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Date : 20131101

Dossier : IMM‑7148‑12

Référence : 2013 CF 1114

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

SERGEY GOLOUBOV

ROZALINA GOLOUBOV

DANIEL GOLOUBOV

BINYAMIN GOLOUBOV

DAVID GOLOUBOV

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, membres d’une même famille chrétienne orthodoxe russe ayant la citoyenneté israélienne, ont quitté la Russie en 1999 pour immigrer en Israël. Ils ont demandé l’asile au Canada immédiatement à leur arrivée le 30 juillet 2006. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR) a rejeté leur demande pour plusieurs motifs : 1) les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État; 2) les demandeurs n’ont pas cherché à obtenir la protection de l’État; 3) le père, Sergey Goloubov, n’était pas un témoin crédible; et (4) les demandeurs pouvaient se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) et pouvaient s’établir dans une autre collectivité russe en Israël.

 

[2]               Les demandeurs font valoir que la SPR a commis plusieurs erreurs en rejetant leur demande :

1.                  Elle a fait erreur en concluant que M. Goloubov n’a pas été crédible en expliquant la raison pour laquelle il n’a pas produit un rapport médical documentant les blessures que lui a fait subir un voisin qui l’a agressé en Israël;

2.                  Elle a fait erreur en concluant que la protection offerte par l’État était adéquate sans expliquer la raison pour laquelle elle a retenu certains éléments de preuve plutôt que d’autres et en tirant des conclusions non étayées par la preuve;

3.                  Elle a fait erreur en concluant que les demandeurs pouvaient retourner en Israël en toute sécurité s’ils s’établissaient dans une collectivité russe;

4.                  Elle a fait erreur en rejetant, sans expliquer ses motifs, les éléments produits par les demandeurs pour prouver que d’autres habitants du même endroit ont aussi subi des préjudices;

5.                  Elle a fait erreur en tirant une conclusion défavorable du fait que le demandeur principal n’a déclaré craindre l’association israélienne ultra‑raciste Khemla que [traduction] « le jour de son audience » en dépit de ce que plusieurs audiences ont eu lieu entre janvier 2010 et avril 2012.

 

[3]               Sans l’énoncer clairement comme une question litigieuse, les demandeurs prétendent aussi que la SPR a évalué leur demande dans une perspective biaisée du conflit israélo‑palestinien, et que cette perspective a influé sur sa compréhension de la réticence qu’avait M. Goloubov à servir dans l’armée.

 

[4]               Lors de l’audience, le défendeur a contesté cette redéfinition de l’argument de partialité. Les demandeurs ont fait valoir que la SPR avait commis une erreur en n’accordant pas d’importance à l’argument de M. Goloubov selon lequel son opposition à servir quelque temps dans l’armée mettait sa vie en danger en Israël. Je conviens avec le défendeur que ni l’exposé des arguments des demandeurs ni leur réplique ne renferme d’observation à cet effet, et qu’ils ne peuvent la présenter à la dernière minute, prenant ainsi la partie adverse et la Cour par surprise.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SPR relativement à l’existence de la protection de l’État était raisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit par conséquent être rejetée. Comme la question de la protection de l’État est déterminante en l’espèce, il ne sera pas nécessaire de statuer sur le caractère raisonnable des conclusions qu’a tirées la SPR à l’égard de la crédibilité ni sur l’existence d’une PRI. Toutefois, je commenterai brièvement l’allégation de partialité des demandeurs à la suite de ces motifs.

 

[6]               La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. Plus précisément, elle a conclu que, même s’ils s’étaient plaints du fait que la police avait refusé de les aider, ils ne se sont pas prévalus du mécanisme d’investigation des plaintes formulées contre la police mis sur pied par le Bureau de l’ombudsman. La SPR a reconnu que « les plaintes ne sont pas toujours réglées de façon appropriée en raison de problèmes au sein du système d’enquête et de la conspiration du silence qui règne chez les policiers », mais elle a conclu que ce n’était pas une raison valable de ne pas réclamer la protection de l’État.

