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Date : 20131028


Dossier : IMM-11494-12

 

Référence : 2013 CF 1101

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2013

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

ENTRE :

SUGUNANAYAKE JOSEPH

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          Aperçu

[1]               Le 24 décembre 2005, Madame Sugunanayake Joseph a subi de multiples blessures par balle lors d’une attaque au cours de laquelle son époux, Monsieur Joseph Pararajasingham, député au Sri Lanka, a été assassiné. Le couple a été atteint de coups de feu lorsqu’il assistait à la messe la veille de Noël.

 

[2]               Des semaines plus tard, le Canada a accordé à Mme Joseph un visa de résidente temporaire pour protéger sa sécurité; elle vit au Canada depuis. Elle a 76 ans.

 

[3]               En 2011, la Section de l’immigration (la SI) a conclu que Mme Joseph était interdite de territoire au Canada parce qu’elle était « membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est […] l’auteur » d’actes de terrorisme (alinéa 34(1)f), Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]). La SI a jugé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que Mme Joseph était membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) et a délivré une mesure d’expulsion à son endroit.

 

[4]               Juste après que la SI a rendu sa décision, Mme Joseph a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR). Une décision favorable empêcherait son expulsion. À ce jour, aucune décision n’a été rendue au sujet de la demande d’ERAR de Mme Joseph. Sa demande est en attente d’une évaluation par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC).

 

[5]               Mme Joseph me demande de délivrer une ordonnance de mandamus, qui obligerait Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à rendre une décision relativement à sa demande d’ERAR. Elle soutient qu’il est inhumain de la laisser dans l’incertitude, étant donné la fragilité de son état de santé physique et mental et la probabilité qu’elle serait tuée si elle rentrait au Sri Lanka.

 

[6]               Je ne peux pas accorder à Mme Joseph l’ordonnance qu’elle demande. Mme Joseph n’a pas satisfait au critère régissant la délivrance du bref de mandamus.

 

II.        La décision de la SI

[7]               La SI a reconnu que la définition de « membre » est large.

 

[8]               Elle a examiné les éléments de preuve se rapportant aux activités de Mme Joseph au Sri Lanka. Elle a notamment souligné ce qui suit :

•           L’époux de Mme Joseph était membre de l’Alliance nationale tamoule (Tamil National Alliance – la TNA);

 

•           La TNA faisait office de mandataire pour un certain nombre de partis politiques tamouls et a milité en faveur de la tenue de négociations entre les TLET et le gouvernement du Sri Lanka;

 

•           La TNA a présenté une plateforme politique au nom des TLET;

 

•           Les objectifs politiques non violents de la TNA correspondent aux objectifs ultimes des TLET;

 

•           La TNA et les TLET visent l’autonomie gouvernementale des Tamouls;

 

•           Les TLET sont reconnus pour assassiner les membres des partis qui n’appuient pas leurs objectifs;

 

•           La TNA et les TLET étaient des organisations distinctes, jouant des rôles différents, mais complémentaires, en vue de l’accession des Tamouls à l’autonomie gouvernementale;

 

•           En assistant à des conférences et des réunions avec lui et en étant sa secrétaire, Mme Joseph appuyait la carrière de son mari à titre de porte‑parole en faveur de la paix et de la réconciliation;

 

•           Les activités de Mme Joseph illustrent le soutien qu’elle apporte aux activités politiques de son époux;

 

•           Le Canada a désigné les TLET comme étant une organisation terroriste.

 

[9]               Sur la foi de ces considérations, la SI a trouvé des motifs raisonnables de croire que Mme Joseph poursuivait les objectifs des TLET et que sa conduite équivalait à de l’appartenance à cette organisation terroriste. Pour cette raison, elle était interdite de territoire au Canada. Mme Joseph a demandé, sans succès, le contrôle judiciaire de la décision de la SI.

 

 

 

III.       Mme Joseph satisfait-elle au critère régissant la délivrance du bref de mandamus?

 

[10]           Mme Joseph ne remplit pas au critère applicable à la mesure d’exception que constitue le mandamus. Le critère a été énoncé dans Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CA). Il n’est pas nécessaire que j’énumère tous les facteurs qui s’appliquent. Il suffit de souligner que le fait que CIC n’a pas tranché la demande d’ERAR de Mme Joseph ne cause pas à celle‑ci de grave préjudice – Mme Joseph ne peut pas être renvoyée tant que l’ERAR n’a pas été mené à bien. Même si l’absence de décision peut représenter une source importante d’inquiétude pour la demanderesse, aucune obligation ne pèse sur CIC concernant le traitement de sa demande d’ERAR. L’inquiétude qu’elle ressent n’oblige pas CIC à trancher sa demande dans un délai particulier.

[11]           Mme Joseph soutient que la conduite de CIC équivaut à de l’angoisse causée par l’État, qui devrait permettre un recours judiciaire (citant Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c G (J), [1999] 3 RCS 46). Cependant, j’estime que le retard administratif quand il s’agit de décider d’accorder à une personne un avantage substantiel ne peut pas être décrit comme une angoisse causée par l’État – du moins, pas selon les faits dont j’ai été saisis.

 

[12]           À ce stade, la demande de Mme Joseph a été transférée à l’ASFC, et il semble, d’après le dossier, qu’elle est traitée conformément aux procédures normales. Il va de soi que les demandes faites par les personnes détenues ont la priorité.

 

[13]           Cependant, je dois aussi souligner que, après la décision de la SI relativement à son interdiction de territoire de Mme Joseph, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision concernant Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40. Dans sa décision, la Cour a souligné qu’une personne n’est pas tenue responsable du crime commis par un groupe seulement parce qu’elle est associée à ce groupe ou qu’elle a acquiescé à son dessein (au paragraphe 68).

 

[14]           À mon avis, même si Ezokola porte sur le refus d’accorder l’asile, la préoccupation de la Cour voulant qu’une personne ne devrait pas être considérée comme complice de méfait du simple fait qu’elle est associée à un groupe qui commet des crimes internationaux, logiquement, s’applique à l’interdiction de territoire. À tout le moins, pour refuser l’asile à une personne, il faut des preuves que cette personne a sciemment ou par insouciance contribué de façon importante aux crimes ou aux desseins criminels (au paragraphe 68). De la même façon, il me semble que pour prononcer l’interdiction de territoire au Canada d’une personne à cause de son association avec un groupe terroriste donné, il faut des preuves que cette personne a eu davantage que des contacts indirects avec le groupe en question.

 

[15]           À la lumière d’Ezokola, il semble très improbable que Mme Joseph serait maintenant considérée comme interdite de territoire au Canada à cause de son appartenance à un groupe terroriste. Ezokola nous incite à éviter de pousser trop loin les règles relatives à la complicité. À mon avis, cela comprend la définition d’« appartenance » à un groupe terroriste. Je doute que la SI, selon Ezokola, conclurait maintenant que Mme Joseph était « membre » des TLET.

 

[16]           Par conséquent, même si je dois rejeter la requête en mandamus de Mme Joseph, je m’attends à ce que sa demande d’ERAR, après la décision Ezokola, soit tranchée dans un délai raisonnable.

 

IV.       Conclusion et décision

[17]           Étant donné que Mme Joseph ne satisfait pas au critère régissant la délivrance du bref de mandamus, je dois rejeter sa demande de contrôle judiciaire. Aucune question de portée générale n’est soulevée.

 

 

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La requête en mandamus est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-11494-12

 

INTITULÉ :

SUGUNANAYAKE JOSEPH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE:              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE:              LE 8 OctobRe 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 28 OctobRe 2013

 

 

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sharon Stewart Guthrie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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