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Date : 20131028

Dossier : T‑237‑13

Référence : 2013 CF 1102

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2013

 

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

MOHAMED ALKOKA

 

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 3 janvier 2013 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] a rejeté sa plainte de discrimination contre la Gendarmerie royale du Canada [la GRC] en application du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne [la LCDP].

 

[2]               Le demandeur veut soulever d’importantes questions touchant le rôle de la GRC et, plus généralement, celui des organismes d’application de la loi et des agences de sécurité quant à la protection des renseignements personnels. Il soutient qu’avant de partager les renseignements de ce type avec d’autres pays, les mises en garde et garanties nécessaires doivent encadrer leur utilisation. Il aimerait profiter du contrôle judiciaire de la décision du 3 janvier 2013 pour soulever ces questions importantes. Il fait valoir que l’enquête relative à sa plainte de profilage racial était trop circonscrite et qu’elle manquait de rigueur, car la Commission n’a pas tenu compte du contexte d’où ont émergé ses allégations selon lesquelles des renseignements personnels le concernant ont été partagés. Il prétend donc que l’équité procédurale n’a pas été respectée.

 

[3]               Cependant, la décision sous contrôle ne concerne que la plainte décrite par la Commission dans son évaluation préliminaire, qui en limitait la portée aux événements du 16 décembre 2008. Le rapport d’évaluation et la décision de la Commission du 3 janvier 2013 visée par la présente demande portent à bon droit sur la plainte ainsi circonscrite. Le demandeur soutient que, tout en étant axée sur les événements du 16 décembre 2008, l’enquête devait quand même tenir compte du contexte général et des préoccupations et obligations liées au partage des renseignements personnels. Comme ses allégations contredisent les démentis de la GRC, qui nie être intervenue ou s’être intéressée à lui, la Commission aurait dû se livrer à un examen plus approfondi.

 

[4]               Je ne pense pas que l’enquête manquait de rigueur ni qu’il n’a pas été loisible au demandeur de présenter des renseignements cruciaux au moyen de la preuve circonstancielle ou contextuelle qu’il veut à présent présenter. Je ne crois pas non plus que la décision de la Commission du 3 janvier 2013, fondée sur le rapport d’évaluation, était déraisonnable. Ce rapport, sur lequel la Commission s’est appuyée et qui fait partie de ses motifs, tenait compte du rapport préliminaire qui limitait la portée de la plainte aux événements du 16 décembre 2008. La Commission a examiné toutes les observations présentées en réponse au rapport d’évaluation, notamment celles du demandeur. Celles‑ci indiquent toutes que des renseignements le concernant ont été partagés depuis 1999 et renvoient à la preuve contextuelle et circonstancielle qu’il cherche maintenant à produire pour étayer son argument voulant que l’enquête n’ait pas été exhaustive ou rigoureuse. La Commission connaissait les renseignements et le contexte pertinents lorsqu’elle a examiné les événements du 16 décembre 2008.

 

[5]               La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée pour les motifs plus détaillés qui suivent.

 

Le contexte de la plainte

[6]               En février 2010, le demandeur a présenté une plainte dans laquelle il alléguait que la GRC avait partagé avec les autorités égyptiennes et américaines des renseignements personnels concernant sa participation à des organisations caritatives musulmanes, ce qui lui a valu d’être détenu et interrogé à plusieurs reprises en Égypte, d’être refoulé à la frontière et d’avoir à retourner au Canada à ses propres frais. D’après la plainte, l’incident le plus récent remontait au 16 décembre 2008.

 

[7]               Le 11 février 2011, la Commission a rendu, conformément aux articles 40 et 41 de la LCDP, son rapport (le rapport fondé sur les articles 40 et 41), qui recommandait qu’elle n’examine que les allégations liées à l’incident du 16 décembre 2008 pour les motifs suivants :

[traduction] Le plaignant prétend que les actes discriminatoires procèdent d’une tendance systématique et ne sont donc pas circonscrits dans le temps. Cependant, malgré les résultats de la demande de renseignements personnels, il n’a pas produit beaucoup d’éléments pour expliquer en quoi ces actes antérieurs (ni précisés ni datés) s’inscrivent dans une « tendance systématique ». Le plaignant allègue que le défendeur a communiqué aux autorités américaines et égyptiennes des renseignements touchant sa participation à des organisations caritatives musulmanes au Canada, à la suite de quoi il s’est vu refuser l’entrée en Égypte en décembre 2008. […] Les allégations précédentes sont vagues et imprécises quant au cadre temporel. Les seules allégations détaillées ont trait à l’incident survenu en décembre 2008.

 

[8]               Le demandeur a été invité à présenter des observations concernant le rapport fondé sur les articles 40 et 41; il l’a fait vers le 14 mars 2011. Entre autres précisions, il avance que la GRC s’intéressait à lui depuis 1999.

