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Date : 22 octobre 2013


Dossier :

T-215-12

 

Référence : 2013 CF 1061

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

BAYER INC. ET BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT

 

demanderesses

et

 

COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY

ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]       La Cour est saisie d’une demande, présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement AC), visant à interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à la société Cobalt Pharmaceuticals défenderesse à l’égard de l’association médicamenteuse drospirénone + éthinylestradiol proposée avant l’expiration des brevets canadiens no 2 179 728 et 2 382 426.

 

[2]       Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir la demande en ce qui concerne le brevet no 2 382 426 et de rejeter la demande pour ce qui est du brevet canadien no 2 179 728.

 

[3]       Voici un tableau énumérant les divers sujets examinés dans les présents motifs, avec renvois aux numéros des paragraphes correspondants :

 

LES PARTIES ET LE PRODUIT EN LITIGE

Paragraphes 4 à 8

LES BREVETS EN LITIGE DANS LEURS GRANDES LIGNES

Paragraphes 9

LE BREVET 728, DANS SES GRANDES LIGNES

 

Paragraphes 10 à 12

LE BREVET 426, DANS SES GRANDES LIGNES

 

Paragraphes 13 à 15

LA PREUVE

Paragraphes 16 à 19

DÉCISIONS ÉTRANGÈRES

Paragraphes 20 à 21

QUESTIONS EN LITIGE

Paragraphes 22 à 30

FARDEAU DE LA PREUVE

Paragraphes 31 à 33

PEUT‑ON ALLER AU‑DELÀ DE L’AVIS D’ALLÉGATION?

 

Paragraphes 34 à 37

LE BREVET 426

1.  La personne versée dans l’art

Paragraphe 38

2.  Là où le bât blesse

Paragraphe 39

3.  Description

Paragraphes 40 à 48

4.  Les revendications – Interprétation

Paragraphes 49 à 60

5.  Absence de contrefaçon

Paragraphes 61 à 69

6.  Validité – Évidence

Paragraphes 70 à 88

7.  Utilité et prédiction valable

Paragraphes 89 à 100

8.  Portée excessive et insuffisance

Paragraphes 101 à 102

9.  Ambiguïté

Paragraphes 103 à 106

10.  Conclusions concernant le brevet 426

Paragraphe 107

LE BREVET 728

1.  Personne versée dans l’art

Paragraphe 108

2.  Là où le bât blesse – Équivalent de dose

Paragraphes 109 à 110

3.  Le mémoire descriptif

Paragraphes 111 à 123

4.  Les revendications – Interprétation

Paragraphes 124 à 134

5.  Absence de contrefaçon

Paragraphe 135

6.  Évidence

Paragraphes 136 à 139

7.  Double brevet

Paragraphes 140 à 149

8.  Utilité et prédiction valable

Paragraphes 150 à 155

9.  Méthode de traitement médical

Paragraphes 156 à 162

10.  Conclusions en ce qui concerne le brevet 728

Paragraphe 163

DÉPENS

Paragraphe 164

 

LES PARTIES ET LE PRODUIT EN LITIGE

[4]       L’entreprise Bayer Inc. demanderesse est une « première personne » au sens du Règlement AC. Elle a inscrit les deux brevets en litige auprès du ministre de la Santé apparemment en conformité avec le règlement en question.

 

[5]       La demanderesse Bayer Pharma Aktiengesellschaft semble être propriétaire des deux brevets en litige. Il convient de désigner les demanderesses collectivement sous le nom de Bayer.

 

[6]       Bayer distribue au Canada un contraceptif oral sous le nom commercial YAZ. Les comprimés de YAZ contiennent 3 mg de drospirénone + 20 mg d’éthinylestradiol et sont destinés à une administration orale.

 

[7]       La société Cobalt Pharmaceuticals Company défenderesse est une « seconde personne » au sens du Règlement AC. Le 8 décembre 2011 ou vers cette date, Cobalt a signifié à Bayer un avis d’allégation qui semblait être conforme au Règlement dans lequel elle déclarait qu’elle avait demandé au ministre de la Santé de lui délivrer un avis de conformité en vue d’être autorisée à distribuer au Canada une version générique des comprimés YAZ de Bayer.

 

[8]       Le ministre de la Santé défendeur s’acquitte de diverses fonctions aux termes du Règlement AC, y compris, lorsque les circonstances le justifient, la délivrance d’un avis de conformité (AC) à une seconde personne pour l’autoriser à vendre une version générique d’un médicament déterminé au Canada. Le ministre n’est pas intervenu activement dans la présente instance.

 

LES BREVETS EN LITIGE DANS LEURS GRANDES LIGNES

[9]       Il y a deux brevets canadiens en litige : le brevet no 2 179 728 (le brevet 728) et le brevet no 2 382 426 (le brevet 426). La demande visant chacun des brevets a été déposée auprès du Bureau canadien des brevets après le 1er octobre 1989; ainsi, les dispositions de la « nouvelle » Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, qui s’appliquent aux brevets ayant fait l’objet d’une demande après cette date, régissent les deux brevets en litige.

 

LE BREVET 728, DANS SES GRANDES LIGNES

[10]   Le brevet 728 est intitulé « Composition contraceptive contenant un œstrogène et un gestagène ». Il désigne Jürgen Spona, Bernd Düsterberg, Frank Lüdicke, W. Feichtinger et Max Elstein comme inventeurs. L’un d’entre eux, Bernd Düsterberg, a témoigné à l’instance.

 

[11]   La demande de ce brevet a été déposée sous le régime du Traité de coopération en matière de brevets (PCT), la date de dépôt au Canada étant le 22 décembre 1994. La demande a été mise à la disposition du public pour inspection le 29 juin 1995 (date de publication). La demande revendiquait la priorité en se fondant sur une demande allemande déposée le 22 décembre 1993.

 

[12]   Le brevet 728 a été délivré au Canada le 1er septembre 2009. Sa date d’expiration est le 22 décembre 2014.

 

LE BREVET 426, DANS SES GRANDES LIGNES

[13]   Le brevet 426 est intitulé « Mélange pharmaceutique d’éthinylestradiol et de diospirénone utilisé en tant que contraceptif ». Les inventeurs désignés sont Wolfgang Heil, Jurgen Hilman, Ralph Lipp et Renate Heithecker.

 

[14]   La demande de ce brevet a été déposée sous le régime du Traité de coopération en matière de brevets (PCT), la date de dépôt au Canada étant le 31 août 2000. La demande a été mise à la disposition du public pour consultation le 8 mars 2001. La demande revendiquait une priorité sur le fondement à la fois d’une demande de brevet présentée aux États‑Unis et d’une demande de brevet présentée en Europe. Ces deux demandes avaient été déposées le 31 août 1999.

 

[15]   Le brevet 426 a été délivré au Canada le 28 février 2006. Sa date d’expiration est le 31 août 2010.

 

LA PREUVE

[16]   Comme c’est habituellement le cas dans les instances de ce genre, la preuve consiste en des affidavits soumis par chacune des parties et par la transcription du contre‑interrogatoire de ceux des souscripteurs de ces affidavits qui ont été choisis pour être contre‑interrogés. La Cour n’a eu l’occasion d’observer aucun des témoins en personne. Certains témoins ont été présentés comme des experts; aucune partie ne s’est opposée au fait qu’ils soient présentés comme des experts, bien que chacune des parties ait souhaité formuler ses observations sur ce qu’elle estimait être les lacunes de leur expertise. Je suis convaincu que tous les experts ont présenté un témoignage qui aide la Cour à résoudre les questions en litige et je ne suis pas disposé à conclure que l’un ou l’autre d’entre eux manquait de crédibilité ou de connaissances spécialisées suffisantes sur les questions abordées dans leur témoignage.

 

[17]   Bayer a déposé le témoignage des quatre témoins des faits suivants, dont les quatre premiers ont été contre‑interrogés :

 

                     M. Bernd Düsterberg, d’Oberkrämer, en Allemagne. Il est l’un des co‑inventeurs du brevet 728. Il a témoigné au sujet des progrès ayant conduit au brevet.

 

                     M. Michael Korl Hümpel, de Lübeck, en Allemagne. Il est un employé à la retraite de Schering, laquelle fait maintenant partie de Bayer. Il a témoigné au sujet de certains des progrès ayant conduit au brevet 426.

 

                     M. Johannes W. Tack, de Berlin, en Allemagne. Il est un ancien employé de Schering. Il a témoigné au sujet de certains des progrès à l’origine du brevet 426.

 

                     Mme Mira Rinnie, de Mississauga (Ontario). Elle est technicienne juridique au cabinet des avocats de Bayer. Son affidavit a servi à verser certains documents au dossier. Mme Atwell n’a pas été contre‑interrogée.

 

[18]   Bayer a déposé les affidavits de trois témoins experts qui ont tous été contre‑interrogés. Compte tenu des circonstances de l’espèce, chacun de ces témoins a déposé un affidavit portant sur les questions de contrefaçon; par la suite, après qu’un Cobalt eut déposé ses affidavits au sujet de la validité, les témoins en question ont déposé d’autres affidavits au sujet de la validité de l’un ou l’autre des brevets en litige. Voici la liste des témoins en question :

 

                     M. Martyn Christopher Davies, de Nottingham, au Royaume‑Uni. Il enseigne la chimie de surface biomédicale à la Faculté de pharmacie de l’Université de Nottingham. Il a témoigné au sujet de la validité et de la contrefaçon du brevet 426.

 

                     La Dre Sari Kives, de Toronto (Ontario). Elle est une médecin membre du personnel de l’Hôpital St. Michael’s, à Toronto, au département d’obstétrique et de gynécologie. Elle a expliqué comment l’on conseillait les patients et comment l’on prescrivait le médicament YAZ de Bayer.

 

                     Le Dr Lee P. Shulman, de Northbrook (Illinois). Il pratique la médecine et enseigne l’obstétrique et la gynécologie en plus d’être chef de la Division de la génétique clinique à la Faculté de médecine Feinberg de l’Université Northwestern. Il a témoigné au sujet de la validité et de la contrefaçon du brevet 728.

 

[19]   Cobalt a déposé les affidavits de deux témoins, qui sont tous les deux des experts. Les deux témoins ont été contre‑interrogés. Ils ont tout d’abord souscrit des affidavits au sujet de la validité, puis des affidavits en réponse au sujet de la contrefaçon. Il s’agit de :

 

                     Le Dr Bhagu Bhavnani, de Waterdown (Ontario). Il vient de prendre sa retraite comme professeur d’obstétrique et de gynécologie à l’Université de Toronto et comme directeur de la recherche au Département d’obstétrique et de gynécologie à l’Hôpital St. Michael’s de Toronto. Il a témoigné au sujet de la contrefaçon et de la validité du brevet 728.

 

                     Mme Yashoda V. Pramar, de La Nouvelle‑Orléans (Louisiane). Elle enseigne la pharmaceutique à l’Université Xavier de Louisiane. Elle a témoigné au sujet de la validité et de la contrefaçon du brevet 426.

 

DÉCISIONS ÉTRANGÈRES

[20]   Les avocats de chacune des parties ont attiré mon attention sur des décisions de tribunaux étrangers portant sur des brevets ressemblant, dans leurs grandes lignes, à l’un ou l’autre des brevets en litige en l’espèce et sur des questions semblables à certaines de celles qui sont soulevées dans la présente instance. Certaines des personnes qui ont témoigné devant moi avaient témoigné devant ces tribunaux bien que, dans le cas du Royaume‑Uni et des États‑Unis, ils aient comparu en personne. Voici les décisions en question :

 

                     Cour du commissaire aux brevets de la République d’Afrique du Sud, numéro de dossier : brevet 2004/4083, Bayer Pharma AG et autres, demanderesses c Pharma Dynamics (Proprietary) Limited, défenderesse.

 

Dans une décision rendue le 14 mars 2013, le juge Pretorius a déclaré qu’un brevet semblable au brevet 426 était valide et qu’il avait été contrefait.

 

Les avocats m’ont informé que cette décision avait été portée en appel.

 

                     Au Royaume‑Uni, le juge Floyd, de la Division de la chancellerie de la Cour des brevets a, dans la décision Gedeon Richter Plc c Bayer Schering Pharma AG, [2011] EWHC 583 (Pat), examiné un brevet semblable au brevet 426. Il a conclu que certaines, mais non la totalité, des revendications étaient invalides pour cause d’évidence. La Cour d’appel (les juges Kitchin, Jacob et Mummery), a rejeté l’appel dans un arrêt publié sous la référence [2012] EWCA Civ 235.

 

                     La Cour de district des États‑Unis, District du Nevada, a, dans les dossiers no 2:07‑CV‑01472‑KJD‑GWF et 2:08‑CV‑06995‑KJD‑GWF (Bayer Schering Pharma AG et al c Watson Pharmaceuticals Inc, (le juge Kent W. Dawson), fait droit à la requête présentée par Bayer en vue d’obtenir un jugement sommaire pour cause de non‑évidence de certaines des revendications d’un brevet semblable au brevet 728. La Cour d’appel des États‑Unis pour le circuit fédéral a, (les juges Lourie, Schall et Prost), dans le dossier 2012‑1424, infirmé cette décision le 16 avril 2013 et déclaré certaines revendications invalides pour cause d’évidence.

