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Date : 20131104

Dossier : T-294-12

Référence : 2013 CF 1118

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

 

PREMIÈRE NATION DES DÉNÉS
YELLOWKNIVES,

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET
DU DÉVELOPPEMENT DU NORD,
L’OFFICE DES TERRES ET DES EAUX
DE LA VALLÉE DU MACKENZIE,

 

et

 

ALEX DEBOGORSKI,

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Première Nation des Dénés Yellowknives [les Dénés Yellowknives] cherche à faire annuler une décision de l’Office d’examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie [l’Office d’examen]. Ce dernier a conclu, en vertu de l’alinéa 128(1)a) de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, LC 1998, c 25 [la Loi], que le projet Debogorski d’exploration ciblant les diamants proposé [le projet Debogorski] « n’aura vraisemblablement pas de répercussions négatives importantes sur l’environnement ou ne sera vraisemblablement pas la cause de préoccupations importantes pour le public ». L’Office d’examen a donc estimé qu’il n’était pas nécessaire que le projet Debogorski fasse l’objet d’un examen des répercussions environnementales et a conclu qu’il devait passer à la phase réglementaire aux fins d’obtention des permis et licences.

 

[2]               Les Dénés Yellowknives soutiennent que cette décision est déraisonnable ou, subsidiairement, qu’elle est contraire à la Loi, car l’Office d’examen n’a pas « veill[é] à ce qu’il soit tenu compte, dans le cadre du processus, des préoccupations des autochtones et du public en général », comme l’y obligeait l’alinéa 114c) de la Loi. Ils font valoir que les exigences imposées par cette disposition ne sont pas remplies lorsque la Couronne omet de consulter les Premières Nations ou de répondre à leurs préoccupations : Première Nation Ka’a’Gee Tu c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CF 764 [Ka’a’Gee Tu] et Première Nation des Dénés Yellowknives c Canada (Procureur général), 2010 CF 1139 [Première Nation des Dénés Yellowknives]. Il sera démontré qu’il y a eu manquement à la Loi s’il est établi que la Couronne n’a pas respecté ses obligations à l’égard des Dénés Yellowknives. Si elle s’en est acquittée, il n’y a pas eu violation de la Loi.

 

[3]               Le ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord [le ministre] est le seul défendeur à avoir pris part à la demande; il n’est intervenu qu’au regard de la prétention des Dénés Yellowknives voulant que la Couronne ait omis de les consulter et de tenir compte de leurs besoins dans le cadre de ce projet. Nonobstant l’accent mis sur cette prétention, certains des arguments du ministre intéressaient également la question du caractère raisonnable de la décision contrôlée.

 

[4]               Après avoir attentivement examiné la vingtaine de volumes qui constituent le dossier et tenu compte des observations écrites et orales des parties ainsi que de la jurisprudence, je ne puis souscrire à la position des Dénés Yellowknives. Pour les motifs qui suivent, je dois rejeter la présente demande.

 

CONTEXTE GÉNÉRAL

La Première Nation des Dénés Yellowknives, le processus de revendication territoriale et la baie Drybones

[5]               Les Dénés Yellowknives forment une bande au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5. Ils font également partie des Premières Nations dénées de l’Akaitcho [les Dénés Akaitcho]. Il s’agit d’un peuple autochtone au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 1, réimprimée sous LRC 1985, Ann II, no 44.

 

[6]               Le 25 juillet 1900, les Dénés Akaitcho et la Couronne ont conclu un traité à Deninu K’ue (Fort Resolution) [le Traité de 1900], qu’ils interprètent différemment : la Couronne le considère comme une forme d’adhésion au Traité no 8, alors que les Dénés Akaitcho l’envisagent comme un traité de paix, d’amitié et de coexistence. De plus, pour les Dénés Akaitcho, la portée géographique du Traité de 1900 a été établie par les échanges et promesses de vive voix des chefs et des représentants de la Couronne devant le Conseil du Traité. Malgré ces divergences, les Dénés Akaitcho et la Couronne ont conclu, à l’occasion du centenaire du Traité de 1900, un accord‑cadre qui était une étape décisive du processus global de revendication territoriale entamé dans les années 1970. Ce processus est toujours en cours.

 

[7]               Le ministre reconnaît que [traduction] « bien qu’aucune revendication solide à première vue n’ait jamais été prouvée en cour ni officiellement acceptée par le Canada, celle des Dénés Yellowknives concernant les droits prévus à l’article 35 relativement à la région de la baie Drybones peut être considérée comme raisonnablement défendable ».

 

[8]               La baie Drybones proprement dite est une baie située sur la rive nord du Grand lac des Esclaves, dans les Territoires du Nord‑Ouest, à environ 50 km de Yellowknife. Les frontières géographiques de la [traduction] « région de la baie Drybones », au sens où cette expression est employée par les parties, ne font pas consensus. D’après l’Office d’examen, [traduction] « [t]out au long des audiences relatives à l’évaluation environnementale [du projet Debogorski] ou aux précédentes évaluations environnementales concernant la même région, la Première Nation des Dénés Yellowknives désignait par l’expression “baie Drybones” une région beaucoup plus vaste que la baie elle‑même, englobant des bandes riveraines avoisinantes et des points intérieurs ». Dans le cours du processus d’évaluation environnementale, l’avocat des Dénés Yellowknives [traduction] « a évoqué les difficultés liées à la délimitation précise de la région, et expliqué que les Anciens “ont une vision plus large de cette terre qu’ils utilisent depuis des générations” ».

 

[9]               L’Office d’examen a joint à sa décision une carte de la région représentant [traduction] « la baie Drybones proprement dite » ainsi qu’un territoire visé par une concession antérieure – la concession Smitski – dans lequel le projet Debogorski devait se réaliser. Cette carte est jointe aux présents motifs à l’annexe A. La petite île rattachée à la région Smitski ainsi revendiquée est l’île Burnt. Si l’on considère la région de la baie Drybones telle que la conçoivent les Dénés Yellowknives et telle qu’elle apparaît à l’annexe B [une carte avec des noms de lieux en anglais, dont une copie (avec des noms de lieux traditionnels) a été jointe en pièce à l’affidavit d’Edward Sangris, le chef de la collectivité Dettah des Yellowknives], on s’aperçoit immédiatement que le projet Debogorski concerne une très petite partie de la région de la baie Drybones.

