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Date : 20131024

Dossier : IMM‑828‑13

Référence : 2013 CF 1077

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

RICHARD LEE EBERHARDT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2000, c 27 [la Loi], de la décision rendue par un agent [l’agent] de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] le 16 janvier 2013 [décision ou mesure d’exclusion] qui a pris une mesure d’exclusion à l’égard du demandeur.

 

FAITS

[2]               Le demandeur est un citoyen des États‑Unis âgé de 60 ans, qui vit toutefois au Canada avec sa fille de 13 ans qui est citoyenne canadienne. Le demandeur est divorcé de la mère de sa fille, laquelle est aussi citoyenne canadienne. Le demandeur a la garde exclusive de sa fille et est son seul soutien financier. Il a un domicile au Canada pour permettre à sa fille de rester proche de sa mère, laquelle a des problèmes de toxicomanie. Le demandeur et sa fille ont établi des liens importants avec leur collectivité de Surrey (Colombie‑Britannique), et le demandeur a joint à sa demande de contrôle judiciaire de nombreuses lettres de soutien.

 

[3]               Les dossiers de l’ASFC révèlent que le demandeur a traversé la frontière canado‑américaine 22 fois entre février 2009 et juillet 2012. Le 22 novembre 2012, des agents de l’ASFC se sont rendus au domicile du demandeur pour lui recommander de demander la résidence permanente ou bien de retourner aux États‑Unis (pièce A, affidavit de l’agent Gill). Après leur visite, le demandeur a discuté des possibilités qui s’offraient à lui avec un conseiller en immigration.

 

[4]               Le 12 décembre 2012, deux agents de l’ASFC, les agents d’exécution de la loi Ober et Emmot, se sont rendus au domicile du demandeur pour l’interviewer. Celui‑ci a admis que la maison lui appartenait, qu’il souhaitait vivre au Canada de façon permanente et qu’il avait par le passé cherché à demander la résidence permanente, mais qu’il s’était fait dire par Citoyenneté et Immigration Canada que sa demande serait rejetée. L’agent Ober a souligné dans ses notes que le demandeur avait aussi reconnu passer [traduction] « presque tout son temps au Canada », mais le demandeur nie avoir fait cet aveu.

 

[5]               À l’entrevue du 12 décembre 2012, l’agent Ober a informé le demandeur qu’il estimait qu’il était interdit de territoire au Canada et qu’il rédigerait un rapport à cet effet (pièce C, affidavit de l’agent Gill). Le demandeur a dit aux agents qu’il avait entrepris des démarches pour obtenir la résidence permanente et il a convenu qu’il resterait au Canada jusqu’à ce que les agents aient terminé leur rapport.

 

[6]               Le demandeur déclare que le 18 décembre 2012, deux autres agents de l’ASFC sont venus l’interroger à son domicile, et que l’un d’eux lui a dit savoir qu’il n’était pas allé aux États‑Unis depuis deux ans, ce qui n’était pas vrai. Le demandeur dit que les agents ont fait plusieurs affirmations pour essayer de le confondre et l’ont prévenu que toute incohérence dans son récit des faits pourrait entraîner son arrestation immédiate et son renvoi du Canada. Les agents ont confisqué le passeport américain du demandeur et lui ont dit qu’il serait convoqué à une entrevue plus approfondie.

 

[7]               Le 2 janvier 2013, l’agent Ober a rédigé un rapport en application du paragraphe 44(1) de la Loi pour informer le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] qu’il estimait que le demandeur était interdit de territoire au Canada en vertu des alinéas 41a) et 20(1)a) de la Loi. L’ASFC a également convoqué le demandeur à une rencontre (ou audience) en application du paragraphe 44(2) de la Loi afin de déterminer s’il pouvait être autorisé à rester au Canada ou s’il y avait lieu de prendre une mesure de renvoi à son encontre.

 

[8]               La rencontre a eu lieu le 16 janvier 2013. Le demandeur s’y est présenté accompagné de sa fille et d’un conseiller en immigration. Le délégué du ministre a pris une mesure d’exclusion à l’encontre du demandeur (pièce F, affidavit de l’agent Gill), que celui‑ci a refusé de signer.

 

[9]               Les notes au dossier de l’agent Gill, l’agent d’application de la loi chargé d’exécuter le renvoi du demandeur (pièce G, affidavit de l’agent Gill), révèlent que le 16 janvier 2013, le demandeur a refusé de signer la mesure d’exclusion et déclaré qu’il souhaitait d’abord consulter un avocat. Le même jour, le demandeur a laissé dans la boîte vocale de l’agent Gill un message indiquant qu’il souhaitait [traduction] « sur les conseils de son avocat, prendre rendez‑vous en vue d’une enquête ».

