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Date : 20131030

Dossier : T‑950‑12

Référence : 2013 CF 1108

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

PAUL FISHER

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, et du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), à l’égard d’une résolution du 19 février 1996 par laquelle la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission des libérations conditionnelles) a modifié les conditions de libération conditionnelle des délinquants en « liberté conditionnelle mitigée » (la Modification). Le demandeur sollicite un jugement déclarant que la Modification a porté, et continue de porter, atteinte aux droits qu’il tire de l’article 7 de la Charte.

 

GENÈSE DE L’INSTANCE

 

[2]               Le demandeur est un musicien de jazz qui réside à Surrey, en Colombie‑Britannique. Il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité infligée en 1972, alors qu’il était âgé de 15 ans. Il bénéficie d’une libération conditionnelle totale depuis 1983.

 

[3]               Le 24 septembre 1991, le demandeur a obtenu le statut de personne en liberté conditionnelle mitigée (LCM) après avoir fait montre pendant huit ans de stabilité au sein de la collectivité. L’obtention de ce statut importait au demandeur puisqu’y était associé le degré de liberté maximal auquel il puisse jamais raisonnablement aspirer, et qu’il lui permettait de promouvoir sa musique et de faire des tournées. L’agent de libération conditionnelle qui était à l’époque responsable du demandeur a souligné que ce dernier avait continuellement progressé et qu’il s’était [traduction] « adapté au‑delà de toute attente ». Les seules conditions qui ont été imposées au demandeur étaient les suivantes :

a)                  se présenter une fois l’an au bureau central de libération conditionnelle de Vancouver;

b)                  communiquer tout changement de résidence à son surveillant de liberté conditionnelle.

 

[4]               Adoptée le 19 février 1996, la Modification prévoyait l’obligation pour les délinquants en LCM de se conformer à l’alinéa 161(1)a) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑060 (le Règlement), à l’application duquel ils avaient auparavant été soustraits en vertu du paragraphe 133(6) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la Loi). La Modification visait à intensifier la surveillance des délinquants, en raison de préoccupations concernant la sécurité de la collectivité et la possibilité de récidive (affidavit du demandeur, pièce L).

 

[5]               Le demandeur affirme que la Modification a eu pour effet pratique d’accorder à ses agents de libération conditionnelle le pouvoir discrétionnaire de changer les conditions de sa libération conditionnelle. Elle l’a aussi obligé à se présenter en personne tous les trois mois, soit le niveau d’intervention minimal prévu. Le demandeur n’a été informé par écrit de la Modification que le 24 janvier 2011, et aucune audience n’a jamais été tenue. Le demandeur a appris l’existence de la Modification à l’automne 1996, lorsque son agent de libération conditionnelle, Dave Tocheri, a communiqué avec lui, mais aucun avis écrit ne lui a alors été transmis.

 

[6]               Le demandeur soutient que, durant les quinze années qui ont suivi, il a été assujetti à des restrictions plus importantes que la simple obligation de se présenter à son agent de libération conditionnelle. De manière explicite, en fait, M. Toheri considérait que le demandeur était à nouveau un libéré conditionnel ordinaire, et il a recommandé l’interdiction de boire comme condition de libération conditionnelle (affidavit du demandeur, aux pages 130 et 155). Parmi les autres restrictions imposées, le demandeur devait se présenter une fois par mois à la police et il devait obtenir des autorisations de voyage. Le demandeur ajoute qu’à un moment donné, son périmètre de déplacement autorisé ne couvrait qu’un rayon de douze pâtés de maisons autour de son lieu de résidence. À une autre occasion, une agente de libération conditionnelle a [traduction] « fait sortir » le demandeur dans le couloir de son appartement, afin d’obtenir une photographie récente pour l’un de ses dossiers, le forçant à se faire photographier devant ses voisins.

 

[7]               Le demandeur affirme que la Modification a nui considérablement à sa qualité de vie. Fait plus important encore, les restrictions imposées ont brisé dans les faits sa carrière de musicien, une carrière qui, selon ses termes, lui avait [traduction] « sauvé la vie ». Les divers agents de libération conditionnelle du demandeur lui ont également dit qu’il ne pouvait pas quitter le Canada; ce n’est qu’en 2011 qu’un lui agent a confirmé le fait que sa liberté conditionnelle mitigée lui permettait d’obtenir un passeport et de voyager à l’étranger.

 

[8]               Depuis que le demandeur a été reconnu coupable en 1972, son dossier est exemplaire en ce qui concerne :

a)                  la conformité à la loi;

b)                  le respect des règlements des établissements correctionnels et des conditions de libération conditionnelle;

c)                  l’engagement dans la collectivité;

d)                 l’évolution sociale et la conscience de sa responsabilité sociale, en général.

 

[9]               Le demandeur dit avoir demandé à de nombreuses personnes et institutions différentes de le conseiller sur les mesures à prendre pour pallier les répercussions de la Modification sur sa liberté et sur sa vie. Il s’est adressé notamment à M. Stockwell Day, à l’Association in the Defence of the Wrongly Convicted, à la Pivot Legal Society et à de nombreux avocats. En novembre 2010, l’avocat du demandeur a communiqué par écrit avec la Commission des libérations conditionnelles au nom de son client. Par lettre datée du 24 janvier 2011, en réponse, la Commission a fait part de la Modification au demandeur.

 

[10]           Le demandeur a également écrit à la Commission pour tenter de faire appel des conditions de sa libération conditionnelle (affidavit du demandeur, pièce BB); la lettre, non datée, a été reçue le 8 décembre 2011. Par lettre datée du 14 décembre 2011, le vice‑président de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada a confirmé qu’aucune [traduction] « décision » n’avait été rendue dans le dossier du demandeur. L’auteur de la lettre ajoutait que, comme l’avis faisant état de la Modification reçu par le demandeur le 24 janvier 2011 n’était pas une décision, la Section d’appel n’était [traduction] « apte à prendre aucune mesure ».

 

DÉCISION VISÉE PAR LE PRÉSENT CONTRÔLE

 

[11]           En dernière analyse, il était décidé dans la Modification faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire que tous les délinquants en liberté conditionnelle, dont le demandeur, seraient assujettis aux obligations habituelles de se présenter prévues au paragraphe 161(1) du Règlement. La Commission des libérations conditionnelles a exposé comme suit le motif de ce changement :

[traduction]

[…] Il a parfois été difficile de rester en contact avec des délinquants, et certains délinquants ont récidivé.

 

La Commission estime, par conséquent, qu’il n’est pas possible de surveiller valablement le risque permanent que présentent les délinquants en « liberté conditionnelle mitigée » dans la collectivité, étant donné que ceux‑ci n’ont à se présenter (en personne ou par communication écrite) qu’une fois l’an.

 

[12]           La Commission des libérations conditionnelles a conclu que les délinquants devaient donc [traduction] « se présenter à leur surveillant de liberté conditionnelle selon les directives de celui‑ci ».

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[13]           Le demandeur soulève la question suivante dans la présente demande :

a.                   En adoptant la Modification et en la mettant en œuvre par l’entremise du Service correctionnel du Canada, la Commission des libérations conditionnelles a‑t‑elle enfreint l’article 7 de la Charte?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Dispense ou modification des conditions

 

133. (6) L’autorité compétente peut, conformément aux règlements, soustraire le délinquant, avant ou après sa mise en liberté, à l’application de l’une ou l’autre des conditions du présent article, modifier ou annuler l’une de celles‑ci.

Relief from conditions

 

 

133. (6) The releasing authority may, in accordance with the regulations, before or after the release of an offender,

(a) in respect of conditions referred to in subsection (2), relieve the offender from compliance with any such condition or vary the application to the offender of any such condition; or

(b) in respect of conditions imposed under subsection (3), (4) or (4.1), remove or vary any such condition.

 

 

[15]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent en l’espèce :

161. (1) Pour l’application du paragraphe 133(2) de la Loi, les conditions de mise en liberté qui sont réputées avoir été imposées au délinquant dans tous les cas de libération conditionnelle ou d’office sont les suivantes :

 

a) dès sa mise en liberté, le délinquant doit se rendre directement à sa résidence, dont l’adresse est indiquée sur son certificat de mise en liberté, se présenter immédiatement à son surveillant de liberté conditionnelle et se présenter ensuite à lui selon les directives de celui‑ci;

 

b) il doit rester à tout moment au Canada, dans les limites territoriales spécifiées par son surveillant;

 

c) il doit respecter la loi et ne pas troubler l’ordre public;

 

d) il doit informer immédiatement son surveillant en cas d’arrestation ou d’interrogatoire par la police;

 

e) il doit porter sur lui à tout moment le certificat de mise en liberté et la carte d’identité que lui a remis l’autorité compétente et les présenter à tout agent de la paix ou surveillant de liberté conditionnelle qui lui en fait la demande à des fins d’identification;

 

f) le cas échéant, il doit se présenter à la police, à la demande de son surveillant et selon ses directives;

 

g) dès sa mise en liberté, il doit communiquer à son surveillant l’adresse de sa résidence, de même que l’informer sans délai de :

 

(i) tout changement de résidence,

 

 

(ii) tout changement d’occupation habituelle, notamment un changement d’emploi rémunéré ou bénévole ou un changement de cours de formation,

 

(iii) tout changement dans sa situation domestique ou financière et, sur demande de son surveillant, tout changement dont il est au courant concernant sa famille,

 

 

 

(iv) tout changement qui, selon ce qui peut être raisonnablement prévu, pourrait affecter sa capacité de respecter les conditions de sa libération conditionnelle ou d’office;

 

h) il ne doit pas être en possession d’arme, au sens de l’article 2 du Code criminel, ni en avoir le contrôle ou la propriété, sauf avec l’autorisation de son surveillant;

 

i) s’il est en semi‑liberté, il doit, dès la fin de sa période de semi‑liberté, réintégrer le pénitencier d’où il a été mis en liberté à l’heure et à la date inscrites à son certificat de mise en liberté.