 

[9]               Après que les parties eurent présenté d’autres observations, la Commission a rendu sa décision le 29 juin 2011; celle‑ci ne porte que sur les prétendus actes discriminatoires commis en décembre 2008 (la décision fondée sur les articles 40 et 41) et il y est noté ce qui suit :

[traduction] Les précédentes allégations ne devraient pas être examinées, car le plaignant n’a pas démontré qu’elles concernent des actes systématiques de discrimination.

 

[10]           Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision fondée sur les articles 40 et 41.

 

[11]           Un rapport d’évaluation de la plainte ainsi délimitée a été achevé le 2 octobre 2012. L’évaluatrice a déclaré qu’elle a revu et examiné tous les documents précédemment soumis par les parties de même que le rapport fondé sur les articles 40 et 41 et la décision afférente. Le rapport d’évaluation décrit le contexte de la plainte, les allégations liées au partage des renseignements ainsi que la preuve de la GRC selon laquelle elle n’était pas au courant de l’incident du 16 décembre 2008, n’avait jamais eu affaire au demandeur, n’avait jamais enquêté sur lui et ne le considérait pas comme une personne d’intérêt. Le rapport d’évaluation indiquait par ailleurs que l’ASFC avait confirmé n’avoir jamais contacté ni consulté la GRC ni demandé son assistance ou sa présence.

 

[12]           L’évaluatrice a conclu que la GRC ne semblait pas être intervenue, mais, par [traduction] « souci de prudence », elle s’est tout de même penchée sur les allégations du demandeur selon lesquelles la GRC a commencé à le surveiller dès 1999, ce qui pouvait expliquer la communication de renseignements ayant entraîné sa détention en Égypte. L’évaluatrice a noté que même si la GRC avait partagé des renseignements concernant le demandeur avec des gouvernements étrangers, il était loisible à ces derniers d’agir en conséquence. De plus, la prétendue communication précédait de plus de dix ans les événements de décembre 2008 et outrepassait la portée de la plainte.

 

[13]           Voici la conclusion du rapport d’évaluation :

[traduction]

19.       Compte tenu de la preuve, il semble que le défendeur n’ait pas eu le moindre rapport avec le plaignant le 16 décembre 2008 à son arrivée au Canada. Ce dernier n’a soumis aucun élément de preuve à l’appui de sa prétention que le défendeur avait fourni des renseignements au gouvernement égyptien à cette date. Par ailleurs, bien que le plaignant insinue que le défendeur « a pu » communiquer des renseignements au gouvernement égyptien, ses propres observations, dont il a été question plus haut, précisent que les renseignements ainsi communiqués par la GRC remontent à 1999 et précèdent clairement de plusieurs années l’incident de décembre 2008.

 

20.       Comme la Commission a déjà conclu que seul serait examiné l’incident de décembre 2008, et comme la preuve démontre que le défendeur n’a pas eu le moindre rapport avec le plaignant à cette date, l’analyse n’inclura pas la question d) ou l’étape 2.

 

[14]           La recommandation est formulée comme suit :

[traduction] Il est recommandé, conformément au sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission rejette la plainte, car :

         Il ressort de la preuve recueillie que le défendeur n’est pas intervenu dans les événements du 16 décembre 2008.

 

[15]           Les observations que le demandeur a présentées en réponse au rapport d’évaluation ont été reçues par la Commission le 29 octobre 2012, cette dernière ayant consenti à proroger le délai prévu à cette fin. Il y fait valoir que la Commission a indûment limité son enquête aux événements de décembre 2008. Le demandeur invoque des renseignements contextuels censés être pertinents au regard des allégations liées à cet incident, notamment des éléments lui ayant été divulgués en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, des citations du rapport d’enquête sur l’affaire Arar, et un extrait du rapport, établi par la Commission canadienne des droits de la personne, intitulé « Questions liées aux droits de la personne dans le cadre de la sécurité nationale : Inventaire des considérations des organismes ».

 

[16]           Après avoir examiné le rapport d’évaluation et les observations, la Commission a rejeté la plainte le 3 janvier 2013, concluant que :

[traduction] Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé, en application du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte, car :

 

         Il ressort de la preuve recueillie que le défendeur n’est pas intervenu dans les événements du 16 décembre 2008.

 

Questions en litige

[17]           Le demandeur a soulevé trois questions interdépendantes. Il allègue que la Commission a commis les erreurs suivantes : elle a indûment limité la portée de son enquête; elle a rejeté la plainte en vertu du principe de l’extraterritorialité; elle a contrevenu à l’équité procédurale en ne lui accordant pas la juste et nécessaire latitude pour traiter des questions d’extraterritorialité.

 

[18]           À titre préliminaire, le défendeur a soulevé une objection relative à l’affidavit de Mme Jans, que le demandeur a soumis à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, et aux pièces qui l’accompagnent. Les pièces n’ont pas été présentées à la Commission et ne font donc pas partie du dossier.

