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Date : 20131115

Dossier : IMM‑10944‑12

Référence : 2013 CF 1164

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

SANDOR IGNACZ

ANDREA BALOG

BRENDON IGNACZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est, une fois de plus, saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle une commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la commissaire] a rejeté la demande d’asile des demandeurs roms au motif qu’ils n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État en Hongrie.

 

[2]               Chaque décision est fonction des faits qui sont propres à l’affaire et de la rigueur de l’analyse faite par la Commission, ce qui explique pourquoi de nombreuses demandes d’asile sont rejetées sur le fondement du critère de la protection de l’État alors que d’autres sont accueillies, même si les décisions reposent toutes sur le même cartable national de documentation [CND].

 

CONTEXTE

[3]               Les demandeurs sont des citoyens de la Hongrie d’origine rom qui habitaient dans la petite ville de Mohacs, dans le Sud du pays. Ils sont arrivés au Canada le 17 mai 2011 et ont demandé l’asile le jour suivant. M. Sandor Ignacz, âgé de 31 ans, et sa conjointe de fait, Andrea Balog, 25 ans, ont un fils de trois ans, Brendon Ignacz.

 

[4]               La SPR a accepté la preuve des demandeurs concernant le traitement qu’ils ont reçu et ce qu’ils ont vécu en Hongrie. Trois incidents invoqués par les demandeurs ont amené la SPR à conclure qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

1.  Agression de 2004

[5]               En 2004, les demandeurs d’âge adulte ont été agressés par un groupe de jeunes adultes [l’agression de 2004]. Les agresseurs ont frappé M. Ignacz et l’ont battu au sol à coups de pied et de poing. Mme Balog a tenté de lui porter secours, mais les assaillants l’ont agrippée par les cheveux et l’ont repoussée. Elle a perdu connaissance. Lorsqu’elle s’est réveillée, M. Ignacz gisait sur le sol; il saignait, mais il était conscient. Ils se sont rendus à l’hôpital pour faire soigner leurs blessures. Ils ont rapporté l’incident à la police. Les policiers leur ont dit qu’ils communiqueraient avec eux s’ils trouvaient les agresseurs, mais n’ont pris en note aucun renseignement personnel. Les seuls éléments d’information que les demandeurs ont pu fournir à la police au sujet de l’agression sont le lieu de l’incident, la couleur de peau et la taille des assaillants de même qu’une description des vêtements que portaient leurs agresseurs.

 

2.  Incident de 2007

[6]               En février 2007, vers midi, des membres en uniforme de la Garde hongroise, une organisation d’extrême droite illégale, ont poursuivi M. Ignacz et Mme Balog alors qu’ils participaient à un festival annuel [l’incident de 2007]. Ces derniers ont réussi à s’échapper sans incident et une fois en lieu sûr, ils ont communiqué avec les services de police. Les policiers leur ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire en raison du festival en cours et leur ont conseillé de demeurer là où ils se trouvaient puisqu’ils y étaient en sécurité.

 

3.  Incident de 2010

[7]               Vers la fin de l’année 2010, les demandeurs ont rendu visite au père de Mme Balog qui venait de subir une opération. Au moment où les trois demandeurs et M. Balog ont quitté la maison de ce dernier, ils ont été agressés par des membres de la Garde hongroise qui tenaient une manifestation dans le secteur. M. Balog et M. Ignacz ont été battus et humiliés. Ils se sont réfugiés dans la maison, mais des membres de la Garde hongroise ont brisé les fenêtres [l’incident de 2010]. Les demandeurs ont appelé la police, qui leur a recommandé de demeurer à l’intérieur. Peu de temps après, des policiers sont arrivés et ont parlé aux membres de la Garde hongroise à l’extérieur de la maison de M. Balog. Les policiers et les membres de la Garde hongroise sont ensuite partis. Les policiers ne sont pas allés parler aux demandeurs dans la maison au sujet de l’agression ou des fenêtres fracassées. Aucune arrestation n’a été effectuée.

 

[8]               C’est cet incident qui a poussé les demandeurs à s’enfuir au Canada et à présenter une demande d’asile.