161. (1) For the purposes of subsection 133(2) of the Act, every offender who is released on parole or statutory release is subject to the following conditions, namely, that the offender

 

 

(a) on release, travel directly to the offender’s place of residence, as set out in the release certificate respecting the offender, and report to the offender’s parole supervisor immediately and thereafter as instructed by the parole supervisor;

 

 

 

(b) remain at all times in Canada within the territorial boundaries fixed by the parole supervisor;

 

(c) obey the law and keep the peace;

 

(d) inform the parole supervisor immediately on arrest or on being questioned by the police;

 

(e) at all times carry the release certificate and the identity card provided by the releasing authority and produce them on request for identification to any peace officer or parole supervisor;

 

 

 

 

(f) report to the police if and as instructed by the parole supervisor;

 

 

(g) advise the parole supervisor of the offender’s address of residence on release and thereafter report immediately

 

(i) any change in the offender’s address of residence,

 

(ii) any change in the offender’s normal occupation, including employment, vocational or educational training and volunteer work,

 

 

(iii) any change in the domestic or financial situation of the offender and, on request of the parole supervisor, any change that the offender has knowledge of in the family situation of the offender, and

 

(iv) any change that may reasonably be expected to affect the offender’s ability to comply with the conditions of parole or statutory release;

 

 

(h) not own, possess or have the control of any weapon, as defined in section 2 of the Criminal Code, except as authorized by the parole supervisor; and

 

 

(i) in respect of an offender released on day parole, on completion of the day parole, return to the penitentiary from which the offender was released on the date and at the time provided for in the release certificate.

 

 

ARGUMENTS DES PARTIES

Demandeur

            Contexte juridique

[16]           Le demandeur soutient que la Modification est un « règlement », selon la définition donnée à ce terme au paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21 :

*                     « règlement » Règlement proprement dit, décret, ordonnance, proclamation, arrêté, règle judiciaire ou autre, règlement administratif, formulaire, tarif de droits, de frais ou d’honoraires, lettres patentes, commission, mandat, résolution ou autre acte pris :

 

a) soit dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime d’une loi fédérale;

 

*                  “regulation” includes an order, regulation, rule, rule of court, form, tariff of costs or fees, letters patent, commission, warrant, proclamation, by‑law, resolution or other instrument issued, made or established

 

 

(a) in the execution of a power conferred by or under the authority of an Act, or

 

[17]           Le demandeur soutient que la Modification constitue un tel acte pris par la Commission, dans l’exercice du pouvoir que le paragraphe 133(6) de la Loi lui confère, de soustraire les délinquants, en totalité ou en partie, aux conditions de leur mise en liberté. La Modification étant ainsi un règlement, le demandeur affirme que le délai de prescription prévu à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales n’est donc pas applicable.

 

[18]           Le commissaire du Service correctionnel a adopté, en application des articles 97 et 98 de la Loi, la directive du commissaire 715‑1 – « Surveillance dans la collectivité » (la DC 715‑1), qui énonce les obligations de se présenter incombant aux délinquants en LCM (affidavit de M. Huang, pièce A). Si le demandeur ne respecte pas les conditions de sa libération conditionnelle, celle‑ci pourrait être révoquée et il devrait retourner en prison.

 

[19]           Selon le demandeur, l’obligation pour les personnes en LCM de se présenter chaque mois à la police et l’interdiction de voyager hors d’une certaine zone contreviennent à la DC 715‑1 (DC 715‑1, au paragraphe 22). La DC 715‑1 prévoit un degré d’intervention allant en diminuant au fil de l’évolution de la libération conditionnelle d’un délinquant. Le niveau minimal d’intervention, le « niveau E », prévoit l’obligation pour le délinquant de se présenter au moins tous les trois mois. Depuis l’adoption de la Modification, le demandeur est soumis au niveau E d’intervention.

 

[20]           Le paragraphe 6, section 7.1, du Manuel des politiques de la Commission des libérations conditionnelles du Canada prévoit actuellement que le délinquant en liberté conditionnelle mitigée est soustrait à l’application de toutes les conditions prévues au Règlement, hormis celles

a)                  de respecter la loi et s’acquitter de toutes ses responsabilités sur les plans légal et social;

 

b)                  d’informer le directeur de district de tout changement d’adresse;

 

c)                  de se présenter à son agent de liberté conditionnelle selon les directives de celui‑ci.

 

Article 7 de la Charte

 

[21]           Pour que les droits que le demandeur tire de l’article 7 de la Charte soient visés, l’atteinte à sa liberté doit résulter d’une action de l’État. Le demandeur affirme que tel est le cas en l’espèce, la Modification constituant le seul motif des restrictions apportées à sa liberté.

 

[22]           Le droit à la liberté d’une personne est visé lorsqu’une loi l’empêche de faire des choix personnels fondamentaux. Il convient de donner une interprétation large au droit garanti par l’article 7 de la Charte, en tenant compte des principes qui sous‑tendent la Charte tout entière et de la nécessité de protéger l’autonomie personnelle (Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 [Blencoe], au paragraphe 49). La liberté couvre nécessairement les concepts de la dignité humaine, de l’autonomie personnelle, de la vie privée et du choix des décisions concernant l’être fondamental de l’individu (Blencoe, aux paragraphes 50 à 53).

 

[23]           Le droit à la liberté est visé en diverses circonstances, notamment lorsque des personnes doivent se présenter pour faire prendre leurs empreintes digitales, produire des documents ou témoigner, ou lorsque des personnes doivent s’abstenir de flâner dans des lieux publics (Blencoe, au paragraphe 49). En manière de droit correctionnel, la Cour suprême du Canada a affirmé qu’une modification apportée à la manière de purger une peine peut équivaloir à une atteinte à la liberté au sens de l’article 7 de la Charte (Cunningham c Canada, [1993] 2 RCS 143 [Cunningham], au paragraphe 14).

 

[24]           Dans R c Beare, [1988] 2 RCS 387 [Beare], la Cour suprême du Canada a affirmé qu’on enfreignait la liberté de délinquants en les obligeant à se présenter à une date et dans un lieu précis pour des fins d’identification. La Cour suprême a toutefois jugé dans cette affaire que la disposition législative contestée respectait les principes de justice fondamentale.

 

[25]           Dans la présente affaire, le demandeur affirme que l’obligation de se présenter et les restrictions de voyage ont restreint sa liberté. La Modification a nécessairement porté atteinte à son droit à la liberté puisque tout exercice par un agent de libération conditionnelle de son pouvoir discrétionnaire comporte d’une certaine manière une restriction à sa liberté.

 

[26]           Le demandeur soutient qu’il a été porté atteinte au droit à la liberté qu’il tire de l’article 7 de la Charte d’une manière incompatible avec les principes de justice fondamentale. Cette atteinte découle de la trop large portée de la Modification. Bien que l’objet de cette Modification soit de contrôler le risque permanent posé par la présence de délinquants en LCM dans la collectivité, elle a essentiellement pour effet de restreindre, sans motif valable, la liberté du demandeur et des autres personnes en LCM. La Modification est également appliquée de manière arbitraire au demandeur, étant donné que son objet déclaré est sans rapport avec sa situation.

 

[27]           Lorsqu’elle examine si une loi a une portée excessive, la Cour doit décider si les moyens choisis sont nécessaires pour atteindre l’objectif (R c Heywood, [1994] 3 RCS 761 [Heywood], au paragraphe 49). Si la Commission des libérations conditionnelles a utilisé des moyens excessifs pour réaliser l’objectif visé par la Modification, il y a violation des principes de justice fondamentale parce que les droits de l’intéressé ont été restreints sans motif (Heywood).

 

[28]           L’objectif déclaré de la Commission des libérations conditionnelles était en l’espèce de bien surveiller [traduction] « le risque permanent que présentent les délinquants en [LCM] dans la collectivité ». La Modification a été adoptée à la suite de certains événements qui auraient démontré qu’il était difficile de rester en contact avec certains délinquants, et que d’autres délinquants en LCM récidivaient.

