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Date : 20130910

Dossier : IMM-10190-12

Référence : 2013 CF 943

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

NABIL HANA AYAD NASHED

(ALIAS NABIL AYAD NASH HANA)

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision du 5 septembre 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile du demandeur.

 

I.          Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Égypte qui craint les extrémistes musulmans et la police, parce qu’il est considéré comme un chrétien copte ayant encouragé des musulmans à se convertir au christianisme. Il affirme que sa vie est menacée depuis 2003.

 

[3]               De plus, le demandeur a été déclaré coupable au Caire, en Égypte, d’« abus de confiance » pour des sommes de 10 000 et 20 000 livres égyptiennes le 26 juin 2003, et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an avec travaux. Après avoir interjeté appel, le demandeur d’asile a payé 10 000 livres égyptiennes (2 000 dollars canadiens) au tribunal relativement à la déclaration de culpabilité pour « abus de confiance » quant à la somme de 10 000 livres.

 

[4]               La seconde déclaration de culpabilité pour « abus de confiance » résulte du fait que le demandeur d’asile avait volé la somme de 20 000 livres égyptiennes (4 000 dollars canadiens). Après que le demandeur d’asile eut interjeté appel, la peine d’emprisonnement d’un an qui lui avait été infligée a été réduite à six mois. Par conséquent, le défendeur a demandé l’exclusion sur le fondement de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

 

II.        Décision faisant l’objet du contrôle

[5]               La SPR n’était pas convaincue qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun qui, commis au Canada, pourrait entraîner une peine d’emprisonnement de dix ans ou plus, et qu’il devait donc être exclu de la protection au sens de la Convention.

 

[6]               La SPR a examiné l’explication du demandeur selon laquelle il avait été torturé par des extrémistes musulmans et des policiers en février 2003, après que des extrémistes musulmans l’eurent accusé, à titre de chrétien copte, d’avoir converti des musulmans au christianisme. Il a déclaré avoir été forcé de signer des chèques en blanc pour être libéré. Sur les 20 à 25 chèques en blanc qu’il avait signés, deux chèques de 10 000 et de 20 000 livres égyptiennes respectivement ont été encaissés.

 

[7]               Le demandeur a été accusé de ces infractions en mars 2003 et poursuivi devant les tribunaux. Il était représenté par un avocat et avait avisé celui‑ci des circonstances dans lesquelles sa situation s’était envenimée et du fait qu’il avait été torturé par des extrémistes musulmans et par la police. Toutefois, le demandeur ne savait pas avec certitude si ces renseignements avaient bien été transmis au tribunal, étant convaincu que son avocat croyait qu’ils n’avaient rien à voir avec l’affaire. Le demandeur n’avait pas non plus dit à son avocat qu’il avait été détenu, battu et torturé par des policiers parce qu’il aurait converti des musulmans au christianisme. La SPR a estimé que ces affirmations n’étaient pas dignes de foi. Elle a de plus déterminé que, si ces renseignements étaient véridiques, ils auraient été divulgués au tribunal au Caire, ce qui ne semble pas avoir été fait.

 

[8]               La SPR a donc conclu que, en l’absence de preuve crédible et digne de foi, le ministre n’avait pas fourni d’arguments crédibles démontrant que le demandeur devait être exclu au titre des motifs d’exclusion énumérés à l’alinéa 1Fb), était donné qu’il incombait au ministre d’établir que le demandeur devait être exclu de la protection.

 

[9]               Pour ce qui est de l’inclusion, la SPR a estimé que les questions déterminantes étaient la crédibilité et le fait que le demandeur avait tardé à quitter l’Égypte.

 

[10]           Le demandeur s’était rendu compte que sa vie était en danger vers la fin de 2002. Toutefois, il n’a pas quitté l’Égypte avant le 22 septembre 2009, plus de six ans plus tard, même s’il craignait les extrémistes musulmans parce qu’il aurait converti des musulmans au christianisme. De plus, selon la SPR, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur ait pris des mesures sérieuses pour quitter l’Égypte, ou, à tout le moins, pour quitter Le Caire afin de se rendre ailleurs en Égypte. Le demandeur est toutefois resté au Caire, où il a mené une vie relativement normale et travaillé comme comptable et gestionnaire de 1987 jusqu’au 15 septembre 2009, avant son départ pour le Canada, à l’exception d’une période de douze mois où aucun emploi n’est répertorié, soit de février 2007 à mars 2008, et pendant son incarcération de janvier 2009 à avril 2009. Le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas les moyens de partir, mais la SPR a jugé cette explication insuffisante et a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur.