 

                     La Cour du district des États‑Unis, District du New Jersey, (le juge Sheridan), dans l’action civile no 05‑CV‑2308 (PGS) entre Bayer Schering Pharma AG c Barr Laboratories, Inc., a, le 3 mars 2008, conclu que certaines des revendications d’un brevet semblable au brevet 426 étaient invalides pour cause d’évidence. La Cour d’appel pour le circuit fédéral a, à deux contre un (les juges Mayer et Friedman; le juge Newman dissident) confirmé cette décision dans un arrêt rendu le 5 août 2009.

 

[21]   Aucune des décisions en question n’a l’autorité de la chose jugée au Canada. Il peut exister entre les brevets examinés dans ces affaires et ceux qui sont à l’étude en l’espèce de nombreuses différences cruciales. La preuve présentée était peut‑être différente. Les règles de droit sont différentes. Je constate par conséquent que des tribunaux différents et des juges différents peuvent arriver à des résultats différents, comme l’illustrent ces décisions. Cela est particulièrement vrai lorsque les dossiers sont vigoureusement contestés et que les décisions qui ont été rendues pouvaient, dans de nombreux cas, aller dans un sens ou dans l’autre, selon les particularités du brevet, la preuve, et les règles de droit dont le tribunal devait tenir compte.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[22]   La question fondamentale dans le cas d’une instance introduite en vertu du Règlement AC est celle de savoir s’il a été démontré que les allégations formulées par une seconde partie, comme Cobalt, sont fondées. Dans le cas qui nous occupe, Cobalt allègue qu’il ne contrefera ni le brevet 426 ni le brevet 728, et que chacun de ces brevets ou chacune des revendications formulées par Bayer relativement à chacun des brevets est invalide pour une foule de raisons.

 

[23]   En ce qui concerne le brevet 426, l’avocat de Bayer a expliqué, à l’audience, que Bayer ne se fondait sur aucune des revendications qui se rattachaient à une [traduction] « trousse » et que, dans le cas des revendications se rattachant à [traduction] « une composition ou une trousse », Bayer ne se fondait que sur la composition. Lors des débats, l’avocat de Bayer a surtout invoqué la revendication 31, bien qu’il ait mentionné également les revendications 1 à 30.

 

[24]   En ce qui concerne le brevet 728, l’avocat de Bayer a expliqué, à l’audience, que Bayer ne se fondait que sur les revendications 1, 2, 6, 7 et 8.

 

[25]   L’avocat de Cobalt, dans une lettre en date du 1er octobre 2013 adressée à la Cour, a informé celle‑ci qu’il abandonnait la question de l’inscription irrégulière. À l’audience, l’avocat de Cobalt a fait savoir qu’il avait, dans le cas du brevet 628, abandonné la question de l’absence de contrefaçon formulée dans la dernière partie du paragraphe 37 de son avis d’allégation relativement à l’utilisation réservée exclusivement à des femmes d’un certain âge. L’avocat a également expliqué que Cobalt abandonnait les allégations relatives à l’antériorité formulée aux paragraphes 38 à 42 de son avis d’allégation, les allégations d’insuffisance formulées aux paragraphes 67 à 76 de l’avis en question et les allégations de portée excessive formulées aux paragraphes 85 à 87 de l’avis, que Cobalt n’invoquerait pas le brevet canadien no 2 016 780 relativement à l’allégation de double brevet énoncée au paragraphe 112 de l’avis et, enfin, qu’elle n’invoquerait pas l’allégation de brevet de sélection invalide formulée aux paragraphes 123 à 129 du même avis. En ce qui concerne le brevet 426, l’avocat de Cobalt a expliqué que Cobalt n’invoquerait pas les allégations d’antériorité formulées aux paragraphes 301 à 304 de son avis d’allégation.

 

[26]   L’avis d’allégation porte également sur un autre brevet, le brevet canadien no 2 261 137, qui n’est toutefois pas en cause en l’espèce.

 

[27]   À l’audience elle‑même, l’avocat de Cobalt a, lors des débats, circonscrit encore plus la portée de ses arguments. En ce qui a trait au brevet 426, il a invoqué l’absence de contrefaçon, l’évidence, l’utilité et la prédiction valable, la portée excessive et l’insuffisance et, enfin, l’ambiguïté. En ce qui concerne le brevet 728, l’avocat de Cobalt a plaidé l’absence de contrefaçon, la méthode de traitement médical, l’évidence, le double brevet, l’équivalent de dose (un argument se rapportant à l’absence de contrefaçon) et l’utilité et la prédiction valable.

 

[28]   Lors de la conférence préparatoire, j’ai exhorté chacune des parties à envisager sérieusement la possibilité de circonscrire davantage le débat. Je regrette que les parties aient attendu à l’audience pour le faire. Je me propose donc de n’examiner que les questions qui ont été soulevées et plaidées à l’audience.

 

[29]   Par conséquent, je vais examiner les questions suivantes, à savoir si les allégations de Cobalt, dans leur forme actuelle, sont fondées en ce qui concerne :

 

1.      Le brevet 426, toutes les revendications autres que celles relatives à une « trousse » et, en particulier, les revendications 1, 30 et 31 :

 

1)                  absence de contrefaçon

2)                  validité en ce qui concerne :

 

i)                    l’évidence

ii)                  l’utilité et la prédiction valable

iii)                la portée excessive et l’insuffisance

iv)                l’ambiguïté

 

2.      Le brevet 728, les revendications 1, 2, 6, 7 et 8 :

 

i)                    absence de contrefaçon

ii)                  évidence

iii)                double brevet

iv)                équivalent de dose

v)                  utilité et prédiction valable

 

[30]   Avant d’aborder ces questions, je tiens à examiner brièvement la question du fardeau de la preuve dans ce genre d’affaire portant sur un AC. Je vais également examiner la question de savoir si l’on peut aller au‑delà de l’avis d’allégation. Relativement à chacun des brevets, je vais interpréter les revendications en litige.

 

FARDEAU DE LA PREUVE

[31]   J’ai résumé la question du fardeau de la preuve qui s’applique dans les affaires dans lesquelles la validité est en cause récemment dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 985, au paragraphe 23. Je reprends à mon compte ce résumé en l’espèce :

 

[23]           La question de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve lorsque la validité d’un brevet est contestée dans une instance relative à l’AC a été traitée à de nombreuses reprises devant la Cour. En bref, un brevet est présumé valide sauf preuve contraire (Loi sur les brevets, p. 43(2)). La partie qui allègue une invalidité (en l’espèce Cobalt) a le fardeau de produire une preuve étayant ses allégations. Une fois la preuve produite, la question est jugée par la Cour selon le fardeau de la preuve civile, c’est à dire selon la prépondérance des probabilités. Si la Cour juge qu’il n’y a aucune prépondérance, elle devrait se prononcer en faveur de la personne alléguant l’invalidité car, selon le Règlement AC, paragraphe 6(2), la première personne (ici Novartis) a le fardeau de démontrer que les allégations d’invalidité ne sont pas fondées.

 

[32]   Dans le même ordre d’idées, pour ce qui est des allégations d’absence de contrefaçon de la seconde personne (le fabricant de médicaments génériques), il incombe à la première personne (l’innovateur) de démontrer que les allégations en question ne sont pas fondées. Cette question a récemment été examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Pfizer Canada Inc c Ministre de la Santé et Ratiopharm Inc, 2011 CAF 215, dans lequel le juge Létourneau, qui s’exprimait au nom de la Cour, a mentionné les arrêts Fournier et Apotex que la Cour d’appel fédérale avait déjà rendus pour insister sur le fait que les instances en question sont de nature administrative et qu’elles visent à déterminer s’il est loisible au ministre de délivrer un avis de conformité; ce genre de procédure ne doit pas être confondu avec une action en contrefaçon ou une action en invalidation. Voici ce qu’il écrit aux paragraphes 15 et 18 :

 

15    Dans Fournier Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 38 C.P.R. (4th) 297, 2004 CF 1718, la juge Layden‑Stevenson (plus tard juge à la Cour d’appel fédérale) a fourni un résumé pratique de la nature, de l’objet et de la portée des instances relatives aux avis de conformité et de leur relation avec les actions en invalidation. Elle écrit ce qui suit aux paragraphes 6, 8 et 9 :

 

[6]  Comme je l’ai déjà signalé, le recours à l’origine de la présente instance a été introduit en application du Règlement. Plusieurs arrêts de la Cour d’appel fédérale traitent de l’historique de ce règlement et du régime qu’il établit, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de reprendre ces propos ici. Voir : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.); […]. Essentiellement, les questions de non‑contrefaçon et de validité intéressant le titulaire d’un brevet (la première personne) et la personne sollicitant un AC du ministre (la deuxième personne) sont d’abord soulevées dans un avis d’allégation ‑ que la seconde personne signifie à la première personne – dans lequel la seconde personne fait ses allégations et fournit un énoncé du droit et des faits invoqués à l’appui de celles‑ci. La première personne peut s’opposer et demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à la seconde personne avant l’expiration du brevet.

 

[…]

 

[8]  Le recours prévu à l’article 6 du Règlement n’est pas assimilable à une action par laquelle le tribunal est appelé à décider de la validité d’un brevet et à se prononcer sur la contrefaçon. Il s’agit d’une procédure de contrôle judiciaire expéditive, qui vise à faire déterminer s’il est loisible au ministre de délivrer l’avis de conformité demandé. Elle ne sert que des fins administratives : Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.). Le tribunal doit déterminer si les allégations de la seconde personne sont suffisamment étayées pour justifier une conclusion, à des fins administratives (la délivrance d’un avis de conformité), portant que le brevet du demandeur ne serait pas contrefait si le produit de la seconde personne est commercialisé : Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.).

 

[9]  Du simple fait qu’il exerce le recours prévu à l’article 6, le demandeur peut obtenir l’équivalent d’une injonction interlocutoire sans avoir à satisfaire à l’un ou l’autre des critères qu’un tribunal appliquerait en temps normal avant d’interdire la délivrance d’un avis de conformité : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), (1998), 80 C.P.R. (3d) 368 (C.S.C.); […]. Le Règlement autorise le tribunal à décider sommairement, sur le fondement de la preuve produite, si les allégations sont fondées. Le recours prévu à l’article 6 ne fait pas appel à la fonction juridictionnelle et la décision qui en résulte n’a pas l’autorité de la chose jugée. Le breveté n’est aucunement privé des recours qui lui sont normalement ouverts en vue de faire respecter ses droits. Si un examen au fond des questions de validité ou de contrefaçon est nécessaire, il pourra procéder suivant la voie ordinaire en introduisant une action 

 

Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., (2001), 11 C.P.R. (4th) 245 (C.A.F.); […].

 

[Non souligné dans l’original.]

[…]

 

 

18     Notre Cour a examiné le champ d’application de l’article 8 et sa relation avec l’action en invalidation dans l’arrêt Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., 2010 CAF 155. La juge Dawson, pour une cour unanime, a écrit ce qui suit au paragraphe 36 :

 

[36]  Aux termes de la version du Règlement de 1993, lorsqu’un innovateur engageait une procédure visant à obtenir une ordonnance d’interdiction, il obtenait l’équivalent d’une injonction interlocutoire interdisant la délivrance d’un avis de conformité jusqu’à un maximum de 30 mois. L’innovateur n’est pas tenu de satisfaire au critère pour l’obtention d’une injonction et de s’engager à payer des dommages‑intérêts. En de telles circonstances, l’article 8 du Règlement visait à fournir un recours au fabricant de médicaments génériques lorsque l’innovateur n’arrivait pas à démontrer que les allégations d’invalidité ou d’absence de contrefaçon du fabricant n’étaient pas justifiées. À mon avis, l’article 8 ne visait pas à fournir un recours lorsque l’innovateur avait gain de cause dans la procédure d’interdiction, même si le fabricant de médicaments génériques avait ultérieurement gain de cause dans un litige en matière de brevets. Par conséquent, je suis d’accord avec le juge pour dire qu’Apotex ne peut « revenir en arrière et demander que le brevet 671 soit déclaré invalide dans le cadre de l’action au motif qu’il était expiré au sens de l’article 8 » de la version du Règlement de 1993.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[33]   En l’espèce, Bayer reproche à Cobalt d’avoir refusé de produire des échantillons malgré la requête présentée par Bayer pour contraindre Cobalt à le faire. Bayer se plaint également du fait que la Cour a refusé de contraindre Cobalt de produire les échantillons en question. Lors de la présente instance, Cobalt n’a présenté que des éléments de preuve limités au sujet de son produit en expliquant, par exemple, qu’il contient 3 mg de drospirénone et que la drospirénone sera formulée conformément à la technique dite de la « vaporisation ». La Cour doit donc examiner les allégations d’absence de contrefaçon de Cobalt ainsi que les éléments de preuve qui se trouvent au dossier pour décider si les allégations en question sont fondées ou non.

 

PEUT‑ON ALLER AU‑DELÀ DE L’AVIS D’ALLÉGATION?

