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Date : 20131023

Dossier : T-1194-12

Référence : 2013 CF 1066

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

TEVA CANADA LIMITED

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PFIZER CANADA INC. ET PFIZER INC.

 

 

 

défenderesses

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Dans la présente action fondée sur l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), la demanderesse (Teva) affirme que les défenderesses (Pfizer) sont passibles de dommages-intérêts parce qu’elles l’ont empêchée de commercialiser son médicament RATIO-AMLODIPINE de 2006 à 2009.

 

[2]               Le 5 avril 2013, la protonotaire Milczynski a rejeté la requête déposée par Pfizer en vue de faire radier la déclaration de Teva et de faire rejeter l’action. La présente affaire concerne l’appel interjeté par Pfizer à l’encontre de la décision rendue par la protonotaire. Pfizer fonde son argumentation sur chacun des deux volets de la norme de contrôle énoncée au paragraphe 19 de l’arrêt Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 488 (Merck) :

[L]e juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal;

b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

Par souci de commodité, la décision de la protonotaire est annexée aux présents motifs (voir ANNEXE I).

 

[3]               En ce qui concerne le premier volet de la norme de contrôle, Pfizer fait valoir que toutes les questions qu’a examinées la protonotaire pour rejeter la requête en radiation doivent être examinées de nouveau en l’espèce, étant donné qu’elles ont toutes une influence déterminante sur l’issue de la présente instance. Pfizer s’appuie sur l’extrait suivant tiré du paragraphe 18 de l’arrêt Merck : « […] une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale ». En outre, Pfizer fait valoir ce qui suit : [traduction] « [...] si des conclusions différentes ont été tirées dans certaines affaires récentes, elles sont fondées sur une interprétation inexacte des motifs de l’arrêt Merck de la Cour d’appel fédérale » (paragraphe 53 des observations écrites de Pfizer).

 

[4]               Selon les affaires récentes mentionnées par Pfizer, les questions examinées par un protonotaire et donnant lieu au rejet d’une requête en radiation n’ont pas à être examinées de novo dans le cadre d’un appel. La décision rendue par le juge Boivin dans Seanautic Marine Inc (c.o.b. Union Africa Line) c Jofor, 2012 FC 328, constitue un exemple de ce courant jurisprudentiel. Au paragraphe 20 de ses motifs, le juge Boivin déclare ce qui suit :

 

[traduction]

[…] La Cour constate que, selon la jurisprudence récente, un appel du rejet d’une requête en radiation ne soulève pas sur une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal (voir les décisions suivantes : Ridgeview Restaurant Limited c Canada (Procureur général), 2010 CF 506, au paragraphe 24, [2010] ACF n613; Chrysler Canada Inc. c Canada, 2008 CF 1049, au paragraphe 4, [2009] 1 CTC 145; Apotex Inc. c AstraZeneca Canada Inc., 2009 CF 120, au paragraphe 25, [2009] ACF n179; AYC Pharmacy Ltd. c Canada (Minister of Health), 2009 FC 554, paragraphe 9, 95 Admin LR (4th) 265; et Horseman c Horse Lake First Nation, 2009 CF 368, au paragraphe 2, [2009] ACF no 476; Lundbeck Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 265, paragraphe 14, [2008] ACF no 1275; et Peter G. White Management Ltd. c Canada, 2007 CF 686, paragraphe 2, [2007] ACF no 931). Par conséquent, la Cour conclut que, vu le contexte et la nature des questions soulevées dans l’appel et à la lumière de la jurisprudence susmentionnée, la présente affaire ne soulève pas sur une question ayant une incidence déterminante sur l’issue du principal, et n’a donc pas à faire l’objet d’un examen de novo.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[5]               L’argument relatif au « caractère déterminant » invoqué par Pfizer est fondé sur une analyse rigoureuse de l’arrêt Merck rendu par le juge Décary et son application par la juge Simpson dans la décision Sanofi-Aventis Canada Inc c Teva Canada Ltd, [2010 FC 1210] (décision Sanofi). L’argument exposé par Pfizer exige un retour aux sources; les passages de la décision Merck qui revêtent un caractère crucial aux fins du présent contrôle sont les paragraphes 17 à 28 des motifs de cette décision, reproduits à l’ANNEXE II.

 

[6]               Dans la décision Sanofi, après avoir pris en considération l’arrêt Merck, et plus particulièrement les observations du juge MacGuigan dans l’arrêt Aqua-Gem, la juge Simpson tire, aux paragraphes 31 et 32 de ses motifs, la conclusion suivante :

[traduction]

 

Dans Merck, arrêt rendu en 2003, Apotex cherchait à apporter des modifications fondamentales à sa défense. Le juge des requêtes qui a procédé à l’examen de la décision du protonotaire d’admettre les modifications proposées a refusé de considérer que celles-ci étaient déterminantes, et n’a pas mené un examen de novo. Il a confirmé la décision du protonotaire d’autoriser les modifications proposées par Apotex.