 

[29]           Il semble donc que l’objet de la Modification était de prévenir la récidive au moyen d’une surveillance plus étroite des délinquants en LCM. Pour ce faire, toutefois, la Commission des libérations conditionnelles devait utiliser un moyen proportionné à cet objectif et ne limitant pas la liberté des individus que la loi n’avait pas à viser. Le demandeur n’a jamais été accusé de ne pas maintenir le contact requis, et nul n’a laissé entendre qu’il avait récidivé pendant sa libération conditionnelle. Selon la preuve non contredite, le demandeur était un délinquant réadapté qui s’était intégré à la société et qui poursuivait une carrière de musicien.

 

[30]           En adoptant la Modification, la Commission des libérations conditionnelles a restreint inutilement la liberté des personnes qui, comme le demandeur, restaient en contact avec leurs agents de libération conditionnelle et ne présentaient aucun risque pour le public. Il n’y avait aucune nécessité, ni raison légitime, de surveiller davantage le demandeur, et pour ce motif la Modification est de trop large portée.

 

[31]           Le demandeur avance que la Commission des libérations conditionnelles aurait pu recourir à des moyens moins intrusifs pour atteindre son objectif. Elle aurait pu, par exemple :

                     se livrer à l’analyse individuelle du dossier de chaque délinquant en LCM;

                     effectuer une analyse du risque avant d’accorder la LCM à un délinquant;

                     révoquer la LCM des délinquants qui enfreignent les conditions de leur libération conditionnelle, ou qui démontrent par ailleurs qu’ils ne peuvent être surveillés de manière appropriée;

                     faire bénéficier de droits acquis les délinquants déjà en LCM, de façon à ce que la nouvelle définition ne s’applique qu’aux délinquants ayant obtenu les droits et privilèges associés à la LCM après l’adoption de la Modification.

 

[32]           En réalité, la Loi permet d’effectuer une analyse individuelle du risque présenté par un délinquant. L’assujettissement de tous les délinquants aux conditions prévues au paragraphe 161(1) du Règlement est bien la règle générale, mais la Commission des libérations conditionnelles peut soustraire tout délinquant à l’application de conditions de libération conditionnelle, ou modifier l’une ou l’autre de ces conditions. Le demandeur affirme qu’en donnant à la Loi son sens ordinaire, il n’est pas permis de modifier autrement qu’au cas par cas les conditions de libération conditionnelle de délinquants, y compris les conditions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire des agents de libération conditionnelle.

 

[33]           Le demandeur soutient que la présente affaire ressemble à l’affaire Hay c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1985] ACF no 610 (1re inst.) [Hay], où un détenu condamné à perpétuité avait été transféré dans un établissement à sécurité minimale en raison de son excellent dossier et de sa remarquable réadaptation pendant une période de sept ans. Par suite d’un « changement de politique », il avait cependant été transféré à nouveau, hors cette fois de la prison à sécurité minimale. La Cour fédérale a tiré la conclusion suivante, à la page 9 de la décision :

[…] La décision d’effectuer un tel transfèrement sans le consentement du détenu et sans qu’il n’y ait faute ou mauvaise conduite de sa part, comme ce fut manifestement le cas pour le requérant, constitue l’exemple par excellence de la partialité et de l’arbitraire.

 

Il est possible que le changement de politique invoqué par les intimés touche une catégorie déterminée de détenus mais, en l’absence de faute, il ne peut prévaloir sur les droits individuels garantis au détenu par la loi […]

 

[…] [V]u qu’il a manifestement mérité le privilège d’être placé à la ferme pénitentiaire et malgré les crimes graves qu’il a commis en 1977, le requérant ne doit pas être déplacé comme un pion simplement parce qu’il fait partie d’une catégorie de détenus visés par le changement de politique […]

 

[34]           La Cour a déclaré dans le jugement Hay que, si l’on avait invoqué la politique pour empêcher le premier transfèrement de M. Hay à l’établissement à sécurité minimale, la décision de le transférer, même regrettable, aurait été inattaquable. Le transfèrement visé, toutefois, violait les articles 7, 9 et 12 de la Charte, et la Cour a ordonné le retour de M. Hay à l’établissement à sécurité minimale.

 

Article premier de la Charte

 

[35]           Le demandeur souligne qu’il incombe au défendeur de justifier l’atteinte portée aux droits qu’il tire de la Charte, et que celui‑ci n’est pas en mesure de le faire en l’espèce.

 

Réparation

 

[36]           Le paragraphe 24(1) de la Charte prévoit ce qui suit :

Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

 

Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.

 

[37]           La Cour est libre de décider de la réparation qu’appelle une violation de la Charte. Le paragraphe 24(1) de la Charte autorise la Cour à élaborer une réparation bien adaptée, qui tienne compte de la nature de la violation et du contexte de la loi visée (Schachter c Canada, [1992] 2 RCS 679 [Schachter]). Il convient de concevoir de manière large et libérale les réparations fondées sur la Charte pour assurer aux titulaires de droits garantis par la Charte l’entier bénéfice et la pleine protection de celle‑ci (Doucet‑Boudreau c Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 [Doucet‑Boudreau]).

 

[38]           La Cour suprême du Canada a exposé aux paragraphes 55 à 59 de l’arrêt Doucet‑Boudreau, cinq principes devant guider les juges dans la recherche d’une réparation qui soit convenable et juste :

1)                  la réparation choisie doit permettre de défendre utilement le droit violé,

 

2)                  la réparation doit faire appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie constitutionnelle,

 

3)                  la réparation, en défendant le droit en cause, ne doit pas outrepasser la compétence du tribunal,

 

4)                  la réparation doit être équitable pour la partie défenderesse, et ne pas lui causer de grandes difficultés sans rapport avec la défense du droit,

 

5)                  l’approche judiciaire en matière de réparation doit être souple et tenir compte des besoins en cause.

 

[39]           Les tribunaux disposent d’un très large pouvoir discrétionnaire pour corriger toute entorse à la Charte dans une affaire particulière (Doucet‑Boudreau, au paragraphe 52). Ce pouvoir discrétionnaire est si large qu’il a permis aux tribunaux de réduire des peines criminelles pour tenir compte des violations de la Charte et pour les condamner (R c Nasogaluak, 2010 CSC 6), et d’accorder le paiement de dommages-intérêts, même en l’absence de mauvaise foi de la part de l’État (Vancouver (Ville) c Ward, 2010 CSC 27).

 

[40]           Le demandeur soutient que la Cour doit se pencher sur les droits dont on l’a privé, et tenter de les lui faire recouvrer dans toute la mesure du possible. Il estime avoir mérité la liberté dont il disposait précédemment, vu que depuis plus de vingt ans il évolue sur le plan social et de la réadaptation et qu’il se conforme à la loi et aux conditions de sa libération conditionnelle. On devrait lui faire recouvrer le degré de liberté dont il jouissait avant que la Modification ne vienne l’en priver arbitrairement.

 

[41]           Une telle réparation est conforme aux facteurs énumérés dans l’arrêt Doucet‑Boudreau. Elle défend valablement les droits du demandeur, constitue un moyen légitime dans le cadre de la Constitution, et n’empêche pas la Commission des libérations conditionnelles de surveiller le demandeur. Même si la réparation sollicitée avait une incidence sur le rôle de la Commission des libérations conditionnelles, la Cour serait néanmoins justifiée de l’ordonner en autant qu’elle ne s’écarte « pas inutilement » de son rôle juridictionnel dans l’octroi de réparations corrigeant les entorses à la Charte (Doucet‑Boudreau, au paragraphe 56). En outre, la Cour n’outrepasserait pas sa compétence en accordant la réparation, et celle‑ci serait équitable pour le défendeur. Le défendeur aurait en fait à consacrer moins de ressources à la surveillance du demandeur, et il ne peut raisonnablement donner à entendre que la réparation sollicitée exposerait le public à un risque quelconque.

 

[42]           Enfin, la réparation est souple et tient compte des besoins en cause. Bien qu’on ne dispose d’aucune information sur la catégorie des personnes en LCM, il est raisonnable de penser que les personnes touchées sont peu nombreuses, et qu’elles n’entrent dans cette catégorie que pour une durée déterminée. Si le défendeur avait été d’un autre avis il lui aurait été loisible de fournir des renseignements démontrant le contraire, mais il a choisi de n’en rien faire. En outre, il ne s’agit pas d’une affaire où le demandeur sollicite une exemption constitutionnelle. Le demandeur ne demande pas que le régime des libérations conditionnelles ne lui soit pas applicable; il demande plutôt le respect de son droit à la liberté ainsi que la reconnaissance des importants efforts qu’il a consentis pour se réadapter. La Modification, en soi, ne prive personne de sa liberté; de trop large portée quant aux moyens utilisés, elle porte néanmoins atteinte à la liberté du demandeur. Une réparation répondant aux besoins individuels du demandeur est donc de mise. 

