pas nécessaire de me prononcer sur cette question; elle pourra être tranchée dans une autre instance qui conviendra davantage.

 

[69]           Je suis parvenu aux conclusions suivantes après avoir examiné la jurisprudence pertinente :

•           le jugement Langard, précité, n’est d’aucune utilité au demandeur, puisqu’il se rapporte à l’interprétation d’une disposition transitoire particulière (concernant l’admissibilité à la semi‑liberté) qui n’est pas en cause ici. Au contraire, l’existence de cette disposition appuie la thèse du défendeur : là où il a souhaité que des parties de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle continuent de s’appliquer, le législateur l’a spécifiquement mentionné dans la LSCMLC;

 

•           les affaires Le, précitée, et Langard portaient sur des faits semblables examinés dans le contexte de certaines modifications subséquentes sans pertinence en l’espèce. Bien que la Cour ait brièvement traité de la question de la rétroactivité, son analyse n’est pas d’un grand secours dans l’affaire qui nous occupe : la Cour n’a pas décidé si les dispositions sur l’admissibilité à la libération conditionnelle pouvaient s’appliquer rétroactivement, mais a simplement conclu que la situation dans l’affaire Le n’équivalait pas à une application rétroactive de la loi. J’en arrive à une conclusion similaire en l’espèce, mais pour des motifs différents que ceux mentionnés dans le jugement Le;

 

•           dans le jugement Roxborough, précité, la Cour a conclu que les dispositions actuelles de la LSCMLC s’appliquaient, parce qu’en substance ni les dispositions transitoires ni l’article 7 de la Charte ne permettaient au demandeur de tomber sous le coup de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle. Ce raisonnement est pertinent pour la présente affaire, mais le jugement Ouellette (examiné plus bas) l’est de manière plus directe. J’ajoute qu’à mon avis, l’article 223 n’a pas eu un effet déterminant dans le jugement Roxborough et n’est pas directement applicable en l’espèce (voir l’analyse plus loin);

 

•           le jugement Abel, précité, et deux autres jugements dans lesquels la Cour est arrivée à la conclusion opposée sur le même point (Berenstein c Commission nationale des libérations conditionnelles, (1996) 111 FTR 231 (CF 1re inst.) [Berenstein], et R c Caruna, [2002] OJ no 162 (QL) (C. sup. just. Ont.) [Caruna]), ne sont pas directement pertinentes, car elles concernent : 1) l’admissibilité à la libération conditionnelle, qui n’est pas en cause ici; 2) des changements apportés à la loi entre le moment de l’infraction et la détermination de la peine et non des modifications législatives survenues (comme en l’espèce) après la détermination de la peine. Ces affaires traitent d’ailleurs de l’application appropriée de l’alinéa 11i) de la Charte (quoique le langage dans le jugement Abel, précité, ne le rende pas nécessairement évident), mais cette disposition n’est pas pertinente en l’espèce;

 

•           l’arrêt Steele, précité, est pertinent pour la présente affaire, et doit être lu conjointement avec l’arrêt Lyons, précité, dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu que le processus d’examen en vue d’une éventuelle libération conditionnelle gardait les dispositions du Code criminel sur l’imposition de peines indéterminées à l’abri de l’inconstitutionnalité. Dans l’arrêt Steele, la Cour a estimé que la CLCC avait commis une erreur en appliquant les critères législatifs de libération conditionnelle, ce qui avait donné lieu à une peine exagérément disproportionnée par rapport aux crimes commis, et donc à une peine cruelle et inusitée contraire à l’article 12 de la Charte. À mon avis (voir également Ouellette, précité, sur ce point), les arrêts Lyons et Steele n’affirment pas que l’application des critères du paragraphe 16(1) de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle est impérative d’un point de vue constitutionnel. En revanche, ces arrêts indiquent clairement que les critères précis qui doivent être appliqués aux examens en vue d’une éventuelle libération conditionnelle sont pertinents pour juger de la constitutionnalité du régime des peines indéterminées : ces critères doivent permettre de s’assurer que la peine ne devient pas exagérément disproportionnée. Les modifications apportées à ces critères peuvent donc légitimement être soumises à un examen constitutionnel fondé sur l’article 12 de la Charte relativement au régime des peines indéterminées. En d’autres termes, j’estime que le demandeur a soulevé à tout le moins une préoccupation constitutionnelle légitime;

 

•           l’arrêt Ouellette, précité, concernait un délinquant condamné à l’emprisonnement à perpétuité qui faisait valoir, en invoquant l’arrêt Steele, précité, que la CLCC devait se demander s’il avait tiré le bénéfice maximal de l’emprisonnement (l’un des critères prévus par l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle). La Cour d’appel fédérale a estimé que le demandeur avait mal compris l’arrêt Steele : cet arrêt ne dit pas que l’application des critères de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle était impérative d’un point de vue constitutionnel. La Cour a affirmé qu’en l’absence de contestation constitutionnelle, ce sont les critères applicables à l’octroi d’une libération conditionnelle énoncés dans la LSCMLC qui s’appliquent aux individus condamnés avant l’entrée en vigueur de la Loi. Cependant, la Cour n’a pas exclu la possibilité d’une contestation constitutionnelle réussie, et a insisté sur la situation particulière des contrevenants condamnés à des peines indéterminées;

 

•           l’arrêt Whaling, précité, est une affaire instruite récemment en Colombie‑Britannique où la cour de première instance et la Cour d’appel de Colombie‑Britannique ont toutes deux conclu que l’application rétroactive de modifications de la LSCMLC ayant pour effet de prolonger l’inadmissibilité des plaignants à la libération conditionnelle en raison de l’élimination de l’octroi de la semi‑liberté par voie d’examen expéditif était inconstitutionnelle. La Cour suprême du Canada vient d’entendre l’appel dans cette affaire et a mis sa décision en délibéré. Les tribunaux de première instance et d’appel de Colombie‑Britannique ont conclu que l’application rétroactive des modifications contrevenait à l’alinéa 11h) de la Charte, parce qu’elle avait pour effet de rendre la peine plus sévère et qu’elle s’apparentait à une punition supplémentaire.

 

[70]           La question que cette conclusion issue de l’arrêt Whaling, précité, soulève en l’espèce est celle de savoir si une modification du critère que la loi prévoit en matière de libération conditionnelle (par opposition à l’admissibilité à la libération conditionnelle) peut avoir le même effet. À mon sens, il existe une différence importante : les décisions en matière de libération conditionnelle reposent sur des considérations qui n’ont aucun rapport avec le caractère approprié de la peine (elles concernent plutôt l’opportunité d’une libération). Par contre, la Cour a estimé dans l’arrêt Whaling que des décisions antérieures portant inadmissibilité à la libération conditionnelle intéressent en fait, du moins en partie, des considérations liées à la peine. Compte tenu de cette distinction, la question de l’application rétroactive ne se pose pas ici : la LSCMLC applique des critères actuels à une situation actuelle lorsqu’il s’agit de prendre une décision en matière de libération conditionnelle. L’examen en vue d’une libération conditionnelle ne concerne pas des peines infligées pour des crimes passés, mais consiste plutôt à se demander s’il convient (aujourd’hui) de remettre le demandeur en liberté.

 

[71]           Cette analyse m’induit à penser que pour savoir si les critères de la LSCMLC peuvent légitimement s’appliquer aux décisions concernant la libération conditionnelle du demandeur, il faut déterminer si cette application porte atteinte à l’article 12 de la Charte.

 

[72]           J’examinerai à présent plus en détail les décisions importantes et pertinentes.

 

Examen de la jurisprudence concernant l’« application rétroactive » de la LSCMLC

 

[73]           À mon avis, le jugement Roxborough, précité, ne concerne pas une situation tout à fait analogue à celle de l’affaire qui nous occupe, mais elle se rapporte au moins à des principes juridiques pertinents, du moins par déduction. La disposition transitoire en cause, l’article 223 de la Loi, est la même dans les deux affaires.

 

[74]           Dans l’affaire Roxborough, il était question d’un détenu qui avait bénéficié d’une semi‑liberté sous le régime de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle, et en avait violé l’une des conditions le jour de sa remise en liberté en consommant de l’alcool; sa libération conditionnelle a donc été suspendue et il a été réincarcéré en vertu de l’ancienne Loi. Cependant, au moment de l’audience postsuspension qui s’est déroulée devant la CLCC (pour déterminer les répercussions à long terme du manquement aux conditions de sa libération conditionnelle), la LSCMLC était entrée en vigueur. L’ancienne loi permettait plus de clémence que la nouvelle, et M. Roxborough a donc fait valoir qu’il avait le droit de la voir s’appliquer pour des motifs constitutionnels. Il soutenait que les délais écoulés avant son transfert vers un établissement fédéral avaient retardé son audience postsuspension, ce qui avait entravé son droit à la liberté prévu à l’article 7 de la Charte.

 

[75]           Après avoir examiné les divers types de droit à la liberté reconnus dans le contexte du droit pénitentiaire dans l’arrêt Dumas c Centre de détention Leclerc, [1986] 2 RCS 459, le juge Teitelbaum n’était pas convaincu que l’un de ceux‑ci avait été violé. L’article 7 de la Charte ne donnait donc pas à M. Roxborough le droit de faire examiner son dossier sur le fondement de la Loi sur la libération conditionnelle (paragraphe 46).

 

[76]           Le juge Teitelbaum a également estimé que le fait que la suspension de la libération conditionnelle a été ordonnée au titre de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle ne signifiait pas que l’« examen » avait débuté sous le régime de cette loi. Bien que le langage de la décision soit obscur sur ce point (au paragraphe 44), une simple lecture de l’article 223 montre qu’une conclusion opposée n’aurait pas justifié l’application de la Loi sur la libération conditionnelle. En fait, l’article 223 a exactement l’effet contraire :

 

223. L’examen des dossiers en instance se poursuit indépendamment de la loi antérieure sous le régime de la présente loi. [Non souligné dans l’original.]

 

[77]           Par conséquent, l’article 223 ne s’appliquait pas directement dans l’affaire Roxborough, précitée (l’examen en cause n’ayant pas débuté sous le régime de la Loi sur la libération conditionnelle), pas plus que dans la présente affaire (l’examen en cause n’ayant pas non plus débuté sous le régime de la Loi sur la libération conditionnelle). Si l’article 223 est pertinent en l’espèce, c’est par déduction : si les examens commencés sous le régime de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle doivent être considérés comme ayant débuté sous le régime de la loi actuelle, ceux qui ont commencé après l’entrée en vigueur de la LSCMLC doivent se poursuivre de la même manière, puisque le contraire serait absurde. À mon avis, la section d’appel a donc eu raison de déclarer en l’espèce que l’application de la LSCMLC au cas du demandeur était [traduction] « conforme à » l’article 223, quoiqu’il serait erroné de dire que l’application de cette loi [traduction] « découle » de cette disposition.

 

[78]           À mon avis, la véritable conséquence du jugement Roxborough, précité, sur la présente affaire tient au fait que c’était la loi en vigueur à la date de l’audience qui devait s’appliquer (voir également l’arrêt Ouellette, précité, examiné plus loin), puisque ni la Constitution ni les dispositions transitoires de la LSCMLC ne permettent au demandeur de se prévaloir des dispositions de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle. À l’inverse, dans le jugement Langard, précité, une disposition transitoire précise se rapportait aux faits de l’affaire, et rendait applicables certaines dispositions de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle.

 

[79]           Le jugement Abel, précité, est l’un des nombreux jugements dans lesquels la loi régissant l’admissibilité à la libération conditionnelle a été modifiée entre la perpétration de l’infraction et la date de la détermination de la peine. Dans ces jugements, la Cour a examiné la question de savoir si l’alinéa 11i) de la Charte exigeait que des dispositions antérieures (plus clémentes) relatives à l’admissibilité à la libération conditionnelle s’appliquent, et a tiré des conclusions différentes.

 

[80]           L’alinéa 11i) de la Charte dispose :

11. Tout inculpé a le droit :

 

 

[...]

 

i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence.

11. Any person charged with an offence has the right

 

[...]

 

(i) if found guilty of the offence and if the punishment for the offence has been varied between the time of commission and the time of sentencing, to the benefit of the lesser punishment.

 

 

[81]           Dans le jugement Abel, précité, la Cour a conclu au paragraphe 16 (en s’appuyant sur l’arrêt R c Gamble, [1988] 2 RCS 595 [Gamble]) que l’inadmissibilité à la libération conditionnelle, qu’elle soit prononcée par un juge ou prévue par la loi, fait partie de la peine, et que c’est donc la disposition plus clémente (ou [traduction] « la loi qui s’appliquait au moment où l’infraction a été commise ») qui doit s’appliquer. Dans deux autres jugements, Berenstein et Caruna, précités, la Cour a tiré la conclusion opposée, estimant que l’inadmissibilité à la libération conditionnelle découlant de la loi ne produit un effet que sur la « manière selon laquelle une détention sera purgée » et « n’impose donc pas de “peine” » au sens de l’alinéa 11i) de la Charte (Berenstein, à la p. 236, cité avec approbation dans le jugement Caruna, au paragraphe 7). À ce titre, c’est la loi en vigueur au moment du prononcé de la peine qui régit [traduction] « les conditions dans lesquelles la peine imposée par un tribunal doit être purgée », ce qui comprend l’inadmissibilité à la libération conditionnelle (Caruna, au paragraphe 9).

 

[82]           À mon avis, les jugements Abel, Berenstein et Caruna ne s’appliquent pas directement à l’affaire qui nous occupe, et ce, pour deux raisons. Premièrement, il n’est pas question en l’espèce d’admissibilité à la libération conditionnelle (M. Van Boeyen est admissible, mais la CLCC a décidé de ne pas lui accorder de libération conditionnelle). Deuxièmement, aucune modification n’a été apportée à la loi entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la détermination de la peine. C’est plutôt à une modification postérieure à la détermination de la peine qui est en cause en l’espèce. L’alinéa 11i) de la Charte n’est donc pas pertinent, quoique l’on puisse soutenir que l’alinéa h) trouve à s’appliquer si la modification du critère relatif aux libérations conditionnelles revient à prolonger la « peine » infligée au demandeur : voir Whaling, examiné ci‑après.

