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Date : 20131108


Dossier :

T-1363-09

 

Référence : 2013 CF 1136

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

ELI HUMBY

 

premier demandeur

et

CENTRAL SPRINGS LTD.

 

deuxième demanderesse

et

A&E PRECISION FABRICATION AND MACHINE SHOP INC.

 

troisième demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

première défenderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR,
REPRÉSENTÉE PAR LE BUREAU DU HIGH SHERIFF

 

deuxième défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          INTRODUCTION

[1]               La présente action a été intentée contre la première défenderesse, en fait l’Agence du revenu du Canada [ARC], et le Bureau du High Sheriff de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, représentant la deuxième défenderesse, relativement à l’exécution de jugements fiscaux rendus contre les demandeurs. Les allégations ont une portée très large, mais elles visent avant tout la saisie de biens réels et personnels à Gander et Benton (Terre‑Neuve‑et‑Labrador).

 

[2]               Il n’a pas été facile de comprendre la présente affaire et la Cour a essayé, dans les présents motifs, d’ordonner les différentes questions de manière intelligible. La Cour est consciente des contrecoups émotionnels que cette décision pourrait avoir sur le demandeur principal, Eli Humby, mais ni lui ni ses sociétés n’ont droit aux réparations demandées.

 

[3]               Des cotisations fiscales ont été établies à l’égard des sociétés demanderesses, notamment pour défaut de versement des retenues sur le salaire des employés. Les montants ont été attestés en Cour fédérale et des actions en recouvrement ont été intentées. Les cotisations fiscales ont été confirmées en partie. Par conséquent, les demandeurs devaient des montants d’impôt qui n’ont pas été acquittés. La première défenderesse avait le droit de prendre des mesures de recouvrement; la deuxième défenderesse a réagi en saisissant et vendant des actifs appartenant aux demandeurs.

 

[4]               Les demandeurs sollicitent des dommages‑intérêts pour ce qu’ils désignent comme les actes illicites des défenderesses visant à forcer l’acquittement des cotisations confirmées.

 

[5]               La Cour a conclu que les actions des défenderesses étaient légitimes; les sociétés demanderesses devaient ces sommes et ne les ont pas payées. Le recouvrement était autorisé et a été effectué conformément à la loi.

 

II.        CONTEXTE FACTUEL

[6]               Le premier demandeur, Eli Humby [M. Humby], est le directeur et l’actionnaire contrôlant ultime de Central Springs Ltd. [Central Springs], la deuxième demanderesse, et de A&E Precision Fabrication and Machine Shop Inc. [A&E], la troisième demanderesse. Il occupe la même fonction au sein de la société Humby Enterprises Limited [HEL], qui n’est pas partie à l’action, mais qui joue un rôle essentiel dans le contexte et la genèse de la présente instance.

 

[7]               HEL œuvrait dans le secteur de l’exploitation forestière, principalement au centre et à l’ouest de Terre‑Neuve. En 2000, son contrat d’abattage n’a pas été renouvelé. La perte de son droit de coupe a entraîné une diminution de 90 p. cent de son revenu. HEL a intenté une action en justice contre Corner Brook Pulp and Paper et A.L. Struckless & Sons Ltd. En fin de compte, elle n’a pas eu gain de cause dans ce litige, qui a pris fin en 2003.

 

[8]               En 2000 également, HEL n’a pas versé les retenues salariales ni la TPS. L’ARC a pris des mesures concrètes de recouvrement dès 2001, et émis notamment une demande formelle de paiement.

 

[9]               La preuve médicale, selon laquelle M. Humby a commencé, en 2000‑2001, à souffrir de problèmes physiques et émotionnels en raison de tracas liés à ses affaires, est aussi pertinente dans le cadre du présent litige.

 

[10]           En 2001, M. Humby et ses représentants ont informé et l’ARC et la province de Terre‑Neuve‑et‑Labrador que HEL était dans une situation désespérée, [traduction] « au bord de la ruine », et qu’elle ne parviendrait pas à surmonter ces difficultés financières sans aide du gouvernement.

 

[11]           HEL a demandé au gouvernement provincial d’annuler l’impôt ainsi qu’un approvisionnement en bois sur les terres de la Couronne. Quelles qu’en aient été les modalités, cet approvisionnement n’a pas duré. HEL et M. Humby ont donc poursuivi la province pour rupture d’une promesse d’approvisionnement en bois. Ce litige s’est poursuivi jusqu’en mai 2005.

M. Humby n’a eu gain de cause ni lors du procès ni en appel, mais il comptait sur sa victoire anticipée lorsqu’il a proposé à l’ARC de ne pas prendre de mesures de recouvrement durant le litige.

 

[12]           En 2001, M. Humby et l’ARC ont beaucoup échangé au sujet des arriérés sur les retenues salariales se rapportant aux sommes fiscales dues par l’employeur et les employés.

 

[13]           À la fin de 2002, les soldes des montants dus au titre des retenues salariales et de la TVH par HEL ont été attestés en Cour fédérale et enregistrés auprès du bureau d’exécution des jugements de Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Une série d’autres certificats ont été rendus au cours de la période pertinente. Les certificats ont le même effet qu’un jugement de la Cour fédérale, et ont conduit à la délivrance de brefs de saisie et de vente au shérif de Terre‑Neuve‑et‑Labrador.

 

[14]           Si l’on remonte dans le temps (et l’on s’appuie grandement sur les conclusions du juge Boyle de la Cour canadienne de l’impôt dans la décision Central Springs Ltd c Canada, 2010 CCI 543, [2010] ACI no 412), Central Springs a été constituée en personne morale en 1995 ou 1996, et A&E en 1998 ou 1999. Ces sociétés ont été établies, car HEL a commencé à exploiter des entreprises connexes de mécanique de précision et de fabrication de métal, en affectant ses employés à l’entretien de la machinerie et de l’équipement lourds utilisés dans l’entreprise d’exploitation forestière.

 

[15]           Les entreprises connexes ont été transférées à A&E et Central Springs, mais les employés ont d’abord continué à travailler pour le compte de HEL. HEL a imputé les coûts appropriés à A&E et Central Springs.

 

[16]           Dans le courant de l’année 2002, A&E et Central Springs sont devenues les employeurs des travailleurs dont les compétences étaient requises par les sociétés respectives. A&E et Central Springs avaient l’obligation de faire des retenues sur le salaire de ce petit nombre d’employés et de les remettre à l’ARC.

 

[17]           À la suite de visites sur place, au 325 Garrett Drive à Gander (siège des sociétés de M. Humby), Jerry Peddle [M. Peddle], un agent de recouvrement de l’ARC, a relevé certaines disparités entre le compte de retenues salariales de HEL et celui des sociétés demanderesses.

 

[18]           Une demande formelle de paiement renforcée a été émise durant cette période à l’égard des créances concernant les retenues sur la paye, et l’ARC a ordonné au shérif de procéder à la saisie‑exécution d’un porteur forestier Timberjack appartenant à HEL.

 

[19]           La preuve donne à penser que M. Peddle, qui était le principal agent de l’ARC ayant traité les dossiers de recouvrement concernant M. Humby, a pris ombrage de la tentative de ce dernier de vendre le Timberjack à l’insu de l’ARC. Que ce soit là ou non la source de l’animosité entre les deux hommes, il ressort clairement de la preuve orale et documentaire que M. Humby n’aimait pas M. Peddle, et qu’il a tout fait pour que ses dossiers lui soient retirés, notamment en présentant des plaintes au ministre du Revenu national.

 

[20]           En juin 2003, les parties sont parvenues à une entente à l’égard des dettes fiscales de HEL et des sociétés demanderesses : HEL, Central Springs et A&E devaient mettre tous leurs comptes en règle (notamment au regard des retenues sur la paye et de la TVH), l’ARC s’engageait à ne pas déposer d’autres certificats, et les dettes fiscales seraient acquittées au terme du litige auquel M. Humby était partie devant la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador relativement à l’approvisionnement en bois qu’il n’avait pas réussi à obtenir.

 

[21]           Bien que l’entente n’ait jamais été signée, David Taylor [M. Taylor], le chef d’équipe et superviseur direct de M. Peddle, estimait qu’il était convenu que les mesures de recouvrement seraient suspendues pourvu que HEL et les sociétés demanderesses se conforment aux conditions. L’ARC a tenu son engagement, mais aucun autre paiement n’a été effectué conformément à l’entente.

Je conclus qu’il y a bel et bien eu une entente, que les parties s’y sont fiées et que les sociétés de M. Humby n’en ont pas respecté les conditions, principalement parce qu’elles n’en avaient pas les moyens.

 

[22]           M. Humby prétend que lors de cette réunion de juin 2003, M. Peddle a déclaré en somme qu’il allait [traduction] « [le] démolir ». Donald Farrell [M. Farrell], son comptable de longue date, semble confirmer cette déclaration.

Robert Anstey, avocat des demandeurs qui a assisté à cette réunion, n’a jamais étayé cette version des faits. Cette déclaration n’a pas été suffisamment corroborée. En l’absence d’une meilleure preuve, je ne suis pas convaincu que ces mots, ou quelque chose de la même teneur, aient été prononcés, en dépit de l’animosité manifeste et grandissante entre MM. Humby et Peddle.

 

[23]           M. Peddle a commandé un examen des fiducies qui a mené, en juillet 2003, à l’établissement de cotisations contre A&E et Central Springs parce qu’elles n’avaient pas versé les retenues salariales, les intérêts et les pénalités se rapportant aux années d’imposition 2001, 2002 et 2003.

Il s’agit des avis de cotisation qui n’avaient pas, selon le juge Bowie de la Cour de l’impôt (Central Springs Ltd c Canada, 2006 CCI 524, [2006] ACI no 414), été envoyés aux contribuables. Le juge a ainsi reconnu la recevabilité de leur avis d’opposition et leur a ouvert le processus d’appel.

 

[24]           Entre juillet 2003 et juin 2004, l’ARC était en communication avec M. Humby au sujet des arriérés croissants de HEL, Central Springs et A&E, ce qui a mené à une rencontre en juin 2004. Or, M. Humby affirme que cette rencontre n’a jamais eu lieu.