 

[43]           Le demandeur sollicite, en plus des dépens, les réparations suivantes :

                     un jugement déclarant que le défendeur a enfreint et continue d’enfreindre ses droits;

                     et déclarant que la Commission des libérations conditionnelles a outrepassé sa compétence en adoptant la Modification;

                     et déclarant que le défendeur n’avait pas compétence pour modifier ses conditions de libération conditionnelle depuis le 19 février 1996;

                     une ordonnance de certiorari annulant les conditions de libération conditionnelle auxquelles il est actuellement assujetti, sauf celles en vigueur en date du 18 février 1996;

                     une injonction permanente interdisant au défendeur, et à toute personne ayant connaissance de la présente ordonnance, d’assortir sa liberté conditionnelle de toute condition quelconque, sauf les conditions en vigueur le 18 février 1996, tant qu’il ne se sera pas conduit d’une manière justifiant légitimement la modification de celles‑ci.

 

Défendeur

Question préliminaire

 

[44]           L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit qu’un demandeur dispose de 30 jours, à compter de la prise d’une décision, pour en demander le contrôle judiciaire. La décision attaquée en l’espèce, la Modification, est datée du 19 février 1996. Le demandeur concède qu’elle lui a été communiquée par écrit le 24 janvier 2011, et de vive voix en 1996. L’avis de demande relatif à la présente instance est daté du 25 mai 2012, soit quinze années après la prise de la décision, et 16 mois après sa communication par lettre au demandeur.

 

[45]           Qu’il s’agisse des quinze années ou des 16 mois mentionnés, le demandeur est manifestement hors délai, de beaucoup, pour solliciter le contrôle judiciaire de la présente décision. Le demandeur n’a pas demandé de prorogation de délai pour introduire sa demande de contrôle judiciaire, ni n’a produit la moindre preuve en l’instance montrant qu’il serait justifié pour la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à proroger le délai.

 

[46]           On a exposé comme suit, dans Canada (Procureur général) c Hennelly¸ (1999) 167 FTR 158 (CAF), les facteurs à prendre en compte pour l’octroi d’une prorogation de délai :

1)                  une intention constante de poursuivre la demande;

 

2)                  le fait que la demande a un certain fondement;

 

3)                  l’absence de préjudice causé au défendeur en raison du retard;

 

4)                  l’existence d’une explication raisonnable justifiant le retard.

 

[47]           Premièrement, le défaut du demandeur de solliciter une prorogation, ou le fait de la demander tardivement, dénote qu’il n’a pas eu constamment l’intention de poursuivre la demande de contrôle judiciaire pendant tout ce temps.

 

[48]           Deuxièmement, la présente demande de contrôle judiciaire est sans fondement. La Modification n’impose aucune obligation précise de se présenter, en laissant plutôt au surveillant de liberté0 conditionnelle le pouvoir discrétionnaire d’établir la fréquence d’une telle obligation. Cette décision ne fait que confirmer l’application du paragraphe 161(1) du Règlement, et si l’obligation actuelle de se présenter tous les trois mois ne satisfait pas le demandeur, celui‑ci doit chercher ailleurs réparation.

 

[49]           Troisièmement, le demandeur n’a pas démontré l’absence d’un préjudice causé au défendeur. Présenter une demande de contrôle judiciaire longtemps après la prise d’une décision peut s’avérer préjudiciable puisque l’autoriser contrevient au principe du caractère définitif des décisions administratives. La Cour a déclaré ce qui suit à cet égard dans le jugement Apotex Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2011 CF 1308 [Apotex], aux paragraphes 20 et 21 :

20        Permettre à Apotex de ne pas respecter le délai de dépôt de 30 jours en ce qui concerne la présente demande ouvrirait la voie à une multitude de demandes tardives similaires, ce qui entraînerait l’élimination de l’exigence en pratique. Une décision en ce sens aurait également pour effet de reléguer au second plan la nécessité d’assurer le caractère définitif des décisions administratives distinctes dont la légalité est directement attaquée, comme c’est le cas en l’espèce. La Cour d’appel fédérale a bien exprimé le principe du caractère définitif des décisions dans les passages suivants de l’arrêt Canada (PG) c Trust Business Systems, 2007 CAF 89, [2007] ACF no 379 (QL) :

 

28 Dans l’arrêt Canada c. Berhad, [2005] A.C.F. no 1302, 2005 CAF 267, le juge Létourneau a écrit que le délai de trente jours pour présenter des demandes de contrôle judiciaire est dans l’intérêt public et vise à faire en sorte que les décisions administratives acquièrent un caractère définitif et apportent la tranquillité d’esprit à ceux qui observent la décision ou qui veillent à ce qu’elle soit observée. Au paragraphe 60, il a dit ceci :

 

L’importance de cet intérêt public est reflétée dans les délais relativement brefs qui sont imposés à quiconque veut contester une décision administrative ‑ un délai de 30 jours à compter de la date à laquelle la décision est communiquée, ou tel autre délai que la Cour peut accorder sur requête en prorogation de délai. Ce délai n’est pas capricieux. Il existe dans l’intérêt public, afin que les décisions administratives acquièrent leur caractère définitif et puissent aussi être exécutées sans délai, apportant la tranquillité d’esprit à ceux qui observent la décision ou qui veillent à ce qu’elle soit observée, souvent à grands frais.

 

29 Par conséquent, lorsque le Tribunal a rendu sa décision sur la requête le 25 avril 2005, le demandeur devait, suivant le paragraphe 18.1(2) de la LCF, déposer son avis de demande de contrôle judiciaire dans un délai de trente jours en raison du fait, le droit substantiel de Trust de déposer une plainte ayant été définitivement tranché. Comme le demandeur n’a pas agi dans le délai accordé, il est maintenant forclos de contester cette décision. Les précédents invoqués par le demandeur, Ernst Zübdek et la Canadian Association for Free Expression Inc., [2000] 4 C.F. 255, et R. c. Seaboyer, R. c. Gagne, [1991] 2 R.C.S. 577, peuvent faire l’objet d’une distinction parce qu’ils traitent de questions interlocutoires contrairement aux questions susceptibles d’apporter une solution définitive à l’instance.

 

21        Je conviens avec l’avocat des défendeurs que la position d’Apotex [traduction] « n’est rien de plus qu’un moyen déguisé visant à permettre à Apotex d’éviter d’enfreindre à la fois la lettre et l’esprit du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales et de l’article 302 des Règles ». À mon avis, le délai de dépôt de 30 jours s’applique à la présente demande et il est possible de se soustraire à cette exigence uniquement au moyen d’une requête en prorogation de délai bien fondée.

 

[50]           Comme c’était le cas dans le jugement Apotex, le demandeur qualifie erronément la nature de l’acte gouvernemental afin d’échapper à l’application de l’article 18.1. Il tente d’éluder le délai de prescription de 30 jours en qualifiant la décision rendue de « règlement » au sens de la Loi d’interprétation, et d’ainsi faire valoir, en pratique, que ce délai ne lui est pas applicable.

 

[51]           Le défendeur soutient que la Modification constitue une décision administrative particulière prise par la Commission dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et qu’en conséquence, le délai de prescription de 30 jours doit recevoir application. Il ne s’agissait pas de l’adoption d’un règlement non plus que d’un autre type de texte législatif ou quasi législatif, ni encore de la mise en place d’une nouvelle politique. Il visait plutôt à confirmer que la Commission des libérations conditionnelles n’exercerait plus son pouvoir discrétionnaire pour permettre qu’on s’écarte des conditions normalement exigées en vertu du paragraphe 161(1) du Règlement. Autrement dit, on confirmait par la décision prise que le paragraphe 161(1) s’applique aux délinquants en LCM, tout comme il s’applique à tous les autres délinquants en liberté conditionnelle.

 

[52]           La Modification n’a pas non plus les effets continus que le demandeur lui prête, et elle ne lui impose à première vue aucune restriction, d’une manière qui permettrait de la qualifier de politique ou de règlement. Les obligations minimales de se présenter qu’elle imposait au demandeur découlent du paragraphe 161(1) du Règlement, et non d’une quelconque politique continue de la Commission des libérations conditionnelles. La décision en cause n’est donc pas une ligne de conduite touchant le demandeur de manière continue et à laquelle ne s’applique pas le délai de prescription de 30 jours (Krause c Canada, [1999] ACF no 179).

 

Article 7 de la Charte

 

[53]           La Cour suprême du Canada a traité dans Cunningham, précité, des droits à la liberté garantis par l’article 7 dans le contexte du droit correctionnel. Pour obtenir gain de cause, le demandeur doit démontrer que la Modification le prive des droits qu’il tire de l’article 7, et que cette privation est contraire aux principes de justice fondamentale. Pour savoir s’il y a eu une privation de liberté faisant s’appliquer la protection conférée par l’article 7, les deux questions subsidiaires qui se posent sont celles de savoir si la privation de liberté a été démontrée, et dans l’affirmative, si la privation est suffisamment grave pour que la protection conférée par la Charte s’applique (Cunningham, au paragraphe 7).

 

[54]           La Modification n’a pas entraîné une violation des droits que le demandeur tire de l’article 7 de la Charte. Elle n’impose pas de nouvelles conditions au demandeur, mais plutôt ne le soustrait plus à l’application du paragraphe 161(1) du Règlement, lequel donne ensuite au surveillant de liberté conditionnelle le pouvoir discrétionnaire de décider de la fréquence à laquelle il doit se présenter.