 

La Cour d’appel a conclu que les modifications proposées revêtaient un caractère déterminant, et elle a mené son propre examen de novo. En fin de compte, elle a refusé d’autoriser les modifications. L’importance de cette décision aux fins de la présente affaire tient à ce que la réaffirmation du refus et l’analyse subséquente menée par la Cour indiquaient clairement, comme il a été avancé dans la décision Sanofi, que l’analyse du « caractère déterminant » doit être axée sur la question dont le protonotaire a été saisi.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[7]               À mon avis, deux principes sont énoncés dans l’arrêt Merck. En premier lieu, un juge qui instruit un appel d’une ordonnance d’un protonotaire est tenu d’examiner le caractère déterminant des questions soulevées dans la requête dont le protonotaire avait été saisi; à cet égard, je souscris à l’analyse de la juge Simpson. Toutefois, en second lieu, cette obligation n’a pas à se traduire par une mesure ou un résultat précis. En d’autres termes, comme il est clairement mentionné, à juste titre, aux paragraphes 22 et 23 de l’arrêt Merck, il n’est pas obligatoire de mener un examen de novo de toutes les décisions contestées d’un protonotaire. Par conséquent, la décision d’ordonner une nouvelle audience doit être prise en fonction de la question de fond faisant l’objet de l’examen et, comme il est indiqué aux paragraphes 27 et 28 du même arrêt, de l’importance que revêt cette question pour le litige. Autrement dit, il faut tenir compte du contexte.

 

[8]               J’estime que l’analyse des questions de fond menée dans l’arrêt Merck ne doit être considérée que comme un exemple d’application des principes énoncés dans la décision, et hormis ces principes, ni l’arrêt Merck ni la décision Sanofi n’ont valeur de précédent pour l’issue de la présente requête. Chaque cas doit être jugé selon ses propres faits.

 

[9]               Par exemple, dans l’arrêt Merck, la Cour cherchait à savoir si la requête en modification déposée par la défenderesse soulevait des questions déterminantes pour l’issue de l’affaire. La Cour d’appel a conclu que les modifications ajouteraient un moyen de défense entièrement nouveau qui toucherait le cœur de la revendication, de sorte qu’elles revêtaient un caractère déterminant. En l’espèce, Pfizer dépose une requête visant à radier la déclaration de Teva dans son intégralité. Par conséquent, compte tenu de cette distinction essentielle, j’estime que l’argumentation relative au « caractère déterminant » énoncée dans l’arrêt Merck n’est pertinente qu’en fonction de sa valeur intrinsèque dans cette affaire et ne peut être appliquée en l’espèce.

 

[10]           À mes yeux, la jurisprudence de la présente Cour selon laquelle les questions qu’examine un protonotaire et qui débouchent sur le rejet d’une requête en radiation n’ont pas à faire l’objet d’un examen de novo dans le cadre d’un appel représente une application en bonne et due forme du deuxième principe que j’ai relevé dans l’arrêt Merck. En règle générale, vu que, dans une requête en radiation, le protonotaire met l’accent sur la question de savoir s’il est évident et manifeste que la demande ne peut être accueillie, et comme le rejet d’une requête en radiation permet l’examen, dans le cadre d’un procès, du bien-fondé des allégations d’une demanderesse, il ne peut être affirmé que les questions examinées par un protonotaire pour rejeter une requête en radiation sont déterminantes quant à l’issue de l’affaire. Cependant, dans certains cas, il peut être établi que le rejet d’une requête en radiation aura sur le litige un effet tel qu’un examen de novo de certaines questions présentées comme déterminantes pour l’affaire doit être effectué. J’estime que cela n’est pas le cas en l’espèce.

 

[11]           En plus d’adhérer à la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne le caractère déterminant, j’estime qu’il y a lieu de renvoyer la présente affaire pour la tenue d’une nouvelle instruction sans que ne soit mené un examen de novo des questions examinées par le protonotaire. Au paragraphe 49 de sa déclaration, Teva a formulé, à propos du montant des dommages-intérêts, les importantes allégations suivantes :