 

[25]           Il faut noter que M. Humby avait un souvenir imprécis de nombreux événements. La preuve donne à penser qu’il n’est plus le même homme et que ses troubles de mémoire sont dus à ses problèmes médicaux. La Cour hésite à prêter foi à sa version des faits.

 

[26]           D’après MM. Peddle et Taylor, Winnie Humby – la directrice de bureau – était également présente lors de la rencontre de juin 2004, mais elle n’a pas été appelée à témoigner. Malgré ce que soutient M. Humby, j’estime que cette rencontre a bel et bien eu lieu, principalement parce que M. Peddle en a fourni un résumé écrit qui constitue la meilleure preuve disponible.

 

[27]           Lors de cette rencontre, M. Humby a été informé des sommes dues et avisé qu’il devait faire un versement unique, à défaut de quoi ces montants seraient attestés. Encore une fois, aucun paiement n’a été effectué.

 

[28]           Après cette rencontre, l’ARC est allée de l’avant en faisant attester les dettes des sociétés demanderesses. Celles de HEL avaient déjà été attestées et enregistrées. Les sommes dues ont été attestées en Cour fédérale et enregistrées au bureau d’exécution des jugements de la manière suivante :

Date du certificat

Débiteur

Montant

Loi

Pièce

Novembre 2002

HEL

98 805,47 $

LIR

ID32

Novembre 2002

HEL

17 488,58 $

LTA

ID33

Août 2004

Central

18 663,61 $

LTA

ID27

Août 2004

A&E

16 668,42 $

LIR

ID28

Août 2004

A&E

2 046,14 $

LIR

ID29

Décembre 2004

Central

73 664,16 $

LIR

ID30

Décembre 2004

A&E

62 441,91 $

LIR

ID31

Les quatre dernières entrées concernent le défaut de versement.

[29]           Le 29 janvier 2005, l’ARC a commencé à prendre des mesures de recouvrement qui, individuellement et collectivement, fondent en grande partie la revendication des demandeurs dans le présent litige. Le même jour, M. Peddle a demandé au bureau du High Sheriff d’entamer le recouvrement forcé des actifs de HEL, d’A&E et de Central Springs, en procédant à la saisie et à la vente de l’équipement et de l’inventaire des trois sociétés.

 

[30]           Les facteurs qui ont précipité la prise des mesures de recouvrement ne sont pas clairs. On a affirmé que M. Peddle avait agi sur la foi de renseignements qui lui avaient été communiqués par un tiers (un certain M. Mahoney, qui n’a jamais été appelé à témoigner), un concurrent de M. Humby. Ce M. Mahoney lui aurait révélé en substance que des biens étaient en train d’être déplacés de la propriété Garrett à Gander.

 

[31]           MM. Freake et Cross, des agents du shérif à Gander et Benton, respectivement, ont dirigé l’opération. M. Freake a témoigné, et j’estime que sa preuve était crédible. Certains détails se sont perdus avec le temps, et il y a une certaine confusion quant aux dates et aux personnes qui ont sollicité certaines discussions avec ou dans le bureau du High Sheriff, mais cela n’ébranle en rien la véracité de son récit.

Pauline Butler, aujourd’hui à la retraite, mais qui travaillait alors pour le bureau du High Sheriff et était le maillon clé entre celui‑ci et l’ARC, a également témoigné. Son récit était clair, objectif et tout à fait crédible. En cas de contradiction ou d’incohérence entre sa preuve et celle des autres témoins, j’ai accordé préséance à son témoignage.

 

[32]           Au moment où les saisies ont eu lieu à Gander, M. Humby a réagi de manière très émotive, comme il l’a fait dans tous ses rapports avec l’ARC. Il s’est barricadé dans son bureau, a ordonné à tout le monde de quitter les lieux et a verrouillé les locaux. Aucune preuve ne confirme que M. Humby ou l’un de ses employés ait emporté des biens, comme le croyait l’ARC.

 

[33]           Le lendemain, sous les instructions de M. Peddle, M. Freake a obtenu que M. Humby s’engage à titre de baillaire, de manière à pouvoir laisser les biens personnels sur les lieux. D’après la preuve, il est rare de se servir de cette modalité dans ce genre de situation. La pratique consiste plutôt à saisir les biens personnels, à les emporter et à les entreposer hors des locaux.

 

[34]           La lettre d’instructions que l’ARC a fait parvenir au bureau du High Sheriff exigeait l’exécution d’engagements pris à titre de baillaire, la saisie de l’inventaire et la surveillance des lieux 24 heures par jour. M. Freake a déterminé que des garanties étaient en place. M. Humby a accepté ces conditions et toute allégation selon laquelle il ne comprenait pas ce qu’il faisait doit être rejetée. Rien n’indique que la capacité juridique lui faisait défaut, et son avocat était étroitement mêlé à la plupart de ses interactions avec l’ARC et le bureau du High Sheriff, sinon à toutes.

 

[35]           Le 2 février 2005, l’avocat des demandeurs, Robert Anstey, a demandé par écrit au bureau du High Sheriff la levée de la saisie de la propriété située à Benton parce qu’elle n’appartenait pas aux débiteurs visés par le jugement. M. Peddle a demandé au High Sheriff de libérer la propriété et les demandeurs ont été informés que les instructions relatives à la vente du terrain et des bâtiments de Benton avaient été retirées.

 

[36]           Le 4 mars 2005, Mme Butler a demandé à Freake d’évaluer non seulement les biens réels, comme l’exige la Judgment Enforcement Act, SNL 1996, c J‑1.1 [loi sur l’exécution des jugements], mais également les biens personnels, de manière à ce que le bureau du High Sheriff ait une idée de ce qu’il devait réclamer pour recouvrer les actifs, même si cette évaluation n’était pas obligatoire.

 

[37]           Le même jour, soit le 4 mars 2005, M. Anstey a informé les défenderesses que ses clients n’avaient plus les moyens de payer l’assurance sur les bâtiments.

 

[38]           Durant cette période, entre février et avril, la vente des actifs a été reportée par le High Sheriff, David Jones, qui devait fixer une nouvelle date pour la vente des biens personnels et du terrain de Garrett Drive. Comme lors des autres saisies, les objections des tiers qui invoquaient un titre de propriété ou un intérêt à l’égard des biens en question ont également été traitées au cours de cette période.

 

[39]           À la fin mars, Mme Butler a reconnu qu’il fallait retirer les biens de Gander. Il n’y avait pas d’assurance, pas d’électricité et les engagements pris à titre de baillaire étaient menacés. Des difficultés d’accès à la propriété compliquaient par ailleurs l’établissement de l’inventaire.

 

[40]           Même si M. Humby s’opposait au déplacement des biens, il n’avait aucune solution de rechange raisonnable à proposer. Les défenderesses ont reconnu que le déplacement et le démantèlement des biens seraient couteux et problématiques, mais elles ont compris aussi qu’il serait impossible de les vendre dans des locaux non chauffés et sans électricité.

 

[41]           Le 29 mars 2005, l’ARC a ordonné le déplacement des biens. Le bureau du High Sheriff s’est occupé du déménagement et a veillé à obtenir des évaluations, ce qui n’a pas été chose facile, car elles devaient être effectuées par des sociétés locales de Grand Falls où les actifs avaient été déplacés.

 

[42]           À l’époque, personne n’avait prévu que la disposition des actifs prendrait deux ans. Ce retard ne peut, en toute équité, être imputé à l’ARC ou au bureau du High Sheriff. M. Humby a continué à s’opposer à la vente, à intenter des poursuites et à faire obstacle à la disposition ordonnée des actifs parce qu’il estimait que toutes ces démarches étaient injustifiées.

 

[43]           En avril 2005, les demandeurs ont intenté une action devant la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador pour contester les procédures d’exécution effectuées en janvier de la même année. Ces demandes ont été ajournées et n’ont repris qu’en 2006.

 

[44]           En 2006, les demandeurs ont convenu avec l’ARC que M. Humby signerait un acte de renonciation en son nom et en celui de HEL, de Central Springs et d’A&E, en échange du retour des actifs à Benton. Cet acte de renonciation a été signé en présence d’un témoin, l’avocat des demandeurs dans la présence action, M. Anstey.

 

[45]           Les demandeurs ont continué de s’opposer à la vente des actifs en août 2005, et celle‑ci a été reportée en septembre.

 

[46]           Les biens saisis à Central Springs et A&E ont été vendus aux enchères le 28 juin 2006. Le montant de ces ventes n’était pas très éloigné des valeurs estimatives. Les actifs pour lesquels un montant supérieur à 75 p. cent de la valeur estimative n’a pas été proposé n’ont pas été vendus.

 

[47]           À partir d’août 2005, les demandeurs ont déposé des avis d’opposition à l’égard des cotisations concernant les retenues sur la paye. Ayant été notifiés qu’ils s’y étaient pris en retard, ils ont demandé une prorogation de délai à la Cour canadienne de l’impôt.

 

[48]           Le 26 septembre 2006, le juge Bowie a conclu que l’ARC n’avait pas prouvé que les avis de cotisation avaient été envoyés et reçus, si bien que le délai de dépôt des avis d’opposition n’avait pas expiré. Ce différend s’est finalement soldé par la décision du juge Boyle de la Cour canadienne de l’impôt (Central Springs Ltd c Canada, 2006 CCI 524, [2006] ACI no 414).

 

[49]           Le 22 octobre 2007, la juge Heneghan de la Cour a rejeté la requête de l’ARC visant à poursuivre la saisie des biens et la vente de la propriété de Central Springs. Quelques jours plus tard, les articles restés invendus ont été retournés aux demandeurs.

 

[50]           Le 13 mars 2006, l’ARC a demandé au bureau du High Sheriff de vendre les biens personnels saisis. La propriété de Garrett Drive ne devait pas être vendue et n’a pas été vendue conformément aux brefs d’exécution.

 

[51]           En décembre 2010, le juge Boyle de la Cour canadienne de l’impôt (Central Springs Ltd c Canada, 2010 CCI 543, [2010] ACI no 412) a précisé et modifié son jugement concernant les retenues salariales visées par l’avis d’opposition se rapportant aux années 2001 à 2003. Il a estimé que les cotisations relatives à l’année 2001 et à la partie de l’année 2002 précédant la réaffectation des employés, de même que l’argument de l’ARC touchant [traduction] « l’employeur réputé », étaient infondés.