 

[55]           En outre, selon son propre témoignage, le demandeur s’est pleinement épanoui au sein de la collectivité, malgré tout changement apporté à ses obligations de se présenter. Il semble que ces obligations n’ont privé le demandeur de sa liberté d’aucune manière. Le défendeur ajoute que si la Cour concluait malgré tout que le demandeur a été privé des droits qu’il tire de l’article 7, cette privation serait conforme aux principes de justice fondamentale.

 

[56]           La Cour suprême a traité au paragraphe 17 de l’arrêt Cunningham de l’application dans ce contexte des principes de justice fondamentale :

Ayant conclu que l’appelant a été privé d’un droit à la liberté garanti par l’art. 7 de la Charte, nous devons déterminer si cela est contraire aux principes de justice fondamentale aux termes de l’art. 7 de la Charte. À mon avis, bien que la modification de la Loi sur la libération conditionnelle visant à éliminer la mise en liberté surveillée automatique ait restreint le droit à la liberté de l’appelant, elle n’a pas porté atteinte aux principes de justice fondamentale. Ces principes touchent non seulement au droit de la personne qui soutient que sa liberté a été limitée, mais également à la protection de la société. La justice fondamentale exige un juste équilibre entre ces droits, tant du point de vue du fond et que de celui de la forme (voir Renvoi :  Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, aux pp. 502 et 503, le juge Lamer; Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la p. 212, le juge Wilson; Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869, à la p. 882, le juge Iacobucci). À mon avis, l’équilibre obtenu en l’espèce satisfait à cette exigence.

 

[57]           Le changement dont il était question dans l’arrêt Cunningham était susceptible de toucher le délinquant bien davantage que la Modification dans la présente affaire. Dans l’arrêt Cunningham, la modification apportée à une politique privait le délinquant de la possibilité d’être mis en liberté après avoir purgé les deux tiers de sa peine. Il ne fait aucun doute que le report éventuel de la date de mise en liberté d’un délinquant, pour une période correspondant au tiers de sa peine, porte atteinte à son droit à la liberté de manière beaucoup plus importante que l’obligation de se présenter tous les trois mois imposée à un délinquant qui bénéficie déjà d’une libération conditionnelle totale. Dans l’arrêt Cunningham, la Cour suprême a néanmoins jugé que la privation de liberté alors en jeu ne contrevenait pas aux principes de justice naturelle :

18.       La première question est de savoir si, du point de vue du fond, la modification de la loi établit un juste équilibre entre les droits de l’accusé et les intérêts de la société. Il n’est pas nécessaire de souligner l’intérêt qu’a la société d’être protégée contre les actes de violence qui pourraient survenir par suite de la mise en liberté anticipée de détenus dont la peine n’a pas été purgée au complet. Par ailleurs, il faut également tenir compte du droit du détenu à une mise en liberté anticipée sous condition.

 

19.       L’équilibre est atteint par la restriction de l’attente qu’a le détenu par rapport à la façon dont la peine doit être purgée. L’attente relative à la mise en liberté surveillée est changée par la modification accordant le pouvoir discrétionnaire d’interdire une mise en liberté anticipée lorsque les intérêts de la société sont menacés. Une modification de la façon dont une peine est purgée, qu’elle soit favorable ou défavorable à l’endroit du détenu, n’est, en soi, contraire à aucun principe de justice fondamentale. En fait, notre système de justice a toujours permis aux autorités correctionnelles d’apporter des modifications appropriées à la manière dont une peine doit être purgée, en ce qui a trait au lieu, aux conditions, aux installations de formation ou au traitement. Un grand nombre de modifications des conditions dans lesquelles les peines sont purgées sont apportées de façon administrative pour répondre aux besoins immédiats ou au comportement du détenu. D’autres modifications sont d’ordre plus général. Par exemple, à l’occasion, une loi ou un règlement introduit de nouvelles méthodes en droit correctionnel. Ces initiatives modifient la manière dont certains détenus dans le système purgent leurs peines.

 

20.       La question suivante est de savoir si la nature de cette modification particulière des règles relatives à la manière de purger la peine, viole la Charte. À mon avis, la réponse est négative. La modification découle directement de l’intérêt public dans la protection de la société contre les personnes susceptibles de causer un tort considérable si elles sont mises en liberté surveillée. Le commissaire ne peut renvoyer l’affaire devant la Commission des libérations conditionnelles pour qu’elle l’examine que s’il est convaincu d’après les faits qui lui sont présentés que ce pourrait être le cas. De plus, la Commission ne peut ordonner le maintien de l’incarcération du détenu que si elle est convaincue qu’il y a un risque important de récidive. Par conséquent, le droit à la liberté du détenu n’est restreint que dans la mesure où l’on démontre que cela est nécessaire pour la protection du public. Il est difficile de contester la justesse de l’attribution d’un pouvoir discrétionnaire limité pour l’examen de demandes de libération conditionnelle de personnes susceptibles de commettre une infraction qui cause un tort considérable ou la mort. Essentiellement, l’équilibre est suffisamment atteint.

 

[58]           Le défendeur soutient qu’en l’espèce, un juste équilibre est atteint entre le droit à la liberté du demandeur et l’intérêt public dans la surveillance adéquate des délinquants en liberté conditionnelle. On parvient à cet équilibre en laissant le surveillant de liberté conditionnelle fixer à sa discrétion, tel qu’il est prévu à l’alinéa 161(1)a) du Règlement, l’obligation pour le délinquant de se présenter.

 

Article premier de la Charte

 

[59]           Même si la Cour devait conclure à l’existence d’une violation, la Modification serait protégée par l’article premier de la Charte. Le défendeur affirme que la preuve établit que l’acte contesté (1) a pour objectif urgent et réel de protéger la société, (2) a un lien rationnel avec cet objectif puisqu’elle a trait à la surveillance du délinquant pendant sa période de libération conditionnelle totale, (3) porte le moins possible atteinte à un droit garanti par la Charte, du fait qu’elle n’impose aucune condition nouvelle au délinquant, et (4) n’a pas pour le délinquant visé un effet grave disproportionné (R c Oakes, [1986] 1 RCS , à la page 139).

 

Réparation

 

[60]           Le défendeur soutient que ce que le demandeur recherche, soit le retour aux conditions de mise en liberté d’avant 1996 quant à l’obligation de se présenter, ne peut être obtenu par une contestation de la Modification. La plainte du demandeur se rapporte à des décisions prises par ses surveillants de liberté conditionnelle en vertu du paragraphe 161(1) du Règlement, plutôt qu’elle ne découle de la décision elle‑même.

 

[61]           Toutes les mesures déclaratoires et les réparations sollicitées par le demandeur ont trait à ses conditions de libération conditionnelle, dont aucune ne découle de la décision de la Commission des libérations conditionnelles. Il est seulement déclaré, dans la Modification, qu’il incombe au surveillant de liberté conditionnelle d’établir le niveau de l’obligation de se présenter. En conséquence, il n’existe aucun lien rationnel entre les réparations recherchées par le demandeur et la décision. Ces réparations sont plutôt liées à des questions qui relèvent de la compétence du Service correctionnel du Canada et du pouvoir discrétionnaire du surveillant de liberté conditionnelle du demandeur. Si ce dernier souhaite qu’on modifie la fréquence à laquelle il doit se présenter, il doit le demander par les voies appropriées.

 

ANALYSE

 

[62]           La Modification a eu comme conséquence pour le demandeur qu’il devait, plutôt que de se présenter à son surveillant de liberté conditionnelle tous les douze mois, [traduction] « se présenter à son surveillant de liberté conditionnelle selon les directives de celui‑ci, comme le prévoit l’alinéa 161(1)a) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ».

 

[63]           Manifestement, la Modification ne change ni ne prescrit elle‑même selon quelle fréquence le demandeur doit se présenter; on a laissé au surveillant de liberté conditionnelle le soin d’en décider.

 

[64]           Depuis l’entrée en vigueur de la Modification en 1996, le demandeur s’est rapporté à tous les trois mois à son surveillant de liberté conditionnelle. Il affirme qu’en faisant passer de douze mois à trois mois la fréquence à laquelle il doit se présenter, on a enfreint les droits qu’il tire de l’article 7 de la Charte.

 

[65]           Dans son affidavit et d’autres documents produits au soutien de sa demande, le demandeur met également en question diverses autres conditions et obligations de se présenter qui lui ont été imposées depuis 1996. Ces obligations et conditions sont toutefois le fruit à mon sens de décisions prises par ses surveillants de liberté conditionnelle successifs. La Cour n’est pas saisie de ces décisions et le dossier incomplet à cet égard ne lui permettrait pas d’établir si elles sont entachées d’une erreur susceptible de contrôle, mais il me semble manifeste que la Modification n’autorisait pas d’imposer des restrictions, visant par exemple les déplacements, et qu’il faudrait pour celles‑ci un fondement en droit autre que la Modification.