 

[10]           Les Dénés Yellowknives soutiennent que même si le projet Debogorski ne vise qu’une petite partie du territoire de la baie Drybones, l’Office, au moment d’en évaluer l’impact, devait tenir compte des répercussions culturelles cumulatives des projets en cours dans cette région, que la Première Nation a comparées à une [traduction] « mort par mille coupes ».

 

[11]           Quelles qu’en soient les frontières exactes, la région de la baie Drybones revêt de toute évidence une importance capitale pour les Dénés Yellowknives. Le ministre convient que ces derniers [traduction] « exploitent la région de la baie Drybones et ses alentours depuis des générations, à des fins de récolte et d’autres pratiques culturelles, et admet son importance à leurs yeux ». L’Office d’examen fait de même dans sa décision :

[traduction] L’Office d’examen reconnaît que la zone riveraine [du projet proposé, dans la baie Drybones] revêt une importance historique pour les peuples autochtones qui l’utilisent depuis des centaines, voire des milliers d’années et continuent à ce jour à exploiter la région. Le dossier archéologique en démontre aussi l’importance, tout comme les témoignages oraux contenus dans le dossier public relatif à la présente évaluation environnementale et les autres évaluations de ce type concernant la zone riveraine. La région comprend des sites archéologiques remontant à la période préhistorique ainsi que des sites plus récents comportant des ressources patrimoniales historiquement importantes pour les peuples autochtones.

 

[12]           Tout au long du processus d’évaluation environnementale et dans la présente demande, les Dénés Yellowknives ont fait valoir que la région de la baie Drybones est un lieu incomparable et que [traduction] « [leur] survie en tant que peuple et le maintien de [leur] culture et de [leur] mode de vie dépendent de la préservation de cette région extrêmement spéciale ». En bref, la région de la baie Drybones revêt une extraordinaire importance pour les Dénés Yellowknives, et ce, pour plusieurs raisons.

 

Précédent projet de développement dans la région de la baie Drybones

[13]           Les Dénés Yellowknives décrivent ainsi le précédent projet de développement dans la région de la baie Drybones :

[traduction] Durant la dernière décennie, la baie Drybones a été soumise à des pressions toujours plus intenses pour la poursuite du développement, surtout en vue d’une exploration minière. Le projet Debogorski est le septième de ce type à avoir été proposé dans la région pendant cette courte période. Les usages secondaires comme la motoneige augmentent grâce à l’accès créé par l’infrastructure, les sentiers et les camps des sociétés d’exploration, ce qui accentue les pressions pour la poursuite du développement exercées sur la région.

 

Ils avancent que [traduction] « [l]a preuve au dossier est claire et convaincante : le développement crée une menace sérieuse pour la région de la baie Drybones ». Ils notent [traduction] « [qu’]il y a près de six ans, l’Office d’examen a conclu [relativement à un autre projet] » que [traduction] « les répercussions culturelles cumulatives sont parvenues à un seuil critique […] [et] qu’en l’absence de planification de la gestion des terres de la part de la Couronne et des peuples autochtones, en particulier les Dénés Yellowknives, “ce seuil sera dépassé” ». Ces précédents projets d’exploration minière ont fait l’objet de décisions antérieures de l’Office d’examen.

 

[14]           De son côté, le ministre fait remarquer ceci :

[traduction] Une entente provisoire protégeant certaines terres contre l’aliénation a été conclue pour soustraire une partie de la région visée par le règlement Akaitcho proposé de la disposition ou du développement pendant les négociations. Les terres ainsi protégées ne peuvent faire l’objet de nouveaux enregistrements de concession minière. La majorité des terres situées dans le territoire plus vaste désigné comme la région de la baie Drybones /la zone riveraine sont déjà déclarées inaliénables et ne peuvent donc être développées (cependant, la zone relativement restreinte visée par le projet Debogorski ainsi que d’autres terres à l’égard desquelles des tiers jouissent de droits enregistrés n’ont pas été soustraites).

 

[15]           Une carte générale représentant les terres déclarées inaliénables ainsi qu’une carte agrandie de la région de la baie Drybones ont été annexées à l’affidavit du chef Edward Sangris. Elles ont également été jointes aux présents motifs en annexes C et D, respectivement. À l’annexe D, il est indiqué à la main l’emplacement de la région visée par le projet Debogorski, et on constate que celle‑ci n’entre pas dans la zone rendue inaliénable. Le ministre soutient néanmoins qu’il ne faut pas perdre de vue, lors de l’examen des observations des Dénés Yellowknives, qu’une grande partie de la région de la baie Drybones a été soustraite au développement en attendant le règlement de la revendication territoriale.

 

Le projet Debogorski d’exploration ciblant les diamants et son historique procédural

[16]           Le 9 février 2011, M. Alex Debogorski a soumis une demande de permis d’utilisation de terres à l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie [l’Office des terres et des eaux] en vue d’un projet d’exploration minière impliquant dix forages d’exploration ciblant les diamants dans la région de la baie Drybones. Plus précisément, le projet devait se dérouler dans la région visée par la concession Smitski no 1 le long de la rive du Grand lac des Esclaves, à l’est de la baie Drybones proprement dite.

 

[17]           La plus grande partie de la zone visée par la concession de M. Debogorski est sous l’eau. Le projet d’exploration minière proposé consisterait à creuser jusqu’à dix trous pendant une période de cinq ans et à assurer les activités de soutien nécessaires au forage, telles que le transport de l’équipement depuis et vers le site, l’installation de camps, le puisage de l’eau du lac, etc. Le forage s’effectuerait jusqu’à une profondeur maximale de 300 pieds et nécessiterait 10 000 gallons d’eau par jour, par site opérationnel. Chaque forage devrait prendre une semaine.

 

[18]           M. Debogorski n’a expressément localisé que deux sites de forage dans sa demande. Ceux‑ci se situent sur les terres déjà perturbées ou à proximité. Bien que l’un d’entre eux ne soit placé qu’à 38 mètres d’un site archéologique, d’après Tom Andrews, archéologue au Centre du patrimoine septentrional Prince‑de‑Galles, les deux forages [traduction] « se trouveront dans des régions fort probablement déjà perturbées par le camp Snowfield et les routes d’accès. De plus, les travaux archéologiques menés antérieurement dans la région semblent déjà, dans une certaine mesure, avoir passé au crible les zones [des trous de forage]. [Selon M. Andrews], les répercussions sur des sites archéologiques non répertoriés sont improbables en ce qui concerne les deux premiers sites de forage ».