 

[10]           Le 18 janvier 2013, l’agent Gill a informé le demandeur que, à sa connaissance, il n’avait pas droit à une enquête concernant la mesure d’exclusion. Le demandeur a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi, et il a demandé à l’agent Gill de communiquer avec son avocat, M. Gurpreet Badh du cabinet Smeets Law Corporation. M. Badh a informé l’agent que le demandeur était effectivement venu le consulter à son bureau sans toutefois retenir ses services formellement. L’agent a demandé à M. Badh s’il avait conseillé au demandeur de demander une enquête. M. Badh a répondu que, compte tenu des motifs d’ordre humanitaire en jeu, il estimait que l’affaire aurait dû être renvoyée pour enquête et que, compte tenu des principes de justice naturelle, que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié aurait dû être saisie de l’affaire. L’agent a alors demandé à M. Badh d’expliquer au demandeur les recours juridiques qui s’offraient à lui.

 

[11]           L’agent a par la suite fixé une entrevue avec le demandeur le 1er février 2013, et l’a informé qu’on y déciderait des dispositions à prendre en vue de son renvoi. Le demandeur a prié l’agent de contacter M. Badh, mais l’agent lui a répondu qu’il ne pouvait le faire tant qu’un formulaire de recours aux services d’un représentant ne serait pas produit. Le demandeur a voulu connaître la raison pour laquelle il ne pouvait demander une enquête et l’agent lui a répondu qu’il n’y avait pas droit. Le demandeur a aussi demandé des explications à l’agent, qui lui a indiqué qu’il lui en donnerait lors de l’entrevue et que le demandeur pouvait se faire accompagner d’un représentant.

 

[12]           Le demandeur a téléphoné à l’agent le 30 janvier 2013 pour lui demander combien de temps durerait l’entrevue du 1er février 2013 et l’a avisé de son intention de demander un contrôle judiciaire de la mesure d’exclusion, ce à quoi l’agent lui a répondu qu’il était libre d’envisager cette possibilité. L’agent a informé le demandeur qu’il l’avait convoqué à l’entrevue pour décider des dispositions à prendre en vue de son renvoi, mais qu’il aurait le temps de régler ses affaires personnelles avant de partir. Le demandeur lui a dit qu’il comptait respecter la loi, mais qu’il devait rester au Canada jusqu’à la fin de l’année scolaire de sa fille. L’agent a alors fait savoir au demandeur qu’il était disposé à lui permettre de rester deux semaines de plus au Canada, mais que toute demande de report devait être présentée par écrit.

 

[13]           Le 31 janvier 2013, le demandeur a présenté sa demande de contrôle judiciaire et le 21 mars 2013, la Cour a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[14]           La décision faisant l’objet du présent contrôle consiste en la mesure d’exclusion prise à l’encontre du demandeur le 16 janvier 2013 qui renvoie au rapport portant interdiction de territoire daté du 2 janvier 2013. Selon ces documents, le demandeur est interdit de territoire parce qu’il est entré au Canada sans visa de résident permanent dans l’intention de s’y établir de façon permanente, ce qu’il a fait.

 

QUESTIONS

[15]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans sa demande :

1.                  La mesure d’exclusion prise à l’encontre du demandeur constitue‑t‑elle un déni de justice naturelle?

2.                  L’exécution de la mesure d’exclusion avant la fin d’une période de six mois risque‑t‑elle de causer des difficultés émotives, physiques ou financières excessives pour le demandeur ou sa fille?

 

NORME DE CONTRÔLE

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas justifié de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question dont la cour est saisie est bien établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette même norme de contrôle. Ce n’est que lorsque la jurisprudence n’est pas claire à ce sujet que la cour de révision doit prendre en considération les quatre facteurs qui permettront d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[17]           La première question soulevée concerne l’équité procédurale. Dans l’arrêt Canadian Union of Public Employees (C.U.P.E.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême a déclaré ceci au paragraphe 100 : « Il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale. » Par ailleurs, dans l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, la Cour d’appel fédérale a statué que « [l]a question de l’équité procédurale est une question de droit. Elle n’appelle pas la déférence. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. » La norme de contrôle applicable à la première question soulevée dans la présente demande est celle du caractère raisonnable.

 

[18]           Comme le signale le défendeur, la deuxième question nécessite essentiellement l’appréciation de la décision du ministre de prendre une mesure d’exclusion à l’encontre du demandeur. Il s’agit d’une décision éminemment factuelle qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Rhoades c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2005 CF 986, aux paragraphes 20 et 21 [Rhoades]).

 

[19]           Lorsqu’il y a lieu de contrôler une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse portera sur « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que sur la question de] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[20]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Obligation à l’entrée au Canada

 

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

 

 

a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s’y établir en permanence;

 

 

[...]