[traduction] Les défendeurs savaient, ou auraient dû savoir, au moment où la demande liée au brevet 393 a été déposée et où la demande d’ordonnance d’interdiction (dossier T-1350-04) était en instance, que les allégations contenues dans le brevet 393 selon lesquelles le bésylate est suffisamment supérieur aux autres sels — par exemple le tosylate et le mésylate — pour qu’il soit considéré comme « unique », « exceptionnel » ou « particulièrement bien adapté » ne sont fondées sur aucun fait (jugement d’invalidation, paragraphe 179). Le choix des termes « unique », « exceptionnel » et « particulièrement bien adapté » est l’œuvre des rédacteurs du brevet, et non pas des inventeurs (jugement d’invalidation, paragraphe 199). L’affirmation trompeuse des défendeurs selon laquelle le sel de bésylate présentait des « avantages spéciaux » était au cœur de leur argument — qui, en fin de compte, a été admis — suivant lequel les allégations de Ratiopharm touchant l’anticipation, le double brevet et la sélection invalide n’étaient pas justifiées et contrevenaient aux dispositions de l’article 53 de la Loi sur les brevets.

 

Si le bien-fondé de l’allégation est démontré dans le cadre d’un procès, l’incidence d’une telle conclusion sur la responsabilité en dommages-intérêts est incertaine, vu l’évolution de l’interprétation de l’article 8 du Règlement. Dans l’arrêt Apotex Inc. c Eli Lilly and Co., 2004 CAF 358, au paragraphe 16, le juge Evans souligne que les questions épineuses touchant l’interprétation de l’article 8 ne peuvent être tranchées de manière satisfaisante que dans le cadre d’un procès. À mon avis, cette mise en garde peut assurément être appliquée en l’espèce.

 

[12]           En conséquence, je rejette l’argument exposé par Pfizer en ce qui a trait au caractère déterminant.

 

[13]           Pour ce qui est du second volet de la norme de contrôle énoncé au paragraphe 19 de l’arrêt Merck, Pfizer fait valoir que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. Cependant, durant l’audition du présent appel, l’avocat de Pfizer a confirmé que le protonotaire avait appliqué, à juste titre, le critère du « facteur déterminant » et celui du caractère « évident et manifeste » pour tirer une conclusion relativement à la requête en radiation. Quant à l’argument de Pfizer selon lequel la requête représente un abus de procédure, j’estime que le protonotaire a eu raison d’appliquer le critère du caractère « clairement abusif » (voir l’arrêt Blencoe c British Columbia (Commission), 2000 CSC 44, paragraphe 120).

 

[14]           Je suis d’avis que l’argument de Pfizer selon lequel une erreur a été commise est fondé uniquement sur un désaccord avec les conclusions négatives tirées quant aux arguments formulés à l’appui de la requête. Il est évident que les points de désaccord de la protonotaire en ce qui concerne les arguments de Pfizer ne concernent que la question de savoir s’il est évident et manifeste que Teva ne peut obtenir gain de cause en fonction du bien-fondé de sa poursuite ou si celle-ci constitue un abus de procédure, et que, par conséquent, elle n’a aucune incidence sur les conclusions que pourrait tirer un juge à la lumière des éléments de preuve présentés dans le cadre d’un procès.

 

[15]           Je suis d’avis que, au moment d’examiner la requête en radiation, la protonotaire s’est appuyé sur des principes juridiques corrects et sur un examen exhaustif des faits, et je conclus donc qu’il n’y a aucune raison de modifier les motifs clairs qu’a exposés la protonotaire pour autoriser l’instruction de la demande.

 

[16]           En conséquence, je rejette l’argument de Pfizer selon lequel une erreur a été commise.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté pour les motifs énoncés ci-dessus.

J’adjuge les dépens à la demanderesse.

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


« ANNEXE I »

 

[traduction]

 

Date : 20130405

Dossier : T-1194-12

Toronto (Ontario), le 5 avril 2013

En présence de la protonotaire Milczynski

 

ENTRE :

 

 

TEVA CANADA LIMITED

 

 

demanderesse

 

et

 

 

PFIZER CANADA INC. ET PFIZER INC.

 

 

défenderesses

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

            VU la requête datée du 20 août 2012, déposée au nom des défenderesses (appelées collectivement Pfizer) afin d’obtenir une ordonnance :

 

1.                  radiant de la déclaration et rejetant de la poursuite;

 

2.                  et lui adjugeant les dépens liés à la présente action, ou en remplacement de la requête, des dépens selon un tarif supérieur; ou toute autre ordonnance que la Cour estime appropriée;

 

            ET APRÈS avoir examiné les dossiers de requête déposés au nom des parties et entendu les observations des avocats;

 