 

[7]               Les demandeurs font valoir que la SPR a fait erreur en concluant qu’ils pouvaient se prévaloir de la protection de l’État après qu’elle lui eut fait remarquer qu’il n’était pas toujours convenablement donné suite aux plaintes. Ils déclarent que la SPR n’a pas expliqué la raison pour laquelle elle a écarté [traduction] « la preuve d’un défaut systémique du mécanisme d’investigation des plaintes ». Ils prétendent en outre que la SPR a commis une erreur en négligeant de tenir compte du véritable résultat des efforts déployés par l’État pour protéger ses citoyens.

 

[8]               Les observations des demandeurs sont sans fondement. Tout d’abord, rien au dossier n’indique l’existence d’un « défaut systémique » du mécanisme d’investigation des plaintes. La mention la plus éloquente sur le comportement de la police contenue dans le cartable national de documentation sur Israël (CND) révèle que plusieurs Témoins de Jéhovah ont déclaré avoir eu de la difficulté à convaincre les policiers de faire enquête sur les crimes commis contre eux (United States Department of State, 2010 Report on International Religious Freedom – Israël and the Occupied Territories, (17 novembre 2010), dossier certifié du tribunal, page 696). Aucun rapport du genre ne porte sur les chrétiens orthodoxes russes. La SPR déclare au paragraphe 14 de sa décision que « si la communauté chrétienne se heurtait à de graves problèmes en Israël, ces problèmes seraient connus [dans le CND] […] ». Cette conclusion est raisonnable au vu de la preuve.

 

[9]               Ensuite, la SPR a examiné la possibilité de déposer des plaintes contre la police par l’entremise du ministère de la Justice et du Bureau de l’ombudsman. Contrairement à ce qu’ont fait observer les demandeurs, elle a ainsi analysé le véritable résultat des efforts mis en œuvre par l’État pour protéger ses citoyens. Il ne lui en fallait pas plus car rien dans le CND ne donne à entendre que le mécanisme d’investigation des plaintes protège mal les chrétiens orthodoxes russes. En fait, comme l’a fait remarquer la SPR, des 1505 plaintes examinées par le Département des enquêtes sur les policiers du ministère de la Justice, 20 p. cent se sont conclues par un procès au criminel ou une audience disciplinaire (dossier certifié du tribunal, page 379). Les autres plaintes ont été classées en raison de preuves insuffisantes ou parce que les policiers ont été disculpés. De même, le dossier révèle qu’en 2009, le Bureau de l’ombudsman a reçu 756 plaintes contre des membres de la police israélienne et 43,8 p. cent d’entre elles ont été jugées fondées.

 

[10]           Enfin, le passage de la décision où il est mentionné que les plaintes présentées à l’ombudsman « ne sont pas toujours réglées de façon appropriée en raison de problèmes au sein du système d’enquête et de la conspiration du silence qui règne chez les policiers » ne constitue pas, contrairement à ce qu’avancent les demandeurs, une preuve contradictoire parce que le passage en question ne se rapporte pas aux enquêtes sur les policiers. Contrairement à ce qu’avancent les demandeurs, ce passage porte sur les enquêtes relatives au recours abusif à la force dans le cas de policiers tenus de témoigner les uns contre les autres. Étant donné que les demandeurs n’allèguent pas que la police a employé une force excessive à leur endroit, cet élément de preuve n’a aucune pertinence.

 

[11]           Outre ces observations, je tiens à faire celles‑ci. Rien n’indique dans le CND que les chrétiens orthodoxes russes, malgré leur statut de minorité en Israël, se heurtent à des difficultés particulières que l’État ne veut ou ne peut résoudre.

 

[12]           Par ailleurs, Israël est un pays démocratique qui tient des élections libres et justes. En conséquence, le fardeau qui incombe aux demandeurs de réfuter la présomption de protection de l’État est plus lourd car il est proportionnel au degré de démocratie dans le pays (Kotai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 693, au paragraphe 15).