 

 

Manquement à la loi

 

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

 

[...]

 

Rapport d’interdiction de territoire

 

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

 

 

Suivi

 

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

 

 

 

 

 

[...]

 

Obligation on entry

 

 

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

 

(a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent residence;

 

[...]

 

 

Non‑compliance with Act

 

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

 

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act;

 

 

 

[...]

 

 

Preparation of report

 

 

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

 

Referral or removal order

 

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well‑founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

[...]

 

 

[21]           Les dispositions qui suivent du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, s’appliquent en l’espèce :

Résident permanent

 

6. L’étranger ne peut entrer au Canada pour s’y établir en permanence que s’il a préalablement obtenu un visa de résident permanent.

 

[...]

 

Application du paragraphe 44(2) de la Loi : étrangers

 

228. (1) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l’une des circonstances ci‑après, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

 

[...]

 

c) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre de l’article 41 de la Loi pour manquement à :

 

[...]

 

(iii) l’obligation prévue à l’article 20 de la Loi de prouver qu’il détient les visa et autres documents réglementaires, l’exclusion,

 

[...]

Permanent resident

 

6. A foreign national may not enter Canada to remain on a permanent basis without first obtaining a permanent resident visa.

 

[...]

 

Subsection 44(2) of the Act — foreign nationals

 

228. (1) For the purposes of subsection 44(2) of the Act, and subject to subsections (3) and (4), if a report in respect of a foreign national does not include any grounds of inadmissibility other than those set out in the following circumstances, the report shall not be referred to the Immigration Division and any removal order made shall be

 

 

 

[...]

 

(c) if the foreign national is inadmissible under section 41 of the Act on grounds of

 

 

[...]

 

(iii) failing to establish that they hold the visa or other document as required under section 20 of the Act, an exclusion order,

 

[...]

 

 

ARGUMENTS

Arguments du demandeur

[22]           Le demandeur fait valoir que l’agent a pris la mesure d’exclusion sans l’informer des possibilités dont il pouvait se prévaloir et en ne tenant que peu ou point compte des circonstances atténuantes liées à sa situation. Le demandeur mentionne qu’on ne lui a jamais vraiment expliqué les moyens d’obtenir le statut de résident permanent au Canada.

 

[23]           Le demandeur a traversé la frontière canado‑américaine de nombreuses fois sur une période de plus de cinq ans, et il dit que les agents de l’ASFC lui ont donné différents renseignements sur ce que constituait une durée de séjour légale au Canada. Le demandeur prétend que les agents de l’ASFC lui ont souvent dit, lors de ses passages à la frontière, que les citoyens américains peuvent séjourner au Canada jusqu’à 6 mois à la fois. De plus des agents de l’ASFC lui ont à quelques occasions remis des fiches de visiteur pour lui permettre de prolonger ses séjours au Canada.

 

[24]           Le demandeur déclare aussi que des agents de l’ASFC lui ont dit que, tant qu’il pouvait prouver qu’il disposait en tout temps d’un domicile aux États‑Unis, sa liberté de séjourner au Canada ne serait pas compromise. Il prétend enfin que des agents de l’ASFC lui ont dit que tant qu’il serait manifestement en mesure de subvenir à ses besoins, sa liberté de voyager ne serait pas compromise.

 

[25]           Le demandeur fait valoir que ces incohérences l’ont privé de son droit à l’équité procédurale étant donné qu’elles l’ont empêché de bien comprendre sa situation au regard de la loi. Le demandeur prétend qu’il a été induit en erreur à plusieurs occasions quant à son droit de séjourner au Canada et que la menace d’exclusion dont il fait l’objet constitue une persécution.

 

Arguments du défendeur

[26]           Le défendeur fait observer que le demandeur a reconnu résider au Canada et souhaiter s’y établir de façon permanente. Il a également reconnu qu’on lui a dit de demander la résidence permanente en 2010, ce qu’il n’a jamais fait. Il a contrevenu ainsi à l’alinéa 20(1)a) de la Loi et est devenu par le fait même interdit de territoire au Canada. En conséquence, l’agent était en droit de rédiger un rapport en application du paragraphe 44(1) de la Loi et de prendre une mesure de renvoi.

 

[27]           Le demandeur a reconnu ne pas avoir la qualité de résident permanent et souhaiter résider au Canada de façon permanente. Ni lui ni son conseiller en immigration n’ont pu relever d’erreur particulière dans le rapport de l’agent lorsqu’on leur a donné l’occasion de le faire. Étant donné les motifs pour lesquels le demandeur est interdit de territoire, l’agent a eu raison de prendre une mesure d’exclusion et de ne pas déférer l’affaire à la Section de l’immigration aux fins d’enquête (article 228 du Règlement).

