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Date : 20131113

Dossier : IMM‑10173‑12

Référence : 2013 CF 1139

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2013

En présence de Monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

AI ZHEN ZHU

SI MING YANG

QI MING YANG

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Aperçu

[1]               Le critère de la crainte raisonnable de partialité, tel qu’énoncé par le juge Louis‑Philippe de Grandpré dans l’arrêt souvent cité Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’Énergie, [1978] 1 RCS 369, est le suivant :

[…] La crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Ce critère consiste à se demander […] à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

 

[2]               Le demandeur qui allègue la partialité doit satisfaire à une norme très rigoureuse. Il doit fournir une « preuve convaincante » démontrant qu’un aspect de la conduite d’un commissaire de la Section de la protection des réfugiés [SPR] suscite une crainte raisonnable de partialité (R c RDS, [1997] 3 RCS 484, aux paragraphes 116 et 117). La Cour d’appel fédérale a affirmé dans l’arrêt Arthur c Canada (Canada (Procureur général)), 2001 CAF 223, qu’une allégation de partialité ne peut être faite à la légère :

[8]        […] Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. […] [Non souligné dans l’original.]

 

[3]               Dans la présente affaire, le principal point de désaccord des demandeurs concernant l’évaluation de la crédibilité par la SPR porte sur son rejet de certaines preuves documentaires présentées par eux. Les demandeurs soutiennent que les réserves du commissaire de la SPR au sujet de certains éléments du dossier n’étaient pas des motifs suffisants pour [traduction] « mettre en doute chacune des allégations des demandeurs » et rejeter ces éléments de preuve.

 

[4]               Cette affirmation diffère de la jurisprudence de notre Cour, où il est bien établi qu’une conclusion générale quant à l’absence de crédibilité peut avoir un effet sur tous les éléments de preuve présentés par un demandeur, y compris la preuve documentaire, et en fin de compte entraîner le rejet de sa demande (Ayub c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1411, aux paragraphes 8 et 9, Nijjer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1259; Alonso c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 683).

 

II. Introduction

[5]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 10 septembre 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’ils n’avaient ni qualité de réfugié au sens de l’article 96 ni celle de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

 

III. Le contexte

[6]               La demanderesse principale, Mme Ai Zhen Zhu, et ses deux enfants adultes, Si Ming Yang (une fille) et Qi Ming Yang (un fils handicapé par un retard de développement), sont des citoyens de la République populaire de Chine [Chine], originaires de la province du Guangdong.

 

[7]               La demanderesse principale indique dans sa demande qu’elle a commencé à fréquenter une maison‑église catholique clandestine en janvier 2009 (en raison du retard de développement de son fils dont l’état s’est amélioré grâce à la musique combinée à des mots, qu’il arrivait à retenir et à exprimer) et son mari s’est joint à elle en septembre 2009.

 

[8]               La demanderesse principale indique qu’en décembre 2009, la maison‑église qu’ils fréquentaient a fait l’objet d’une descente de la part des autorités. Elle n’était pas présente à ce moment‑là, mais son mari y était. Il a réussi à s’enfuir et à se cacher. Le même jour, elle a rejoint son mari, après avoir confié ses enfants à sa sœur, qui a déménagé dans sa résidence.

 

[9]               Le 29 décembre 2009, selon ce qu’affirme la demanderesse principale, sa sœur l’a informée que des représentants du Bureau de la sécurité publique s’étaient présentés à sa résidence pour arrêter la demanderesse et son mari. Quelques jours plus tard, ces représentants du Bureau de la sécurité publique se sont présentés à nouveau, munis d’une citation à comparaître pour éventuellement les arrêter. La demanderesse principale explique que sa fille a été expulsée de l’école peu après.

 

[10]           La demanderesse principale a décidé de quitter la Chine et est arrivée au Canada le 22 janvier 2010, munie de faux passeports. Elle et ses deux enfants ont demandé l’asile trois jours plus tard.

