Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20131031

Dossier : IMM-10460-12

Référence : 2013 CF 1110

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

MOHSEN ZANGANEH BIGHASHI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Bighashi a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Dans sa demande, il a indiqué qu’il avait de l’expérience de travail en tant que comptable – code 1111 de la Classification nationale des professions [code CNP 1111].

 

[2]               Un agent a déterminé que la demande était irrecevable aux fins de traitement, car il n’était pas convaincu que le demandeur avait travaillé comme comptable, selon la description du code CNP 1111. Selon l’agent, M. Bighashi n’avait pas fourni une preuve suffisante pour démontrer qu’il avait accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession et exercé toutes les fonctions essentielles et une partie appréciable des fonctions principales énoncées dans les descriptions des professions de la CNP.

 

[3]               Dans les notes qu’il a consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration, l’agent explique que les fonctions [traduction] « décrites dans la lettre d’emploi [du demandeur] correspondent à celles d’un teneur de livres plutôt qu’à celles d’un comptable ». La lettre d’emploi indique que le demandeur :

[traduction] A commencé à travailler à l’unité de la comptabilité le 3 août 2005 à titre de comptable et d’agent responsable de la préparation des documents sur les dépenses et les paiements, et était chargé des fonctions et des responsabilités suivantes :

 

1 – Paiements effectués par chèque au titre de différents éléments de passif.

2 – Préparation des listes des dépenses et des documents connexes.

3 – Paiement des prêts d’employé.

4 – Préparation de différents rapports d’inventaire et de la correspondance connexe.

 

[4]               D’après l’énoncé principal établi pour le code CNP 1111, les vérificateurs et les comptables :

[…] examinent et analysent les documents comptables et registres financiers de particuliers ou d’entreprises, afin d’assurer l’exactitude des documents en accord avec les principes comptables généralement reconnus […] planifient, organisent et administrent des systèmes de comptabilité pour des particuliers ou des entreprises.

 

[5]               Par contre, d’après l’énoncé principal établi pour le code CNP 1311, les techniciens en comptabilité et les teneurs de livres :

[…] gèrent des séries complètes de livres, tiennent les registres des comptes, vérifient les méthodes utilisées pour comptabiliser les opérations financières et fournissent des services de tenue de livres à des particuliers. Ils travaillent dans les secteurs privé et public ou ils peuvent être des travailleurs autonomes.

 

[6]               Le demandeur affirme que :

1.            L’agent a manqué aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle en omettant de lui faire part de ses doutes et en ne lui donnant pas l’occasion de les dissiper;

 

2.            La conclusion de l’agent selon laquelle il est teneur de livres plutôt que comptable est déraisonnable;

 

3.            L’agent n’a pas donné des motifs suffisants à l’appui de sa décision.

 

[7]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, aucune de ces allégations n’est acceptée.

 

Y a‑t‑il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

[8]               Le demandeur soutient qu’il avait le droit d’être informé des doutes de l’agent et d’avoir l’occasion de les dissiper, que ce soit sur le fondement du guide OP 6A – un guide dont se servent les agents d’immigration pour évaluer les demandes présentées au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) – ou de la jurisprudence de la Cour.

 

[9]               Je conviens avec le ministre qu’à l’époque pertinente, les instructions ministérielles énoncées dans le guide OP 6A prévoyaient le traitement en trois étapes des demandes présentées au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). À l’étape un, le bureau devait évaluer la demande pour voir si elle était complète et satisfaisait aux critères établis dans les instructions ministérielles. La demande de M. Bighashi a franchi cette étape. Le demandeur devait ensuite soumettre sa demande complète, qui était alors examinée par un agent des visas, lequel devait se prononcer sur la recevabilité de la demande aux fins de traitement. C’est à cette étape que la demande de M. Bighashi a échoué. La demande devait être jugée recevable aux fins de traitement à l’étape 2 pour passer à la dernière étape, où la demande comme telle était traitée, et acceptée ou rejetée.

