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Date : 20131025


Dossier :

IMM-8204-12

 

Référence : 2013 CF 1086

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

JOHNSON MOLI TSHIBOLA KABONGO

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IIMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

Contexte

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR, ou la Loi), de la décision rendue le 6 juillet 2012 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a refusé de reconnaître à Johnson Moli Tshibola Kabongo la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Cette décision était la deuxième de la Commission concernant la demande d’asile du demandeur, la première ayant été annulée par le juge Rennie le 19 mars 2012 (2012 CF 313). Les questions déterminantes dont la Commission était saisie avaient trait à l’identité et à la crédibilité du demandeur. Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est accueillie.

 

Faits

[2]               Voici les faits présentés par le demandeur devant la Commission.

 

[3]               Le demandeur prétend être un citoyen de la République démocratique du Congo (RDC). En 1997, les membres de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDLC) auraient apparemment tenté de recruter son jeune frère, Mukena, comme enfant‑soldat. Mukena a refusé de s’enrôler. En conséquence, deux soldats de l’AFDLC ont assassiné Mukena et violé la jeune sœur du demandeur le 4 janvier 1997.

 

[4]               En janvier 2002, le père du demandeur a été tué par les rebelles après qu’il eut refusé de leur verser l’argent demandé.

 

[5]               Le 14 décembre 2008, dans un bistro, le demandeur a ouvertement critiqué l’administration Kabila pour le recrutement d’enfants‑soldats. Le 25 décembre 2008, le demandeur a été arrêté par des soldats. Sa femme a été violée. Le demandeur a été emprisonné et torturé pendant une semaine. Il a été libéré après que sa femme eut payé 200 $ et à la condition qu’il se présente au bureau de l’Agence nationale de renseignements deux fois par semaine.

 

[6]               Le demandeur s’est ensuite enfui à Rutshuru, où il a pu se cacher avec l’aide d’un prêtre catholique, puis il s’est enfui au Rwanda et y est resté pendant trois mois avant de se rendre au Canada muni d’un faux passeport britannique. Il a demandé l’asile à son arrivée, alléguant craindre avec raison d’être persécuté du fait de ses opinions politiques. Il prétend en outre que s’il retourne en RDC, il risque d’être torturé et d’être soumis à des traitements ou à des peines cruels ou inusités.

 

Décision contestée

[7]               La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif que ce dernier n’a pas établi son identité et, subsidiairement, au motif qu’il n’était pas crédible.

 

[8]               En ce qui concerne la question de l’identité, la Commission a conclu que les documents présentés par le demandeur n’étaient pas authentiques. L’attestation de naissance, apparemment délivrée par la République démocratique du Congo, portait le timbre d’un autre pays (la République du Congo). La lettre et le relevé de notes provenant de l’université contenaient de nombreuses fautes d’orthographe. La Commission n’a pas retenu l’explication du demandeur à cet égard, à savoir que les erreurs résultaient d’une mauvaise administration dictatoriale.

 

[9]               La Commission a mentionné que le demandeur avait présenté un permis de conduire et une carte électorale avec photo, mais qu’il avait aussi inséré sa photo dans un faux passeport. La Commission a conclu qu’il ne s’agissait pas de documents authentiques.

 

[10]           En ce qui concerne la question de la crédibilité, la Commission a affirmé que les documents présentés par le demandeur en vue d’établir son identité portaient atteinte à sa crédibilité.

 

[11]           La Commission a par ailleurs jugé que le mandat d’arrêt n’était pas un document authentique. Le document a été délivré par l’Agence nationale de renseignements, Ministère de Justice (sic). La preuve documentaire montre que l’Agence nationale de renseignements ne relève pas du Ministère de la Justice. La Commission a ajouté que le timbre apposé sur ce document n’était pas le même que le spécimen versé au dossier.

 

[12]           Selon la Commission, l’exposé circonstancié du demandeur dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) et son témoignage à l’audience ne concordaient pas avec les notes prises au point d’entrée, lesquelles indiquent que le demandeur se serait enfui de la prison avec l’aide d’un commandant et d’un prêtre. La Commission a conclu que les divergences entre les récits étaient si importantes qu’elles ne pouvaient être expliquées, comme le prétendait le demandeur, par le fait que la déclaration avait été consignée par l’agent d’immigration et que le demandeur ne pouvait pas la vérifier parce qu’il ne portait pas ses lunettes.

 

[13]           Par ailleurs, de l’avis de la Commission, le fait que le demandeur n’ait pas demandé l’asile au Rwanda pendant les trois mois où il y est demeuré nuit davantage à sa crédibilité.

 

[14]           La Commission estime aussi que les activités religieuses et communautaires du demandeur au Canada ne cadrent pas avec les activités attendues de la part d’une personne engagée sur le plan politique.