Le juge Boyle est également parvenu à la conclusion cruciale que les avis de cotisation se rapportant au reste de l’année 2002 et à l’année 2003 étaient valides pour ce qui était des retenues salariales; il les a donc confirmés.

 

[52]           Pour compléter le tour d’horizon des faits pertinents, A&E a été dissoute le 26 août 2008 et n’a pas été reconstituée depuis.

Les demandeurs ont déposé leur déclaration le 17 août 2009.

 

III.       ANALYSE

A.        Généralités

[53]           Avant de passer aux fondements juridiques de la demande des demandeurs, il est important d’examiner certaines questions générales préliminaires : les dispositions fiscales pertinentes, les questions de prescription et la dissolution d’A&E.

 

1)         Dispositions fiscales

[54]           Dans ses observations écrites, l’avocate de l’ARC présente une analyse pertinente des dispositions législatives applicables, à laquelle les demandeurs n’ont pas répondu. En plus d’être claire, cette analyse a le mérite d’être juste. Je fais miennes ces observations, que je résumerais dans les paragraphes suivants.

 

[55]           L’article 225.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) [LIR] restreint, sous réserve de quelques exceptions, le droit du ministre de recouvrer des dettes fiscales impayées si le contribuable conteste le montant des cotisations établies et qu’une audience impartiale n’a pas pris fin.

225.1 (1) Si un contribuable est redevable du montant d’une cotisation établie en vertu des dispositions de la présente loi, exception faite des paragraphes 152(4.2), 169(3) et 220(3.1), le ministre, pour recouvrer le montant impayé, ne peut, avant le lendemain du jour du début du recouvrement du montant, prendre les mesures suivantes :

 

a) entamer une poursuite devant un tribunal;

 

b) attester le montant, conformément à l’article 223;

 

c) obliger une personne à faire un paiement, conformément au paragraphe 224(1);

 

d) obliger une institution ou une personne visée au paragraphe 224(1.1) à faire un paiement, conformément à ce paragraphe;

 

e) [Abrogé, 2006, ch. 4, art. 166]

 

f) obliger une personne à remettre des fonds, conformément au paragraphe 224.3(1);

 

g) donner un avis, délivrer un certificat ou donner un ordre, conformément au paragraphe 225(1).

 

(1.1) Le jour du début du recouvrement d’un montant correspond :

 

a) dans le cas du montant d’une cotisation établie en vertu du paragraphe 188(1.1) relativement à un avis d’intention de révoquer l’enregistrement délivré en vertu du paragraphe 168(1) ou l’un des paragraphes 149.1(2) à (4.1), un an après la date de mise à la poste de l’avis d’intention;

 

b) dans le cas du montant d’une cotisation établie en vertu de l’article 188.1, un an après la date d’envoi de l’avis de cotisation;

 

c) dans les autres cas, 90 jours suivant la date d’envoi de l’avis de cotisation.

 

(2) Dans le cas où un contribuable signifie en vertu de la présente loi un avis d’opposition à une cotisation pour un montant payable en vertu de cette loi, le ministre, pour recouvrer la somme en litige, ne peut prendre aucune des mesures visées aux alinéas (1)a) à g) avant le quatre‑vingt‑onzième jour suivant la date d’envoi d’un avis au contribuable où il confirme ou modifie la cotisation.

 

(3) Dans le cas où un contribuable en appelle d’une cotisation pour un montant payable en vertu de la présente loi, auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le ministre, pour recouvrer la somme en litige, ne peut prendre aucune des mesures visées aux alinéas (1)a) à g) avant la date de mise à la poste au contribuable d’une copie de la décision de la cour ou la date où le contribuable se désiste de l’appel si celle‑ci est antérieure.

 

(4) Dans le cas où un contribuable convient de faire statuer conformément au paragraphe 173(1) la Cour canadienne de l’impôt sur une question ou qu’il est signifié au contribuable copie d’une demande présentée conformément au paragraphe 174(1) devant la Cour canadienne de l’impôt pour qu’elle statue sur une question, le ministre, pour recouvrer la partie du montant d’une cotisation, dont le contribuable pourrait être redevable selon ce que la cour statuera, ne peut prendre aucune des mesures visées aux alinéas (1)a) à g) avant la date où la cour statue sur la question.

 

(5) Malgré les autres dispositions du présent article, lorsqu’un contribuable signifie, conformément à la présente loi, un avis d’opposition à une cotisation ou en appelle d’une cotisation devant la Cour canadienne de l’impôt et qu’il convient par écrit avec le ministre de retarder la procédure d’opposition ou la procédure d’appel jusqu’à ce que la Cour canadienne de l’impôt, la Cour d’appel fédérale ou la Cour suprême du Canada rende jugement dans une autre action qui soulève la même question, ou essentiellement la même, que celle soulevée dans l’opposition ou l’appel par le contribuable, le ministre peut prendre les mesures visées aux alinéas (1)a) à g) pour recouvrer tout ou partie du montant de la cotisation établi de la façon envisagée par le jugement rendu dans cette autre action, à tout moment après que le ministre a avisé le contribuable par écrit que, selon le cas :

 

a) le jugement de la Cour canadienne de l’impôt dans l’action a été posté au ministre;

 

b) la Cour d’appel fédérale a rendu jugement dans l’action;

 

 

 

c) la Cour suprême du Canada a rendu jugement dans l’action.

 

 

 

 

(6) Les paragraphes (1) à (4) ne s’appliquent pas :

 

 

a) aux montants payables en application de la partie VIII;

 

b) aux montants à déduire ou à retenir, et à remettre ou à payer, en application de la présente loi ou de son règlement;

 

 

c) à l’impôt à payer en application de l’article 116 ou d’un règlement d’application du paragraphe 215(4) et qui n’a pas encore été payé;

 

d) aux pénalités payables pour défaut de remettre ou de payer un montant visé à l’alinéa b) ou c) de la manière et dans le délai prévus à la présente loi ou à sone règlement;

 

 

 

e) aux intérêts payables en application de la présente loi sur l’un des montants visés au présent alinéa ou aux alinéas a) à d).

 

(7) Lorsqu’une cotisation est établie en vertu de la présente loi relativement à une société pour une année d’imposition au cours de laquelle elle est une grande société ou relativement à une somme qui est déduite en application des articles 110.1 ou 118.1 et qui a été demandée relativement à un abri fiscal, les paragraphes (1) à (4) n’ont pas pour effet de limiter les mesures que le ministre peut prendre pour recouvrer :

 

a) à tout moment jusqu’au quatre-vingt-dixième jour suivant la date d’envoi de l’avis de cotisation, la moitié du montant de la cotisation ainsi établie;

 

b) à tout moment après le 90e jour suivant la date de mise à la poste de l’avis de cotisation, l’excédent éventuel du montant de la cotisation ainsi établie sur le total des montants suivants :

 

(i) les montants recouvrés avant ce moment relativement à la cotisation,

 

(ii) la moitié de la somme en litige à ce moment.

 

(8) Pour l’application du présent article et de l’article 235, une société, sauf celle visée au paragraphe 181.1(3), est une « grande société » au cours d’une année d’imposition donnée si le total de son capital imposable utilisé au Canada, à la fin de cette année, et du capital imposable utilisé au Canada de toute autre société, à la fin de la dernière année d’imposition de celle-ci se terminant au plus tard à la fin de l’année donnée, qui est liée (au sens de l’article 181.5) à la société en cause à la fin de l’année donnée, excède 10 000 000 $. Pour l’application du présent paragraphe, la société issue de la fusion ou de l’unification de plusieurs sociétés remplacées est réputée être la même société que chacune de ces sociétés et en être la continuation.

225.1 (1) If a taxpayer is liable for the payment of an amount assessed under this Act, other than an amount assessed under subsection 152(4.2), 169(3) or 220(3.1), the Minister shall not, until after the collection-commencement day in respect of the amount, do any of the following for the purpose of collecting the amount:

 

 

(a) commence legal proceedings in a court,

 

(b) certify the amount under section 223,

 

(c) require a person to make a payment under subsection 224(1),

 

(d) require an institution or a person to make a payment under subsection 224(1.1),

 

 

 

(e) [Repealed, 2006, c. 4, s. 166]

 

(f) require a person to turn over moneys under subsection 224.3(1), or

 

 

(g) give a notice, issue a certificate or make a direction under subsection 225(1).

 

 

(1.1) The collection-commencement day in respect of an amount is

 

(a) in the case of an amount assessed under subsection 188(1.1) in respect of a notice of intention to revoke given under subsection 168(1) or any of subsections 149.1(2) to (4.1), one year after the day on which the notice was mailed;

 

 

 

 

(b) in the case of an amount assessed under section 188.1, one year after the day on which the notice of assessment was sent; and

 

(c) in any other case, 90 days after the day on which the notice of assessment was sent.

 

(2) If a taxpayer has served a notice of objection under this Act to an assessment of an amount payable under this Act, the Minister shall not, for the purpose of collecting the amount in controversy, take any of the actions described in paragraphs (1)(a) to (g) until after the day that is 90 days after the day on which notice is sent to the taxpayer that the Minister has confirmed or varied the assessment.

 

 

(3) Where a taxpayer has appealed from an assessment of an amount payable under this Act to the Tax Court of Canada, the Minister shall not, for the purpose of collecting the amount in controversy, take any of the actions described in paragraphs 225.1(1)(a) to 225.1(1)(g) before the day of mailing of a copy of the decision of the Court to the taxpayer or the day on which the taxpayer discontinues the appeal, whichever is the earlier.

 

(4) Where a taxpayer has agreed under subsection 173(1) that a question should be determined by the Tax Court of Canada, or where a taxpayer is served with a copy of an application made under subsection 174(1) to that Court for the determination of a question, the Minister shall not take any of the actions described in paragraphs 225.1(1)(a) to 225.1(1)(g) for the purpose of collecting that part of an amount assessed, the liability for payment of which will be affected by the determination of the question, before the day on which the question is determined by the Court.