 

[19]           Comme l’a relevé l’Office d’examen, la demande précise que M. Debogorski a l’intention de localiser les huit sites de forage restants : ceux‑ci pourraient se trouver sur la terre ou sur la glace, ou les deux, suivant les données que les deux premiers forages permettront d’obtenir.

 

[20]           Le 14 avril 2011, conformément au paragraphe 125(1) de la Loi, l’Office des terres et des eaux a renvoyé la demande de permis d’utilisation de terres de M. Debogorski à l’Office d’examen en vue d’une évaluation environnementale. Cette disposition prévoit un tel renvoi lorsque « [de l’avis de l’Office], le projet est susceptible soit d’avoir des répercussions négatives importantes sur l’environnement, soit d’être la cause de préoccupations pour le public » (non souligné dans l’original). Pour l’Office des terres et des eaux, le renvoi se justifiait par [traduction] « la controverse suscitée par d’autres demandes visant la région de la baie Drybones; […] la suggestion antérieure [de l’Office d’examen] de ne délivrer aucun nouveau permis d’utilisation de terres relativement à des propositions de projets […] dans la baie Drybones […] tant qu’un plan n’a pas été élaboré; la plus récente déclaration de l’Office d’examen voulant que les répercussions culturelles cumulatives [dans la région de la baie Drybones] soient parvenues à un seuil critique; […] [ainsi que] les importantes préoccupations du public concernant l’intégrité des valeurs culturelles et spirituelles associées à la région de la baie Drybones dans le cadre d’un développement ininterrompu ».

 

[21]           Le processus d’évaluation environnementale ayant finalement abouti à la décision contrôlée s’est déroulé sur une période de huit mois. Il a inclus une séance d’information à l’intention de la collectivité (20 juillet 2011), une audience publique (12 et 13 septembre 2011) et une seconde séance d’information destinée à la collectivité (12 octobre 2011). Les Dénés Yellowknives ont pris part à tout ce processus et ont présenté des observations lors des audiences, à l’instar d’autres Premières Nations et groupes intéressés, comme le Centre du patrimoine septentrional Prince‑de‑Galles.

 

[22]           À l’audience publique, M. Andrews, archéologue du Centre du patrimoine septentrional Prince‑de‑Galles, et les Dénés Yellowknives se sont dits particulièrement préoccupés par l’emplacement de certains des futurs sites de forage et leur possible impact sur des sites patrimoniaux encore inconnus ou non répertoriés. L’Office d’examen a noté que Todd Slack, un spécialiste en recherche et en affaires réglementaires au service des Dénés Yellowknives, a déclaré en audience publique :

[traduction] Le projet décrit dans la présente proposition comporte un degré élevé d’incertitude. [Les Dénés Yellowknives] relèvent en particulier ces deux zones de flou : la localisation des autres trous de forage et l’emplacement du camp de longue durée. Il est très difficile d’évaluer correctement les répercussions de ce programme sans savoir où ces trous de forage seront creusés.

 

[23]           Pour prévenir la perturbation involontaire de sites archéologiques, M. Andrews a recommandé ce qui suit :

[traduction] Une fois déterminé l’emplacement des huit prochains trous de forage, le promoteur devra engager un archéologue pour étudier l’impact archéologique des trous de forage et des aires avoisinantes, routes d’accès et autres zones prévues de perturbation du sol.

 

[24]           Tout au long du processus, les Dénés Yellowknives se sont vigoureusement opposés au projet en attendant qu’un plan d’occupation du sol de la région de la baie Drybones soit mis en place. Ils font toutefois valoir subsidiairement que si le projet devait aller de l’avant, ils devraient, avec l’Alliance métis North Slave, intervenir dans le choix des futurs sites de forage de M. Debogorski pour éviter que des ressources patrimoniales soient touchées.

 

LA DÉCISION DE L’OFFICE D’EXAMEN

[25]           Comme nous l’avons vu, l’Office d’examen a conclu que la proposition de projet Debogorski n’était pas susceptible d’avoir des répercussions négatives importantes sur l’environnement ou d’être la cause de préoccupations majeures pour le public, et qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les répercussions environnementales.

 

[26]           La Loi prévoit :

128. (1) Au terme de l’évaluation environnementale, l’Office :

 

 

a) s’il conclut que le projet n’aura vraisemblablement pas de répercussions négatives importantes sur l’environnement ou ne sera vraisemblablement pas la cause de préoccupations importantes pour le public, déclare que l’étude d’impact n’est pas nécessaire;

 

b) s’il conclut que le projet aura vraisemblablement des répercussions négatives importantes sur l’environnement :

 

(i) soit ordonne, sous réserve de la décision ministérielle prise au titre de l’alinéa 130(1)c), la réalisation d’une étude d’impact,

 

(ii) soit recommande que le projet ne soit approuvé que si la prise de mesures de nature, à son avis, à éviter ces répercussions est ordonnée;

 

 

c) s’il conclut que le projet sera vraisemblablement la cause de préoccupations importantes pour le public, ordonne, sous réserve de la décision ministérielle prise au titre de l’alinéa 130(1)c), la réalisation d’une étude d’impact;

 

d) s’il conclut que le projet aura vraisemblablement des répercussions négatives si importantes sur l’environnement qu’il est injustifiable, en recommande le rejet, sans étude d’impact.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

128. (1) On completing an environmental assessment of a proposal for a development, the Review Board shall,

 

(a) where the development is not likely in its opinion to have any significant adverse impact on the environment or to be a cause of significant public concern, determine that an environmental impact review of the proposal need not be conducted;

 

 

(b) where the development is likely in its opinion to have a significant adverse impact on the environment,

 

 

(i) order that an environmental impact review of the proposal be conducted, subject to paragraph 130(1)(c), or

 

 

(ii) recommend that the approval of the proposal be made subject to the imposition of such measures as it considers necessary to prevent the significant adverse impact;

 

(c) where the development is likely in its opinion to be a cause of significant public concern, order that an environmental impact review of the proposal be conducted, subject to paragraph 130(1)(c);

And

 

 

(d) where the development is likely in its opinion to cause an adverse impact on the environment so significant that it cannot be justified, recommend that the proposal be rejected without an environmental impact review.

