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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20131106

Dossier : IMM-7613-12

Référence : 2013 CF 1126

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2013

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

 

YAN DA ZHI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 15 juin 2012 par laquelle la Commission a maintenu la décision de l’agent des visas de rejeter la demande de résidence permanente.

 

[2]               Le demandeur souhaite que la décision de la Commission soit annulée et que sa demande soit renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différent statue à nouveau sur l’affaire.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur est un résident permanent du Canada et son épouse actuelle, Jin Dai Liao, est citoyenne de la Chine. Le demandeur a émigré de la Chine avec son ancienne épouse et leur fille pour s’établir au Canada. Il a un fils de sept ans avec Mme Liao.

 

[4]               Le demandeur a épousé Mme Liao le 30 juin 2008. Elle a demandé la résidence permanente au Canada au titre de la catégorie du regroupement familial et a été parrainée par le demandeur. Un agent des visas à Hong Kong a reçu Mme Liao en entrevue en octobre 2009. L’agent se demandait si le demandeur et Mme Liao avaient dissous leur relation conjugale afin que le demandeur et sa première femme puissent immigrer au Canada. Le demandeur et sa première femme n’étaient pas en bons termes avant d’immigrer au Canada, mais ne se sont séparés que six semaines après leur arrivée. L’agent a également remarqué que le demandeur avait un faible revenu et peu d’avoirs et que Mme Liao n’avait que de faibles perspectives d’emploi.  

 

[5]               La demande a été rejetée le 8 octobre 2009 sur le fondement de l’article 4.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), selon lequel « l’étranger n’est pas considéré comme l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne s’il s’est engagé dans une nouvelle relation conjugale avec cette personne après qu’un mariage antérieur ou une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure avec celle-ci a été dissous principalement en vue de lui permettre ou de permettre à un autre étranger ou au répondant d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi ». L’agent a conclu que leur mariage n’était pas authentique.

 

 

[6]               L’agent a également rejeté la demande au motif que Mme Liao ne pouvait ou ne voulait pas subvenir à ses propres besoins ni à ceux de son enfant à charge et qu’aucune disposition n’avait été prise pour couvrir leurs besoins et ceux de son fils comme l’exige l’article 39 de la Loi.

 

[7]               Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel de l’immigration. La Commission a tenu une audience de deux jours qui a eu lieu le 1er novembre 2011 et le 26 avril 2012. Le demandeur et Mme Liao ont tous deux témoigné de vive voix.

 

Décision de la Commission

 

[8]               La Commission a rejeté l’appel le 15 juin 2012. Elle a expliqué ses motifs en commençant par résumer les faits de l’espèce et en précisant qu’elle avait procédé à un examen de novo. Elle a maintenu que le demandeur  n’avait pas établi que l’article 4.1 du Règlement ne s’appliquait pas à lui et que la Commission n’avait donc pas à tenir compte d’autres facteurs pour refuser sa demande.

 

[9]               La Commission a fait remarquer que l’expression « partenaire conjugal » n’était pas définie dans la Loi mais qu’elle s’était fondée sur les facteurs énoncés dans M c H, [1999] 2 RCS 3, aux paragraphes 59 et 60. Pour déterminer si la relation conjugale a été dissoute dans le but premier de permettre au demandeur d’acquérir un statut au titre de la Loi, la Commission a pris en compte les facteurs exposés dans le jugement Wen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] DSAI no 272 (QL), au paragraphe 11 :

                     la date à laquelle le divorce a eu lieu;

 

                     la raison du divorce;

 

                     la relation temporelle existant entre la fin de la relation et la création d'une nouvelle relation avec l'époux suivant;

 

                     la preuve selon laquelle les anciens époux ne se sont pas séparés ou sont restés en contact l'un avec l'autre;

 

                     l'intention que les époux avaient en se remariant;

 

                     la durée de la relation subséquente;

 

                     la relation temporelle existant entre la dissolution de la relation subséquente et le rétablissement d'une nouvelle relation avec l'ancien époux;

 

                     les intentions des parties à la nouvelle relation pour ce qui est de l'immigration.

 

 

 

[10]           La Commission a reconnu que les témoignages faits sous serment sont considérés véridiques à moins qu’une bonne raison n’incite à douter de leur véracité, mais elle a conclu qu’il y avait suffisamment de motifs en l’espèce de douter de la crédibilité du témoignage du demandeur et de celui de Mme Liao. 

