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Date : 20131106

Dossier : IMM‑11723‑12

Référence : 2013 CF 1124

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

FANY MARIA FLORES ESPINOZA

ILICH ROBERTO RAMIREZ PAVON

ILICH ADRIAN RAMIREZ FLORES

EYLEEN GISSELLE RAMIREZ FLORES

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

Introduction

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR], vise la décision portant que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

Les faits

[3]               M. Ramirez Pavon, son épouse et leurs deux enfants sont des citoyens du Honduras. Ils sont arrivés au Canada le 18 mai 2011 et ont immédiatement présenté une demande d’asile.

 

[4]               Au milieu du mois de juin 2010, M. Ramirez Pavon, un concessionnaire d’automobiles d’occasion, a reçu un appel téléphonique d’un membre des maras, un gang criminel, qui exigeait le versement de 5 000 lempiras. Il a fait semblant de ne pas bien entendre et a raccroché, mais son interlocuteur a rappelé et lui a annoncé que des membres des maras l’attendaient à son lieu de travail. M. Pavon ne s’est pas présenté au travail pendant deux jours, puis a changé sa routine pour varier ses déplacements.  Quelques jours plus tard, il pensait que son interlocuteur l’avait oublié. C’est alors que, le 30 juin 2010, à la fin de la journée de travail, trois hommes à motocyclette sont arrivés à son entreprise et se sont identifiés comme faisant partie des maras. Ils ont exigé l’argent demandé sous la menace d’armes à feu et ont menacé également de tuer les membres de sa famille. M. Pavon leur a remis les 14 000 lempiras qu’il avait sous la main.

 

[5]               Lorsqu’il est rentré chez lui, il a téléphoné à une tante qui est journaliste mais travaillait pour la police. Elle lui a conseillé de ne pas porter plainte mais de fermer son entreprise puis de quitter le pays. Comme il ne pouvait pas le faire sur‑le‑champ, il a transféré sa fille à une école offrant plus de sécurité et a commencé à liquider son stock d’automobiles.

 

[6]               Le 1er août 2010, un de ses amis a aperçu deux hommes à moto qui surveillaient l’entreprise. Au 31 août, M. Pavon s’était défait de tous toutes ses automobiles d’occasion et avait remis au propriétaire les clés des locaux qu’il louait. À ce moment, il a décidé de déposer une plainte à la police. Il a décrit les deux hommes qui lui avaient soutiré de l’argent et a demandé la protection de la police. On lui a fait savoir que des policiers patrouilleraient son quartier plus fréquemment mais qu’ils ne pouvaient offrir une protection jour et nuit. On lui a donné un numéro de téléphone qu’il pouvait appeler s’il remarquait quoi que ce soit de suspect, et la police arriverait sur les lieux. On lui a donné également des conseils généraux en matière de sécurité, et il a appris qu’un gang de policiers travaillait pour les maras.

 

[7]               Le 18 septembre, des maras ont appelé chez lui et menacé son épouse. Elle a emmené les enfants avec elle chez sa grand‑mère. M. Pavon les y a rejoints, et ils ont habité dans cette maison, située très près d’un poste de police, jusqu’à ce qu’ils puissent quitter le pays. Son épouse devait conclure un contrat de travail, puis a démissionné à la fin d’octobre. Un cousin a vendu le contenu de leur maison aux enchères et vendu la maison, ce qui leur a permis de financer leur départ. Ils ont quitté le Honduras le 20 décembre 2010.

 

La décision contestée

[8]               La Commission a examiné le dossier et, pour les besoins de son analyse, a accepté toutes les allégations de faits. Cependant, elle a conclu que M. Ramirez Pavon et sa famille n’avaient pas établi qu’ils étaient persécutés en raison d’un motif prévu par la Convention et énuméré à l’article 96 de la LIPR, car leur crainte était liée à l’extorsion criminelle. La Commission a conclu également que l’État et la police du Honduras n’étaient pas les agents de la persécution, ce qui l’empêchait de faire droit à une demande fondée sur l’alinéa 97(1)a) de la LIPR. En dernier lieu, elle a estimé que les demandeurs n’étaient pas exposés à un risque personnalisé mais bien généralisé, de sorte qu’ils n’étaient pas visés par la protection énoncée à l’alinéa 97(1)b) de la LIPR.

 

[9]               M. Ramirez Pavon a fait valoir qu’il avait été pris pour cible personnellement parce qu’il avait été jugé plus riche que d’autres hommes d’affaires. La Commission a examiné les documents relatifs au Honduras et souligné que le pays affichait un des taux d’homicides les plus élevés au monde ainsi qu’un « cocktail explosif de pauvreté endémique, de gangs de rue ultraviolents, d’institutions fragiles et de profonde crise politique », de « redoutables cartels de drogue mexicains » et de « kidnappings ». Les propriétaires d’entreprises et les exploitants de services de transports étaient l’objet de pressions énormes de la part des gangs. La Commission a conclu que le risque auquel était exposé le demandeur n’était pas différent de celui d’autres propriétaires d’entreprises. La Cour fédérale avait conclu, dans la décision Paz Guifarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182, que le fait d’être considéré plus fortuné que d’autres ne satisfaisait pas au critère énoncé au sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, pas plus que la crainte généralisée de la criminalité (Prophète c Canada (MCI), 2008 CF 331; Laurore Jean c Canada (MCI), 2010 CF 674). La Commission a donc rejeté des demandes d’asile des membres de la famille.