 

[11]           Il était d’abord prévu que les demandeurs soient entendus lors d’une audience relative à une demande d’asile le 22 décembre 2011. Toutefois, la demanderesse principale a indiqué qu’elle était indisposée ce jour‑là et l’audience n’a pas eu lieu.

 

[12]           La SPR a fixé au 29 mars 2012 l’audience de justification. Pour cette occasion, la demanderesse principale s’est vu demander d’apporter la note d’un médecin expliquant l’indisposition qui l’avait empêchée de se présenter à la première audience.

 

[13]           Les demandeurs ont comparu à l’audience de justification; comme on le lui avait demandé, la demanderesse principale a produit la note d’un médecin expliquant son indisposition du 22 décembre 2011. Toutefois, cette audience n’a pas été tenue parce que l’interprète était incapable de comprendre les demandeurs. L’audience a été ajournée au 14 juin 2012, mais elle a été à nouveau reportée, un interprète adéquat n’étant pas disponible.

 

[14]           Le 9 août 2012, les demandeurs ont comparu devant la SPR, mais la demanderesse principale était encore absente pour cause de maladie. L’audience a été ajournée au 30 août 2012.

 

[15]           Le 30 août 2012, les demandeurs ont comparu à nouveau devant la SPR. La demanderesse principale était présente à cette audience et a fourni à la SPR une note émanant d’une clinique d’acupuncture et d’ostéopathie pour expliquer son absence du 9 août 2012. Cette note indiquait que ce jour‑là, la demanderesse principale avait souffert de symptômes de la grippe, d’une irritation de la gorge et de fièvre. La SPR a constaté que la note du médecin contenait certaines irrégularités (notamment des mentions écrites de couleurs différentes), mais elle a tout de même tenu l’audience.

 

[16]           Avant de commencer livrer leurs observations sur le bien‑fondé de leur demande, les demandeurs ont demandé au commissaire de la SPR de se récuser parce qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité. Les demandeurs ont aussi demandé un autre ajournement pour préparer par écrit la requête en récusation.

 

[17]           À l’audience, les demandeurs ont dit craindre que le commissaire de la SPR ait un parti pris contre les catholiques d’origine chinoise étant donné son taux d’acceptation historique des demandes d’asile émanant de ce pays et en se fondant sur un article qu’ils avaient lu dans un journal chinois sur son taux d’acceptation. Les demandeurs ont aussi dit craindre que les remarques que le commissaire avait faites en privé à une avocate du même cabinet que leur conseil concernant la faible probabilité de succès des requêtes pour partialité entravent son pouvoir discrétionnaire.

 

[18]           La SPR a rejeté les deux requêtes et a instruit la demande au fond.

 

[19]           Le 10 septembre 2012, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.

 

IV. La décision faisant l’objet du contrôle

La requête en récusation

[20]           S’agissant de la requête en récusation des demandeurs, la SPR a, dans un premier temps, rejeté leur requête en ajournement d’audience visant à leur donner le temps de préparer par écrit leur requête en récusation. La SPR a souligné que l’avocate des demandeurs avait eu suffisamment de temps pour rédiger la requête avant l’audience puisqu’elle était en possession des documents pertinents depuis juin 2012 et qu’il s’était passé 20 jours depuis la dernière tentative de la SPR de tenir une audience.

 

[21]           De plus, la SPR n’a pas accepté l’allégation des demandeurs quant à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. La SPR a constaté les faits suivants :

  • L’affidavit présenté par une autre avocate du même cabinet que le conseil des demandeurs n’a pas été rédigé à la même période que la conversation que celle-ci aurait eue avec le commissaire de la SPR : il a plutôt été rédigé 13 jours plus tard. Son contenu aurait été paraphrasé et sujet à des interprétations divergentes. De même, la Commission a estimé qu’il était peu plausible que le commissaire ait formulé de tels commentaires, car il ne parle habituellement pas des requêtes pour partialité à l’extérieur de la salle d’audience. Le commissaire a donc décidé que rien ne l’empêchait de se prononcer sur les autres allégations de partialité qui lui avaient été présentées.
  • Une preuve statistique des taux d’acceptation ne peut constituer en elle‑même un argument de partialité. Les statistiques ne fournissent aucune analyse du contenu des décisions des commissaires de la SPR.
  • Les demandeurs n’ont pas fourni à la SPR une copie de l’article de presse sur la base duquel ils disent s’être formé l’opinion que le commissaire avait un préjugé défavorable contre les catholiques chinois; elle ne pouvait donc guère accorder de poids à cette preuve.