 

[11]           La Commission a résumé les éléments de preuve fournis par le couple en faisant la chronologie de leur relation depuis leur rencontre, le 14 février 2005. Le demandeur avait alors des problèmes conjugaux avec son ex-femme et Mme Liao n’a pas voulu entamer une relation amoureuse avec lui tant qu’il était marié. Toutefois, ils ont eu une relation sexuelle en décembre 2005 et Mme Liao est tombée enceinte. Le demandeur a immigré au Canada le 27 février 2006 et a gardé contact avec Mme Liao par téléphone après mars 2006. Il l’a demandée en mariage lors de son passage en Chine en août 2007.

 

[12]           Le demandeur a déclaré qu’il a cherché à sauver sa relation avec sa première femme jusqu’au jour de leur séparation, en avril 2006. Il avait demandé la résidence permanente quelque neuf à onze ans plus tôt et sa demande a été approuvée en janvier 2006. Il avait espéré que leur établissement au Canada améliore leur relation. Le demandeur a déclaré qu’il n’avait mis Mme Liao au courant de son intention de quitter la Chine qu’après être arrivé au Canada et lui avoir téléphoné.

 

[13]           La Commission a conclu que les interactions que le demandeur avait eues avec Mme Liao avant d’immigrer au Canada ne cadraient pas avec son allégation selon laquelle il voulait sauver son union monogame.

 

[14]           La Commission a déclaré qu’elle n’était pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, par les éléments de preuve que le demandeur avait produits pour établir la chronologie de la détérioration de son premier mariage et de l’évolution de sa relation avec Mme Liao. L’allégation selon laquelle il souhaitait sauver son mariage en déroute avant d’immigrer au Canada était incompatible avec le fait qu’il avait continué à fréquenter Mme Liao. L’allégation selon laquelle il avait immigré pour sauver son mariage était incompatible avec le fait qu’il avait téléphoné à Mme Liao plusieurs semaines après son arrivée au Canada.

 

[15]           Le demandeur avait déclaré qu’il avait communiqué avec Mme Liao parce qu’il était contrarié par sa femme et ses jeux de hasard et sa négligence des membres de la famille ainsi que par leur incompatibilité sexuelle. De l’avis de la Commission, s’il avait vraiment voulu sauver son mariage, il n’aurait pas pris contact avec Mme Liao si vite et si souvent après être arrivé au Canada. La Commission a retenu les observations du conseil du ministre selon lesquelles le demandeur et sa première femme étaient restés mariés pour la forme seulement alors qu’ils étaient séparés dans la réalité.   

 

[16]           La Commission a mis en balance la crédibilité du demandeur et les incohérences relevées dans la description qu’il avait faite de sa relation avec sa première femme. Sa première femme avait la garde de leur fille, et le demandeur a prétendu que, malgré ses habitudes de jeux d’argent et en dépit du fait qu’elle négligeait sa famille, il lui avait laissé la garde dans le but de l’inciter à se réformer. Il a allégué qu’il avait donné des vêtements et des jouets à leur fille au lieu de verser une pension alimentaire. La preuve a révélé que la première femme du demandeur avait subvenu aux besoins financiers et affectifs de leur fille depuis l’époque de la séparation, contrairement à l’affirmation du demandeur selon laquelle elle jouait et négligeait sa fille.

 

[17]           Dans le questionnaire des répondants qu’il a rempli en octobre 2008, le demandeur avait déclaré qu’il ignorait l’adresse de son ancienne femme. La Commission a conclu que son témoignage de vive voix sur cette question minait sa crédibilité étant donné qu’il avait prétendu prendre souvent contact avec sa fille et la rencontrer à l’extérieur du domicile de sa mère.  La Commission a jugé qu’il devait connaître le lieu de domicile de sa fille puisqu’il la voyait souvent.

 

[18]           La Commission a examiné les notes prises lors de l’entrevue de la fille du demandeur à son retour au Canada après un séjour en Chine avec ses parents. Elle a dit aux agents d’immigration que ses parents s’étaient séparés avant d’immigrer au Canada et que son père vivait avec sa nouvelle femme en Chine avant d’immigrer. Le demandeur a allégué que sa fille s’était embrouillée, mais la Commission a statué qu’une enfant de 12 ans serait certainement en mesure de se rappeler avec quels parents elle vivait quatre ans auparavant.

