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Date : 20131025

Dossier : IMM‑11221‑12

Référence : 2013 CF 1084

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

DONDRE CALBERT HENRY

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] a déterminé que Dondre Calbert Henry n’avait pas qualité de « réfugié » au sens de l’article 96 de la LIPR ni celle de « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

I.          Les faits

[2]               Dondre Calbert Henry [le demandeur] est un citoyen de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines [Saint‑Vincent], où il est né le 23 octobre 2000.

 

[3]               La mère du demandeur, Michelle Hooper, a été nommée représentante désignée de son fils mineur.

 

[4]               Pour échapper à son propre père qui était violent, la mère du demandeur a quitté Saint‑Vincent en décembre 2007. Faute de moyens financiers, elle n'a pu emmener le demandeur. Pendant que sa mère était au Canada, ce dernier est demeuré chez l’ami de sa mère, où il a été maltraité à tel point qu’un hôpital a voulu le placer sous la garde des services d’aide à l’enfance. À la demande de sa mère, le demandeur a plus tard déménagé chez les parents de celle‑ci, où il a aussi été maltraité. Puis il a été confié à la sœur de sa mère, qui en a eu la garde pendant plusieurs mois, jusqu’à son arrivée au Canada.

 

[5]               En mai 2009, deux ans après son arrivée au Canada, la mère du demandeur a demandé l’asile au motif qu’elle était maltraitée par son propre père, qui refusait de subvenir à ses besoins financiers. Sa demande a été rejetée en février 2011 pour absence de crainte de persécution. Elle a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision, mais la demande a été rejetée.

 

[6]               La mère du demandeur affirme être dans l’impossibilité de présenter une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire [demande CH], car les coûts associés à une telle demande dépassent ses moyens financiers. Pourtant, durant l’audition du contrôle judiciaire, l’avocat du demandeur a indiqué que la mère et son fils avaient déposé une demande CH.

 

[7]               En juillet 2010, le demandeur a rendu visite à sa mère au Canada et y a séjourné deux mois, mais il est retourné à la résidence de ses grands‑parents. Le demandeur est revenu au Canada en juillet 2011 et a demandé l’asile.

 

[8]               La mère du demandeur a été avisée que son renvoi du Canada aurait lieu au plus tard le 12 juillet 2012. Toutefois, elle a demandé le report de son renvoi, ce qui lui a été accordé après qu’elle eut fait valoir que son fils, le demandeur, souffrait d’anxiété causée par la séparation, qu’il ne devrait pas être séparé de sa mère et que son renvoi devait donc être reporté en attendant le résultat de la demande d’asile du demandeur.

 

II.        La décision contrôlée

[9]               La SPR s’est dite convaincue de l’identité du demandeur au vu des éléments de preuve présentés.

 

[10]           En dernière analyse, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas de crainte fondée de persécution dans l’éventualité de son retour à Saint‑Vincent accompagné de sa mère et que, selon la prépondérance des probabilités, il n’y serait pas personnellement exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitement ou de peine cruels et inusités.

 

[11]           Après avoir exposé les faits sur lesquels repose sa décision, la SPR a précisé qu’elle entendait tenir compte du fait que la demande d’asile de sa mère avait été rejetée, que celle‑ci avait décidé de ne pas présenter une demande pour des raisons d’ordre humanitaire et que son renvoi était imminent dans l’examen de la demande d’asile du demandeur.

 

[12]           La SPR a d’abord expliqué qu’elle déterminerait si les allégations formulées à l’égard du demandeur étaient dignes de foi et, le cas échéant, elle entendait évaluer les conséquences du retour du demandeur dans son pays d’origine.

 

[13]           D’une part, la SPR a conclu, sur la foi des preuves présentées, que le demandeur avait effectivement été victime de violence et de maltraitance équivalant à de la persécution à Saint‑Vincent, mais d’autre part, qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ou exposé, selon toutes probabilités, à un risque pour sa vie ou à un risque de traitement ou de peine cruels et inusités s’il retournait dans son pays d’origine.