 

L’affidavit

[19]           Le demandeur s’appuie sur l’affidavit de Mme Jans, stagiaire en droit travaillant pour le cabinet de son avocat, et ses annexes, pour faire valoir que l’enquête de la Commission était trop circonscrite et qu’elle manquait de rigueur.

 

[20]           Le demandeur et le défendeur conviennent que les demandes de contrôle judiciaire ne sont pas des procès de novo et que le dossier de la preuve doit se limiter aux documents dont disposait le tribunal administratif, sauf exceptions restreintes (Première Nation d’Ochapowace c Canada (Procureur général), 2007 CF 920, aux paragraphes 9 et 10, [2007] ACF no 1195).

 

[21]           Le défendeur soutient qu’aucune de ces exceptions ne s’applique et que plusieurs paragraphes de l’affidavit et des pièces connexes devraient être radiés. Premièrement, la preuve présentée à la Cour doit être fondée sur les connaissances personnelles du déclarant et ne pas comporter de ouï‑dire (article 81 des Règles des Cours fédérales; Première Nation Kwicksutaineuk Ah‑Kwa‑Mish c Canada (Procureur général), 2012 CF 517, au paragraphe 74, [2012] ACF no 772; Doolan c Canada (Procureur général), 2005 CF 1414, aux paragraphes 25 à 27, [2005] ACF no 1724). Deuxièmement, les affidavits ne doivent contenir ni arguments ni opinions (Van Duyvenbode c Canada (Procureur général), 2009 CAF 120, [2009] ACF no 504; Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47, au paragraphe 18, [2010] ACF no 194).

 

[22]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les paragraphes 19 à 26 doivent être radiés, de même que les pièces qui y sont mentionnées.

 

[23]           D’après l’affidavit, la déposante tire ses connaissances de l’examen des documents contenus dans le dossier du demandeur et, dans les cas précisés, d’informations transmises par l’avocat du demandeur.

 

[24]           Les parties de l’affidavit qui ne sont pas contestées sont celles qui retracent la chronologie de la plainte et qui renvoient à la plainte, au rapport fondé sur les articles 40 et 41 et aux observations reçues en réponse ainsi qu’au rapport d’évaluation et aux observations qu’il a suscitées.

 

[25]           Cependant, les paragraphes 19 à 26 incluent l’opinion de la déposante selon laquelle la limite de dix pages relative aux observations présentées en réponse au rapport d’évaluation empêchait le demandeur de fournir à la Commission les documents joints aux pièces de l’affidavit, qu’il cherche à introduire dans la présente instance.

 

[26]           En fait, la déposante croit et soutient que l’enquête concernant la plainte était trop limitée et qu’elle n’a pas tenu compte des allégations plus générales liées au partage des renseignements, qui ne relèvent pas de la portée accordée à la plainte.

 

[27]           Le demandeur invoque la décision Gagliano c Canada (Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2006 CF 720, au paragraphe 50, [2006] ACF no 917 [Gagliano], pour faire valoir qu’une exception est justifiée lorsque des allégations sont avancées au sujet de l’équité procédurale. Le juge Teitelbaum notait dans cette affaire :

[50]      Il est bien établi que, d’une façon générale, seuls les documents dont disposait le décideur au moment où il a pris sa décision sont pertinents aux fins de l’article 317 des Règles. Cependant, la jurisprudence a apporté des exceptions à cette règle. La Commission a écrit dans ses observations écrites : [traduction« Il existe une exception lorsqu’il est allégué que l’office fédéral a violé l’équité procédurale ou a commis une erreur de compétence : David Sgayias et al., Federal Practice, (Toronto : Thomson, 2005) à la p. 695, reproduit dans le mémoire des faits et du droit de la Commission (Chrétien, T‑2118‑05) au par. 24. L’observation ci‑dessus est clairement étayée par la jurisprudence selon laquelle les documents dont ne disposait pas le décideur peuvent être considérés comme étant pertinents lorsqu’il est allégué que le décideur a violé l’équité procédurale ou lorsqu’il y a une allégation de crainte raisonnable de partialité de la part du décideur : Premières nations Deh Cho, ci‑dessus; Friends of the West, ci‑dessus; Telus, ci‑dessus; Lindo, ci‑dessus.

 

[28]           Le demandeur soutient qu’une exception est justifiée puisqu’il argue que la Commission a contrevenu à l’équité procédurale.

 

[29]           Il prétend que ces pièces n’ont pas été produites pour permettre d’évaluer le bien‑fondé ou le caractère raisonnable de la décision, mais plutôt pour confirmer que ses droits à l’équité procédurale ont bien été violés. Elles n’en restent toutefois pas moins inadmissibles. Comme le notait la Cour dans la décision Gagliano, d’autres documents inconnus du décideur pourraient s’avérer pertinents. Cependant, compte tenu des faits en présence, l’allégation touchant l’équité procédurale n’autorise pas à elle seule la présentation de nouveaux documents.