[34]   La Cour d’appel a clairement statué que la seconde personne (le fabricant de médicaments génériques comme Cobalt) est tenue, dans son avis d’allégation, de soulever tous les faits et tous les moyens de droit sur lesquels elle se fonde à l’appui de ses allégations. Elle ne peut formuler de nouveaux arguments ou soulever de nouvelles allégations ou de nouveaux faits ou de nouveaux documents relatifs à l’antériorité qui ne se trouvaient pas dans son avis d’allégation (AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé national et du Bien‑être social) (2000), 7 CPR (4th) 272, aux paragraphes 21 à 24; Proctor & Gamble Pharmaceuticals Canada, Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2002 CAF 290, aux paragraphes 21 à 26).

 

[35]   Bien que cette façon de voir puisse sembler radicale, puisque de nouvelles questions peuvent de toute évidence être soulevées par les experts au fur et à mesure que l’on consulte les experts et que la preuve est produite, il est tout aussi radical de la part de la première personne qui a pris l’initiative d’introduire l’instance de devoir faire face à des allégations et des faits mouvants. Il est nécessaire de modifier la procédure, mais aucun intéressé ne semble réclamer pareil changement.

 

[36]   Dans l’état actuel des choses, la Cour doit rejeter les arguments fondés sur des faits ou des documents qui n’étaient pas mentionnés dans l’avis d’allégation, et la Cour ne peut accepter d’examiner de nouvelles allégations.

 

[37]   Je reprends à mon compte les observations formulées par le juge Stone dans l’arrêt AB Hassle, précité, au paragraphe 21, selon lesquelles l’avis d’allégation doit énoncer le droit et les faits sur lesquels se fondent les allégations d’une manière suffisamment complète pour permettre à la première personne (en l’espèce, Bayer) d’évaluer ses recours en réponse aux allégations.

 

LE BREVET 426

1.         La personne versée dans l’art

[38]   Bayer et Cobalt s’entendent dans l’ensemble sur l’identité de la personne versée dans l’art auquel le brevet 426 s’adresse. Elles conviennent que cette personne est un fabricant de produits pharmaceutiques diplômé en science pharmaceutique ou dans un domaine connexe comptant soit au moins une ou deux années d’expérience (Cobalt) soit plusieurs années d’expérience (Bayer). Voilà des descriptions suffisamment proches.

 

2.         Là où le bât blesse

[39]   Selon Cobalt, le brevet 426, y compris toutes les revendications en litige, concerne un produit contraceptif contenant de la drospirénone « micronisée ». Bayer fait valoir que le brevet n’est pas limité à la drospirénone « micronisée », mais à toutes les formes de drospirénone présentant des caractéristiques lui permettant de se dissoudre rapidement.

 

3.         Description

[40]   Le domaine de l’invention est précisé à la page 1 du brevet :

 

[traduction]

DOMAINE DE L’INVENTION

 

La présente invention concerne une composition pharmaceutique contenant de la drospirénone et de l’éthinylestradiol, une méthode permettant à la drospirénone de se dissoudre, des méthodes permettant d’inhiber l’ovulation par l’administration de drospirénone, et l’utilisation de la drospirénone et de l’éthinylestradiol pour inhiber l’ovulation.

 

 

[41]   À la section suivante, [traduction] « Contexte de l’invention », on reconnaît comme art antérieur des contraceptifs oraux contenant une association d’un progestatif et d’un œstrogène. On y indique qu’un progestatif, la drospirénone, est présenté comme étant utile pour le traitement de diverses affections, et qu’une association de drospirénone (DRSP) et d’éthinylestradiol (ÉE) serait une association médicamenteuse possible, mais non préférentielle, qui agirait comme contraceptif oral.

 

[42]   La section suivante est celle du « Résumé de l’invention », où l’on indique qu’une dose minimum ainsi qu’une dose maximum de drospirénone ont été déterminées.

 

[traduction]

RÉSUMÉ DE L’INVENTION

 

Lors des travaux de recherche ayant mené à la réalisation de la présente invention, on a étonnamment découvert qu’une dose minimum de drospirénone non encore divulguée était requise pour assurer une activité contraceptive fiable. Une dose maximum préférentielle a également été identifiée, à laquelle il est possible d’éviter dans une large mesure des effets secondaires indésirables, et en particulier une diurèse excessive.

 

[43]   Suit une [traduction] « Divulgation détaillée de l’invention » à la page 4, où l’on indique que, pour assurer une biodisponibilité adéquate de la drospirénone, celle‑ci doit être présentée sous une forme qui en permet une dissolution rapide. Le paragraphe suivant traite de la micronisation, précise les paramètres relatifs à la taille et à la distribution des particules, précise les paramètres relatifs à la dissolution et indique qu’il est possible de fournir le produit, invalide ou micronisé, par pulvérisation sur un vecteur inerte. Sans se limiter à une théorie précise, le brevet indique que la vitesse de dissolution in vivo peut accroître la biodisponibilité de la molécule. L’éthinylestradiol peut aussi être micronisé ou pulvérisé.

 

 

[traduction]

 

DIVULGATION DÉTAILLÉE DE L’INVENTION

 

 

 

5

 

 

 

 

10

 

 

La drospirénone, qui peut être essentiellement préparée selon la méthode décrite, par exemple, dans le brevet américain 4 129 564 ou le brevet WO 98/06738, est une substance peu soluble dans l’eau et dans les tampons aqueux à divers pH. Par ailleurs, la drospirénone subit un réarrangement et forme un isomère inactif dans des conditions acides, et elle subit une hydrolyse dans des conditions basiques. Par conséquent, pour en assurer une biodisponibilité adéquate, le composé est avantageusement offert dans une forme qui en favorise une dissolution rapide.

 

 

 

15

 

 

 

 

20

 

 

 

 

25

 

 

 

 

30

 

 

 

 

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5

 

 

 

 

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10

 

 

 

 

15

 

 

 

 

20

 

 

 

 

25

 

 

 

 

30

 

 

 

Il a été étonnamment observé que, lorsque la drospirénone est fournie sous une forme micronisée (de façon que les particules de la matière active aient une surface de plus de 10 000 cm2/g et qu’elles présentent la distribution suivante, déterminée au microscope, concernant les tailles  : pas plus de deux particules dans un lot donné présentant un diamètre supérieur à 30 µm, et préférentiellement ≤ 20 particules présentant un diamètre ≥ 10 µm et ≤ 30 µm) dans une composition pharmaceutique, on observe une dissolution rapide de l’ingrédient actif in vitro (on définit une « dissolution rapide » par une dissolution d’au moins 70 % de la drospirénone en environ 30 minutes, et plus particulièrement une dissolution d’au moins 80 % de la drospirénone en environ 20 minutes, à partir d’un comprimé contenant 3 mg de drospirénone, dans 900 ml d’eau à 37 °C, selon la méthode XXIII de l’USP utilisant un appareil à palette no 2 à 50 tours/minute). Plutôt que de fournir la drospirénone sous une forme micronisée, il est possible de la dissoudre dans un solvant approprié, par exemple du méthanol ou de l’acétate d’éthyle, puis de la pulvériser à la surface de particules vectrices inertes et d’incorporer lesdites particules dans la composition.

 

 

Sans se limiter à une théorie précise, il semble que la vitesse de dissolution in vitro de la drospirénone est liée à la vitesse de dissolution in vivo, ce qui entraîne une absorption rapide de la drospirénone in vivo après l’administration du comprimé par voie orale. Il s’agit d’un avantage, car l’isomérisation du composé dans l’estomac et/ou son hydrolyse dans l’intestin sont considérablement réduites, ce qui permet à la biodisponibilité du composé d’être élevée.

 

 

En ce qui concerne l’éthinylestradiol, qui est également peu soluble, quoique moins sujet à une dégradation que la drospirénone dans les conditions qui prévalent dans le tube digestif, il est également avantageux de recourir à une forme micronisée ou pulvérisée à partir d’une solution, par exemple une solution d’éthanol, sur la surface de particules vectrices inertes. Cette démarche a un autre avantage, soit celui de permettre une distribution plus homogène de l’éthinylestradiol dans le composé, ce qui serait autrement difficile à réaliser, l’éthinylestradiol étant incorporé en des quantités extrêmement faibles. Lorsqu’il est sous forme micronisée, l’éthinylestradiol présente préférentiellement la distribution suivante, déterminée au microscope, concernant les tailles  : 100 % des particules présentent un diamètre ≤ 15,0 µm, 99 % des particules présentent un diamètre ≤ 12,5 µm, 95 % des particules ont un diamètre ≤ 10,0 µm et 50 % des particules ont un diamètre ≤ 3,0 µm. De plus, aucune particule ne présente un diamètre supérieur à 20 µm et ≤ 10 particules ont un diamètre ≥ 15 µm et ≤ 20 µm.

 

 

Afin d’obtenir une meilleure vitesse de dissolution, on utilise préférentiellement des vecteurs ou des excipients qui favorisent la dissolution des deux matières actives. Il peut par exemple s’agir de substances qui sont facilement solubles dans l’eau, comme les dérivés de la cellulose, suivante, déterminée au microscopecette cpire la carboxyméthylcellulose, l’hydroxypropylcellulose, l’hydroxypropylméthylcellulose, de l’amidon gélatinisé, de la gélatine ou la polyvinylpyrrolidone. Il semble en particulier que la polyvinylpyrrolidone soit particulièrement utile pour favoriser la dissolution.

 

La composition de l’invention comprend préférentiellement une quantité de drospirénone correspondant à une dose quotidienne allant d’environ 2,5 mg à environ 3,5 mg, et en particulier à une dose d’environ 3 mg. La quantité d’éthinylestradiol correspond préférentiellement à une dose quotidienne allant d’environ 0,015 mg à environ 0,04 mg, et en particulier à une dose d’environ 0,015 mg à environ 0,03 mg. Plus particulièrement, la présente composition comprend une quantité de drospirénone correspondant à une dose quotidienne allant d’environ 3,0 à environ 3,5 mg et une quantité d’éthinylestradiol correspondant à environ 0,015 mg à environ 0,03 mg.

 

 

Outre sa capacité à inhiber l’ovulation, la composition de l’invention s’est révélée posséder des propriétés antiandrogéniques prononcées, et peut par conséquent être utilisée dans la prévention ou le traitement de troubles liés aux androgènes, en particulier l’acné. L’utilisation de la composition à cette fin peut se faire indépendamment de son emploi en guise de contraceptif divulgué ci‑dessus ou en concomitance avec un tel emploi. De plus, étant donné que la drospirénone est un antagoniste de l’aldostérone, elle a des propriétés diurétiques et constitue par conséquent un moyen adéquat de contrecarrer la rétention d’eau causée par l’éthinylestradiol.

 

Dans l’une de ses réalisations, l’invention concerne une préparation pharmaceutique consistant en un nombre donné de formes pharmaceutiques quotidiennes emballées séparément et pouvant être retirées individuellement […]

 

[…] à partir d’une solution, par exemple une solution d’éthanol, sur la surface de particules vectrices inertes. Cette démarche a un autre avantage, soit celui de permettre une distribution plus homogène de l’éthinylestradiol dans le composé, ce qui serait autrement difficile à réaliser, l’éthinylestradiol étant incorporé en des quantités extrêmement faibles. Lorsqu’il est sous forme micronisée, l’éthinylestradiol présente préférentiellement la distribution suivante, déterminée au microscope, concernant les tailles  : 100 % des particules présentent un diamètre ≤ 15,0 µm, 99 % des particules présentent un diamètre ≤ 12,5 µm, 95 % des particules ont un diamètre ≤ 10,0 µm et 50 % des particules ont un diamètre ≤ 3,0 µm. De plus, aucune particule ne présente un diamètre supérieur à 20 µm et ≤ 10 particules ont un diamètre ≥ 15 µm et ≤ 20 µm.

 

 

[44]   La divulgation détaillée décrit ensuite les vecteurs et les excipients, diverses doses, les autres utilités, le conditionnement, la posologie quotidienne et la période d’arrêt.

 

[45]   À la page 9, le brevet traite de la formulation sous toutes les formes connues dans le domaine pharmaceutique :

 

 

[traduction]

10

 

 

 

 

15

 

 

 

 

20

 

 

 

 

25

 

 

 

 

 

La composition de l’invention peut être formulée selon toutes les méthodes connues dans le domaine pharmaceutique. Plus particulièrement, comme indiqué ci‑dessus, la composition peut être formulée selon une méthode comprenant de la drospirénone et, facultativement, de l’éthinylestradiol sous forme micronisée ou pulvérisée à partir d’une solution sur des particules vectrices inertes comme adjuvant avec un ou plusieurs excipients pharmaceutiquement acceptables favorisant la dissolution de la drospirénone et de l’éthinylestradiol de façon à permettre une dissolution rapide de la drospirénone et, préférentiellement, de l’éthinylestradiol en administration orale. Les excipients adéquats sont notamment des sucres, comme le lactose, le glucose ou le saccharose; des alcools de sucre, comme le mannitol, le sorbitol et le xylitol; des amidons, comme l’amidon de blé, l’amidon de maïs ou l’amidon de pomme de terre; de l’amidon modifié ou du glycolate d’amidon sodique; des lubrifiants, comme le talc, le stéarate de magnésium, le stéarate de calcium, la silice colloïdale ou l’acide stéarique; et des liants, comme la polyvinylpyrrolidone, les dérivés de la cellulose, la carboxyméthylcellulose, l’hydroxypropylcellulose, l’hydroxypropylméthylcellulose, la méthylcellulose ou la gélatine, pour la fabrication de formes pharmaceutiques destinées à une administration par voie orale, comme des comprimés, des pilules ou des gélules.