 

[19]           La Commission a relevé d’autres éléments contradictoires. Lors de l’audience, le demandeur avait déclaré ne pas verser de pension alimentaire à sa première femme, mais il a déclaré à l’agent des visas lors de son entrevue à Hong Kong qu’il lui versait la somme de 500 $ par mois. La Commission a rejeté l’explication selon laquelle il ne versait une pension alimentaire pour enfant que lorsque son revenu le lui permettait. La preuve a révélé que le demandeur et sa première femme avaient donné la même adresse à diverses étapes du processus. Le demandeur s’était rendu trois fois en Chine avec sa fille, et sa femme l’y avait accompagné les deux dernières fois. La Commission a conclu que la femme du demandeur ne lui faisait pas totalement confiance étant donné qu’elle ne l’avait pas autorisé à se rendre en Chine seul avec sa fille après la première fois. Le demandeur et sa première femme avaient avantage à immigrer ensemble car, d’une part, le demandeur n’avait ainsi pas à obtenir l’autorisation de sa femme pour emmener sa fille au Canada et, d’autre part, sa femme pouvait immigrer alors qu’elle ne l’aurait pas pu dans d’autres circonstances.

 

[20]           La Commission a jugé que le demandeur et Mme Liao n’étaient pas crédibles et a conclu que le couple entretenait une relation conjugale avant que le demandeur n’immigre au Canada. La Commission a fait remarquer qu’ils se portaient des sentiments amoureux, qu’ils communiquaient régulièrement l’un avec l’autre et qu’ils faisaient régulièrement des sorties ensemble. La preuve établissait qu’ils vivaient ensemble. La Commission a conclu que cette relation conjugale a été rompue uniquement pour permettre au demandeur d’immigrer au Canada avec sa première femme. La Commission an également conclu que le demandeur avait maintenu les liens du mariage avec sa première femme uniquement pour que son nom puisse figurer sur sa demande de résidence permanente.

 

[21]           La Commission a donc statué que le demandeur n’avait pas établi selon la prépondérance des probabilités que sa relation conjugale avec sa première femme n’avait pas été dissoute essentiellement pour qu’elle et lui puissent obtenir le statut de résident permanent au Canada. Mme Liao n’a donc pas été considérée comme l’épouse du demandeur aux termes de l’article 4.1 du Règlement.

 

Questions à trancher

 

[22]            Le demandeur considère que ces deux questions sont en litige :

            1.         Le demandeur a-t-il fait la preuve que le délai prévu à l’alinéa 72(2)c) de la Loi devait être prorogé?

            2.         Le défendeur a-t-il fait erreur en n’établissant pas l’existence d’une relation conjugale entre le défendeur et son épouse?

 

[23]           Je reformulerai ces questions ainsi :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est-elle hors délai?

      2.         Quelle est la norme de contrôle à appliquer?

      3.         La Commission a-t-elle fait erreur en rejetant l’appel?

 

Observations écrites du demandeur

 

[24]           Le demandeur fait valoir qu’il devrait pouvoir bénéficier d’une prorogation du délai en vertu de l’alinéa 72(2)c) de la Loi, car il a expliqué son retard, démontré qu’il avait véritablement l’intention de présenter la demande et il prétend que sa cause est défendable sur le fond. Il indique dans son affidavit qu’il voulait demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, mais qu’il ne savait trop comment s’y prendre avant de discuter avec son conseil actuel, dont il a retenu les services à cette fin.

 

[25]           Le demandeur fait valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, étant donné que la Commission a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne tenant pas compte de son témoignage de vive voix.

 

[26]           Le demandeur prétend que la Commission n’a pas correctement appliqué les critères énoncés dans Wen, précité, pour déterminer l’existence d’une relation conjugale. Le demandeur fait valoir que la Commission s’est contentée de spéculer sur l’existence de pareille relation puisque la seule preuve dont elle disposait était le témoignage d’un enfant de douze ans déposé par un agent au point d’entrée. Le demandeur admet qu’il était marié lorsqu’il a eu une liaison, mais soutient que la Commission n’a pas pu établir que Mme Liao était sa partenaire conjugale.