 

[30]           Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑après, l’argument du demandeur concernant l’équité procédurale est lié à sa prétention selon laquelle la décision est fondée sur l’extraterritorialité – c’est‑à‑dire qu’il appartenait aux autorités égyptiennes de décider ce qu’ils feraient des renseignements – et qu’il ne lui a pas été permis d’en traiter. Or, la décision de la Commission s’appuyait sur l’absence de preuve et non sur l’extraterritorialité.

 

[31]           J’estime que l’enquête liée à la plainte touchant l’incident du 16 décembre 2008 n’a donné lieu à aucun manquement à l’équité procédurale. Le demandeur a eu tout le loisir de présenter ses observations en réponse à chaque étape du processus, et il l’a fait. Dans ses observations, il cite certains des documents qu’il cherche à présent à faire admettre, notamment le rapport du commissaire O’Connor concernant la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar et celui de la Commission canadienne des droits de la personne. Ses observations réitèrent systématiquement ses allégations concernant le partage de renseignements depuis 1999. La Commission en a pris acte. Il est difficile de prétendre qu’on lui a refusé l’occasion de présenter les éléments contextuels qu’il veut maintenant soumettre comme une preuve circonstancielle décisive.

 

[32]           De plus, s’agissant des pièces jointes en cause, les pièces K et L sont inadmissibles parce que le demandeur aurait pu les produire à tout stade de la plainte, mais qu’il ne l’a pas fait.

 

[33]           Les pièces M, N, P, Q et R ne peuvent pas être admises, car elles émanent de personnes qui ne pouvaient pas être contre‑interrogées relativement à la présente demande.

 

[34]           La pièce O est une plainte contre le SCRS qui ne concerne en rien celle dont il est question ici.

 

[35]           Comme l’a noté le défendeur, les pièces M et Q émanaient du commissaire O’Connor et reposaient sur une grande quantité de témoignages entendus dans le cadre de la Commission Arar; cependant, les conclusions et recommandations contenues dans ce rapport ne peuvent être invoquées comme preuve dans une instance indépendante liée à une plainte précise (voir Robb Estate c St Joseph’s Health Care Centre, [1998] OJ No 5394, (1998) 31 CPC (4th) 99 (C.S. Ont.)).

 

[36]           Le défendeur note d’ailleurs, en réponse à l’affirmation du demandeur selon laquelle il y a eu manquement à l’équité procédurale parce que la limite de dix pages relative aux observations l’empêchait de fournir les éléments contextuels qu’il veut à présent soumettre, qu’il aurait pu tout simplement énumérer les documents en question.

 

Norme de contrôle

[37]           En l’absence d’un manquement à l’équité procédurale ou d’une erreur de droit, la cour de révision ne doit intervenir que s’il est établi que la décision rendue par la Commission était déraisonnable.

 

[38]           La question de savoir si l’enquête a été menée conformément à l’équité procédurale relève de la norme de la décision correcte.

 

[39]           La question de savoir si la Commission a commis une erreur en rejetant la plainte sur la base des conclusions de fait et de l’appréciation de la preuve de l’évaluatrice appelle, quant à elle, la norme de la décision raisonnable (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, aux paragraphes 53 à 55 et 111).

 

[40]           Dans la récente décision Syndicat canadien des employés de la fonction publique (division du transport aérien) c Air Canada, 2013 CF 184, au paragraphe 60, [2013] ACF no 230 [SCEFP], la juge Mactavish a traité de la norme de contrôle et résumé tous les principes applicables aux enquêtes de la Commission. Comme ces principes intéressent précisément les questions soulevées en l’espèce et renvoient à la jurisprudence citée par le demandeur et le défendeur, je les ai reproduits ci‑après :

[60]      Le rôle de la Commission canadienne des droits de la personne a été examiné par la Cour suprême du Canada dans Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] A.C.S. no 115, [1996] 3 R.C.S. 854. Dans cet arrêt, la Cour a fait observer que la Commission n’était pas un organisme décisionnel et que c’était au Tribunal canadien des droits de la personne qu’il revenait de trancher les plaintes en matière de droits de la personne.

 

[61]      La Commission exerce plutôt des fonctions d’administration et d’examen préalables. Son rôle consiste « à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante » (arrêt Cooper, précité, au paragraphe 53; voir également Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] A.C.S. no 103, [1989] 2 R.C.S. 879 [SEPQA]).

 

[62]       La Commission dispose d’un large pouvoir discrétionnaire qui lui permet de décider si, « compte tenu des circonstances relatives à la plainte », la poursuite de l’enquête est justifiée (Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364, aux paragraphes 26 et 46; Mercier c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3, [1994] 3 A.C.F. no 361 (C.A.F.)). 

