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Date : 20131024


Dossier :

IMM-2002-13

 

Référence : 2013 CF 1073

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

EDUARDO GONZALEZ VELA

 

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

partie défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Au préalable

[1]               Peut un régime pour perdre du poids être lié à une date de déportation pour se rendre éligible à un traitement de réhabilitation et une prothèse?


II. Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision rendue le 14 mars 2013 par un agent d’exécution de la loi de l’Agence des services frontaliers du Canada refusant l’octroi d’un sursis d’exécution d’une mesure de renvoi en vertu de l’article 48 de la LIPR.

 

III. Faits

[3]               Le demandeur, monsieur Eduardo Gonzalez Vela, est citoyen mexicain, né à Puebla, Mexique, en 1983. Il est arrivé au Canada le 18 septembre 2008 et a déposé une demande d’asile.

 

[4]               Le 14 mai 2009, le demandeur a été victime d’un accident de train et a subi une amputation de son pied gauche. Après son amputation, le demandeur a dû obtenir une prothèse pour sa jambe.

 

[5]               Le 11 juin 2011, le demandeur s’est fait opérer d’un by-pass gastrique en vue de perdre du poids et d’obtenir une nouvelle prothèse.

 

[6]               Le 10 avril 2012, la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur. (Le demandeur a fait une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sur cette décision, mais cette Cour a rejeté la demande le 9 octobre 2012.)

 

[7]               Le 24 mai 2012, le demandeur a fait une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire [demande CH].

 

[8]               Le 27 décembre 2012, l’agent a convoqué le demandeur en prévision de son renvoi au Mexique. À ce moment, le demandeur a fait une première demande de sursis. L’agent a refusé cette demande le 31 janvier 2013.

 

[9]               Le 8 mars 2013, le demandeur a présenté une deuxième demande de sursis pour lui permettre de rester au pays jusqu’à ce que sa demande CH soit tranchée, ou au moins, lui permettre de rencontrer son prothésiste le 30 avril 2013 pour faire installer une nouvelle prothèse pour sa jambe.

 

[10]           La deuxième demande a été refusée le 14 mars 2013.

 

IV. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[11]           Dans sa décision, l’agent a premièrement noté qu’il ne réviserait pas d’allégations déjà présentées par le demandeur dans sa première demande de sursis. Il réviserait seulement les nouveaux éléments présentés par le demandeur en appui de sa deuxième demande.

 

[12]           Après avoir considéré les nouvelles affirmations du demandeur, l’agent a conclu que le demandeur n’avait toujours pas démontré un préjudice pouvant motiver un sursis de son renvoi au Mexique.

 

[13]           En particulier, l’agent a noté :

a)      Une demande pour motifs d’ordre humanitaires pendante ne justifie pas un sursis de renvoi;

b)      Le demandeur n’a pas démontré qu’il ne pourrait pas payer pour une nouvelle prothèse ou des traitements médicaux au Mexique;

c)      Il n’y a pas de garantie que le demandeur reçoive une nouvelle prothèse le 30 avril 2013 puisqu’il se peut qu’il n’ait pas perdu suffisamment de poids avant cette date.

 

V. Point en litige

[14]           La décision de l’agent de refuser l’octroi du sursis d’exécution de la mesure de renvoi contre le demandeur est-elle justifiée?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[15]           L’article 48 de la LIPR s'applique en l'espèce :

48.      (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.

48.      (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and the order must be enforced as soon as possible.

 

VII. Norme de contrôle

[16]           La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution de refuser de reporter le renvoi d’un demandeur est la norme de la décision raisonnable (Arrechavala de Roman c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CF 478; Turay c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 1090; Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311).

 

[17]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

 

[18]           Par conséquent, le pouvoir discrétionnaire des agents d’exécution « ne devrait être mis en question par la Cour que dans les cas où ils ont omis de tenir compte d’un facteur important ou commis une erreur grave dans l’évaluation de la situation de la personne visée par une mesure de renvoi » (Ramada c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1112 au para 7).

 

VIII. Position des parties

[19]           Le demandeur fait valoir que la décision de l’agent est déraisonnable parce que l’agent n’a tenu aucun compte des éléments de preuve suivants : la lettre du Dr. José Martin Morales Garcia et l’estimation de la compagnie Ortho Tech. Le demandeur allègue que ces éléments de preuve confirment que le coût d’une nouvelle prothèse au Mexique lui causerait un préjudice irréparable.

 

[20]           Le demandeur qualifie également de déraisonnable la conclusion de l’agent qu’il n’y avait aucune garantie qu’il perdrait suffisamment de poids pour pouvoir obtenir une nouvelle prothèse avant le 30 avril 2013.

 

[21]           Le défendeur soumet que l’agent a pris en considération l’ensemble de la preuve et des allégations du demandeur, et a raisonnablement conclu que rien n’empêchait son renvoi au Mexique.

 

[22]           Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement constaté qu’il n’y avait aucune preuve que le demandeur aurait perdu suffisamment de poids pour que sa nouvelle prothèse soit commandée le 30 avril 2013.

 

[23]           Le défendeur soutient également que le coût élevé des soins médicaux dans d’autres pays ne constitue pas un préjudice irréparable et n’empêche pas le renvoi du demandeur (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 909; Kunni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 212).