 

Observations écrites du défendeur

 

[27]           À l’audience ainsi qu’à la présentation ultérieure des observations, les parties ont débattu sur la question de savoir si le mémoire du défendeur était parvenu à la Cour à temps. Il aurait été déposé le 1er octobre 2012, soit 33 jours après que le dossier du demandeur eut été produit et signifié, ce qui remonte au 29 août 2012. Conformément à l’article 11 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, le défendeur doit déposer un mémoire dans les 30 jours suivant la signification du dossier du demandeur. Une note inscrite dans le Système de gestion des instances de la cour indique que le conseil du ministre a été mis au courant de la situation mais n’a pas demandé de prorogation de délai, quoique le conseil du demandeur l’ait nié à l’audience. Quoi qu’il en soit, le demandeur a déposé sa réplique le 11 octobre 2012 et a entièrement répondu aux arguments du défendeur à l’audience. En l’espèce, l’irrégularité procédurale n’a causé aucun préjudice et je tiendrai compte des observations.

 

[28]           Le défendeur soutient que la demande est hors délai étant donné qu’elle a été présentée 25 jours après l’expiration de la période de 15 jours prévue par l’alinéa 72(2)b) de la Loi. Le défendeur a fait valoir au départ que le demandeur n’avait pas justifié le retard, n’avait pas exprimé une intention véritable de présenter sa demande de contrôle judiciaire ni n’avait montré que la demande était défendable. Cependant, le défendeur a reconnu à l’audience que la cause était défendable et n’a plus maintenu son opposition qu’aux deux premiers points.

 

[29]           Le défendeur soutient également que le fait que monsieur le juge Simon Noël a accordé l'autorisation d’instruire l’affaire n’enlève pas sa raison d’être à la question des délais. Au contraire, lorsqu’une telle décision passe sous silence la question de la prorogation, le juge de première instance a compétence pour en statuer (Succession Deng c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), 2009 CAF 59, [2009] ACF no 243 (QL)).

 

[30]           En ce qui concerne le fond de la demande, le défendeur estime que le caractère raisonnable est la norme de contrôle applicable. Il soutient que l’examen de la demande de contrôle prévu par l’article 4.1 du Règlement doit chercher à établir le but visé par la dissolution de la première relation, si cette même relation est par la suite rétablie. En l’espèce, la Commission a conclu que le demandeur et Mme Liao entretenaient une relation conjugale avant que le demandeur n’immigre au Canada. Cette conclusion était fondée sur les sentiments amoureux qu’ils se portaient et sur la fréquence de leurs communications et sorties ainsi que sur la déclaration de la fille du demandeur selon laquelle ces deux personnes vivaient ensemble.

 

[31]           La Commission a également conclu que cette relation conjugale n’a été dissoute que pour permettre au demandeur d’immigrer au Canada avec son ancienne femme qui l’accompagnait. La Commission a examiné la chronologie des faits principaux et rejeté l’explication du demandeur, ne la jugeant pas crédible.  

 

Autres observations du demandeur

[32]           Sur la question du respect des délais, le demandeur signale que le paragraphe 6(2) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, dispose qu’il est statué sur une demande de prorogation de délai en même temps que la demande d’autorisation et à la lumière des mêmes documents versés au dossier. Le demandeur soutient que les documents au dossier de la Cour montrent qu’une prorogation de délai a été accordée par monsieur le juge Noël et que celui‑ci ne disposait pas du mémoire du défendeur puisqu’il n’avait pas été convenablement déposé à la Cour. Dans son affidavit, le demandeur explique la raison de son retard et soutient qu’il n’y aucune raison de le remettre en cause étant donné que le défendeur n’a pas voulu contre-interroger le demandeur au sujet de l’affidavit.

 

[33]           Le demandeur fait valoir que la jurisprudence citée par le défendeur a été établie en raison de causes où les demandeurs n’avaient pas réclamé de prorogation de délai. Ce n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que le demandeur a cherché à régler la question tout au long de la procédure. Le juge Noël avait donc déjà été saisi de la question lorsqu’il a accordé son autorisation.

 

Analyse et décision

 

[34]           Question 1

      La demande de contrôle judiciaire est-elle hors délai?

            J’ai examiné les observations des parties sur la prorogation du délai dans lequel la demande de contrôle judiciaire doit être déposée.