 

[66]           J’estime, par conséquent, que l’unique objet de la présente demande est la Modification de 1996 que la Commission des libérations conditionnelles a adoptée, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que la loi lui confère, pour mettre fin aux obligations de se présenter une fois l’an imposées aux délinquants bénéficiant à l’époque, comme le demandeur, d’une LCM. La Modification ne changeait pas, par elle‑même, la fréquence à laquelle le délinquant en LCM devait se présenter; elle laissait plutôt le soin à son surveillant de liberté conditionnelle de fixer cette fréquence, en conformité avec l’article 161 du Règlement. Or, vu la directive du commissaire 715‑1 – « Surveillance dans la collectivité » (DC 715‑1), le changement apporté par la Modification a eu comme conséquence inévitable pour le demandeur de devoir se présenter tous les trois mois, plutôt qu’une fois l’an.

 

Respect du délai prescrit

 

[67]           La décision attaquée est datée du 19 février 1996. Le demandeur affirme que son surveillant de liberté conditionnelle lui a fait part de la Modification en 1996 et que, depuis, il s’est conformé à l’obligation imposée de se présenter tous les trois mois. Il concède en outre que, le 24 janvier 2011, la Modification lui a été communiquée officiellement. Quelle que soit la date retenue aux fins du délai de prescription prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, le demandeur a dépassé de loin le délai prescrit de 30 jours, et il n’a pas demandé de prorogation ni n’a tenté de démontrer l’opportunité d’une prorogation. Il fait plutôt valoir que, nulle « ordonnance » ou « décision » n’étant attaquée par sa demande, celle‑ci ne tombe pas sous le coup du paragraphe 18.1(2); il est plutôt directement touché par « l’objet de la demande » au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, et ainsi sa demande ne serait assujettie à aucun délai de prescription.

 

[68]           Le demandeur affirme qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une décision administrative particulière prise à l’issue d’un processus d’audience à l’égard duquel on lui a donné un avis et auquel il pouvait participer dans le respect des règles habituelles d’équité procédurale. L’acte tient davantage de la nature d’une politique continue qui est illégale et inconstitutionnelle et qui peut être contestée en tout temps au moyen d’une demande de contrôle judiciaire. Je suis d’accord avec le demandeur sur cette question.

 

[69]           J’estime, contrairement à ce que prétend le défendeur, que la Modification a des effets continus. Tout aussi longtemps que celle‑ci est en vigueur, la fréquence à laquelle le demandeur doit se présenter est laissée à la discrétion des agents de libération conditionnelle. En vertu de la politique antérieure, le demandeur était assuré du fait que, s’il n’y avait pas détérioration de son comportement, il n’aurait à se présenter qu’une fois l’an. Qui plus est, combinée à la directive du commissaire 715‑1 – « Surveillance dans la collectivité » (DC 715‑1), la nouvelle politique entraînait comme conséquence l’obligation pour le demandeur de se présenter au moins tous les trois mois. Ces conséquences s’appliquent au demandeur non pas en raison de faits le concernant que la Commission a examinés, mais parce qu’il fait partie d’une catégorie de personnes visées par la politique.

 

[70]           Le paragraphe 18.1(1) de la LCF prévoit ce qui suit :

Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

 

[71]           Le paragraphe 18.1(2) prévoit (en partie) ce qui suit :

Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance […] à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut […] fixer ou accorder.

 

[72]           La Cour d’appel fédérale a statué que le concept d’« objet de la demande » avait une plus large portée que la catégorie des « décision[s] ou […] ordonnance[s] » d’un « office fédéral » (Krause c Canada, [1999] 2 CF 476 (CAF), au paragraphe 21). Il en découle deux importantes conséquences : 1) ce ne sont pas seulement les « décision[s] ou […] ordonnance[s] » d’un « office fédéral » qu’on peut contester devant la Cour fédérale par voie de contrôle judiciaire; et 2) le délai de prescription de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) ne s’applique pas au contrôle judiciaire d’une question autre qu’une « décision ou […] ordonnance » d’un « office fédéral ».

 

[73]           L’arrêt Krause fait autorité quant au principe voulant que la prise d’une décision générale ne fait pas courir un délai qui empêche le contrôle des mesures de mise en œuvre, la logique inattaquable étant que nul ne devait être empêché de demander justice « du seul fait que le supposé acte […] illégal découle d’une décision antérieurement prise en la matière ». La Cour n’affirme pas dans l’arrêt Krause que la décision générale est elle‑même susceptible de contrôle. Toutefois, la jurisprudence a ensuite appliqué l’arrêt Krause de manière à permettre à la cour de révision de se pencher sur la décision générale, sur les mesures de mise en œuvre, ou à la fois sur cette décision et ces mesures lorsqu’il résulte de leur réunion un acte illégal du gouvernement envers le demandeur.

 

[74]           Dans l’arrêt Sweet c R, [1999] ACF no 1539, 249 NR 17 (CAF, dossier no A‑324‑98), une affaire où un détenu du pénitencier de Warkworth contestait la pratique de la « double occupation involontaire des cellules » dans les pénitenciers à sécurité moyenne et maximale, la Cour d’appel a tiré la conclusion suivante :

[11]      Ce que l’appelant conteste, ce n’est pas tant la décision du Service correctionnel du Canada (« le Service ») de le forcer à partager une cellule, mais la politique de la double occupation des cellules en soi. L’idée derrière l’argumentation de l’appelant est que la politique de la double occupation des cellules, qui touche l’appelant et de nombreux autres détenus, devrait être déclarée invalide. La politique est d’application courante et peut être contestée à tout moment; le contrôle judiciaire, avec les réparations y afférentes tels le jugement déclaratoire, les recours extraordinaires et l’injonction, est la procédure appropriée pour porter la contestation devant la Cour (voir Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.F.)).

 

[75]           Dans l’arrêt Moresby Explorers Ltd. c Canada (Procureur général), 2007 CAF 273, aussi, l’examen de la Cour d’appel a porté principalement sur la politique elle‑même en cause, qu’avait adoptée un comité de gestion chargé d’administrer la réserve du parc national de Gwaii Haanas. Malgré sa conclusion en dernière analyse que la politique n’avait rien d’illégal, la Cour d’appel a estimé que la politique pouvait être contestée par voie de contrôle judiciaire, et qu’en un tel cas, la demande de contrôle n’était pas soumise au délai de prescription prévu au paragraphe 18.1(2)  [non souligné dans l’original] :

[23]      […] L’intimé allègue (au paragraphe 46 du mémoire du procureur général) que, puisque l’objet de la contestation de Moresby est une politique adoptée en vertu du Règlement et non le Règlement lui‑même, la demande ne peut être accueillie, les simples politiques (par opposition aux décisions se fondant sur des politiques) n’étant pas susceptibles d’examen.

 

[24]      Les motifs possibles de contestation d’une politique sont restreints. On fait habituellement preuve d’une grande retenue à l’égard des politiques; il n’est ainsi pas loisible de soumettre à examen judiciaire la sagesse ou le bien‑fondé d’une politique gouvernementale (Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8). La Cour peut toutefois statuer sur la légalité d’une politique donnée (Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, aux pages 751 et 752; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la page 140). Parce que l’illégalité a trait à la validité d’une politique plutôt qu’à son application, une politique illégale peut être contestée en tout temps; le demandeur n’a pas à attendre que la politique ait été appliquée à son cas particulier (Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A), au paragraphe 16).

 

[76]           Dans le jugement L’Association des sourds du Canada c Canada, 2006 CF 971, le juge Mosley a examiné un ensemble de décisions mettant en œuvre des lignes directrices gouvernementales relatives à l’interprétation par langage gestuel. Divers ministères avaient pris ces décisions qui touchaient divers demandeurs. Le juge Mosley a formulé la remarque suivante [non souligné dans l’original] :

[2]        À première vue, la cause des demandeurs soulève certaines difficultés. L’une d’entre elles, et non la moindre, c’est qu’ils sollicitent en une même demande le contrôle judiciaire d’actes discriminatoires qui auraient été commis en différentes occasions par diverses personnes—certaines non identifiées— travaillant pour plusieurs ministères. Seulement deux des situations soumises concernent des événements de même nature qui touchent le même organisme. De plus, on met en doute l’opportunité de la demande, la qualité pour agir de la personne morale demanderesse et la justiciabilité du processus au moyen duquel le gouvernement cherche à obtenir divers apports en vue de l’élaboration de ses politiques. Quoi qu’il en soit, j’en suis venu à la conclusion que les demandeurs ont démontré l’existence d’une violation de la Charte et qu’ils ont droit à réparation.

 

[77]           Le juge Mosley a examiné s’il y avait un lien suffisamment étroit entre les décisions distinctes pour qu’elles correspondent à une question unique, et il s’est livré à l’analyse suivante en mettant l’accent sur les lignes directrices en tant que facteur de rattachement [non souligné dans l’original] :

[60]      La défenderesse cite une récente décision où la Cour a statué que la règle 302 interdit de contester deux décisions par une même demande, à moins qu’on ne puisse démontrer que les décisions en question faisaient partie d’une « même série d’actes » (Khadr (tutrice à l’instance) c. Canada (Ministre des Affaires étrangères) (2004), 266 F.T.R. 20, 2004 CF 1145).