 

[10]           La section 10 du guide OP 6A, qui prévoit que si l’agent a des doutes quant aux aptitudes du demandeur ou à sa volonté d’accepter et d’occuper l’emploi, ou encore sur le fait que le demandeur a exercé toutes les fonctions essentielles et une partie appréciable des fonctions principales, il communique ces doutes au demandeur et lui donne la possibilité de les dissiper, s’applique seulement à la dernière étape du traitement des demandes. Je conviens avec le ministre que cette section ne s’applique à ni l’une ni l’autre des deux premières étapes et, comme la demande de M. Bighashi a été rejetée à la deuxième étape parce qu’elle était irrecevable aux fins de traitement, il n’y avait pas lieu d’en aviser le demandeur aux termes du guide OP 6A, comme l’alléguait le demandeur.

 

[11]           Il a également été avancé que, ayant remis en question la crédibilité de M. Bighashi, l’agent devait, par souci d’équité procédurale, en aviser le demandeur et donner à celui‑ci l’occasion de s’expliquer.

 

[12]           M. Bighashi s’appuie sur la décision Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284 [Rukmangathan], au paragraphe 22, pour affirmer que l’obligation d’équité procédurale exige que les agents donnent aux demandeurs la chance d’apaiser leurs préoccupations, « même lorsque ces préoccupations découlent de la preuve qu’ils ont soumise ». Toutefois, le juge Mosley a ensuite expliqué, au paragraphe 23, que l’obligation d’équité procédurale ne s’imposait pas dès que la preuve soumise soulevait une quelconque préoccupation :

Toutefois, ce principe d’équité procédurale ne va pas jusqu’à exiger que l’agent des visas fournisse au demandeur un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte sa demande. L’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur des questions qui découlent directement des exigences de l’ancienne Loi et de son règlement d’application [références omises].

 

[13]           Bien que M. Bighashi ait décrit les réserves de l’agent comme des doutes sur sa crédibilité, aucun élément de preuve dans le dossier ne révèle que la crédibilité du demandeur, ou encore l’authenticité des documents présentés, a été remise en question. Le fait que l’agent a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir que le demandeur était comptable, selon la description du code CNP 1111, ne constitue pas une conclusion sur la crédibilité. Comme l’a déclaré le juge Muldoon, dans la décision Asghar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1091, au paragraphe 21, « cette obligation ne prend pas simplement naissance du fait qu’après avoir soupesé la preuve l’agent des visas n’est toujours pas convaincu du bien-fondé de la demande ». S’il en était autrement, chaque décision défavorable rendue dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) deviendrait une conclusion défavorable sur la crédibilité dont les agents seraient tenus d’informer les demandeurs. Voilà exactement le genre de « résultat intermédiaire » non visé par l’obligation d’équité procédurale que la Cour avait envisagé dans la décision Rukmangathan.

 

[14]           La crédibilité n’étant pas remise en question, je suis d’accord avec le ministre pour dire que l’agent n’était pas tenu de donner un avis additionnel. Cette conclusion cadre avec la décision Kamchibekov c Canada (MCI), 2011 CF 1411, où le juge Pinard écrit ce qui suit, au paragraphe 26 :

[…] lorsque les réserves d’un agent des visas découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, cet agent n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre (Kaur, au paragraphe 11; Rukmangathan c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 284, au paragraphe 23). Une expérience professionnelle pertinente est une question qui découle du règlement : un agent des visas n’est pas tenu de faire part de ses préoccupations au sujet de l’expérience professionnelle du demandeur ((Kaur, au paragraphe 12). En fin de compte, l’agent des visas n’est pas tenu de pousser ses investigations plus loin si la demande du demandeur est ambiguë : « le demandeur n’a aucun droit à l’entrevue pour cause de demande ambiguë ou d’insuffisance des pièces à l’appui » (Kaur, au paragraphe 10; Sharma c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 786, au paragraphe 8 [Sharma]; Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 FTR 316, au paragraphe 4). L’imposition d’une telle exigence équivaudrait à exiger que l’agent des visas donne préavis d’une conclusion défavorable au sujet de l’admissibilité (Sharma, au paragraphe 8).

[Non souligné dans l’original.]

 

La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

[15]           Ayant conclu que l’agent n’avait pas manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur, je conclus également que l’agent a estimé de façon raisonnable que le demandeur n’avait pas fourni une preuve suffisante pour établir qu’il avait accompli les tâches de comptable figurant sous le code CNP 1111. Je souscris à l’observation de l’agent selon laquelle les fonctions décrites dans la lettre d’emploi correspondaient davantage à celles d’un teneur de livres qu’à celles d’un comptable. Je rejette l’allégation de M. Bighashi voulant que sa demande ait été évaluée à la lumière du code de la CNP visant la profession de teneur de livres. L’agent n’a fait qu’une simple observation. La recevabilité de la demande a été dûment évaluée à la lumière du code CNP 1111.