 

[28]           Le demandeur affirme qu’il croyait pouvoir entrer et rester au Canada légalement pendant six mois consécutifs, et ce, indéfiniment. Toutefois, le demandeur ne cherchait pas à entrer et à séjourner au Canada. Il s’y était établi de façon permanente et utilisait à mauvais escient ses visas de résident temporaire de la catégorie des visiteurs. Ces visas ne sont pas destinés à des personnes désireuses de vivre au Canada en permanence (Rhoades, précitée, au paragraphe 33).

 

[29]           Qui plus est, le demandeur n’a pas pu prouver que les agents de l’ASFC l’avaient mal informé, et le rapport au dossier de l’agent indique clairement qu’ils ont signifié au demandeur qu’il devait demander la résidence permanente. Même si le demandeur a été induit en erreur par les agents de l’ASFC, des interprétations erronées du droit ne peuvent lier la Cour. Le demandeur est tenu de se conformer aux prescriptions de la Loi, sans égard aux informations qu’ont pu lui communiquer les agents de l’ASFC (Granger c Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1986] 3 CF 70 (CAF) [Granger]).

 

[30]           Le demandeur allègue que le ministre avait l’obligation de prendre en considération l’existence de « circonstances atténuantes » et les difficultés que la mesure d’exclusion allait créer pour sa fille et pour lui‑même, et il joint à son affidavit plusieurs lettres de soutien. Toutefois, aucun de ces facteurs n’a de rapport avec la mesure d’exclusion. Le défendeur fait valoir que l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Cha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, est applicable en l’espèce :

35 Je conclus que le libellé des articles 36 et 44 de la Loi et des dispositions applicables du Règlement n’accorde aucune latitude aux agents d’immigration et aux représentants du ministre lorsqu’ils tirent des conclusions quant à l’interdiction de territoire en vertu des paragraphes 44(1) et (2) de la Loi à l’égard de personnes déclarées coupables d’infractions de grande ou de simple criminalité, sauf pour ce qui est des exceptions prévues explicitement par la Loi et le Règlement. La mission des agents d’immigration et des représentants du ministre ne consiste qu’à rechercher les faits, rien de plus, rien de moins. La situation particulière de l’intéressé, l’infraction, la déclaration de culpabilité et la peine échappent à leur examen. Lorsqu’ils estiment qu’une personne est interdite de territoire pour grande ou simple criminalité, ils ont respectivement l’obligation d’établir un rapport et d’y donner suite.

 

[...]

 

37 Je ne peux concevoir que le législateur ait mis autant de soins pour préciser, aux articles 36 et 44 de la Loi, de manière objective, les cas où les auteurs de certaines infractions bien définies commises au Canada doivent être renvoyés du pays, pour ensuite offrir la possibilité à un agent d’immigration ou à un représentant du ministre de permettre à ces personnes de rester au Canada pour des motifs autres que ceux prévus par la Loi ou le Règlement. Il n’appartient pas à l’agent d’immigration, lorsqu’il décide d’établir ou non un rapport d’interdiction de territoire pour des motifs visés par l’alinéa 36(2)a), ou au représentant du ministre lorsqu’il y donne suite, de se pencher sur des questions visées par les articles 25 (motif d’ordre humanitaire) et 112 (examen des risques avant renvoi) de la Loi (voir Correia, aux paragraphes 20 et 21; Leong, au paragraphe 21; Kim, au paragraphe 65; Lasin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1356 (CanLII), 2005 CF 1356, au paragraphe 18).

 

[31]           Dans le jugement Lasin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1356 [Lasin], le demandeur avait considérablement prolongé son séjour après l’expiration de son visa de visiteur, s’était marié au Canada et avait présenté une demande d’asile pour des raisons d’ordre humanitaire. Un délégué du ministre a pris une mesure d’exclusion à son endroit pour les mêmes raisons qu’en l’espèce. Le demandeur Lasin avait lui aussi allégué que l’agente avait commis une erreur en faisant abstraction des considérations humanitaires. La Cour a rejeté son argument et déclaré ceci aux paragraphes 18 et 19 :

L’agente d’immigration n’était donc pas appelée à prendre en compte des facteurs relatifs aux considérations humanitaires afin de décider si elle devait prendre une mesure d’exclusion. À cet égard, l’agente d’immigration n’était saisie que d’une seule question : les renseignements relatifs à l’interdiction de territoire du demandeur étaient‑ils exacts?

 

L’agente d’immigration devait simplement conclure, d’après les faits, que le demandeur n’avait pas le statut qui lui permettait de rester au Canada. La norme de contrôle applicable à ce genre de conclusion de fait, tirée au terme d’un processus administratif, est la décision manifestement déraisonnable. Je suis convaincu que l’agente d’immigration a respecté le processus prescrit par la Loi et qu’elle a pris une décision raisonnable.