 

[11]           La SPR a également souligné que, si la vie du demandeur était menacée par les extrémistes musulmans, il était peu crédible que le demandeur ait pu éviter les tentatives d’assassinat ou qu’aucun effort délibéré n’ait été fait pour le tuer, étant donné que le demandeur était resté au Caire pendant plus de six ans. La SPR a conclu que la crédibilité du demandeur en était minée.

 

[12]           La SPR a aussi constaté que le demandeur avait travaillé comme comptable pour un ami après sa libération. Cependant, les groupes islamiques et la police avaient fait pression auprès de son employeur, qui aurait par la suite congédié le demandeur. Que ce fût ou non le cas, la SPR a eu du mal à croire à ce témoignage, car rien ne s’était produit après la libération du demandeur, à l’exception des lettres de menace qui auraient été envoyées chez lui pour l’inciter à se convertir à l’islam. La SPR n’était donc pas convaincue, en raison du manque de crédibilité du demandeur, que la vie de celui‑ci avait été menacée au début de 2003 ou à tout autre moment par la suite.

 

[13]           La SPR a également examiné les affirmations du demandeur selon lesquelles aucune mesure n’avait été prise contre les membres de sa famille, dont sa mère, décédée en 2011, et ses frères qui habitaient au Caire, parce que la police et les extrémistes musulmans ne savaient pas où ils se trouvaient. La SPR n’a pas cru le demandeur, car si les problèmes étaient survenus comme le demandeur les avait présentés, les membres de sa famille auraient probablement été retrouvés et auraient subi des conséquences.

 

[14]           La SPR a de plus tenu compte de la réponse évasive faite par le demandeur lorsqu’il a été appelé à dire s’il savait que quelqu’un était à sa recherche en Égypte. Étant donné que le demandeur d’asile ignorait qui serait à sa recherche s’il retournait en Égypte et qu’il a pu rester dans ce pays pendant six ans après s’être rendu compte que sa vie était en danger, il y avait peu de raisons de croire, a conclu la SPR, que le demandeur serait persécuté s’il devait rentrer en Égypte.

 

[15]           Ensuite, en vue de vérifier sous un angle prospectif si le demandeur serait victime de persécution à titre de chrétien copte en Égypte, la SPR a examiné la preuve documentaire et constaté que de la violence était exercée à l’endroit des minorités religieuses dans ce pays. La SPR a toutefois estimé que la preuve ne suffisait pas à établir que le demandeur avait déjà eu ou aurait de la difficulté à pratiquer sa religion. La SPR a déterminé que la preuve ne lui permettait pas de conclure que, à la suite d’un changement de gouvernement, le demandeur d’asile ne pourrait pratiquer librement sa religion à l’avenir.

 

[16]           Enfin, la SPR a examiné la demande d’asile fondée sur le paragraphe 97(1) de la LIPR présentée par le demandeur. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas établi les faits de l’espèce selon la prépondérance des probabilités, et qu’il n’était pas plus probable que le contraire que le demandeur soit soumis à la torture ou exposé à d’autres traitements cruels ou dégradants.

 

III.       Observations du demandeur

[17]           Bien entendu, le demandeur ne conteste pas la conclusion sur l’exclusion, mais il conteste celle sur l’inclusion. Selon la conclusion de la SPR, si le demandeur avait appris que sa vie était menacée en 2003, il aurait pris des mesures sérieuses pour quitter l’Égypte ou pour quitter Le Caire afin de se rendre ailleurs en Égypte; or, d’après le demandeur, cette conclusion contredit la preuve versée au dossier. Dans son exposé circonstancié, le demandeur affirme avoir engagé le processus d’appel, qui s’est étendu de 2003 à 2006. À l’issue du deuxième appel, quand la peine d’emprisonnement et l’amende ont été maintenues, le demandeur a commencé à prendre des mesures sérieuses pour protéger sa vie. Il s’est caché de mars 2006 jusqu’en 2009, comme le montrent les lettres soumises par ceux qui l’ont hébergé. Contrairement à ce que la SPR a conclu, il n’est pas resté au Caire. Il se déplaçait du Caire à Alexandrie ou à Alminia dès lors qu’il pressentait un risque et demeurait chez des amis, et il a cessé de fréquenter son église en 2006.