 

(5) Notwithstanding any other provision in this section, where a taxpayer has served a notice of objection under this Act to an assessment or has appealed to the Tax Court of Canada from an assessment and agrees in writing with the Minister to delay proceedings on the objection or appeal, as the case may be, until judgment has been given in another action before the Tax Court of Canada, the Federal Court of Appeal or the Supreme Court of Canada in which the issue is the same or substantially the same as that raised in the objection or appeal of the taxpayer, the Minister may take any of the actions described in paragraphs 225.1(1)(a) to 225.1(1)(g) for the purpose of collecting the amount assessed, or a part thereof, determined in a manner consistent with the decision or judgment of the Court in the other action at any time after the Minister notifies the taxpayer in writing that

 

 

(a) the decision of the Tax Court of Canada in that action has been mailed to the Minister,

 

(b) judgment has been pronounced by the Federal Court of Appeal in that action, or

 

(c) judgment has been delivered by the Supreme Court of Canada in that action,

 

as the case may be.

 

(6) Subsections 225.1(1) to 225.1(4) do not apply with respect to

 

(a) an amount payable under Part VIII;

 

(b) an amount required to be deducted or withheld, and required to be remitted or paid, under this Act or the Regulations;

 

(c) an amount of tax required to be paid under section 116 or a regulation made under subsection 215(4) but not so paid;

 

(d) the amount of any penalty payable for failure to remit or pay an amount referred to in paragraph 225.1(6)(b) or 225.1(6)(c) as and when required by this Act or a regulation made under this Act; and

 

(e) any interest payable under a provision of this Act on an amount referred to in this paragraph or any of paragraphs 225.1(6)(a) to 225.1(6)(d).

 

(7) If an amount has been assessed under this Act in respect of a corporation for a taxation year in which it was a large corporation, or in respect of a particular amount claimed under section 110.1 or 118.1 where the particular amount was claimed in respect of a tax shelter, then subsections (1) to (4) do not limit any action of the Minister to collect

 

 

 

(a) at any time on or before the particular day that is 90 days after the day of the sending of the notice of assessment, 1/2 of the amount so assessed; and

 

 

(b) at any time after the particular day, the amount, if any, by which the amount so assessed exceeds the total of

 

 

 

 

(i) all amounts collected before that time with respect to the assessment, and

 

(ii) 1/2 of the amount in controversy at that time.

 

(8) For the purposes of this section and section 235, a corporation (other than a corporation described in subsection 181.1(3)) is a “large corporation” in a particular taxation year if the total of the taxable capital employed in Canada of the corporation, at the end of the particular taxation year, and the taxable capital employed in Canada of any other corporation, at the end of the other corporation’s last taxation year that ends at or before the end of the particular taxation year, if the other corporation is related (within the meaning assigned for the purposes of section 181.5) to the corporation at the end of the particular taxation year, exceeds $10 million, and, for the purpose of this subsection, a corporation formed as a result of the amalgamation or merger of 2 or more predecessor corporations is deemed to be the same corporation as, and a continuation of, each predecessor corporation.

[56]           Hormis quelques exceptions, le paragraphe 225.1(1) de la LIR interdit au ministre de prendre les mesures de recouvrement énoncées dans cette disposition à l’encontre d’un contribuable, et ce, jusqu’au 90e jour suivant la date à laquelle un avis de cotisation (ou de nouvelle cotisation) lui a été envoyé par la poste, ou, si ce dernier dépose un avis d’opposition ou interjette appel de la cotisation, jusqu’à ce que l’opposition ou l’appel ait été tranché de manière définitive. Les mesures de recouvrement prévues sont les suivantes :

a)                  entamer une poursuite devant un tribunal;

b)                  attester le montant, conformément à l’article 223;

c)                  obliger une personne à faire un paiement, conformément au paragraphe 224(1);

d)                 obliger une institution ou une personne à faire un paiement, conformément au paragraphe 224(1.1);

e)                  obliger une personne à remettre des fonds, conformément au paragraphe 224.3(1);

f)                   donner un avis, délivrer un certificat ou donner un ordre, conformément au paragraphe 225(1).

 

[57]           Il convient de noter que les restrictions en matière de recouvrement prévues au paragraphe 225.1(1) de la LIR excluent d’obliger une personne à faire un paiement conformément au paragraphe 224(1.2), souvent qualifié de disposition de « saisie‑arrêt renforcée » de la LIR. De plus, les exceptions contenues au paragraphe 225.1(1) se retrouvent au paragraphe 225.1(6) de la même loi. En réalité, le délai de 90 jours à respecter avant de prendre des mesures de recouvrement ne s’applique pas aux montants à retenir sur le salaire des employés et à remettre à l’ARC; c’est un enjeu crucial en l’espèce.

 

[58]           L’alinéa 225.1(6)b) est important au regard du présent litige :

225.1 (6) Les paragraphes (1) à (4) ne s’appliquent pas :

 

 

[…]

 

b) aux montants à déduire ou à retenir, et à remettre ou à payer, en application de la présente loi ou de son règlement;

225.1 (6) Subsections 225.1(1) to 225.1(4) do not apply with respect to

 

 

(b) an amount required to be deducted or withheld, and required to be remitted or paid, under this Act or the Regulations;

[59]           En raison de l’alinéa 225.1(6)b) de la LIR, les prélèvements à la source (montants pris sur la paye) qui doivent être déduits ou retenus et remis en vertu du paragraphe 153(1) et de l’article 101 du Règlement de l’impôt sur le revenu ne sont pas visés par les restrictions en matière de recouvrement prévues au paragraphe 225.1(1) de la LIR.  Par ailleurs, celles‑ci ne s’appliquent pas aux pénalités et intérêts payables pour défaut de versement des montants visés à l’alinéa 225.1(6)b).

 

[60]           Les montants déduits ou retenus en vertu du paragraphe 153(1) de la LIR sont réputés détenus en fiducie pour Sa Majesté aux termes du paragraphe 227(4) de la LIR.

 

[61]           En vertu de l’article 315 de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15 [LTA], les montants recouvrés et non remis au titre de cette loi ne tombent pas sous le coup des restrictions en matière de recouvrement. Ces montants sont réputés détenus en fiducie pour Sa Majesté aux termes du paragraphe 222(1) de la LTA.

 

[62]           En vertu du paragraphe 152(8) de la LIR, sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation lors d’une opposition ou d’un appel fait en vertu de la LIR, une cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s’y rattachant en vertu de la LIR. L’établissement d’une cotisation incorrecte ou incomplète ou l’omission d’établir une cotisation ne modifient en rien la responsabilité fiscale du contribuable.

 

[63]           D’après ces dispositions, l’ARC peut prendre sans délai des mesures de recouvrement à l’égard des montants déduits du salaire des employés en vue de leur retenue et remise à l’ARC; elle n’a pas à respecter le délai de 90 jours qui l’empêche généralement de prendre des mesures d’exécution.

 

[64]           Le principe sous‑jacent est que l’argent destiné à remplir les obligations fiscales des employés appartient à ces derniers et non aux employeurs. L’employé reste tenu de payer ses impôts, et le défaut par l’employeur de remettre les sommes dues devient pour lui une forme déguisée de financement par l’employé.

 

[65]           Les situations qui entraînent généralement cette relation fiduciaire et permettent à l’ARC de procéder rapidement sont celles où des tiers font valoir des intérêts à l’encontre de l’employeur, auquel cas le gouvernement et l’employé doivent être protégés. Cependant, si aucun tiers n’a de réclamations à présenter à l’égard des actifs de l’employeur, cela n’empêche pas l’ARC de procéder immédiatement au recouvrement, comme en l’espèce.

 

[66]           Dans quelle mesure l’ARC peut combiner, dans le même avis de cotisation, d’autres dettes fiscales assorties de restrictions de recouvrement avec des retenues sur la paye des employés qui n’en impliquent pas, pour saisir sans délai des actifs alors que normalement elle ne le peut pas? Voilà une question intéressante, mais théorique en l’occurrence, comme je l’expliquerai plus loin dans les présents motifs.

 

2)         Dissolution d’A&E

[67]           Le 26 août 2008, avant la présentation de la déclaration, A&E a été dissoute conformément à l’article 331 de la Corporations Act de Terre‑Neuve, RSNL 1990, c C‑36 [loi sur les corporations], comme en témoigne un certificat de dissolution daté du jour même. Aux termes du paragraphe 331(4) de cette loi, A&E a cessé d’exister ce jour‑là.

[traduction]

331.(4)       Toute personne morale est reconstituée à la date inscrite sur le certificat de reconstitution; sous réserve des modalités raisonnables que pourrait imposer le registraire, ou le surintendant des assurances, dans le cas d’une société d’assurance, et des droits acquis par une personne après sa dissolution, cette personne morale a par la suite les droits, les privilèges et les responsabilités qui auraient été les siens si elle n’avait pas été dissoute.

[68]           Bien que l’on ne m’ait cité aucun précédent de Terre‑Neuve quant à l’effet de la dissolution sur une action déposée ultérieurement au nom de la société dissoute, la décision Swale Investments Ltd c National Bank of Greece (Canada), [1997] OJ no 4997, 51 OTC 144, énonce le principe juridique applicable, à savoir que la société dissoute qui a cessé d’exister ne peut intenter d’action. Une telle action serait nulle.

 

[69]           Rien n’indique que la société a été reconstituée. Par conséquent, l’action, en ce qu’elle se rapporte à A&E, est nulle et toute demande sera rejetée pour ce seul motif.

 

3)         Délais de prescription

[70]           Les deux défenderesses invoquent la Limitations Act provinciale, SNL 1995, c L‑16.1 [loi sur la prescription], pour faire rejeter certaines des causes d’action plaidées.

 

[71]           La Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, RSC 1985, c C‑50, intègre les règles de droit provinciales en matière de prescription en vigueur dans la province où le fait générateur est survenu. Le régime de prescription applicable est celui de Terre‑Neuve‑et‑Labrador.

 

[72]           Même s’il est parfois difficile de déterminer avec précision la nature des causes d’action, certaines à tout le moins tombent sous le coup des alinéas 5a), c), d) et g) de la loi sur la prescription provinciale.