 

[83]           Le fondement du jugement Abel peut prêter à confusion compte tenu du langage du paragraphe 16, que cite le demandeur, et qui semble à première vue faire reposer l’issue non pas sur l’alinéa 11i) de la Charte mais sur le principe énoncé dans l’arrêt Gamble, précité, à savoir « [qu’]une personne accusée doit être jugée et punie en vertu du droit en vigueur au moment où l’infraction a été commise. » Cependant, j’estime que ce paragraphe doit être lu conjointement avec le précédent, lequel montre bien que l’issue de l’affaire dépend de l’application convenable de l’alinéa 11i) (voir Whaling, précité, au paragraphe 71, qui adopte également cette interprétation du jugement Abel, précité). Les paragraphes pertinents sont les suivants :

[traduction]

15        Les défendeurs me renvoient au jugement Berenstein c. Commission nationale des libérations conditionnelles (1996) 111 F.T.R. 231. Les faits de cette affaire sont analogues en ce que le demandeur avait commis une infraction à un moment où les détenus pouvaient bénéficier d’une semi‑liberté après avoir purgé le sixième de leur peine. Or en l’espèce, le demandeur a été condamné après que la loi eut été modifiée de manière à faire durer la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle à un tiers de la peine. La Commission nationale des libérations conditionnelles a refusé de tenir une audience sur la semi‑liberté après que le demandeur eut purgé le sixième de sa peine; le détenu a donc demandé un mandamus pour forcer la Commission à tenir une audience, faisant valoir qu’il avait le droit, en vertu de l’alinéa 11i) de la Charte des droits et libertés, de bénéficier d’une « peine » moins sévère. Ayant rejeté la demande, la Cour a estimé que le paragraphe 11(1) [sic] de la Charte ne s’appliquait qu’au processus de mise en accusation, au procès et à la détermination de la peine, mais non à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui n’inflige pas de « peine » au sens de l’alinéa 11i), mais définit seulement la manière dont une peine doit être purgée.

 

16        L’arrêt Gamble établit clairement qu’il est essentiel, dans tout système juridique reconnaissant la primauté du droit, que les accusés subissent leur procès et reçoivent leur peine en vertu du droit en vigueur au moment de l’infraction. Toujours selon l’arrêt Gamble, cette règle inclut l’admissibilité à la libération conditionnelle à titre d’élément de la peine. Bien que les défendeurs affirment que les affaires dans lesquelles ce principe est manifestement suivi traitent toutes de la question au moment où le juge du procès inflige la peine, elles ne s’appliquent pas lorsque les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition produisent leurs effets sur l’admissibilité à la libération conditionnelle. Il s’agit d’une distinction qui ne prête pas à conséquence. Il est bien établi dans notre droit que la possibilité d’obtenir une libération conditionnelle est un élément de la notion de peine et que le droit applicable au moment où l’infraction a t commise devrait régir aussi les modalités de la peine de l’accusé. Par conséquent, j’ai conclu qu’il était opportun que la Cour rende un jugement déclarant que l’admissibilité de ce demandeur à la libération conditionnelle relève des dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui étaient en vigueur au moment de la perpétration de l’infraction.

 

[84]           La conclusion déterminante (à savoir que l’inadmissibilité à la libération conditionnelle fait partie de la peine) s’inscrit dans le contexte de la distinction établie avec le jugement Berenstein, précité, quant à l’application appropriée de l’alinéa 11i) de la Charte. De plus, le principe selon lequel « une personne accusée doit être jugée et punie en vertu du droit en vigueur au moment où l’infraction a été commise » a été énoncé dans l’arrêt Gamble, précité, comme un principe de justice fondamentale se rapportant à l’article 7 de la Charte, et non comme une règle de common law autonome (auquel cas une loi pourrait la remplacer), et il doit être compris et appliqué dans le contexte de la Charte. Ce principe a été appliqué dans le jugement Abel, précité, pour permettre une application adéquate de l’alinéa 11i), alors que dans l’arrêt Gamble (examiné plus loin), il étayait un argument qui était fondé sur l’article 7 et qui a été accueilli.

 

[85]           Compte tenu de l’analyse qui précède, l’arrêt Gamble et le jugement Abel n’ont pas pour effet d’empêcher que les critères prévus par la loi en matière de libération conditionnelle, adoptés après la condamnation du demandeur, s’appliquent à lui. En fait, l’application de ces nouveaux critères ne serait interdite que s’il était établi qu’elle contrevenait à la Charte. Je pense que l’arrêt Ouellette récemment prononcé par la Cour d’appel fédérale (examiné plus loin) est déterminant sur ce point. Voir aussi Whaling (examiné plus loin).

 

[86]           Le demandeur s’appuie largement sur l’arrêt Steele, précité, mais cet arrêt doit être compris à la lumière de l’arrêt Lyons, antérieurement rendu par la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, la Cour suprême s’était demandé si les dispositions du Code criminel concernant les délinquants dangereux (et notamment celle qui avait trait à la peine indéterminée) portaient atteinte aux articles 7, 9, 11 ou 12 de la Charte. L’examen des questions liées à l’article 12 auquel s’est livrée la Cour dans l’arrêt Lyons est particulièrement pertinent pour l’arrêt Steele. La Cour a estimé que les préoccupations concernant l’article 12 étaient plus pressantes dans le contexte des délinquants dangereux, ce qui confère une portée constitutionnelle particulière aux décisions en matière de libération conditionnelle :

47        En vérité, il existe une différence considérable entre l’effet d’une peine imposée en vertu de la partie XXI [maintenant la partie XXIV] et celui d’autres peines plus typiques. Quand une personne se fait emprisonner pour une période absolue et déterminée, il y a au moins la certitude que l’incarcération ne durera pas plus longtemps que la période fixée. [...] Pour le délinquant qui purge une peine d’une durée indéterminée, il n’y a cependant pas d’autre espoir que la libération conditionnelle. [...] [Q]uelle que puisse être en général la nature juridique de l’intérêt à ce qu’il y ait possibilité d’obtenir une libération conditionnelle, il me semble que, sur le plan factuel, une telle possibilité joue moins lorsqu’il s’agit de décider si une peine d’une durée déterminée est cruelle et inusitée que lorsqu’il s’agit d’apprécier la constitutionnalité d’une peine imposée en vertu de la partie XXI [aujourd’hui la partie XXIV].

 

48        Cela tient à ce que, dans un régime de peines d’une durée déterminée, la possibilité d’obtenir une libération conditionnelle représente une mesure surajoutée de protection des intérêts du délinquant en matière de liberté. Dans le présent contexte, cependant, une fois la peine imposée, elle constitue la seule mesure [page 341] de protection des intérêts du délinquant dangereux en matière de liberté. En fait, pour le délinquant dangereux, sa détention ne prend fin qu’au moment où elle est effectivement complétée. Dans ce sens, chaque possibilité de mise en liberté conditionnelle lui paraîtra comme l’unique moyen de mettre fin à sa détention, de faire en sorte que sa durée soit certaine. Il est en outre évident qu’une enquête éclairée menée en vertu de l’art. 12 doit porter d’abord et avant tout sur la façon dont se feront probablement sentir les effets du châtiment. Par conséquent, vu sous cet angle, le processus de libération conditionnelle revêt une importance capitale, car seul ce processus permet vraiment d’adapter la peine à la situation de chaque délinquant.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[87]           Dans l’arrêt Lyons, précité, la Cour suprême du Canada a estimé qu’en l’absence d’un examen individualisé et régulier, les dispositions sur les délinquants dangereux étaient susceptibles dans certains cas d’entraîner des peines exagérément disproportionnées contraires à l’article 12 de la Charte, mais aussi que le processus de libération conditionnelle lui‑même soustrayait ces dispositions à l’inconstitutionnalité :

49        À mon avis, si la peine imposée sous le régime de la partie XXI était pour une période indéterminée, purement et simplement, il en résulterait certainement, du moins parfois, des peines exagérément disproportionnées à ce que mériteraient des délinquants. Toutefois, j’estime que le processus de la libération conditionnelle vient empêcher que les dispositions législatives en cause ne puissent être contestées avec succès en vertu de l’art. 12, car ce processus est le gage d’une incarcération qui ne durera dans chaque cas que le temps dicté par les circonstances.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[88]           Dans l’arrêt Lyons, précité, la Cour suprême a analysé minutieusement les critères applicables à ces examens en vue d’une libération conditionnelle, en vertu de l’ancien paragraphe 695.1(1) du Code criminel (aujourd’hui le paragraphe 761(1)) et de l’ancien alinéa 10(1)a) de la Loi sur la libération conditionnelle, critères identiques à ceux énoncés au par. 16(1) de la Loi sur la libération conditionnelle, qui était en vigueur lorsque M. Van Boeyen a été condamné à titre de délinquant dangereux. La Cour suprême n’a pas tenu ces critères pour impératifs d’un point de vue constitutionnel (voir Ouellette, précité, examiné plus loin), mais pour conclure que le processus d’examen en vue d’une libération conditionnelle soustrayait les dispositions relatives aux délinquants dangereux à l’invalidité constitutionnelle, il était assurément important qu’elle estime ces critères appropriés à la fonction d’adapter les peines indéterminées aux circonstances particulières de chaque cas. En d’autres mots, on ne saurait présumer que ce processus résisterait à un examen constitutionnel en ce qui concerne les délinquants dangereux quels que soient les critères appliqués : ceux dont il était question ont joué un rôle primordial dans l’analyse constitutionnelle effectuée dans l’arrêt Lyons (voir les paragraphes 50 à 56). La Cour suprême a aussi observé que l’expression « exagérément disproportionné » signifiait que la Cour ne devrait pas « astreindre le législateur à une norme à ce point sévère, tout au moins dans le contexte de l’art. 12, qu’elle exigerait des peines parfaitement adaptées aux nuances morales qui caractérisent chaque crime et chaque délinquant ».

 

[89]           C’est dans ce contexte que la Cour s’est demandé, dans l’arrêt Steele, précité, si le maintien en détention d’un délinquant dangereux incarcéré depuis 37 ans équivalait à une peine cruelle et inusitée contraire à l’article 12 de la Charte. La Cour a estimé que la « durée excessive » de l’incarcération de M. Steele était « depuis longtemps devenue exagérément disproportionnée aux circonstances de l’espèce » (paragraphe 79). Cette constatation n’était pas attribuable à des vices structurels du régime gouvernant les peines indéterminées, mais plutôt au fait que la CLCC n’avait pas bien appliqué les critères de libération conditionnelle (paragraphes 63 et 67). La Cour a insisté de manière significative sur ces critères et déclaré, en invoquant l’arrêt Lyons, qu’« il est d’une importance fondamentale que la Commission tienne compte de ces critères » et que « [c]e n’est que par l’observation et l’application soigneuses de ces critères qu’il est possible d’adapter la peine d’une durée indéterminée à la situation de chaque délinquant. Le faire permet d’assurer que les dispositions relatives à la détermination de la peine des délinquants dangereux ne violent pas l’art. 12 de la Charte » (aux paragraphes 66 et 67; voir également le paragraphe 83).

 

[90]           Dans l’arrêt Steele, la CLCC avait « mal appliqué ces critères ou n’en [avait] pas tenu compte pendant un certain nombre d’années » (paragraphe 67). Plus précisément, la CLCC avait accordé une importance démesurée aux manquements aux conditions de la libération conditionnelle (violation du couvre‑feu et consommation d’alcool) survenus à chaque fois que M. Steele avait bénéficié d’une semi‑liberté – lesquels signalaient des problèmes d’adaptation mineurs –, « plutôt que de se concentrer sur le point crucial de savoir si sa libération conditionnelle constituerait un risque trop grand pour la société » (paragraphe 79). En conséquence, « le processus d’examen de la demande de libération conditionnelle n’a pas permis d’adapter la peine de Steele à la situation dans laquelle il se trouvait » (paragraphe 79). La Cour a jugé « difficile de trouver, dans les actes accomplis par Steele au cours des vingt dernières années, des éléments de preuve indiquant qu’il a continué de constituer un trop grand risque pour la société » (paragraphe 75), et fait remarquer que treize des seize psychiatres et psychologues qui s’étaient prononcés au fil des ans sur la question de savoir si M. Steele devait obtenir une libération conditionnelle avaient recommandé une forme ou une autre de libération conditionnelle (paragraphe 72). L’opinion de la Cour concernant ce cas et le seuil requis pour parvenir à de semblables conclusions sont formulés dans les paragraphes suivants :

79        À mon avis, les éléments de preuve soumis démontrent que la Commission nationale des libérations conditionnelles a commis une erreur en appliquant les critères énoncés à l’al. 16(1)a) de la Loi sur la libération conditionnelle. La Commission semble avoir fondé sa décision de refuser la libération conditionnelle sur des manquements à la discipline relativement mineurs et apparemment explicables que Steele a commis, plutôt que de se concentrer sur le point crucial de savoir si sa libération conditionnelle constituerait un risque trop grand pour la société. À cause de ces erreurs, le processus d’examen de la demande de libération conditionnelle n’a pas permis d’adapter la peine de Steele à la situation dans laquelle il se trouvait. La durée excessive de son incarcération est depuis longtemps devenue exagérément disproportionnée aux circonstances de l’espèce.