 

[18]           La SPR a commis une erreur en jugeant le demandeur non crédible d’après les supposées contradictions, incohérences ou probabilités inhérentes non corroborées dans la preuve. De plus, le demandeur n’a pas été confronté aux contradictions alléguées et n’a pas eu l’occasion de s’expliquer. La SPR a tiré des conclusions sur la crédibilité en se fondant sur de simples hypothèses et sur la vraisemblance, et a rejeté la demande d’asile en s’appuyant sur ce qu’elle comprenait de la logique de l’agent de persécution du demandeur.

 

[19]           La SPR a commis une erreur en rejetant la demande d’asile parce qu’elle estimait que l’agent de persécution aurait déployé davantage d’efforts pour faire du mal au demandeur si le récit du demandeur avait été véridique. La SPR n’a pas le pouvoir de lire dans les pensées de l’agent de persécution, et le fait que l’agent de persécution n’a pas causé de préjudice au demandeur n’indique pas l’absence de risque futur pour le demandeur.

 

[20]           Le demandeur soutient que la SPR n’a étayé aucune allégation concernant les possibles actions de l’agent de persécution. L’hypothèse de la SPR selon laquelle le demandeur n’aurait pas été en mesure d’éviter les attaques n’est pas corroborée par la preuve, ce qui montre que la SPR s’est fondée sur ses connaissances spécialisées concernant le modus operandi des extrémistes musulmans. Avant d’utiliser un renseignement qui est du ressort de sa spécialisation, la SPR doit en aviser le demandeur d’asile et lui donner la possibilité de faire des observations sur la fiabilité du renseignement utilisé et de fournir des éléments de preuve à l’appui de ses observations, ce que la SPR a omis de faire.

 

[21]           Le demandeur affirme que la SPR n’a pas observé le principe selon lequel les déclarations faites sous serment doivent être présumées véridiques, à moins que n’existe une raison précise, fondée sur des motifs suffisants, de ne pas y prêter foi.

 

[22]           Le demandeur avance que les conclusions sur la vraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire lorsque les faits tels qu’ils ont été présentés sortent tellement de l’ordinaire que le juge des faits peut avec raison conclure qu’il est impossible que l’événement en question se soit produit.

 

[23]           Les doutes quant à la crédibilité d’une partie ou de la totalité du témoignage du demandeur ne libèrent pas la SPR de sa responsabilité de déterminer si le demandeur a qualité de réfugié d’après l’ensemble de la preuve. Même si la SPR rejette la totalité du témoignage du demandeur, elle a néanmoins l’obligation de déterminer si le demandeur est exposé à un risque, compte tenu des aspects du profil du demandeur qu’elle a acceptés. Outre son témoignage, le demandeur a soumis des documents objectifs qui appuient sa demande d’asile, comme des certificats de police concernant ses déclarations de culpabilité et son incarcération ainsi que des rapports médicaux confirmant qu’il avait subi une blessure à l’épaule des suites de la torture. De plus, il a soumis une lettre dans laquelle l’avocat de la défense en Égypte atteste que le demandeur a été reconnu coupable de méfait et condamné à une peine d’emprisonnement, [traduction] « malgré le fait qu’aucune somme d’argent n’a été versée et le caractère faux et fabriqué de l’incident ». Le demandeur a également présenté une lettre de l’église St. George confirmant qu’il n’était plus membre de l’église depuis 2006 ainsi que des lettres rédigées par ceux qui l’avaient hébergé pendant qu’il se cachait de 2006 à 2009.

 

[24]           Par conséquent, la SPR a commis une erreur en concluant que le demandeur était resté au Caire, où il avait mené une vie relativement normale et travaillé comme comptable et gestionnaire de février 1987 au 15 septembre 2009, avant son départ, à l’exception d’une période de douze mois où aucun emploi n’était répertorié et pendant son incarcération.

 

[25]           Enfin, la SPR affirme que personne ne souhaite faire du mal au demandeur en Égypte, mais, au contraire, le frère du demandeur a déclaré que celui‑ci avait continué de recevoir des lettres de menace à son appartement au cours des deux dernières années, lettres qui l’incitaient à accepter l’islam ou à mourir. La dernière lettre connue remonte à juillet 2011, c’est‑à‑dire deux ans après le départ de l’Égypte du demandeur.