[traduction]

5.   Les actions suivantes se prescrivent par deux ans suivant la date à laquelle a pris naissance le droit de les intenter :

 

      a)      l’action en dommages‑intérêts pour préjudice corporel ou matériel, y compris la perte économique découlant du préjudice, que ce soit pour un délit, une inexécution de contrat ou un manquement à une obligation légale;

 

      b)      l’action en dommages‑intérêts pour préjudice corporel ou matériel, y compris la perte économique découlant d’une déclaration inexacte faite par négligence ou d’une négligence professionnelle, que ce soit pour un délit, une inexécution de contrat ou un manquement à une obligation légale;

 

      c)      l’action visant une entrée sans autorisation non visée par l’alinéa a);

 

      d)      l’action en diffamation autre que celle visée à l’article 17 de la Defamation Act [loi sur la diffamation];

 

      e)      l’action pour détention arbitraire;

 

      f)       l’action pour poursuites abusives;

 

      g)      l’action pour complot en vue de commettre une transgression mentionnée aux alinéas a) à e);

 

      h)      l’action civile visant à recouvrer une amende ou autre pénalité imposée par un tribunal ou par la loi;

 

      i)       l’action fondée sur la Fatal Accidents Act [loi sur les accidents mortels];

 

      j)       l’action fondée sur la Privacy Act [loi sur la protection de la vie privée].

[73]           Les articles 6 et 7 de cette loi fixent à six et dix ans les délais de prescription pour les autres actions. La disposition la plus pertinente est l’alinéa 6a), qui établit à six ans le délai de prescription pour les causes d’action liées à un préjudice découlant de la transformation ou de la détention de biens.

 

[74]           Les demandeurs soulèvent des motifs liés à la compétence, comme l’absence de compétence de l’ARC pour prendre des mesures, le caractère prématuré des mesures prises, la conduite déraisonnable et la mauvaise foi. Cet aspect de l’action des demandeurs n’est pas soumis à la loi sur la prescription provinciale. Ces arguments ne concernent pas tant un manquement à une obligation légale qu’une absence ou un excès de compétence.

 

[75]           Cependant, les demandeurs prétendent avoir été victimes de diffamation et de négligence et reprochent au bureau du High Sheriff d’avoir failli à une obligation légale; toutes ces allégations tombent sous le coup du délai de prescription de deux ans. Dans la mesure où les demandeurs invoquent à la fois un délit civil intentionnel et un complot civil, ces deux allégations relèvent du délai de prescription de deux ans. Par conséquent, tous ces éléments de l’action des demandeurs seront rejetés pour des motifs liés à la prescription. En outre, pour les motifs qui suivent, ils sont rejetés sur le fond.

 

[76]           L’ARC n’a aucune obligation particulière envers les demandeurs en ce qui a trait à sa conduite. Par contre, le bureau du High Sheriff est tenu, en vertu de l’alinéa 3(5)f) de la loi sur l’exécution des jugements de Terre‑Neuve, d’agir de bonne foi et selon des pratiques commerciales raisonnables.

[traduction]

3. (5)  Les règles suivantes s’appliquent aux procédures d’exécution :

 

[…]

 

    f)  les créanciers et le shérif exercent les droits, s’acquittent des obligations et remplissent les fonctions que prévoit la présente loi en agissant de bonne foi et selon des pratiques commerciales raisonnables;

[77]           Les demandeurs reprochent principalement au bureau du High Sheriff d’avoir failli à cette obligation législative. Compte tenu du délai des prescriptions de deux ans, l’action intentée contre le bureau du High Sheriff doit être intégralement rejetée. Comme nous l’expliquerons plus loin dans les présents motifs, l’action intentée contre le bureau du High Sheriff est également rejetée sur le fond.

 

[78]           Les demandeurs font valoir, au sujet du délai de prescription applicable, que M. Humby souffrait d’une sorte d’invalidité à cause de l’agitation émotionnelle dans laquelle les difficultés financières de ses sociétés l’avaient plongé.

 

[79]           Rien dans la preuve médicale présentée n’indique que la capacité juridique lui faisait défaut. Comme les faits le démontrent, son avocat et son comptable et lui étaient activement engagés dans des instances devant la Cour suprême provinciale, la Cour canadienne de l’impôt et la Cour. Je ne vois rien pour confirmer que M. Humby n’était pas en mesure de donner des instructions, d’agir dans son propre intérêt ou de comprendre la nature de ses interactions.

 

4)         Renonciation

[80]           Dans le document du 29 août 2005 portant réception, renonciation et libération, les demandeurs et HEL ont renoncé, complètement et sans équivoque, à l’égard de la première défenderesse (et l’ARC), à :

[traduction] toute demande ou réclamation de quelque nature que ce soit découlant des saisies effectuées le ou vers le 19 janvier 2005 sur la propriété située sur Main Road, dans la Ville de Benton […].

[81]           La renonciation s’est faite en présence d’un témoin, M. Anstey, avocat des demandeurs. Ces derniers ne peuvent à présent soutenir que ce document n’est pas contraignant parce que M. Humby se trouvait si désemparé qu’il était prêt à signer n’importe quoi pour qu’on lui rende certaines de ses possessions. Son avocat était à ses côtés, et s’il s’apprêtait à signer un document qu’il ne comprenait pas ou auquel il ne devait pas souscrire, son avocat l’en aurait empêché et aurait dû le faire.

 

[82]           Les demandeurs sont liés par cette renonciation.

 

B         Allégations visant l’ARC

[83]           Les demandeurs allèguent principalement que 1) l’ARC a pris des mesures de recouvrement alors qu’elle n’en avait pas le droit, et que 2) même si elle avait le pouvoir de prendre des mesures d’exécution, elle en a usé de manière irrégulière et illégale.

 

1)         Droit de prendre des mesures de recouvrement

[84]           Les demandeurs affirment que les avis de cotisation sur lesquels les mesures de recouvrement étaient fondées étaient arbitraires et prématurés.

 

[85]           La position des demandeurs revient à attaquer indirectement des ordonnances de la Cour et des jugements de la Cour canadienne de l’impôt toujours en vigueur. Dans les présentes circonstances, ce type d’attaque n’est pas permis.

 

[86]           Les mesures de recouvrement reposent sur des certificats, qui ont l’effet de jugements rendus par la Cour. C’est au moment où ils sont délivrés que ces certificats doivent être contestés. Les demandeurs n’ont rien entrepris pour les faire annuler ou en limiter la portée, et se sont plutôt adressés à la cour supérieure provinciale qui n’était pas compétente à cet égard.

 

[87]           Les demandeurs n’ont jamais soutenu que les avis de cotisation et les certificats étaient partiellement infondés. Au fond, ils n’ont aucun argument à opposer en défense à l’ARC qui leur réclame le montant des déductions dues.

 

[88]           Les demandeurs vont plus loin et contestent les cotisations et donc le jugement du juge Boyle. Ils font valoir que la Cour devrait tous les réviser.

Cette observation n’est pas seulement une attaque indirecte du jugement de la Cour de l’impôt : c’est une attaque frontale. La Cour n’est pas là pour réviser les décisions de la Cour de l’impôt. La validité des avis de cotisation relève de la compétence de celle‑ci et peut faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale; les cotisations se rapportant à une partie de l’année 2002 et à l’année 2003 ont été confirmées. Les cotisations, telles que les a modifiées la Cour de l’impôt, sont maintenues et les sociétés demanderesses doivent payer les montants confirmés encore en souffrance.

 

[89]           Les demandeurs font valoir en outre que les mesures d’exécution étaient prématurées, car l’ARC devait attendre 90 jours avant de prendre des mesures.

Comme je l’ai souligné plus tôt, la loi ne prévoit pas de restriction en matière de recouvrement lorsque l’employeur a omis de verser des impôts. Les cotisations de 2002‑2003 concernaient principalement les montants à remettre correspondant aux retenues salariales des employés, à l’égard desquels l’ARC pouvait prendre immédiatement des mesures d’exécution. Les dettes attestées en août 2004 se rapportaient à la TPS, celles attestées en décembre suivant aux salaires et aux retenues à la source. Dans la mesure où l’avis et les certificats délivrés à l’égard de ces cotisations concernaient des montants qui pouvaient être soumis à la période de 90 jours, il incombait aux demandeurs de demander que les certificats soient modifiés ou révoqués, ce qu’ils n’ont pas fait.

 

            2)         Exécution irrégulière et illégale

[90]           Les demandeurs imputent sous ce motif à l’ARC un objectif répréhensible, de la mauvaise foi et une conduite déraisonnable et illégale; tous ces arguments relèvent des critères intentionnels touchant l’excès de compétence, la diffamation, la négligence et des violations de droits protégés par la Charte.

 

[91]           Les demandeurs allèguent de manière générale que l’ARC et ses employés ont comploté entre eux pour abuser de leurs pouvoirs en établissant illégalement des cotisations que les sociétés demanderesses étaient censées devoir, puis en entamant des procédures d’exécution pour recouvrer lesdits montants.

L’aspect de l’argument concernant les cotisations a déjà été traité.

 

[92]           En ce qui concerne les principes de droit administratif intéressant l’abus ou l’excès de compétence/l’objectif répréhensible, les demandeurs doivent montrer que les mesures de recouvrement visaient autre chose que la récupération de sommes présumées en souffrance. Le critère est fondamentalement le même que pour l’abus de procédure.

 

[93]           Dans le cas du délit intentionnel de complot et de la faute commise dans l’exercice d’une charge publique, les demandeurs doivent démontrer l’intention de porter préjudice ou un autre objectif étranger et répréhensible.

Dans l’arrêt Succession Odhavji c Woodhouse, 2003 CSC 69, [2003] 3 RCS 263, paragraphe 32, la Cour a résumé ainsi la notion de faute commise dans l’exercice d’une charge publique :

[…] la faute commise dans l’exercice d’une charge publique constitue un délit intentionnel comportant les deux éléments distinctifs suivants : (i) une conduite illégitime et délibérée dans l’exercice de fonctions publiques; et (ii) la connaissance du caractère illégitime de la conduite et de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur. À cela s’ajoute l’exigence pour le demandeur d’établir l’existence des autres conditions communes à tous les délits. Plus précisément, le demandeur doit démontrer que les préjudices qu’il a subis ont pour cause juridique la conduite délictuelle, et que ces préjudices sont indemnisables suivant les règles de droit en matière délictuelle.