 

DÉCISION

[9]               La commissaire a statué que les demandeurs n’avaient qualité ni de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La commissaire a souligné qu’il y a des « incidents répandus d’intolérance, de discrimination et de persécution » visant les Roms en Hongrie. Elle a ajouté que la preuve indique que l’attitude des Hongrois à l’égard des Roms est « discriminatoire et préjudiciable ». Toutefois, la commissaire a finalement conclu que les demandeurs avaient bénéficié d’une protection de l’État adéquate ou, subsidiairement, qu’ils n’avaient pas pris toutes les mesures raisonnables, compte tenu des circonstances, pour solliciter la protection de l’État. Plus précisément, la commissaire a conclu que les demandeurs n’avaient pas fait part aux autorités supérieures de leur insatisfaction à l’égard de la réaction des policiers. La commissaire a souligné précisément que les demandeurs ne s’étaient pas adressés au président de leur communauté rom et n’avaient pas eu recours aux mécanismes de plainte offerts par le nouveau Commissaire pour les droits fondamentaux (Commissioner of Fundamental Rights – CFR) et par la Commission indépendante des plaintes contre la police (Independent Police Complaints Board – IPCB).

 

Analyse du caractère raisonnable de la conclusion selon laquelle les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État

 

[10]           La seule question en litige dans la présente demande est celle de savoir si la conclusion de la commissaire au sujet de la protection de l’État est raisonnable. Pour les motifs exposés ci‑après, j’estime que la conclusion concernant la protection de l’État n’est pas raisonnable, et la décision faisant l’objet du contrôle doit être annulée.

 

Appréciation déraisonnable du caractère adéquat de la protection reçue de l’État

[11]           La SPR a jugé que « la réponse qu’ils [les demandeurs] ont reçue de la part des policiers avec qui ils ont communiqué est adéquate dans les circonstances ».

 

[12]           En ce qui concerne l’agression de 2004, la SPR a estimé que la réponse de la police était adéquate parce que « les demandeurs d’asile n’étaient pas en mesure de fournir aux policiers une description précise de leurs agresseurs pour leur permettre ainsi d’enquêter adéquatement sur l’activité criminelle ». Cette conclusion me pose problème sur deux plans. 

 

[13]           Dans un premier temps, non seulement les policiers n’ont pas fait enquête, mais ils « n’[ont] inscrit aucune donnée » (non souligné dans l’original). Mme Balog a déclaré ce qui suit : [traduction] « [L]orsque nous sommes entrés, ils ne nous ont pas demandé de renseignements » et « ils n’ont pas pris en note nos renseignements personnels. » Ils avaient pourtant dit à la police que leurs agresseurs portaient tous des bottes militaires noires et des t‑shirts blancs et qu’ils arboraient l’emblème de la Garde. Mme Balog a aussi mentionné à la police qu’ils étaient de race blanche, et elle a précisé leur taille. La commissaire a demandé à Mme Balog quelles étaient ses attentes envers les policiers compte tenu du fait qu’elle ne pouvait pas vraiment décrire ses agresseurs, ce à quoi elle a répondu : [traduction] « [N]ous espérions que les policiers essaient au moins de les trouver. » J’ai déjà déclaré ceci dans le passé : « [L]e fait qu’une plainte relative à une conduite criminelle a été acceptée ne signifie pas que la police offre une protection adéquate si rien n’est fait pour enquêter sur la plainte. Le travail de la police serait infiniment plus facile si elle n’était pas tenue de mener une enquête lorsque l’identité de l’agresseur est inconnue » : Pinter c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1119, au paragraphe 14.

 

[14]           Dans certains cas, il se peut qu’il ne soit pas déraisonnable que les policiers décident de ne rien faire, par exemple dans le cas d’une personne portant une cagoule qui volerait une gomme des mains d’un enfant. Ou encore, s’il manque de personnel parce que les policiers doivent s’occuper de situations où la vie d’un grand nombre de personnes est menacée. Toutefois, j’estime qu’il n’est pas convenable que les policiers ne fassent absolument rien alors que deux citoyens ont été battus au point de devoir se rendre à l’hôpital pour faire soigner leurs blessures. Cette réponse des policiers est particulièrement inadéquate et déraisonnable du fait que l’incident avait tout d’une agression à caractère raciste perpétrée par une bande de truands. En outre, à mon avis, tout indique que les policiers n’ont pas pris au sérieux l’agression signalée et qu’ils n’avaient pas l’intention de faire quoi que ce soit parce qu’ils n’ont pas consigné les renseignements personnels des demandeurs, même s’ils leur ont dit qu’ils communiqueraient avec eux s’ils appréhendaient les agresseurs. Comment auraient‑ils pu les contacter puisqu’ils n’ont pas pris en note les noms, l’adresse et le numéro de téléphone des demandeurs?