 

[26]           La SPR n’est pas tenue de faire référence à chaque élément de preuve qui lui a été présenté, mais plus un élément de preuve est important, plus il est probable que l’on conclura du fait que la SPR n’en a pas fait mention que sa décision est déraisonnable, en particulier lorsque la décision de la SPR semble contredire une de ses conclusions. La SPR n’a pas expliqué pourquoi elle avait fait abstraction des éléments de preuve qui corroboraient les allégations du demandeur.

 

IV.       Observations du défendeur

[27]           Le défendeur soutient que la SPR a clairement exposé les raisons pour lesquelles elle jugeait le demandeur non crédible. Elle s’est correctement appuyée sur cette conclusion pour déterminer que le demandeur n’avait pas de crainte subjective de persécution et qu’il n’était pas non plus exposé, par son renvoi en Égypte, à une menace grave à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou encore au risque d’être soumis à la torture.

 

[28]           La SPR a tiré une conclusion raisonnable en ce qui concerne le temps que le demandeur a pris pour quitter Le Caire. Comme le demandeur avait attendu six années pour quitter l’Égypte après s’être rendu compte que sa vie était en danger, la SPR a estimé qu’il n’éprouvait pas une réelle crainte subjective de persécution en raison de sa religion et qu’il ne serait pas exposé à l’un des graves préjudices énoncés à l’article 97 de la LIPR.

 

[29]           Le demandeur affirme que, à la fin de 2002, il a été torturé et forcé de signer des chèques en blanc, et que deux de ces chèques ont été utilisés en 2003 pour l’extorquer et l’exposer à des sanctions pénales. Il a alors réalisé que sa vie était en danger. Toutefois, malgré sa crainte, il est resté en Égypte pendant six ans et ne s’est jamais réinstallé en dehors du Caire. La SPR a donc raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il éprouvait une crainte subjective de persécution. De plus, le demandeur n’a pas expliqué adéquatement les raisons pour lesquelles il avait tardé à quitter l’Égypte, ce qui a miné sa crédibilité.

 

[30]           Le demandeur a expliqué que les procédures judiciaires en cours l’empêchaient de partir, mais, soutient le défendeur, il n’a pas mentionné à l’audience que le délai était attribuable à son désir de régler ses problèmes juridiques et a simplement dit qu’il n’avait pas les moyens de partir. Deuxièmement, le demandeur a en fait évité de régler ses problèmes juridiques, s’étant caché de la police de 2006 à 2009. Troisièmement, à en croire le demandeur, deux chèques en blanc avaient déjà été utilisés contre lui en 2006, mais il a quand même attendu encore trois ans avant de quitter l’Égypte. De surcroît, il ne s’est jamais réinstallé de façon permanente en dehors du Caire, même s’il se croyait gravement menacé. Les raisons données par le demandeur pour expliquer le temps qu’il a mis avant de quitter l’Égypte sont contredites par la preuve, et il était entièrement raisonnable de conclure que ce délai minait la crédibilité du demandeur.

 

[31]           Le défendeur soutient que la conclusion tirée par la SPR sur la crédibilité du demandeur est également déterminante en l’espèce. La SPR a fait observer à juste titre qu’une conclusion défavorable sur la crédibilité suffit pour rejeter une demande d’asile si le dossier ne comporte pas de « preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur ».

 

[32]           La SPR a également tiré une conclusion raisonnable sur la vraisemblance. Elle a conclu que le demandeur ou les membres de sa famille n’avaient pas subi de graves préjudices, compte tenu du propre témoignage du demandeur et de la gravité des allégations qui le visaient. Par exemple, le demandeur a témoigné qu’il était [traduction] « surveillé » par des groupes extrémistes musulmans qui le tueraient sans attendre si l’occasion se présentait. Toutefois, il n’a jamais été attaqué pendant les six années qui ont suivi l’incident allégué de torture, même si les extrémistes savaient où il travaillait et malgré le fait qu’il ne se soit jamais réinstallé de façon permanente en dehors du Caire. Il a de plus continué de pratiquer sa religion et d’occuper généralement un emploi stable.