 

[32]           Le demandeur soutient que l’agent avait l’obligation de l’informer de toutes les avenues qui s’offraient à lui pour être en mesure de rester au Canada avant qu’il ne prenne la mesure d’exclusion, et que son défaut de le faire a constitué un manquement à l’équité procédurale. À cet égard, défendeur fait valoir que les agents n’ont pas cette obligation (Araujo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 515, au paragraphe 14; Loranca c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1186, au paragraphe 9). Par ailleurs, les agents de l’ASFC avaient conseillé au demandeur de présenter une demande de résidence permanente en 2010 et en 2012.

 

[33]           Le défendeur soutient qu’il incombait au demandeur de recourir à tout moyen à sa disposition pour rester légalement au Canada, et qu’on ne saurait lui permettre de rester au pays aussi longtemps qu’il le désire, d’autant plus qu’il a négligé de demander un visa de résident permanent.

 

[34]           Le défendeur soutient aussi que certaines mesures correctives que sollicite le demandeur ne s’appliquent pas en l’espèce. Le demandeur demande que le rapport d’interdiction de territoire visé au paragraphe 44(1) de la Loi soit transmis à la Section de l’immigration. Toutefois, au regard de l’article 228 du Règlement, il est clair que l’agent a eu raison de ne pas déférer l’affaire à la Section de l’immigration.

 

[35]           Le demandeur voudrait aussi qu’un visa de résident temporaire d’une validité d’un an lui soit délivré pour lui donner le temps de demander la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Si la Cour conclut que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire, il conviendrait plutôt de surseoir à la mesure de renvoi et de renvoyer l’affaire à un autre agent pour nouvel examen. La Cour ne peut accorder au demandeur un visa de résident temporaire, d’autant plus que le demandeur n’en a même pas fait la demande à la CIC (El Alleti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 201, au paragraphe 13).

 

Réplique du demandeur

[36]           Le demandeur déclare que, lors de ses déplacements entre les É.‑U. et le Canada, différents renseignements lui ont été donnés par différents agents de l’ASFC. Certains lui ont dit qu’il était autorisé à séjourner chaque fois jusqu’à concurrence de six mois sans avoir à présenter des documents particuliers, et d’autres lui ont dit que la durée possible de son séjour dépendait du nombre total de jour passés au Canada au cours d’une année. Le demandeur soutient que beaucoup d’autres personnes se sont comme lui heurtées à ces contradictions et qu’on ne peut concrètement savoir quelle règle s’applique à quel cas.

 

[37]           Le demandeur prétend aussi qu’il n’a pas essayé de [traduction] « rester au Canada de façon permanente grâce à une série de visas de visiteur » ni qu’il a essayé d’obtenir ou d’utiliser de manière illégale ou fourbe des documents lui permettant de rester au Canada. Le demandeur répète que l’ASFC a le devoir d’informer les demandeurs de toutes les avenues qui s’offrent à eux pour rester légalement au Canada et pour éviter de laisser les gens, sans qu’ils le sachent, dans une situation illégale. En outre, les incohérences dans l’application de la politique créent une grande confusion et sont à l’origine de manquements involontaires à la Loi.

 

[38]           Le demandeur fait aussi valoir que même si les agents de l’ASFC ne sont pas tenus de tenir compte des difficultés que la situation créera pour son enfant canadien, la Cour, elle, devrait prendre en considération l’intérêt de l’enfant. De plus, le demandeur a dit aux agents de l’ASFC avec lesquels il a parlé en novembre et en décembre 2012 qu’il avait commencé des démarches en vue de présenter une demande de résidence permanente, mais les agents ne lui ont pas demandé d’étayer ses dires et ont semblé déterminés à exécuter la mesure de renvoi avant qu’il n’ait la chance de terminer ses démarches.

 

ANALYSE

[39]           M. Eberhardt, qui agissait pour son propre compte, s’est bien acquitté de sa tâche. Il s’exprimait bien et s’était bien préparé. Il n’a aucune formation juridique formelle, mais il comprend bien les enjeux. J’estime que sa demande a été bien exposée.

 

[40]           Comme beaucoup de défendeurs qui ne sont pas représentés, M. Eberhardt a surestimé les pouvoirs de la Cour et a demandé des formes de réparation (qu’on lui accorde, par exemple, un visa de séjour temporaire) qui ne s’offrent pas à la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Dans la présente instance, je dois me limiter à déterminer si la décision datée du 16 janvier 2013 de prendre une mesure d’exclusion comporte une erreur susceptible de contrôle et, le cas échéant, renvoyer l’affaire pour nouvel examen.