 

[15]           S’il n’y avait pas eu d’autres occasions où les policiers n’ont rien fait, l’incident n’aurait peut‑être pas été suffisant pour réfuter la présomption de protection de l’État – mais la situation s’est reproduite.

 

[16]           La SPR a estimé que la réponse des policiers lors de l’incident de 2007 était adéquate parce qu’« étant donné que les policiers n’avaient pas de description exacte des personnes recherchées, il était raisonnable qu’ils conseillent aux demandeurs d’asile de demeurer dans un endroit sécuritaire loin de l’endroit où ils avaient été harcelés ». Je ne vois pas en quoi le fait qu’un policier énonce une évidence mais ne fasse rien constitue une protection adéquate. 

 

[17]           Les demandeurs se sont réfugiés chez un ami pour échapper aux truands qui les poursuivaient. Leur conseiller de ne pas quitter leur refuge, ce n’est pas assurer leur protection. Les policiers auraient dû venir à la rencontre des demandeurs, évaluer la situation et signaler leur présence au groupe rassemblé. Tout portait à croire que cet incident avait aussi un caractère raciste. Rien n’indique que les services de police manquaient de personnel au point où ils ne pouvaient pas envoyer un ou deux agents là où les demandeurs s’étaient réfugiés pour s’assurer qu’ils étaient en sécurité ou pour les escorter jusqu’à leur domicile, ou encore pour vérifier que les agresseurs n’étaient pas en train de harceler d’autres Roms. En quoi le fait de donner le même conseil – demeurer à l’intérieur – qu’une mère donnerait à son enfant victime d’intimidation dans la cour d’école constitue une protection policière raisonnablement adéquate?

 

[18]           La SPR a également estimé que l’intervention des policiers lors de l’incident de 2010 était adéquate « compte tenu du fait que, lorsqu’ils ont été appelés, ils ont conseillé aux demandeurs d’asile de demeurer dans la maison loin des agresseurs, sont arrivés rapidement sur les lieux, ont parlé aux agresseurs et les ont expulsés ». Cette fois‑là, au moins, les policiers ne leur ont pas seulement dit de demeurer à l’intérieur, ils se sont rendus sur les lieux. Toutefois, comment peut‑on raisonnablement affirmer que le fait de chasser les agresseurs constitue une agression adéquate alors que deux hommes ont été attaqués et qu’une propriété a été endommagée? Dans ce cas‑ci, les policiers connaissaient l’identité des agresseurs puisqu’ils leur ont parlé. Mais ils se sont contentés de les chasser des lieux. Il est vrai que les demandeurs ont bénéficié d’une protection de l’État, mais la réaction de la police à l’égard des crimes dont ils étaient victimes était, à mon avis, tout à fait inadéquate. Non seulement les policiers n’ont effectué aucune arrestation et n’ont porté aucune accusation, mais ils n’ont même pas demandé aux demandeurs s’ils pouvaient identifier leurs agresseurs parmi ceux rassemblés à l’extérieur de la maison.

 

[19]           À mon avis, la conclusion de la commissaire, qui a jugé que l’intervention des policiers dans ces trois incidents constituait une protection de l’État adéquate, est tout à fait déraisonnable. La commissaire aurait peut‑être dû se poser la question suivante : si la même chose m’était arrivée, ou était arrivée à ma famille, serais‑je d’avis que la protection offerte par les policiers était adéquate? L’incident de 2010 offre un exemple particulièrement flagrant de l’incapacité des policiers à s’attaquer aux agents de persécution des demandeurs, ou de leur refus de s’en occuper.

 

Appréciation déraisonnable du défaut de solliciter la protection d’autorités supérieures

[20]           La commissaire a également conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État parce qu’ils ne se sont pas plaints de la réaction des policiers auprès des autorités supérieures.

 

[21]           La commissaire estime que « le gouvernement central est motivé et disposé à mettre en œuvre des mesures pour protéger les Roms, qu’il a fourni des exemples précis de leur application sur le plan opérationnel » (non souligné dans l’original). 