 

[emphasis added]

 

[27]           L’Office d’examen a établi que le projet tombait sous le coup de l’alinéa 128(1)a) de la Loi en ce qu’il « [n’aurait] vraisemblablement pas de répercussions négatives importantes sur l’environnement ou [ne serait] vraisemblablement pas la cause de préoccupations importantes pour le public ». Par conséquent, il n’était pas nécessaire d’effectuer un examen des répercussions environnementales, à savoir de suivre le processus plus approfondi prévu aux articles 132 à 137.3 de la Loi.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[28]           À l’audience, les Dénés Yellowknives ont fait valoir que la question de savoir si la décision visée par le contrôle est raisonnable fait intervenir des questions de fait et de droit. Cette question donc doit être contrôlée suivant la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord.

 

[29]           Je conviens également avec les Dénés Yellowknives que la Cour suprême, dans l’arrêt Nation haïda c Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 [Haïda], a jugé que les questions touchant l’existence et la teneur de l’obligation de consultation et d’accommodement de la Couronne étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Cependant, comme le faisait remarquer la Cour dans la décision Ka’a’Gee Tu, ces considérations supposent une importante dimension factuelle, et la question de savoir si la Couronne s’est acquittée de son obligation dans un cas donné revient donc à « évaluer les faits de l’espèce au vu de la teneur de l’obligation » : Ka’a’Gee Tu, au paragraphe 91.

 

1.         La décision de l’Office d’examen était‑elle déraisonnable?

[30]           Les Dénés Yellowknives soutiennent que la décision examinée [traduction] « est foncièrement déraisonnable, à tel point que les conclusions n’ont qu’un faible lien rationnel avec la preuve et les conclusions factuelles ». Ils présentent des observations détaillées à cet égard aux paragraphes 92 à 102 de leur mémoire, que je résumerai comme suit :

1.      l’Office d’examen a tenu compte des mesures contenues dans la décision ES0506‑005 pour l’examen des répercussions cumulatives dans la région de la baie Drybones, alors qu’il savait que ces mesures n’avaient pas été mises en œuvre;

2.      l’Office d’examen a qualifié improprement le projet Debogorski de projet à [traduction] « petite échelle », [traduction] « à courte durée » et [traduction] « situé dans une région ayant déjà été perturbée », et conclu de cette manière que [traduction] « [l]es préoccupations du public quant aux effets cumulatifs [étaient] donc sans pertinence »;

3.      la décision de l’Office d’examen touchant les répercussions cumulatives contredit la conclusion, formulée il y a environ six ans, selon laquelle la région de la baie Drybones était parvenue à un [traduction] « seuil critique »; ce projet serait même [traduction] « la goutte d’eau qui fera déborder le vase pour la région de la baie Drybones »;

4.      l’Office d’examen n’a prévu aucune mesure d’atténuation dans sa décision.

 

[31]           Je ne puis accepter la prétention des Dénés Yellowknives selon laquelle la décision est déraisonnable. À mon avis, leur désaccord fondamental avec l’Office d’examen tient à ce qu’ils contestent les conclusions que celui‑ci a tirées de la preuve dont il disposait. Les Dénés Yellowknives estiment, comme il est indiqué dans la décision et ailleurs, que tous les projets visant la grande région de la baie Drybones doivent être rejetés parce que ce territoire est menacé; tout autre projet serait la [traduction] « goutte qui fera déborder le vase ». D’un autre côté, conformément à son obligation, l’Office a examiné attentivement et en détail le projet proposé, de même que les risques et les vulnérabilités liés à la région, et il est arrivé à une conclusion contraire.

 

[32]           Les questions soulevées dans la présente demande, en ce qu’elles se rapportent à la suggestion susmentionnée qu’aucun nouveau permis d’utilisation des terres ne soit délivré pour les projets concernant la région de la baie Drybones tant qu’un plan n’aura pas été élaboré, et à l’affirmation précédente selon laquelle les [traduction] « répercussions culturelles cumulatives sont parvenues à un seuil critique » dans la région, étaient au centre des arguments soumis à l’Office d’examen. Celui‑ci a d’ailleurs déclaré que c’est précisément pour ces deux raisons que l’Office des terres et des eaux avait renvoyé la demande de permis d’utilisation des terres liée au projet Debogorski en vue d’une évaluation environnementale.

 

[33]           Qui plus est, pour expliquer la portée de son évaluation, l’Office d’examen a mentionné les mêmes questions que celles que soulèvent à présent les Dénés Yellowknives :

[traduction] L’évaluation environnementale était axée sur les questions majeures suivantes :

                     enjeux sociaux et culturels :

o        les répercussions spécifiques du projet sur le patrimoine et les cimetières;

o        les répercussions cumulatives sur l’usage des terres et la culture traditionnels;

                     préoccupations du public concernant l’absence de mesures d’atténuation, et questions en suspens de précédentes évaluations environnementales concernant des projets proposés pour la zone riveraine de la baie Drybones.

 

 

Impact sur les ressources archéologiques connues ou non

[34]           Pour ce qui est des répercussions spécifiques du projet sur le patrimoine et les cimetières, l’Office d’examen s’est raisonnablement fondé sur la preuve du Centre du patrimoine septentrional Prince‑de‑Galles selon laquelle le lot de concessions minières comportait cinq sites archéologiques abritant [traduction] « des cercles de tente, des séchoirs de peaux ainsi que des presses à écorce de bouleau ou à toboggan ». L’expert du Centre du patrimoine septentrional Prince‑de‑Galles a déclaré durant son témoignage qu’un seul des cinq sites archéologiques était [traduction] « très proche » des deux trous de forage proposés, à 38 mètres de distance. Il a recommandé que le forage s’effectue à une distance minimale de 30 mètres de [traduction] « tout site archéologique connu », et a en outre admis que [traduction] « les répercussions sur les sites archéologiques non répertoriés sont improbables en ce qui concerne les deux premiers sites de forage ». En somme, son témoignage étaye la conclusion de l’Office d’examen selon laquelle les deux premiers trous de forage n’auraient que peu d’impact, voire aucun, sur le patrimoine et les cimetières.

