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Date : 20131031

Dossier : T‑1868‑12

Référence : 2013 CF 1113

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2013

En présence de madame la juge McVeigh

 

ENTRE :

 

CESAR LALO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APRÈS avoir pris connaissance des documents déposés et du dossier certifié du tribunal et avoir entendu les parties aux fins du contrôle judiciaire de la décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la CNLC ou la Commission) quant au maintien des restrictions imposées à Cesar Lalo (le demandeur) concernant les conditions de son ordonnance de surveillance de longue durée (OSLD);

 

I.                   Contexte factuel

[1]               Le demandeur a été déclaré coupable de plus de 50 infractions commises contre 22 mineurs de sexe masculin sur qui il était en position d’autorité. Les infractions ont eu lieu alors qu’il était employé à titre de travailleur social préposé à la protection de la jeunesse au tribunal de la famille, de travailleur auprès d’enfants en tutelle au ministère du Bien‑être social, d’agent de probation juvénile et d’intervenant en protection de l’enfance. Parmi ses déclarations de culpabilité pour infractions sexuelles, précisons la sodomie ou la bestialité, l’attentat à la pudeur, l’agression sexuelle, des actes de grossière indécence, l’exploitation sexuelle, des attouchements, la masturbation mutuelle, la fellation et les relations sexuelles anales. Les infractions ont eu lieu dans des locaux du tribunal de la famille, son véhicule, un parc, une salle des Chevaliers de Colomb, deux chalets où il a emmené des victimes pour de courtes vacances et pour terminer, dans une église, où il a agressé le fils de son partenaire homosexuel. Les victimes du demandeur étaient des enfants qu’il devait placer en famille d’accueil, des  jeunes contrevenants, des jeunes qui n’avaient pas commis d’infraction, mais qui lui avaient été envoyés dans le cadre d’un projet de déjudiciarisation parrainé par la police et des enfants des adultes avec lesquels il avait des relations.

 

[2]               Pendant qu’il purgeait une peine d’emprisonnement de 8 ans et 11 mois pour six chefs d’accusation d’actes de grossière indécence et d’exploitation sexuelle, le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement supplémentaire de cinq ans et un mois.

 

[3]               Le demandeur a reçu un diagnostic de pédophilie homosexuelle et d’hébéphilie; il est assimilé à un délinquant à contrôler et est assujetti à une ordonnance de surveillance de dix ans à la suite de sa mise en liberté en 2009. Le 4 août 2004, lorsqu’il a rendu sa décision relativement au statut du demandeur à titre de délinquant à contrôler, la juge Robertson a formulé des recommandations au sujet des conditions.

 

[4]               Le demandeur est demeuré en détention jusqu’à la fin de son mandat en septembre 2009. À ce moment‑là il a fait l’objet d’une OSLD. L’OSLD reste en vigueur pendant 10 ans après que la sentence du demandeur a pris fin.

 

[5]               Les conditions imposées au demandeur étaient les suivantes :

1.      suivre des séances de consultation psychologique, y compris, sans toutefois s’y limiter, une thérapie de prévention de la rechute chez les délinquants sexuels;

2.      résider dans un centre correctionnel communautaire ou un établissement résidentiel communautaire;

3.      ne pas accéder directement ou indirectement au Web sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de son agent de libération conditionnelle;

4.      ne pas acheter ou posséder, de quelque manière qui soit, de systèmes informatiques, caméras, téléphones cellulaires ou autre matériel électronique permettant de capter, de télécharger en amont ou en aval, de partager et d’entreposer des images, ni accéder à de tels équipements;

5.      ne pas détenir, produire, télécharger en amont ou en aval, visionner ou acheter du matériel pornographique ou érotique sous toute autre forme, y compris, sans toutefois s’y limiter, des photographies d’enfants;

6.      n’avoir aucun contact direct ou indirect avec des enfants de moins de dix‑huit ans, y compris des contacts par écrit ou par téléphone, et des contacts réalisés à l’aide de l’Internet ‑ courriels ou salons de clavardage.