 

80        Il arrivera très rarement qu’une cour de justice conclura qu’une peine est si exagérément disproportionnée qu’elle viole les dispositions de l’art. 12 de la Charte. Le critère qui sert à déterminer si une peine est beaucoup trop longue est à bon droit strict et exigeant. Un critère moindre tendrait à banaliser la Charte.

 

[91]           Tout comme dans l’arrêt Lyons, précité, la Cour n’est pas allée, dans l’arrêt Steele, précité, jusqu’à préciser si les critères énoncés au paragraphe 16(1) de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle étaient impératifs d’un point de vue constitutionnel, mais elle leur a accordé une grande place dans son analyse constitutionnelle. Elle a également indiqué que la question de savoir si le délinquant continue de poser un trop grand risque pour la société était le « plus important critère », et que « [s]i la mise en liberté d’un détenu continue de constituer un trop grand risque pour la société, la prolongation de sa détention à perpétuité peut être justifiée » (paragraphe 71).

 

[92]           Il convient également de souligner, concernant l’argument que le demandeur soulève en l’espèce, que la Cour suprême a appliqué dans l’arrêt Steele le droit régissant les libérations conditionnelles tel qu’il existait à la date de la décision de la CLCC qui faisait l’objet de l’examen, et non celui qui était applicable à la date où la peine d’une durée indéterminée a été imposée à M. Steele. Ce dernier avait été condamné en 1953. À cette époque, la disposition qui régissait les libérations conditionnelles était l’alinéa 8a) de la Loi sur la libération conditionnelle, et cette disposition ne prévoyait pas de critère relatif au risque pour le public (voir Steele, précité, aux paragraphes 64 et 65).

 

[93]           Le jugement Collier, précité, concernait, comme en l’espèce, un délinquant dangereux condamné à une peine d’une durée indéterminée avant l’entrée en vigueur de la LSCMLC. Le demandeur soutenait, en se fondant sur l’arrêt Steele, que son maintien en incarcération équivalait à une peine exagérément disproportionnée contraire à l’article 12 de la Charte.

 

[94]           Dans son examen de l’arrêt Steele, précité, le juge Lemieux a souligné que l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle avait été abrogée et remplacée (paragraphe 34). Il semblait admettre que les nouveaux critères de libération conditionnelle énoncés dans la LSCMLC devaient s’appliquer (voir le paragraphe 44), y compris l’exigence prévue aux articles 101 et 102 de la Loi, selon laquelle la CLCC doit considérer la protection de la société comme le critère primordial dans les décisions en matière de libération conditionnelle, et la concilier avec l’obligation de choisir la solution la moins restrictive possible (voir le paragraphe 20). Le demandeur dans cette affaire ne semblait pas faire valoir que les dispositions de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle devaient s’appliquer, il n’y a donc rien à dire sur ce point.

 

[95]           Dans l’arrêt Ouellette, précité, la Cour d’appel fédérale a examiné le cas d’une personne condamnée à une peine d’emprisonnement à perpétuité qui n’était pas admissible à la libération conditionnelle pendant 25 ans. Cette peine avait été infligée en 1989, avant l’entrée en vigueur de la LSCMLC. La Cour a déclaré que les critères régissant la libération conditionnelle étaient ceux prévus à l’article 102 de la Loi.

 

[96]           La Cour a examiné l’argument du demandeur/appelant qui, se fondant sur l’arrêt Steele (voir le paragraphe 40), affirmait que pour se conformer à l’article 12 de la Charte, la CLCC devait se demander s’il avait tiré le bénéfice maximal de sa peine d’emprisonnement – l’un des critères énoncés au paragraphe 16(1) de l’ancienne Loi sur la libération conditionnelle, mais non dans la LSCMLC. Pour la Cour, cet argument témoignait d’une double incompréhension de l’arrêt Steele. Premièrement, il est important d’établir une distinction entre les individus condamnés à une peine d’emprisonnement à perpétuité, comme l’appelant dans cette affaire, et les délinquants dangereux ayant à purger des peines d’une durée indéterminée. L’arrêt Steele concernait cette deuxième catégorie et ne se rapportait pas nécessairement à la première. Deuxièmement, l’analyse de la Cour dans l’arrêt Steele renvoyait simplement aux critères de libération conditionnelle énoncés dans la loi alors en vigueur, et modifiés depuis. La Cour suprême du Canada n’a pas déclaré dans l’arrêt Steele que l’application de ces critères spécifiques était impérative d’un point de vue constitutionnel. Le législateur est libre de les modifier ou de les remplacer pour autant qu’ils soient conformes à la Charte. Comme la constitutionnalité des nouveaux critères n’a pas été contestée, il n’y avait aucune raison de conclure que la décision de la CLCC était contraire à la Charte ou aux principes énoncés dans l’arrêt Steele (voir les paragraphes 46 à 50).

 

[97]           À mon avis, l’analyse formulée dans l’arrêt Ouellette, précité, est extrêmement pertinente en l’espèce. Premièrement, la Cour d’appel a affirmé qu’en l’absence d’une contestation constitutionnelle, ce sont les critères de libération conditionnelle énoncés dans la LSCMLC qui s’appliquent aux individus purgeant actuellement des peines imposées avant son entrée en vigueur. Deuxièmement, la Cour n’a pas exclu la possibilité que leur application à des individus condamnés avant 1992 puisse être contestée sur la base de l’article 12 de la Charte. Troisièmement, l’analyse de l’arrêt Steele selon la Cour donne à penser que l’examen constitutionnel de ces critères peut être particulièrement approprié dans le cas des peines indéterminées.

 

[98]           Dans l’arrêt Whaling, précité (appel instruit et jugement mis en délibéré par la Cour suprême du Canada le 15 octobre 2013), trois plaignants contestaient l’application rétroactive de la Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels, LC 2011, c 11, laquelle modifiait la LSCMLC de manière à éliminer l’octroi de la semi‑liberté par voie d’examen expéditif. D’après la loi en vigueur au moment de la détermination de leur peine, ces délinquants auraient été admissibles à résider dans une maison de transition après avoir purgé le sixième de leur peine. Après les modifications, ils devaient purger un tiers de leur peine et se conformer au processus normal d’examen de demande de libération conditionnelle plutôt qu’au processus expéditif qui régissait auparavant l’octroi de la semi‑liberté. Le processus normal d’examen en matière de libération conditionnelle supposait également un critère plus strict. Les demandeurs ont fait valoir que ces modifications équivalaient à une peine additionnelle postérieure à leur condamnation, et qu’elles violaient ainsi l’alinéa 11h) de la Charte en vertu duquel les délinquants ne peuvent être punis de nouveau pour les mêmes infractions (paragraphe 3). Ils soutenaient également qu’on portait ainsi atteinte aux droits qu’ils tiraient de l’article 7 de la Charte; cependant, cette question n’a été tranchée ni par le tribunal de première instance ni par la Cour d’appel compte tenu de leurs conclusions concernant l’alinéa 11h).

 

[99]           L’alinéa 11h) de la Charte prévoit :

11. Tout inculpé a le droit :

 

 

[...]

 

h) d’une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d’autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;

 

11. Any person charged with an offence has the right

 

[...]

 

(h) if finally acquitted of the offence, not to be tried for it again and, if finally found guilty and punished for the offence, not to be tried or punished for it again;

 

 

[100]       Le ministère public faisait valoir que les modifications à la LSCMLC avaient uniquement pour effet de changer la manière dont les peines étaient purgées, puisque les délinquants continuent de les purger, qu’ils soient incarcérés ou en liberté conditionnelle, – c’est‑à‑dire que les modifications touchaient [traduction] « l’administration de la peine » et non la peine elle‑même. Le tribunal de première instance a examiné la jurisprudence de la Cour suprême du Canada établissant une distinction entre une condamnation criminelle et la manière dont la peine est purgée (voir notamment : R c Chaisson, [1995] 2 RCS 1118; R c Zinck, 2003 CSC 6, [2003] 1 RCS 41; R c CAM, [1996] 1 RCS 500; Cunningham c Canada, [1993] 2 RCS 143; R c Wust, 2000 CSC 18, [2000] 1 RCS 455), mais il a conclu qu’une lecture attentive de ces décisions montre que [traduction] « [l]es régimes de la peine et de la libération conditionnelle remplissent des fonctions différentes et engagent des sphères distinctes de responsabilité, [...] mais ils n’opèrent pas dans des compartiments étanches et séparés » (paragraphe 112). Les modifications des dispositions concernant la libération conditionnelle étaient susceptibles d’accroître la [traduction] « sévérité » de la peine, ce qui revient à imposer une peine additionnelle (paragraphe 114). Le tribunal a considéré, dans cette affaire, que la prolongation rétroactive de la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle équivalait à une peine additionnelle contraire à l’alinéa 11h) :

[traduction]

114      Cela ne veut pas dire qu’aucun changement ne peut être apporté aux lois et aux politiques régissant les services correctionnels et les libérations conditionnelles sans altérer la peine imposée. La juge McLachlin, dans l’arrêt Cunningham, a expliqué que de nombreux changements motivés par des raisons administratives ou autres sont inévitables et inattaquables d’un point de vue constitutionnel : Cunningham, à la p. 152. Mais à mon avis, ces changements ne comportent pas de restrictions importantes à l’admissibilité à la libération conditionnelle des délinquants condamnés avant l’entrée en vigueur des changements législatifs en question, imposées sans égard à l’exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire. Lorsqu’une telle modification a pour effet d’augmenter la sévérité de la peine, après que le juge l’eut imposée, cette modification a certainement pour effet d’imposer une « peine » additionnelle.

 

115      Je conclus par conséquent que l’effet rétroactif des modifications de la LALAC est d’ajouter une « peine » à celle qui a été considérée et imposée lors de la condamnation des délinquants. La disposition transitoire porte donc atteinte aux droits des délinquants protégés par l’alinéa 11h) de ne pas être « punis [...] de nouveau » pour les infractions qu’ils ont commises.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[101]       Comme l’implique l’expression [traduction] « sans égard à l’exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire » au paragraphe 114 ci‑dessus, le fait que l’inadmissibilité à la libération conditionnelle élimine toute possibilité d’un pareil exercice était un facteur déterminant qui a amené la Cour à conclure dans l’arrêt Whaling, précité, que cette inadmissibilité a des conséquences sur la peine elle‑même et non seulement sur son administration (voir aussi, aux paragraphes 62, 85, 88 à 92, 109 et 111, l’analyse des décisions de la Cour suprême et de la jurisprudence américaine pertinentes). Le raisonnement paraît être le suivant : l’intervention de la CLCC et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire déplacent l’attention vers l’opportunité de la libération, alors qu’une décision directe quant à l’inadmissibilité à la libération conditionnelle concerne au moins partiellement le caractère approprié (ou la proportionnalité) de la peine.

 

[102]       À mon avis, la question pertinente dans l’affaire qui nous occupe est celle de savoir si une modification du critère régissant les décisions en matière de libération conditionnelle est susceptible d’accroître la sévérité de la peine d’une manière qui porte atteinte au droit du demandeur de ne pas être puni de nouveau au sens de l’alinéa 11h) de la Charte. Si cette modification du critère a pour effet d’augmenter la peine, son application au demandeur contreviendrait à l’alinéa 11h). Si celle‑ci n’a rien à voir avec la peine, mais concerne purement son administration, on peut soutenir qu’il n’y a pas d’application rétroactive : il s’agit simplement d’appliquer des critères actuels aux circonstances actuelles.

 

[103]       Il ne fait aucun doute qu’un critère plus strict pourrait entraîner un prolongement de l’incarcération, mais je ne pense pas qu’il soit suffisant en soi pour conclure que la peine est prolongée. La peine est indéterminée. La durée d’incarcération qui lui est associée n’est connue qu’au moment de la libération conditionnelle (et au bout du compte, à la mort du délinquant dangereux compte tenu de la possibilité de réincarcération du fait de violations des conditions de la libération conditionnelle). La peine risque alors sans aucun doute de devenir exagérément disproportionnée par rapport aux crimes commis (comme la Cour l’a observé dans l’arrêt Lyons, précité), mais cette question intéresse l’article 12 de la Charte, et non une application rétroactive de la loi faisant intervenir l’alinéa 11h).

 

[104]       Le demandeur dans le cas présent semble avancer, du moins par déduction, que le juge qui a prononcé la peine a infligé une sentence d’une durée indéterminée en ayant à l’esprit un critère particulier concernant la libération conditionnelle, et en conséquence certaines présomptions sur la durée probable d’incarcération. Je reviendrai sur cette question plus loin, mais en tout état de cause, certaines décisions indiquent que les juges appelés à déterminer la peine adéquate n’ont pas lieu de s’interroger sur l’octroi probable d’une libération conditionnelle. La Cour d’appel de Colombie‑Britannique, a rejeté une conclusion de droit du juge du procès qui n’était pas essentielle à l’issue de l’affaire – à savoir que les considérations liées à la libération conditionnelle sont pertinentes pour les juges du procès qui imposent les peines – et fait l’observation suivante dans l’arrêt Whaling, précité :

[traduction]

52        La jurisprudence de la Cour indique clairement qu’au moment d’imposer la peine, le juge ne doit pas tenir compte de la manière dont la libération conditionnelle peut avoir une incidence sur elle : voir R. c. Bernier, 2003 BCCA 134, aux paragraphes 45 (motifs de la juge Southin) ainsi que 85 et 86 (motifs concordants du juge Prowse), et R. c. Tao, 2010 BCCA 280, aux paragraphes 12 et 13. La juge Southin déclarait ce qui suit dans le jugement Bernier :

 

En d’autres mots, lorsqu’ils s’efforcent d’infliger une peine adéquate, les juges doivent ne pas tenir compte des pouvoirs conférés à la Commission nationale des libérations conditionnelles par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Le législateur a accordé certains pouvoirs à l’organe judiciaire et d’autres à la Commission, et il ne revient ni à l’un ni à l’autre d’empiéter sur leurs terrains respectifs.