 

[35]           L’Office d’examen s’est penché sur la préoccupation des Dénés Yellowknives liée au fait que les huit autres sites de forage indéterminés du projet pouvaient avoir un impact sur des ressources patrimoniales encore inconnues ou non répertoriées. L’Office a fait observer que, sauf rares exceptions, la région visée par le projet était constituée [traduction] « principalement d’eau », et que si des trous de forage étaient subséquemment creusés au large sur la glace durant l’hiver, [traduction] « il est peu probable que ces sites aient un impact sur des ressources archéologiques ». Par ailleurs, l’Office a estimé que les conséquences que ce forage pourrait avoir sur les voies traditionnelles sur la glace [traduction] « seraient de courte durée, et éphémères ».

 

[36]           L’Office d’examen a même examiné la possibilité que certains des autres trous de forage soient situés sur l’île Burnt, notant qu’un rapport de 2004 [traduction] « n’avait identifié aucun site sur l’île qui soit visé par la concession ». Le rapport mentionnait un site limitrophe bordant la région concernée par la concession et a recommandé que [traduction] « l’île soit inspectée plus minutieusement à la recherche d’autres structures ou indices d’une occupation antérieure ». L’Office d’examen a donc formulé la suggestion suivante :

[traduction] S’agissant des activités que le promoteur prévoit effectuer sur l’île Burnt, l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie devrait exiger qu’il effectue d’autres travaux de prospection archéologique sur la superficie couverte par les sites de forage ou les routes d’accès du projet, à condition que le Centre du patrimoine septentrional Prince‑de‑Galles puisse en justifier la nécessité à l’Office des terres et des eaux.

 

[37]           Les Dénés Yellowknives reprochent notamment à l’Office d’examen de n’avoir formulé que des suggestions alors que des ordonnances contraignantes auraient été plus appropriées. Comme l’évaluation préliminaire de l’île Burnt n’avait permis de localiser aucun site archéologique à l’intérieur de la région visée par la concession, il n’était pas déraisonnable, à mon avis, que l’Office réponde aux préoccupations concernant cette île par une suggestion. L’Office a raisonnablement imposé au Centre du patrimoine septentrional Prince‑de‑Galles le fardeau de [traduction] « justifier » auprès de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie la nécessité que le promoteur commande d’autres travaux de prospection archéologique autour des sites de forage proposés.

 

[38]           Enfin, l’Office d’examen a envisagé la possibilité que les prochains trous de forage soient creusés à l’intérieur des terres sur [traduction] « la petite partie du lot de concessions minières du promoteur incluant la rive ». Il a noté que la région riveraine indiquée dans la concession du promoteur avait [traduction] « déjà été perturbée de manière significative » par d’autres projets d’exploration. Par conséquent, l’Office a raisonnablement conclu [traduction] « [qu’]il [était] improbable que des ressources archéologiques non répertoriées se trouvent dans la plus grande partie du lot de concessions minières du promoteur et, même si c’était le cas, les clauses et conditions générales du permis d’utilisation des terres empêcheront tout impact significatif ».

 

[39]           La Cour doit faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des décisions de l’Office d’examen qui relèvent pleinement de son expertise et de son mandat. Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême enseigne aux cours de révision que le « caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[40]           En l’espèce, l’Office d’examen a justifié ses conclusions. La décision et les motifs fournis concernant les deux trous de forage localisés et les huit autres dont l’emplacement n’a pas encore été déterminé sont transparents et intelligibles. Par conséquent, compte tenu des caractéristiques uniques du projet Debogorski, il n’était pas déraisonnable que l’Office d’examen conclue que l’omission du promoteur d’indiquer l’emplacement éventuel des huit futurs trous de forage n’était pas susceptible d’avoir des répercussions négatives importantes sur l’environnement ou d’être la cause de préoccupations majeures pour le public.

 

Répercussions cumulatives

[41]           Les Dénés Yellowknives invoquent des décisions antérieures de l’Office d’examen dans lesquelles celui‑ci suggérait qu’aucun autre permis d’utilisation des terres ne soit délivré tant qu’un plan n’aura pas été élaboré pour la région. Dans les décisions se rapportant à l’exploration préliminaire de diamants dans la baie Wool de la North American General Resources Corporation (EA‑03‑003) et au programme d’exploration diamantaire de la Snowfield Development Corporation (EA‑03‑006), datées respectivement des 10 et 25 février 2005, l’Office d’examen a proposé que :

[traduction] Aucun nouveau permis d’utilisation des terres ne devrait être délivré pour de nouveaux projets visant la zone riveraine et les baies Drybones et Wool proprement dites, tant qu’un plan définissant la vision, les buts et les objectifs de gestion n’aura pas été élaboré en fonction des ressources et des valeurs culturelles de la région. Ce plan devra être rédigé et mis en œuvre avec l’importante contribution des parties autochtones. Le plan devra expressément traiter de l’orientation des projets futurs et prévoir des dispositions destinées à la protection des sites environnementaux, culturels et spirituels vulnérables. Cet exercice devra être mené à bien dans les cinq prochaines années et produire des directives claires en matière de gestion afin que les parties sachent mieux à quoi s’en tenir au regard du développement futur de cette région.

 

[42]           Dans la décision se rapportant au programme d’exploration minière de la Consolidated Goldwin Ventures Inc., daté du 20 novembre 2007) (EA0506‑005), telle que modifiée par la décision subséquente du 16 novembre 2011, l’Office d’examen a inclus la mesure suivante :

[traduction] Le gouvernement du Canada, sous la direction de AADNC, collaborera avec la PNDY et d’autres utilisateurs des terres autochtones de la région visée pour produire un plan concernant la zone riveraine afin de mitiger les importantes répercussions culturelles cumulatives relevées. Il s’agira d’un processus de planification mené en collaboration par les intervenants, comparable en nature à un plan d’action régional, à ceci près qu’il portera sur une région moins étendue. Ce plan sera à tout le moins rédigé et mis en œuvre avec l’importante contribution des parties autochtones connaissant bien la région, y compris leurs avis sur les valeurs et sites culturels. Le plan formulera des recommandations claires pour la gestion des projets et des activités de loisirs dans la zone riveraine.