 

[33]           Le demandeur a déclaré que les extrémistes musulmans pouvaient retrouver n’importe qui, mais il a néanmoins témoigné que les membres de sa famille n’avaient jamais été localisés ni harcelés. La SPR a conclu de manière raisonnable que cet élément de preuve minait la crédibilité du demandeur.

 

[34]           Le défendeur affirme que d’autres éléments improbables dans le témoignage du demandeur ont donné du fil à retordre à la SPR. Le demandeur a déclaré qu’il craignait que les extrémistes musulmans utilisent les chèques en blanc qu’il avait signés sous la torture afin de l’extorquer ou de le faire emprisonner s’il rentrait en Égypte, qu’il avait auparavant été victime d’extorsion et emprisonné à cause de ces chèques et qu’il redoutait grandement leur utilisation future. Toutefois, le demandeur n’a jamais expliqué à son avocat qu’il avait été torturé et n’a jamais informé le juge que les documents avaient été obtenus à la suite d’actes de torture. Le demandeur n’a pas été clair sur ce qu’il avait dit exactement à son avocat et sur ce qui l’avait poussé à retenir de l’information. Les conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR sont donc raisonnables.

 

[35]           Le défendeur ne souscrit pas à l’observation du demandeur selon laquelle la SPR s’est fondée à tort sur ses connaissances spécialisées et a eu recours à des hypothèses, étant donné que le dossier n’appuie pas ces affirmations et que les conclusions sur la vraisemblance tirées par la SPR étaient raisonnables, à la lumière de l’ensemble de la preuve qui avait été présentée au commissaire.

 

[36]           Comme argument final, le défendeur indique que le défendeur a raisonnablement examiné le risque auquel était exposé le demandeur en tenant compte de la situation des chrétiens coptes en Égypte. Pour ce faire, la SPR a examiné la preuve documentaire montrant que les chrétiens coptes subissaient de la discrimination, mais a conclu que, dans le cas du demandeur, la preuve ne permettait pas d’établir qu’il serait victime de persécution s’il retournait en Égypte.

V.        Réponse du demandeur

[37]           Selon le demandeur, l’observation du défendeur à propos du temps qu’il a mis avant de quitter l’Égypte ne tient pas compte du fait qu’il a clairement expliqué qu’il avait commencé à craindre pour sa vie en 2009, à sa libération de prison.

 

[38]           Le demandeur soutient également que le défendeur ne peut pas se fonder sur des motifs non exposés dans la décision de la SPR pour apprécier le caractère raisonnable de cette décision.

 

[39]           Selon le demandeur, les motifs exposés, eu égard au dossier qui avait été présenté à la SPR, doivent permettre à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision de la SPR et non de déterminer si la conclusion fait partie des issues acceptables.

 

VI.       Question en litige

1. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

 

VII.     Norme de contrôle

[40]           La norme de la raisonnabilité s’applique aux conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR (voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

VIII.    Analyse

[41]           La SPR a raisonnablement conclu qu’il était inacceptable de la part du demandeur d’avoir attendu six ans avant de quitter l’Égypte après avoir été torturé à la fin de 2002 en raison du rôle qu’il jouait dans la conversion de musulmans au christianisme. C’est à ce moment‑là qu’il avait été forcé de signer les documents utilisés par la suite pour l’accuser faussement d’« abus de confiance » à deux occasions en 2003. Durant son témoignage, la seule raison qu’il a donnée pour expliquer pourquoi il n’était pas parti plus tôt était le manque d’argent. Contrairement à ce que l’avocate du demandeur a écrit dans ses observations et soutenu de vive voix, le demandeur n’a jamais témoigné que c’était en raison des procédures en cours relativement aux « abus de confiance ».

 

[42]           Le demandeur affirme qu’il s’est caché de la police de 2006 à 2009, et que c’est également pour cette raison qu’il n’était pas parti plus tôt. Cette affirmation est contredite par le propre formulaire de renseignements personnels [FRP] du demandeur, qui montre qu’il a travaillé jusqu’en 2007, puis encore en 2008 pour un employeur établi au Caire, la ville où a habité le demandeur pendant la majeure partie de la période de six ans. La SPR avait des éléments de preuve corroborants pour établir que le comportement du demandeur au cours de cette période montrait qu’il n’agissait pas comme s’il se cachait de la police.