[35]           Le demandeur soutient que la jurisprudence sur laquelle se fonde le défendeur ne traite que de demandes d’autorisation qui n’ont rien à voir avec une prorogation de délai. Toutefois, le juge Russel Zinn a récemment examiné une décision par laquelle il avait été statué sur une demande d’autorisation qui était tout aussi muette sur la question, laquelle avait été soulevée par le demandeur (Construction and Specialized Workers' Union, Local 1611 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 512, au paragraphe 45, [2013] ACF no 553 (QL)). Le juge Zinn a déclaré au paragraphe 49 que le jugement rendu dans l’affaire Succession Deng, précitée, s’appliquait toujours :

N'eût été la décision rendue par la Cour d'appel dans Deng, j'aurais estimé qu'il conviendrait de présumer qu'en l'absence de preuve contraire, le juge saisi d'une demande d'autorisation qui comprend une demande de prorogation de délai a correctement appliqué les dispositions de l'article 6 des Règles en matière d'immigration et n'a pas outrepassé sa compétence en accordant l'autorisation alors qu'aucune prorogation de délai n'a été accordée. N'eût été de l'arrêt Deng, j'aurais également cru, compte tenu du libellé explicite de l'article 6 des Règles en matière d'immigration voulant qu'une demande de prorogation de délai doit être entendue « en même temps » que la demande d'autorisation, que seul le juge saisi de la demande d'autorisation, et non pas le juge qui entend la demande, a compétence pour accorder la prorogation de délai. Toutefois, j'estime que je suis lié par la décision rendue par la Cour d'appel dans Deng et je déciderai donc s'il convient d'accorder une prorogation de délai parce que le juge Russell n'a pas expressément examiné cette question dans son ordonnance accordant l'autorisation.

 

Je souscris à ces observations et je dois donc statuer sur la demande de prorogation de délai.

 

[36]           Comme l’affidavit du demandeur n’a pas été contesté, je suis d’avis que le demandeur avait l’intention de demander un contrôle et que son retard à le faire a été expliqué (Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 670, [2011] ACF no 860 (QL)). Le conseil du défendeur a concédé à l’audience l’existence des deux autres facteurs du critère dont il faut tenir compte pour accorder ou refuser une prorogation.

 

[37]           Question 2

      Quelle est la norme de contrôle à appliquer?

            Si la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle applicable à une question particulière dont est saisie la cour, le tribunal de révision peut adopter cette même norme (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[38]           Dans le seul jugement que je connaisse où a été interprété l’article 4.1, la Cour a appliqué la norme du caractère raisonnable à une décision de la Section d’appel de l’immigration portant sur la dissolution d’un mariage (Gengiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), dossier de la cour IMM‑4110‑07 (non publiée). C’était en effet la norme appropriée étant donné que la Commission a tiré une conclusion sur une question mixte de fait et de droit. Je ne suis pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il invoque le manquement à l’équité procédurale, étant donné qu’il s’agit ici de l’appréciation de la preuve par la Commission.

 

[39]           Par ailleurs, dans son témoignage, le demandeur a soulevé une question portant sur la définition de « partenaire conjugal » prévue à l’article 2 du Règlement en avançant qu’elle pourrait être considérée comme une question de droit. Cependant, l’interprétation de cette disposition réglementaire est intimement liée au mandat de la Commission et celle-ci a pleine compétence à cet égard. Par conséquent, il convient de présumer que cette interprétation commande la norme de la décision raisonnable (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 au paragraphe 34, [2011] 3 RCS 654). De plus, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, la Cour suprême du Canada a appliqué la norme du caractère raisonnable à une décision de la Section d’appel de l’immigration. S’il est vrai que l’affaire soulevait une question d’un autre type, la majorité a conclu aux paragraphes 52 à 58 que tous les facteurs de détermination de la norme de contrôle favorisent la norme de la raisonnabilité. Par conséquent, comme rien ne permet de renverser la présomption, c’est la norme du caractère raisonnable que j’appliquerai en l’instance.

 

[40]           Dans son examen de la décision qu’a rendue la Commission selon son caractère raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si la Commission a tiré une conclusion qui ne cadre pas avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité et qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, au paragraphe 59). Comme l’a maintenu la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, précité, la cour de révision ne peut substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle qui a été retenue, ni n’a-t-elle pour mandat de réexaminer la preuve (paragraphe 59).

 

[41]           Question 3

            La Commission a-t-elle fait erreur en rejetant l’appel?