 

[6]               La CNLC a imposé une période de 180 jours à la condition d’assignation à résidence, condition qui, au terme de cette période, pourrait être retirée, modifiée ou prolongée. À la suite de sa mise en liberté, le demandeur est déménagé dans un établissement résidentiel communautaire, et en février 2010, la condition d’assignation à résidence a été prolongée. Dans sa décision de prolonger la condition d’assignation à résidence, la CNLC a tenu compte de l’évaluation psychologique/psychiatrique réalisée par le psychologue du demandeur, M. Firestone, qui a déclaré qu’il jugeait que celui‑ci présentait un faible risque de récidive pendant qu’il était assujetti à la condition d’assignation à résidence et un risque faible à moyen si cette condition devait être levée. M. Firestone a avisé la CNLC qu’il était en faveur de la prolongation de la condition d’assignation à résidence, mais qu’il n’était pas d’accord avec la restriction concernant l’Internet.

 

[7]               En avril 2010, M. Firestone a présenté un autre rapport dans lequel il concluait que le demandeur présentait un faible risque de récidive et que la condition d’assignation à résidence n’était pas nécessaire. Il a déclaré la même chose en mai 2010 dans son rapport suivant. Les rapports ont aussi fait mention d’antécédents témoignant de la minimisation, la distorsion de la part du demandeur ainsi que de la difficulté de ce dernier à faire preuve d’empathie.

 

[8]               Lorsqu’elle a réexaminé la condition d’assignation à résidence du demandeur, la CNLC a tenu compte des rapports de M. Firestone. La CNLC a aussi tenu compte du fait que le demandeur avait acquis du matériel pornographique auprès d’un autre résident de l’établissement, en violation de ses conditions de libération conditionnelle. Bien que le demandeur n’ait jamais fait l’objet d’accusation pour la violation, la CNLC s’inquiétait du fait que l’incident allait à l’encontre de son absence déclarée d’intérêt pour les activités sexuelles et a conclu qu’il présentait toujours un risque de récidive. Ainsi, en août 2010, la condition d’assignation à résidence a encore une fois été maintenue, en laissant planer une possibilité qu’elle soit éventuellement levée.

 

[9]               À la suite de la recommandation du bureau de libération conditionnelle d’Ottawa, la CNLC a modifié, en mars 2011, les conditions imposées au demandeur et lui a permis un accès limité à l’Internet avec l’autorisation de son surveillant de liberté conditionnelle. La condition d’assignation à résidence a également été levée et le demandeur est allé habiter dans son propre appartement. En juillet 2011, il a été constaté qu’il avait violé ses conditions de libération conditionnelle et avait accédé à du matériel pornographique sur un ordinateur dans son appartement. Il a ensuite été placé en détention et condamné à une détention préventive de six mois pour la violation de l’OSLD.

 

[10]           Lors de sa mise en liberté, figuraient au nombre des conditions de l’OSLD du demandeur une condition d’assignation à résidence de 180 jours et l’interdiction de posséder un ordinateur ou tout autre appareil qui lui permettrait d’accéder sans surveillance à l’Internet, sauf si son surveillant de liberté conditionnelle le lui autorisait.

 

[11]           La CNLC a reçu des observations du Service correctionnel du Canada (SCC) et du demandeur. Le SCC a présenté une demande en vue de faire modifier la condition spéciale imposée au demandeur relativement à la possession d’un ordinateur et de recommander des privilèges de sortie pour la nuit et le maintien de la condition d’assignation à résidence pendant une période additionnelle de 180 jours. Le demandeur a demandé qu’il lui soit permis d’avoir accès à un ordinateur pour tenir un journal et d’avoir accès à l’Internet sous supervision, et que la clause relative à l’assignation à résidence soit retirée de même que les restrictions à l’égard du matériel pornographique.

 

[12]           La demande du SCC ne fait pas du tout mention du retrait de la condition relative au matériel pornographique.