 

[63]      D’ailleurs, dans l’arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, [1998] A.C.F. no 1609 [Bell Canada], la Cour d’appel fédérale a fait observer que « [l]a Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête » (au paragraphe 38).

 

[64]      Dans la décision Slattery c. Canada (Condition canadienne des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, [1994] A.C.F. no 181, conf. par [1996] A.C.F. no 385, 205 N.R. 383 (C.A.F.), la Cour a analysé le contenu de l’obligation d’équité procédurale exigé dans le cadre des enquêtes menées par la Commission. La Cour a fait observer que, pour s’acquitter de l’obligation que la loi lui impose de faire enquête sur les plaintes de discrimination, la Commission doit mener des enquêtes à la fois neutres et exhaustives.

 

[65]      En ce qui concerne l’obligation d’exhaustivité, la Cour fédérale a fait observer dans la décision Slattery qu’« [i]l faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes ». Par conséquent, « [c]e n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose » (au paragraphe 56).

 

[66]      Au sujet de ce qui constitue une « preuve manifestement importante », la Cour a déclaré que « “le critère [de la preuve] manifestement importante” exige qu’il soit évident pour n’importe quelle personne rationnelle que la preuve qui, selon le demandeur, aurait dû être examinée durant l’enquête était importante compte tenu des éléments allégués dans la plainte » (Gosal c. Canada (Procureur général), 2011 CF 570, [2011] A.C.F. no 1147, au paragraphe 54; Beauregard c. Postes Canada, 2005 CF 1383, [2005] A.C.F. no 1676, au paragraphe 21).

 

[67]      L’exigence d’exhaustivité des enquêtes doit également être examinée en fonction des réalités administratives et financières de la Commission et de l’intérêt de la Commission « à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif » (Boahene‑Agbo c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] A.C.F. no 1611, 86 F.T.R. 101, aux paragraphes 79, citant la décision Slattery, précitée, au paragraphe 55).

 

[68]      Dans ce contexte, la jurisprudence a établi qu’il n’est pas nécessaire que les enquêtes de la Commission soient parfaites. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, [2005] A.C.F. no 543, au paragraphe 39 :

 

Tout contrôle judiciaire d’une procédure de la Commission doit reconnaître que l’organisme est maître de son processus et doit lui laisser beaucoup de latitude dans la façon dont il mène ses enquêtes. Une enquête portant sur une plainte concernant les droits de la personne ne doit pas être astreinte à une norme de perfection. Il n’est pas nécessaire de remuer ciel et terre. Les ressources de la Commission sont limitées et son volume de travail est élevé. Celle‑ci doit alors tenir compte des intérêts en jeu : ceux des plaignants à l’égard d’une enquête la plus complète possible et l’intérêt de la Commission à assurer l’efficacité du système sur le plan administratif. [Renvois omis.]

 

[69]      Suivant la jurisprudence, il est également possible de corriger certaines des lacunes de l’enquête en accordant aux parties le droit de formuler leurs observations au sujet du rapport d’enquête.

 

[70]      Par exemple, dans Slattery, la Cour a fait observer que lorsque, comme en l’espèce, elles ont eu la possibilité de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteur, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention de la Commission. Par conséquent, « ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier », ce qui comprendrait notamment « les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier ». L’intervention judiciaire peut également être justifiée en cas de « rejet explicite » d’une preuve de fond par la Commission (tous les passages précités sont tirés du paragraphe 57 de la décision Slattery).

 

[71]      De même, dans l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056, la Cour d’appel fédérale a fait observer que les seules erreurs qui justifient l’intervention de la cour de révision sont les « erreurs d’enquête qui sont à ce point fondamentales que les observations complémentaires des parties ne peuvent y remédier » (au paragraphe 38).

 

[72]      Lorsque, comme en l’espèce, la Commission adopte les recommandations formulées dans un rapport d’enquête et fournit peu de motifs à l’appui de sa décision, le rapport d’enquête est considéré comme constituant le raisonnement de la Commission lorsque cette dernière est appelée à prendre la décision prévue au paragraphe 44(3) de la Loi (arrêt SEPQA, précité, au paragraphe 35; arrêt Bell Canada, précité, au paragraphe 30).

 

[73]      Toutefois, la décision de la Commission de rejeter une plainte en se fondant sur une enquête comportant des lacunes sera elle‑même considérée déficiente parce que « si les rapports sont défectueux, il s’ensuit que la Commission ne disposait pas d’un nombre suffisant de renseignements pertinents pour exercer à bon droit son pouvoir discrétionnaire » (Grover c. Canada (Conseil national de recherches), 2001 CFPI 687, [2001] A.C.F. no 1012, au paragraphe 70; voir également l’arrêt Sketchley, précité, au paragraphe 112).