 

[22]           Le CFR et l’IPCB sont deux exemples de mesures que la commissaire juge efficaces sur le plan opérationnel. Elle cite le CDN, selon lequel « ces organismes de plainte reçoivent les plaintes, tirent leurs conclusions et en font part aux autorités compétentes pour intervention ». Je suis entièrement d’accord avec le juge de Montigny sur le fait qu’« assurer une protection ne fait pas partie du rôle » de ces deux organismes et d’autres organisations similaires en Hongrie et que « leur rôle est de formuler des recommandations et, au mieux, de faire enquête sur l’inaction de la police après les incidents » : Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326, au paragraphe 14. Je suis aussi d’accord avec le juge de Montigny lorsqu’il affirme, au paragraphe 15, que « [l]a jurisprudence de la Cour établit très clairement que la police est présumée être la principale institution chargée d’assurer la protection des citoyens et que les autres institutions publiques ou privées sont présumées n’avoir ni les moyens ni le rôle d’assumer une telle responsabilité ».

 

[23]           Je répète la question que j’ai soulevée dans l’affaire Majoros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 421 : Si les demandeurs avaient tenté de faire un suivi auprès du président de leur communauté rom ou qu’ils avaient eu recours aux mécanismes de plainte offerts par le CFR et l’IPCB, auraient‑ils été plus en sécurité ou mieux protégés? À moins qu’on puisse répondre à cette question par l’affirmative – et rien dans le CND ne vient appuyer une réponse positive –, le fait de ne pas s’adresser à ces organismes ne peut entraîner le rejet d’une demande d’asile lorsque le demandeur a tenté en vain d’obtenir la protection de la police. La preuve n’appuie tout simplement pas la conclusion de la commissaire selon laquelle ces organismes pouvaient offrir aux demandeurs – et à la communauté rom en général – une protection efficace sur le plan opérationnel. La conclusion de la commissaire portant que la demande d’asile des demandeurs doit être rejetée parce qu’ils n’ont pas fait appel à ces organismes est donc déraisonnable.

 

Référence déraisonnable aux modifications au code criminel de la Hongrie

[24]           Dans ses motifs, la commissaire fait mention du paragraphe 174/B du code criminel de la Hongrie qui « criminalise les actes violents commis contre des personnes en raison de leur appartenance à un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Ce paragraphe représente, de l’avis de la commissaire, un exemple de mesure prise par la Hongrie pour veiller à offrir à la population une protection de l’État adéquate sur le plan opérationnel.

 

[25]           En invoquant la mise en œuvre du paragraphe 174/B, la commissaire a ignoré la preuve concernant l’efficacité réelle, plutôt que théorique, de cette modification. Le paragraphe 174/B est entré en vigueur en 2004. On pourrait s’attendre à ce que près de dix ans plus tard, on observe des résultats concrets en ce qui concerne l’efficacité de la disposition sur le plan opérationnel. Or, selon la preuve au dossier, ce paragraphe « n’est pas appliqué systématiquement », « la police choisit souvent de commencer l’enquête en se fondant sur des accusations de crime non haineux » et la police, les procureurs et les fonctionnaires des tribunaux sont « réticents à examiner le caractère raciste comme circonstance aggravante de crimes ». Autrement dit, le paragraphe n’est pas appliqué.

 

[26]           Les statistiques sont également révélatrices. En 2004 et en 2005, la police n’a répertorié que sept crimes punissables en vertu du paragraphe 174/B. En 2008, ce nombre a grimpé à 12 mais il est retombé à 6 en 2009. De plus, malgré le paragraphe 174/B, la commissaire elle‑même a confirmé qu’« au cours des dernières années », « la situation des Roms s’est détériorée » et s’est « aggravée », et que « les attitudes anti‑Roms dissimulées deviennent plus exposées ». Ainsi, la commissaire a commis une erreur en concluant que le paragraphe 174/B illustre bien les efforts déployés par la Hongrie pour offrir une protection de l’État qui est adéquate sur le plan opérationnel sans tenir compte de la preuve au dossier qui établit le contraire.

 

[27]           Qui plus est, s’il y avait eu une preuve que la protection était adéquate, on se serait attendu à ce que la police invoque cette disposition du code criminel lors de l’incident de 2010, et voire même lors des trois incidents invoqués par les demandeurs, au lieu de simplement laisser partir les membres du groupe sans les interroger.