 

[22]           Après avoir tiré ces conclusions, la SPR a jugé que les demandeurs n’avaient pas fourni des motifs ni d’éléments de preuve suffisants pour appuyer leur requête pour partialité. La SPR a estimé qu’une personne raisonnable, bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique, n’arriverait pas à la conclusion que dans les circonstances, le commissaire ne disposerait pas de la demande des demandeurs de façon équitable.

 

La conclusion sur la crédibilité

[23]           La SPR a jugé que les demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’ils n’avaient pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse qu’ils risquaient vraisemblablement d’être persécutés ou d’être personnellement exposés à un risque pour leur vie ou à des traitements ou des peines cruels ou inusités s’ils étaient renvoyés en Chine.

 

[24]           La SPR a d’abord constaté que l’omission par la demanderesse principale de fournir une preuve de l’article de presse sur lequel sa famille s’était fondée pour se former l’opinion de partialité affaiblissait sa crédibilité générale. La SPR a tiré de ce fait une conclusion défavorable quant à la crédibilité, puisqu’il faisait craindre que la famille n’hésiterait pas à faire des allégations non fondées pour étayer une requête pour partialité.

 

[25]           La SPR a aussi jugé que le fait pour la demanderesse principale d’avoir affirmé à l’audience qu’elle craignait également d’être renvoyée en Chine après avoir été stérilisée de force entachait sa crédibilité. Elle n’avait fait mention de ce fait ni dans son formulaire de renseignements personnels [FRP], ni dans les autres formulaires d’immigration. La SPR a donc tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité à l’égard de ce qu’elle percevait comme étant une bonification de son exposé circonstancié.

 

[26]           De plus, la SPR a constaté un certain nombre d’irrégularités dans la preuve concernant des points essentiels de la demande d’asile présentée par la demanderesse principale et mis en doute l’authenticité d’un certain nombre de documents déposés en preuve, notamment la note du médecin rédigée en deux couleurs différentes, la citation à comparaître télécopiée en vue de son arrestation, une carte de visite de prison télécopiée par un parent d’un membre de l’Église et l’avis de suspension de l’école remis à sa fille. Vu qu’il n’y avait aucun moyen de déterminer l’authenticité de ces documents, et vu l’usage très répandu de documents frauduleux en Chine, d’après l’expertise de la SPR, et vu la crédibilité entachée de la demanderesse principale, la SPR a accordé beaucoup moins d’importance à ces documents qu’à la preuve documentaire objective versée au dossier. La SPR a aussi accordé moins de poids au témoignage de vive voix de la demanderesse principale et à son FRP, étant donné qu’ils contenaient un certain nombre d’incohérences et d’omissions.

 

[27]           Tout compte fait, la SPR a jugé que les allégations des demandeurs n’étaient pas étayées par une preuve documentaire objective. La SPR a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque s’ils étaient renvoyés dans la province du Guangdong, car, selon la preuve prépondérante, les membres des petites maisons‑églises ne faisaient généralement pas l’objet de persécution au Guangdong. À cet égard, la SPR a fait remarquer que la preuve documentaire « n’appuie pas les allégations de la demandeure d’asile principale selon lesquelles la police et les autorités gouvernementales veulent fermer les églises catholiques clandestines au Guangdong » (la décision, au paragraphe 34). La SPR a ensuite affirmé qu’« il y a peu d’éléments de preuve convaincants, s’il en est, montrant que les agents du gouvernement veulent persécuter les simples paroissiens d’églises catholiques clandestines » (la décision, au paragraphe 53). La SPR a en outre constaté que rien dans la preuve documentaire n’indiquait qu’il y avait eu une descente et des arrestations à la maison‑église que la demanderesse principale fréquentait dans la province du Guangdong. L’absence d’une telle preuve corroborant le témoignage des demandeurs a conduit la SPR à tirer une conclusion défavorable. La SPR a, en conséquence, jugé que l’allégation de persécution des demandeurs n’était pas crédible.