 

[13]           La CNLC a rendu une décision le 12 septembre 2012 et a déclaré, concernant les privilèges de sortie pour la nuit, qu’elle ne prenait aucune mesure à cet égard puisque seulement cinq mois s’étaient écoulés depuis son retour dans la collectivité après avoir été incarcéré à cause de la violation de l’OSLD, et qu’en conséquence la demande concernant des nuits passées ailleurs était prématurée et que la clause actuelle d’assignation à résidence était maintenue.

 

[14]           La CNLC a modifié la condition d’interdiction de possession d’un ordinateur de sorte que le demandeur pourrait [traduction] « raisonnablement posséder un ordinateur ou un appareil électronique similaire, avec un consentement préalable, puisque les conditions relatives au matériel pornographique sont intégralement maintenues et que [son] surveillant de liberté conditionnelle sera en mesure de vérifier les sites Web auxquels [il] accèd[e]. »

 

II.        Questions en litige

[15]           Les questions en litige dans la présente demande sont les suivantes :

a.       La décision de la CNLC était‑elle raisonnable?

b.      Pour rendre cette décision, la CNLC a‑t‑elle enfreint la Charte ou les principes d’équité procédurale?

 

III.       La norme de contrôle

[16]           La norme de contrôle applicable aux décisions prises par la CNLC dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est celle de la décision raisonnable, et la Cour doit faire preuve de retenue devant l’expertise de la Commission en ce qui a trait à l’imposition de conditions aux termes de l’article 134.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la LSCMLC) (Hurdle c Canada (Procureur général), 2011 CF 599, au paragraphe 11, et Gaudreau c Canada (Procureur général), 2011 CF 953, au paragraphe 7, ces deux décisions ayant été confirmées par la Cour d’appel fédérale; Gaudreau c Canada (Procureur général); Hurdle c Canada (Procureur général), 2012 CAF 116).

 

[17]           La question à savoir s’il y a eu violation des droits du demandeur aux termes de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, (la Charte canadienne), doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Scott c Canada (Procureur général), 2010 CF 496, au paragraphe 33), de même que la question à savoir si le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale (Miller c Canada (Procureur général), 2010 CF 317, au paragraphe 39).

 

IV.       Décision et analyse

A.  Décision et analyse préliminaires

[18]           J’ai demandé à l’avocat du demandeur si les conditions en litige n’étaient que théoriques, et il a répondu qu’elles s’appliquent toutes toujours.

 

[19]           Le demandeur tente d’obtenir le réexamen de trois conditions : la prolongation de 180 jours de la condition d’assignation à résidence, le maintien de l’interdiction d’utiliser l’Internet et l’interdiction d’acheter ou de posséder sous toute forme du matériel pornographique.

 

[20]           Le demandeur prétend qu’il faut se demander, pour chacune des trois conditions, s’il était raisonnable de la part de la CNLC de décider que la condition était nécessaire et raisonnable pour permettre d’atteindre le double objectif, soit favoriser la réinsertion sociale du demandeur et protéger la société. Le demandeur affirme que les motifs et la décision de la CNLC donnent à penser que des facteurs n’ont pas été pris en compte.

 

[21]           Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que la décision de la CNLC était raisonnable et qu’il n’y a pas eu de manquement aux principes d’équité procédurale ni de violations de la Charte canadienne.

 

B.  Condition d’assignation à résidence

[22]           Le demandeur a son propre appartement et, par le passé, il était autorisé à y habiter. Au moment de la décision, le demandeur était autorisé à garder son appartement et à venir y passer environ 8 heures les samedis et dimanches.

 

[23]           Après examen des documents, la CNLC a établi que la clause relative à l’assignation à résidence était raisonnable puisque lors de la levée précédente de cette clause, il avait enfreint une autre condition en regardant du matériel pornographique chez lui sur son ordinateur. La CNLC a déclaré qu’étant donné qu’il s’était écoulé 6 mois depuis sa mise en liberté et qu’il avait commis une infraction directement liée au fait d’être seul chez lui, elle n’était pas prête à lever la clause.