 

[41]           En résumé, les principes suivants s’appliquent en l’espèce : la Commission exerce des fonctions d’administration et d’examen préalable; elle jouit d’un large pouvoir discrétionnaire pour décider, « compte tenu des circonstances relatives à la plainte », si une enquête plus approfondie s’impose; la Commission doit mener des enquêtes exhaustives et neutres sur les plaintes de discrimination; il n’est pas nécessaire que ces enquêtes soient parfaites; le contrôle judiciaire ne sera justifié qu’en cas d’omission déraisonnable, par exemple lorsqu’un enquêteur ne tient pas compte d’une « preuve manifestement importante »; la « preuve manifestement importante » est celle qu’une personne raisonnable jugerait manifestement cruciale au regard des allégations contenues dans la plainte, et dont le demandeur prétend qu’elle aurait dû être prise en compte durant l’enquête.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en limitant son enquête à l’incident du 16 décembre 2008 et en négligeant la preuve circonstancielle?

[42]           Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve circonstancielle de discrimination et, de ce fait, a déraisonnablement limité son enquête à la plainte concernant les événements du 16 décembre 2008. Selon le demandeur, les éléments touchant l’intérêt de la GRC à son égard ne sont pas dépourvus de pertinence ou hors de portée de l’examen simplement parce que la Commission a décidé de ne s’occuper que de l’incident du 16 décembre 2008. Il soutient que parce qu’il faisait valoir que la GRC détenait dans sa base de données des renseignements personnels le concernant, comme l’a démontré la divulgation effectuée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Commission aurait dû investiguer davantage plutôt que d’accepter la preuve de la GRC selon laquelle elle ne s’intéressait pas à lui. Le demandeur prétend que la Cour devrait accueillir sa demande de contrôle judiciaire, car le manque de rigueur de l’enquête dissone dans le contexte général de la sécurité nationale et des plaintes en matière de droits de la personne sur le profilage racial, et que le rapport d’évaluation trahit une ignorance des principes pertinents.

 

[43]           Le demandeur invoque la décision Grover c Conseil national de recherche, 2001 CFPI 687, [2001] ACF no 1012, où il était question d’équité procédurale et dans laquelle le demandeur cherchait à introduire de nouveaux éléments de preuve. Après avoir passé en revue les principes pertinents, le juge Heneghan a déclaré ceci, au paragraphe 63, au sujet de la nécessité d’une enquête approfondie :

[63]      Dans la décision Miller c. Canada, précitée, Monsieur le juge Dubé a énoncé comme suit le critère applicable au caractère exhaustif d’une enquête effectuée par la Commission (page 201) :

 

Les principes de l’arrêt SEPQA ont été suivis et développés dans plusieurs décisions de la Cour fédérale. Selon ces décisions, le principe de l’équité procédurale exige que la Commission se fonde sur des éléments valables et objectifs pour déterminer si la preuve justifie la constitution d’un Tribunal. Les enquêtes que l’enquêteur mène avant la décision doivent respecter au moins deux conditions : la neutralité et l’exhaustivité. En d’autres termes, l’enquête doit être menée de façon qu’elle ne puisse être décrite comme une enquête empreinte de partialité ou d’iniquité et elle doit être exhaustive, c’est‑à‑dire qu’elle doit tenir compte des différents intérêts des parties concernées. L’enquêteur n’est pas tenu d’interroger chaque personne que proposent les parties. Il n’est pas tenu non plus, dans son rapport, de commenter chacun des incidents de discrimination reprochés, surtout lorsque les parties ont la possibilité de combler les lacunes dans leurs réponses.

 

[44]           Le demandeur soutient que la preuve qu’il cherche à présent à invoquer, et dont la Commission aurait dû tenir compte, est cruciale, car il ne peut établir le bien‑fondé de sa plainte sans elle. En d’autres mots, il est plus difficile pour lui de démontrer qu’il a été victime d’un profilage racial en raison de la communication par la GRC de renseignements le concernant parce que la GRC contrôle ces renseignements et nie toute intervention. Le demandeur s’appuie sur les décisions Uzoaba c Canada (Service correctionnel), [1994] DCDP no 7, aux paragraphes 8 et 9 (TCDP) et Basi c Cie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] DCDP no 2, au paragraphe 8 (TCDP), pour faire valoir que sa preuve devrait être acceptée.

 

[45]           Le demandeur soutient également que les observations qu’il a présentées en réponse au rapport d’évaluation ne peuvent combler les lacunes ni remédier au fait que la Commission n’a pas examiné ses allégations de manière approfondie.

 

[46]           À mon avis, la Commission n’a pas commis d’erreur dans son traitement de la preuve circonstancielle.