 

[14]           La SPR a fondé sa conclusion sur le rapport d’un médecin dans lequel il est indiqué que le demandeur craint énormément d’être séparé à nouveau de sa mère et qu’il a des amis à Saint‑Vincent qui lui manquent. La SPR a insisté sur l’importance de ne pas séparer le demandeur de sa mère et a relevé que dans un avenir proche, la mère du demandeur devrait quitter le Canada. La SPR a donc conclu que les circonstances seraient très différentes si le demandeur devait retourner à Saint‑Vincent. Il ne serait plus pris en charge par ses grands‑parents; il serait avec sa mère. En conséquence, la SPR a jugé que le demandeur n’avait pas une crainte de persécution.

 

[15]           La SPR a ensuite traité de la décision rendue à l’égard de la demande d’asile de la mère du demandeur et plus particulièrement des difficultés que celle‑ci a éprouvées avec son propre père. D’après cette décision, bien que le grand‑père du demandeur soit un homme violent et qu’il ait rendu la vie de sa mère insupportable, il lui faisait subir des menaces parce qu’il ne voulait pas assumer la responsabilité économique de sa fille, une femme adulte. Il semble qu’il n’ait agressé aucun de ses autres enfants au cours des dernières années. Toujours d’après cette décision, il n’y aurait pas au bout du compte de possibilités sérieuses que la mère du demandeur soit agressée si elle retournait à Saint‑Vincent et se gardait de retourner chez ses parents.

 

[16]           La SPR a aussi tenu compte du témoignage de la mère du demandeur, à savoir que lorsque son fils habitait chez la sœur de sa mère, à plusieurs villages de distance de la résidence des grands‑parents du demandeur, il devait quand même passer devant cette résidence et son grand‑père lui criait après. La SPR a jugé que cette partie du témoignage n’était pas crédible, puisque sa décision antérieure concernant la mère du demandeur indiquait que le grand‑père de ce dernier ne cherchait pas à se venger, mais qu’il refusait simplement de soutenir sa fille financièrement.

 

[17]           La SPR a conclu que si le demandeur retournait à Saint‑Vincent avec sa mère, lui et sa mère n’auraient pas à résider à proximité des parents de celle‑ci. L’élément le plus important était d’éviter que le demandeur soit séparé de sa mère.

 

[18]           La SPR a ensuite abordé la question de la disponibilité de soins psychiatriques à Saint‑Vincent, question qui relève de l’article 97 de la Loi. Elle a estimé que même si le demandeur reçoit d’excellents traitements au Canada, le fait que des soins psychiatriques de même qualité ne soient pas disponibles à Saint‑Vincent ne constitue pas un motif de persécution, étant donné que ce risque découle de priorités financières légitimes, qui déterminent le choix de ce pays de ne pas fournir de tels soins, et non de motifs illégitimes.

 

[19]           De plus, la SPR a tenu compte de plusieurs éléments de preuve mis de l’avant par l’avocat du demandeur (entre autres, un rapport sur les châtiments corporels à Saint‑Vincent, une étude sur la vulnérabilité de l’enfant, et un document sur les traitements et le soutien accordés aux personnes souffrant d’un état de stress post‑traumatique et de problèmes de santé mentale). La SPR a conclu que ces éléments n’étaient pas pertinents en l’espèce ou qu’il s’agissait d’un refus de fournir des soins constituant de la persécution.

 

[20]           Enfin, la SPR a conclu que ni la question de la protection de l’État, ni la question des possibilités de refuge intérieur ne sont pertinentes dans la présente affaire.

 

III.       Les observations du demandeur

[21]           Le demandeur met de l’avant les quatre points suivants qui, selon lui, rendent la décision de la SPR déraisonnable : 1) la SPR a appliqué de façon inappropriée le critère du « changement de circonstances » prévu à l’alinéa 108(1)e) de la LIPR; 2) elle a eu tort de statuer qu’il n’y avait pas de raisons impérieuses d’accepter la demande d’asile du demandeur par application du paragraphe 108(4) de la LIPR; 3) la SPR a commis une erreur en concluant que le demandeur n’aurait pas à craindre la persécution s’il retournait à Saint‑Vincent avec sa mère; 4) la SPR ne s’est pas prononcée sur le fond de la demande d’asile du demandeur.