 

L’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie examinera les résultats de ce plan et de sa mise en œuvre avant de prendre toute décision concernant les examens préalables de nouvelles demandes de projets visant la zone riveraine. AADNC accordera l’exemption appropriée aux concessionnaires miniers de la région de la baie Drybones eu égard aux exigences du Règlement sur l’exploitation minière dans les Territoires du Nord‑Ouest et au Nunavut. [Non souligné dans l’original.]

 

[43]           Ayant cité cette décision dans celle qui est visée par le présent contrôle, l’Office d’examen a conclu que si elles étaient approuvées et mises en œuvre, ces mesures [traduction] « permettront de régler le problème des répercussions cumulatives dans la région de la baie Drybones ». Les Dénés Yellowknives font valoir que comme lesdites mesures n’ont été ni approuvées ni mises en œuvre, [traduction] « elles ne peuvent logiquement […] tempérer l’impact du projet Debogorski puisqu’elles n’existent pas encore dans le monde réel ».

 

[44]           Cette mesure n’a encore été ni approuvée ni mise en œuvre. Cependant, il semblerait que ce plan ne s’appliquera pas au projet Debogorski puisqu’il ne s’agit pas d’une [traduction] « nouvelle demande de développement », les documents ayant été déposés le 9 février 2011, avant que cette mesure modifiée n’ait été énoncée par l’Office d’examen.

 

[45]           On peut se demander quel intérêt il y aurait à ce que l’Office d’examen réitère une mesure qu’il a déjà proposée et qui ne s’appliquerait pas au projet Debogorski. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne les répercussions cumulatives, l’Office n’a pas limité son analyse à la recommandation qu’il avait formulée dans la décision EA0506‑005. Dans la décision contrôlée, l’Office d’examen poursuit son raisonnement et décrit le projet d’exploration comme un projet [traduction] « de petite envergure, [et se rapportant] à un territoire [constitué] à environ 90 p. cent d’eau », estimant que toute perturbation des routes durant l’hiver serait de courte durée et n’aurait pas d’impact significatif. Par ailleurs, l’Office est d’avis que toute perturbation du rivage viserait une zone déjà perturbée et que le [traduction] « projet proposé n’y ajouterait rien de significatif », et que toute perturbation sur l’île Burnt serait de courte durée. Compte tenu de ces éléments, l’Office d’examen conclut que le projet, si tant est qu’il contribue à l’impact cumulatif sur la région, ne le fera que minimalement :

[traduction] Compte tenu de la preuve présentée précédemment, de la singularité du projet eu égard à sa petite échelle, à son emplacement dans une région où la terre a déjà été perturbée, et bien utilisée, et à la prédominance de l’eau dans la concession du promoteur, l’Office d’examen conclut que le projet proposé n’est pas susceptible de contribuer de manière significative aux répercussions négatives cumulatives sur l’utilisation des terres et la culture déjà identifiées. [Non souligné dans l’original.]

 

[46]           À mon avis, la décision de l’Office d’examen concernant les répercussions cumulatives est raisonnable et correspond à la description fournie dans l’arrêt Dunsmuir.

 

[47]           Bien que l’Office d’examen ne le mentionne pas, il est intéressant de noter que son dossier révèle qu’une partie considérable de la région de la baie Drybones et du rivage a été soustraite aux nouveaux projets de développement après la décision EA0506‑005. Il semble que ce retrait revienne à appliquer l’essentiel des propositions contenues dans les décisions EA‑03‑003 et EA‑03‑006 à une grande partie de la région.

 

[48]           Par conséquent, au moment d’évaluer si les répercussions cumulatives concernent la grande région de la baie Drybones, comme l’allèguent les Dénés Yellowknives, il faut non seulement examiner point par point le projet en cause, mais aussi la région plus restreinte maintenant exposée à d’éventuels futurs projets.

 

2.  Y a‑t‑il eu manquement à l’obligation de consultation et d’accommodement?

[49]           Dans un courriel du 26 juillet 2011, les Dénés Yellowknives informaient la Couronne, relativement au projet Debogorski et à la région de la baie Drybones, qu’ils espéraient [traduction] « des discussions futures avec la Couronne en vue de l’élaboration d’un plan d’intervention, ainsi que de véritables accommodements à l’égard des empiètements continus sur cette région ».

 

[50]           Dans sa réponse, la Couronne a indiqué qu’elle s’en remettait aux procédures de l’Office des terres et des eaux et de l’Office d’examen établies par la Loi pour remplir son obligation de consultation :

[traduction] Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AADNC) estime que lorsqu’un processus de consultation raisonnable, comme celui que prévoit la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie (LGRVM) – c.‑à‑d. l’Office d’examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie (OEREVM) et les procédures réglementaires connexes – est déjà en place, la Couronne peut tenir compte de ces processus de consultation et s’y appuyer pour s’acquitter de son devoir en cette matière, lorsque les circonstances le permettent.

[…]

Par conséquent, AADNC invite instamment la [Première Nation des Yellowknives] à se prévaloir des processus de consultation offerts par cette [évaluation environnementale] prévue par la LGRVM, surtout si vous vous attendez à ce que le projet Debogorski proposé soulève des préoccupations spécifiques n’ayant pas déjà été abordées dans le cadre des précédentes [évaluations environnementales] effectuées dans cette région.

 

[51]           Comme nous l’avons déjà noté, les Dénés Yellowknives ont activement participé aux processus prévus par la Loi.

 

[52]           Les Dénés Yellowknives font valoir que la Couronne ne s’est pas acquittée de son devoir de consultation et d’accommodement. Ils résument ainsi cet argument dans leur mémoire :

[traduction] En l’espèce, la Couronne ne s’est pas acquittée de son devoir de consultation et d’accommodement. Elle s’est totalement appuyée sur un régime législatif qui ne peut pas répondre valablement aux préoccupations de la Première Nation concernant l’impact culturel cumulatif. Cela suppose au minimum une forme de planification d’utilisation des terres à l’échelle du paysage pour la région de la baie Drybones. Comme la Couronne refuse d’entamer une telle planification, bien que la Première Nation et l’Office d’examen l’y invitent sans détour depuis plus de dix ans, et qu’elle n’a pris aucune autre mesure pour régler ces questions, elle contrevient manifestement à son obligation constitutionnelle.