 

Questions en litige

[15]           Le demandeur soulève les deux questions suivantes :

i) La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur n’avait pas établi son identité?

ii) La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

Compte tenu de ma conclusion au regard de la première question, il ne m’est pas nécessaire d’examiner la question de la crédibilité.

 

Analyse

[16]           Il ne fait aucun doute que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission sur l’identité est celle de la décision raisonnable : Liu c Canada (MCI), 2012 CF 377, paragraphe 8. Il est également bien établi que la norme de la raisonnabilité s’applique aux conclusions de la Commission sur la crédibilité : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732; Triana Aguirre c Canada (MCI), 2008 CF 571.

 

[17]           La norme de la raisonnabilité exige que la Cour fasse preuve d’une grande retenue à l’endroit de la Commission. Tant que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, l’intervention de la Cour n’est pas indiquée : Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 47.

 

[18]           Il ne fait pas de doute qu’il incombe au demandeur d’asile d’établir son identité au moyen d’éléments de preuve documentaire et, si le demandeur ne peut fournir ces documents, il doit expliquer les mesures prises pour se les procurer : LIPR, article 106; Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, article 7. Voir : Qiu c Canada (MCI), 2009 CF 259, paragraphe 6; Zheng c Canada (MCI), 2008 CF 877, paragraphe 14 [Zheng]. Par conséquent, l'absence de documents acceptables et d'explication raisonnable à cet égard ou le défaut de prendre des mesures raisonnables pour les obtenir constituent des facteurs importants dans l'évaluation de la crédibilité du demandeur d’asile.

 

[19]           Je ne relève aucune erreur dans l’analyse de la Commission en ce qui a trait à l’attestation de naissance, à la lettre et au relevé de notes provenant de l’université ainsi qu’au mandat d’arrêt. Le demandeur ne conteste pas non plus l’évaluation qu’a faite la Commission de ces documents.

 

[20]           Cependant, la Commission a commis une erreur en limitant son examen à une partie seulement des documents présentés par le demandeur en vue d’établir son identité. Plus précisément, la Commission a omis de tenir compte de la carte électorale originale et du permis de conduire du demandeur. La Commission a reconnu que ces documents avaient été déposés, mais elle n’a pas formulé d’autres observations si ce n’est que le demandeur avait fourni un faux passeport. Cela n’était évidemment pas suffisant, pas seulement parce que la carte électorale est en fait une carte d’identité nationale en RDC d’après le rapport de l’agence frontalière du Royaume‑Uni sur la situation dans le pays d’origine (Country of Origin Information Report; dossier du demandeur, p. 63), mais aussi parce que l’Agence des services frontaliers du Canada a donné le bénéfice du doute au demandeur pour ce qui est de l’authenticité de ces documents. Étant donné les circonstances, la Commission était tenue de se prononcer sur l’authenticité de ces deux documents; elle ne pouvait pas se contenter de présumer qu’ils étaient frauduleux simplement parce que le passeport était faux. 

 

[21]           Dans le même ordre d’idées, je remarque également que la Commission n’a fait aucune mention du certificat de mariage du demandeur, de sa carte d’étudiant et d’un autre certificat attestant qu’il avait perdu toutes ses pièces d’identité. La Commission ne pouvait pas légitimement ignorer ces documents dans son évaluation de l’identité du demandeur. L’avocate du défendeur a fait valoir que l’évaluation de la carte électorale faite par la Commission ne peut être considérée de façon isolée. Je suis entièrement d’accord. Cependant, c’est aussi vrai pour l’évaluation des autres pièces d’identité sur lesquelles la Commission a décidé de centrer son attention. La Commission ne peut effectuer une évaluation raisonnable de l’identité du demandeur en se penchant uniquement sur les documents dont l’authenticité semble douteuse et en ignorant les documents qui semblent fiables. Tous les documents déposés et toutes les explications fournies par le demandeur doivent être pris en considération avant de tirer une conclusion : voir Zheng, précitée, paragraphes 17 à 19.

 

[22]           Comme la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas établi son identité, la décision doit être annulée. L’avocate du défendeur convient que la décision ne peut être maintenue si la conclusion au regard de l’identité n’est pas raisonnable. Une conclusion selon laquelle le demandeur n’est pas celui qu’il prétend être porte préjudice à sa demande d’asile. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les conclusions de la Commission au regard de la crédibilité du demandeur.

 

Conclusion

[23]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Champagne

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-8204-12

 

INTITULÉ :

JOHNSON MOLI TSHIBOLA KABONGO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 29 MAI 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT 
:

                                                                        LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 25 OCTOBRE 2013

 

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Julie Waldman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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