[28]           Vu ses constations quant à la crédibilité et sa conclusion générale selon laquelle la version donnée par les demandeurs des événements survenus en Chine ne correspondait pas à la preuve documentaire, la SPR a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de prouver la véracité de leur allégation de risque de persécution ou de torture.

 

V. Les questions en litige

[29]           1)   La SPR a‑t‑elle eu tort de rejeter la requête en récusation des demandeurs?

2)   La conclusion de la SPR quant à la crédibilité est‑elle raisonnable?

3)   L’évaluation faite par la SPR du risque auquel sont exposés les demandeurs dans la province du Guangdong est‑elle raisonnable?

 

VI. Les dispositions législatives applicables

[30]           Les dispositions législatives pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VII.     La thèse des parties

[31]           Les demandeurs affirment tout d’abord que le commissaire de la SPR a contrevnu aux principes de justice naturelle lorsqu’il a refusé de se récuser. Citant la jurisprudence bien établie dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty, précité, les demandeurs font valoir qu’ils ont été privés d’une audience équitable en raison de la partialité du commissaire et qu’une personne bien informée, qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique, percevrait aussi une partialité de la part du commissaire. Plus particulièrement, les demandeurs affirment que leur crainte de partialité était dûment étayée par les éléments suivants :

  • les taux de reconnaissance publiés de la SPR pour 2011, qui indiquent que le commissaire n’a accepté aucune des 127 demandes d’asile qu’il a entendues provenant de Chine cette année‑là;
  • les témoignages de la demanderesse principale et de sa fille adulte, qui affirment qu’elles seraient privées d’une audience équitable si le commissaire présidait l’instruction de la demande, car elles ont lu dans un article de presse chinois qu’il manifestait de la partialité envers les réfugiés catholiques d’origine chinoise;
  • un affidavit de Me Lindsay Weppler, avocate au même cabinet d’avocats que le conseil des demandeurs, dans lequel elle relate des commentaires formulés par le commissaire selon qui les requêtes en récusation fondées sur les taux de reconnaissance sont [traduction] « une perte de temps »;
  • une demande d’accès à l’information déposée par le conseil auprès de la SPR concernant la répartition des cas entre les commissaires de la SPR, laquelle indique qu’en 2011, le commissaire ne s’est pas vu confier de cas de demande d’asile particulièrement complexes qui pourraient se distinguer de ceux qui ont été attribués aux autres commissaires de la SPR.

 

[32]           De plus, les demandeurs soutiennent que les conclusions de la SPR touchant la crédibilité sont fondées sur des considérations non pertinentes et qu’elles ont manifestement été faussées par la requête pour partialité des demandeurs. Les demandeurs contestent principalement les conclusions défavorables touchant la crédibilité que la SPR a tirées au vu de la preuve documentaire qu’ils lui ont présentée, notamment la note du médecin, l’article de presse chinois, la carte de visite de la prison, la citation à comparaître pour l’arrestation éventuelle de la demanderesse principale et l’avis de suspension de l’école pour sa fille. Les demandeurs affirment qu’aucun fondement raisonnable ne justifiait le rejet de ces documents.

