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Date : 20131028

Dossier : IMM-11045-12

Référence : 2013 CF 1080

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 28 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

MING TRANG TRAN

VICKY TRAN

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Dans le cadre de la présente demande, une mère (la demanderesse) et sa fille de 12 ans ayant présenté une demande d’asile fondée sur une crainte justifiée de persécution au Vietnam du fait qu’elles sont chrétiennes catholiques contestent la décision rendue le 21 septembre 2012 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a rejeté leurs demandes et conclu qu’elles ne reposaient sur aucun fondement crédible.

 

[2]               Au début de la décision contrôlée, la SPR expose les principaux éléments de la demande des demanderesses et les points sur lesquels l’analyse a été axée, et présente la conclusion finale qui a entraîné le rejet de la demande :

 

[1] Ming Trang Tran et sa fille mineure, Vicky Tran, prétendent être citoyennes du Vietnam et demandent l’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Ming Trang Tran (la demandeure d’asile principale) a agi à titre de représentante désignée de sa fille mineure.

 

ALLÉGATIONS

[2] La demandeure d’asile principale affirme avoir voyagé illégalement de chez elle, au Sud du Vietnam, jusqu’à Taïwan. Elle prétend avoir fini par obtenir un permis de travail temporaire d’un an pour demeurer au Vietnam. Elle a travaillé comme aide ménagère pour un homme et elle est tombée enceinte de lui. La demandeure d’asile principale a affirmé que son employeur l’a agressée physiquement et l’a mise à la porte, avec sa fille, deux mois seulement après qu’elle a donné naissance à sa fille. À Taïwan, la demandeure d’asile principale s’est tournée vers la religion catholique en vue de recevoir un appui.

 

[3] La demandeure d’asile principale est retournée au Vietnam avec sa fille en décembre 2000. Elle affirme que sa fille et elle ont été victimes de violence verbale de la part de membres de la communauté parce qu’elle n’avait pas d’époux. La demandeure d’asile principale soutient également que sa fille faisait l’objet de railleries à l’école et que sa fille et elle étaient victimes de discrimination parce qu’elles étaient catholiques.

 

[4] Les demandeures d’asile sont venues au Canada à l’aide d’un passeur de clandestins le 1er juillet 2009. Elles ont présenté une demande d’asile le 1er septembre 2009.

 

ANALYSE

[5] Le tribunal a axé son analyse sur les identités et les nationalités des demandeures d’asile ainsi que sur la crédibilité générale de la demandeure d’asile principale.

 

 

Identités et nationalités des demandeures d’asile

[6] Après avoir examiné toutes les pièces d’identité présentées, le témoignage de vive voix de la demandeure d’asile principale et les observations de la conseil, le tribunal estime que les demandeures d’asile n’ont pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour prouver leur identité et leur nationalité. L’identité renvoie le plus souvent au nom dont se sert ou s’est servi un demandeur d’asile pour s’identifier.

 

[3]                À la lecture de l’ensemble de la décision, j’estime qu’il est évident que le commissaire accordait de l’importance à l’obligation pour le demandeur d’asile de présenter des papiers d’identité « acceptables » pour prouver son identité (décision, au paragraphe 7). En effet, la SPR a rejeté les documents présentés par les demanderesses parce qu’ils étaient de copies, qu’ils ne présentaient aucun dispositif de sécurité autre que des timbres et qu’ils avaient été reçus par télécopie, mais ne portaient aucune indication du moment où ils avaient été envoyés ni de la façon dont ils avaient été transmis, et qu’ils « [dataient] de plusieurs années » (décision, au paragraphe 12). Il est par ailleurs évident que, compte tenu des attentes insatisfaites de la SPR à l’égard des documents, le témoignage sous serment de la demanderesse a été rejeté parce que ses déclarations relatives à presque toutes les questions de fait essentielles de la demande ont été jugées invraisemblables :

Le tribunal a tiré une conclusion défavorable importante à propos de l’incapacité de la demandeure d’asile principale à fournir des documents suffisamment crédibles ou dignes de foi à l’appui de leur identité et de leur nationalité, et du fait qu’elle a présenté un registre familial et un certificat de naissance dont l’authenticité est pour le moins douteuse. [Non souligné dans l’original.] (Décision, au paragraphe 14.)

 

[4]               À mon avis, le processus décisionnel suivi par le commissaire concerné est fondamentalement bancal et contraire à la loi. Lorsque l’on arrive à une conclusion sur l’identité d’un demandeur qui demande l’asile, le témoignage sous serment du demandeur est présumé être vrai à moins qu’il y ait une raison de douter de sa véracité (Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305), et le processus décisionnel qui a mené à la conclusion sur la crédibilité doit être rigoureux :

Selon moi, la Commission se trouvait dans l’obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l’appelant. L’évaluation (précitée) que la Commission a faite au sujet de la crédibilité de l’appelant est lacunaire parce qu’elle est exposée en termes vagues et généraux (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.), au paragraphe 6).