            La présente action constitue une demande en dommages-intérêts déposée fondée sur l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement). Selon cet article, le rejet d’une demande d’ordonnance d’interdiction présentée aux termes de l’article 6 du Règlement ou le désistement de celui qui a présenté une telle demande engage la responsabilité de la personne qui avait présenté la demande, qui doit verser une indemnité au fabricant de médicaments défendeur qui, par suite de l’application du Règlement, n’a pas pu commercialiser un médicament, à savoir le médicament de marque nominative de la « première personne » ayant déposé une demande en réaction à l’avis d’allégation générique de la « deuxième personne » :

 

8. (1)    Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

 

a)                  débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut : 

 

[…]

 

                        (ii)        soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

 

            b)         se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

 

    (2)     La seconde personne peut, par voie d’action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

 

            L’établissement de la nature, de la portée et du montant des dommages-intérêts payables (le cas échéant) par suite d’une instance fondée sur l’article 8 exige que le juge instruisant l’affaire s’appuie sur le critère du facteur déterminant, suivant lequel il doit tirer des conclusions concernant le comportement et les actes présumés des divers intervenants, y compris la « première personne » — à savoir le fabriquant du médicament de marque nominative —, la « deuxième personne » — à savoir le fabricant du médicament générique faisant valoir qu’il a été empêché d’obtenir en temps voulu un avis de conformité pour son produit —, le ministre de la Santé, d’autres fabricants de médicaments génériques et les clients de ces fabricants de médicaments. De plus, comme il ressort clairement la présente action, il est possible que des conclusions doivent être tirées quant à la décision qu’aurait prise la Cour fédérale ou la Cour d’appel fédérale, vu les circonstances de l’affaire.

 

            Dans la mesure où, comme c’est le cas en l’espèce, de nombreuses procédures découlant de l’article 6, une action en invalidation de brevet et la question de l’échéance des droits de propriété intellectuelle peuvent devoir être prises en considération au moment d’appliquer le critère du « facteur déterminant », il est facile de se laisser emporter par de nombreuses suppositions quant aux divers scénarios ou résultats pouvant se concrétiser. La prise d’une décision dans le cadre d’une instance fondée sur l’article 8 peut exiger la mobilisation d’une énorme quantité de ressources judiciaires et s’étendre sur de nombreuses années.

 

            Cela dit, le Règlement a instauré un régime au sein duquel les fabricants de médicaments de marque nominative et les fabricants de médicaments génériques sont tenus de régler leurs différends liés au processus d’approbation, à la commercialisation et aux dommages-intérêts.

 

            La chronologie et les faits pertinents de la présente affaire sont énoncés ci-après.

 

            Le 23 janvier 2004, ratiopharm Canada Inc. a déposé auprès du ministre de la Santé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) relativement à Ratio-Amlodipine. Cette présentation était fondée sur la bioéquivalence démontrée de ce médicament avec Norvasc, médicament fabriqué par Pfizer et vendu sous forme de comprimés.

 

            Le 10 août 2010, ratiopharm Canada Inc. a fusionné avec Teva Canada Ltd. Par conséquent, pour la suite des présents motifs d’ordonnance, la dénomination « Teva » renverra tant à cette dernière qu’à ratiopharm.

 

            À la suite du dépôt, le 5 juin 2004 de la PADN, Teva a diffusé un avis d’allégation concernant les deux brevets mentionnés dans le registre des brevets en ce qui a trait aux comprimés Norvasc. Teva a reconnu qu’un avis de conformité lié à Ratio-Amlodipine ne serait pas délivré avant l’échéance, le 9 mai 2006, du brevet canadien no 1,253865 (brevet 865), mais a allégué que le second brevet figurant au registre, à savoir le brevet canadien 1,321,393 (brevet 393) était invalide.

 

            Le 19 juillet 2004, Pfizer a déposé une demande en application de l’article 6 du Règlement (no de dossier T-1350-04) en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité avant que le brevet 393 ne vienne à échéance, et ce, au motif que les allégations formulées par Teva quant à l’invalidité de ce brevet étaient injustifiées.

 

            Le 20 octobre 2004, le ministre a informé Teva du caractère satisfaisant de la PADN liée à Ratio-Amlodipine. Par conséquent, n’eût été de l’introduction de l’affaire T-1350-04, Teva aurait pu obtenir un avis de conformité et commercialiser son produit au moment de l’expiration du brevet 865.

 

            Le 17 février 2006, la demande d’interdiction déposée par Pfizer (dossier no T-1350-04) a été rejetée par voie d’ordonnance. Cependant, Teva ne pourrait pas attendre simplement que le brevet 865 vienne à échéance le 9 mai 2006 afin d’obtenir un avis de conformité. En effet, avant le rejet de la demande dans le dossier T -1350-04, Pfizer a fait inscrire, le 20 janvier 2006, un nouveau brevet au registre des brevets relativement à ses comprimés Norvasc, à savoir le brevet canadien no 2,355,493 (brevet 493).