 

[22]           Le demandeur fait d’abord valoir que la SPR n’a pas appliqué de façon appropriée le critère du « changement de circonstances » prévu à l’alinéa 108(1)e) de la LIPR. La SPR a reconnu que le demandeur a été victime de violences équivalant à de la persécution; toutefois, malgré cette reconnaissance, elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’était pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution ou à un risque de traitement ou de peine cruels et inusités s’il retournait à Saint‑Vincent, en raison d’un changement de circonstances, à savoir qu’il serait avec sa mère. La SPR a constaté que la mère du demandeur devait retourner à Saint‑Vincent parce que son renvoi n’avait été que reporté et qu’elle n’avait pas présenté de demande d’asile pour des raisons d’ordre humanitaire. Bien qu’elle ait voulu se garder de spéculer sur ce qui se passerait à l’avenir, c’est exactement ce que la SPR a fait. De fait, au moment où la SPR a rendu sa décision, la mère du demandeur était encore au Canada et il n’y avait pratiquement pas eu de changement de circonstances.

 

[23]           De plus, le demandeur invoque le critère énoncé à l’alinéa 108(1)e) de la LIPR servant à déterminer s’il s’est produit un « changement de circonstances ». Selon le libellé de cette disposition, le changement doit déjà avoir eu lieu.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés LC 2001, ch. 27

 

Rejet

 

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

 

[…]

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

 

Rejection

 

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

[...]

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

 

[24]           Qui plus est, il est établi dans la jurisprudence que le rejet d’une demande sur la base d’un « changement de circonstances » suppose un changement significatif de la situation politique ou sociale dans le pays, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le demandeur est donc d’avis que la SPR a appliqué de façon inappropriée le critère du « changement de circonstances », et qu’il n’y avait pas de changement de ce genre en l’espèce.

 

[25]           Deuxièmement, le demandeur soutient qu’outre l’application inappropriée de ce critère, la SPR a commis une erreur en déterminant qu’il n’y avait pas de raisons impérieuses d’accepter la demande d’asile du demandeur en application du paragraphe 108(4) de la LIPR, comme elle y était tenue, puisqu’il était reconnu que le demandeur avait été victime de maltraitance équivalant à de la persécution. La disposition se lit comme suit :

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

LC 2001, ch. 27

 

Exception

 

108. (4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

 

Exception

 

108. (4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

 

[26]           Le demandeur affirme qu’il conserve des séquelles de la maltraitance, même s’il vit maintenant avec sa mère, et qu’un retour dans son pays d’origine compromettrait sa santé psychologique, compte tenu de son âge, du traumatisme subi, de sa souffrance morale et émotionnelle permanente, etc. En arrivant à une conclusion différente, la SPR a soit ignoré la preuve documentaire présentée, soit nié fallacieusement la souffrance subie par le demandeur. Cette erreur rend la décision de la SPR déraisonnable.

 

[27]           À titre de troisième argument, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure qu’il n’éprouverait pas une crainte subjective de persécution s’il retournait à Saint‑Vincent avec sa mère, alors que la SPR a reconnu qu’il avait été victime de violences équivalant à de la persécution. La SPR a insisté sur l’importance que le demandeur reste avec sa mère. Le demandeur prétend que la SPR minimise la violence dont il a été victime au motif que ses amis lui manquent et qu’il ne veut pas être séparé de sa mère, des sentiments qu’il est raisonnable qu’un enfant exprime dans ces circonstances. Il ajoute que dans sa décision, la SPR n’a pas pris en compte les vulnérabilités particulières aux enfants et les Directives no 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié [Directives no 3], qui servent à déterminer la crainte subjective chez un enfant.