 

 

[46]   Il est ensuite question du fait que les comprimés peuvent être pelliculés (à ne pas confondre avec un enrobage gastrorésistant) et que la composition peut également être présentée sous forme liquide. Il est également question du conditionnement, de la forme pharmaceutique destinée à l’administration parentérale et de la forme pharmaceutique destinée à l’administration transdermique.

 

[47]   Cinq exemples sont ensuite présentés. Le premier exemple concerne la préparation de comprimés contenant de la drospirénone micronisée et de l’éthinylestradiol micronisé. Le deuxième exemple concerne la vitesse de dissolution de la drospirénone dans ces comprimés. Le troisième exemple concerne la vitesse de dissolution de l’éthinylestradiol. Le quatrième exemple concerne la biodisponibilité de ces composés dans les comprimés. Le cinquième exemple concerne l’efficacité contraceptive.

 

[48]   Sont ensuite présentées les revendications, lesquelles sont au nombre de 53.

 

4.         Les revendications – Interprétation

[49]   L’avocat de Bayer s’est essentiellement attardé à la revendication 31, mais également aux revendications 1 et 30.

 

[50]   La revendication 1 mentionne la drospirénone micronisée, sans préciser la forme sous laquelle l’éthinylestradiol est présent :

 

 

[traduction]

 

1.         Une composition pharmaceutique contenant d’environ 2 mg à environ 4 mg de particules micronisées de drospirénone, d’environ 0,01 mg à environ 0,05 mg de 17α‑éthinylestradiol, et d’un ou de plusieurs vecteurs pharmaceutiquement acceptables, la composition étant présentée sous une forme destinée à l’administration orale et étant un contraceptif oral efficace chez la femme.

 

[51]   La revendication 3 précise que l’éthinylestradiol peut être micronisé ou pulvérisé :

 

 

[traduction]

 

3.         Une composition selon la revendication 1 ou 2, dans laquelle l’éthinylestradiol est présent sous une forme micronisée ou pulvérisée à partir d’une solution sur des particules d’un vecteur inerte.

 

[52]   Il est à noter qu’aucune revendication du brevet 426 ne revendique clairement que la drospirénone peut être pulvérisée. Cette situation est différente de celle qui prévalait dans l’affaire Gedeon Richter, précitée, sur laquelle s’était penchée la Cour d’appel du Royaume‑Uni et où l’on peut voir, au paragraphe 30 des raisons citées par cette cour, que la revendication 2, ainsi que toutes les revendications qui en dépendent, précise que la drospirénone peut être sous une forme micronisée ou pulvérisée. Les lois du Royaume‑Uni concernant les brevets permettent aux tribunaux de modifier des revendications.

 

[53]   La revendication 30 ne définit la drospirénone qu’en fonction de la taille des particules (mais non en fonction de la distribution des particules, comme il est également précisé dans la description du brevet) :

 

 

[traduction]

 

30.        Une composition pharmaceutique comprenant :

d’environ 2 mg à environ 4 mg de particules de drospirénone, ces particules ayant une surface de plus de 10 000 cm2/g;

d’environ 0,01 mg à environ 0,05 mg de 17α‑éthinylestradiol; et

 

un ou plusieurs vecteurs pharmaceutiquement acceptables;

la composition étant présentée sous une forme destinée à l’administration orale et étant un contraceptif oral efficace chez la femme.

 

[54]   La revendication 31 définit la drospirénone uniquement en fonction de sa vitesse de dissolution :

 

 

[traduction]

 

31.        Une composition pharmaceutique comprenant :

d’environ 2 mg à environ 4 mg de particules de drospirénone, la drospirénone étant sous une forme qui, lorsqu’elle se trouve dans un comprimé contenant 3 mg de drospirénone, présente une dissolution telle qu’au moins 70 % de la drospirénone est dissoute dans 900 ml d’eau à 37 °C (± 0,5 °C) en 30 minutes, selon la méthode XXIII de l’USP, utilisant un appareil à palette no 2 à 50 tours/minute, à l’aide de six récipients de verre recouverts et de six palettes;

d’environ 0,01 mg à environ 0,05 mg de 17α‑éthinylestradiol; et

un ou plusieurs vecteurs pharmaceutiquement acceptables;

la composition étant présentée sous une forme orale et étant un contraceptif oral efficace chez la femme.

 

[55]   Les parties ont des opinions divergentes en ce qui concerne les revendications 30 et 31. Selon Cobalt, la taille des particules et la vitesse de dissolution ne concernent que la forme micronisée de la drospirénone. Selon Bayer, la vitesse de dissolution concerne tout au moins la drospirénone sous l’une ou l’autre forme, c’est‑à‑dire micronisée ou pulvérisée.

 

[56]   Pour étayer son argument, Cobalt renvoie à la page 4 de la description du brevet, où la taille des particules (et leur distribution), de même que la vitesse de dissolution, sont présentées après la mention de la drospirénone micronisée, et en s’appuyant sur les revendications qui précisent de façon explicite que la pulvérisation ne concerne que l’éthinylestradiol.

 

[57]   À l’appui de sa position, Bayer allègue qu’on peut lire, à la page 4 de la description, que la drospirénone peut être pulvérisée, et, à la page 9, que la composition peut être formulée selon toutes les méthodes connues dans le domaine, c’est‑à‑dire micronisée ou pulvérisée. Selon Bayer, le point essentiel du brevet n’est pas la micronisation de la drospirénone, mais plutôt sa dissolution rapide, comme l’indique la dernière phrase du premier paragraphe de la page 4, dans la divulgation détaillée :

 

[traduction]

Afin que le composé présente une bonne biodisponibilité, ledit composé est présenté de façon avantageuse sous une forme qui en favorise la dissolution rapide.

 

[58]   Cet énoncé est suivi de l’énoncé suivant, au début du dernier paragraphe complet de la page 4 :

 

[traduction]

Sans se limiter à quelque théorie que ce soit, il semble que la vitesse de dissolution in vitro de la drospirénone est liée à la vitesse de dissolution in vivo, ce qui signifie que la drospirénone est absorbée rapidement in vivo lorsque le composé est administré par voie orale.

 

[59]   Bien que l’on ne puisse nullement affirmer que l’affaire ne suscite aucun doute, je crois que l’interprétation de Bayer est celle qui est juste et que la revendication 31, ainsi que les revendications qui en dépendent, ne se limite pas à la drospirénone sous une forme micronisée, mais concerne toutes les formes permettant d’obtenir la vitesse de dissolution rapide mentionnée dans la revendication.

 

[60]   Après avoir interprété la revendication 31, je me pencherai sur les autres questions concernant le brevet 426.

 

5.         Absence de contrefaçon

[61]   L’avis d’allégation de Cobalt précise, aux paragraphes 294 à 300, que ni la drospirénone ni l’éthinylestradiol ne sont micronisés dans les contraceptifs oraux de la société.

 

[62]   Dans la Présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) déposée en preuve par Cobalt, on peut lire que le procédé de fabrication du produit de Cobalt comporte une étape au cours de laquelle la drospirénone et l’éthinylestradiol sont dissous séparément, une étape au cours de laquelle ces deux composés sont pulvérisés sur un vecteur inerte, une étape de séchage et une étape de mélange.

 

[63]   M. Davies, l’un des experts de Bayer, précise ce qui suit en ce qui concerne ce procédé aux paragraphes 71 à 73 de son affidavit relatif à la contrefaçon :

 

[traduction]

71.       Cobalt fabrique ses comprimés en dissolvant de la drospirénone dans une solution, puis en pulvérisant ladite solution sur des particules vectrices de lactose et d’amidon de maïs. L’autre IPA, l’éthinylestradiol, est dissous de façon analogue dans une solution, puis pulvérisé sur des granules. Après l’évaporation du solvant, le composé demeure éparpillé à la surface du vecteur.

 

72.       Cette technique vise à accroître la vitesse de dissolution des médicaments. Lorsque le vecteur inerte entre en contact avec un milieu aqueux (par exemple dans l’estomac) les particules du médicament se dispersent rapidement et présentent une plus grande surface de contact, ce qui permet au médicament de se dissoudre rapidement. En maintenant les particules du médicament séparées, le vecteur réduit également le risque d’agrégation.

 

73.       Le recours à cette méthode pour améliorer la vitesse de dissolution est exposé de façon détaillée dans le brevet. Bien que Cobalt nie, dans sa lettre, fabriquer des comprimés de cette façon, il est clair à la lecture de sa divulgation qu’il s’agit précisément de la méthode qu’elle emploie.

 

[64]   Au paragraphe 77 de son affidavit relatif à la contrefaçon, M. Davies explique que ce procédé « peut » entraîner la formation de particules micronisées :

 

[traduction]

77.       En outre, l’information fournie par Cobalt au sujet de la taille des particules de drospirénone en vrac est dénuée de sens, car la méthode de Cobalt comporte une étape au cours de laquelle ces particules sont dissoutes dans une solution. Lorsque Cobalt dissout la drospirénone, les particules se désagrègent et se dissolvent dans la solution. La solution est ensuite pulvérisée à la surface de vecteurs inertes, où la drospirénone se cristallise pour former de nouvelles particules. Il est possible que les particules résultantes présentent une taille, une distribution et une surface qui correspondent à la définition du terme « micronisé » telle qu’il est défini dans le brevet 426. Cela signifie que le procédé de fabrication de Cobalt peut mener à la formation de drospirénone sous une forme micronisée, comme défini dans le brevet 427.

 

[65]   Au paragraphe 79 de son affidavit relatif à la contrefaçon, M. Davies explique que la seule façon de savoir si Cobalt utilise la drospirénone sous une forme micronisée est d’examiner les comprimés mêmes.

 

[66]   Cobalt a refusé de fournir un échantillon des comprimés.

 

[67]   Cobalt n’a formulé aucune allégation en ce qui concerne l’absence de contrefaçon et indique simplement que son produit ne serait pas « micronisé ». Selon mon interprétation, la revendication 31 du brevet 426 n’est pas limitée à un comprimé « micronisé »; la limitation ne concerne que les paramètres relatifs à la dissolution. Cobalt n’a fourni aucune information au sujet de ces paramètres de dissolution.

 

[68]   Étant donné que Cobalt doit fournir, dans son avis d’allégation, suffisamment de renseignements pour que Bayer puisse réagir aux allégations formulées, et compte tenu du fait que Cobalt n’a fourni aucun échantillon des comprimés ni aucune preuve en ce qui concerne les paramètres relatifs à la dissolution de ses comprimés, je dois conclure que les allégations de Cobalt, selon lesquelles elle ne contrefait ni la revendication 31 du brevet 426, ni les revendications qui en dépendent, ne sont pas fondées.

 

6.         Validité – Évidence

[69]   Aux paragraphes 305 à 339 de son avis d’allégation, Cobalt formule des allégations au sujet des connaissances générales courantes dans le domaine et au sujet de l’évidence.

 

[70]   En ce qui concerne ce brevet, qui a été déposé le 31 août 2000, et qui revendiquait une priorité sur le fondement d’une demande déposée le 31 août 1999, la Loi sur les brevets précise que l’évidence doit être déterminée en fonction de la « date de la revendication » (article 28.3), qui en l’espèce, correspond à la date d’antériorité, soit le 31 août 1999 (article 28.1). L’avocat de Cobalt a déclaré à l’audience que Cobalt ne contestait pas la date du 31 août 1999 comme date de la revendication.

 

[71]   Le critère de l’évidence en matière de brevets canadiens a été énoncé par la Cour suprême du Canada pour être ensuite repris par la Cour d’appel fédérale. J’ai examiné la question à fond dans la décision récente que j’ai rendue dans l’affaire Novartis Pharmaceuticals Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 985, aux paragraphes 60 à 66. Je ne répéterais pas ces paragraphes ici mais me contenterai de mentionner les règles de droit qui y sont énoncées.

 

[72]   J’ai déjà parlé de la personne versée dans l’art à laquelle s’adresse le brevet.

 

[73]   Les connaissances générales courantes dans le domaine en août 1999 ont été examinées par les experts des parties, en l’occurrence, M. Davis, pour Bayer, et Mme Pramar, pour Cobalt.

 

[74]   On peut résumer le témoignage de Mme Pramar dans les extraits suivants de son affidavit sur la validité :

 

[traduction]

I           CONNAISSANCES GÉNÉRALES COURANTES – BREVET 426

 

Contraceptif oral caractérisé par une association médicamenteuse de drospirénone et d’éthinylestradiol

 

88.       En date du 31 août 1999, la personne versée dans l’art saurait que la drospirénone et l’éthinylestradiol pouvaient être associés ou mélangés selon des techniques classiques de façon à former un contraceptif oral efficace. Dans le brevet 426, le titulaire du brevet cite diverses références qui enseignent l’utilisation de la drospirénone et de l’éthinylestradiol pour la fabrication d’un contraceptif oral.

 

89.       De plus, en date du 31 août 1999, il y avait un certain nombre de brevets et d’articles scientifiques qui avaient été publiés et qui auraient enseigné à la personne versée dans l’art que la drospirénone, associée à l’éthinylestradiol, pouvait être soumise à des procédés classiques pour former un contraceptif oral efficace.