 

[47]           Tel qu’il est indiqué dans la décision SCEFP, d’après le critère de la preuve manifestement importante, il aurait dû être évident pour une personne raisonnable que la preuve dont le demandeur prétend qu’elle aurait dû être prise en compte durant l’enquête était importante compte tenu des allégations formulées dans la plainte.

 

[48]           Compte tenu des allégations formulées dans la plainte, la preuve circonstancielle que le demandeur veut faire admettre ne satisfait pas au critère. Comme l’a conclu la Commission, il a été établi que la GRC n’est pas intervenue dans les événements du 16 décembre 2008. Selon la preuve présentée par la GRC, le demandeur n’était pas une personne d’intérêt, ni alors ni à aucun autre moment.

 

[49]           Je note également que le demandeur a évoqué de manière sommaire certains des éléments de preuve circonstanciels et contextuels dans les observations en réponse au rapport d’évaluation, et que la Commission est présumée en avoir tenu compte. Ces observations étaient l’occasion de corriger ce qui lui paraissait comme les lacunes du rapport d’évaluation.

 

[50]           Les plaignants doivent établir un lien entre la preuve circonstancielle et la preuve de discrimination individuelle dont ils ont été victimes (Chopra c Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2001] DCDP no 20 (TCDP)).

 

[51]           Comme l’a indiqué le défendeur, le fondement nécessaire à l’examen des éléments circonstanciels n’a pas été établi. Il n’y a aucune preuve, mais seulement une allégation, qui a clairement été démentie, que la GRC a partagé des renseignements concernant le demandeur avec les autorités égyptiennes. De plus, la plainte ne concerne que les événements du 16 décembre 2008, puisque sa portée a été limitée à cet incident après que le rapport fondé sur les articles 40 et 41 eut établi que les allégations antérieures étaient vagues et imprécises quant aux dates, et qu’elles ne prouvaient pas une forme systématique de discrimination. La Commission n’avait donc aucune raison d’examiner la preuve contextuelle ou circonstancielle à titre de contexte général, fondé sur des allégations antérieures et vagues liées au partage des renseignements, ni de s’attarder sur la question plus large des politiques et pratiques qui s’y rapportent.

 

[52]           Comme il y a lieu de faire montre d’une grande déférence à l’égard des procédures d’enquête de la Commission, la Cour n’interviendra pas si la preuve qui n’a pas été examinée aux dires du demandeur, n’intéresse pas un élément clé de la plainte.

 

[53]           Je comprends que le demandeur admet que l’enquête ne visait que l’incident du 16 décembre 2008, mais il maintient que la présente plainte ne pouvait pas faire l’objet d’une enquête isolée.

 

[54]           Je ne souscris pas à son argument. La portée de la plainte a été restreinte par la décision fondée sur les articles 40 et 41 parce que, comme l’a conclu la Commission, la preuve qu’il a soumise n’établissait pas que les prétendus actes discriminatoires antérieurs à décembre 2008 étaient systématiques. Avant que la décision fondée sur les articles 40 et 41 ne soit rendue, le demandeur a présenté deux observations en réponse au rapport fondé sur ces dispositions, que la Commission a examinées puis rejetées. Il pouvait présenter une demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision, mais il ne l’a pas fait.

 

[55]           Quoi qu’il en soit, comme nous l’avons vu, certains des renseignements qui auraient dû, selon le demandeur, être considérés par la Commission lui ont été présentés sous forme d’extraits dans ses observations en réponse au rapport d’évaluation. Le demandeur a d’ailleurs évoqué les enjeux plus larges concernant le partage de renseignements lorsqu’il a fait valoir que les renseignements personnels qui le concernaient avaient été communiqués à d’autres gouvernements – ces questions ont donc été portées à l’attention de la Commission.

 

[56]           De plus, le fait que la Commission n’a pas mentionné chacun des documents qui lui ont été présentés en preuve ne signifie pas qu’elle n’en a pas tenu compte : au contraire, la Commission est présumée avoir soupesé et examiné toute la preuve qui lui a été présentée, à moins que le contraire ne soit démontré (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598, au paragraphe 1 (CAF)).

 

[57]           Le sous‑alinéa 44(3)b)(i) prévoit que sur réception du rapport d’enquête, la Commission peut rejeter la plainte concernée par le rapport si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié.

 

[58]           La Commission jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire et d’un « degré remarquable de latitude » lorsqu’elle se charge de sa fonction d’examen préalable, sur laquelle on n’empiète pas à la légère (décision SCEFP, précitée, au paragraphe 63).

 

[59]           En l’espèce, la Commission a conclu que rien ne démontrait l’intervention de la GRC. Comme l’indique la décision SCEFP, précitée, le rôle essentiel de la Commission est de vérifier si la preuve qui lui est présentée est suffisante. C’est ce qu’elle a fait en l’espèce; elle est parvenue à une conclusion raisonnable qui se justifie eu égard à la preuve qu’elle a examinée, et qui est clairement expliquée dans ses motifs.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’utilisation de renseignements partagés échappait à sa compétence en raison des  principes de l’extraterritorialité?