[94]           Pour établir l’objectif répréhensible et les allégations afférentes, les demandeurs se contentent de citer un commentaire prêté à M. Peddle, lequel aurait déclaré en juin 2003 qu’il allait [traduction] « démolir M. Humby ». Cette déclaration n’est pas corroborée et n’a pas été reconnue comme un fait. La meilleure raison que les demandeurs ont pu avancer pour expliquer l’énergie que mettait M. Peddle surtout (et d’autres fonctionnaires de l’ARC) à prendre des mesures d’exécution contre le demandeur était [traduction] « [qu’]il (M. Peddle) pouvait le faire ». Rien ne vient étayer cette prétention.

 

[95]           Prises dans leur ensemble, les mesures d’exécution ne contiennent rien de flagrant ou d’inapproprié. Ce sont les mesures qu’un créancier raisonnable aurait prises. Certaines ont porté fruit, et d’autres pas.

 

[96]           M. Humby s’est heurté à M. Peddle tout le temps qu’ont duré ses rapports avec l’ARC. Il était sûr que M. Peddle lui en voulait personnellement et a continué d’insister pour que le dossier lui soit retiré, invoquant même ici et là la Charte des droits du contribuable et le droit d’avoir un représentant de son choix.

 

[97]           M. Humby est allé jusqu’à s’adresser au ministre du Revenu national en remontant la voie hiérarchique. Sa plainte a été rejetée à tous les stades. La ministre d’alors a même été appelée à témoigner durant le présent procès. Sa déposition n’a pas servi à grand‑chose car, comme elle l’avait indiqué au préalable, elle n’avait aucun souvenir de l’affaire.

 

[98]           Les superviseurs immédiats de M. Peddle n’ont vu aucune raison de maintenir la plainte, ce qui, d’après les demandeurs, est une preuve supplémentaire du comportement abusif de l’ARC.

 

[99]           Le juge Boyle semble s’être montré critique à l’endroit de M. Peddle, quoique ce dernier n’ait pas témoigné devant la Cour de l’impôt. M. Peddle n’a pas comparu devant moi non plus. Vu le comportement de M. Humby, il ne serait pas étonnant qu’il ait irrité M. Peddle et que ce dernier ait mis plus d’enthousiasme dans ses démarches de recouvrement. L’animosité entre les deux hommes était évidente et palpable en cour. J’ai accueilli avec prudence la preuve de M. Peddle, surtout lorsqu’elle n’était pas appuyée par des documents.

 

[100]       Cependant, je rejette la prétention des demandeurs selon laquelle M. Peddle avait une telle hostilité à l’égard de M. Humby qu’il a outrepassé son mandat et fait certaines choses uniquement pour lui nuire à lui et à sa société. Toutes les mesures qu’il a prises visaient à obtenir le paiement de dettes impayées.

 

[101]       Ce sont ces mêmes personnes qui ont accepté en 2003 de suspendre toutes les mesures de recouvrement de l’ARC jusqu’à la conclusion de l’instance, pour autant que les demandeurs règlent leurs dettes fiscales. Il est difficile d’y voir les actes d’un individu ou d’un groupe animé par une vendetta.

 

[102]       Le problème général des demandeurs est qu’ils n’ont pas honoré leurs obligations nées des différents arrangements conclus en 2003 et 2004, décrits plus haut.

 

[103]       Les demandeurs invoquent aussi à l’appui de leurs allégations la mesure d’exécution prise en janvier 2005, avant qu’un jugement n’ait été rendu en leur défaveur en mai suivant. Comme nous l’avons noté, les demandeurs ont failli à l’entente de 2004. Nous reviendrons plus loin sur les circonstances entourant les mesures de janvier 2005.

 

[104]       Cependant, les demandeurs n’ont pas démontré que leur situation aurait été différente si l’ARC avait attendu jusqu’en mai 2005 que le jugement soit rendu. Leur dette fiscale aurait augmenté et rien n’indique qu’ils auraient été capables de l’acquitter.

 

[105]       Le défaut capital de l’argumentation des demandeurs est qu’ils n’ont pas réussi à prouver que « n’eurent été » les mesures prises par l’ARC en janvier 2005, leur situation aurait finalement été différente. Les demandeurs n’ont jamais eu d’autre plan pour régler leur dette que l’espérance d’avoir gain de cause dans leur procès. Tel n’a pas été le cas.

 

[106]       L’ARC s’est montrée disposée à retarder le recouvrement pendant que l’affaire était instruite par les tribunaux de Terre‑Neuve, et à laisser les biens saisis à Gander jusqu’à ce que cet arrangement ne soit plus acceptable pour des raisons de sécurité et d’alimentation en électricité; cette façon d’agir ne trahit pas de la mauvaise foi ou un objectif répréhensible.

 

[107]       Les mesures d’exécution prises par l’ARC n’avaient rien de déraisonnable et n’étaient pas motivées par un autre objectif que le juste recouvrement des dettes. Les fonctionnaires de l’Agence ont estimé honnêtement que toutes les étapes requises (notamment la signification des avis de cotisation) avaient été complétées.

 

[108]       Les demandeurs font valoir que les fonctionnaires de l’ARC n’ont pas suivi chacune des étapes énoncées dans le manuel destiné aux agents de recouvrement. Il est bien établi en droit que les manuels de ce type ne sont pas contraignants en droit ni à l’égard de tiers, ni pour les employés eux‑mêmes. Les demandeurs sont malavisés de vouloir faire de ce document une législation subordonnée.

 

[109]       Les fonctionnaires de l’ARC n’étaient pas tenus de suivre le manuel et celui‑ci ne créait pour les demandeurs aucune attente légitime quant aux mesures que prendrait l’Agence. Rien n’indique que les demandeurs aient compté là‑dessus avant le début de l’instance.

 

[110]       Les demandeurs reprochent à l’ARC d’avoir agi déraisonnablement en déplaçant les biens à Grand Falls et dans sa manière de faire valoir ses droits sur les actifs des sociétés demanderesses. Les circonstances justifiaient entièrement le déplacement des biens vers Grand Falls, et les demandeurs n’ont présenté aucune preuve crédible indépendante de ce que l’ARC (ou d’ailleurs le bureau du High Sheriff ) pouvait et aurait dû s’y prendre autrement pour les vendre et a agi de façon inconsidérée.

 

[111]       Comme j’ai conclu que l’ARC avait agi dans le seul but de recouvrer des dettes impayées et que les mesures prises étaient raisonnables compte tenu de l’ensemble des circonstances, les allégations d’abus de procédure, d’ingérence dans des relations économiques, de complot civil, ou la myriade d’autres allégations relatives à l’objectif répréhensible et la mauvaise foi sont donc injustifiées.

 

[112]       L’analyse des demandeurs néglige le fait que les montants des impôts à payer ont été établis, qu’ils étaient dus et impayés et que l’ARC devait prendre des mesures pour les recouvrer.

 

[113]       Les demandeurs soutiennent également que l’ARC et ses agents les ont diffamés en prétendant qu’ils n’avaient pas payé leurs dettes et que M. Humby prenait des biens appartenant à Central Springs et A&E.

 

[114]       Pour être diffamatoires, les déclarations doivent être fausses et susceptibles de nuire à la réputation du demandeur.

 

[115]       Toutes les déclarations concernant la dette fiscale étaient exactes et procédaient d’un contexte et d’un objectif liés au recouvrement.

 

[116]       Les seules déclarations dont il a été établi qu’elles se rapportaient au déplacement d’actifs s’adressaient à M. Freake et d’autres personnes du bureau du High Sheriff. Loin de bénéficier de l’immunité relative, ces déclarations réitéraient ce que M. Peddle avait entendu et c’est sur la base de ces mêmes déclarations qu’on a donné des instructions au bureau du High Sheriff.

 

[117]       Non seulement ces déclarations ne constituent pas de la diffamation, mais encore cette allégation tombe clairement sous le coup du délai de prescription de deux ans.

 

[118]       Les demandeurs plaident une certaine forme de négligence, mais il est difficile de discerner ce qu’ils qualifient d’actes négligents. Toutes les questions à l’égard desquelles ils soulèvent des objections ont été traitées – il s’agit d’actes intentionnels relevant du droit administratif ou des principes relatifs aux délits intentionnels.

 

[119]       Les principes touchant la négligence sont bien connus. La première question est de savoir s’il existe une obligation de diligence.

Dans la décision Anns c Merton London Borough Council, [1978] AC 728 (HL), la Chambre des lords propose une analyse en deux étapes pour déterminer l’existence d’une telle obligation :

a)         Existe‑t‑il un lien suffisamment étroit de proximité pour que le manque de diligence de la part de l’auteur de la faute puisse raisonnablement être perçu comme étant susceptible de causer un préjudice à l’autre personne? Si tel est le cas, il existe à première vue une obligation de diligence.

b)         Si l’on répond par l’affirmative à cette question, il faut se demander s’il existe des motifs de rejeter ou de restreindre la portée de l’obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages qui peuvent découler de l’inexécution de cette obligation.

 

[120]       Dans le contexte de la présente affaire, la relation en est une de débiteur‑créancier; les parties sont en un sens opposé. La Cour suprême du Canada a indiqué que le contribuable et l’ARC avaient, dans leurs rapports, des « intérêts opposés » (voir R c Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 RCS 757, paragraphe 84).

C’est encore plus vrai lorsque les parties sont liées par une dette impayée.

 

[121]       Sauf quelques rares exceptions, le ministre n’a aucune obligation de diligence lorsqu’il cherche à recouvrer des dettes. De par leur nature, ces activités de recouvrement nuiront au débiteur.

 

[122]       La relation entre le débiteur et le ministre est régie en l’espèce par la loi. Sauf abus de ses pouvoirs légaux, le ministre n’est tenu à l’égard du débiteur que d’agir conformément à la loi et aux fins qu’elle prévoit.

 

[123]       Quand bien même il existerait une obligation de diligence, celle de ne pas agir imprudemment à tout le moins, il n’y a rien dans les actes de l’ARC qui puisse constituer une violation d’une telle obligation.

 

C.        Droits protégés par la Charte

[124]       Les demandeurs soutiennent qu’il y a eu violation des articles 7, 8 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, mais ne citent aucun précédent à l’appui.

 

1)         Article 7 – Vie, liberté, sécurité

[125]       En règle générale, l’article 7 ne s’applique pas aux sociétés (R c CIP Inc, [1992] 1 RCS 843, ACS no 34), ni au stress et aux anxiétés ordinaires qu’une personne raisonnable éprouve du fait de mesures prises par le gouvernement (Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c G, [1999] 3 RCS 46, ACS no 47).