 

            Le 15 février 2006, pour donner suite au brevet 493, Teva a présenté un deuxième avis d’allégation selon lequel son médicament, Ratio-Amlodipine, ne constituait pas une contrefaçon du brevet 493.

 

            Le 31 mai 2006, Pfizer a déposé une deuxième demande d’ordonnance d’interdiction (dossier T -586-06) afin que la Cour interdise au ministre de délivrer un avis de conformité à Teva avant l’échéance du brevet 493.

 

            Le 9 mai 2006, pendant que le dossier T-586-06 était en cours, le brevet 865 a expiré.

 

            En outre, le 19 février 2007, toujours pendant que l’affaire était en cours, des demandes d’interdiction liées à Norvasc ont été rejetées (dans le cadre des procédures d’interdiction fondées sur l’article 6 instituées par Pfizer contre Pharmascience et Cobalt). Dans ces deux affaires, la Cour fédérale a statué qu’il était « évident et manifeste » que le brevet 493 ne devrait pas être inscrit sur la liste de brevets en vertu des dispositions du Règlement, compte tenu de l’avis de conformité.

 

            Le 26 avril 2007, la demande déposée par Pfizer relativement au brevet 493 (dossier T‑586‑06) a été rejetée. Toutefois, Teva n’a pas obtenu d’avis de conformité à ce moment-là. En dépit du fait que le brevet 865 était arrivé à échéance, l’affaire liée au brevet 393 n’avait pas encore été tranchée.

 

            Pfizer a interjeté appel du rejet de la demande d’ordonnance d’interdiction (dossier T‑1350‑04), et, le 9 juin 2006, elle a obtenu gain de cause : la Cour d’appel fédérale a infirmé la décision de rejeter cette demande et a plutôt délivré une ordonnance interdisant au ministre de la Santé d’accorder à Teva un avis de conformité pour Ratio-Amlodipine tant que le brevet 393 ne sera pas expiré.

 

            Teva a déposé une requête auprès de la Cour d’appel fédérale afin qu’elle annule sa décision du 9 juin 2006, rejette la demande et annule l’ordonnance d’interdiction liée au brevet 393. Cette requête a été rejetée.

 

            Par la suite, le 21 septembre 2007, Teva a intenté une action en vue de faire invalider le brevet 393, et, le 8 juillet 2009, la Cour fédérale a annulé le brevet 393 en se fondant sur plusieurs motifs.

 

            Le 9 juillet 2009, Teva a obtenu un avis de conformité pour Ratio-Amlodipine.

 

            Pfizer a interjeté appel de la décision datée du 8 juillet 2009 annulant le brevet 393, mais, le 29 juillet 2010, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel.

 

            Compte tenu de ces faits, Teva cherche maintenant à obtenir des dommages-intérêts de Pfizer parce qu’elle a été empêchée de commercialiser un médicament en raison de l’application des dispositions du Règlement. Les questions à examiner dans le cadre de la présente requête sont les suivantes :

 

                 (i)                        Est-il évident et manifeste que Teva ne peut pas obtenir gain de cause?

               (ii)                        Est-il évident et manifeste que l’action intentée par Teva constitue un abus de procédure?

             (iii)                        Est-il évident et manifeste que l’allégation de Teva selon laquelle Pfizer a pris des mesures frauduleuses et oppressives constitue un abus de procédure?

            Je suis convaincue que, pour autant qu’il n’existe aucun créneau pendant lequel Teva pourrait raisonnablement réclamer des dommages-intérêts, il faut permettre la poursuite de l’action. Pour appliquer le critère du « facteur déterminant », indépendamment des dispositions du Règlement, il faut tenir compte du fait que, en première instance, la demande déposée par Pfizer (dossier T-1350-04) a été rejetée, que le brevet 865 avait expiré et que, si Pfizer n’avait pas déposé une demande (dossier T-586-06) relativement au brevet 493 (demande qui a été rejetée), Teva aurait pu obtenir l’avis de conformité qu’elle avait demandé et commercialiser Ratio-Amlodipine entre le 9 mai 2006 et le 9 juin 2006.

 

            Teva affirme que le fait que la Cour d’appel fédérale ait délivré l’ordonnance d’interdiction liée au brevet 393 (qui a ultérieurement été jugé invalide) un mois après l’expiration du brevet 865 n’a aucune incidence sur le fait que, n’eût été la demande déposée par Pfizer (dossier T‑586‑06), Teva aurait obtenu un avis de conformité et commencé la commercialisation de son médicament le 9 mai 2006, date à laquelle l’ordonnance d’interdiction n’avait pas encore été délivrée par la Cour d’appel. Ce créneau d’un mois est rendu possible par le rejet de la demande dans le dossier T‑586‑06. En outre, d’autres « suppositions » pourraient être formulées en fonction d’arguments plausibles touchant le brevet 393 et du fait qu’il a été annulé — ce qui soulève la question de savoir si un brevet annulé peut avoir une quelconque incidence sur l’établissement du montant de dommages-intérêts au titre de l’article 8 du Règlement — en dépit ou indépendamment de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale relativement à l’appel et au réexamen.