 

[28]           Enfin, le demandeur fait observer que la SPR ne s’est pas prononcée sur le fond de la demande et qu’elle n’a pas procédé à une analyse de la protection de l’État. Il ajoute que la SPR s’est engagée dans une analyse des risques associés au retour de la mère à Saint‑Vincent et non à celui du demandeur lui‑même, et qu’elle a conclu que la mère et le fils ne subiraient pas de préjudice à l’avenir parce qu’ils seraient réunis à Saint‑Vincent. Le demandeur voit mal comment la SPR peut affirmer, d’une part, que le demandeur a souffert de maltraitance équivalant à de la persécution et, d’autre part, que la protection de l’État n’est pas pertinente dans cette affaire. Il ressort clairement de la documentation présentée que la maltraitance des enfants demeure un problème répandu à Saint‑Vincent en raison d’une législation [traduction] « tout à fait dépassée » et de l’absence de maisons d’accueil pour les enfants victimes de mauvais traitements. La SPR a surtout prêté attention à la demande d’asile de la mère, sans se prononcer sur le bien‑fondé de la demande du demandeur. La SPR ayant reconnu comme avérée l’allégation du demandeur, une analyse en bonne et due forme de sa demande était justifiée.

 

IV.       Les observations du défendeur

[29]           Le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur ne serait pas persécuté s’il retournait à Saint‑Vincent avec sa mère, parce qu’il serait avec elle et non plus avec son grand‑père, ce qui éliminerait la crainte d’être persécuté. Il ajoute que la SPR n’a pas eu tort de conclure que le demandeur n’avait pas démontré l’existence de raisons impérieuses au sens du paragraphe 108(4) de la LIPR.

 

[30]           Pour ce qui est de l’absence de crainte d’être persécuté, le défendeur fait observer que le demandeur n’a été maltraité que parce qu’il n’avait d’autre choix que de demeurer temporairement chez ses grands‑parents. Lui et sa mère étant dans la même situation, la maltraitance cesserait s’ils quittaient la résidence du grand‑père. De plus, tous les éléments de preuve présentés indiquent que le renvoi de la mère du demandeur n’a été reporté qu’en attendant le résultat de la demande d’asile du demandeur. Ce renvoi était imminent et, considérant à quel point ce fait est vital pour la demande du demandeur, la SPR n’avait d’autre choix que de constater que la mère était sur le point de quitter le pays, ce qui signifiait la réunion de la mère et du fils.

 

[31]           Le demandeur n’a pas réussi à établir l’existence d’un risque réel ou prospectif de persécution s’il retournait au pays. De plus, s’il est en mesure de faire un choix raisonnable pour éviter d’être persécuté dans son pays, le demandeur doit retenir cette option. Or, c’est le cas en l’espèce, puisque le demandeur et sa mère pourraient simplement décider de résider n’importe où ailleurs que chez leurs agresseurs.

 

[32]           Pour ce qui est de l’absence de raisons impérieuses au sens du paragraphe 108(4) de la LIPR, le défendeur soutient que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir qu’il répondait, au moins sur un point, à la définition de réfugié ou de personne à protéger. De fait, la SPR a estimé que sa crainte d’être persécuté n’était pas fondée. Le demandeur avait l’obligation de démontrer un risque de persécution s’il retournait au pays, ce qu’il n’a pas fait. De toute façon, le demandeur n’a pas démontré l’existence de raisons impérieuses tenant à des persécutions. En fait, comme l’indiquent ses propres éléments de preuve, les problèmes psychologiques du demandeur et son inquiétude sont tous liés à l’éventualité d’être séparé de sa mère, et non à celle de son retour au pays.

 

[33]           Le défendeur soutient par ailleurs que, contrairement à ce que prétend le demandeur, la SPR s’est bel et bien prononcée sur le bien‑fondé de la demande. Elle a effectivement examiné tous les éléments de preuve présentés et tenu compte du traumatisme subi par le demandeur. La SPR croit que le demandeur est réellement une victime de maltraitance équivalant à de la persécution au vu de la preuve médicale versée au dossier et des deux rapports psychologiques relatifs à la santé du demandeur. Compte tenu de la preuve abondante qui a amené la SPR à déterminer que la principale préoccupation du demandeur était de rester avec sa mère, la décision de la SPR était raisonnable. La maltraitance dont le demandeur a souffert ne se poursuivra pas s’il retourne à Saint‑Vincent, parce qu’il ne résidera pas chez ses grands‑parents.