 

[105]       Ces décisions confirment de manière convaincante que les opinions ou les suppositions du juge qui inflige la peine quant à la durée probable d’incarcération ne sont pas pertinentes dans le cas d’une peine indéterminée, laquelle relève plutôt du critère énoncé dans le Code criminel.

 

[106]       Dans l’arrêt Whaling, la Cour d’appel a estimé que malgré cette [traduction] « séparation des rôles entre le juge qui inflige la peine et les autorités correctionnelles », le juge du procès avait raison de conclure que la prolongation de la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle avait pour effet de rendre la peine plus sévère (paragraphe 53). En effet, l’observation du juge du procès selon laquelle les régimes de détermination de la peine et de libération conditionnelle n’étaient pas des [traduction] « des compartiments étanches et séparés » était valide malgré l’erreur susmentionnée.

 

[107]       Toutefois, ce n’est pas l’inadmissibilité à la libération conditionnelle qui est en cause en l’espèce, mais une modification du critère régissant la libération conditionnelle. Dans ce contexte, l’observation selon laquelle le critère relatif à l’imposition d’une peine indéterminée (appliqué au moment de la détermination de la peine et régi par les dispositions du Code criminel sur les délinquants dangereux) est tout à fait distinct de celui qui sert à déterminer le moment où l’incarcération consécutive prendra fin grâce à la libération conditionnelle (régie par la LSCMLC) a des conséquences plus importantes. Cela me porte à croire qu’une modification du critère concernant la libération conditionnelle ne devrait pas être considérée comme modifiant la peine elle‑même. Les préoccupations constitutionnelles qui en résultent n’ont donc rien à voir avec une application rétroactive de la loi faisant intervenir l’alinéa 11h) de la Charte. Il n’est pas question en l’espèce d’application rétroactive puisque la décision en matière de libération conditionnelle applique des critères actuels à des circonstances actuelles. L’examen en vue d’une libération conditionnelle ne concerne pas la peine infligée pour des crimes passés, mais consiste plutôt à se demander s’il convient (aujourd’hui) de remettre le demandeur en liberté.

 

[108]       Cependant, la question, sur le plan constitutionnel, que soulève une modification du critère de libération conditionnelle est celle de savoir si le nouveau critère prévu par la loi permet de garantir que la peine ne devienne pas exagérément disproportionnée. Cette question doit être examinée suivant l’article 12 de la Charte, conformément à l’analyse formulée dans l’arrêt Lyons, précité.

 

Article 12 de la Charte

 

[109]       Je pense qu’il serait utile à ce stade-ci d’établir une comparaison entre les critères que le demandeur aimerait voir s’appliquer (ce sont les mêmes qui ont été examinés et approuvés dans les arrêts Lyons et Steele, précités) et ceux que prévoit actuellement la LSCMLC.


 

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LC 1992, c 20)

 

Critère prépondérant

 

100.1 Dans tous les cas, la protection de la société est le critère prépondérant appliqué par la Commission et les commissions provinciales.

 

[...]

 

Critères

 

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle‑ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

 

Loi sur la libération conditionnelle, LRC (1985), c P2

 

 

[Aucun équivalent]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

16. (1) La Commission peut :

 

a) accorder la libération conditionnelle à un détenu, aux conditions qu’elle juge raisonnables, si elle estime que les conditions suivantes sont réunies :

 

(i)  sauf en ce qui concerne l’octroi d’un régime de semiliberté, l’effet positif maximal de l’emprisonnement a été atteint par le détenu,

 

(ii)  la libération conditionnelle facilitera son amendement et sa réadaptation,

 

(iii)  sa mise en liberté ne constitue pas un risque trop grand pour la société;

 


 

Corrections and Conditional Release Act, SC 1992, c 20

 

Paramount consideration

 

100.1 The protection of society is the paramount consideration for the Board and the provincial parole boards in the determination of all cases.

 

[...]

 

Criteria for granting parole

 

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

 

 

 

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

 

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law‑abiding citizen.

 

 

Parole Act, RSC 1985, c P‑2

 

 

[No equivalent]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Powers of Board

 

16. (1) The Board may

 

(a) grant parole to an inmate, subject to any terms or conditions it considers reasonable, if the Board considers that

 

(i) in the case of a grant or parole other than day parole, the inmate has derived the maximum benefit from imprisonment,

 

(ii) the reform and rehabilitation of the inmate will be aided by the grant of parole, and

 

(iii) the release of the inmate on parole would not constitute an undue risk to society;

 

 

 


 

[110]       Il me semble que cette comparaison révèle les grandes différences suivantes :

•           l’ajout d’une mention expresse que la protection de la société est le « critère prépondérant » dont les commissions de libération conditionnelle doivent tenir compte dans tous les cas;

 

•           la nouvelle loi ne reprend pas l’exigence selon laquelle « l’effet positif maximal de l’emprisonnement a été atteint par le détenu »;

 

•           l’élément de réadaptation, et la question de savoir si la libération conditionnelle la facilitera, fait sans doute encore partie de la nouvelle loi (quoique les termes amendement et réadaptation en soient absents), mais l’accent est passé de l’individu à la société : plutôt que de se demander si la libération conditionnelle « facilitera [l’]amendement et [la] réadaptation du [détenu] » (et de s’intéresser surtout aux avantages tirés par le délinquant), la CLCC doit se demander si l’intérêt (la protection) de la société sera servi par la réintégration du délinquant;

 

•           l’élément du risque trop grand pour la société demeure, mais reçoit plus de précision par l’ajout du terme « récidive » et de l’expression « avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ».

 

[111]       Il me semble également que le critère précédent était un critère cumulatif (les trois conditions devaient être remplies) et non de pondération, comme l’indiquait le mot « and » dans la version anglaise à la fin du sous‑alinéa 16(1)a)(ii) [en français : si [...] les conditions suivantes sont réunies]. En d’autres termes, l’absence de risque trop grand pour la société n’était pas un [traduction] « facteur à prendre en compte » avec l’amendement et la réadaptation, mais plutôt un critère à remplir. C’est certainement ce que pensait le juge La Forest dans l’arrêt Lyons, précité, lorsqu’il a fait observer que l’ajout d’autres critères en sus du risque trop grand rendait plus difficile le respect du critère lié à libération conditionnelle, et non le contraire (paragraphe 54).

 

[112]       Il convient également de souligner que dans l’arrêt Steele, précité, la Cour suprême du Canada faisait observer que le risque trop grand pour la société était le « plus important critère », et que « [s]i la mise en liberté d’un détenu continue de constituer un trop grand risque pour la société, la prolongation de sa détention à perpétuité peut être justifiée » (paragraphe 71). Cette observation importe en l’espèce, car le demandeur fait valoir que l’article 100.1 de la LSCMLC rend la libération conditionnelle plus difficile, et [traduction] « opère effectivement comme une disposition dérogatoire permettant à la [CLCC] d’écarter légalement les droits de la personne du détenu et son droit à la liberté autrement protégés par les articles 7 et 12 [de la Charte]. » Compte tenu des observations ci‑dessus tirées de l’arrêt Steele, précité, on peut soutenir que le libellé de l’article 100.1 qui fait de la « protection de la société » le « critère prépondérant à appliquer par la Commission » est conforme à la jurisprudence antérieure appliquant la Loi sur la libération conditionnelle, et ne revient pas à resserrer le critère pour l’octroi d’une libération conditionnelle.

 

[113]       On peut également soutenir que le critère énoncé à l’article 102 rend la libération conditionnelle plus difficile, puisque celle‑ci ne doit plus simplement être avantageuse pour le délinquant (en favorisant son amendement et sa réadaptation comme l’exigeait l’ancienne loi), mais plutôt comporter un bénéfice pour la société et contribuer à « la protection de celle‑ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois ». Suivant la manière dont elle sera interprétée et appliquée, cette disposition est susceptible d’aller significativement au-delà du seuil requis pour éviter un risque trop grand : la remise en liberté doit sans doute passer pour nettement avantageuse pour la sécurité du public, ce qui sera difficile dans le cas d’un délinquant dangereux condamné à une peine d’une durée indéterminée.

 

[114]       En ce qui concerne les délinquants purgeant des peines d’une durée déterminée, la logique de cette disposition est manifeste : une remise en liberté graduelle sous la supervision d’un surveillant de liberté conditionnelle permettra probablement une meilleure réinsertion et des résultats à long terme plus avantageux pour la protection de la société qu’une libération inconditionnelle au terme d’une peine de prison, sans supervision. Cependant, cette même logique ne semble pas pouvoir s’appliquer aux délinquants qui purgent une peine indéterminée : leur remise en liberté comportera vraisemblablement un certain degré de risque (même s’il n’équivaut pas à un « risque inacceptable »), de sorte qu’il est difficile de voir en quoi celle‑ci pourrait être nettement avantageuse pour la sécurité du public.

 

[115]       Il est possible que le législateur ait relevé la barre pour les décisions en matière de libération conditionnelle en adoptant l’article 102 de la Loi, mais la Cour doit garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’atteindre la norme de perfection. Celle qu’a énoncée la Cour suprême du Canada pour prévenir les peines cruelles et inusitées visées à l’article 12 de la Charte consiste à se demander si l’application de la disposition peut conduire à une peine exagérément disproportionnée par rapport aux circonstances de toute affaire donnée (Lyons, au paragraphe 56). À mon avis, compte tenu des directives formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Steele, précité, en particulier, du dossier dont disposaient la CLCC et la section d’appel, et du risque que le demandeur continue de présenter, je ne crois pas possible d’affirmer que sa peine est devenue exagérément disproportionnée par rapport aux circonstances de la présente affaire.

 

[116]       La question de savoir si l’application de l’article 102 peut conduire à un tel résultat doit attendre une affaire appropriée pour être tranchée. Selon une certaine jurisprudence, la Cour devrait refuser de répondre à une question constitutionnelle s’il n’est pas nécessaire qu’elle le fasse pour statuer sur l’affaire. Comme le faisait observer le juge Mosley dans le jugement Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 RCF 107 :

57        En règle générale, les tribunaux devraient éviter de se prononcer sur une question de droit quand cela n’est pas nécessaire pour disposer d’un cas, surtout quand cette question de droit est une question constitutionnelle : P.G. du Québec c. Cumming, [1978] 2 R.C.S. 605, page 611, 22 N.R. 271; Philips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, 124 D.L.R. (4th) 129, paragraphe 9; Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, 62 D.L.R. (4th) 634.

 

 

La section d’appel a‑t‑elle perdu compétence à cause d’une mauvaise interprétation de la LSCMLC?

 

[117]       Le demandeur soutient également que la section d’appel a perdu compétence en déclarant : [traduction] « [...] [C]onformément à l’article 223 de la LSCMLC, tout délinquant ayant commencé à purger sa peine sous le régime de la loi antérieure devait être traité comme si sa peine avait débuté sous le régime de la nouvelle loi. » Je n’y vois pas une interprétation sciemment erronée de l’article 223, comme le prétend le demandeur. Ainsi que le confirme le jugement Roxborough, précité, la section d’appel lui explique simplement les répercussions de l’article 223 sur le droit applicable à son dossier.

 

[118]       Le demandeur avance que même si la section d’appel n’a commis aucune erreur dans son interprétation de l’article 223 de la LSCMLC et dans son application des dispositions au processus décisionnel rattaché à sa demande de libération conditionnelle, d’autres erreurs susceptibles de contrôle exigent d’infirmer les décisions de la CLCC et de la section d’appel. J’examinerai plus loin ces nouvelles allégations.

 

Les intentions du juge qui a infligé la peine

 

[119]       Le demandeur affirme que la CLCC et la section d’appel n’ont pas tenu compte de l’intention manifestée par le juge qui a prononcé la peine le 4 mai 1990, alors que celle‑ci [traduction] « permettait de bien évaluer la durée de la détention du demandeur en vertu du régime de libération conditionnelle prévu par la Loi sur la libération conditionnelle et son règlement d’application alors en vigueur, ce qui revêt une grande importance lorsqu’il s’agit d’établir si le demandeur a subi ainsi un traitement cruel et inusité contraire à l’article 12 de la Charte, comme le veut l’arrêt Steele, précité ». J’ai déjà traité de cette question plus haut, mais j’estime que quelques autres précisions s’imposent.

 

[120]       Le demandeur prétend que le juge qui a infligé la peine avait [traduction] « l’intention » qu’il soit incarcéré pendant « 5 à 7 ans », et il en a déjà purgé 24 et demi. D’après le dossier, le demandeur a parlé de « sept à neuf » ans devant M. Zanatta, le psychologue qui a rédigé le rapport. Voir le dossier du défendeur, page 35.

 

[121]       Comme je l’ai déjà indiqué, je ne pense pas que la CLCC ou la section d’appel ont eu tort de ne pas appliquer la Loi sur la libération conditionnelle à la demande de libération conditionnelle du demandeur.

 

[122]       L’alinéa 101a) (101b) au moment de la tenue de l’audience du demandeur) de la LSCMLC dispose :

101. a) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente dont elles disposent, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant, les renseignements obtenus au cours du procès ou de la détermination de la peine et ceux qui ont été obtenus des victimes, des délinquants ou d’autres éléments du système de justice pénale, y compris les évaluations fournies par les autorités correctionnelles;

 

101. (a) parole boards take into consideration all relevant available information, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, the nature and gravity of the offence, the degree of responsibility of the offender, information from the trial or sentencing process and information obtained from victims, offenders and other components of the criminal justice system, including assessments provided by correctional authorities;

 

[123]       Dans le cas présent, rien ne laisse penser que la CLCC n’a pas tenu compte des motifs et des recommandations du juge qui a infligé la peine; d’ailleurs, suivant une présomption de droit, la CLCC est réputée l’avoir fait, et le demandeur n’a pas réfuté cette présomption. Voir Florea, précité. La CLCC affirme ce qui suit à la page 80 de sa décision : [traduction] « Votre peine a été adaptée à votre situation. »

 

[124]       Le juge responsable de la peine a infligé une peine indéterminée pour permettre au demandeur de régler de graves problèmes et de se préparer à la libération conditionnelle. Aucun élément de preuve ne m’a été présenté pour démontrer que le juge a recommandé une durée d’incarcération précise. S’il l’avait fait, il n’aurait sans doute pas imposé une peine indéterminée.