 

Lecture sélective de la preuve contenue dans le CND

[28]           Enfin, bien que je reconnaisse la présomption selon laquelle la commissaire a examiné l’ensemble de la preuve contenue dans le CND, je remarque qu’elle a choisi des extraits qui viennent appuyer son opinion voulant que la protection de l’État était adéquate en l’espèce, et qu’elle a ignoré la preuve du CND qui contredisait sa conclusion. La commissaire a même affirmé ce qui suit :

[P]lusieurs sources contenues dans la preuve documentaire comportent certaines incohérences; toutefois, la preuve objective en ce qui concerne la situation actuelle dans le pays laisse croire que, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte par l’État hongrois aux Roms victimes de criminalité, d’abus de pouvoir de la part des policiers, de discrimination ou de persécution est adéquate, que la Hongrie fait de sérieux efforts pour régler ces problèmes et mettre en œuvre des mesures à l’échelle opérationnelle ou locale et que la police et les représentants du gouvernement veulent protéger les victimes et sont en mesure de le faire.

 

[29]           Cependant, même si la commissaire signale que la preuve comporte des « incohérences », elle ne mentionne pas précisément quelles sont ces incohérences et n’explique pas pourquoi elle a préféré la preuve du CND qui donne à penser que la protection de l’État est adéquate. Les extraits ci‑dessous ne sont que quelques exemples d’éléments de preuve tirés du CND qui ébranlent la conclusion de la commissaire comme quoi les demandeurs auraient pu bénéficier d’une protection de l’État – que ce soit auprès de la police ou d’autres autorités supérieures – s’ils l’avaient sollicitée :

a.       La Société pour les peuples menacés affirme que « l’intervention de l’État par rapport au sentiment anti‑Roms et à la violence est [traduction] “souvent réfrénée et d’efficacité douteuse” ».

 

b.      En 2011, le Rapporteur spécial des Nations Unies a déclaré que « le racisme contre les Roms est répandu dans les institutions publiques, notamment dans la police et le système judiciaire » et a noté « le profilage et les abus de pouvoir des policiers à l’égard des Roms ainsi que le refus des policiers d’enregistrer les plaintes des Roms » et l’imposition d’[traduction] « amendes disproportionnées lorsque des Roms contreviennent à la loi » (non souligné dans l’original).

 

c.       La Cour européenne des droits de l’homme a rendu une décision défavorable à l’endroit de la Hongrie dans un cas où la police a utilisé une force excessive contre une Rom. La Cour a tranché qu’il y avait eu [traduction] « défaut de mener une véritable enquête » après que la femme ait déposé une plainte contre la police (non souligné dans l’original).

 

d.      Selon Human Rights First, en raison des cas de « mauvais traitements et de discrimination » de la part des policiers à l’endroit des Roms, il y a « [traduction] “une grande méfiance à l’égard des autorités” dans les communautés roms, ce qui donne lieu à une [traduction] “sous‑déclaration grave” des incidents racistes et violents ».

 

[30]           Les extraits ci‑dessus tirés du CND expliquent potentiellement de façon objective et raisonnable pourquoi les demandeurs en l’espèce n’ont pas sollicité la protection d’autorités supérieures et donnent des exemples de défaillances des mécanismes de plainte qui, selon la conclusion de la commissaire, sont adéquats. À mon avis, comme la commissaire ne fait que mentionner l’existence d’éléments de preuve qui contredisent sa conclusion dans le CND et qu’elle ne s’y attarde pas, ses motifs sont dépourvus de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité prescrites par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

CONCLUSION

[31]           La décision faisant l’objet du contrôle ne résiste pas à un examen approfondi au moyen du critère établi par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. La décision de rejeter la demande d’asile des demandeurs n’était pas raisonnable pour les raisons suivantes : (1) la commissaire a conclu que les demandeurs avaient bénéficié d’une protection de l’État adéquate en Hongrie alors qu’ils n’ont reçu aucune protection; (2) la commissaire a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État parce que, même s’ils n’ont pas bénéficié de la protection de la police, ils ne se sont pas plaints des manquements de la police aux autorités supérieures, alors que rien ne prouve que ces autorités auraient réellement pu protéger les demandeurs.

 

[32]           Aucune question n’a été soumise aux fins de la certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, la décision portant rejet de la demande d’asile des demandeurs est annulée, la demande d’asile est renvoyée à un autre commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision, et aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Champagne

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑10944‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  SANDOR IGNACZ ET AUTRES c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 12 novembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                         LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 15 novembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daisy McCabe‑Lokos

 

POUR LES DEMANDEURS

Veronica Cham

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROCHON GENOVA LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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