 

[33]           Les demandeurs prétendent également que la SPR a mal interprété la preuve documentaire au dossier et appliqué une définition trop restreinte de la liberté de religion. Ils soutiennent, comme c’était le cas dans l’affaire Weng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1483, que la SPR a eu tort d’affirmer, simplement parce qu’il n’y a pas d’information sur les catholiques clandestins dans la province du Guangdong, qu’aucun renseignement n’indiquait que quiconque avait été victime de suppression ou de persécution dans cette province, et de ne retenir que l’absence de preuves touchant les descentes et les arrestations. Les demandeurs font valoir que ces faits en eux‑mêmes ne prouvent pas que la liberté de religion est respectée dans leur province.

 

[34]           Les demandeurs citent aussi la décision Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 65, afin d’appuyer leur thèse concernant le caractère déraisonnable de la conclusion de la SPR selon laquelle ils ne seraient pas persécutés au Guangdong. Les demandeurs prétendent qu’il existe certains rapports sur la persécution de personnes et sur la destruction de maisons‑églises dans la province du Guangdong et que la SPR était tenue d’en tenir compte.

 

[35]           En réponse aux allégations de partialité des demandeurs, le défendeur fait observer qu’ils n’ont pas satisfait au critère rigoureux permettant d’établir une crainte raisonnable de partialité (R c RDS, [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 113). Le défendeur soutient qu’ils n’ont présenté aucun élément de preuve convaincant permettant de démontrer que la conduite du décideur avait suscité une crainte raisonnable de partialité.

 

[36]           S’agissant des conclusions de la SPR quant à la crédibilité, le défendeur estime que les demandeurs prient la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et d’en arriver à une conclusion différente. Le défendeur insiste pour dire que la SPR a examiné avec soin tous les éléments de preuve et que les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’une erreur susceptible de contrôle.

 

VIII. Analyse

La norme de contrôle

[37]           La norme de contrôle applicable aux questions touchant l’appréciation des éléments de preuve par la SPR ou les conclusions relatives à la crédibilité est celle de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, (QL/Lexis) (CAF), au paragraphe 4).

 

[38]           En revanche, les questions d’équité procédurale, telles la crainte raisonnable de partialité, sont examinées selon la norme de la décision correcte (Azziz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 663, 368 FTR 281; Dhaliwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 7, au paragraphe 27).

 

(1)  La SPR a‑t‑elle eu tort de rejeter la requête en récusation des demandeurs?

 

[39]           Le critère de la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Grandpré dans l’arrêt, souvent cité, Committee for Justice and Liberty, précité :

[…] La crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Ce critère consiste à se demander […] à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

 

[40]           Le demandeur qui allègue la partialité doit satisfaire à une norme très rigoureuse. Il doit fournir une « preuve convaincante » démontrant qu’un aspect de la conduite d’un commissaire de la SPR suscite une crainte raisonnable de partialité (R c RDS, précité, aux paragraphes 116 et 117). Comme il est précisé dans l’arrêt Arthur, précité, une allégation de partialité ne peut être faite à la légère :

[8]        […] Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. [Non souligné dans l’original.]

 

[41]           Dans la présente affaire, les demandeurs soutiennent que les taux de reconnaissances publiés de la SPR pour 2011, les témoignages de la demanderesse principale et de sa fille adulte, l’affidavit de Me Lindsay Weppler sur les commentaires officieux formulés par le commissaire de la SPR selon qui les requêtes en récusation sont une [traduction] « perte de temps » et la demande d’accès à l’information concernant la répartition des cas de demandes d’asile entre les commissaires de la SPR donnent lieu, collectivement, à une crainte raisonnable de partialité en l’espèce, et que la SPR a commis une erreur en ne tirant pas une telle conclusion. La Cour ne souscrit pas à cette thèse.

 

[42]           Lorsqu’il s’est demandé si les demandeurs avaient une crainte raisonnable de partialité, le commissaire de la SPR a tenu compte de l’ensemble de la preuve documentaire et testimoniale mentionnée ci-dessus – sauf l’article de presse cité par les demandeurs dans leur témoignage et la preuve documentaire relative à la demande d’accès à l’information, aucun de ces éléments n’ayant été présenté à la SPR. Toutefois, la SPR a estimé que la preuve était insuffisante pour étayer cette crainte. La Cour ne peut procéder à un nouvel examen de cette preuve ou du poids accordé aux différents facteurs de l’allégation de partialité.