 

[125]       Comme il me l’a expliqué durant l’audience relative à la présente demande (mais aucun élément de preuve à l’appui ne m’a été présenté), le demandeur affirme que le juge qui a infligé la peine a fourni des indications sur la durée d’incarcération à laquelle il devrait s’attendre. Quand bien même ce serait le cas, il ne s’agit pas d’une recommandation, et tout dépendrait des progrès que le demandeur a pu réaliser d’après l’examen de la CLCC. Il n’a pas établi que le moindre élément a été négligé à cet égard. Il a certainement purgé une longue peine, dont la justification et le caractère raisonnable ont toutefois été examinés dans les décisions de la CLCC et de la section d’appel, et la décision de le maintenir en incarcération et de juger sa libération conditionnelle inopportune était motivée. Il importe de souligner que le demandeur n’a même pas signalé à la section d’appel que la CLCC n’avait pas tenu compte des intentions du juge qui a infligé la peine.

 

Programme du MPCI

 

[126]       Le demandeur soutient également que la CLCC et la section d’appel n’ont pas tenu compte des programmes qu’il a suivis, et fait abstraction de ce qu’il désigne comme un engagement [traduction] « contractuel » de ne pas lui tenir rigueur de son refus d’admettre sa culpabilité à l’égard des infractions sexuelles désignées lorsqu’il demanderait une libération conditionnelle. Il fait remarquer qu’il a obtenu la meilleure note possible dans le cadre du programme du MPCI ([traduction] « bonne »), et qu’il ne lui est pas permis de le recommencer. Il soutient donc qu’il restera incarcéré à perpétuité puisqu’il ne sera jamais en mesure d’établir qu’il n’est pas un danger pour le public. Il affirme, en substance, que si son traitement n’a pas suffi à réduire le risque qu’il présente parce qu’il clame son innocence et qu’il ne peut pas reprendre le traitement, ce risque ne sera jamais tenu pour atténué.

 

[127]       Cet argument repose sur le fait que le demandeur a fini par suivre le programme du MPCI, qu’il a réussi avec une [traduction] « bonne » note, ce qui signifie d’après lui qu’il n’y a plus lieu de craindre qu’il ne récidive. Dans sa décision, la CLCC a examiné cette question de la manière suivante :

[traduction]

Vous avez ensuite parlé à la Commission des programmes que vous avez suivis depuis votre dernière audience. Vous avez déclaré qu’ils vous avaient plu et que vous aviez beaucoup appris. Vous avez déclaré que vous désiriez tirer le maximum de bénéfices du programme et avez pu préciser quelles compétences vous aviez acquises et vous en avez parlé, et vous avez aussi donné des exemples de la manière dont vous les avez utilisées. Par exemple, vous avez déclaré avoir appris l’importance de « penser aux conséquences » et comment appliquer ces leçons à votre propre vie. Vous avez réalisé que votre besoin d’être accepté par de mauvaises fréquentations alors que vous viviez dans la collectivité vous avait conduit à adopter un style de vie criminel. Vous avez parlé du mal que vous avez fait aux autres durant cette période de votre vie. Vous avez été en mesure de cerner les facteurs de risque vous concernant et la manière dont vous les géreriez dans la collectivité.

 

Vous avez déclaré que vous compreniez mieux les « problèmes de consentement » qui caractérisaient certaines de vos relations antérieures et votre manière d’être centré sur votre « gratification personnelle immédiate ».

 

Pour répondre à la préoccupation exprimée par l’EGC et le dernier rapport psychologique, à savoir que la persistance de votre déni de culpabilité vous empêchait de bien réfléchir aux infractions sexuelles dont vous aviez été déclaré coupable, vous avez déclaré que même si les progrès ont été réalisés dans le cadre de programmes qui se rapportaient à votre mode de vie criminel de l’époque, les aptitudes que vous aviez acquises étaient transférables. Vous avez continué d’affirmer que vous n’aviez pas commis les infractions en question, mais vous restiez disposé à aborder le problème en tout temps. Quant à l’argument selon lequel vos progrès sont récents, vous avez répondu que vous réfléchissiez à ces questions depuis de nombreuses années.

 

Vous avez déclaré qu’en cas de remise en liberté, vous souhaitiez aller dans un établissement résidentiel communautaire (ERC) de manière à obtenir la libération soit lente, graduelle et encadrée dont vous avez besoin. Vous avez parlé du soutien dont vous bénéficiez au sein de la collectivité, notamment celui de parents proches. La Commission constate avec beaucoup de préoccupation que lorsque les conditions spéciales proposées ont été examinées en votre présence, vous avez estimé qu’il n’était ni raisonnable ni nécessaire d’en imposer une qui vous interdise « de fréquenter des femmes de moins de 18 ans sans la supervision d’un adulte responsable cautionnée par votre surveillant de libération conditionnelle ». Bien que vous ayez ensuite nuancé cette réponse, il reste que vous avez contesté de manière alarmante le bien‑fondé de la condition.

 

Vous avez fourni à la Commission un certain nombre de documents : une réfutation détaillée du dernier rapport psychologique qui souligne de nombreuses erreurs factuelles vous faisant craindre que le psychologue ait « confondu » votre dossier avec celui d’un autre délinquant, votre « mini-plan de prévention des rechutes », ainsi qu’un bref compte‑rendu du programme que vous avez suivi.

 

Votre assistante, qui est une parente proche, a déclaré à la Commission que vous aviez le soutien de votre famille et que vous leur manquiez.

 

Après avoir lu votre dossier, examiné les documents que vous avez fournis et vous avoir écouté aujourd’hui, la Commission observe ce qui suit : vous avez eu une bonne conduite en établissement carcéral et votre participation récente à votre plan correctionnel vous a été profitable. Cependant, la Commission ne peut ignorer le fait que le risque de récidive générale, violente et sexuelle, reste dans votre cas moyen ou élevé, bien que vous ayez fait les programmes. Les infractions dont vous avez été déclaré coupable étaient graves et violentes; si vous deviez récidiver, vous infligeriez probablement un préjudice considérable à votre victime. Vos progrès sont nouveaux et vous n’avez pas encore eu la possibilité de les assimiler. L’avis psychologique récent, portant que vous n’avez pas encore réglé les facteurs de risque liés aux infractions criminelles dont vous avez été déclaré coupable, donne à la Commission matière à préoccupation. La Commission ne pense pas que vous devrez rester en prison pour le reste de votre vie parce que vous refusez d’admettre votre culpabilité et que vous ne serez jamais considéré comme ayant réglé ces facteurs de risque, comme vous l’avez laissé entendre durant l’audience. Bien que vous ayez fait certains progrès, la Commission estime que le risque que vous présentez n’a pas assez été atténué pour l’instant. Vous n’avez pas le soutien de votre EGC et n’avez été accepté dans aucun ERC. En conclusion, la Commission estime que vous présentez un risque inacceptable et refuse donc de vous accorder une semi‑liberté ou une libération conditionnelle totale.

 

Compte tenu des progrès que vous avez réalisés dans le cadre de votre plan correctionnel et des efforts soutenus de votre EGC pour répondre à vos autres besoins, la Commission conclut par ailleurs que votre peine est adaptée aux circonstances particulières de votre dossier et n’enfreint pas l’article 12 de la Charte.

 

[128]       Le demandeur semble croire que parce qu’il a réussi le programme disponible du MPCI et qu’il ne pouvait suivre aucun autre cours, la CLCC devait conclure qu’il ne présentait plus un risque moyen ou élevé de récidive violente et sexuelle.

 

[129]       Le rapport de M. Zanatta du 22 décembre 2011 explique pourquoi il ne peut en être ainsi :

[traduction]

Sommaire et recommandations

 

Monsieur Van Boeyen est un délinquant dangereux désigné qui purge une peine indéterminée après avoir été condamné pour l’agression éhontée de quatre jeunes femmes inconnues. En dépit de quelques aveux initiaux, il n’a jamais reconnu sa culpabilité à l’égard de ces infractions sexuelles, et clame son innocence malgré la preuve et ses condamnations. Il demeure incarcéré après quelque vingt‑trois ans de prison et, à mon avis, il n’admettra jamais les crimes dont les tribunaux l’ont déclaré coupable. Monsieur Van Boeyen a réaffirmé son innocence, offert diverses versions disculpatoires, et il est à présent fermement retranché dans son déni. Il est improbable que d’autres interventions puissent ébranler ses défenses et son déni ou les faire tomber. Il est préoccupant que M. Van Boeyen était et demeure convaincu de ses opinions, ce qui indique que le compromis peut s’avérer difficile, surtout lorsque son attitude à l’endroit du système de justice et du SCC est négative.

 

Avant son incarcération, M. Van Boeyen menait au fond une vie hédoniste et complaisante sans se soucier des autres ou des conséquences de ses actes, mais il a gagné une certaine maturité. Cependant, les caractéristiques primordiales de sa personnalité ou de son trouble de la personnalité, soit notamment des traits antisociaux et narcissiques, restent assez prononcées.

 

L’un des objectifs des peines d’une durée indéterminée est de transférer à la Commission des libérations conditionnelles la responsabilité de prédire le danger ou le risque et de prendre les décisions pour le réintégrer dans la collectivité, notamment parce que les tribunaux peuvent difficilement anticiper les résultats sur le plan de la réadaptation. Dans le cas des crimes sexuels dont M. Van Boeyen a été déclaré coupable, les tribunaux n’auraient probablement pas imposé une peine d’une durée déterminée totalisant la quantité de temps déjà purgée par M. Van Boeyen. Son dossier a été examiné plusieurs fois par la Commission des libérations conditionnelles, et toute décision concernant sa remise en liberté devait tenir compte de sa non‑participation au programme du SCC et de son déni de culpabilité. Le fait que M. Van Boeyen a maintenant réussi le programme recommandé pour les délinquants sexuels et qu’il a démontré qu’il en avait retenu quelque chose est tout à son honneur, quoique le traitement visait le cycle criminel inhérent à son mode de vie précédent et non les infractions sexuelles dont il a été déclaré coupable. Il doit cependant faire plus d’efforts pour internaliser les facteurs de risque à surveiller, et développer des stratégies de prévention des rechutes.

 

D’après les indicateurs prédictifs, M. Van Boeyen présente un risque moyen ou élevé de récidive sexuelle. Compte tenu de la gravité de la violence sexuelle des crimes dont il a été déclaré coupable, des incertitudes concernant son passé (c.‑à‑d., nature et/ou étendue de sa déviance sexuelle), du fait qu’il ne prend pas au sérieux les actes répréhensibles à l’origine de ses condamnations ou qu’il est réticent à les examiner de manière honnête; le risque qu’il ne cause d’autres torts doit être considéré comme étant moyen, à tout le moins, malgré son vieillissement et ses troubles physiques apparents. Les infractions désignées pour lesquelles il a été condamné sont de nature prédatoire et supposaient un certain degré d’effort physique et de maîtrise des victimes. À ce stade‑ci, compte tenu de ses limitations physiques, le risque qu’il ne commette des agressions sexuelles de même ampleur a diminué dans une certaine mesure. On ne peut en dire autant si l’on pense à de victimes plus jeunes ou plus vulnérables (p. ex., personnes âgées, aux facultés affaiblies ou en état d’ébriété, femmes présentant des troubles physiques ou mentaux). Il est clair qu’il devra longtemps être soumis à une surveillance et une supervision très strictes s’il était remis en semi‑liberté ou envoyé dans un établissement résidentiel communautaire (ERC), et il faudra particulièrement tenir compte en exécutant cette surveillance des situations où M. Van Boeyen se trouverait en compagnie de femmes potentiellement vulnérables.

 

Si la Commission estimait qu’une remise en liberté dans la collectivité était prématurée à ce stade‑ci, M. Van Boeyen devrait continuer de consolider les notions qu’il a apprises en participant au programme de soutien pour les délinquants sexuels. Il doit également prévoir des plans plus clairs s’il veut résider dans la collectivité avec sa famille ou non, et des ressources en vue de ses soins au cas où sa santé se détériorerait. Apparemment, le transfert de M. Van Boeyen à l’unité de réadaptation du Centre régional de traitement (CRT) où des ressources plus adéquates peuvent être affectées à ses soins est avalisé pour des raisons médicales.

 

[...]

 

[130]       Il est évident que la CLCC et la section d’appel ne pouvaient pas faire abstraction de l’évaluation de M. Zanatta, et qu’elles devaient en tenir compte pour apprécier l’admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle. Ce dernier dénonce le fait d’être qualifié de [traduction] « délinquant sexuel non traité » et d’être considéré ainsi, alors qu’aucune preuve ne confirme ce statut. La lecture des décisions de la CLCC et de la section d’appel révèle que ce n’est pas le cas. La CLCC a souligné qu’il avait terminé son traitement et réalisé des progrès, et n’a ni adopté ni appuyé l’opinion selon laquelle il n’est « pas traité ». En fait, la CLCC a conclu, raisonnablement à mon avis, que malgré ses progrès récents, il lui fallait encore atténuer le risque qu’il présentait. Le demandeur croit que les expressions [traduction] « délinquant sexuel non traité » et [traduction] « risque non atténué » sont équivalentes, ce à quoi je ne peux souscrire.