 

[24]           La CNLC expose clairement les motifs pour lesquels il ne faut pas changer la condition d’assignation à résidence :

[traduction] […] Le fait de minimiser une violation flagrante de vos conditions spéciales cadre avec votre comportement et votre attitude par le passé. Vous continuez à démontrer peu de lucidité à l’égard de vos infractions ou des risques que vous présentez. Par conséquent, compte tenu du risque que vous posez, de votre piètre pronostic en ce qui a trait au traitement, de votre déviance sexuelle et du diagnostic exposé dans plusieurs rapports cliniques, la Commission conclut qu’en l’absence d’une condition d’assignation à résidence, vous présentez un risque inacceptable pour le public de commettre une infraction prévue à l’annexe I. »

 

 

[25]           En ce qui concerne la demande de modification de la condition visant à accorder des privilèges de sortie pour la nuit, voici ce que la CNLC a déclaré : [traduction] « […] La Commission ne prend aucune mesure à l’égard de cette demande puisque seulement cinq mois se sont écoulés depuis votre retour dans la collectivité après avoir été incarcéré à cause de la violation de l’OSLD et, à ce moment‑ci, la question de passer des nuits ailleurs est prématurée. » Ces motifs indiquent clairement pourquoi elle ne retire pas la clause relative à l’assignation à résidence.

 

C.  Interdiction d’utiliser l’Internet

[26]           Le demandeur prétend que l’accès à l’Internet pourrait représenter une étape positive dans sa réinsertion sociale. Il ajoute qu’aucun de ses crimes n’était lié à l’Internet, de sorte que cette condition n’est pas raisonnable. Il a fait valoir qu’il ne récidiverait probablement pas si l’interdiction d’utiliser l’Internet était levée, vu son âge et son état de santé. Il soutient avoir accompli, dans le cadre de son traitement, d’importants progrès dont la décision ne fait pas mention.

 

[27]           Le rapport du SCC est un rapport très détaillé au sujet de sa situation actuelle. On y expose le progrès réalisé par le demandeur et des recommandations favorables. Il y est aussi question de certaines des recommandations défavorables et de la [traduction] « question des divers superviseurs des agents de libération conditionnelle qui ont été impliqués dans ce dossier depuis sa mise en liberté », ainsi que de déclarations de victimes.

 

[28]           Lorsque les conditions ont été appliquées, la CNLC disposait de motifs détaillés expliquant pourquoi cette condition, et d’autres, ont été imposées au demandeur. La Commission disposait de ces documents ainsi que les observations présentées par le SCC et celles du demandeur accompagnant ses documents à l’appui fournis par M. Firestone.

 

[29]           Les motifs détaillés montrent que l’agente de libération conditionnelle dans la collectivité a consulté des recherches qui établissent un lien entre, d’une part, l’utilisation d’« Internet » et, d’autre part, le fait d’« attirer » les enfants et le [traduction] « renforcement de fantasmes sexuels déviants ». Elle a déclaré que bien que les crimes du demandeur n’étaient pas liés à l’Internet ou à la pornographie juvénile, il n’était plus en mesure d’avoir facilement accès à des enfants et il était maintenant plus susceptible d’utiliser l’Internet de manière inappropriée. Elle craignait aussi qu’il regarde des photographies même légales de jeunes garçons sur l’Internet.

 

[30]           Par ailleurs, lorsque le demandeur commettait ses crimes, l’Internet n’était pas chose courante; ainsi, que ses crimes n’y soient pas directement liés n’est pas surprenant pour cette époque.

 

[31]           La décision de la CNLC était raisonnable puisque le demandeur a utilisé l’Internet pour regarder et télécharger des images et des films pornographiques lorsqu’il a enfreint la condition de l’OSLD qui lui était imposée; ainsi, la condition voulant qu’il puisse utiliser l’internet seulement avec l’autorisation de son agent de libération conditionnelle est tout à fait raisonnable.