[60]           Le demandeur soutient que la Commission a rejeté la plainte après avoir conclu que si la GRC a partagé des renseignements avec des gouvernements étrangers, [traduction] « il est loisible à [ces derniers] d’agir en fonction de ces renseignements ». Il fait valoir que la GRC a l’obligation permanente de protéger les renseignements personnels et, s’ils sont divulgués, d’assortir leur utilisation de mises en garde et de garanties.

 

[61]           Le demandeur soutient qu’il aurait dû avoir une réelle possibilité de répondre pleinement à cette conclusion, mais que cela ne lui a pas été permis puisqu’il ne pouvait pas présenter plus de dix pages d’observations pour répondre au rapport d’évaluation. Cet argument l’amène à avancer que des éléments de preuve cruciaux ont été omis et que l’enquête n’était pas rigoureuse.

 

[62]           Je conviens avec le défendeur, conformément à la décision clairement formulée de la Commission, que ses conclusions concernant l’extraterritorialité n’ont pas eu une incidence déterminante sur sa décision de rejeter la plainte du demandeur. L’évaluatrice a conclu que la preuve n’établissait pas que la GRC avait communiqué des renseignements le concernant aux autorités égyptiennes. Elle a pris note de la preuve de la GRC selon laquelle elle n’était pas au courant des incidents du 16 décembre 2008, n’avait jamais eu affaire au demandeur, n’avait jamais enquêté sur lui et ne le considérait pas comme une personne d’intérêt. Pour reprendre les conclusions de l’évaluatrice, compte tenu de la preuve, la GRC n’a pas eu [traduction] « le moindre » rapport avec le plaignant en décembre 2008.

 

[63]           Le demandeur aimerait soulever des questions quant au rôle de la police et des agences de sécurité dans la protection et l’usage des renseignements personnels et prétend que la LCDP devrait s’appliquer, car les renseignements proviennent du Canada.

 

[64]           Toutefois, la demande de contrôle judiciaire visant le rejet de la plainte, laquelle ne porte que sur l’incident du 16 décembre 2008, ne constitue pas le cadre indiqué pour traiter de ces questions plus larges.

 

Y a‑t‑il eu, à l’endroit du demandeur, manquement à l’équité procédurale?

[65]           La prétention du demandeur selon laquelle on a manqué à son endroit à l’équité procédurale est liée à son argument voulant que la Commission ait commis une erreur en rejetant sa plainte sur la base de l’extraterritorialité. Il fait valoir qu’il n’a pas été en mesure de réfuter pleinement et adéquatement cette conclusion, car ses observations ne devaient pas dépasser dix pages, ce qui l’empêchait de présenter en réponse une importante preuve circonstancielle ou contextuelle. Cette preuve a été jointe en pièces K à R à l’affidavit de Mme Jans et, comme je l’ai conclu précédemment, n’est pas admissible dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Le demandeur soutient que sans elle, la Commission n’a pas pu effectuer d’enquête rigoureuse et approfondie, car autrement elle aurait cherché à concilier le déni de la GRC avec le fait que les renseignements personnels le concernant se trouvaient dans sa base de données, ainsi qu’il l’alléguait.

 

[66]           Je ne crois pas que la Commission ait violé le droit du demandeur à l’équité procédurale en imposant sa limite de dix pages. Elle n’a pas fondé sa décision sur l’extraterritorialité, mais plutôt sur l’absence de preuve concernant le rôle de la GRC. De plus, comme nous l’avons vu, le demandeur a inclus dans ses observations des renseignements contextuels, quoique de façon sommaire. Compte tenu des observations et de tous les documents qu’il a soumis, la Commission était consciente du contexte plus général de ses allégations liées au partage des renseignements.

 

[67]           Le devoir d’équité procédurale de la Commission relativement à une enquête et à la décision qui en découle consiste à remettre le rapport d’évaluation au demandeur, à lui donner l’entière possibilité d’y répondre et à examiner cette réponse avant de rendre sa décision (Murray c Canada (Commission des droits de la personne), 2002 CFPI 699, au paragraphe 24, [2002] ACF no 1002).

 

[68]           Le demandeur a eu tout le loisir de répondre au rapport fondé sur les articles 40 et 41 ainsi qu’au rapport d’évaluation pour corriger toute lacune imputée à l’évaluatrice ou lui signaler toute preuve manquante qu’il considère comme importante. Le demandeur conteste la limite de dix pages, mais il a quand même fourni des extraits de la preuve qu’il aurait préféré soumettre intégralement.

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.         aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑237‑13

 

INTITULÉ :                                                  MOHAMED ALKOKA c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 9 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 28 octobre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yavar Hameed

Matthew Létourneau

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Gray

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hameed & Farrokhzad

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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