 

[43]           Dans ses motifs, la SPR a accordé une attention particulière à la preuve produite par les demandeurs sur les taux de reconnaissance du commissaire de la SPR pour 2011, car il s’agissait d’un élément clé de leur allégation. La SPR a estimé qu’aucune analyse statistique de ces données n’ayant été faite par un témoin expert, elle ne pouvait en tirer aucune conclusion raisonnable. La Cour est du même avis. Les données présentées par les demandeurs n’offrent aucune analyse des raisons qui ont justifié ces décisions, pas plus qu’elles ne donnent une évaluation des facteurs relevés dans ces décisions qui pourraient révéler une partialité. La Cour ne saurait accepter ces statistiques, en elles‑mêmes, comme l’indication d’une partialité. Comme l’a fait observer le juge Russel Zinn dans la décision Turoczi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1423, « le taux d’acceptation et de rejet ne dit en soi rien à la “personne sensée” » (au paragraphe 14).

 

[44]           Quant aux autres preuves fournies par les demandeurs pour appuyer la requête pour partialité, la Cour estime que la SPR a là aussi fait une évaluation raisonnable. L’affidavit de Me Weppler relate des commentaires officieux pour lesquels notre Cour ne dispose d’aucun contexte et qui ont été formulés presque deux semaines avant que Me Weppler ne signe son affidavit. De même, la preuve testimoniale des demandeurs repose principalement sur un élément de preuve documentaire (un article de presse chinois) qui n’a même pas été produit devant la SPR; les demandeurs n’ont pu expliquer de façon crédible pourquoi ils n’avaient pas fourni l’article à la SPR avant l’audience.

 

[45]           Compte tenu de ces circonstances, la Cour ne voit pas comment une personne bien informée, qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique, en arriverait à une conclusion différente de celle qu’a tirée le commissaire de la SPR dans cette affaire. La Cour est donc d’avis que l’allégation de partialité faite par le conseil des demandeurs n’est pas fondée.

 

[46]           Qui plus est, il semble à la Cour que la grave allégation de partialité faite par le conseil des demandeurs à l’égard du commissaire de la SPR est une réaction plutôt disproportionnée à la décision défavorable que celui‑ci a rendue sur cette question. De plus, il semble provocant d’attaquer le commissaire qui présidait l’audience de la SPR dans les termes utilisés par le conseil. Par exemple, la Cour cite, au paragraphe 17 du mémoire du droit et des arguments des demandeurs, les remarques suivantes : [traduction] « Nous faisons donc valoir que l’appréciation par le commissaire de la SPR du témoignage de Me Weppler était complaisant et abusif. »

 

(2)  La conclusion de la SPR quant à la crédibilité est‑elle raisonnable?

 

[47]           Comme il est énoncé clairement dans la jurisprudence, il ne suffit pas au demandeur de démontrer que des conclusions différentes auraient pu être tirées au vu de la preuve dans un contrôle judiciaire (Lan Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1398, 422 FTR 108; Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1255, au paragraphe 3). De même, il incombe au demandeur de démontrer que les conclusions de la SPR sont abusives, arbitraires ou fondées sur une mauvaise interprétation de la preuve qui lui avait été présentée (He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 525).

 

[48]           Dans la présente affaire, le principal point de désaccord des demandeurs concernant l’évaluation de la crédibilité par la SPR porte sur son rejet de certains éléments de preuve documentaire présentés par eux. Les demandeurs font valoir que les préoccupations du commissaire de la SPR quant à la crédibilité concernant certains éléments du dossier sont des motifs insuffisants pour [traduction] « mettre en doute chacune des allégations des demandeurs » et rejeter ces éléments de preuve.