 

[131]       D’après le demandeur, on lui aurait fait savoir qu’il pourrait participer au programme du MPCI, et promis (il allègue cela équivaut à un contrat) que s’il le réussissait, le refus d’admettre sa culpabilité à l’égard des infractions sexuelles désignées ne pèserait pas sur l’appréciation de son admissibilité à la libération conditionnelle. Il affirme que ce [traduction] « contrat » n’a pas été honoré après qu’il a suivi et réussi le programme du MPCI.

 

[132]       Les documents soumis à l’appui de cette affirmation (un courriel de M. Wise du 23 juin 2010 et une lettre de MM. Brian Lim et John Kay du 4 novembre 2010) donnent simplement au demandeur l’assurance qu’il peut suivre le programme sans reconnaître sa culpabilité, et sans en subir de contrecoup. Voici le texte de la partie pertinente de la lettre MM. Lim et Kay :

[traduction]

Nous reconnaissons que vous pouvez participer au programme du MPCI et le réussir tout en clamant votre innocence, et nous sommes par ailleurs convaincus que vous ne subirez pour cela aucune sanction.

 

[133]       Une déclaration d’opinion n’est pas un engagement contractuel. Le fait que le demandeur ait réussi le programme du MPCI ne signifie pas non plus qu’il est prêt pour une libération conditionnelle. Cette réussite a été pleinement reconnue et considérée par la CLCC, et celle‑ci a conclu qu’il fallait plus de temps pour évaluer si le demandeur avait assimilé les bénéfices liés au programme, comme l’avaient recommandé son EGC et son psychologue.

 

[134]       Le demandeur estime manifestement que parce qu’il a réussi le programme du MPCI, il a surmonté tous les aspects des infractions sexuelles désignées pour lesquelles il a été condamné. Or, la CLCC et la section d’appel ne sont pas liées par une [traduction] « opinion » exprimée par des agents du programme correctionnel à qui le demandeur n’a jamais demandé si sa participation au programme ferait en sorte que son refus d’admettre sa culpabilité à l’égard des infractions sexuelles désignées n’entrerait plus en compte lors de son audience en vue d’obtenir une libération conditionnelle. Et même si cette question leur avait été posée, leur réponse aurait été sans conséquence dans l’examen en vue de la libération conditionnelle puisque ces agents n’étaient pas qualifiés pour évaluer si le demandeur était prêt à obtenir une libération conditionnelle. Les documents et les propos invoqués par le demandeur concernent simplement le programme du MPCI et n’étaient pas censés prévoir ce qui se produirait ensuite au moment de son examen aux fins de la libération conditionnelle.

 

La désignation de [traduction] « délinquant sexuel non traité »

 

[135]       À cet égard, le demandeur conteste la désignation de [traduction] « délinquant sexuel non traité » et affirme que la CLCC et la section d’appel ont eu tort de le qualifier ainsi, puisqu’elles l’ont fait sur la foi de renseignements incorrects. L’expression apparaît dans l’évaluation en vue d’une décision concernant le demandeur et dans le rapport psychologique de M. Zanatta. La lecture des deux décisions révèle que l’évaluation du demandeur ne repose pas sur cette désignation. La CLCC conclut simplement, en se basant sur les rapports du psychologue, de l’agent de libération conditionnelle et de son EGC, que nonobstant ses progrès récents, le demandeur n’a pas encore [traduction] « réglé les facteurs de risque liés aux infractions criminelles dont [il a] été déclaré coupable » de sorte que « la section d’appel estime [que] le risque [qu’il] présent[e] n’a pas assez été atténué pour l’instant ». Les conclusions de la section d’appel sur cette question sont tout à fait raisonnables. Comme elle l’a fait remarquer, s’il estime que la désignation de [traduction] « délinquant sexuel non traité » utilisée dans l’évaluation en vue d’une décision et le rapport psychologique est erronée, il peut se prévaloir de recours internes. Je comprends comme l’indique le demandeur que ces démarches prennent du temps, mais pour les besoins de la présente demande de contrôle, je ne pense pas que cette désignation ait joué un grand rôle dans l’appréciation générale de l’opportunité d’une libération conditionnelle dans son cas.

 

Le demandeur n’a pas été autorisé à questionner l’agent de libération conditionnelle

 

[136]       Le demandeur soulève un argument concernant l’équité procédurale, à savoir qu’il a été privé de la possibilité d’interroger son agent de libération conditionnelle durant l’audience qui s’est déroulée devant la CLCC.

 

[137]       Dans l’affaire qui nous occupe, la section d’appel a examiné cette question et conclu ce qui suit :

[traduction]

[...] [Le demandeur] n’a pas été privé de la possibilité d’interroger [son] agent de libération conditionnelle. Dans le jugement Procureur général du Canada c MacInnis [1997] 1 CF 115, la Cour fédérale a indiqué que la Commission avait correctement appliqué sa loi habilitante en n’autorisant pas de contre‑interrogatoire. Ce jugement, de même que l’arrêt Mooring c Canada (CNLC) [1996] 1 RCS 75, de la Cour suprême du Canada, confirment que la Commission n’est pas un organe judiciaire ou quasi judiciaire.

 

[138]       Il ne fait aucun doute en l’espèce qu’un droit important à la liberté était en jeu pour le demandeur lors de l’audience devant la CLCC. Celle-ci doit tenir compte « de toute l’information pertinente disponible », mais doit aussi s’assurer que les renseignements obtenus sont exacts et dignes de foi.

 

[139]       Messieurs Brown et Evans avancent que le droit de contre‑interroger [traduction] « est depuis longtemps considéré comme fondamental pour la capacité des parties de faire valoir leurs positions et de répondre aux arguments présentés contre eux » : Donald J M Brown et John M Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, 2e éd. (feuilles mobiles), (Toronto : Canvasback Publishing, 2009), 10‑81, citant Toronto Newspaper Guild, Local 87 v Globe Printing Co (sub nom Re Ontario (Labour Relations Board), [1953] 2 SCR 18, et Gilbert c Ontario (Provincial police), 193 DLR (4th) 151 (CA Ont.). Ils soulignent qu’il ne s’agit pas d’un droit absolu (voir Procureur général du Canada c MacInnis, [1997] 1 CF 115 (CAF), infirmant [1995] 2 CF 215 (CF 1re inst.) [MacInnis], et Gerle Gold Ltd. c Golden Rule Resources Ltd., [2001] 1 CF 647 (CAF)), mais qu’il [traduction] « prendra une importance particulière si les faits sont complexes, si la crédibilité est en cause, ou si la preuve est contradictoire » : Brown et Evans, précité, 10‑80.

 

[140]       Comme tout droit à l’équité procédurale issu de la common law, le droit de contre‑interroger peut être limité par une loi, pour autant qu’aucune violation des droits protégés par la Charte n’en résulte : I.R. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 973, au paragraphe 19. Inversement, lorsqu’un droit protégé par l’article 7 de la Charte est en jeu (ce qui est indubitablement le cas en l’espèce), il est possible que les principes de justice fondamentale exigent des garanties procédurales élargies : Howard c Stony Mountain Institution, [1984] 2 CF 642 (CAF), 1985 CarswellNat 2, aux paragraphes 12, 34 et 35 (motifs du juge en chef Thurlow (tel était alors son titre), motifs concordants du juge Pratte) ainsi qu’aux paragraphes 86, 89 et 90 (motifs du juge MacGuigan) [Howard]. Les lois qui restreignent les droits procéduraux d’une manière contraire aux principes de justice fondamentale sont inconstitutionnelles (voir Currie c Alberta (Edmonton Remand Centre), 2006 ABQB 858 [Currie], Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 RCS 350 [Charkaoui no 1]), tout comme l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui n’offre pas le degré de protection procédurale requis lorsqu’un droit protégé par l’article 7 est en jeu : Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 RCS 3 [Suresh].

 

[141]       Comme le processus d’examen en vue d’une libération conditionnelle risque de priver le demandeur de son droit à la liberté, l’article 7 de la Charte entre en jeu : Cunningham c Canada, [1993] 2 RCS 143; Lyons, précité. Par conséquent, le processus qui fait en sorte que le demandeur continue d’être privé de sa liberté doit être conforme aux principes de la justice fondamentale. Ceux‑ci sont, à tout le moins, les règles de l’équité procédurale et de la justice naturelle : Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177, aux pages 212 et 213; Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.‑B.), [1985] 2 RCS 486; Lyons, précité, au paragraphe 85.

 

[142]       La Cour suprême a confirmé dans l’arrêt Suresh, précité, que les facteurs énoncés dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], servent à définir la teneur des garanties procédurales requises par l’article 7 de la Charte ainsi que l’obligation d’équité procédurale issue de la common law :

113      Nous sommes appelés, dans le cadre du présent pourvoi, à décider des garanties procédurales auxquelles une personne a droit suivant l’art. 7 de la Charte. [...] Bien que les principes de justice fondamentale visés à l’art. 7 ne correspondent pas en tous points à l’obligation d’équité clarifiée dans Baker, ils sont les mêmes que ceux qui la sous‑tendent. Pour reprendre les propos du professeur Hogg : [traduction] « Les règles de la common law [relatives à l’équité procédurale] sont en fait des préceptes fondamentaux du système juridique, et elles ont évolué en fonction des mêmes valeurs et des mêmes objectifs que l’art. 7 » : voir P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 2, par. 44.20. Dans Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, p. 212‑213, madame la juge Wilson a reconnu que les principes de justice fondamentale exigeaient à tout le moins le respect des règles de la common law en matière d’équité procédurale. L’article 7 protège tout autant les droits procéduraux que les droits substantiels : Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité. En ce qui a trait aux droits procéduraux, la règle de la common law résumée dans Baker, précité, décrit correctement les éléments de la justice fondamentale.

 

114      Par conséquent, nous estimons opportun d’examiner les facteurs étudiés dans Baker pour déterminer non seulement si l’obligation d’équité imposée par la common law a été respectée, mais encore si les garanties accordées sont conformes aux exigences de l’art. 7. À cet égard, nous tenons à souligner que nous examinons les facteurs reconnus en common law non pas comme une fin en soi, mais pour nous guider dans notre analyse de la procédure au regard de l’art. 7, tout comme nous l’avons fait dans le cas des aspects substantiels de l’art. 7 par rapport à l’expulsion impliquant un risque de torture. Au bout du compte, les règles de common law n’acquièrent pas le statut de règles constitutionnelles; elles servent à clarifier les principes constitutionnels qui s’appliquent en l’espèce.

 

115      L’obligation d’équité — et par conséquent les principes de justice fondamentale — exige en fait que la question soulevée soit tranchée dans le contexte de la loi en cause et des droits touchés : Baker, précité, par. 21; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682; Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, le juge Sopinka. Plus précisément, pour décider des garanties procédurales qui doivent être accordées, nous devons tenir compte, entre autres facteurs, (1) de la nature de la décision recherchée et du processus suivi pour y parvenir, savoir « la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire », (2) du rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif, (3) de l’importance de la décision pour la personne visée, (4) des attentes légitimes de la personne qui conteste la décision lorsque des engagements ont été pris concernant la procédure à suivre et (5) des choix de procédure que l’organisme fait lui‑même : Baker, précité, par. 23‑27. Cela ne signifie pas qu’il est exclu que d’autres facteurs et considérations entrent en jeu. Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive même pour circonscrire l’obligation d’équité en common law : Baker, précité, par. 28. Elle ne l’est donc forcément pas pour décider de la procédure dictée par les principes de justice fondamentale.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[143]       Bien que les garanties procédurales offertes par l’article 7 ressemblent à celles qui découlent des règles d’équité procédurale issues de la common law en ce que leur teneur spécifique dépend du contexte (voir Lyons, précité, au paragraphe 85), il existe au moins une distinction cruciale : le législateur ne peut modifier les garanties procédurales particulières exigées par les principes de justice fondamentale qu’en vertu de l’article premier de la Charte : Gallant c Canada (Sous‑commissaire principal, Service correctionnel Canada), [1989] 3 CF 329 (CAF), aux paragraphes 14 à 20. En d’autres termes, toute loi privant un demandeur du degré requis de protection procédurale sera inconstitutionnelle : voir Charkaoui no 1, précité, et Currie, précité. Il en va de même de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire : voir Suresh, précité.

 

[144]       Cependant, même si la justice fondamentale demande un processus équitable, elle ne donne pas au demandeur le droit aux « procédures les plus favorables que l’on puisse imaginer » : Lyons, précité, au paragraphe 88; Ruby c Canada (Solliciteur général), [2002] 4 RCS 3, au paragraphe 46.

 

[145]       L’arrêt Charkaoui no 1, précité, décrit les garanties procédurales applicables en cas d’atteinte (initiale) substantielle de liberté :

28        Le principe primordial de justice fondamentale applicable ici est le suivant : l’État ne peut détenir longtemps une personne sans lui avoir préalablement permis de bénéficier d’une procédure judiciaire équitable : Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46. « C’est un ancien principe vénérable que nul ne peut être privé de sa liberté sans avoir pu bénéficier de l’application régulière de la loi, qui doit comporter un processus judiciaire valable » : Ferras, par. 19. Ce principe a vu le jour à l’époque de la monarchie féodale, sous la forme du droit de comparaître devant un juge à la suite d’une demande d’habeas corpus. Il demeure aussi fondamental dans notre conception moderne de la liberté qu’il l’était à l’époque du Roi Jean.

 

29        Ce principe de base comporte de nombreuses facettes, y compris le droit à une audition. Il commande que cette audition se déroule devant un magistrat indépendant et impartial, et que la décision du magistrat soit fondée sur les faits et sur le droit. Il emporte le droit de chacun de connaître la preuve produite contre lui et le droit d’y répondre. La façon précise de se conformer à ces exigences variera selon le contexte. Mais pour respecter l’art. 7, il faut satisfaire pour l’essentiel à chacune d’elles. 