            Dans ses motifs, la Commission a mentionné les facteurs ci‑dessous énoncés dans la décision Wen, précitée :

                     la date à laquelle le divorce a eu lieu;

 

                     la raison du divorce;

 

                     la relation temporelle existant entre la fin de la relation et la création d'une nouvelle relation avec l'époux suivant;

 

                     la preuve selon laquelle les anciens époux ne se sont pas séparés ou sont restés en contact l'un avec l'autre;

 

                     l'intention que les époux avaient en se remariant;

 

                     la durée de la relation subséquente;

 

                     la relation temporelle existant entre la dissolution de la relation subséquente et le réétablissement d'une nouvelle relation avec l'ancien époux;

 

                     les intentions des parties à la nouvelle relation pour ce qui est de l'immigration.

 

.

[42]           Les deux premiers facteurs montrent bien qu’on présume, dans le critère énoncé dans la décision Wen, qu’il existait une première relation et qu’elle a été dissoute. En l’espèce, le demandeur a allégué qu’aucune relation n’existait. Par conséquent, la Commission s’est reportée à l’arrêt M c H, précité, pour établir la définition de la « relation conjugale » mentionnée à l’article 4.1. La Cour suprême a fait remarquer dans cet arrêt que les caractéristiques généralement acceptées de l’union conjugale sont « le partage d’un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociales, le soutien financier, les enfants et aussi l’image sociétale du couple » (au paragraphe 59).

 

[43]           Les articles 2 et 4.1 du Règlement se lisent en partie comme suit :

 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

 

[…]

 

« partenaire conjugal » À l’égard du répondant, l’étranger résidant à l’extérieur du Canada qui entretient une relation conjugale avec lui depuis au moins un an.

 

 

 

4.1 Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne s’il s’est engagé dans une nouvelle relation conjugale avec cette personne après qu’un mariage antérieur ou une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure avec celle-ci a été dissous principalement en vue de lui permettre ou de permettre à un autre étranger ou au répondant d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi.

 

 The definitions in this section apply in these Regulations.

 

 

“conjugal partner” means, in relation to a sponsor, a foreign national residing outside Canada who is in a conjugal relationship with the sponsor and has been in that relationship for a period of at least one year.

 

4.1 For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the foreign national has begun a new conjugal relationship with that person after a previous marriage, common-law partnership or conjugal partnership with that person was dissolved primarily so that the foreign national, another foreign national or the sponsor could acquire any status or privilege under the Act.

 

[44]           Comme l’article 4.1 traite de la dissolution d’un partenariat conjugal, il semble que la relation conjugale doit avoir duré au moins un an avant que sa dissolution ne soit visée par cette exclusion. Bien que le défendeur ait prétendu à l’audience que cette interprétation va à l’encontre de l’intention visée par l’article, je considère qu’il serait déraisonnable de ne pas tenir compte de la distinction qu’établit clairement la législation entre un partenariat conjugal et une relation conjugale.

 

[45]           Si l’on applique ce principe à l’espèce, il aurait fallu que la relation conjugale entre le demandeur répondant et Mme Liao ait duré au moins un an avant la rupture pour que le demandeur puisse parrainer sa première femme et sa fille. Si cela avait été le cas, aux termes de l’article 4.1, il ne pourrait pas parrainer Mme Liao.

 

[46]           Dans sa décision, la Commission ne s’est pas penchée sur la prescription d’une année. Cependant, pour être conforme aux principes du droit, la Commission aurait dû déterminer si la relation conjugale entre le demandeur et Mme Liao avait duré au moins un an. 

 

[47]           Mon examen de la preuve ne me permet pas de comprendre comment la Commission a pu conclure que la relation conjugale avait duré au moins une année. Mme Liao et le demandeur se sont connus le 14 février 2005. Ils ont eu une relation sexuelle en décembre 2005, à la suite de laquelle elle est tombée enceinte. Le demandeur, son ancienne femme et sa fille sont venus au Canada le 27 février 2006. Vraisemblablement, le demandeur a quitté la Chine sans prévenir Mme Liao. Il lui a téléphoné une première fois le 12 mars 2006 et ce n’est qu’au second appel, plus tard au cours du même mois, qu’elle lui a annoncé qu’elle était enceinte. Le demandeur s’est séparé de sa première femme en avril 2006 et a divorcé d’elle en juin 2007. Il a épousé Mme Liao en juin 2008.

 

[48]           La fille du demandeur répondant a déclaré que son père a vécu avec Mme Liao avant de venir au Canada. On ne sait trop à quelle époque ni pendant combien de temps. 