 

[5]               Exception faite de cas où une conclusion de fraude clairement démontrée et étayée jette un doute sur l’ensemble de la preuve produite par un demandeur, le rejet de pièces d’identité comportant des irrégularités n’infirme toutefois pas le témoignage sous serment relatif à l’identité. La décision contrôlée ne présente aucun motif précis expliquant le refus du témoignage sous serment que la demanderesse a présenté à l’appui de sa demande, ni la conclusion selon laquelle les demanderesses ont présenté une demande frauduleuse, ce que le commissaire de la SPR me semble avoir eu à l’esprit tout du long.

 

[6]               Il est par exemple possible de voir ce que le commissaire avait à l’esprit en considérant le fait que la fille de la demanderesse parle le mandarin. La demanderesse a expliqué qu’elle parle le mandarin parce qu’elle a fréquenté une école de langue chinoise au Vietnam et elle a produit un certificat d’études de l’école chinoise à l’appui de son témoignage. La SPR a rejeté le certificat parce qu’il y avait une différence de deux ans entre le nombre d’années de fréquentation figurant sur le certificat et celui figurant sur le FRP modifié de la demanderesse. Cela dit, le passage suivant tiré de la décision montre aussi que des soupçons inacceptables, sous‑entendus, et des suppositions injustifiées ont aussi compté dans le rejet :

Le tribunal constate que le mandarin est parlé à de nombreux endroits à l’extérieur de la Chine, notamment à Taïwan, en Malaisie, à Singapour et même à Toronto. Compte tenu de l’incapacité de la demandeure d’asile mineure de parler le vietnamien et de sa capacité de parler le mandarin couramment, le tribunal estime qu’il est plus probable que le contraire que la fille de la demandeure d’asile principale ait vécu, avant de venir au Canada, dans un endroit où le mandarin était parlé plutôt qu’au Vietnam, comme l’a affirmé la demandeure d’asile principale. Cet élément mine davantage la déclaration de citoyenneté vietnamienne de la demandeure d’asile mineure ainsi que les déclarations relatives au pays de référence des deux demandeures d’asile. (Décision, au paragraphe 19.)

 

[7]               Les déclarations faites aux paragraphes 23 et 24 de la décision soulèvent une question importante et non examinée :

Les demandeures d’asile ont présenté des éléments de preuve établissant qu’elles étaient des chrétiennes pratiquantes au Canada; toutefois, comme les pays de nationalité et de référence des demandeures d’asile n’ont pas été établis, le tribunal estime qu’il n’a pas à examiner la question du risque de persécution auquel seraient exposées les demandeures d’asile en tant que catholiques au Vietnam.

 

À la lumière de l’ensemble de la preuve, le tribunal estime que les demandeures d’asile n’ont pas établi leur identité ni leur nationalité. Selon la jurisprudence, lorsque l’identité d’un demandeur d’asile n’a pas été établie, le tribunal n’est pas tenu d’analyser plus à fond la preuve et la demande d’asile.

 

[8]               Conformément à l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle est vietnamienne et qu’elle craint de retourner au Vietnam en raison de sa foi chrétienne, la demanderesse a témoigné en vietnamien devant la SPR et, plus important encore, la SPR a conclu que la langue maternelle de la demanderesse est le vietnamien (décision, au paragraphe 18). L’examen de la nationalité de la demanderesse, et de sa demande de protection à l’encontre du Vietnam, n’a pas tenu compte de ce fait important. Selon moi, ce fait aurait dû inciter le commissaire à réfléchir avant de tirer sa conclusion sur les deux questions. Avec un esprit ouvert, il pouvait facilement être conclu que la langue maternelle de la demanderesse constitue une preuve solide qu’elle est bien qui elle dit être : une Vietnamienne. J’estime que le fait que la SPR a omis de raisonnablement accorder une importance déterminante à ce fait particulier pour établir l’identité de la demanderesse rend la décision déraisonnable.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision contrôlée soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision. Il n’y a pas de question à certifier.

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DoSSIER :                                                                              imm-11045-12           

 

INTITULÉ :

MING TRANG TRAN, VICKY TRAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

                                                           

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 24 octobre 2013        

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE 
:                      LE JUGE CAMPBELL

                       

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 octobre 2013                    

COMPARUTIONS :

Jayson Thomas

POUR LES DEMANDERESSES

 

Teresa Ramnarine

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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