 

[146]       L’opinion exprimée dans l’arrêt Howard, précité, selon laquelle la Charte avait [traduction] « renforcé » ou étendu les garanties procédurales offertes par les règles d’équité procédurale issues de la common law (voir Howard, aux paragraphes 12, 90 et 98) peut sembler contredire l’observation formulée dans l’arrêt Suresh suivant laquelle les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker s’appliquent à l’article 7 comme à la common law. Cependant, cette contradiction n’est peut‑être qu’apparente puisque le fait pour un droit protégé par la Charte d’être en jeu aura normalement d’importantes répercussions sur l’analyse contextuelle. Ainsi que le faisait observer la Cour suprême dans Charkaoui no 1 :

25        [...] L’importance des intérêts individuels en jeu fait partie de l’analyse contextuelle. Comme la Cour l’a affirmé dans Suresh : « Plus l’incidence de la décision sur la vie de l’intéressé est grande, plus les garanties procédurales doivent être importantes afin que soient respectées l’obligation d’équité en common law et les exigences de la justice fondamentale consacrées par l’art. 7 de la Charte » (par. 118). Ainsi, « les tribunaux devront être plus vigilants en ce qui concerne les situations de fait qui se rapprochent davantage des procédures criminelles ou qui leur sont analogues » : Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, p. 1077, le juge Iacobucci.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[147]       La Cour a d’ailleurs clairement affirmé dans Charkaoui no 1 que l’analyse fondée sur l’article 7 laisse très peu de place à la pondération des droits individuels garantis par la Charte et des intérêts de la société plus généraux, ou à la considération de commodités administratives. En substance, et sauf pour les facteurs qui représentent une « nécessité », cette pondération des intérêts de la société doit être réservée à l’analyse fondée sur l’article premier :

21        Contrairement à l’article premier, l’art. 7 ne soulève pas la question de savoir si l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne est justifiée, mais plutôt celle de savoir si l’atteinte a été portée en conformité avec les principes de justice fondamentale. Par conséquent, il a été statué que l’art. 7 n’autorise pas la tenue d’« un examen distinct pour décider si une mesure législative donnée établit un “juste équilibre” entre les droits de l’individu et les intérêts de la société en général » (Malmo‑Levine, par. 96). La Cour ne croyait pas non plus que « l’établissement d’un juste équilibre constitue en soi un principe de justice fondamentale dominant » (ibid.). Comme l’a noté la majorité dans Malmo‑Levine, le raisonnement contraire « intègre entièrement l’examen que commande l’article premier à l’analyse fondée sur l’art. 7 » (ibid.). Ainsi, l’État se trouverait libéré du fardeau de justifier les mesures attentatoires et la personne qui invoque la Charte aurait l’obligation de démontrer que les mesures contestées ne sont pas justifiées. 

 

22        À l’étape de l’analyse fondée sur l’art. 7, il s’agit de savoir si les principes de justice fondamentale pertinents ont été respectés pour l’essentiel, compte tenu du contexte et de la gravité de l’atteinte. Il faut se demander si la procédure est fondamentalement inéquitable envers la personne touchée. Dans l’affirmative, l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne n’est tout simplement pas conforme aux exigences de l’art. 7. Il faut alors passer à l’étape de l’application de l’article premier de la Charte, à laquelle le gouvernement peut démontrer que la procédure irrégulière est néanmoins justifiée compte tenu, notamment, de l’intérêt public. 

 

23        Ainsi, bien que l’analyse visant à déterminer si une procédure est fondamentalement inéquitable puisse tenir compte de contraintes administratives particulières liées au contexte de sécurité nationale, les questions de sécurité ne peuvent servir à légitimer, à l’étape de l’analyse fondée sur l’art. 7, une procédure non conforme à la justice fondamentale. Dans les cas où le contexte ne permet pas l’utilisation des moyens habituels de satisfaire aux principes de justice fondamentale, il est possible de recourir à d’autres moyens convenables. La procédure doit néanmoins être conforme aux principes de justice fondamentale pour résister à l’analyse dictée par l’art. 7. C’est ce qui est essentiel.

 

[148]       Tout cela semble relever très haut la barre lorsqu’il s’agit de restreindre les droits procéduraux pour cause de contraintes ou de commodités administratives : lorsque le contexte « ne permet pas » d’appliquer les garanties procédurales requises par les principes de justice fondamentale dans leur forme courante, d’« autres moyens convenables » restent disponibles. À mon avis, cela ne veut pas dire que les questions touchant l’efficacité administrative ne peuvent jamais entrer en compte dans l’analyse contextuelle de la teneur de l’obligation d’équité, mais il semble bien que la Cour insiste sur le fait que ce ne soit pas le facteur principal lorsque des droits protégés par l’article 7 sont en jeu.

 

Jurisprudence se rapportant aux demandes de contre‑interrogatoire dans une audience en vue de l’octroi d’une libération conditionnelle

 

[149]       La Cour suprême a estimé dans l’arrêt Lyons, précité, que l’examen régulier des cas individuels dans le cadre du processus de libération conditionnelle permet aux dispositions du Code criminel sur les délinquants d’échapper à l’inconstitutionnalité, mais a aussi fait observer qu’une peine indéterminée soulève des préoccupations particulières quant à l’équité procédurale. Les extraits pertinents du jugement du juge La Forest, s’exprimant au nom de la majorité, sont les suivants :

57        Je conclus donc que la partie XXI [maintenant la partie XXIV] ne constitue pas une violation de l’art. 12 de la Charte.

 

58        Avant toutefois de passer à autre chose, je me permets de faire une autre observation. Si l’on devait conclure qu’il existe sur le plan pratique une différence entre l’intérêt qu’a un délinquant dangereux en matière de liberté, qui est en jeu dans toute audience visant à déterminer s’il y a lieu d’accorder la libération conditionnelle, et ce même intérêt lorsqu’il s’agit de délinquants « ordinaires » qui purgent des peines d’une durée déterminée, cela risquerait d’influer sur l’opinion qu’on se ferait quant au caractère adéquat, au point de vue formel, du processus de révision. [...]

 

[...]

 

76        Il me semble que, dans le contexte de l’art. 7, la nature et la qualité des garanties en matière de procédure qu’il faut accorder à l’individu ne sauraient être fonction d’une logique stérile ni d’une classification formaliste du type d’instance dont il s’agit. On doit plutôt mettre l’accent sur le caractère pratique de l’instance et sur l’effet qu’elle risque d’avoir sur la liberté individuelle.

 

[...]

 

90        Il se dégage d’ailleurs de ce que j’ai déjà dit que le caractère équitable du processus entraînant la privation de liberté ne saurait, dans le cas d’un délinquant dangereux, être considéré indépendamment du processus de révision de cette privation de liberté. Étant donné la gravité des effets d’une telle révision sur les intérêts qu’a un délinquant dangereux en matière de liberté, du moins par rapport à ses effets sur les mêmes intérêts qu’a un délinquant "ordinaire", il me semble que la justice fondamentale pourrait exiger que cette révision comporte des garanties en matière de procédure qui soient améliorées en conséquence. À ce propos, je fais remarquer que le Comité Ouimet a recommandé que les délinquants dangereux aient droit à un examen judiciaire de leur situation tous les trois ans, et que le tribunal qui procède à cet examen soit investi du pouvoir de les relâcher (Rapport du Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle (1969), à la p. 280). Je conviens qu’on assurerait ainsi aux détenus de meilleures garanties, mais je ne crois pas que cela s’impose sur le plan constitutionnel. De fait, comme la cour l’a souligné dans les décisions Moore et Langevin, précitées, la Commission des libérations conditionnelles est en principe plus compétente pour déterminer si la mise en liberté est justifiée et ses décisions sont assujetties à un contrôle judiciaire fondé notamment sur la Charte. Toutefois, le caractère équitable de certains aspects de la procédure d’une audience visant à déterminer s’il y a lieu d’accorder la libération conditionnelle peut très bien faire l’objet d’une contestation fondée sur la Constitution, du moins lorsque l’examen porte sur la prolongation de l’emprisonnement d’un délinquant dangereux. Le caractère équitable de la procédure de révision n’est cependant pas en litige en l’espèce.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[150]       Le juge La Forest attire spécialement l’attention sur le « caractère peu fiable de la preuve psychiatrique » lorsqu’il s’agit d’évaluer le risque futur de comportement violent, ainsi que le risque afférent de « faux positifs ». Il observe que ce problème permet de « renforcer la conclusion que les garanties en matière de procédure accordées au délinquant, surtout au stade de la révision, doivent être très rigoureuses » (aux paragraphes 99 et 100).

 

[151]       Le juge de première instance dans le jugement MacInnis, précité, a accordé une importance particulière à ces observations lorsqu’il a conclu que les principes de justice fondamentale exigeaient qu’un détenu purgeant une peine indéterminée soit autorisé à être représenté par un avocat lors de sa comparution à l’audience d’examen réglementaire devant la Commission des libérations conditionnelles, et aussi à contre‑interroger les auteurs des rapports cliniques fournis à la Commission :

26        [...] Pour un requérant qui purge une sentence de durée indéterminée, l’enjeu ne saurait être plus élevé dans une audience d’examen du dossier de libération conditionnelle. Il a évidemment intérêt à ce que ses conclusions et arguments au moins soient présentés de la façon la plus complète et la plus efficace possible.

 

[...]

 

28        Il est manifeste que les rapports psychiatriques et psychologiques étaient d’importants éléments de preuve pris en compte par la Commission. En l’espèce, les rapports sur l’état du requérant sont contradictoires. Y a‑t‑il lieu pour la Commission d’être éclairée par l’interrogatoire de ces experts pour juger du fondement de leurs consultations cliniques? Si pareille éventualité ajoute au fardeau administratif de la Commission, la Cour estime qu’elle l’aiderait à parvenir à une décision plus éclairée. Décision plus éclairée ne signifie pas qu’elle sera favorable ou défavorable, mais seulement qu’elle sera plus éclairée; voir R. c. Lyons, supra, en page 368.

 

29        Le législateur a décidé que les audiences de la Commission nationale des libérations conditionnelles ne seront pas contradictoires. Par contre, il n’a prévu aucune procédure spéciale pour les délinquants dangereux. Et ce malgré la différence reconnue par la Cour suprême, en matière de privation de liberté, entre détenus ordinaires et détenus purgeant une sentence de durée indéterminée; voir R. c. Lyons, supra, en pages 345 et 362. À mon avis, les audiences de la Commission doivent traduire cette différence de statut. Il s’agit de savoir non pas s’il faut invalider la législation, mais si la Commission doit adopter des procédures entièrement conformes aux impératifs de l’article 7 de la Charte à l’égard de ce détenu qui purge une peine de durée indéterminée. La Cour ne préconise pas l’observation intégrale de tous les droits de procédure propres aux instances contentieuses. Pareil jugement serait imprudent. Un avocat n’est à l’heure actuelle autorisé à intervenir qu’à titre d’assistant au sens du paragraphe 140(8) de la Loi. La Cour estime, étant donné les questions de liberté en jeu, qu’à l’examen du statut d’un délinquant dangereux, l’avocat peut aider la Commission tout comme le détenu lui‑même en faisant de telle sorte que les points de fait importants ne soient pas oubliés ou que la Commission n’adopte pas de procédures qui soient essentiellement iniques pour ce dernier. [...] La Cour est du même avis pour ce qui est du droit d’interroger les experts sur leurs rapports cliniques.

 

[...]

 

33        En résumé, l’équité prescrite par l’article 7 doit être un élément fondamental de la justice; voir R. c. S. (R.J.), supra, en page 46 [des motifs du juge l’Heureux‑Dubé]. En ce qui concerne ce détenu qui purge une peine de durée indéterminée, les principes de justice fondamentale imposent à la fois le droit au ministère d’avocat et le droit d’interroger les auteurs sur leurs rapports cliniques.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[152]       La Cour d’appel fédérale, toutefois, a adopté un point de vue différent dans l’arrêt MacInnis, précité, en soulignant l’importance du contexte dans la définition des garanties procédurales offertes par les principes de justice fondamentale. La Cour a estimé que les procédures suivies par la CLCC étaient conformes aux droits protégés par l’article 7 des délinquants condamnés à purger des peines indéterminées, et que l’introduction des garanties procédurales élargies requises par M. MacInnis porterait atteinte au système établi d’examen des demandes de libération conditionnelle :

19        Ce en quoi consistent exactement les « principes de justice fondamentale » a fait l’objet de nombreuses discussions depuis l’adoption de la Charte. [...] Les procédures adoptées par la Commission doivent assurer le traitement équitable du contrevenant. L’intimé estime que des procédures supplémentaires en sus de celles prévues par la LSCMLSC sont nécessaires pour lui permettre de faire l’objet d’un procès équitable. Ces procédures, le rôle accru de celui qui assiste et le droit de contre‑interroger des témoins, sont des concepts propres au système de type accusatoire. Bien que ces éléments puissent être essentiels pour assurer l’équité dans une procédure pénale, ils ne sont pas toujours requis devant les tribunaux administratifs [...].

 

20        La question de savoir s’il y a lieu d’accorder la libération conditionnelle à un détenu relève de la Commission, décision qu’elle doit prendre conformément aux dispositions de la LSCMLSC. Le régime de libération conditionnelle est unique et distinct des tribunaux judiciaires, et des considérations différentes s’y appliquent. L’importance du contexte dans lequel se situe l’audience a été soulignée par le juge Sopinka dans l’arrêt [Mooring c Canada (Commission des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75, au par. 98] :

 

Selon un précepte fondamental de notre système juridique, les règles de la justice naturelle et de l’équité procédurale s’ajustent en fonction du contexte dans lequel elles sont appliquées. Il s’agit là d’un des préceptes fondamentaux de notre système juridique dont le juge Lamer fait mention dans le Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B. comme source des principes de justice fondamentale. J’estime que l’adhésion de la Commission à la méthode et aux procédures susmentionnées respecte pleinement les principes de justice fondamentale et, par conséquent, l’art. 7 de la Charte. [Non souligné dans l’original.]