 

[49]           Ni la preuve produite ni les motifs de la Commission ne me convainquent du caractère raisonnable de la conclusion selon laquelle l’article 4.1 s’applique au demandeur répondant à savoir qu’il était dans une relation conjugale depuis au moins un an.

 

[50]           Par conséquent, la décision de la Commission doit être cassée et l’affaire renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué chargé de statuer à nouveau.

 

[51]           Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         Le demandeur obtient une prolongation du délai pour déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire jusqu’à la date de leur dépôt.

2.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué chargé de statuer à nouveau.  

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.
ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

 

[…]

 

« partenaire conjugal » À l’égard du répondant, l’étranger résidant à l’extérieur du Canada qui entretient une relation conjugale avec lui depuis au moins un an.

 

 

 

4.1 Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne s’il s’est engagé dans une nouvelle relation conjugale avec cette personne après qu’un mariage antérieur ou une relation de conjoints de fait ou de partenaires conjugaux antérieure avec celle-ci a été dissous principalement en vue de lui permettre ou de permettre à un autre étranger ou au répondant d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi.

 

 The definitions in this section apply in these Regulations.

 

 

“conjugal partner” means, in relation to a sponsor, a foreign national residing outside Canada who is in a conjugal relationship with the sponsor and has been in that relationship for a period of at least one year.

 

4.1 For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the foreign national has begun a new conjugal relationship with that person after a previous marriage, common-law partnership or conjugal partnership with that person was dissolved primarily so that the foreign national, another foreign national or the sponsor could acquire any status or privilege under the Act.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

 

a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;

 

 

b) elle doit être signifiée à l’autre partie puis déposée au greffe de la Cour fédérale — la Cour — dans les quinze ou soixante jours, selon que la mesure attaquée a été rendue au Canada ou non, suivant, sous réserve de l’alinéa 169f), la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance;

 

 

 

c) le délai peut toutefois être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour;

 

 

d) il est statué sur la demande à bref délai et selon la procédure sommaire et, sauf autorisation d’un juge de la Cour, sans comparution en personne;

 

e) le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

(2) The following provisions govern an application under subsection (1):

 

(a) the application may not be made until any right of appeal that may be provided by this Act is exhausted;

 

(b) subject to paragraph 169(f), notice of the application shall be served on the other party and the application shall be filed in the Registry of the Federal Court (“the Court”) within 15 days, in the case of a matter arising in Canada, or within 60 days, in the case of a matter arising outside Canada, after the day on which the applicant is notified of or otherwise becomes aware of the matter;

 

(c) a judge of the Court may, for special reasons, allow an extended time for filing and serving the application or notice;

 

(d) a judge of the Court shall dispose of the application without delay and in a summary way and, unless a judge of the Court directs otherwise, without personal appearance; and

 

(e) no appeal lies from the decision of the Court with respect to the application or with respect to an interlocutory judgment.

 

Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22

 

 (1) Toute demande visant la prorogation du délai au titre de l’alinéa 72(2)c) de la Loi, se fait dans la demande d’autorisation même, selon la formule IR-1 figurant à l’annexe.

 

(2) Il est statué sur la demande de prorogation de délai en même temps que la demande d’autorisation et à la lumière des mêmes documents versés au dossier.

 

 Le défendeur qui s’oppose à la demande d’autorisation :

 

a) peut signifier un ou plusieurs affidavits aux autres parties,

 

b) doit signifier aux autres parties un mémoire énonçant succinctement les faits et les règles de droit qu’il invoque,

 

 

 

et les dépose, avec la preuve de leur signification, dans les 30 jours suivant la signification des documents visés au paragraphe 10(2).

 (1) A request for an extension of time referred to in paragraph 72(2)(c) of the Act shall be made in the application for leave in accordance with Form IR-1 set out in the schedule.

 

(2) A request for an extension of time shall be determined at the same time, and on the same materials, as the application for leave.

 

 A respondent who opposes an application for leave

 

(a) may serve on the other parties one or more affidavits, and

 

(b) shall serve on the other parties a memorandum of argument which shall set out concise written submissions of the facts and law relied upon by the respondent,

 

and file them, together with proof of service, within 30 days after service of the documents referred to in subrule 10(2).

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IM-7613-12

 

INTITULÉ :                                      YAN DA ZHI

 

                                                            -  et  -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 7 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Monsieur le juge O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 6 novembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brad Gotkin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 


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