 

[41]           Comme beaucoup de personnes faisant l’objet d’une mesure de renvoi du Canada, M. Eberhardt mérite toute la compassion de la Cour. Toutefois, je suis conscient que la compassion à elle seule ne justifie pas un contrôle judiciaire, et la Cour ne peut modifier une décision qui appelle selon la loi une grande déférence à moins qu’une erreur susceptible de contrôle ait été commise. Le législateur a habilité l’agent à prendre la décision en cause, et la Cour ne peut intervenir que si M. Eberhardt établit que la Cour est justifiée en droit de le faire.

 

[42]           De plus, pour rendre ma décision, je dois tenir compte de la preuve documentaire qui a été versée au dossier. Durant sa plaidoirie, M. Eberhardt a affirmé plusieurs choses qui ne sont étayées par aucun élément de preuve. Essentiellement, M. Eberhardt soumet trois (3) questions fondamentales à l’examen de la Cour, dont je traiterai tour à tour.

 

[43]           Tout d’abord, il affirme que la mesure d’exclusion constitue un manquement à l’équité procédurale pour les raisons suivantes :

a)                  on ne l’a pas questionné et on ne lui pas permis de présenter des observations avant que la mesure ne soit prise;

b)                  les agents d’immigration concernés ne l’ont jamais informé des avenues qui s’offraient à lui pour obtenir la résidence permanente avant qu’ils ne prennent la mesure d’exclusion;

c)                  il a été induit en erreur par le passé par des agents d’immigration qui lui ont affirmé qu’il n’était pas nécessaire de présenter une demande de résidence permanente pour entrer au Canada et y rester pendant de longues périodes;

d)                 l’agent a pris sa décision avant d’entendre le demandeur.

 

[44]           Malheureusement, il n’existe pas d’éléments de preuve au dossier ou encore de fondement juridique pour corroborer ou retenir ces allégations.

 

[45]           Dans son affidavit, M. Eberhardt se reporte aux entretiens qu’il a eus avec les agents de l’ASFC avant que la mesure d’exclusion soit prise. Le dossier de preuve du défendeur est beaucoup plus complet et ne laisse subsister aucun doute sur le fait que M. Eberhardt a bien été informé de la situation et qu’il a eu la possibilité de discuter des points importants. Lorsqu’il s’est présenté à l’entrevue avec l’agent, M. Eberhardt était accompagné de son conseiller en immigration et tous deux ont pu poser des questions et faire des propositions.

 

[46]           La preuve révèle que, à cet entretien du 16 janvier 2013, l’agent agissait sous le régime du paragraphe 44(2) de la Loi. M. Eberhardt a confirmé qu’il n’avait pas présenté de demande de résidence permanente. Il a expliqué qu’il souhaitait que sa fille reste au Canada afin qu’elle puisse garder contact avec sa mère, mais aussi parce qu’elle avait toujours vécu au Canada. Il a dit que ce ne serait pas une bonne chose pour elle de s’établir aux États‑Unis. À la question de savoir s’il se considérait comme un résidant des États‑Unis, alors que sa fille résidait au Canada, M. Eberhardt a répondu qu’il lui était trop difficile de traverser la frontière tous les jours. L’agent a dit à M. Eberhardt qu’il avait l’impression qu’il s’était davantage établi au Canada qu’aux États‑Unis, et M. Eberhardt a répondu qu’il l’avait fait pour sa fille. Le conseiller en immigration de M. Eberhardt a demandé à l’agent de tenir compte des facteurs d’ordre humanitaire. L’agent a expliqué que ses pouvoirs étaient limités et qu’il prendrait la mesure de renvoi si le rapport de l’agent Ober s’avérait fondé. Le conseiller a alors demandé que l’affaire fasse l’objet d’une enquête. L’agent a expliqué que, vu l’interdiction de territoire, la responsabilité d’examiner le rapport de l’agent Ober incombait à un délégué du ministre et non à la Section de l’immigration. Enfin, l’agent a demandé à M. Eberhardt et à son conseiller de lui signaler toute erreur figurant dans le rapport de l’agent Ober, et ils n’en ont relevé aucune. C’est pourquoi l’agent a pris une mesure de renvoi à l’encontre de M. Eberhardt.

 

[47]           Lors de son exposé devant moi, M. Eberhardt a déclaré que certains éléments du rapport de l’agent sont faux; mais l’agent a pris des notes lors de sa rencontre avec le demandeur et ces notes ont été produites comme pièce jointe à un affidavit. Dans ces circonstances, il n’y a pas de raison de douter de ce qu’affirme l’agent, et la Cour doit accepter cet élément de preuve.