 

[34]           De plus, au sujet des Directives no 3 mentionnées par le demandeur, le défendeur estime qu’à l’évidence ces Directives ont été prises en considération et que la SPR n’était aucunement tenue de les mentionner dans sa décision. De fait, la SPR a fait tout ce qui était en son pouvoir pour tenir compte de l’intérêt supérieur du demandeur.

 

[35]           Quant à la protection de l’État, le défendeur soutient que la SPR n’était nullement tenue de déterminer l’existence d’une telle protection, puisqu’elle estimait que le demandeur ne serait pas exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitement ou de peine cruels et inusités s’il retournait à Saint‑Vincent.

 

V.        La question en litige

[36]           La SPR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande d’asile du demandeur fondée sur les articles 96 et 97 de la LIPR?

VI.       La norme de contrôle applicable

[37]           Les conclusions de la SPR au regard de la demande d’asile du demandeur fondée sur les articles 96 et 97 de la LIPR doivent être examinées selon la norme de contrôle de la décision raisonnable en ce qu’elles constituent une question mixte de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], au paragraphe 47). La Cour doit faire preuve de retenue envers les conclusions de la SPR, et son intervention ne peut être justifiée que si ces conclusions n’appartiennent pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

VII.     L’analyse

[38]           Avant d’entreprendre l’analyse de la question en litige, la Cour souhaite disposer de l’argument du demandeur à savoir que la SPR a appliqué de façon inappropriée le critère relatif au changement de circonstances énoncé à l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, reproduit au paragraphe 23.

 

[39]           L’argument du demandeur repose uniquement sur le passage suivant du paragraphe 18 des motifs de la SPR, qui se lit comme suit :

[18]      Le tribunal répète que les circonstances ont changé.  Auparavant, Dondre vivait à Saint‑Vincent‑les Grenadines sans sa mère. Il dépendait donc de ses grands‑parents pour son gîte et sa protection, mais ceux‑ci le maltraitaient. […]

[Je souligne.]

 

[40]           J’estime que le demandeur interprète correctement le critère de l’alinéa 108(1)e) soit – cette disposition suppose de fait un changement important dans la situation politique et sociale au pays –, mais je ne crois pas que la SPR ait voulu fonder son raisonnement sur ce critère. D’ailleurs, la décision ne fait aucune mention de l’alinéa 108(1)e). À mon sens, la SPR fait simplement référence à un nouvel élément, tenant au rejet de la demande d’asile de la mère du demandeur, rejet qui, selon la SPR, a une incidence sur la demande d’asile du demandeur. Dans la mesure où la SPR a employé la terminologie du critère sur lequel repose l’argument du demandeur, j’estime qu’il s’agit d’une coïncidence. Le demandeur a en vain relevé les termes choisis par la SPR dans l’espoir de découvrir une irrégularité dans la décision. L’argument en question est dépourvu de toute pertinence.

 

[41]           En conséquence, bien que je reconnaisse que la SPR a effectivement fait mention de la question des « raisons impérieuses » dans sa décision, je ne vois pas la nécessité de répondre à l’argument du demandeur concernant l’examen par la SPR des « raisons impérieuses » visées au paragraphe 108(4) de la LIPR. La SPR aurait été tenue de les examiner uniquement si elle avait fondé son rejet sur l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, ce qui n’est pas le cas. Comme notre Cour l’a établi dans la décision Contreras Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 343, [2006] ACF no 421 [Contreras Martinez], au paragraphe 21 :

Le libellé du paragraphe 108(4) indique clairement qu’il n’a pas pour but d’imposer à la SPR une large obligation d’examiner l’existence de « raisons impérieuses » dans chaque demande d’asile. Lorsqu’un demandeur d’asile n’est ni un réfugié ni une personne à protéger parce que les conditions exposées dans la définition générale figurant aux articles 96 et 97 de la LIPR ne sont pas remplies, la SPR n’est nullement tenue de procéder à un examen des « raisons impérieuses ». Cela n’est nécessaire que lorsque la demande est rejetée aux termes de l’alinéa 108(1)e).