 

[. . .]

 

But de la micronisation

 

94.       Depuis les années 1970, les fabricants de médicaments ont élaboré de nombreuses techniques visant à accroître la biodisponibilité de médicaments administrés par voie orale. En date du 31 août 1999, la micronisation était une technique bien connue qui permettait d’accroître la biodisponibilité de tels médicaments.

 

[. . .]

 

Micronisation de la spironolactone

 

96.       En date du 31 août 1999, la personne versée dans l’art aurait su que la drospirénone était un analogue chimique de la spironolactone.

 

97.       En date du 31 août 1999, la personne versée dans l’art aurait également su que la micronisation améliorait l’absorption et la biodisponibilité de la spironolactone. Il existait un certain nombre de documents de l’art antérieur qui l’enseignaient.

 

[. . .]

 

Micronisation de la progestérone

 

101.     En date du 31 août 1999, la personne versée dans l’art aurait su que la drospirénone était une progestine (un progestatif de synthèse) présentant des effets semblables à ceux de la progestérone.

 

102.     En date du 31 août 1999, la personne versée dans l’art aurait également su que la micronisation améliorait l’absorption et la biodisponibilité de la progestérone. Il existait un certain nombre de documents de l’art antérieur qui l’enseignaient.

 

[. . .]

 

Micronisation de la spirorénone

 

105.     En date du 31 août 1999, la personne versée dans l’art aurait su que la drospirénone était un métabolite de la spirorénone et que la spirorénone était un stéroïde présentant une structure analogue à celle de la drospirénone.

 

[. . .]

 

106.     En date du 31 août 1999, la personne versée dans l’art aurait également su que la micronisation améliorait l’absorption et la biodisponibilité de la spirorénone. Il existait un certain nombre d’antériorités qui l’enseignaient.

 

 

[75]   Mme Pramar a passé en revue des articles scientifiques, désignés « Krause I », « Krause II » et « Krause III », publiés par la société Schering, une société absorbée par Bayer. Elle parvient à la conclusion suivante :

 

[traduction]

120.     En lisant les articles de Krause, la personne versée dans l’art aurait compris, étant donné que la spirorénone et la drospirénone sont des substances apparentées (les deux molécules sont des stéroïdes, sont des dérivés de la spironolactone et présentent la même structure chimique, à l’exception d’un lien à un endroit), que la drospirénone subirait une isomérisation in vitro, mais qu’elle serait absorbée rapidement in vivo. Plus particulièrement, la personne versée dans l’art aurait su que la drospirénone serait absorbée plus rapidement qu’elle serait isomérisée.

 

121.     La personne versée dans l’art aurait également compris que l’instabilité de la drospirénone dans un milieu acide in vitro ne poserait pas de problème in vivo et que la seule réelle difficulté aurait été celle d’une faible solubilité du médicament, difficulté qu’il serait notamment possible de surmonter grâce à la micronisation.

 

122.     La personne versée dans l’art aurait connu les limites associées au fait de substituer des épreuves in vitro à des épreuves in vivo, et elle saurait que les études in vitro ne sont pas fiables, à moins que l’on puisse établir une corrélation avec le comportement du médicament in vivo. (Un point enseigné dans la référence Aulton que j’ai mentionnée au paragraphe 99 ci‑dessus et dans une autre référence, un article rédigé par McGilveray publié en 1996 qui était intitulé « Overview of Workshop: In Vitro Dissolution of Immediate Release Dosage Forms: Development of In Vivo Relevance and Quality Control Issues » [dont je joins une copie à mon affidavit en tant que pièce « E‑81 »].)

 

[76]   Mme Pramar a traité de la pulvérisation, « la méthode de dépôt », aux paragraphes 123 et 124 de son affidavit :

 

[traduction]

Méthode de dépôt

 

123.     En date du 31 août 1999, la personne versée dans l’art serait bien au fait du procédé consistant à fabriquer une composition pharmaceutique en dissolvant l’ingrédient actif dans un solvant adéquat (comme du méthanol ou de l’acétate d’éthyle) puis en pulvérisant cette solution à la surface de particules vectrices inertes, après quoi ces particules seraient incorporées dans la composition.

 

124.     Cette méthode de formulation, appelée « méthode de dépôt », est enseignée dans les documents de l’art antérieur depuis au moins les années 1980.

 

[77]   M. Davies n’est pas du même avis que Mme Pramar, essentiellement en ce qui concerne le fait que la drospirénone, contrairement à d’autres médicaments comme la spirorénone, est labile en milieu acide, c’est‑à‑dire qu’elle se convertit rapidement en une molécule légèrement différente (isomérisation) en présence d’un acide, comme dans l’estomac. Selon les idées généralement admises dans le domaine, la micronisation d’un médicament labile en milieu acide ferait en sorte de le rendre encore plus susceptible de subir une telle conversion, ce qui en ferait un candidat très peu intéressant pour la mise au point d’un contraceptif oral. Dans son affidavit relatif à la validité, il écrit ce qui suit :

 

[traduction]

119.     Le fondement sur lequel repose l’opinion de Mme Pramar est le fait que la personne versée dans l’art aurait su que l’instabilité in vitro de la drospirénone en milieu acide ne poserait pas un problème in vivo et que la micronisation permettrait de contourner la difficulté posée par le faible degré de solubilité de la molécule.

 

120.     À mon avis, ces affirmations sont incorrectes à la lumière des connaissances générales courantes et des documents de l’art antérieur qui existaient en août 1999.

 

121.     Le formulateur versé dans l’art aurait ignoré qu’il était possible de préparer une formulation à base de drospirénone qui puisse se dissoudre rapidement, y compris sous une forme micronisée, et qui pourrait être utilisée en tant que contraceptif. Bien au contraire, la personne versée dans l’art savait que la drospirénone était un composé labile en milieu acide et qu’elle se dégraderait si elle était présentée sous une forme à libération immédiate.

 

122.     Ainsi, contrairement à la progestérone, par exemple, une hormone stéroïdienne qui n’est pas labile en milieu acide, la personne versée dans l’art aurait su qu’il faudrait protéger la drospirénone contre l’acidité de l’estomac en utilisant un enrobage gastrorésistant. Le fait que le brevet enseigne qu’il était possible d’obtenir une grande biodisponibilité de la drospirénone au moyen d’une formulation à dissolution rapide était une invention inattendue.

 

[. . .]

 

La micronisation de la drospirénone n’était pas rendue évidente par la micronisation d’autres médicaments

 

124.     Mme Pramar est d’avis que la personne versée dans l’art aurait également compris que l’instabilité de la drospirénone dans un milieu acide in vitro ne poserait pas de problème in vivo et que la seule réelle difficulté aurait été celle d’une faible solubilité du médicament, difficulté qu’il serait notamment possible de surmonter grâce à la micronisation.

 

125.     Pour étayer son opinion, Mme Pramar affirme que les documents de l’art antérieur enseignaient que les composés suivants, analogues à la drospirénone sur le plan de la structure et/ou de l’effet biologique, pouvaient être micronisés : la spironolactone, la progestérone et la spirorénone.

 

126.     Je ne crois pas que la micronisation de la drospirénone aurait été rendue évidente par la micronisation de l’une ou l’autre de ces molécules, et je crois encore moins qu’il s’agissait d’un choix viable.

 

La micronisation ne permet pas toujours d’augmenter la vitesse de dissolution

 

127.     En août 1999, la personne versée dans l’art aurait compris que, malgré le fait qu’il puisse être possible d’accroître la biodisponibilité d’une substance en augmentant la vitesse de dissolution, cela ne serait pas nécessairement le cas en l’espèce.

 

128.     La personne versée dans l’art aurait également su que la micronisation d’une molécule peu soluble dans l’eau pouvait en augmenter la vitesse de dissolution, mais que cela n’était pas inévitable. Dans certaines situations, lorsque la taille d’une particule est très faible, on peut observer des effets statiques favorisant l’agglomération des petites particules, ce qui irait à l’encontre du but que l’on s’était fixé, c’est‑à‑dire de réduire la taille des particules.

 

129.     À la lumière de ces deux faits, il n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art que la micronisation augmenterait efficacement la vitesse de dissolution de la drospirénone de façon à ce que le médicament présente une biodisponibilité adéquate.

 

La progestérone et la spironolactone ne sont pas labiles en milieu acide

 

130.     Mme Pramar souligne qu’il était notoire que la progestérone, un composé présentant des effets progestiniques semblables à la drospirénone, pouvait être micronisée.

 

131.     Ce fait n’aurait toutefois présenté aucun intérêt pour la personne versée dans l’art cherchant à mettre au point un contraceptif oral à base de drospirénone, car la progestérone n’est pas labile en milieu acide. Les facteurs à prendre en considération seraient donc complètement différents de ceux à prendre en considération dans le cas d’un médicament labile en milieu acide comme la drospirénone.

 

132.     En 1999, on savait que la drospirénone était labile en milieu acide, et un formulateur versé dans l’art aurait élaboré une formulation en se fondant sur les propriétés physicochimiques uniques de la drospirénone et non sur les propriétés physico‑chimiques d’un autre médicament pour la simple raison que les deux médicaments font partie de la même classe thérapeutique. Il aurait été illogique de choisir la formulation d’un médicament (la drospirénone) en se fondant simplement sur la formulation d’un autre médicament de la même classe (la progestérone).

 

133.     Mme Pramar indique également qu’il était notoire que la spironolactone, un composé utilisé pour traiter une surcharge liquidienne dans l’organisme, pouvait être micronisée de façon à en accroître la dissolution et la biodisponibilité. Mais il faut une fois de plus préciser que la spironolactone n’est pas labile en milieu acide et que, par conséquent, contrairement à la drospirénone, il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter de sa dégradation si elle était micronisée. Il n’y a aucune analogie.

 

134.     En fait, dans l’article de McInnes et al. sur la biodisponibilité de la spironolactone cité par Mme Pramar, les auteurs présentent tout d’abord les résultats d’une étude in vitro sur la dissolution de la spironolactone dans des conditions reflétant celles qui prévalent dans l’estomac. Selon ces résultats, le profil de dissolution est complètement différent de celui de la drospirénone dans les mêmes conditions (montré par M. Tack).

 

[. . .]

 

135.     Comme on peut le constater dans la figure ci‑dessus, la concentration de la spironolactone a augmenté en fonction du temps, tant avec la forme micronisée qu’avec la forme non micronisée. La personne versée dans l’art qui aurait voulu améliorer la biodisponibilité de la spironolactone et qui aurait soumis le composé à une épreuve in vitro n’aurait par conséquent aucune raison de s’opposer à la micronisation. Le problème de la labilité en milieu acide, qui existait dans le cas de la drospirénone, n’existait pas dans le cas de la spironolactone. Par conséquent, la personne versée dans l’art n’aurait pas été influencée par l’augmentation signalée de la biodisponibilité de la spironolactone étant donné que cette molécule n’est pas labile en milieu acide, contrairement à la drospirénone.

 

136.          J’ai déjà cité la référence Aulton, à la page 156, où l’on peut lire ce qui suit :

 

« une diminution [de la taille des particules] entraînerait non seulement une augmentation de la vitesse de dissolution du médicament dans le suc gastrique, mais en accroîtrait également la dégradation. Il s’ensuivrait que la quantité de médicament intacte pouvant être absorbée dans l’intestin grêle serait diminuée. »

 

137      En raison de cette distinction critique, les références supplémentaires citées par Mme Pramar, comme celles d’Aulton et de Chaumeil au sujet de l’amélioration de la dissolution et/ou de la biodisponibilité d’un médicament peu soluble en ayant recours à la micronisation, ne sont pas valables étant donné que la drospirénone représentait un cas particulier, à savoir celui d’un médicament labile en milieu acide.

 

138.     La personne versée dans l’art saurait que l’utilisation d’un médicament labile en milieu acide sous une forme micronisée – ou en utilisant une autre méthode dans le but d’augmenter la vitesse de dissolution – accroîtrait la dégradation subie dans l’estomac. Ce problème serait encore pire dans le cas d’un contraceptif administré à faible dose, car une grossesse pourrait survenir si la dose était inadéquate. Et l’idée inventive du brevet 426 est le fait que la drospirénone, sous une forme micronisée (ou sous toute autre forme lui permettant de se dissoudre rapidement), est associée à une bonne biodisponibilité malgré le fait qu’il s’agisse d’une molécule labile en milieu acide.

 

 

[78]   En contre‑interrogatoire, Mme Pramar a admis qu’elle ne connaissait aucune publication scientifique traitant de l’isomérisation de la spironolactone à un pH de 1 (Q 46). Elle ne pouvait pas dire si la spironolactone était un contraceptif oral, car il ne s’agit pas de son domaine d’expertise (Q 196). Elle ne pouvait pas dire si elle était au courant des références de Krause avant que l’avocat de Bayer les lui remette (Q 198).

 

[79]   À l’opposé, M. Davies semblait très à l’aise pour discuter des références. Il affirme, en répondant à la question 667 de son contre‑interrogatoire, que l’information avancée par Mme Pramar n’aurait pas contribué à la réalisation de l’invention.