 

[48]           M. Eberhardt n’a porté aucun précédent à l’attention de la Cour donnant à penser que les agents d’immigration avaient l’obligation de l’aider à déterminer des moyens d’éviter l’expulsion et à s’en prévaloir. Cette obligation n’existe pas dans la Loi. C’était à M. Eberhardt qu’il incombait d’obtenir les conseils dont il avait besoin et il ressort du dossier qu’il avait accès à des conseillers et à des avocats. Par contre, la preuve établit clairement que les agents d’immigration ont répété à de nombreuses reprises au fil des ans à M. Eberhardt qu’il devait demander la résidence permanente. Il ne l’a toujours pas fait à l’heure qu’il est, bien qu’il ait dit à la Cour qu’il se prépare à présenter une demande. Je constate aussi que selon ses notes, l’agent a demandé à M. Eberhardt s’il avait songé à présenter une demande pour motifs d’ordre humanitaire ou une demande de permis de travail qui lui auraient permis de rester (dossier certifié de la Cour, page 3). M. Eberhardt affirme que ce n’est pas vrai, mais cela n’est aucunement étayé par la preuve. Quoi qu’il en soit, les agents d’immigration n’avaient aucune obligation de conseiller M. Eberhardt et c’était à lui qu’il incombait de veiller à ses propres intérêts. Tout indique qu’il a consulté des gens compétents.

 

[49]           Rien ne permet de conclure que M. Eberhardt aurait été induit en erreur par les agents d’immigration d’une façon qui soit pertinente en l’espèce. Lors de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Eberhardt a déclaré à la Cour, que chaque fois qu’il a traversé la frontière entre le Canada et les États‑Unis, des gardes‑frontières lui ont affirmé qu’il pouvait séjourner pendant de longues périodes sans posséder la résidence permanente, mais il n’a produit aucun élément de preuve à cet effet. Selon la preuve, M. Eberhardt s’est fait dire à de nombreuses reprises qu’il devait obtenir la résidence permanente pour avoir le droit de séjourner au Canada aussi longtemps qu’il l’a fait et qu’il entend le faire. Il a par le passé entrepris des démarches pour obtenir la résidence permanente; il sait donc très bien ce qu’il est censé faire.

 

[50]           Rien ne prouve que la mesure d’exclusion a été prise avant même que l’agent rencontre le demandeur. Cette allégation de M. Eberhardt est sans fondement. Dans son affidavit, l’agent a dit avoir préparé et imprimé une ordonnance qu’il comptait avoir en main lors de la rencontre au cas où il en aurait besoin et qu’[traduction] « [il] n’avai[t] pas encore décidé de prendre la mesure d’exclusion à l’encontre de M. Eberhardt avant la procédure ». Je n’ai aucune raison de douter de la véracité de cette déclaration ni de rejeter cet élément de preuve, et les affirmations contraires de M. Eberhardt ne sont aucunement corroborées.

 

[51]           Outre le manquement à l’équité procédurale, M. Eberhardt soulève deux autres questions qu’il faut trancher.

 

[52]           Il soutient que, avant de prendre la mesure d’exclusion, l’agent était légalement tenu de tenir compte des considérations humanitaires et, en particulier, de l’intérêt supérieur de sa fille Latecia, âgée de 13 ans.

 

[53]           Les notes de l’agent indiquent que lors de la rencontre qui a précédé la prise de la mesure d’exclusion, le conseiller en immigration de M. Eberhardt a demandé à l’agent de tenir compte des considérations humanitaires. L’agent a alors expliqué que la procédure d’examen ne constituait pas une demande pour considérations humanitaires et que son pouvoir discrétionnaire était limité.

 

[54]           M. Eberhardt soutient aussi que l’agent aurait dû renvoyer l’affaire pour enquête au lieu de se prononcer. Ici aussi, les notes confirment que cette question a été soulevée lors de la rencontre et que l’agent était d’avis que l’examen du [traduction] « manquement reproché relev[ait] de la compétence du délégué du ministre et non de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ».

 

[55]           Les dispositions législatives pertinentes et la jurisprudence de la Cour appuient la thèse de l’agent. À titre d’exemple, le juge Blais a traité de ces deux points dans la décision Lasin, précitée :

13        Le demandeur prétend que l’agente d’immigration s’est imposé des restrictions à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en prenant une mesure d’exclusion au lieu de renvoyer la cause à la Section d’appel de l’immigration (la SAI) pour enquête. Cependant, je conclus que l’article 228 du Règlement n’autorisait pas l’agente à renvoyer la cause à la SAI pour enquête; en fait, elle était tenue de prendre une mesure d’exclusion.

 

44(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

 

228(1) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l’une des circonstances ci‑après, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

 

c) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre de l’article 41 de la Loi pour manquement à :

 

(iv) l’obligation prévue au paragraphe 29(2) de la Loi de quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, l’exclusion

 

29(2) Le résident temporaire est assujetti aux conditions imposées par les règlements et doit se conformer à la présente loi et avoir quitté le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Il ne peut y rentrer que si l’autorisation le prévoit.