 

[13]           Le document du Département d’État américain 2008 Human Rights Report on Israël and the Occupied Territories, (25 février 2009), auquel ont fait référence les demandeurs, décrit des cas précis d’actes de violence et de discrimination sociales fondés sur les croyances ou pratiques religieuses; mais la plupart de ces actes ciblent les Témoins de Jéhovah et les musulmans. Un certain nombre d’agressions discrètes ont été commises contre des chrétiens, mais le document ne fait pas mention de violence ciblant les chrétiens orthodoxes, ni les chrétiens russes plus précisément; qui plus est, il n’est nullement question non plus d’un manquement de l’État à protéger ces groupes de la population ni d’actes discriminatoires de la police à l’égard d’immigrants russes ou de chrétiens orthodoxes. Au contraire, la preuve indique que les crimes contre les groupes de chrétiens sont soumis à des enquêtes en bonne et due forme. Par exemple, à la suite d’un violent incident où une centaine de juifs haredim se sont attaqués à une cinquantaine de touristes chrétiens à Jérusalem, deux des agresseurs ont été condamnés (voir le dossier certifié du tribunal, page 609).

 

[14]           Quant aux enfants, le CND révèle aussi que le Conseil national de l’enfance d’Israël (NCC) a nommé un ombudsman spécial pour les enfants et les jeunes afin de protéger les enfants immigrants et leurs familles contre les mauvais traitements. Chaque année, cet ombudsman répond à quelque 10 000 demandes : des demandes de conseils généraux aux demandes de défense globale des droits en passant par les demandes d’intervention en milieu scolaire (dossier certifié du tribunal, page 664).

 

[15]           Les demandeurs n’ont jamais demandé à l’ombudsman de protéger leurs enfants.

 

[16]           Compte tenu des diverses mesures qu’a prises Israël pour veiller à la protection de ses citoyens et de l’absence totale de preuve établissant l’insuffisance de ces mesures, les demandeurs n’avaient pas de raison de ne pas se prévaloir de la protection qu’offrait l’État. En fait, les éléments de preuve des demandeurs révèlent qu’ils n’ont même jamais cherché à se renseigner sur les moyens de protection qui étaient à leur disposition. Par conséquent, rien ne nous permet de croire que les demandeurs n’auraient pas pu se prévaloir de la protection de l’État et rien n’explique qu’ils n’ont pas cherché à obtenir cette protection de l’État.

 

[17]           Bien que les demandeurs soulèvent des questions d’importance relativement à la conclusion rendue sur leur crédibilité et à la décision à laquelle la PRI est arrivée au sujet de la PSI, que nous avons déjà mentionné, la décision relative à la protection de l’État, qui était raisonnable, est déterminante en l’espèce.

 

[18]           Bien que cela soit inutile vu la conclusion à laquelle j’ai abouti, je ferai tout de même des observations sur l’allégation de partialité énoncée dans l’exposé des demandeurs.

 

[19]           Les demandeurs allèguent que les motifs de la SPR traduisent une partialité et que le commissaire de la SPR [traduction] « est sympathique à un participant du conflit palestino‑israélien à la défaveur des demandeurs ».

 

[20]           Je conviens avec le défendeur que le critère de détermination de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est exigeant et que les accusations des demandeurs n’y satisfont pas. À part cette phrase que la SPR a inscrite dans ses motifs et selon laquelle elle « estime que le demandeur d’asile ne peut pas refuser de servir dans l’armée simplement parce qu’il refuse de combattre des Palestiniens, qui procèdent à des tirs de roquettes dans des zones civiles en Israël », rien n’indique que la SPR a été partiale. De plus, cette déclaration de la SPR prenait appui sur des documents du CND qui confirment que 1500 roquettes avaient été tirées sur Israël sans discernement; et la SPR et M. Goloubov ont discuté de ce point particulier durant l’audience.

 

[21]           Même si cette observation du commissaire peut sembler ajouter de la force à la crainte raisonnable de partialité en ce qui concerne le conflit israélo‑palestinien, rien n’indique que cette opinion a eu une incidence sur l’issue de la demande étant donné qu’aucune des demandes d’asile des membres de la famille ne se rapporte au conflit israélo‑palestinien.

 

[22]           Par conséquent, non seulement l’allégation de partialité est dénudée de tout fondement, mais même si nous lui faisions droit, elle n’aurait pas d’incidence sur l’issue de la demande.

 

[23]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il était raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État au vu de la preuve dont elle disposait.

 

[24]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE la demande est rejetée et qu’aucune question n’est à certifier.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie‑Michèle Chidiac, trad. a.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7148‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  SERGEY GOLOUBOV ET AL c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 30 octobre 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

 

DATE :                                                          Le 1er novembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clifford Luyt

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Balqees Mihirig

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CZUMA, RITTER

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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