 

IX. Analyse

Question préliminaire

[24]           La Cour est d’accord avec le défendeur que l’examen de la décision de l’agent doit s’effectuer sur la base de la preuve qui était devant lui. Le demandeur ne peut pas ajouter des éléments de preuve pour parfaire son dossier au stade du contrôle judiciaire. Par conséquent, la Cour exclut la preuve reliée au mariage du demandeur et le statut de son épouse.


La décision de l’agent de refuser l’octroi du sursis d’exécution de la mesure de renvoi contre le demandeur est-elle justifiée?

 

[25]           Il est bien établi que pour obtenir un sursis à son renvoi, un demandeur doit démontrer, premièrement, qu'il y a une question sérieuse à trancher, deuxièmement, qu'il subirait un préjudice irréparable si une ordonnance de sursis n'est pas accordée et, troisièmement, que la balance des inconvénients, compte tenu de la situation globale du demandeur, favorise l'octroi de l'ordonnance (Toth c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF)). Un demandeur doit satisfaire aux trois critères pour obtenir gain de cause.

 

[26]           Dans le présent cas, la Cour estime que le demandeur n’a pas soulevé une question sérieuse pouvant donner ouverture à un sursis.

 

[27]           D'abord, la Cour ne peut pas accepter la prétention du demandeur que l’agent a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents, notamment, la lettre du Dr. José Martin Morales Garcia et l’estimation de la compagnie Ortho Tech. L’agent a noté expressément dans sa première lettre de décision :  

Mr. Gonzalez Vela has submitted multiple documents concerning his medical file as well as his request for Humanitarian and Compassionate grounds. I scanned the documents and sent them for medical expertise to our medical department at Citizenship and Immigration Canada. Below you will find an excerpt of the response from Citizenship and Immigration Canada:

 

We have reviewed the medical material submitted on this client.

 

The client wears a prosthesis after receiving amputation of the left foot in June 2009. He also received a gastric bypass surgery. He is fully functional and works actively.

 

The medical services for patients with prosthesis (orthopedist, occupational therapist, prostesists, physiotherapist) are all available in his home country Mexico, as well as gastroenterologists, surgeons, nutritionists and psychologists.

There are no special medical recommendations for his travel.

 

Thank you.

 

After the evaluation from medical officer from Citizenship and Immigration Canada and a complete revision of Mr. Gonzalez Vela file, I have concluded that the circumstances of this case do not grant any delay or deferral of this removal.

 

(Dossier certifié du tribunal [DCT] à la p 25)

 

[28]           La Cour est satisfaite que l’agent ait convenablement pris en considération ces éléments de preuve en rendant sa deuxième décision; ainsi que la capacité du demandeur à travailler pour payer pour ses traitements médicaux. De cette preuve, l’agent a ensuite déterminé que la circonstance du demandeur ne l’empêcherait pas de retourner au Mexique.

 

[29]           Bien que le coût d’une prothèse et de services médicaux puisse être plus cher au Mexique, la Cour est d’accord avec le défendeur que ceci n’est pas en soi un préjudice irréparable (voir Singh, ci-dessus, au para 14). L’agent n’a pas erré en déterminant que ceci n’empêchait pas le demandeur de retourner au Mexique. Le demandeur avait déjà une prothèse, il était parfaitement fonctionnel et travaillait à temps plein (DCT aux pp 20 et 30). Or, il n’y a aucune preuve au dossier démontrant que le demandeur ne pourrait pas revenir au Canada pour faire installer sa prothèse, ou la faire installer au Mexique.

 

[30]           La Cour ne peut pas non plus accepter la deuxième allégation du demandeur que la conclusion de l’agent à l’effet de sa perte de poids était déraisonnable. Comme la Cour d’appel a jugé dans l’arrêt Baron, ci-dessus, il est de jurisprudence constante que le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution est limité. Bien que les agents d’exécution aient le pouvoir discrétionnaire de fixer de nouvelles dates de renvoi dans des circonstances spécifiques, ils ne peuvent pas reporter un renvoi à une date indéterminée (Baron au para 80).

 

[31]           Dans le présent dossier, le délai pour la résolution de la demande CH du demandeur et l’installation de sa prothèse était inconnu. D’après la preuve au dossier, il était d’ailleurs peu probable que l’installation de sa prothèse serait imminente (avant le 30 avril 2013) car le demandeur devait encore perdre beaucoup de poids (DCT à la p 20). La Cour juge que l’agent n’aurait pas pu sursoir le renvoi du demandeur dans ces circonstances et a raisonnablement conclu qu’il ne pouvait pas le reporter après le 30 avril 2013. Ainsi, la Cour estime que le demandeur n’a pas soulevé de question sérieuse concernant la façon dont l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire en l’espèce. La Cour constate également que le demandeur n’a pas démontré qu’il subirait un préjudice irréparable advenant son renvoi au Mexique.

 

[32]           Certes, il est clair dans le présent dossier qu'il est dans l’intérêt public à ce que le renvoi ait lieu pour maintenir l’intégrité du système, car il n’y a ni question sérieuse, ni dommage irréparable (Membreno-Garcia c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 CF 306).

 

X. Conclusion

[33]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-2002-13

 

INTITULÉ :

EDUARDO GONZALEZ VELA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 23 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 24 octobre 2013

COMPARUTIONS :

Sabine Venturelli

Pour la partie demanderesse

 

Sherry Rafai Far

Pour la partie défenderesse

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sabine Venturelli

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

 

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