 

[53]           « L’obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones et de prendre en compte leurs intérêts découle du principe de l’honneur de la Couronne », qui est « toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones » : Haïda, au paragraphe 16. L’« obligation prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit au titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci » : Haïda, au paragraphe 35.

 

[54]           Le ministre ne conteste pas que [traduction] « la délivrance du permis d’utilisation des terres Debogorski [donne lieu à une obligation de consulter], y compris durant le processus [d’évaluation environnementale] qui se déroule devant l’Office d’examen ».

 

[55]           L’arrêt Haïda confirme, aux paragraphes 43 et 44, que la teneur de l’obligation de consultation et d’accommodement varie selon les circonstances :

[…] À une extrémité du continuum se trouvent les cas où la revendication de titre est peu solide, le droit ancestral limité ou le risque d’atteinte faible. Dans ces cas, les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis. La [traduction] « “consultation”, dans son sens le moins technique, s’entend de l’action de se parler dans le but de se comprendre les uns les autres » : T. Isaac et A. Knox, « The Crown’s Duty to Consult Aboriginal People » (2003), 41 Alta. L. Rev. 49, p. 61.

 

À l’autre extrémité du continuum, on trouve les cas où la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé. Dans de tels cas, il peut s’avérer nécessaire de tenir une consultation approfondie en vue de trouver une solution provisoire acceptable. Quoique les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la consultation requise à cette étape pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision. Cette liste n’est pas exhaustive et ne doit pas nécessairement être suivie dans chaque cas. Dans les affaires complexes ou difficiles, le gouvernement peut décider de recourir à un mécanisme de règlement des différends comme la médiation ou un régime administratif mettant en scène des décideurs impartiaux.

 

 

[56]           Les Dénés Yellowknives font valoir qu’en l’espèce, la portée de l’obligation de la Couronne se situe à l’extrémité supérieure du continuum, et qu’il y a lieu d’effectuer des consultations « approfondies » et des accommodements, car il est manifeste que leurs intérêts dans la région de la baie Drybones sont élevés et que l’impact cumulatif des projets de développement est important. Selon la Cour, il ressort clairement du dossier et des observations que les Dénés Yellowknives soutiennent, pour l’essentiel, que l’obligation de consultation et d’accommodement de la Couronne rendait nécessaire en l’espèce la négociation de bonne foi d’un plan d’utilisation des terres de la région de la baie Drybones.

 

[57]           La Couronne avance que seules des consultations de moyenne envergure étaient requises, puisque les Dénés Yellowknives n’ont qu’une revendication raisonnablement défendable à faire valoir à l’égard de la région de la baie Drybones, que la gravité de l’impact potentiel est assez négligeable, qu’il s’agit d’un projet relativement petit et qu’il concerne des sites déjà perturbés et des étendues d’eau, et qu’il ne contribuerait que de façon minime à l’impact cumulatif sur la région, compte tenu de l’étendue et de l’emplacement de la zone visée par la concession minière. S’agissant d’une revendication se situant au centre du continuum, des avis et des communications de renseignements ne suffisent pas, mais il n’y a pas lieu de mener des consultations « approfondies ». La Couronne s’oppose particulièrement à un plan d’utilisation des terres, qu’elle qualifie de mesure de politique publique discrétionnaire, qui pourrait d’ailleurs retarder le projet de plusieurs années.

 

[58]           Comme nous l’avons déjà noté, la Couronne soutient que l’obligation est remplie en l’espèce par le biais des procédures administratives et des audiences prévues par la Loi. Je conviens avec la Couronne que la revendication de titre à l’égard de cette région est raisonnablement défendable; cependant, je reconnais que la prétention des Dénés Yellowknives à l’exercice de droits dans cette région est valide. L’Office d’examen a néanmoins raisonnablement conclu que le risque d’impact négatif associé au projet Debogorski était assez faible – en fait, presque négligeable. Ces deux facteurs doivent être pris en compte au moment de situer l’obligation sur le continuum : Rio Tinto Alcan Inc. c Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, au paragraphe 36; Haïda, aux paragraphes 43 à 45; Première Nation Tlingit de Taku River c Colombie‑Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, au paragraphe 32.

 

[59]           Je conclus que le devoir de consulter se situe en l’espèce au milieu du continuum compte tenu du faible impact négatif du projet. Cet impact est négligeable, car les deux emplacements de forage connus se trouvent sur des sites qui ont déjà été perturbés, le terrain du petit camp est connu, cette opération nécessite deux à trois hommes et l’on estime que le forage prendra tout au plus une semaine par trou (ou dix semaines en tout), au cours de l’hiver et de l’été, dépendamment des résultats de forage initiaux; enfin, le forage des sites non divulgués se fera sur l’eau, avec une perturbation minimale des routes, ou sur les terres où aucun site archéologique connu n’a encore été localisé. Par ailleurs, il n’est pas question de couper la moindre ligne d’exploration ou de perturber un terrain qui ne l’a pas déjà été : le mode de transport proposé est l’hydravion (avec un quai à proximité de forage proposés), la motoneige et des routes de glace.

 

[60]           La question qu’il faut à présent examiner est de savoir si, à ce point dans le continuum de consultation, le processus prévu par la Loi permet en l’espèce à la Couronne de s’acquitter de son devoir de consulter.

 

[61]           Dans le cas présent, l’Office d’examen s’est vu confier l’obligation de consulter découlant du paragraphe 117(2) et de la définition des « répercussions environnementales » figurant au paragraphe 111(1) de la Loi :

117.(2) L’évaluation environnementale et l’étude d’impact portent notamment sur les éléments suivants :

 

 

a) les répercussions du projet de développement en cause sur l’environnement, y compris celles causées par les accidents ou défaillances pouvant en découler et les répercussions cumulatives que sa réalisation, combinée à celle d’autres projets, entraînera vraisemblablement;

 

 

b) l’importance de ces répercussions;

 

c) les observations présentées par le public en conformité avec les règlements ou les règles de pratique de l’Office;

 

 

 

d) dans les cas où le projet de développement aura vraisemblablement des répercussions négatives importantes sur l’environnement, la nécessité de prendre des mesures correctives ou d’atténuation;

 

e) tout autre élément — y compris l’utilité du projet et les solutions de rechange — que l’Office ou, après consultation de celui‑ci, tout ministre compétent estime pertinent.