 

[126]       La présente affaire concerne des intérêts principalement économiques non régis par la Charte. Dans l’arrêt Mathew c La Reine, 2003 CAF 371, [2003] ACF no 1470, le juge Rothstein a rejeté l’idée que l’article 7 puisse entrer en jeu dans le contexte des cotisations fiscales.

29     Je reconnais que le pouvoir d’établir une nouvelle cotisation pour un contribuable met en cause l’administration de la justice. Je ne reconnais toutefois pas qu’établir une nouvelle cotisation donne lieu à une atteinte à la liberté ou à la sécurité de la personne.

 

30     Si un droit entre en jeu lorsqu’on établit de nouvelles cotisations, c’est d’un droit économique qu’il s’agit. S’exprimant au nom de la majorité dans Gosselin, la juge en chef McLachlin a fait observer que, dans Irwin Toy Ltd. c. Québec (P.G.), [1989] 1 R.C.S. 927, à la page 1003, le juge en chef Dickson, s’exprimant au nom de la majorité, n’avait pas répondu à la question de savoir si l’article 7 pouvait être invoqué pour protéger les « droits économiques, fondamentaux à [...] la survie [de la personne] ». On ne laisse toutefois pas entendre dans Gosselin que l’article 7 est d’assez large portée pour englober les droits économiques de manière générale ou, plus particulièrement, l’établissement de nouvelles cotisations. Je suis d’avis, par conséquent, que les appelants n’ont pas démontré l’atteinte à un droit quelconque garanti par l’article 7 de la Charte.

[127]       Enfin, les demandeurs n’ont pas précisé à quel principe fondamental de justice il a été porté atteinte. Ils ne peuvent donc invoquer l’article 7 (Chaoulli c Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 RCS 791).

 

2)         Article 8 – Fouilles, perquisitions ou saisies abusives

[128]       Il est impossible de voir comment l’article 8 s’applique en l’espèce. La saisie des biens (il n’était pas question ici d’une fouille sur une personne) était autorisée par la loi, la loi était raisonnable, et la saisie a été exécutée de manière raisonnable.

 

[129]       Comme nous l’avons vu, les saisies étaient autorisées par la loi (article 223 et paragraphe 225.1(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu, paragraphe 163(3) de la Loi sur la taxe d’accise). Il a été jugé que le paragraphe 163(3) ne contrevenait pas aux articles 8, 11 et 12 de la Charte (Porter c Canada, [1989] 3 CF 403, 26 FTR 69) [Porter].

 

[130]       Personne ne soutient réellement que la loi est déraisonnable, et encore moins qu’elle ne se justifie pas au titre de l’article premier. Comme je l’indiquais plus tôt, les saisies ont été effectuées de manière raisonnable.

 

3)         Article 12 – Peines cruelles et inusitées

[131]       Soutenir qu’une instance comme la présente, qui concerne la saisie de biens d’une société liée à des dettes justement exigibles, vise des peines cruelles et inusitées revient à banaliser les intérêts importants protégés par cette disposition de la Charte.

 

[132]       Dans Porter, la Cour a expressément établi que la confiscation dans le contexte d’un recouvrement d’impôt ne contrevenait pas à l’article 12 de la Charte.

 

[133]       L’obligation de payer des impôts n’est pas une « peine cruelle et inusitée » au sens de l’article 12 de la Charte (Schindeler c Canada, [1994] 1 CTC 2379, ACI no 29). Aucun des actes posés par l’une des défenderesses ne peut être considéré comme une peine cruelle et inusitée.

 

[134]       Cette allégation, comme toutes les autres qu’ont formulées les demandeurs, perd de vue a) qu’ils devaient des impôts, b) qu’ils ont failli plusieurs fois à cette obligation et c) qu’ils n’avaient ni le projet ni la capacité de payer (seulement d’intenter une action, laquelle a été rejetée).

 

D.        Responsabilité du bureau du High Sheriff

[135]       En ce qui concerne le bureau du High Sheriff, les demandeurs semblent reprocher à ses agents, d’une part, d’avoir exécuté les instructions de l’ARC et, d’autre part, de l’avoir fait de mauvaise foi et/ou selon des pratiques commerciales déraisonnables.

 

[136]       Le bureau du High Sheriff a expliqué que les saisies et les ventes prévues par la loi sur l’exécution des jugements procédaient d’un régime axé sur les créanciers, si bien que ses agents exécutent les instructions de ces derniers, ce qui ne répond toutefois pas complètement aux arguments des demandeurs. Aux termes de l’alinéa 3(5)f) de cette loi, le bureau du High Sheriff est tenu d’agir de bonne foi et de suivre des pratiques commerciales raisonnables. Cette disposition réduit la portée de la notion de régime favorisant le créancier invoquée.

 

[137]       Comme la Cour n’a pas conclu que les mesures prises par l’ARC, notamment ses instructions au bureau du High Sheriff, étaient injustifiées, le respect de celles‑ci n’engage pas la responsabilité du bureau.

 

[138]       Quant au second motif, les demandeurs allèguent que le bureau du High Sheriff a saisi des actifs qui n’auraient pas dû l’être et a donc effectué la saisie et la vente de manière irrégulière. En cas de saisie irrégulière, les demandeurs doivent se prévaloir des procédures d’opposition de la loi sur l’exécution des jugements pour obtenir la libération des biens.

 

[139]       En ce qui intéresse cette allégation, la loi envisage des cas où le débiteur n’est pas propriétaire du bien saisi et où un tiers détient un intérêt sur celui‑ci. La procédure d’opposition est le mécanisme qui permet de comprendre les revendications contradictoires.

 

[140]       Rien n’indique que le bureau du High Sheriff se soit conduit de manière imprudente, ou sans motif de croire qu’au moins l’un des demandeurs avait un intérêt dans les actifs que l’ARC lui avait demandé de saisir.

 

[141]       Les demandeurs prétendent également que les employés du shérif ont exagéré en exigeant deux engagements à titre de baillaire, en imposant la présence d’un de leurs agents et de la GRC au 325 Garrett Drive, et en prévoyant un dispositif de sécurité 24 heures par jour, sept jours sur sept, dans le cadre de la saisie des actifs.

Compte tenu de la situation, il n’était pas déraisonnable d’imposer des restrictions en matière de sécurité, comme l’ont expliqué M. Freake, Mme Butler et M. Peddle.

 

[142]       Le fait que M. Humby et ses sociétés aient été autorisés à garder leurs actifs sur place (jusqu’à ce qu’il devienne impossible de laisser à cet endroit), plutôt que d’être soumis aux mécanismes usuels de saisie, retrait et entreposage, témoigne de la légitimité de l’objectif de l’ARC comme de la bonne foi et du caractère commercialement raisonnable des moyens utilisés par le bureau du High Sheriff.

 

[143]       L’exigence relative au déplacement des actifs a déjà été examinée dans les présents motifs. Rien n’engage ici la responsabilité du bureau du High Sheriff.

 

[144]       Les demandeurs se plaignent également de ce que le bureau du High Sheriff n’a pas vendu les actifs saisis assez rapidement, et de ce que cette vente n’a pas été effectuée selon des pratiques commerciales raisonnables. Cette allégation est infondée.

 

[145]       Le bureau du High Sheriff a commencé par faire évaluer les biens personnels, alors que la loi sur l’exécution des jugements ne l’y obligeait pas. Quelques tentatives de vente des actifs ont échoué – les demandeurs les ont toutes repoussées. Il ne leur est pas permis à présent de déplorer la lenteur avec laquelle la (les) vente(s) a (ont) été effectuée(s).

 

[146]       Les demandeurs protestent contre la manière dont les biens personnels ont été vendus. D’après eux, certains équipements n’étaient pas en état de marche et d’autres articles ont été amalgamés dans des boîtes plutôt que classés selon leur type.

 

[147]       Le bureau du High Sheriff a reçu pour les biens vendus une somme légèrement inférieure à la valeur estimative. Cela prouve de manière claire et objective que le processus de vente s’est effectué de manière raisonnable d’un point de vue commercial.

 

[148]       Les demandeurs n’ont soumis ni témoignage d’expert ni preuve indépendante pour établir que les démarches du bureau du High Sheriff ne satisfaisaient pas aux normes d’une conduite commerciale raisonnable. S’ils voulaient que leurs allégations contre le shérif soient retenues, on se serait attendu à ce qu’ils prouvent que le processus était vicié, que les modalités de vente étaient défaillantes, ou que le montant réalisé était déraisonnable ou trop faible.

Le shérif n’est ni un expert dans la vente de tous les types de marchandises, ni un [traduction] « détaillant » (National Bank of Canada c Marguis Furs Ltd, [1987] OJ no 1228, 1987 CarswellOnt 1817). Cependant, il n’a pas été établi que ses actions touchant la mise aux enchères des biens aient été déraisonnables.

 

[149]       Outre que rien ne prouve la mauvaise foi ou une conduite déraisonnable d’un point de vue commercial, comme nous l’avons noté plus tôt, toutes les actions du bureau du High Sheriff étaient antérieures à janvier 2007. Comme les allégations visant le shérif concernent un manquement à des obligations légales, la revendication est prescrite en vertu de la loi sur la prescription de Terre‑Neuve.

 

[150]       Les demandeurs ont vaguement prétendu que des biens avaient été endommagés ou volés, mais ils sont loin de l’avoir établi.

 

[151]       Compte tenu de mes conclusions précédentes, il n’est pas nécessaire que j’examine le moyen de défense fondé sur le paragraphe 5(6) de la Proceedings Against the Crown Act, RSNL 1990, c P‑26 [loi sur les recours contre la Couronne] de Terre‑Neuve‑et‑Labrador :

5. (6)  La Couronne ne peut être poursuivie pour un acte posé ou omis par une personne qui s’acquitte ou est censée s’acquitter de :

 

     a)    responsabilités de nature judiciaire qui lui ont été confiées;

 

     b)    responsabilités relatives à l’exécution d’une procédure judiciaire.

[152]       Je doute, compte tenu de l’alinéa 3(5)f) de la loi sur l’exécution des jugements, que le shérif puisse revendiquer une immunité au titre de la loi sur les recours contre la Couronne.