 

            En ce qui a trait à la décision à l’égard d’un réexamen, la Cour d’appel fédérale n’a rien décidé en ce qui concerne la capacité de Teva d’intenter une poursuite en dommages-intérêts fondée sur l’article 8 par suite du rejet de la demande relative au brevet 493 (dossier T‑586‑06), et n’a rendu aucune décision quant à la responsabilité de Pfizer en vertu du Règlement par suite du rejet de la demande présentée dans le cadre du dossier T‑586‑06. La Cour d’appel s’est penchée sur l’objet de la requête en réexamen, à savoir l’annulation de la décision qu’elle a rendue dans le cadre du dossier T‑1350‑04 (où Teva lui avait demandé de procéder à un réexamen à la lumière des conclusions de la Cour fédérale selon lesquelles le brevet 493 ne devait pas être inscrit au registre). La Cour d’appel a refusé d’annuler sa décision de délivrer une ordonnance d’interdiction relativement au brevet 393 au motif que les arguments formulés par Teva à l’appui de la requête étaient d’une nature « trop hypothétique » :

 

Qui plus est, l’enchaînement des événements proposé par Ratiopharm relève trop de l’hypothétique pour constituer des « faits nouveaux » au sens de la règle 399(2)a) ou pour justifier l’exercice de la compétence inhérente de la Cour d’annuler ses décisions. Ratiopharm présume, entre autres, que si le brevet 493 n’avait pas été irrégulièrement inscrit au registre, le ministre aurait délivré un avis de conformité visant ses comprimés de bésylate avant que notre Cour n’instruise l’appel de Pfizer et, en tout état de cause, avant qu’elle ne rende sa décision, de sorte qu’elle aurait exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas instruire l’appel et qu’elle n’aurait donc pas rendu d’ordonnance d’interdiction.

 

Or, une multitude d’incidents susceptibles d’altérer le scénario envisagé par Ratiopharm aurait pu survenir. On ne peut tout simplement pas présumer que les choses se seraient passées comme Ratiopharm le pense ou accorder à ce scénario le degré de certitude nécessaire pour justifier l’annulation d’une décision de notre Cour.

 

            Par conséquent, peu importe l’issue finale de la présente action, je ne suis pas convaincue qu’il est possible de conclure que les allégations et la demande de dommages-intérêts présentées par Teva constituent un abus de procédure ou une tentative de remettre en litige la question de l’interdiction du brevet 393. Teva cherche non pas à faire infirmer l’ordonnance d’interdiction rendue par la Cour d’appel, mais plutôt à ce que le fait que le brevet 393 ait ultérieurement été annulé soit pris en considération dans le cadre de sa demande de dommages‑intérêts fondée sur l’article 8.

 

            Ainsi, n’eût été du dossier T-586-06, Teva aurait pu obtenir, le 9 mai 2006, l’avis de conformité qu’elle avait demandé et aurait (peut-être) pu obtenir que les considérations liées à la radiation du brevet 493 ou au rejet de la demande présentée dans le cadre du dossier T-586-06 soient prises en considération, conjointement avec les autres facteurs touchant le brevet 393, au moment où elle présentait sa demande de dommages‑intérêts pour le mois en cause ou tentait d’accroître le créneau aux fins de l’établissement du montant des dommages‑intérêts. D’une façon ou d’une autre, il n’est pas possible de connaître l’issue avec certitude.

 

            Il est loisible à la Cour de prendre en considération un vaste éventail de facteurs dans le cadre d’une procédure fondée sur l’article 8 :

 

8(4)      Lorsque le tribunal enjoint à la première personne de verser à la seconde personne une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1), il peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts à l’égard de cette perte.