 

[32]           Le changement à la condition que la CNLC a autorisé était un changement adapté aux besoins du demandeur. Il ne s’est pas vu entièrement refuser l’accès aux ordinateurs afin de lui permettre de tenir son journal, mais il lui fallait obtenir une autorisation et une surveillance. Cela est tout à fait logique et constitue donc une décision raisonnable étant donné qu’il a regardé du matériel pornographique sur l’Internet et a ensuite minimisé l’infraction, alors qu’il ne faisait l’objet d’aucune supervision et qu’il était autorisé à demeurer seul chez lui.

 

D.  Ne pas acheter ni posséder de matériel pornographique sous quelque forme que ce soit

[33]           Dans ses observations écrites et celles présentées de vive voix, le demandeur prétend que la Commission aurait dû retirer la condition concernant le matériel pornographique. Cette condition a été imposée dans la décision de la Commission rendue le 24 septembre 2009. Le SCC n’a formulé aucune recommandation quant au retrait de cette condition, mais comme elle recoupait en partie les deux autres questions présentées à la Commission et était couverte par les documents présentés par M. Firestone et les rapports de gestion de cas, il appert que la Commission a abordé la question de la condition interdisant le matériel pornographique.

 

[34]           Le demandeur prétend que la condition est si générale qu’elle visait des comportements qui n’ont aucun lien avec son risque de récidiver. Il déclare, en outre, que le matériel pornographique qu’il a regardé ne concernait pas des mineurs de sexe masculin, mais qu’il s’agissait plutôt d’actes sexuels entre des adultes homosexuels consentants et qu’il ne s’agissait donc pas d’actes illégaux. Il affirme que le matériel se limitait à des images et que cela a duré seulement 17 minutes, et que, s’il les avait visionnées, c’était parce qu’on lui avait suggéré de le faire dans le cadre du programme de traitement afin qu’il découvre s’il était homosexuel.

 

[35]           Le demandeur affirme que les professionnels de la santé qui lui dispensent des soins affirment qu’il est sain d’avoir un exutoire pour satisfaire ses pulsions sexuelles : [traduction] « M. Lalo a expliqué qu’il regardait simplement de courts vidéos pornographiques sur l’Internet et qu’il n’effectuait aucun téléchargement. Ce qu’il a cru comprendre, a‑t‑il expliqué, dans son groupe de traitement hebdomadaire, c’est qu’il est [traduction] « correct et sain de regarder du “matériel pornographique légal” [...] ».

 

[36]           Il a dit que [traduction] « le message qu’il se faisait transmettre au sein du groupe de traitement des délinquants sexuels était que, de façon générale, il pouvait être positif de regarder du matériel pornographique ».

 

[37]           Le rapport du Service de police d’Ottawa indique que la police [traduction] « a découvert 18 films pornographiques (17 montrant des hommes gais et 1 montrant des non‑gais) qui avaient été téléchargés, ce qui est tout à fait à l’opposé de ce que le demandeur soutient. Par ailleurs, l’enquêteur Thompson a déclaré que des sites pornographiques gais ont été visités aux dates suivantes : 6 juin, 3 juillet, 4 juillet, 5 juillet et 6 juillet 2011. Dans son rapport au sujet de la présente affaire, l’enquêteur Thompson a dressé la liste des noms de ces sites. » Il ne s’agit pas d’une infraction mineure, ainsi que le demandeur l’a qualifiée devant la Commission et auprès de la Cour dans ses observations écrites et celles exposées de vive voix.

 

[38]           Ce n’était pas non plus la première fois puisque, lors d’une fouille effectuée dans sa chambre, en mars 2010, alors qu’il habitait dans un établissement résidentiel communautaire, un DVD pornographique a été découvert et il avait alors reçu un avertissement.

 

[39]           Le plan correctionnel mentionne ce qui suit : [traduction] « [...] il importe de rappeler au lecteur que M. Lalo a déjà été agent de probation. Si quelqu’un devait savoir l’importance qu’il faut accorder aux conditions imposées par un tribunal, c’est bien lui. Le fait qu’il se soit permis d’être influencé par son interprétation de l’information qu’il recevait au point d’y donner suite sans tenir compte des conditions spéciales de son OSLD est gravement préoccupant. C’est d’autant plus vrai étant donné qu’il avait reçu un avertissement à la suite d’une infraction similaire ». La responsabilité du demandeur a été accrue à un niveau moyen et a été décrite comme suit : [traduction] « duplicité par manipulation associée à ses infractions et aux difficultés soulignées au chapitre de l’auto‑évaluation ».