 

[43]           De toute évidence, la SPR n’a pas cru les éléments de preuve qui montraient que le demandeur se cachait, ce qui a nettement miné la crédibilité du récit du demandeur. En effet, la jurisprudence de la Cour reconnaît que les doutes sur la crédibilité combinés à un retard injustifié peuvent conférer aux conclusions de la SPR une apparence de raisonnabilité (voir la décision Calderon Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 412, aux paragraphes 17 à 26). Tel est le cas en l’espèce.

 

[44]           En ce qui concerne la conclusion d’invraisemblance quant au fait qu’aucun préjudice n’avait été causé au demandeur ni à sa famille, il convient de souligner que le demandeur a écrit, dans son propre FRP, que les extrémistes musulmans [traduction] « ont des espions et peuvent atteindre n’importe qui, n’importe où au pays » et qu’il a affirmé pendant son témoignage que [traduction] « s’ils avaient l’occasion de [le] tuer, ils le feraient sans attendre ». Le demandeur a lui‑même affirmé que ces extrémistes avaient laissé des lettres de menace chez lui. Si c’était le cas, pourquoi les extrémistes ne l’ont‑ils jamais attaqué durant ces six années s’ils savaient où il habitait? Il était certainement loisible à la SPR de conclure à l’invraisemblance de ces faits.

 

[45]           De plus, il est pour le moins surprenant que le demandeur n’ait pas pris les mesures nécessaires pour que le tribunal saisi des accusations d’« abus de confiance » sache que les documents en question avaient été signés sous la torture. En outre, le témoignage du demandeur à propos de ce qu’il avait dit exactement à son avocat à ce sujet est pour le moins incohérent, voire purement et simplement contradictoire. La SPR pouvait certainement tirer les conclusions sur la crédibilité qui s’imposaient.

 

[46]           Le demandeur avance aussi que la Commission s’est fondée sur ses connaissances spécialisées pour tirer des conclusions d’invraisemblance. Une lecture attentive de la décision de la SPR révèle une appréciation bien différente. Ces conclusions reposaient sur la preuve présentée par le demandeur, preuve qui constituait le fondement des conclusions quant à la crédibilité. La SPR n’a pas fait appel à des connaissances spécialisées pour tirer ces conclusions, s’étant fondée plutôt sur le récit présenté par écrit et de vive voix par le demandeur lui‑même. La jurisprudence appuie cette démarche (voir l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF)).

 

[47]           Enfin, bien qu’elle ne fut pas tenue de le faire en raison des conclusions sur la crédibilité qu’elle avait tirées, la SPR a examiné la situation des minorités religieuses comme celle que forment les chrétiens coptes en Égypte. Elle a passé en revue certains éléments de la preuve documentaire à cet égard pour évaluer, sous un angle prospectif, si le demandeur aurait de la difficulté à pratiquer sa religion, ce qui correspondrait à de la persécution.

 

[48]           Si la SPR a fait observer que les minorités religieuses avaient réellement de la difficulté à pratiquer leurs religions respectives, elle a néanmoins conclu que la preuve n’établissait pas que de la persécution sévirait sous le régime du gouvernement actuel. Dans cette situation, il était loisible à la SPR de tirer une telle conclusion, et il ne saurait y avoir de motif valide de la remettre en question.

 

[49]           Cela étant dit, la Cour constate qu’au paragraphe 37 de ses motifs, la SPR indique en termes non équivoques qu’elle n’a pas cru le demandeur :

 

Il n’en demeure pas moins que le tribunal ne croit pas du tout que le demandeur d’asile a eu des problèmes avec les extrémistes musulmans ou la police et que ces derniers souhaiteraient donc retrouver le demandeur d’asile en raison des allégations selon lesquelles il aurait converti des musulmans au christianisme en Égypte.

 

Le demandeur n’a pas présenté d’arguments bien appuyés qui rendraient cette décision et cette conclusion déraisonnables. Il lui incombait de présenter une preuve à l’appui de sa demande d’asile. Il n’y est pas parvenu et, par conséquent, la Cour n’a pas à intervenir.

 

[50]           Les parties ont été invitées à soumettre une question aux fins de certification, mais aucune n’a été proposée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                                            « Simon Noël »

                                                                                                _____________________________

                                                                                                                        Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10190-12

 

INTITULÉ :                                      NASHED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 août 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 septembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Debora Brubacher

(pour Michael Loebach)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jeannine Plamondon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loebach

Avocat

London (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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