 

[49]           Cette affirmation diffère de la jurisprudence de notre Cour, où il est bien établi qu’une conclusion générale quant au manque de crédibilité peut avoir un effet sur tous les éléments de preuve présentés par un demandeur, y compris la preuve documentaire, et en fin de compte entraîner le rejet de la demande (Ayub, précité, aux paragraphes 8 et 9, Nijjer, précité; Alonso, précité).

 

[50]           La Cour estime que la conclusion de la SPR quant à la crédibilité n’est pas fondée sur des considérations insuffisantes ou non pertinentes. Elle a fondé sa décision sur des irrégularités dans la note du médecin de la demanderesse principale, ainsi que sur des incohérences et des omissions dans son FRP et son témoignage de vive voix. La SPR a aussi tiré une conclusion défavorable importante quant à la crédibilité du fait que la demanderesse principale n’a pas fourni des éléments de preuve documentaire qui étaient essentiels à sa demande d’asile et qu’elle ou son conseil aurait facilement pu obtenir (par exemple, la demande d’accès à l’information et l’article de presse chinois au sujet des taux de reconnaissance du commissaire). Ces facteurs ont gravement discrédité les allégations de la demanderesse principale. La Cour estime qu’il était raisonnablement loisible à la SPR d’en tirer les conclusions auxquelles elle est arrivée.

 

(3) L’évaluation faite par la SPR du risque auquel sont exposés les demandeurs dans la province du Guangdong est‑elle raisonnable?

 

[51]           Dans l’ensemble, la Cour estime que la SPR n’a pas tiré une conclusion erronée concernant les risques auxquels les demandeurs pourraient être exposés s’ils étaient renvoyés en Chine. Dans ses motifs, la SPR démontre clairement qu’elle a lu et apprécié tous les éléments de la preuve documentaire versés au dossier et elle explique suffisamment pourquoi elle est arrivée à sa décision.

 

[52]           Il ressort clairement que la SPR s’est montrée bien informée des éléments de preuve mixtes touchant le traitement des catholiques dans la province chinoise du Guangdong. Dans ses dix pages de conclusions portant sur les allégations de risques auxquels seraient exposés les demandeurs, la SPR reconnaît que la documentation sur les conditions au pays révèle que le sort réservé aux catholiques en Chine « varie de façon importante » et que le niveau de risque varie grandement d’une province à l’autre. La SPR souligne aussi l’existence de preuves contradictoires concernant le traitement des catholiques, en particulier au Guangdong (la décision, aux paragraphes 44 et 45). Toutefois, la SPR conclut qu’au bout du compte, les provinces du Fujian et du Guangdong sont plus tolérantes que les autres provinces envers les catholiques.

 

[53]           En outre, la SPR constate que la preuve documentaire objective sur les arrestations et les descentes qui se sont réellement produites dans les églises clandestines de ces provinces est limitée, ce qui constitue selon elle un indicateur important pour déterminer s’il y a un risque grave de persécution dans la province du Guangdong. La SPR conclut que s’il y avait eu des descentes ou si les catholiques avaient été arrêtés au Guangdong comme l’ont allégué les demandeurs, il y aurait logiquement de la documentation disponible à ce sujet, d’autant plus qu’il est possible d’obtenir de la documentation sur le traitement des catholiques dans des régions beaucoup plus isolées du pays. La SPR cite les décisions Nen Mei Lin c MCI, IMM‑5425‑08, Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 654, et Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 636, à cet effet.

 

[54]           La Cour conclut qu’elle ne peut modifier la décision de la SPR en l’espèce puisqu’il était raisonnablement loisible à la SPR de tirer ses conclusions, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait. La SPR a adéquatement apprécié la preuve produite devant elle. La décision appartient donc « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

IX. Conclusion

[55]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR

REJETTE la demande de contrôle judiciaire des demandeurs;

aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑10173‑12

 

INTITULÉ :                                                  AI ZHEN ZHU
SI MING YANG
QI MING YANG c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 7 novembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 13 novembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Georgina Murphy

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Bridget A. O’Leary

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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