 

[16]           Le paragraphe 75(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], définit les exigences s’appliquant aux immigrants qui présentent une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

75. (2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes [pendant cette période d’emploi] :

[…]

b) […] il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

 

c) […] il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles […]

 

[Non souligné dans l’original.]

75. (2) A foreign national is a skilled worker if [during his or her employment, he or she] :

 

 

(b) … performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification; and

 

(c) … performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties…

 

[emphasis added]

 

 

 

[17]           M. Bighashi a peut‑être raison de dire que les motifs de l’agent sont insuffisants parce que l’agent n’a pas défini les fonctions principales qui avaient été exercées et celles qui ne l’avaient pas été. Toutefois, il ne m’apparaît pas tout à fait évident que la description contenue dans la lettre d’emploi corresponde à l’une ou l’autre des fonctions principales énumérées, et l’avocate n’a pas vraiment pu aider la Cour à établir des correspondances.

 

[18]           Quoi qu’il en soit, les exigences énoncées aux alinéas 75(2)b) et c) se conjuguent, et le défaut de se conformer aux exigences prévues à l’un ou l’autre de ces alinéas rend la demande irrecevable. En l’espèce, l’agent a estimé que M. Bighashi ne respectait aucune des exigences.

 

[19]           L’agent a conclu que la lettre d’emploi n’établissait pas, selon la prépondérance des probabilités, que M. Bighashi avait accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal. Aucune des responsabilités énumérées dans la lettre d’emploi ne peut être assimilée à l’examen, à l’analyse, à la planification, à l’organisation ou à l’administration de dossiers comptables et financiers. Les fonctions du demandeur se limitaient aux paiements et à la préparation de listes, de rapports et de pièces de correspondance. L’agent a exposé des motifs raisonnables à l’appui de cette conclusion.

 

[20]           M. Bighashi a demandé à l’agent de revoir sa décision et a soumis une deuxième lettre d’emploi. Cette lettre, comme il a été reconnu d’emblée, ne peut faire partie du dossier présenté à la Cour, car l’agent n’en disposait pas lorsqu’il a rendu sa décision. Elle a été produite relativement à la question d’équité pour établir que M. Bighashi aurait pu fournir des éléments de preuve montrant qu’il exerçait les fonctions de comptable s’il en avait eu l’occasion.

 

[21]           Le demandeur soutient que la deuxième lettre de son employeur décrit adéquatement les activités exposées sous le code CNP 1111. Bien que ce ne soit pas pertinent pour les besoins de la présente affaire, je constate que la fiabilité de cet élément de preuve est douteuse pour les raisons suivantes :

a)                  Le nom de M. Bighashi est mal orthographié (il est écrit « Bighash » au lieu de « Bighashi »);

b)                  La date est erronée (la lettre est datée de 2002 au lieu de 2012);

c)                  La lettre énumère cinq fonctions que M. Bighashi a exercées au cours des 14 dernières années, mais aucune des fonctions indiquées dans la première lettre n’apparaît dans la deuxième – les fonctions décrites sont totalement nouvelles et différentes.

 

[22]           La comparaison des deux lettres donne à penser que deux emplois complètement différents sont décrits. La première lettre souligne nettement le caractère administratif des fonctions de M. Bighashi, tandis que la deuxième lettre porte exclusivement sur les aspects analytiques de haut niveau du rôle de M. Bighashi. Si la deuxième lettre présente véritablement une description plus exacte des fonctions de M. Bighashi, on peut alors se demander pourquoi il aurait d’abord soumis la première lettre au lieu de demander immédiatement une lettre révisée décrivant ses fonctions réelles avec plus de précision.

 

[23]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande doit être rejetée. Aucune partie n’a proposé de question aux fins de certification.

 

 


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10460-12

 

 

INTITULÉ :                                      MOHSEN ZANGANEH BIGHASHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 28 octobre 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 31 octobre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tara McElroy

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Ada Mok

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.