 

[153]       Pour clore cette question, l’allégation présentée contre le bureau du High Sheriff sera rejetée.

 

IV.       DOMMAGES‑INTÉRÊTS

[154]       Pour achever l’analyse de la présente affaire, la Cour n’examinera maintenant les dommages‑intérêts qu’à titre subsidiaire. La Cour n’a reçu que peu ou pas d’assistance en ce qui touche au montant réel des dommages‑intérêts ou à leur répartition entre les demandeurs ou entre les défenderesses.

 

[155]       Les dommages‑intérêts réclamés concernent la perte de biens, la perte de salaires, la perte de revenus d’entreprise, la perte de réputation et des souffrances morales.

 

[156]       Les demandeurs n’ont présenté aucune preuve d’expert pour aider la Cour dans ces calculs. Durant le procès, ils ont essayé d’introduire un document de plusieurs pages rédigé par M. Farrell, leur comptable de longue date, qui a cherché à estimer certaines de leurs pertes. La Cour a jugé cette preuve inadmissible, car il s’agissait manifestement d’une preuve sous forme d’opinion qui n’a pas été produite conformément aux règles de la Cour et à des ordonnances préalables à l’audience quant aux témoins experts. Il était fondamentalement injuste à l’égard des défenderesses de faire apparaître cette preuve à la fin du procès.

 

[157]       La preuve de M. Farrell n’aurait reçu que peu de poids puisqu’il était mêlé de très près aux affaires de M. Humby, qu’il compatissait manifestement avec un ancien client (ce qui est admirable), et que son document était manifestement dépourvu d’éléments probants; ce n’était pas le type de preuve objective dont la Cour avait besoin.

 

[158]       Les demandeurs n’ont prouvé d’aucune manière que si les défenderesses n’avaient pas saisi les actifs au moment où elles l’ont fait, ils auraient été en mesure d’honorer leurs dettes fiscales. Aucune analyse de type « avant et après » n’a montré en quoi l’une ou l’autre de ces mesures avait porté un préjudice important au demandeur.

 

[159]       La preuve a établi au contraire que Central Springs et A&E connaissaient de graves difficultés financières même avant janvier 2005. M. Farrell avait décrit les sociétés de M. Humby comme étant au bord de la faillite.

 

[160]       En 2004, la Banque de développement du Canada [BDC] travaillait avec M. Humby à l’élaboration de « stratégies de redressement » des sociétés.

 

[161]       Dans le formulaire T2 de déclaration de revenus des sociétés pour l’année 2003, Central Springs et A&E ont toutes deux rapporté des pertes nettes. Central Springs a subi des pertes substantielles durant l’année fiscale 2002, et aucune de ces sociétés n’a déposé de formulaire de déclaration T2 ni d’états financiers pour 2004.

 

[162]       Comme elles l’ont admis dans leur correspondance avec l’ARC, Central Springs et A&E subissaient des  pressions financières énormes et avaient épuisé tous les moyens de financement.

Comme je l’indiquais plus tôt dans les présents motifs, la seule stratégie financière qu’il restait à M. Humby et à ses sociétés était d’espérer avoir gain de cause dans le procès qui les opposait au gouvernement provincial. Comme leur action a été rejetée en mai 2005, il ne restait plus alors aucun véritable actif aux demandeurs.

 

[163]       En fin de compte, la Cour doit conclure que les problèmes financiers des demandeurs découlent surtout de la décision de M. Humby d’injecter l’argent des autres sociétés dans HEL, une entreprise en difficulté du fait de la perte d’un contrat d’abattage et d’un approvisionnement insuffisant en bois. Rien de cela n’est imputable aux défenderesses, individuellement ou collectivement.

 

[164]       Quant à la perte de profits, les demandeurs n’ont pas montré qu’ils auraient pu raisonnablement atteindre un certain niveau de gains, « n’eût été » les actes des défenderesses.

 

[165]       En ce qui concerne la perte de biens, que l’ARC a saisis et vendus, la propriété du 325 Garrett Drive a été vendue par le premier créancier hypothécaire, BDC, avec une perte nette. L’ARC n’a pas pris part à la vente et elle n’aurait pas pu le faire à moins de rembourser la BDC. Il est déraisonnable de soutenir qu’elle aurait dû s’en mêler, eu égard au résultat final.

 

[166]       Dans la mesure où Central Springs remboursait son hypothèque à la BDC et que cette dernière n’aurait fait valoir aucun droit à l’encontre de la propriété, elle l’a forcée à le faire en ne payant ni les retenues à la source ni la TVH.

 

[167]       La vente de la propriété sur Baird Avenue ne relève pas de la présente action. Aucune preuve ne se rapporte à l’exécution par les défenderesses de droits concernant cette propriété.

 

[168]       La propriété à Benton a été libérée de la saisie et il est possible qu’elle soit encore en la possession de l’un des demandeurs. Ces derniers ont signé une renonciation complète à l’égard des dommages et sont liés par ses modalités.

 

[169]       L’inventaire et l’équipement de Central Springs et d’A&E saisis et vendus ont d’abord été entreposés au 325 Garrett Drive, les locaux où ils étaient utilisés. Aucune preuve ne me permet de savoir quelle pièce d’équipement ou d’inventaire appartenait à quelle société, mais les produits de la vente ont été reportés à la dette fiscale. Les produits non vendus ont été retournés.

Les demandeurs n’ont pas démontré que ces articles sont liés à une perte dont l’une des défenderesses serait responsable.

 

[170]       Aucune preuve n’a permis d’établir la perte d’un revenu de location et il est impossible de déterminer précisément le montant d’une telle perte. Les demandeurs réclamaient, semble‑t‑il, des pertes à l’égard de la propriété de Benton. Si c’est le cas, un jugement a été rendu dans le litige qui les opposait à une autre partie, et ils sont du reste liés par la renonciation.

 

[171]       Aucune preuve véritable n’a été présentée relativement à la perte de comptes clients qu’ils ont fait valoir. Les tentatives de recouvrement de l’ARC ont été infructueuses, comme avant janvier 2005 lorsque les défenderesses ont essayé de récupérer les montants.

 

[172]       Les demandeurs font valoir une perte de capacité à obtenir du financement ou des fournisseurs, mais n’ont fourni aucun chiffre. S’ils étaient fondés, ces dommages seraient inclus dans des dommages‑intérêts généraux, tout comme la perte de réputation et d’autres revendications moins tangibles.

 

[173]       M. Humby invoque la perte de capacité à générer des revenus avant le procès et la réduction de ses prestations futures au titre du RPC. Comme aucune preuve digne de foi n’a été présentée sur ce point, la Cour n’est pas en mesure d’effectuer des calculs.

 

[174]       L’aspect le plus important de la réclamation en dommages‑intérêts généraux de M. Humby concerne son état médical. Ce dernier prétend que son état mental et physique s’est détérioré à cause des défenderesses.

 

[175]       Il est sans doute difficile pour M. Humby de regarder les choses en face, comme il doit l’être pour sa famille et ses amis de constater les changements qui se sont opérés en lui. Assister à l’effondrement de son empire commercial est tragique.

Cependant, les défenderesses ne sont pas légalement responsables des souffrances de M. Humby.

 

[176]       La preuve permet d’établir que son déclin, son anxiété et ses troubles de l’humeur ont commencé au début des années 2000. La preuve médicale de son médecin montre que les problèmes de santé de M. Humby coïncidaient avec les difficultés financières dues à la perte de l’approvisionnement en bois et aux actions intentées contre de nombreuses parties.

 

[177]       La preuve démontre également que, s’il a contribué aux problèmes de M. Humby, le stress lié à la saisie et à la vente de ses actifs n’en était pas la cause. Reste maintenant à examiner la question importante de l’absence de mesures d’atténuation.

 

[178]       La Cour aurait aimé pouvoir atténuer l’effet de cette décision sur M. Humby, et adoucir sa réaction à l’issue d’un procès à l’égard duquel, selon la preuve médicale, il attendait beaucoup d’un point de vue personnel et émotionnel.

 

[179]       Même s’ils avaient eu droit à des dommages‑intérêts (ce qui n’est pas le cas), rien n’indique que les demandeurs auraient pu recevoir des dommages‑intérêts punitifs.

 

V.        CONCLUSION

[180]       En fin de compte, les demandeurs ne peuvent faire abstraction du fait qu’ils devaient des impôts, que les montants dus étaient en souffrance et que l’ARC avait donc le droit de saisir et de vendre les actifs pour honorer ces dettes. Les demandeurs ne peuvent non plus rien au fait que le bureau du High Sheriff s’est acquitté de ses fonctions conformément à la loi, « de bonne foi et selon des pratiques commerciales raisonnables ».

 

[181]       Pour tous ces motifs, l’action des demandeurs est rejetée et les dépens sont adjugés à chaque défenderesse selon le barème habituel de la colonne III du tarif de la Cour. Lorsque une fourchette est prévue à la colonne III, c’est la valeur médiane qui est retenue.

 


JUGEMENT

LA COUR REJETE l’action des demandeurs avec dépens, lesquels sont adjugés à chaque défenderesse selon le barème habituel de la colonne III du tarif de la Cour. Lorsque une fourchette est prévue à la colonne  III, c’est la valeur médiane qui est retenue.

 

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-1363-09

 

INTITULÉ :

ELI HUMBY, CENTRAL SPRINGS LTD. ET A&E PRECISION FABRICATION AND MACHINE SHOP INC. c SA MAJESTÉ LA REINE ET SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR, REPRÉSENTÉE PAR LE BUREAU DU HIGH SHERIFF

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            DU 11 AU 15 FÉVRIER 2013

DU 18 AU 22 ET DU 25 AU 28 MARS 2013

DU 2 AU 4 AVRIL 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 8 NOVEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Robert B. Anstey

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Caitlin Ward

Maive Baird

 

POUR LA PREMIÈRE DÉFENDERESSE

 

Rolf Pritchard

 

POUR LA DEUXIÈME DÉFENDERESSE

 

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert B. Anstey Law Office

Avocats

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LA PREMIÈRE DÉFENDERESSE

 

Ministère de la Justice

Gouvernement de Terre‑Neuve‑et‑Labrador

POUR LA DEUXIÈME DÉFENDERESSE

 

 

 

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