 

8(5)      Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

 

            Enfin, je constate que la jurisprudence découlant d’affaires fondées sur l’article 8 continue d’évoluer et n’est pas encore bien établie. Par sa nature même, le Règlement donne lieu à l’élaboration de scénarios complexes, à telle enseigne qu’il doit être permis de formuler des suppositions, et que celles-ci, à moins qu’elles soient clairement abusives ou vouées à l’échec, doivent être examinées à la lumière de données probantes et d’arguments juridiques complets dans le cadre d’un procès, et faire l’objet d’une décision. Au paragraphe 20 de la décision Apotex Inc. c Pfizer, 2009 FC 631, il est mentionné ce qui suit :

 

[traduction] Dans le cadre de ces affaires, il a fallu interpréter l’article 8 afin de répondre à des questions de droit soulevées par les parties [...] je suis d’accord pour dire qu’il n’est pas approprié de prononcer un jugement sommaire dans les cas où d’épineuses questions juridiques exigent l’interprétation d’un cadre législatif complexe.

 

            En conséquence, vu que Pfizer n’a pas établi que la demande de Teva est complètement injustifiée et vouée à l’échec ou qu’elle constitue un abus de procédure, je dois rejeter la requête.

 

            LA COUR ORDONNE que :

 

1.                  la requête soit rejetée;

 

2.                  dans l’éventualité où les parties sont incapables de parvenir à une entente concernant les dépens, la question soit tranchée dans le cadre d’une téléconférence de gestion de cas.

 

 

« Martha Milczynski »

Protonotaire


ANNEXE II

 

Les paragraphes 17 à 28 de la décision Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 488, sont reproduits ci‑après.

 

La norme de contrôle

 

17     Dans l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), la Cour énonce dans les termes suivants la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires (le juge MacGuigan, J.C.A., à la page 463) :

 

Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. Div.), le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:

 

a) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits

 

b) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal.

 

Si l’ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début.

[Renvoi omis]   

 

18     Le juge MacGuigan a ensuite expliqué, aux pages 464 et 465, que la question de savoir si une question est déterminante pour l’issue de l’affaire doit être tranchée sans égard à la réponse que le protonotaire y a donnée :

 

Il me semble qu’une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l’issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de «l’influence déterminante sur l’issue du principal» à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d’erreur de droit).

 

C’est probablement pourquoi, selon moi, il utilise les mots « [l’ordonnance] porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal », plutôt que « [l’ordonnance] a une influence déterminante sur l’issue du principal ». L’accent est mis sur le sujet des ordonnances et non sur leur effet. Dans un cas comme celui de l’espèce, la question à se poser est de savoir si les modifications proposées sont en soi déterminantes, qu’elles soient ou non autorisées. Si elles sont déterminantes, le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire de novo.

 

19     Afin d’éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu’il est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l’occasion pour renverser l’ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement d’abord trancher la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l’issue de l’affaire. Ce n’est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J’énoncerais le critère comme suit :

 

«Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal;

b) b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

20     En ce qui concerne le critère que la Cour doit appliquer à l’égard d’une décision d’un juge, la Cour suprême du Canada a statué, dans l’arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, au paragraphe 18, que la Cour d’appel fédérale ne peut modifier la décision d’un juge de première instance que si celui-ci « n’avait aucun motif de modifier la décision du protonotaire ou, advenant l’existence d’un tel motif, si la décision du juge [. . .] était mal fondée ou manifestement erronée ».

 

Les modifications proposées sont-elles déterminantes pour l’issue de l’affaire?

 

21     Le premier argument soulevé par les appelantes est que le juge a commis une erreur en concluant que les modifications sollicitées n’étaient pas déterminantes pour l’issue de l’affaire et, par conséquent, en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire de novo.

 

22     Le critère du « caractère déterminant » élaboré dans l’arrêt Aqua-Gem, est strict. L’utilisation du terme « déterminant » est importante. Elle donne effet à l’intention du législateur si bien décrite par le juge en chef Isaac dans ses motifs minoritaires de l’arrêt Aqua-Gem, aux pages 454 et 455 (j’ouvre une parenthèse pour faire remarquer que le juge MacGuigan ne conteste pas fondamentalement, dans ses motifs majoritaires, l’analyse du juge en chef quant au rôle des protonotaires de la Cour fédérale) :

 

        […] [cette norme de contrôle] est conforme à la volonté du législateur qu’exprime l’article 12 de la Loi [sur la Cour fédérale], savoir que les fonctions des protonotaires visent à contribuer à « l’exécution des travaux de la Cour ».

 

À mon avis, on ne saurait raisonnablement dire qu’est compatible avec l’objectif de la loi, la norme de révision qui soumet toutes les décisions de protonotaire attaquées à l’instruction de novo quelles que soient les questions concernées et peu importe si ces décisions statuent au fond sur les droits des parties. Pareille norme n’économise ni les ressources judiciaires ni le temps des juges. Dans chaque cas, elle obligerait le juge des requêtes à reprendre l’affaire depuis le début. En outre, elle réduirait la fonction de protonotaire à un rôle d’«étape» préliminaire sur le chemin de la procédure qui mène au juge des requêtes. Je ne pense pas que ce soit là le résultat voulu par le législateur.