 

[40]           De plus, la Commission savait que le demandeur avait auparavant des relations homosexuelles étant donné qu’il avait agressé sexuellement l’enfant de son partenaire homosexuel. Il est donc tout à fait raisonnable d’avoir conclu que l’explication minimisait ses gestes et qu’elle n’était pas logique.

 

[41]           Il est souligné dans le rapport de M. Firestone que, le 1er mai 2012, cela faisait deux ans environ que le demandeur n’avait pas pris de médicament pour réduire la libido. La recommandation n’avait pas été suivie. M. Firestone affirme que lors de son auto‑évaluation, le demandeur a signalé une baisse de sa libido. Voici ce qui est mentionné dans les rapports : [traduction] « étant donné que M. Lalo a eu tendance à minimiser ou à nier catégoriquement ses pulsions sexuelles déviantes, toute auto‑évaluation à cet égard devrait être examinée avec une bonne dose de scepticisme. »

 

[42]           La Commission a estimé que l’explication qu’il a donnée pour justifier sa violation de la condition, le téléchargement et le visionnement de matériel pornographique, soit une expérience sexuelle, était inventée de toutes pièces et qu’il s’agissait d’une violation flagrante. Elle affirme que la condition ne peut qu’être raisonnable étant donné son lourd casier judiciaire en matière de crimes sexuels commis contre de jeunes garçons. La Commission était sceptique quant à son explication visant à justifier la violation. Elle a estimé qu’il minimise et n’assume pas la responsabilité de ses actes et qu’il démontre peu de lucidité à l’égard des risques qu’il pose et de la possibilité d’une récidive.

 

[43]           La conclusion de la CNLC voulant qu’il minimise ses crimes est en fait une conclusion raisonnable, puisque les éléments de preuve dont la Commission disposait étaient beaucoup plus flagrants que ceux présentés par le demandeur.

 

[44]           Le bureau de libération conditionnelle d’Ottawa n’a pas recommandé le retrait de la condition concernant le matériel pornographique, et la Commission a déclaré ce qui suit : [traduction] « les conditions relatives au matériel pornographique sont intégralement maintenues et votre surveillant de liberté conditionnelle sera en mesure de vérifier les sites Web auxquels vous accédez. »

 

[45]           Il était raisonnable de la part de la Commission de ne pas retirer la condition.

 

E.   Violation des principes de justice fondamentale

[46]           Le demandeur soutient que l’imposition d’une clause d’assignation à résidence réduit clairement sa liberté, limitant ainsi son accès à l’information et sa capacité à communiquer avec autrui sur l’Internet. Dans ses observations écrites, il qualifie l’assignation à résidence de forme de détention. Selon ses observations, l’assignation à résidence constitue une violation injustifiée de ses droits aux termes de l’article 7 de la Charte canadienne; il soutient aussi que les conditions doivent être établies conformément aux principes de justice fondamentale.

 

[47]           Le demandeur fait l’objet d’une OSLD. Dans les faits, ses droits sont limités et la CNLC détient le pouvoir, en vertu de la loi, de rendre de telles décisions quant aux conditions (Normandin c Canada (Procureur général), 2005 CAF 345, au paragraphe 40).