 

[…]

 

[62]      Selon les demandeurs, la Cour a reconnu que le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales peut embrasser la situation courante lorsqu’un certain nombre de décisions sont prises (Puccini c. Canada, [1993] 3 C.F. 557, 65 F.T.R. 127 (C.F.P.I.)).

 

[…]

 

[64]      Les demandeurs citent la décision Truehope Nutritional Support Ltd. c. Canada (Procureur général) (2004), 251 F.T.R. 155, 2004 CF 658, paragraphes 18 et 19 (Truehope), dans laquelle la Cour a déclaré : « Les distinctions entre les deux décisions telles qu’elles ont été présentées par les défendeurs ne l’emportent pas sur les similitudes, et ces distinctions ne sont pas si complexes qu’elles risquent d’engendrer la confusion, et exiger que deux demandes de contrôle judiciaire distinctes soient présentées, compte tenu des similitudes, constituerait une perte de temps et d’efforts. » En l’espèce, les demandeurs soutiennent qu’il serait déraisonnable d’exiger d’eux qu’ils scindent en quatre leur demande de contrôle judiciaire.

 

[65]      Il s’agissait, dans Truehope, d’une requête en vue d’obtenir l’autorisation de déposer un avis de demande modifié, dans lequel on réclamait le contrôle judiciaire de deux décisions dans le cadre d’une même demande. Bien que prises à des dates différentes, les deux décisions relevaient du même décisionnaire (c’est‑à‑dire de la même direction d’un ministère, quoiqu’elles aient été prises par des fonctionnaires différents) et avaient un même objet. Le contexte factuel, sauf la date, ainsi que les arguments juridiques étaient les mêmes. La requête a par conséquent été accueillie.

 

[66]      En l’espèce, le point commun entre les quatre demandeurs, c’est que leur situation a découlé de l’application du même ensemble de lignes directrices visant la prestation de services d’interprétation. Bien que chaque incident ait mis en cause des faits et des décisionnaires distincts (des ministères et des fonctionnaires différents), le fond de la question a trait à l’application de la même politique à la même communauté. Je suis d’avis, par conséquent, qu’il serait déraisonnable de scinder la demande.

 

[78]           En ce qui concerne précisément la question des délais de prescription, le juge Mosley a formulé les commentaires suivants [non souligné dans l’original] :

[71]      Les demandeurs soutiennent que leurs demandes ne sont pas tardives parce qu’ils ne sollicitent pas la révision ou le réexamen de décisions finales, mais demandent plutôt réparation pour des actes de discrimination systémique qui, de par leur nature même, continuent de se produire. En outre, le refus d’offrir des services d’interprétation gestuelle était de nature purement administrative, et ne constituait pas une « décision ou ordonnance » soumise au délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. La seule réparation sollicitée est une mesure déclaratoire. La présentation de la demande de contrôle judiciaire sous examen est par conséquent opportune, et la nature déclaratoire de la réparation permet à la Cour de suspendre le délai de 30 jours.

 

[72]      J’admets la prétention des demandeurs selon laquelle le délai de 30 jours n’est pas applicable lorsque la demande de contrôle judiciaire n’a pas trait à la décision ou à l’ordonnance d’un office fédéral. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans Sweet c. Canada, [1999] A.C.F. no 1539 (QL), au paragraphe 11, relativement à une politique de double occupation des cellules, celle‑ci est « d’application courante et peut être contestée à tout moment; le contrôle judiciaire avec les réparations y afférentes tels le jugement déclaratoire, les recours extraordinaires et l’injonction, est la procédure appropriée pour porter la contestation devant la Cour ».

 

[73]      Un retard déraisonnable dans la présentation d’une demande peut, toutefois, empêcher le demandeur d’obtenir réparation (Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3). Notre Cour a appliqué ce principe dans Larny Holdings c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 1 C.F. 541 (CF 1re inst.), au paragraphe 10. En vue d’établir si un retard est « indu », les tribunaux prennent en compte sa durée ainsi que toute justification avancée par le demandeur à son égard, de même que les répercussions qu’aurait l’intervention judiciaire sur l’administration publique et les droits de tiers.

 

[79]           À mon avis, le raisonnement suivi par le juge Kelen dans le jugement Olah c Canada (Procureur général), 2006 CF 1245 (Olah), et le juge Phelan dans le jugement Airth c Ministre du Revenu national, 2006 CF 1442 (Airth), est fidèle à l’esprit de l’arrêt Krause parce qu’il fait ressortir clairement que la question importante n’est pas celle de savoir si la politique elle‑même ou les mesures particulières prises pour la mettre en œuvre sont contestées, mais plutôt celle de savoir s’il existe une série de mesures gouvernementales étroitement liées et illégales que le demandeur cherche à empêcher au moyen de brefs de prérogative de mandamus, de prohibition ou de certiorari ou d’un jugement déclaratoire (voir aussi Manuge c Canada, 2008 CF 624, aux paragraphes 11 et 14, motifs du juge Barnes; Popal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 532, aux paragraphes 29 à 31, motifs du juge Gibson; Jodhan v Canada (Attorney General), 2008 FC 781, au paragraphe 21, motifs du protonotaire Aalto).

 

[80]           Je conclus, par conséquent, que la présente demande n’est pas prescrite.

 

            Lien de causalité

 

[81]           Vu que la Modification n’a aucune incidence, à première vue, sur la fréquence des prises de contact du demandeur à des fins de surveillance, mais qu’elle laisse plutôt à son surveillant de liberté conditionnelle le soin d’en décider, en conformité avec les directives en vigueur, il faut répondre à l’importante question de savoir s’il existe un lien de causalité quelconque entre la Modification et les violations alléguées par le demandeur des droits qu’il tire de l’article 7 de la Charte.

 

[82]           Dans l’arrêt Blencoe, la Cour suprême du Canada a exposé la question comme suit, au paragraphe 60 :

Bien que les allégations de harcèlement sexuel dont l’intimé a fait l’objet lui aient indéniablement causé un préjudice grave, il doit y avoir un lien de causalité suffisant entre le délai imputable à l’État et le préjudice subi par l’intimé pour que l’art. 7 s’applique. Dans Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, à la p. 447, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a conclu que le lien de causalité entre les actes du gouvernement et la violation alléguée de la Charte était « trop incertain, trop conjectural et trop hypothétique pour étayer une cause d’action ». Dans des motifs concordants distincts, le juge Wilson a également fait état de la nécessité d’un lien direct quelconque entre les actes de l’État et l’atteinte qui en a résulté. Voici ce qu’elle a dit, à la p. 490 :

 

Il n’est pas nécessaire de souscrire à l’interprétation restrictive avancée par le juge Pratte, qui limiterait l’art. 7 à une protection contre les arrestations ou les détentions arbitraires, pour convenir que l’article a pour objet central l’ingérence directe du gouvernement dans la vie, la liberté et la sécurité personnelle des citoyens. À tout le moins, me semble‑t‑il, il doit y avoir une forte présomption qu’on n’a jamais voulu qu’une action gouvernementale relative aux relations de l’État avec d’autres États, et qui donc n’est dirigée contre aucun membre de la collectivité politique immédiate, tombe sous le coup de l’art. 7 même si cette action peut avoir l’effet incident d’accroître le risque de mort ou de préjudice auquel les gens doivent faire face en général. [Je souligne.]

 

[83]           En l’espèce, l’argument du demandeur semble être que la décision prise – laisser le surveillant de liberté conditionnelle décider de la fréquence de sa prise de contact – a eu pour conséquence inévitable de l’obliger à se présenter tous les trois mois plutôt qu’une fois l’an. Or, selon la preuve, la question de cette fréquence ne relève pas entièrement du seul pouvoir discrétionnaire du surveillant de liberté conditionnelle, et devoir se présenter tous les trois mois constitue l’obligation minimale actuellement prévue par le régime. Par exemple, l’agente de liberté conditionnelle, Theresa Seto, affirme dans son rapport du 3 juillet 2011 ce qui suit :

[traduction]

Le niveau d’intervention requis à l’endroit de M. Fisher est actuellement faible selon les facteurs tant statiques que dynamiques. La fréquence requise de prise de contact de M. Fisher, selon évaluation, correspond donc toujours au niveau E (une fois tous les trois mois). Cette fréquence est jugée raisonnable et il s’agit de la mesure la moins restrictive actuellement prévue.

 

Je suis donc disposé à admettre que la Modification a eu pour effet d’assujettir le demandeur à un régime de prise de contact, non plus annuelle, mais bien désormais trimestrielle. La question est cependant celle de savoir si ce changement a fait s’appliquer les droits qu’il tire de l’article 7 de la Charte.

 

[84]           Le demandeur énumère, dans son affidavit produit au soutien de la présente demande, diverses restrictions avec lesquelles il a dû composer par suite de décisions prises les nombreux agents de libération conditionnelle auxquels il a eu affaire au fil des ans. La plupart des problèmes mentionnés n’ont rien à voir avec la fréquence des prises de contact obligatoires et, quoi qu’il en soit, je n’ai pas à examiner ces décisions que le dossier ne me permet d’ailleurs pas de juger. De plus, le demandeur indique dans son témoignage qu’il a toujours bénéficié d’une LCM depuis 1991, même s’il a déjà pensé le contraire, et qu’il n’est assujetti à aucune restriction en ce moment, hormis le fait de devoir respecter la loi, communiquer tout changement de résidence au directeur de district et se présenter à son agent de liberté conditionnelle selon les directives de ce dernier.