 

21        En plus des règles de la common law en matière de justice naturelle et d’équité, la « méthode » et les « procédures » mentionnées et affirmées par le juge Sopinka sont celles établies par la LSCMLSC. Elles comprennent notamment l’obligation énoncée à l’alinéa 4g) selon laquelle les décisions en matière correctionnelle doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes de règlement des griefs; l’obligation énoncée à l’alinéa 101f) d’assurer l’équité et la clarté du processus de libération conditionnelle et, à l’alinéa 101a), la nécessité de protéger la société, critère déterminant du règlement des cas soumis à la Commission.

 

22        Dans l’arrêt Mooring, la Cour a aussi souligné que les audiences de la Commission diffèrent des procédures judiciaires. La Commission des libérations conditionnelles n’agit pas de façon judiciaire ou quasi judiciaire. Ses membres peuvent n’avoir aucune formation juridique. Bien qu’un avocat soit présent à l’audience, il s’agit d’un processus d’investigation et non d’un processus de type accusatoire. Les intérêts de l’État ne sont pas représentés par un avocat. Les règles traditionnelles de la preuve ne s’appliquent pas. La Commission n’a pas le pouvoir d’assigner des témoins et les dépositions ne sont pas faites sous serment. L’introduction de l’élément accusatoire souhaité par l’intimé ne convient pas à ce modèle. Si le droit de contre‑interroger était accordé au prisonnier, l’étape logique suivante serait d’accorder à l’État le droit de recourir aux services d’un avocat et de contre‑interroger lui aussi des témoins. Le recours aux techniques du contre‑interrogatoire et un rôle plus grand pour les avocats mèneraient inévitablement à un processus de plus en plus formel, qu’une [traduction] « formation de non-juristes » aurait de la difficulté à diriger. Il faudrait accorder à la Commission le pouvoir d’assigner des témoins. D’un point de vue pratique, le coût accru d’exiger la disponibilité des auteurs de rapports cliniques à des fins de contre‑interrogatoire imposerait un énorme fardeau à un système déjà à court de fonds. L’intimé soutient que ces exigences ne s’appliqueraient qu’en faveur des contrevenants qui purgent des peines d’emprisonnement d’une durée indéterminée. J’ai peine à imaginer comment on pourrait maintenir une telle distinction. Si le droit de contre‑interroger et le pouvoir d’assigner des témoins sont offerts à une catégorie de contrevenants, inévitablement, ils devraient être mis à la portée de tous.

 

23        Je ne souscris pas à la prétention de l’intimé que les décisions procédurales de la Commission ne tiennent pas compte des distinctions associées au fait de purger une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée. L’intimé s’appuie abondamment sur les remarques incidentes du juge La Forest dans l’arrêt Lyons :

 

[...]

 

24        Je suis incapable de voir autant dans ces propos que ne le voudrait l’avocat de l’intimé. Le juge La Forest laisse à entendre que des « garanties en matière de procédure » pourraient devoir être améliorées, et il exprime l’hypothèse que le caractère équitable de « certains aspects de la procédure » d’une audience visant à déterminer s’il y a lieu d’accorder la libération conditionnelle aux délinquants dangereux puisse très bien faire l’objet d’une contestation future fondée sur la Constitution. Il ne précise ni les « aspects de la procédure » auxquels il fait allusion, ni ne laisse à entendre quelles « garanties améliorées en matière de procédure » pourraient être requises.

 

25        On peut présumer que le législateur s’est rendu compte que les audiences de la Commission des libérations conditionnelles ont une importance accrue pour ceux qui purgent des peines d’emprisonnement d’une durée indéterminée. Le paragraphe 761(1) du Code criminel stipule que la Commission doit examiner tous les deux ans « les antécédents et la situation » de l’intimé. L’article ne prévoit pas un nouveau procès ni une forme de contrôle judiciaire tous les deux ans. La composition et le mandat de la Commission reflètent sa fin première, soit la protection de la société. En l’absence d’une décision du législateur voulant qu’un délinquant dangereux soit évalué de nouveau par un juge de première instance dans le cadre d’une procédure judiciaire, je ne suis pas disposé à créer un processus hybride pour répondre à ce que l’intimé perçoit être ses besoins.

 

26        Les procédures préconisées par la Commission permettent à l’intimé de faire pleinement valoir ses arguments en faveur d’une libération conditionnelle et elles sont conformes aux règles d’équité. En fait, j’estime que les procédures exigées par l’intimé serviraient peu à améliorer l’équité procédurale de l’audition de sa libération conditionnelle. Il a droit d’être assisté au cours du processus d’examen. Les rapports visant l’intimé ont été fournis à l’avance et il a eu l’ample possibilité de soumettre une réponse écrite. Étant donné que l’intimé a eu abondamment le temps de contester ces rapports, le contre‑interrogatoire des auteurs n’était pas nécessaire pour assurer l’équité. [note de bas de page : Voir l’arrêt Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181; et County of Strathcona No. 20 and Chemcell Ltd. v. Maclab Enterprises Ltd., Provincial Planning Board and City of Edmonton, [1971] 3 W.W.R. 461 (C.A. Alb.).

 

27        Les décisions procédurales de la Commission tiennent suffisamment compte de la double obligation d’assurer la sécurité de la société et l’équité de l’audience de l’intimé. On doit rappeler à l’intimé que sa liberté n’est pas la principale question dont est saisie la Commission. Celle‑ci doit d’abord et avant tout protéger le public canadien. Les délinquants dangereux ne sont pas désignés tels à la légère. Les procédures en vertu desquelles l’intimé a été déclaré délinquant dangereux et condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée comptent parmi les plus sérieuses qui se déroulent dans les salles d’audience canadiennes. On a conclu que l’intimé constituait un grave danger pour la société, à tel point que sa peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée a été jugée nécessaire. Tous les Canadiens ont un intérêt vital à s’assurer que la Commission rende des décisions pleinement informées et appropriées. Il est dans l’intérêt de tous les intéressés que la procédure adoptée soit équitable et, à mon sens, le processus administratif actuellement en place répond à cette exigence. L’introduction de divers éléments de la procédure de type accusatoire aiderait peu à accroître l’équité de l’audition de l’intimé, mais par contre cela causerait un grand tort à la nature fondamentale des audiences de la Commission. Conséquemment, je conclus que le refus de la Commission d’accueillir la demande de l’intimé d’obtenir des procédures améliorées ne viole pas son droit à la liberté prévu à l’article 7 de la Charte.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[153]       Compte tenu de la jurisprudence citée plus haut, je doute que le refus d’autoriser une certaine forme d’interrogatoire ou de contre‑interrogatoire dans le cas présent était équitable d’un point de vue procédural. Cependant, la Cour d’appel, dans l’arrêt MacInnis, précité, a clairement estimé que les procédures de la CLCC convenaient à l’examen de la situation unique des individus condamnés à des peines indéterminées, qu’elles « permettent à l’intimé de faire pleinement valoir ses arguments en faveur d’une libération conditionnelle et [qu’]elles sont conformes aux règles d’équité », et que « les procédures exigées par l’intimé serviraient peu à améliorer l’équité procédurale de l’audition de sa libération conditionnelle. » La Cour d’appel fédérale n’a pas dit qu’elle pondérait les droits de l’intimé à l’équité procédurale et les préoccupations opposées de la société; elle a plutôt parlé de la « double obligation d’assurer la sécurité de la société et l’équité de l’audience de l’intimé », et a estimé que les droits procéduraux du demandeur étaient suffisamment protégés. Dans ce contexte, le fait que les garanties procédurales demandées « causerai[ent] », d’après la Cour, « un grand tort à la nature fondamentale des audiences de la Commission », paraît être une considération valide. Je me crois tenu de suivre les directives de la Cour d’appel sur cette question, comme l’a fait la section d’appel. Peu importe mes préoccupations, je suis lié par l’arrêt MacInnis.

 

Omission de fournir une copie de la décision

 

[154]       Le demandeur reproche aussi à la CLCC de ne pas lui avoir fourni une copie de sa décision dans le délai prévu à l’alinéa 166(2)b) de la LSCMLC, ce qui a raccourci la période qui pouvait être consacrée à préparer son appel et à effectuer les recherches désirées. Le demandeur a été avisé de la décision de la CLCC au terme de l’audience de libération conditionnelle du 24 janvier 2012. Comme le montre la transcription, la CLCC lui a communiqué sa décision et ses principaux motifs à ce moment‑là, afin qu’il sache sur‑le‑champ ce qui lui faisait obstacle. Bien que les motifs écrits aient été transmis au demandeur avec un retard administratif de neuf jours, je ne puis admettre, dans les circonstances, que ce dernier a subi de ce fait un préjudice important. Lors de l’audience qui s’est déroulée devant moi dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le demandeur a d’abord déclaré que le retard [traduction] « ne [lui] avait pas nui excessivement », mais il a tenté de prétendre le contraire. L’examen du dossier ne me permet pas de penser que ce contretemps particulier a causé le moindre préjudice. Les observations qu’il a soumises à la section d’appel étaient minutieuses et exhaustives : voir Yu, précité, aux paragraphes 28 à 30, et Uniboard Surfaces, précité, au paragraphe 48.

 

Autres questions

 

[155]       Le demandeur soulève également un certain nombre d’autres questions, et soutient en général que la section d’appel a répondu de manière imprécise et inadéquate à ses motifs d’appel. Il prétend aussi qu’elle a modifié ses motifs et qu’elle a ensuite fondé son jugement sur l’idée qu’elle s’était faite de ses arguments. Il dit que la section d’appel se serait montrée indifférente et se serait contentée de confirmer le point de vue de la CLCC. L’examen du dossier qui m’a été soumis m’amène à conclure que les choses ne se sont pas passées ainsi. Le demandeur refuse de reconnaître les motifs véritables et sérieux de la décision, tels que les ont formulés la CLCC et la section d’appel.

 

[156]       La principale préoccupation du demandeur – qu’on peut absolument comprendre ‑ est qu’il est maintenant incarcéré depuis plus de 24 ans, et qu’il craint de n’avoir plus d’autres moyens d’obtenir une libération conditionnelle. Ce n’est pas à la Cour, bien entendu, d’examiner les raisons d’un si long emprisonnement. Cependant, le demandeur a écopé d’une peine indéterminée, et son dossier contient certains indices d’un manque de volonté et de coopération de sa part pour ce qui est de régler ou d’amoindrir les risques qu’il présente pour le public. Compte tenu des renseignements et des documents produits, la CLCC et la section d’appel pouvaient raisonnablement conclure qu’il est encore un délinquant dangereux présentant [traduction] « un risque moyen ou élevé de récidive générale, violente et sexuelle, malgré les programmes qu’il a faits. »

 

[157]       Or, cette évaluation n’est pas sans reconnaître que le demandeur a réalisé des progrès qu’il doit assimiler et consolider. Il peut suivre à cette fin des programmes de soutien. La CLCC a résumé son point de vue en ces termes :

[traduction]

Après avoir lu votre dossier, examiné les documents que vous avez fournis et vous avoir écouté aujourd’hui, la Commission note ce qui suit : vous avez eu une bonne conduite en établissement carcéral et votre participation récente à votre plan correctionnel vous a été profitable. Cependant, la Commission ne peut ignorer le fait que le risque de récidive générale, violente et sexuelle, reste dans votre cas moyen ou élevé, bien que vous ayez complété les programmes. Les infractions dont vous avez été déclaré coupable étaient graves et violentes; si vous deviez récidiver, vous infligeriez probablement un préjudice considérable à votre victime. Vos progrès sont nouveaux et vous n’avez pas encore eu la possibilité de les assimiler. L’avis psychologique récent, portant que vous n’avez pas encore réglé les facteurs de risque liés aux infractions criminelles dont vous avez été déclaré coupable, donne à la Commission matière à préoccupation. La Commission ne pense pas que vous devrez rester en prison pour le reste de votre vie parce que vous refusez d’admettre votre culpabilité et que vous ne serez jamais considéré comme ayant réglé ces facteurs de risque, comme vous l’avez laissé entendre durant l’audience. Bien que vous ayez fait certains progrès, la Commission estime que le risque que vous présentez n’a pas assez été atténué pour l’instant. Vous n’avez pas le soutien de votre EGC et n’avez été accepté dans aucun ERC. En conclusion, la Commission estime que vous présentez un risque inacceptable et refuse donc de vous accorder une semi‑liberté ou une libération conditionnelle totale.

 

Compte tenu des progrès que vous avez réalisés dans le cadre de votre plan correctionnel et des efforts soutenus de votre EGC pour répondre à vos autres besoins, la Commission conclut par ailleurs que votre peine est adaptée aux circonstances particulières de votre dossier et n’enfreint pas l’article 12 de la Charte.

 

[158]       Après avoir examiné le dossier dont je dispose, je ne saurais affirmer que cette conclusion est dépourvue de justification, de transparence et d’intelligibilité ou qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les frustrations du demandeur sont compréhensibles, mais compte tenu du dossier dont disposaient la CLCC et la section d’appel, et de la jurisprudence applicable, je ne décèle aucune erreur ni sur le plan procédural ni en droit ni de compétence, et aucun élément suffisamment important qui puisse rendre l’une de ces décisions déraisonnable.


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande avec dépens adjugés en faveur du défendeur.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

 

T-1720-12

 

INTITULÉ :

NEIL VAN BOEYEN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            Le 15 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            Le 19 novembre 2013

COMPARUTIONS :

Neil Van Boeyen

 

                                                  POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Charmaine de los Reyes

 

                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Neil Van Boeyen

Agassiz (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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