 

[42]           De plus, comme l’a fait justement observer le défendeur, un arrêt de 1992 de la Cour d’appel fédérale, Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 946, 147 NR 317 [Hassan], concernant les paragraphes 2(2) et 2(3) de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I‑2, indique que pour invoquer l’évaluation des raisons impérieuses, un justiciable doit à un certain moment avoir eu qualité de réfugié ou de personne à protéger :

 

Il est évident, comme le laisse entendre l’appelant, que les paragraphes 2(2) et 2(3) de la Loi sur l’immigration traitent de la perte du statut de réfugié au sens de la Convention, en raison notamment du changement d’un fait pertinent survenu dans le pays dont le réfugié a la nationalité. Toutefois, ces dispositions ne changent en rien le critère utilisé pour déterminer initialement le statut d’un revendicateur. Il est de droit constant que pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention au sens accordé à cette expression par la Loi sur l’immigration, il faut respecter, à la fois, un critère de subjectivité et d’objectivité. On doit « craindre avec raison d’être persécuté ». On ne peut en arriver à la possibilité de perdre son statut de réfugié au sens de la Convention, c’est‑à‑dire que les paragraphes 2(2) et 2(3) ne peuvent s’appliquer, que si l’on est tout d’abord visé par la définition de la loi au paragraphe 2(1). [Non souligné dans l’original.]

 

[43]           Bien que l’arrêt Hassan renvoie à l’ancienne version de la LIPR, ce principe a été confirmé par les tribunaux après l’adoption de la nouvelle LIPR (voir Contreras Martinez, précitée, au paragraphe 20, et Brovina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, [2004] ACF no 771), au paragraphe 5.

 

[44]           À cet égard, bien que la SPR ait reconnu que le demandeur a été victime de maltraitance équivalant à de la persécution, elle n’a jamais considéré qu’il avait qualité de réfugié ou de personne à protéger. En fait, la SPR a conclu que la crainte du demandeur n’était pas fondée puisqu’il n’avait pas démontré l’existence d’un risque éventuel. De fait, la SPR a rejeté la demande du demandeur au motif qu’il ne satisfaisait pas aux conditions nécessaires pour être considéré comme un réfugié ou une personne à protéger. L’exception énoncée à l’alinéa 108(1)e) n’était pas applicable et la SPR n’était nullement tenue de procéder à une évaluation des « raisons impérieuses » visées au paragraphe 108(4) de la LIPR.

 

[45]           Ainsi donc, la seule question pertinente en l’espèce est de savoir s’il était raisonnable pour la SPR de rejeter les arguments du demandeur et de conclure qu’il n’avait qualité ni de « réfugié » au sens l’article 96 de la LIPR, ni de « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR. Je suis d’avis que ces conclusions étaient raisonnables pour les motifs ci‑après.

 

[46]           Quant à la conclusion de la SPR fondée sur l’article 96, il était raisonnable de juger que le demandeur ne craindrait pas avec raison d’être persécuté s’il retournait à Saint‑Vincent avec sa mère.

 

[47]           La mère du demandeur prétend qu’aucun changement réel n’est survenu dans la situation du demandeur et que la décision de la SPR se fonde sur des conjectures. Or, tel n’est pas le cas; la SPR a plutôt adopté une approche prospective, l’approche retenue dans la jurisprudence, et notamment par notre Cour dans la récente décision Sugiarto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1326, [2010] ACF no 1676, au paragraphe 14 :

 

[14]      Monsieur le juge Marshall Rothstein, dans la décision Pour‑Shariati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), [1995] 1 C.F. 767, 52 A.C.W.S. (3d) 621 (1re inst.), a souligné la nature prospective du critère servant à déterminer si une personne craint « avec raison d’être persécutée », mis en avant par l’article 96 de la LIPR. Au paragraphe 17, il a mentionné :

 