 

Point en litige

[10]           La décision de la Commission était‑elle déraisonnable?

 

Norme de contrôle

[11]           Selon la jurisprudence, la norme de contrôle applicable à un examen effectué par la Commission de demandes d’asile fondées sur les articles 96 et 97, une question mixte de fait et de droit, est celle de la décision raisonnable (se reporter par exemple à Casteneda c Canada (MCI), 2011 CF 1012, paragraphe 13).

 

Analyse

[12]           Le demandeur principal soutient qu’il était exposé à un risque différent des autres Honduriens. La Commission a accepté la véracité de tous les faits qu’il avait décrits. M. Pavon était un homme d’affaires bien connu et prospère qui avait déjà versé une somme considérable aux maras. Des membres du gang lui avaient dit qu’ils connaissaient tout sur lui et sa famille. M. Pavon a porté plainte à la police, et ce,  malgré le fait que les maras l’avaient averti de ne pas le faire et avaient précisé qu’ils prendraient des représailles contre sa famille s’il le faisait, et que sa tante, qui travaillait dans un service administratif de la police, lui avait déconseillé de le faire. Il avait donné une description détaillée des membres du gang. Les policiers lui avaient dit que le montant versé constituait une bonne raison pour les maras de continuer à le prendre pour cible. Il croyait que les maras pourraient même chercher à se venger de lui parce qu’il avait liquidé son entreprise afin de lui échapper.

 

[13]           Il fait valoir que la Commission a commis une erreur en axant son examen sur le risque généralisé auquel font face les propriétaires d’entreprises et a omis de se demander si le risque était devenu personnalisé dans son cas à lui. Elle n’a pas tenu compte du fait qu’il avait « dénoncé » le gang, pour reprendre les mots de son avocate, ce qui avait personnalisé le risque et l’avait accru au‑delà du risque couru par une partie importante de la population (Portillo c Canada (MCI), 2012 CF 678, paragraphes 40 à 50). Une demande de protection exige une analyse prospective; la Commission aurait dû décider si, dans l’éventualité où ils étaient renvoyés au Honduras, les membres de la famille s’exposaient à un risque plus grand que le reste de la population, étant donné que M. Ramirez Pavon était bien connu du gang, qu’il avait déjà versé de l’argent par suite d’une extorsion, qu’il avait fait un signalement à la police et liquidé son entreprise puis s’était enfui pour éviter d’avoir à payer encore plus.

 

[14]           Selon le défendeur toutefois, comme l’a confirmé la Cour fédérale dans la décision Cortes c Canada (MCI), 2012 CF 1378, au paragraphe 29, même un demandeur crédible a le fardeau de prouver que son risque est personnalisé. Dans la présente affaire, le demandeur faisait partie d’un sous‑groupe important, les vendeurs de voitures d’occasion, ce qui avait été considéré comme un risque généralisé. Le demandeur n’a pas différencié sa situation de celle d’autres concessionnaires de voitures d’occasion qui font l’objet d’actes d’extorsion parce qu’ils appartiennent à ce groupe de gens d’affaires (se reporter à Fenek c Canada (MCI), 2012 CF 178, paragraphe 47).

 

[15]           La Commission a demandé expressément au demandeur quels étaient les faits qui personnalisaient sa situation et la différenciaient de celle d’autres gens d’affaires qui sont victimes d’extorsion de la part de gangs. Sa seule réponse tenait au montant important d’argent qu’il avait payé, ce qui le rendait plus susceptible d’être visé que les autres. Il n’a mentionné aucunement le fait qu’il s’était présenté à la police pour demander sa protection, ce qui est souvent le cas d’ailleurs, puisque les personnes ciblées demandant l’asile en dernier recours doivent normalement démontrer d’une quelconque façon qu’elles ont réclamé en vain la protection de l’État.

 

[16]           J’admets que la Commission a conclu à la crédibilité de M. Ramirez Pavon et que les documents étayaient sa version des faits, mais je suis d’avis que M. Pavon n’a pas fourni de preuves convaincantes qui différencient sa situation de celles d’autres concessionnaires de voitures d’occasion du Honduras exposés à un risque généralisé d’extorsion. La Commission a donc conclu de manière raisonnable qu’il ne pouvait se réclamer de la protection des articles 96 et 97 de la LIPR, pas plus que les autres demandeurs, dont les demandes s’appuyaient sur son exposé circonstancié quant au risque.

 

Conclusion

[17]           Puisque je conclus que la décision de la Commission était raisonnable, qu’elle constituait une issue possible et acceptable à laquelle la Commission est parvenue de manière transparente et intelligible, la demande est rejetée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑11723‑12

 

INTITULÉ :                                                  FANY MARIA FLORES ESPINOZA, ILICH ROBERTO RAMIREZ PAVON, ILICH ADRIAN RAMIREZ FLORES, EYLEEN GISSELLE RAMIREZ FLORES c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 4 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ANNIS

 

DATE :                                                          Le 6 novembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mabel E. Fraser

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Émilie Tremblay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mabel E. Fraser

avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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