 

 

111.(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie...

 

« répercussions sur l’environnement » Les répercussions sur le sol, l’eau et l’air et toute autre composante de l’environnement, ainsi que sur l’exploitation des ressources fauniques. Y sont assimilées les répercussions sur l’environnement social et culturel et sur les ressources patrimoniales.

117.(2) Every environmental assessment and environmental impact review of a proposal for a development shall include a consideration of

 

(a) the impact of the development on the environment, including the impact of malfunctions or accidents that may occur in connection with the development and any cumulative impact that is likely to result from the development in combination with other developments;

 

(b) the significance of any such impact;

 

(c) any comments submitted by members of the public in accordance with the regulations or the rules of practice and procedure of the Review Board;

 

(d) where the development is likely to have a significant adverse impact on the environment, the need for mitigative or remedial measures; and

 

 

 

(e) any other matter, such as the need for the development and any available alternatives to it, that the Review Board or any responsible minister, after consulting the Review Board, determines to be relevant.

 

 

111. (1) The following definitions apply in this Part.

 

“impact on the environment” means any effect on land, water, air or any other component of the environment, as well as on wildlife harvesting, and includes any effect on the social and cultural environment or on heritage resources.

 

 

 

[62]           Les Dénés Yellowknives aimeraient que la Couronne les consulte au sujet d’un plan concernant la région de la baie Drybones, tel que l’a précédemment recommandé l’Office d’examen. Ils font valoir que la Couronne a une obligation résiduelle, qui s’ajoute à tout devoir de consultation éventuellement rempli par l’Office d’examen.

 

[63]           L’objet de la consultation est la proposition précise dont il est ici question : creuser dix trous d’exploration dans des terres déjà perturbées, ou dans des régions qui n’abritent vraisemblablement aucun site archéologique ou historique. L’Office d’examen a déjà examiné les répercussions cumulatives et a estimé que cette opération d’exploration précise ne causera pas d’effets préjudiciables à l’exercice de droits ou à un titre pendant que les négociations entre les Dénés Yellowknives et la Couronne sont en cours.

 

[64]           Compte tenu de sa conclusion raisonnable que le projet n’est pas susceptible d’avoir d’importantes répercussions négatives (cette conclusion reposait sur la preuve se rapportant expressément au projet Debogorski et sur l’effet cumulatif), j’estime que l’Office d’examen s’est adéquatement acquitté de son devoir de consultation à l’égard de cette question particulière, et que la Couronne n’a actuellement aucune obligation résiduelle de consulter davantage les Dénés Yellowknives. Cependant, cela ne veut pas dire que la Couronne ne sera jamais tenue à une telle obligation dans le futur.

 

[65]           Si des ressources sont découvertes dans la région de la concession ou si celle‑ci est vendue comme M. Debogorski propose de le faire dans le cas d’une telle découverte, une nouvelle obligation de consultation pourrait surgir. Les circonstances pourraient alors rendre inadéquates les précédentes consultations menées par l’Office d’examen par le biais de ce processus. Par ailleurs, la découverte de ressources pourrait conduire à la création d’une mine dans cette région vulnérable et culturellement importante – un effet nuisible potentiel justifiant des consultations et des accommodements plus importants. Dans ces cas‑là notamment, une obligation résiduelle et un devoir d’accommodement plus important pourraient surgir. Mais cela ne signifie pas qu’un plan d’utilisation des terres sera nécessairement approprié.

 

[66]           L’Office a expressément envisagé cette possibilité :

[traduction] L’Office d’examen prend acte des préoccupations de la Première Nation des Dénés Yellowknives concernant le fait que la création d’une mine au cœur de la région de la baie Drybones risquerait d’avoir de graves répercussions culturelles. Cependant, si ce petit projet d’exploration devait entraîner un développement additionnel, il serait possible alors d’examiner tous les projets plus importants qui seront proposés.

 

[67]           Pour ces motifs, j’estime que le processus de consultation prévu par la Loi a adéquatement dégagé la Couronne de son devoir de consultation et d’accommodement en l’espèce. Les préoccupations des Dénés Yellowknives ont été prises en compte par l’Office d’examen, qui a rendu une décision concernant un projet de très petite envergure dans une région vulnérable.

 

DÉPENS

[68]           Les deux parties ont réclamé des dépens selon les montants supérieurs prévus par le tarif le cas advenant qu’elles aient gain de cause, compte tenu de la complexité, de la nouveauté et de l’importance des questions soulevées. Je conviens qu’une échelle élevée est appropriée.

 

[69]           La Couronne réclame des dépens de 18 920 $ à l’encontre des Dénés Yellowknives en vertu de la colonne V du tarif B. Ayant examiné son calcul, j’estime qu’il s’agit d’un montant raisonnable. Exerçant mon pouvoir discrétionnaire, j’accorderai le montant demandé, compte tenu de la complexité des questions soulevées, de la quantité de documents qu’il a fallu examiner et du problème particulier, mais extrêmement important, que la Couronne a soulevé dans la demande.

 


JUGEMENT

 

            LA COUR :

1.                  rejette la demande;

2.                  adjuge les dépens, fixés à 18 920 $, au ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord; ils devront être payés par la Première Nation des Dénés Yellowknives.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


ANNEXE « A »

 

 


ANNEXE « B »


ANNEXE « C »


ANNEXE « D »


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-294-12

 

INTITULÉ :                                      PREMIÈRE NATION DES DÉNÉS YELLOWKNIVES c

                                                            LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DÉVELOPPEMENT DU NORD, L’OFFICE DES TERRES ET DES EAUX DE LA VALLÉE DU MACKENZIE ET ALEX DEBOGORSKI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Yellowknife (Territoires du Nord‑Ouest)

 

DATES DE L’AUDIENCE :          Les 3, 4 et 5 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 4 novembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Judith Rae

Kate Kempton

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Tracy Carroll

Andrew E. Fox

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DÉVELOPPEMENT DU NORD

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Olthuis Kleer Townshend LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Yellowknife (Territoires du Nord‑Ouest)

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DÉVELOPPEMENT DU NORD

 

 

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