 

23     On ne devrait par conséquent pas conclure trop rapidement qu’une question, si importante soit-elle, est déterminante. On doit cependant se garder de s’abstenir de trancher de novo une question déterminante simplement parce qu’on a naturellement tendance à s’en remettre aux protonotaires pour les questions de procédure.

 

24     Dans l’arrêt Aqua-Gem, le juge MacGuigan a, à la page 464, fait la distinction entre, d’une part, les « questions de procédure courantes » – termes utilisés par lord Wright dans l’arrêt Evans v. Bartham, [1937] 2 All E.R. 646 (H.L.), à la page 653 – et la « modification sans importance des actes de procédure » – termes utilisés par le juge Lacourcière dans l’arrêt Stoicevski c. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C.A.), à la page 438 –, et, d’autre part, les « questions ayant une influence déterminante sur l’issue de la cause principale, c’est-à-dire sa solution ».

 

25     Quand peut-on qualifier une modification de «courante» par opposition à « déterminante »? Il serait imprudent d’essayer de leur donner une classification formelle. Il est de loin préférable de trancher cette question au cas par cas (voir la décision Trevor Nicholas Construction Co. c. Canada (Ministre des Travaux publics), 2003 CFPI 255; [2003] A.C.F. no 357 (1re inst.) (QL), juge O’Keefe, au paragraphe 7, confirmée à 2003 CAF 428; [2003] A.C.F. no 1706 (C.A.) (QL)). Je remarque que la Cour fédérale du Canada a constamment conclu que les modifications susceptibles d’ajouter de nouvelles demandes ou causes d’action sont déterminantes aux fins de l’application du critère formulé dans l’arrêt Aqua-Gem (voir les décisions suivantes: Scannar Industries Inc. (syndic) c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 215 (C.F. 1re inst.), juge Denault, confirmée à [1994] 2 C.T.C. 185 (C.A.F.); Trevor Nicholas Construction Co., précitée; Bande indienne de Louis Bull c. Canada, 2003 CFPI 732; [2003] A.C.F. no 961 (1re inst.) (QL), juge Snider).

 

26     En l’espèce, l’avocat d’Apotex a émis l’opinion que les modifications proposées sont des modifications courantes puisqu’elles n’introduisent pas un nouveau moyen de défense: elles ne font qu’ajouter des faits subsidiaires à l’appui d’un moyen de défense existant fondé sur l’absence de contrefaçon. Par ailleurs, l’avocat des appelantes invite la Cour à conclure que les modifications proposées étaient déterminantes puisqu’elles visaient la rétractation d’un aveu susceptible d’avoir une incidence importante sur l’issue de l’affaire et l’introduction d’un nouveau moyen de défense.

 

27     Je suis d’avis que les modifications proposées s’éloignent considérablement de la position qu’avait fait valoir jusqu’à présent Apotex dans ses actes de procédure. Son moyen de défense fondé sur l’absence de contrefaçon reposait essentiellement sur les faits suivants: elle avait acquis le lisinopril avant la délivrance du brevet 350, le 16 octobre 1990, et elle l’avait fait conformément à la licence obligatoire délivrée à son fournisseur, Delmar. Apotex a toujours admis, dans les présents actes de procédure et autres procédures, qu’il y aurait eu violation du brevet 350 si ces faits n’avaient pas existé. L’interprétation du brevet et la composition chimique du lisinopril n’ont jamais été contestées.

 

28     Il est évident que les modifications proposées ajouteraient un moyen de défense entièrement nouveau à la défense qui toucherait le cœur de la revendication du brevet 350 et commanderait des preuves d’experts, lesquelles n’auraient pas pu être prévues par les appelantes au stade des interrogatoires préalables, vu les aveux déjà faits dans les actes de procédure et les procédures. Elles sont, à mon avis, déterminantes pour l’issue de l’affaire. La révision de novo de la décision du protonotaire était par conséquent justifiée et le juge de première instance a commis une erreur en concluant qu’elle ne l’était pas. Je dois donc exercer de novo le pouvoir discrétionnaire que le juge de première instance n’a pas exercé.

 

[Non souligné dans l’original.]


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             T-1194-12      

 

INTITULÉ :

TEVA CANADA LIMITED c PFIZER CANADA INC. ET PFIZER INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

                                                           

DATE DE L’AUDIENCE :                         LE 10 OCTOBRE 2013        

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE CAMPBELL

                       

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 octobre 2013                    

COMPARUTION :

Marcus Klee

Devin Doyle

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John B. Laskin

W. Grant Worden

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

AITKEN KLEE LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

TORYS LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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