 

[48]           Dans l’arrêt Deacon c Canada (Attorney General), 2006 CAF 265 (Deacon), la Cour d’appel fédérale a examiné une condition obligeant l’appelant à prendre des médicaments pour contrôler ses pulsions sexuelles, condition qui, aux dires de l’appelant, portait atteinte à ses droits tirés de l’article 7 de la Charte canadienne. Ayant conclu que la Commission a agi dans les limites de ses pouvoirs au sens du droit administratif, la Cour d’appel fédérale a ensuite examiné si la condition était incompatible avec la Charte (Ross c Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 RCS 825, aux paragraphes 31 à 33). La Cour d’appel a conclu qu’en imposant à l’appelant cette condition beaucoup plus intrusive que celle qu’il avait, la Commission a agi dans les limites de ses pouvoirs à cet égard aux termes de la LSCMLC et que cela ne constituait pas une atteinte aux droits de l’appelant aux termes de l’article 7 de la Charte canadienne (arrêt Deacon, précité, aux paragraphes 46 et 67). Sans conteste, les conditions imposées au demandeur ne constituent pas des atteintes à ses droits tirés de l’article 7 de la Charte canadienne.

 

[49]           L’alinéa 101e) de la LSCMLC énonce les principes qui doivent guider les commissions des libérations conditionnelles dans l’exécution de leur mandat. Selon ces principes, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, tous autres renseignements pertinents et la possibilité de les faire réviser, de manière à assurer l’équité et la clarté du processus.

 

[50]           Le demandeur soutient que les motifs ne sont pas suffisants. Il affirme que la Commission n’est tenue d’établir des conditions que lorsqu’elles sont nécessaires et souligne que l’article 134.1 de la LSCMLC a pour objet de favoriser la réinsertion sociale des délinquants.

 

[51]           Le demandeur fait valoir que le rapport de M. Firestone, psychologue communautaire contractuel au SCC, n’a pas été pris en compte, et que la Commission n’a pas non plus tenu compte de ses recommandations favorables puisque la Commission ne fait pas du tout mention de son rapport.

 

[52]           J’estime que la Commission a pris en compte l’ensemble des documents et des observations du demandeur, y compris le rapport de M. Firestone.

 

[53]           Le bureau de libération conditionnelle d’Ottawa a compilé un rapport faisant partie de l’évaluation en vue d’une décision, lequel comportait le rapport de M. Firestone dans lequel il était recommandé à la CNLC de modifier les conditions. Ce rapport a été présenté à la Commission à des fins d’examen avant le réexamen des conditions. Au nombre des recommandations figurent celles de M. Firestone afin que soient retirées les trois conditions suscitant des plaintes. Les documents à l’appui figuraient tous dans le dossier certifié du tribunal et ont tous été présentés à la CNLC.

 

[54]           La Commission a pris note de ces observations dans la décision. Plus précisément, la note suivante au sujet du rapport du docteur apparaît sur la Feuille de décision de la CNLC – processus postcarcéral qui était jointe à la décision : [traduction] « La Commission a reçu une demande du SCC en vue de modifier une condition spéciale, de recommander des privilèges de sortie pour la nuit et de maintenir votre condition d’assignation à résidence pour une période additionnelle de 180 jours. La Commission a aussi reçu les observations écrites que vous lui avez fait parvenir concernant la question de la condition d’assignation à résidence, le tout appuyé par un rapport de votre psychiatre. »

 

[55]           Il faut se rappeler que lorsque la CNLC a imposé les conditions au départ, un examen approfondi a été réalisé et des motifs complets ont ensuite été donnés. Le décideur disposait de tous les documents, qui se retrouvent tous dans le dossier certifié du tribunal; il n’est donc pas nécessaire de tout répéter chaque fois qu’il y a un examen ou une demande.

 

[56]           Je conclus qu’il était raisonnable que la CNLC décide, vu son expertise, que les conditions étaient nécessaires et raisonnables pour permettre d’atteindre le double objectif, soit de favoriser la réinsertion sociale du demandeur et de protéger la société.

 

[57]           Il se peut que le demandeur n’aime pas la décision, mais elle était juste, motivée et étayée par la preuve.

 

[58]           La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande sera rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         Le demandeur doit payer sans délai la somme de 100 $ à titre de dépens.

 

 

« Glennys L. McVeigh »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1868‑12

 

INTITULÉ :                                                  LALO c. PGC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 18 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 31 octobre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Todd Sloan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne Ptack

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Todd Sloan

Avocat

Kanata (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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