 

[80]   Je préfère la preuve présentée par M. Davies à cet égard. En août 1999, on savait que l’association de la drospirénone et de l’éthinylestradiol, dans des concentrations correspondant à l’intervalle mentionné dans les revendications du brevet 426, pouvait être utilisée comme contraceptif oral. Cependant, on ignorait que la dissolution de la drospirénone dans l’estomac pouvait être accrue si elle était présentée sous une forme micronisée, sans enrobage gastrorésistant. Contrairement à ce que l’on pourrait observer dans le cadre d’une épreuve in vitro, l’administration d’un tel médicament in vivo ne serait pas associée à une isomérisation excessive dans l’estomac.

 

[81]   Comme je l’ai mentionné, l’idée inventive est que la drospirénone puisse être fournie sous une forme micronisée, ou sous une autre forme lui permettant de se dissoudre rapidement, sans enrobage gastrorésistant, dans un contraceptif oral contenant une association de drospirénone et d’éthinylestradiol.

 

[82]   La différence entre l’art antérieur et l’idée inventive est le fait que la drospirénone soit présentée sous une forme micronisée, ou sous une autre forme lui permettant de se dissoudre rapidement, de façon à produire un contraceptif oral efficace.

 

[83]   Je considère que la différence n’allait pas plus ou moins de soi. L’art antérieur ne pointait pas vers les médicaments labiles en milieu acide, comme la drospirénone, présentés sous une forme à dissolution rapide. Les tentatives antérieures ont été réalisées in vitro; la découverte capitale était d’ignorer les résultats obtenus in vitro et d’effectuer des tests in vivo, lesquels ont produit des résultats inattendus.

 

[84]   L’avocat de Cobalt s’est attardé longuement dans son exposé sur ce qu’il a décrit comme étant le contexte inventif, en discutant notamment des travaux de M. Tack et d’autres spécialistes de Schering/Bayer. La plupart des affirmations formulées par l’avocat de Cobalt n’étaient pas étayées par la preuve déposée par MM. Tack et Humpel; ces arguments étaient plutôt fondés sur des suppositions et sur des conclusions formulées à partir de divers éléments de preuve. Je ne suis pas à l’aise avec l’idée de m’appuyer sur de telles suppositions.

 

[85]   La Cour détient par contre la preuve présentée par MM. Tack et Humpel, selon laquelle Schering (aujourd’hui Bayer) menait des essais dans les années 1980 avec des comprimés « normaux » et des comprimés gastrorésistants contenant de la drospirénone. Les comprimés « normaux » étaient micronisés, et l’on pouvait observer une isomérisation en milieu acide in vitro. Pour cette raison, Schering a décidé d’utiliser un comprimé gastrorésistant.

 

[86]   En 1983 et en 1984, M. Tack a mené des tests in vivo avec de la drospirénone micronisée et s’est aperçu que la substance ne se dégradait pas. La société Bayer a mené des travaux plus poussés et en est venue à produire un comprimé de drospirénone micronisée, sans enrobage gastrorésistant, qui se dissolvait rapidement.

 

[87]   Je conclus, vu l’ensemble de la preuve, que l’invention du brevet 426 n’allait pas de soi; elle allait à l’encontre des conceptions qui existaient à l’époque et elle n’était pas évidente.

 

[88]   Je constate que Cobalt a abandonné son moyen tiré de la nouveauté qui était en partie fondé sur le brevet canadien 2 016 780. En tout état de cause, cet argument n’avait pas été allégué, à cet égard, dans l’avis d’allégation de Cobalt.

 

7.         Utilité et prédiction valable

[89]   Les arguments de Cobalt en ce qui concerne l’inutilité du produit et l’absence de prédiction valable ont été exposés aux paragraphes 346 à 351 de son avis d’allégation :

 

[traduction]

LL.      Inutilité et absence de prédiction valable

 

345.          Le critère juridique est exposé aux paragraphes 88 à 90 ci‑dessus.

 

346.          En date du 31 août 2000, le breveté n’avait pas démontré l’utilité de l’objet de l’invention revendiqué dans le brevet 426 et ne pouvait avoir prédit de manière valable que cet objet présenterait une quelconque utilité.

 

347.          Comme mentionné ci‑dessus, l’invention alléguée du brevet 426 est une composition pharmaceutique contenant d’environ 2 mg à environ 4 mg de particules de drospirénone micronisée et d’environ 0,01 mg à environ 0,05 mg de 17α‑éthinylestradiol destinée à une utilisation comme contraceptif oral chez la femme.

 

348.          Le breveté indique que « lorsque la drospirénone est présente sous une forme micronisée dans une composition pharmaceutique, on observe une dissolution rapide du principe actif in vitro » (page 4, lignes 11 à 16) et qu’« il semble que la vitesse de dissolution in vitro de la drospirénone est liée à la vitesse de dissolution in vivo, ce qui entraîne une absorption rapide de la drospirénone in vivo après l’administration du comprimé par voie orale » (page 4, lignes 26 à 28).

 

349.          Le breveté indique ensuite qu’une dissolution et une absorption rapides « représentent un avantage, car cela réduit considérablement l’isomérisation du composé dans l’estomac et/ou son hydrolyse dans l’intestin, de sorte que la biodisponibilité du composé est élevée » (page 4, lignes 26 à 31).

 

350.          Cependant, au moment du dépôt du brevet 426 (le 31 août 2000), les études menées par le breveté qui sont citées dans le brevet ne permettent pas de prédire l’utilité des comprimés réalisés conformément à l’exemple 1 et présentant le profil de dissolution mentionné à l’exemple 2, et elles ne permettent pas au breveté de prédire de manière valable que ces comprimés permettront à la drospirénone d’être absorbée rapidement in vivo après une administration orale.

 

351.          L’étude menée par le breveté en ce qui concerne la biodisponibilité in vivo, telle qu’elle est présentée à l’exemple 4, n’avait pas été menée avec une composition pharmaceutique contenant des particules de drospirénone micronisée. Cette étude portait plutôt sur la biodisponibilité relative d’un comprimé contenant 3 mg de drospirénone non micronisée (et 0,03 mg d’éthinylestradiol non micronisé) par rapport à une suspension orale contenant 6 mg de drospirénone et 0,06 mg d’éthinylestradiol par flacon.

 

[90]   Par le biais du témoignage de Mme Pramar, Cobalt a tenté d’invoquer d’autres arguments au sujet de l’inutilité et de l’absence de prédiction valable. Je ne vais pas examiner ces arguments, étant donné qu’ils débordent le cadre de ceux qui ont déjà été soulevés dans l’avis d’allégation.

 

[91]   La preuve au dossier déposée par M. Humpel, à savoir les pièces Q et R, montre que la drospirénone utilisée dans les essais ayant servi de fondement à l’exemple 4 du brevet était micronisée. Bien que M. Humpel n’ait eu aucune connaissance directe de la question, les pièces sont des registres commerciaux; il n’y a aucune preuve du contraire. En outre, étant donné le contexte précisé dans les exemples mentionnés dans le brevet, il ne serait pas raisonnable de supposer que la drospirénone n’était pas micronisée. Cela répond aux allégations soulevées par Cobalt au paragraphe 351 de l’avis d’allégation.

 

[92]   La dernière allégation formulée par Cobalt dans son avis doit être interprétée à la lumière de l’arrêt Sanofi‑Aventis c Apotex Inc, 2013 CAF 186, de la Cour d’appel fédérale. Dans cet arrêt, le juge Pelletier a énoncé, au nom de la majorité, le principe de droit général en ce qui concerne la norme applicable à l’utilité et à la promesse du brevet. Voici ce qu’il écrit, aux paragraphes 47 à 50 :

 

47     La promesse du brevet est la norme qui permet de mesurer l’utilité de l’invention décrite dans le brevet. Cette idée trouve sa source dans l’arrêt Consolboard de la Cour suprême du Canada :

 

Il y a un exposé utile dans Halsbury’s Laws of England, (3e éd.), vol. 29, à la p. 59 sur le sens de « inutile » en droit des brevets. Le terme signifie [traduction] « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera ».

 

Consolboard, précité, à la page 525.

 

48    Il n’est pas nécessaire que l’inventeur explique l’utilité de son invention dans le brevet, mais s’il le fait, il sera tenu de respecter sa promesse, comme le souligne l’arrêt Olanzapine, précité, au paragraphe 76 :

 

Lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis, aucun degré particulier d’utilité n’est requis; la « moindre parcelle » d’utilité suffira. Toutefois, lorsque le mémoire descriptif exprime clairement une promesse, l’utilité sera appréciée en fonction de cette promesse : Consolboard, Pfizer Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé) et Ranbaxy Laboratories Inc., [2009] 1 R.C.F. 253, 2008 CAF 108 (Ranbaxy). La question est de savoir si l’invention fait ce que le brevet promet qu’elle fera. (Souligné dans l’original)

 

49     Si l’inventeur ne promet pas explicitement de résultats spécifiques, le critère relatif à l’utilité est celui de la « moindre parcelle » d’utilité. Par contre, s’il promet explicitement un résultat spécifique, l’utilité sera évaluée suivant les termes de cette promesse explicite.

 

50     En affirmant au paragraphe 80 de l’arrêt Olanzapine, précité, que la promesse du brevet devait être définie, la Cour n’a pas tenu pour acquis que tous les brevets promettaient explicitement un résultat spécifique puisque, sous réserve de ce que nous dirons ci‑après au sujet des brevets de sélection, rien n’oblige l’inventeur à divulguer l’utilité de son invention dans le brevet. Dans Olanzapine, la Cour indiquait simplement que la première étape de l’évaluation de l’utilité consistait à définir la norme en fonction de laquelle elle sera mesurée. Ceci oblige la Cour à interpréter le brevet de manière à déterminer si une personne versée dans l’art conclurait qu’il promet explicitement que l’invention produira un résultat spécifique. Si tel est le cas, l’inventeur aura tenu sa promesse. Si aucun résultat spécifique n’est explicitement promis, la moindre parcelle d’utilité suffira.

 

[93]   Au paragraphe 54, le juge Pelletier écrit que si un brevet promet plus que ce qu’il peut réaliser, il sera jugé invalide. Le juge Pelletier a toutefois ajouté que les tribunaux ne devraient pas s’évertuer à mettre en échec des brevets par ailleurs valides :

 

54     L’inventeur dont l’invention est décrite dans un brevet qui serait par ailleurs valide, peut néanmoins promettre plus que ce qu’exige la Loi, et rendre ainsi son brevet invalide. En pareil cas, il ne peut s’en prendre qu’à lui‑même : voir Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, au paragraphe 51. Cependant, les tribunaux ne devraient pas s’évertuer à trouver des moyens de mettre en échec des brevets par ailleurs valides. Comme le déclarait la Cour suprême dans Consolboard, précité, et comme elle le réitérait quelque vingt ans plus tard dans Whirlpool, précité, au paragraphe 49g) :

 

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement, (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation) [1950] R.C.S. 36]), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada [1934] R.C.S. 570], à la p. 574 : [traduction] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ». [Non souligné dans l’original.]

 

 

[94]   Au paragraphe 67, s’agissant du cas précis qui lui était soumis, le juge Pelletier a expliqué qu’il convenait d’établir une distinction entre l’usage potentiel d’une invention et la promesse explicite d’atteindre le résultat spécifique mentionné dans le brevet :

 

67    La faiblesse de la conclusion du juge de première instance est encore plus évidente si l’on tient compte de la distinction jurisprudentielle entre l’usage potentiel d’une invention et la promesse explicite d’un résultat spécifique. Comme l’a déclaré le Dr Byrn, l’étape inventive avait trait au différentiel d’activité et de tolérabilité du clopidogrel démontré chez le rat. L’intérêt de l’industrie pharmaceutique pour l’invention concerne évidemment l’usage potentiel chez l’humain qu’elle laisse entrevoir. La personne versée dans l’art comprendrait qu’en suggérant cette possibilité, les inventeurs ne promettaient pas que ce résultat avait été ou allait être obtenu. Ainsi que l’a estimé la Cour fédérale dans AstraZeneca Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, au paragraphe 61 :

 

J’accepte l’argument d’AstraZeneca suivant lequel ce ne sont pas toutes les déclarations que l’on trouve dans un brevet au sujet des avantages qui peuvent être considérés comme une promesse. Un objectif n’est pas nécessairement une promesse. Le troisième paragraphe du brevet 420 parle d’un objectif à long terme, d’un avantage que l’on espère que l’invention comportera. [Non souligné dans l’original.]

 

AstraZeneca Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, [2011] A.C.F. no 1262 (Q.L.), au paragraphe 139. Pour d’autres exemples de cette distinction, voir Pfizer Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2012 CAF 103, [2012] A.C.F. no 386, au paragraphe 61, Mylan Pharmaceuticals ULC c. Canada (Ministre de la Santé), 2012 CAF 109, [2012] A.C.F. no 422, aux paragraphes 32 et 33.

 

 

[95]   En ce qui concerne la « promesse » du brevet 426, on peut affirmer qu’elle est contenue dans la dernière phrase du premier paragraphe de la page 4 :

[traduction]

Afin que le composé présente une bonne biodisponibilité, ledit composé est présenté de façon avantageuse sous une forme qui en favorise la dissolution rapide.