 

[85]           Quant à la question de l’incidence inévitable de ses prises de contact trimestrielles faites à compter de 1996 à la demande de son surveillant, le demandeur rapporte à la Cour qu’on lui a dit qu’il devrait se [traduction] « présenter tous les trois mois et obtenir une autorisation de voyage pour aller où que ce soit ». Or, comme le demandeur en atteste, il s’avère qu’il n’avait pas besoin d’une autorisation de la Commission des libérations conditionnelles pour voyager.

 

[86]           Tout cela s’est produit il y a bien longtemps, de sorte que je ne reproche pas au demandeur son manque d’explications sur ce point important. Il semble toutefois d’après son témoignage que ce sont les restrictions concernant les voyages qui ont véritablement eu une incidence sur sa vie – il dit : [traduction] « [J]e ne pouvais plus faire de tournée comme musicien à toutes fins utiles en raison de cette restriction à ma liberté. » ‑, mais il appert que le demandeur peut voyager librement et qu’il n’a jamais cessé d’être en LCM. Le demandeur n’établit aucun lien dans son témoignage entre sa perte de liberté et l’obligation trimestrielle de se présenter, ni ne mentionne aucune occasion où il n’aurait pu se produire à un endroit comme musicien du fait que l’obligation était devenue trimestrielle plutôt qu’annuelle.

 

[87]           À mon avis, le demandeur n’a donc pas établi – de fait, il ne l’a même pas allégué dans son témoignage – que toute restriction subie par lui pouvait être attribuée à l’obligation de se présenter tous les trois mois. Il semble fortement, d’après son témoignage, que ce qu’il considère être des restrictions à ses droits a résulté de décisions prises par différents surveillants de liberté conditionnelle, des décisions dont il n’a pas demandé le contrôle et que je n’ai pas à examiner.

 

[88]           Quand j’ai demandé à l’avocat du demandeur quel effet, après l’adoption de la Modification, avait eu sur son client le passage à l’obligation trimestrielle de se présenter, il a dit qu’elle avait porté atteinte à sa dignité et à son autonomie, sans cependant avoir d’incidence sur sa vie quotidienne. Ce témoignage vient toutefois de l’avocat, et ne figure pas dans l’affidavit du demandeur. L’avocat me renvoie au paragraphe 86 de l’affidavit, où le demandeur déclare ce qui suit :

[traduction]

Tous ces changements apportés aux conditions ont grandement porté atteinte à ma dignité. J’en ai parfois pleuré. On m’a traité comme si je ne bénéficiais d’aucun droit de la personne, et ma liberté de voyager pouvait m’être arbitrairement retirée par un simple coup de fil. Mes divers surveillants de liberté conditionnelle ont menacé de restreindre davantage ma liberté, sans guère de raisons, voire aucune.

 

Il ne dit pas que l’atteinte à la dignité a résulté du passage à l’obligation trimestrielle. Il ressort clairement de tout le contexte que le demandeur se soucie principalement de sa liberté de voyager, ainsi que de changements visant d’autres questions apportés par différents surveillants de liberté conditionnelle.

 

[89]           Certes, je suis conscient du fait que le droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte ne s’entend pas uniquement de l’absence de toute contrainte physique. La Cour suprême du Canada l’a exprimé bien clairement dans l’arrêt Blencoe, précité :

49        Le droit à la liberté garanti par l’art. 7 de la Charte ne s’entend plus uniquement de l’absence de toute contrainte physique. Des juges de notre Cour ont conclu que la « liberté » est en cause lorsque des contraintes ou des interdictions de l’État influent sur les choix importants et fondamentaux qu’une personne peut faire dans sa vie. Une telle situation existe, par exemple, lorsque des personnes doivent se présenter à un endroit et à un moment précis pour faire prendre leurs empreintes digitales (Beare, précité), produire des documents ou témoigner (Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425), et lorsque des personnes doivent s’abstenir de flâner dans certains lieux (R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761). Dans notre société libre et démocratique, chacun a le droit de prendre des décisions d’importance fondamentale sans intervention de l’État. Dans B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, au par. 80, le juge La Forest, avec l’assentiment des juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin, souligne que le droit à la liberté garanti par l’art. 7 protège l’autonomie personnelle et qu’il doit être interprété largement et en conformité avec les principes et les valeurs qui sous‑tendent la Charte dans son ensemble :

 

[...] la liberté ne signifie pas simplement l’absence de toute contrainte physique. Dans une société libre et démocratique, l’individu doit avoir suffisamment d’autonomie personnelle pour vivre sa propre vie et prendre des décisions qui sont d’importance fondamentale pour sa personne.

 

50        Dans R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, la juge Wilson, s’exprimant uniquement en son propre nom, était d’avis que l’art. 251 du Code criminel violait non seulement le droit d’une femme à la sécurité de sa personne, mais également son droit à la liberté garanti par l’art. 7. Elle a indiqué que le droit à la liberté prend racine dans les concepts fondamentaux de la dignité humaine, de l’autonomie personnelle, de la vie privée et du choix des décisions concernant l’être fondamental de l’individu. Voici ce qu’elle a dit, à la p. 166 :

 

Ainsi, un aspect du respect de la dignité humaine sur lequel la Charte est fondée est le droit de prendre des décisions personnelles fondamentales sans intervention de l’État. Ce droit constitue une composante cruciale du droit à la liberté. La liberté, comme nous l’avons dit dans l’arrêt Singh, est un terme susceptible d’une acception fort large. À mon avis, ce droit, bien interprété, confère à l’individu une marge d’autonomie dans la prise de décisions d’importance fondamentale pour sa personne.

 

Le juge La Forest a adopté cet extrait dans l’arrêt B. (R.), précité, au par. 80. Dans cette affaire, notre Cour était appelée à décider si le droit à la liberté garanti par l’art. 7 protège le droit des parents de choisir un traitement médical pour leurs enfants. Le juge La Forest a appliqué l’extrait précité des motifs de la juge Wilson aux droits individuels qui revêtent une importance fondamentale dans notre société, comme le droit des parents de prendre soin de leurs enfants.

 

[90]           La Cour suprême a toutefois déclaré aussi ceci dans l’arrêt Blencoe :

54        Même si un individu a le droit de faire des choix personnels fondamentaux sans intervention de l’État, cette autonomie personnelle n’est pas synonyme de liberté illimitée. Dans les circonstances de la présente affaire, l’État n’a pas empêché l’intimé de faire des « choix personnels fondamentaux ». À mon avis, les droits que l’on cherche à protéger en l’espèce ne font pas partie du droit « à la liberté » garanti par l’art. 7.

 

[91]           Dans la présente affaire, le demandeur n’a pas présenté à la Cour une preuve suffisante quant à la manière dont l’obligation de se présenter tous les trois mois l’avait empêché de faire des choix personnels fondamentaux. Le demandeur explique en quoi les restrictions de voyage ont touché sa vie de manière fondamentale, mais on ne peut établir de lien entre ces restrictions et la Modification à l’examen. Il se peut que ces restrictions de voyage n’aient eu aucun fondement juridique, mais je n’ai aucun moyen de trancher cette question, dont je ne suis pas saisi. Le demandeur n’a pas non plus expliqué pourquoi, si l’obligation trimestrielle influait sur ses choix personnels, il n’avait pas soumis le problème à son surveillant de liberté conditionnelle et tenté d’obtenir les mesures d’adaptation requises pour faire les choix personnels souhaités.

 

[92]           Aucune preuve ne m’a non plus été présentée pour établir que le demandeur devait faire davantage pour s’acquitter de son obligation trimestrielle de se présenter, que de son obligation annuelle.

 

[93]           Il me semble en d’autres termes, en fonction des faits d’espèce et de la preuve qui m’a été présentée, que la Modification contestée n’a pas porté elle‑même atteinte aux droits que le demandeur tire de la Charte, et que le lien de causalité entre la Modification et les violations alléguées de la Charte était trop incertain, trop conjectural et trop hypothétique pour étayer une cause d’action. Même l’incapacité de voyager mise en question par le demandeur, qui semble avoir été son principal motif de plainte, a été le fruit d’une erreur, et non de l’obligation de se présenter tous les trois mois.

 

[94]           Vu mes conclusions selon lesquelles le demandeur n’a pas démontré l’atteinte à un droit à la liberté par un acte de l’État incarné par la Modification, il ne me sera pas utile d’examiner les questions liées aux dispositions de la Charte sur les principes de justice fondamentale.

 


JUGEMENT

 

LA COUR :

1.                  REJETTE la demande et ADJUGE les dépens en faveur du défendeur.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑950‑12

 

INTITULÉ :                                                  PAUL FISHER c PGC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 11 juillet 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 30 octobre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael McCubbin

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Susanne Pereira et Cindy Mah

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

The Law Offices of Michael McCubbin

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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