Avant d’examiner cette jurisprudence, je tiens à rappeler que toute personne revendiquant le statut de réfugié au sens de la Convention doit démontrer, à l’appui de sa demande, qu’elle craint avec raison d’être persécutée à l’avenir. Les preuves ainsi produites peuvent établir que la personne en cause a, dans le passé, fait l’objet de persécutions systématiques, dans son pays d’origine. Mais, en soi, cela ne suffit pas. En effet, le critère applicable aux fins du statut de réfugié au sens de la Convention est un critère prospectif et non pas rétrospectif. Voir, par exemple, Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Mark (1993), 151 N.R. 213 (C.A.F.), à la page 215. S’il est important de démontrer l’existence de persécutions passées, c’est parce que cela sert de fondement à la crainte d’être persécutée à l’avenir. Ce qui compte vraiment, cependant, c’est de convaincre qu’on craint avec raison d’être persécuté à l’avenir. [Je souligne.]

 

[48]           C’est un fait qu’au moment de l’audience, tous les éléments de preuve indiquaient qu’il était prévu que la mère du demandeur retourne à Saint‑Vincent. Effectivement, son renvoi n’a été reporté qu’en attendant le résultat de la demande du demandeur, lequel est imminent. Le fait que le retour de la mère du demandeur à Saint‑Vincent soit prévu est crucial pour disposer de l’espèce, puisque le demandeur a souffert de maltraitance lorsqu’il était séparé de sa mère, mais jamais pendant qu’il demeurait avec elle. Contrairement à ce que le demandeur laisse entendre, notre Cour est d’avis que ce changement majeur de paradigme constitue un changement important dans les circonstances entourant le retour du demandeur à Saint‑Vincent, mais pas un changement dans les circonstances au sens de l’alinéa 108(1)e).

 

[49]           Cependant, comme nous le savons maintenant, la demande d’asile pour des raisons d’ordre humanitaire a été déposée et, sans prétendre prédire l’avenir, on peut conclure que la mère et son fils seront ensemble, du moins pour l’instant.

 

[50]           De plus, le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte des Directives no 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié. Toutefois, comme l’a indiqué le juge Beaudry dans la décision Allinagogo c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2010 CF 545, [2010] ACF no 649, au paragraphe 14, « [c]et argument ne peut être retenu, puisque la Commission n’a aucune obligation de mentionner les directives dans sa décision et les motifs montrent qu’elle a dûment pris en compte la prétention de la demanderesse ». Cette décision a trait aux Directives no 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, mais notre Cour estime que ce principe s’applique tout autant aux Directives no 3. Qui plus est, les Directives no 3 enjoignent le décideur de placer au premier rang l’intérêt supérieur de l’enfant et, de fait, la SPR a indiqué à plusieurs occasions que la principale préoccupation en l’espèce était que le demandeur reste avec sa mère et qu’on évite une séparation. Notre Cour est donc d’avis, comme il ressort de ses motifs, que la SPR a bel et bien tenu compte des Directives no 3.

 

[51]           Quant au fait que la SPR conclut que le demandeur n’est pas une « personne à protéger », rejetant par là son argument fondé sur l’article 97 de la LIPR, la mère du demandeur affirme que la SPR n’a pas procédé à une analyse de la question de la protection de l’État. Effectivement, la SPR a indiqué dans sa décision que la question de la protection de l’État n’était pas en litige en l’espèce, mais elle l’a fait après avoir considéré les éléments de preuve et raisonnablement conclu à l’absence de preuve convaincante démontrant que le demandeur et sa mère seraient agressés par le grand‑père du demandeur s’ils retournaient à Saint‑Vincent. Quoi qu’il en soit, il était certainement loisible à la SPR d’arriver à une telle conclusion; la protection de l’État n’est pas une question pertinente, étant donné qu’il n’y a pas de risque de persécution contre lequel l’État pourrait protéger le demandeur.