 

[96]   Au paragraphe suivant, il est indiqué que la drospirénone peut être fournie sous une forme micronisée ou qu’elle peut être dissoute dans un solvant adéquat puis pulvérisée sur des particules vectrices inertes.

 

[97]   Le troisième paragraphe de la page 4 est celui sur lequel Cobalt se fonde pour faire valoir l’inutilité de l’invention :

 

[traduction]

Sans se limiter à quelque théorie que ce soit, il semble que la vitesse de dissolution in vitro de la drospirénone est liée à la vitesse de dissolution in vivo, ce qui signifie que la drospirénone est absorbée rapidement in vivo lorsque le composé est administré par voie orale. Il s’agit d’un avantage, car l’isomérisation du composé dans l’estomac et/ou son hydrolyse dans l’intestin sont considérablement réduites, de sorte que la biodisponibilité du composé est élevée.

 

[98]   Ce paragraphe ne saurait être interprété comme une promesse. Il s’agit plutôt d’un effort, qui vise à expliquer, sans se limiter à une quelconque théorie, la raison pour laquelle une forme à dissolution rapide de drospirénone, une substance labile en milieu acide, s’avère efficace même dans le milieu acide de l’estomac.

 

[99]   M. Davies a passé en revue de façon détaillée les exemples présentés dans le brevet 426. J’exposerai la conclusion à la laquelle il est parvenu au paragraphe 14 de son affidavit relatif à la validité :

[traduction]

Utilité

 

14.       Les données présentées dans le brevet 426 appuient la promesse formulée dans le brevet selon laquelle la biodisponibilité de la drospirénone peut être élevée après l’administration de la substance sous une forme à dissolution rapide. Contrairement à l’affirmation de Cobalt, il est clair que l’exemple 4 utilise la même formulation micronisée que dans les exemples précédents. De plus, il n’est pas nécessaire de mener une étude de corrélation in vitro/in vivo, car, selon le brevet, les études in vitro ne sauraient remplacer les études in vivo. Le brevet divulgue plutôt des études in vivo qui démontrent que la biodisponibilité de la drospirénone est élevée après l’administration d’une formulation à dissolution rapide.

 

[100]       Je suis convaincu que les allégations formulées par Cobalt au sujet de l’inutilité et de l’absence de prédiction valable ne sont pas fondées.

 

8.         Portée excessive et insuffisance

[101]       Les allégations de Cobalt en ce qui concerne la portée excessive et l’insuffisance sont énoncées aux paragraphes 340 à 344 de son avis d’allégation :

 

[traduction]

JJ.       Portée excessive

 

340.          Le critère légal est établi au paragraphe 77 ci‑dessus.

 

341.          Le mémoire descriptif enseigne seulement l’utilisation de la drospirénone sous une forme micronisée, définie comme des particules présentant une surface de plus de 10 000 cm2/g et une certaine distribution en fonction de leur taille.

 

342.          Ainsi, le breveté indique que l’objet de l’invention du brevet 426 se limite à la drospirénone micronisée, laquelle présente certaines caractéristiques. Cependant, les revendications indépendantes 30 à 35 et 44 à 46, de même que les revendications dépendantes 36 à 42 et 47 à 51, ne sont pas ainsi limitées, et, si l’on considère qu’elles comprennent des particules de drospirénone non micronisée (ce qui serait une erreur à notre avis), ces revendications ont une portée excessive.

 

KK.      Mémoire descriptif insuffisant

 

343.          Le critère légal est énoncé au paragraphe 67 ci‑dessus.

 

344.          Le mémoire descriptif du brevet 426 est insuffisant pour appuyer une revendication relativement à la drospirénone autrement que micronisée eu égard aux caractéristiques précisées dans le mémoire descriptif. Dans la mesure où les revendications indépendantes 30 à 35 et 44 à 46, ainsi que les revendications dépendantes 36 à 42 et 47 à 51, sont interprétées de façon à comprendre des particules de drospirénone non micronisée (par exemple, des particules de drospirénone ayant une surface de plus 10 000 cm2/g, sans aucune distribution en fonction de la taille des particules), le mémoire descriptif est insuffisant pour étayer ces revendications.

 

[102]       Ces allégations supposent toutes que les revendications 30 et 31 et les revendications dépendantes sont limitées à la drospirénone sous une forme micronisée. Je ne souscris pas à une telle interprétation de ces revendications; par conséquent, je ne considère pas que les revendications ont une portée excessive ou que le brevet est insuffisant.

 

9.         Ambiguïté

[103]       L’avocat de Cobalt a limité ses arguments en ce qui concerne l’ambiguïté soulevée aux paragraphes 352 à 360 de son avis d’allégation à un motif, à savoir, comme mentionné aux paragraphes 354 à 356, que l’utilisation du mot « environ » dans les intervalles de dose de drospirénone rend ambiguës les revendications qui comprennent ce mot, y compris les revendications 1, 30 et 31.

 

[104]       Par exemple, la revendication 1 est ainsi libellée :

 

[traduction]

[…] une composition pharmaceutique contenant d’environ 2 mg à environ 4 mg de drospirénone micronisée et d’environ 0,01 mg à environ 0,05  mg d’[ÉE].

 

[105]       Dans la preuve présentée aux paragraphes 158 à 161 de son affidavit relatif à la validité, Mme Pramar ne fait guère plus qu’indiquer ce qui suit, au paragraphe 161 :

 

[traduction]

161.     Le terme « environ » est ambigu et ne nous permet pas de  définir adéquatement la soi‑disant invention du brevet 426. Les expressions que j’ai énumérées aux paragraphes 158 à 160 ci‑dessus couvrent un large éventail de valeurs et seraient interprétées différemment d’un lecteur à l’autre. Par conséquent, les revendications indépendantes 1, 13, 20, 21, 24, 30 à 35, 43 à 45, 52 et 53 (ainsi que les revendications qui en dépendent) sont ambiguës.

 

 

[106]       M. Davies va plus loin au paragraphe 275 de son affidavit en citant une référence, la pièce M, soit l’USP, selon laquelle le terme « environ » renvoie, dans un contexte pharmaceutique, à un écart de 10 % par rapport à la valeur précisée. C’est ce qu’il a affirmé en répondant aux questions 713 à 716 de son contre‑interrogatoire. Je partage son avis et ne vois aucune ambiguïté :

 

[traduction]

275.          Par conséquent, afin de déterminer ce que signifie le terme « environ », la personne versée dans l’art se reporterait à l’USP. Selon l’édition la plus récente de l’USP, à savoir l’USP 24 (publiée en 1999), il est indiqué que le terme « environ » désigne un écart de 10 % par rapport à la valeur précisée. J’ai joint une copie de cet extrait de l’USP 24, que je dépose sous la pièce M.

 

 

 

10.       Conclusions concernant le brevet 426

[107]       En conclusion, j’estime qu’aucune des allégations formulées par Cobalt au sujet de l’absence de contrefaçon ou de l’invalidité telles qu’elles sont formulées dans son avis d’allégation et telles qu’elles ont été circonscrites lors des débats ne sont fondées.

 

LE BREVET 728

1.         La personne versée dans l’art

[108]       Le brevet 728 décrit le domaine de l’invention comme étant l’utilisation courante d’œstrogènes et de progestatifs pour la production d’une association médicamenteuse servant de contraceptif oral. Il y est question de réduire la dose individuelle par jour et de prolonger le nombre de jours pendant lesquels la dose est administrée. Ainsi, j’accepte la définition de Bayer concernant la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet, laquelle définition n’est pas très différente de celle proposée par Cobalt. La personne versée dans l’art est une personne expérimentée en matière de contraception orale, que ce soit en tant que biologiste détenant un doctorat, en tant que médecin ayant prescrit des contraceptifs oraux pendant plusieurs années, ou en tant que spécialiste œuvrant dans le domaine de la recherche et du développement de contraceptifs oraux.

 

2.         Là où le bât blesse – Équivalent de dose

[109]       Les revendications en litige font mention d’une dose de drospirénone, la dose maximum (ou, dans le cas de la revendication 7, la seule dose) étant une « dose équivalant à 0,075 mg (75 µg) de gestodène ». Selon Cobalt, cet « équivalent de dose » ne peut être calculé adéquatement; ou alors, s’il est possible de le faire, l’équivalent de dose correspondrait à environ 2 mg de drospirénone. Dans un tel cas, on ne peut dire que le produit de Cobalt contrefait le brevet, car il continent environ 3 mg de drospirénone.

 

[110]       Je vais examiner cette question plus à fond lorsque j’examinerai la description et les revendications du brevet.

 

3.         La description

[111]       Le tribunal doit interpréter le brevet 728 du point de vue de la personne versée dans l’art à la date à laquelle la demande de brevet a été mise à la disposition du public pour consultation, en l’occurrence le 29 juin 1995.

 

[112]       La partie descriptive du brevet commence à la page 1 par une brève description du domaine de l’invention :

 

[traduction]

Description

 

            La présente invention concerne l’utilisation courante d’œstrogènes et de progestatifs pour la production d’une association médicamenteuse servant de contraceptif oral, ainsi qu’un conditionnement correspondant contenant ladite association médicamenteuse.

 

[113]       La description se poursuit en exposant des associations médicamenteuses connues (œstrogène‑progestatif) utilisées comme contraceptif oral et administrées pendant une période de 21 jours, suivie d’un arrêt durant 7 jours. On décrit également d’autres contraceptifs oraux qui sont administrés pendant une période de plus de 21 jours suivie d’une période de transition pendant laquelle des doses d’œstrogène sont administrées. On mentionne également une association médicamenteuse décrite dans le brevet européen EP‑A‑O 25 3 607, qui est utilisée pour neutraliser les irrégularités hormonales.

 

[114]       Le brevet décrit, au bas de la page 2 puis à la page 3, qu’une diminution de la dose d’œstrogène et de progestatif est souhaitable afin d’atténuer le plus possible d’éventuels effets indésirables. La difficulté posée par la nécessité d’assurer une bonne efficacité contraceptive tout en tenant compte du risque de maladie cardiovasculaire est exprimée au bas de la page 3, puis à la page 4 :

[traduction]

Il faut présumer qu’il existe avant tout une corrélation entre la dose d’œstrogène et les maladies cardiovasculaires. Il n’est toutefois pas possible de réduire la dose quotidienne d’œstrogène de façon extrême si l’on veut que le produit conserve son efficacité contraceptive. Bien que l’inhibition de l’ovulation causée par les contraceptifs oraux à faible dose soit essentiellement due aux progestatifs, les œstrogènes contribuent également de manière importante à l’inhibition centrale et à la suppression ovarienne (inhibition de l’ovulation). De plus, la dose quotidienne d’œstrogène ne doit pas passer sous un certain seuil afin que l’effet exercé sur le cycle menstruel soit satisfaisant (Der Frauenarzt [Le Gynécologue]; 34, 7: 793 (1993)].

 

 

[115]       À la page 4, le brevet décrit le produit présentant la plus faible dose d’œstrogène qui soit commercialisé, de même que diverses études.

 

[116]       L’objet de l’invention est mentionné à la page 5 :

 

[traduction]

L’objet de la présente invention concerne la mise au point d’une association médicamenteuse monophasique destinée aux femmes en âge de procréer qui n’ont pas encore atteint la préménopause, dans une unité posologique individuelle contenant un œstrogène et un progestatif, la dose dudit œstrogène étant la plus faible possible et la quantité totale d’hormones fournie par cycle d’administration étant également faible.

 

[117]       La solution suit, à savoir une formulation devant être prise pendant une période de 23 ou de 24 jours, suivie d’une période d’arrêt de 5 ou de 4 jours :

 

[traduction]

Il a été conclu qu’il était possible d’obtenir une suppression ovarienne prononcée sans maturation folliculaire fréquente avec une faible dose quotidienne d’œstrogène, une faible dose totale d’œstrogène et une faible dose d’hormones totales par cycle d’administration, en utilisant une association médicamenteuse comprenant un œstrogène selon les précisions ci‑dessous :

 

de 2,0 mg à 6,0 mg de 17β‑estradiol, et

de 0,015 mg à 0,020 mg d’éthinylestradiol;

ainsi qu’un progestatif selon les précisions ci‑dessous :

de 0,05 mg à 0,075 mg de gestodène,

de 0,075 mg à 0,125 mg de lévonorgestrel,

de 0,06 mg à 0,15 mg de désogestrel,

de 0,06 mg à 0,15 mg de 3‑cétodésogestrel,

de 0,1 mg de drospirénone à une dose de drospirénone équivalant à 0,075 mg de gestodène,

de 0,1 mg d’acétate de cyprotérone à une dose d’acétate de cyprotérone équivalant à 0,075 mg de gestodène,

de 0,2 mg à 0,3 mg de norgestimate, et

de > 0,35 mg à 0,075 mg de noréthistérone,

 

pour la production d’une forme pharmaceutique à activité contraceptive destinée aux femmes en âge de procréer n’ayant pas encore atteint la préménopause, laquelle forme pharmaceutique doit être administrée pendant une période de 23 à 24 jours à partir du premier jour du cycle menstruel (premier jour de l’écoulement menstruel), suivie d’une période d’arrêt de 5 ou de 4 jours, sans pilules ou avec des pilules à base de sucre, pour une période totale de 28 jours.