 

* * *

 

44(2) If the Minister is of the opinion that the report is well‑founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

228(1) For the purposes of subsection 44(2) of the Act, and subject to subsections (3) and (4), if a report in respect of a foreign national does not include any grounds of inadmissibility other than those set out in the following circumstances, the report shall not be referred to the Immigration Division and any removal order made shall be

 

(c) if the foreign national is inadmissible under section 41 of the Act on grounds of

 

(iv) failing to leave Canada by the end of the period authorized for their stay as required by subsection 29(2) of the Act, an exclusion order

 

29(2) A temporary resident must comply with any conditions imposed under the regulations and with any requirements under this Act, must leave Canada by the end of the period authorized for their stay and may re‑enter Canada only if their authorization provides for re‑entry.

 

14        Lorsque l’agent d’immigration conclut que le demandeur est interdit de territoire aux termes du paragraphe 29(2) de la Loi, il peut, en vertu de l’article 228 du Règlement, prendre une mesure d’exclusion et c’est ce qui s’est produit en l’espèce.

 

15        Enfin, le fait que l’agente d’immigration n’a pas donné au demandeur une possibilité raisonnable de produire, au cours de l’entrevue faite en vertu de l’article 44(2), des preuves lui permettant d’établir des facteurs atténuants, par exemple le fait qu’il était marié depuis deux ans à une citoyenne canadienne et que sa demande CH était toujours en cours de traitement, ne constitue pas une atteinte au principe d’équité procédurale.

 

16 Dans la décision Leong c. Canada (Solliciteur général) 2004 FC 1126 (CanLII), (2005) 256 F.T.R. 298, le juge von Finckenstein s’exprime en ces termes au paragraphe 19 :

 

[...] les décisions en vertu des paragraphes 44(1) et 44(2) constituent des décisions administratives courantes. Les questions liées à des considérations humanitaires ou à la sécurité du demandeur ont manifestement pour lui un caractère essentiel. Ces questions sont cependant hors de propos dans le cadre de procédures administratives courantes. On prévoit plutôt pour ces questions des mécanismes spécifiques dans la Loi, le premier à l’article 25, le deuxième à l’article 112.

 

17        Le juge von Finckenstein a clairement dit que le régime des demandes CH et celui des mesures d’exclusion sont distincts et ne se chevauchent pas. Les facteurs relatifs aux considérations d’ordre humanitaire sont étudiés dans le cadre d’une demande CH distincte en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, qui se lui comme suit :

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger ‑‑ compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ‑‑ ou l’intérêt public le justifient.

 

* * *

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

18        L’agente d’immigration n’était donc pas appelée à prendre en compte des facteurs relatifs aux considérations humanitaires afin de décider si elle devait prendre une mesure d’exclusion. À cet égard, l’agente d’immigration n’était saisie que d’une seule question : les renseignements relatifs à l’interdiction de territoire du demandeur étaient‑ils exacts?

 

19 L’agente d’immigration devait simplement conclure, d’après les faits, que le demandeur n’avait pas le statut qui lui permettait de rester au Canada. La norme de contrôle applicable à ce genre de conclusion de fait, tirée au terme d’un processus administratif, est la décision manifestement déraisonnable. Je suis convaincu que l’agente d’immigration a respecté le processus prescrit par la Loi et qu’elle a pris une décision raisonnable.

 

[56]           M. Eberhardt n’a présenté aucun précédent judiciaire ou argument susceptible d’amener la Cour à remettre en question la position clairement énoncée dans la décision Lasin.

 

[57]           Tout bien considéré, M. Eberhardt n’a pas établi l’existence d’une erreur susceptible de contrôle, ce qui m’oblige à rejeter sa demande.

 

[58]           M. Eberhardt a proposé que la question suivante soit certifiée :

Avant de prendre une mesure d’exclusion pour interdiction de territoire aux termes de l’article 44 de la LIPR, le délégué du ministre a‑t‑il l’obligation de tenir compte de considérations humanitaires et, plus particulièrement, de l’intérêt supérieur de l’enfant concerné?

 

[59]           À mon avis, la jurisprudence constante de la Cour répond à cette question, et M. Eberbardt n’a fourni aucune raison justifiant que la Cour décide autrement (voir Lasin, précitée, et Rosenberry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 882, paragraphes 36 et 37, et Laissi c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CF 393, aux paragraphes 18 et 19).


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

3.                  L’intitulé de la cause est modifié de manière que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ne figure plus comme défendeur.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie‑Michèle Chidiac, trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑828‑13

 

INTITULÉ :                                                  RICHARD LEE EBERHARDT c
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 18 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE :                                                          Le 24 octobre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard L. Eberhardt

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

François Paradis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard L. Eberhardt

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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