 

[52]           De plus, pour ce qui est de l’article 97, un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99, [2007] ACF no 336, indique aux paragraphes 15 et 16, qu’il incombe au demandeur de démontrer l’existence de risques réels et prospectifs advenant son retour au pays et que si le demandeur peut faire des choix raisonnables et se soustraire aux préjudices, il a l’obligation de le faire :

 

[15]    Pour décider si un demandeur d’asile a qualité de personne à protéger, il faut se fonder sur une évaluation objective des risques et non sur une évaluation subjective des inquiétudes éprouvées par le demandeur d’asile. Les preuves concernant les persécutions dont il a pu faire l’objet dans le passé peuvent être un facteur pertinent lorsqu’il s’agit de décider si le demandeur d’asile s’exposera à des risques s’il rentre dans son pays, mais ces preuves ne sont pas concluantes. Le paragraphe 97(1) prévoit un critère objectif à appliquer dans le contexte des risques actuels ou prospectifs auxquels serait exposé le demandeur d’asile.

 

[16]    Pour déterminer l’existence d’un risque prospectif, le juge des requêtes a établi un parallèle entre la situation dans laquelle se trouvent les appelants et la situation où il y aurait une possibilité de refuge intérieur (PRI). Il a estimé que « Le Canada ne peut pas et ne devrait pas servir de refuge substitut aux personnes qui ont la possibilité de se trouver un refuge dans leur pays d’origine » (paragraphe 18). Sans incorporer au paragraphe 97(1) le critère de la PRI, j’estime que la finalité de ce critère aide à évaluer les risques possibles. Comme la Cour l’a révélé dans l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), au paragraphe 12, « s’il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s’en prévaloir à moins qu’ils puissent démontrer qu’il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire ». De façon analogue, s’agissant de demandeurs d’asile capables d’opérer des choix raisonnables et de se soustraire par là même à certains risques, on peut s’attendre à ce qu’ils optent pour une telle solution. [Je souligne.]

 

En l’espèce, un tel choix s’offrait au demandeur et à sa mère; ils pouvaient éviter la persécution en choisissant de résider loin de la résidence du grand‑père du demandeur. Ils disposent effectivement d’un « refuge sûr » pour « se soustraire par là même à certains risques ». Il était donc raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur ne craindrait pas avec raison d’être persécuté s’il retournait à Saint‑Vincent.

 

[53]           La mère du demandeur soutient aussi que dans sa décision, la SPR n’a pas évalué de façon générale le fond de la demande du demandeur, s’attachant surtout à analyser son cas et ses antécédents à elle. Bien au contraire, notre Cour estime que la SPR a effectivement statué sur le fond de la demande. La SPR a examiné et mentionné les éléments de preuve présentés, notamment les rapports médicaux, et évalué le traumatisme subi par le demandeur. Certes, la SPR a accordé une certaine importance à la mère du demandeur dans sa décision, mais il était raisonnable de le faire étant donné qu’elle avait raisonnablement conclu que la mère et l’enfant ne devaient pas être séparés, et que c’est à cause de la présence de la mère que le demandeur ne ferait plus l’objet de persécutions à Saint‑Vincent. Il ne s’ensuit pas que la SPR a omis de se prononcer sur le fond de la demande du demandeur.

 

[54]           La mère du demandeur fait aussi valoir que la SPR minimise le préjudice subi par son fils du fait que ses amis lui manquent et qu’il ne veut pas être séparé de sa mère. Notre Cour a du mal à concilier cette affirmation avec le fait que la SPR est finalement venue à la conclusion, après examen des éléments de preuve présentés, que le demandeur était une victime de maltraitance équivalant à de la persécution. Le fait d’affirmer qu’une personne est effectivement victime de maltraitance qui équivaut à de la persécution est tout le contraire de minimiser les difficultés éprouvées par cette personne.

 

[55]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la décision de la SPR, en ce qui a trait à l’article 96 de même qu’à l’article 97, est raisonnable et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et que l’intervention de notre Cour n’est pas justifiée.

 

[56]           Les parties ont été invitées à proposer une question pour certification, mais aucune question n’a été proposée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑11221‑12

 

INTITULÉ :                                                  DONDRE CALBERT HENRY c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 23 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE S. NOËL

 

DATE DU JUGEMENT :                           Le 25 octobre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arash Banakar

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Émilie Tremblay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Arash Banakar

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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