 

Aux fins de la présente invention, les termes « préménopause » et « ménopause » sont utilisés conformément à la définition usuelle de ces termes; voir par exemple : “The Controversial Climacteric,” P.A. of Keep et al., Ed., NTP press (1981) (ex. p. 9).

 

En l’occurrence, la dose quotidienne d’hormones est maintenue à une valeur très faible, et la période d’administration usuelle de 21 jours est prolongée de 2 ou de 3 jours. Cette période est suivie d’un temps d’arrêt de 5 ou de 4 jours sans pilules, ou avec placébo pour éviter les oublis.

 

 

[118]       Figurent ensuite les réalisations préférentielles de l’invention. La drospirénone n’est jamais mentionnée seule, mais toujours dans un groupe dont les membres peuvent être sélectionnés. Dans le cas de la drospirénone, l’intervalle de dose le plus étroit est de 0,25 mg à une « dose équivalant à 0,075 mg de gestodène ».

 

[119]       À partir de la page 8, on peut lire dans le brevet que les associations « particulièrement préférentielles » comprennent 75 µg (0,075 mg) de gestodène. On présente ensuite une étude clinique menée avec le gestodène.

 

[120]       Au bas de la page 9 et à la page 10 figure un résumé des avantages de la préparation administrée pendant 23 jours. Je ne considère pas qu’il s’agit d’une « promesse » pour ce qui concerne l’utilité de l’invention; je considère plutôt qu’il s’agit d’un résumé de la question de l’évidence relativement à l’utilisation de la préparation pendant cette période :

 

[traduction]

Par rapport aux préparations usuelles administrées pendant 21 jours et contenant moins de 30 µg d’éthinylestradiol, les avantages d’une association médicamenteuse utilisée comme contraceptif oral administré pendant 23 jours peuvent être caractérisés comme suit :

 

1.         Une faible fréquence de développement folliculaire chez l’utilisatrice (fréquence maximum de 13 % chez les femmes ayant reçu la préparation destinée à être administrée pendant 23 jours par rapport à un maximum de 40 % chez les femmes ayant reçu la préparation destinée à être administrée pendant 21 jours). Cela signifie que la préparation destinée à être administrée pendant 23 jours est plus fiable, en particulier dans les cas où l’on aurait oublié de prendre certains comprimés. Le risque d’« ovulation fortuite » est plus faible.

 

2.         La formation de follicules d’un diamètre important, c.‑à‑d. supérieur à 30 mm, est extrêmement rare. Par rapport à la formulation destinée à une administration pendant 21 jours, la formation de kystes ovariens est improbable avec la formulation destinée à une administration pendant 23 jours.

 

3.         Le recrutement de follicules dominants est supprimé pendant la période d’arrêt raccourcie.

 

4.         Les concentrations de 17β‑estradiol endogène sont supprimées aisément et de manière contrôlée chez la plupart des  utilisatrices de la préparation destinée à une administration pendant 23 jours. Les symptômes cliniques pouvant être attribués à des concentrations croissantes et fluctuantes d’œstrogènes, comme la sensibilité mammaire, le syndrome prémenstruel et les troubles menstruels, sont observés beaucoup moins souvent chez les utilisatrices de la préparation destinée à une administration pendant 23 jours.

 

En résumé, la prise de préparations contenant 20 µg d’éthinylestradiol par unité posologique quotidienne pendant 2 (ou 3) jours supplémentaires peut produire les avantages susmentionnés sans qu’il faille augmenter la dose quotidienne jusqu’à la valeur qui était couramment utilisée auparavant, à savoir 30 µg d’éthinylestradiol.

 

 

[121]       À la page 11 figure une discussion de la formulation et de son conditionnement. Suit ensuite, dans les deux derniers paragraphes et à la page 11, un exposé critique des équivalents de dose :

 

[traduction]

De plus, on mentionne les énoncés formulés dans le brevet EP‑A O 253 607, et plus particulièrement les énoncés concernant la détermination des quantités équivalentes d’éthinylestradiol et de 17β‑estradiol, d’une part, et des divers progestatifs, comme le lévonorgestrel, le désogestrel, le 3‑cétodésogestrel et le gestodène, d’autre part.

 

Afin de fournir aux lecteurs de plus amples renseignements sur la détermination des équivalents de dose de diverses matières actives progestatives, on fait référence aux publications suivantes : « Probleme der Dosisfindung: Sexualhormone » [Difficultés associées à l’établissement de la dose : hormones sexuelles]; F. Neumann et al. dans « Arzneimittelforschung » [Recherche sur les agents pharmaceutiques] 27, 2a, 296‑318 (1977), « Aktuelle Entwicklungen in der hormonalen Kontrazeption » [Faits nouveaux concernant la contraception hormonale]; H. Kuhl dans « Gynäkologe » [Gynécologue] 25: 231‑240 (1992).

 

[122]       Le reste de la description se rapporte aux figures.

 

[123]       Sont ensuite présentées les revendications, lesquelles sont au nombre de 19.

 

4.         Les revendications – Interprétation

[124]       L’avocat de Bayer a déclaré à l’audience que seules les revendications 1, 2, 6, 7 et 8 seraient en litige. Voici ces revendications :

 

[traduction]

1.         Utilisation d’une forme pharmaceutique destinée à une administration orale comprenant un œstrogène selon les précisions ci‑dessous :

 

de 2,0 mg à 6,0 mg de 17β‑estradiol, et

de 0,015 mg à 0,020 mg d’éthinylestradiol;

ainsi qu’un progestatif selon les précisions ci‑dessous :

de 0,05 mg à 0,075 mg de gestodène,

de 0,075 mg à 0,125 mg de lévonorgestrel,

de 0,06 mg à 0,15 mg de désogestrel,

de 0,06 mg à 0,15 mg de 3‑cétodésogestrel,

de 0,2 mg à 0,3 mg de norgestimate,

de > 0,35 mg à 0,075 mg de noréthistérone,

de 0,1 mg de drospirénone à une dose de drospirénone équivalant à 0,075 mg de gestodène, et

de 0,1 mg d’acétate de cyprotérone à une dose d’acétate de cyprotérone équivalant à 0,075 mg de gestodène;

à des fins contraceptives chez une femme en âge de procréer n’ayant pas encore atteint la préménopause, laquelle forme pharmaceutique doit être administrée pendant une période de 23 à 24 jours à partir du premier jour du cycle menstruel (premier jour de l’écoulement menstruel), suivie d’une période d’arrêt de 5 ou de 4 jours, sans pilules ou avec placébo, pour une période totale de 28 jours.

 

2.         Utilisation conformément à la revendication 1, où l’œstrogène est l’éthinylestradiol.

 

[. . .]

 

6.             Utilisation conformément aux revendications 1, 2, ou 3, où le progestatif est l’acétate de cyprotérone ou la drospirénone.

 

7.             Utilisation conformément à la revendication 1, où la forme pharmaceutique comprend un œstrogène selon les précisions ci‑dessous :

de > 2,0 mg à 6,0 mg de 17β‑estradiol, et

0,020 mg d’éthinylestradiol;

 

ainsi qu’un progestatif selon les précisions ci‑dessous :

de > 0,06 mg à 0,075 mg de gestodène,

de > 0,100 mg à 0,125 mg de lévonorgestrel,

de > 0,10 mg à 0,15 mg de désogestrel,

de > 0,10 mg à 0,15 mg de 3‑cétodésogestrel,

de 0,25 mg de drospirénone à une dose de drospirénone équivalant à 0,075 mg de gestodène,

de 0,1 mg d’acétate de cyprotérone à une dose d’acétate de cyprotérone équivalant à 0,075 mg de gestodène,

de 0,2 mg à 0,3 mg de norgestimate, et

de > 0,50 mg à 0,075 mg de noréthistérone.

 

8.             Utilisation conformément à la revendication 1, où l’œstrogène correspond à une dose de 20 µg d’éthinylestradiol ou à une dose équivalente de 17β‑estradiol et où le progestatif correspond à une dose de 75 µg de gestodène ou à une dose équivalente de lévonorgestrel, d’acétate de cyprotérone ou de drospirénone.

 

 

[125]       Ces revendications sont des revendications « d’utilisation ». Elles concernent toutes l’utilisation d’une association médicamenteuse à des fins contraceptives chez les femmes d’un certain âge. Toutes les revendications, à l’exception de la revendication 2 (et de la revendication dépendante 6), permettent de choisir un œstrogène parmi deux possibilités. Toutes les revendications, à l’exception de la revendication 6, permettent de choisir un progestatif parmi de nombreuses possibilités. La revendication 6 réduit ces possibilités à deux, dont l’une est la drospirénone.

 

[126]       Dans toutes les revendications, à l’exception de la revendication 8, on fournit un intervalle de doses pour la drospirénone, dont la borne inférieure est de 0,1 mg ou de 0,25 mg. La borne supérieure est toujours une « dose équivalant à 0,075 mg de gestodène ». La revendication 8 n’indique qu’une seule dose de drospirénone, laquelle équivaut à 75 µg de gestodène. Il est mentionné que 0,075 mg équivaut à 75 µg.

 

[127]       Les experts des parties, le Dr Shulman pour Bayer et le Dr  Bhavnani pour Cobalt, affirment tous deux que le brevet ne divulgue pas ce qui serait considéré comme un « équivalent de dose » dans le cas de la drospirénone. Le brevet ne fait mention que des analyses menées avec le gestodène.

 

[128]       Aucun des deux experts ne considérait que le brevet européen 607 ou les articles (Neumann et Kuhl) cités aux pages 10 et 11 du brevet 728 permettaient de déterminer ce qui serait considéré comme une dose de drospirénone équivalant à 0,075 mg de gestodène.

 

[129]       Le Dr Bhavnani précise au paragraphe 32 de son affidavit que l’équivalent de dose d’un composé dépend de la façon dont l’activité dudit composé est mesurée et du paramètre/de l’effet pharmacologique escompté. À l’audience, j’ai soumis un exemple selon lequel deux cuillères à café de cassonade pouvaient être considérées comme équivalant à trois cuillères à café de sucre blanc. On m’a indiqué que cela pouvait être le cas si l’on mesurait le goût sucré, mais que ces deux quantités ne seraient pas considérées comme équivalentes si l’on en mesurait l’apport calorique.

 

[130]       Le Dr Bhavnani a effectué un calcul auquel se serait livrée la personne versée dans l’art à l’époque pertinente; le paramètre retenu était l’inhibition de la grossesse par un endomètre qui ne permettrait plus à un embryon de s’implanter. Selon ce calcul, la dose de drospirénone équivalant à 75 µg de gestodène ne dépassait pas 2 mg. Cette valeur correspond à la dose de 2 mg ayant inhibé l’ovulation selon une étude publiée par Oelkers en 1991.

 

[131]       Le Dr Shulman aurait apparemment reçu, en 2012, une série d’articles découverts par un membre de l’équipe juridique de Bayer, probablement en 2008. Parmi ces articles figurait une publication d’Oelkers datant de 1995. Aucun élément de preuve ne permet de déterminer si l’article en question a été publié avant ou après la date à laquelle le brevet 728 a été déposé au Canada. L’article a été certainement publié après décembre 1994, la date prioritaire, et le brevet 728 n’en fait nullement mention.

 

[132]       En se fondant sur l’article d’Oelkers publié en 1995, Dr Shulman avance que l’« équivalent de dose » passe de 2 mg à 3 mg. Il indique ce qui suit au paragraphe 63 de son affidavit :

 

[traduction]

63.       L’article d’Oelkers (1995) indiquait que, bien que la dose seuil à laquelle la drospirénone inhibait l’ovulation ait été de 2 mg, on a choisi une dose de 3 mg afin de se donner une marge d’erreur pour une utilisation clinique. Les résultats positifs de l’étude auraient indiqué à la personne versée dans l’art que la dose de 3 mg serait considérée comme préférentielle. La dose de 2 mg avait également été identifiée comme étant la dose minimale permettant d’inhiber l’ovulation, et il est évident (à la lumière du brevet et de l’art antérieur) que la dose de 75 µg de gestodène ne représentait pas la dose minimum permettant d’inhiber l’ovulation. Pris ensemble, ces faits donnent à penser que la personne versée dans l’art aurait considéré, entre les doses cliniquement efficaces de 2 mg et de 3 mg de drospirénone, que la dose de 3 mg équivalait à 75 µg de gestodène.

 

[133]       M. Bhavanani n’est pas du tout du même avis. Il écrit ce qui suit aux paragraphes 76 à 79 de son affidavit :

 

[traduction]

76.       Au paragraphe 63, le Dr Shulman conclut que la personne versée dans l’art déduirait, en lisant ces documents de l’art antérieur, qu’entre les doses cliniquement efficaces de 2 mg et de 3 mg de drospirénone, la dose de 3 mg serait considérée […] comme équivalant à 75 µg de gestodène.

 

77.       Le raisonnement présenté par le Dr Shulman à cet égard est toutefois limité et n’explique pas clairement comment il parvient à cette conclusion. Le seul élément d’information pertinent que fournissent les documents de l’art antérieur cités par le Dr Shulman est qu’un produit contenant 2 mg de drospirénone administré quotidiennement permettra de supprimer l’ovulation chez la femme normale et qu’un produit contenant 3 mg de drospirénone permettrait de disposer d’une marge d’erreur pour une utilisation clinique.

 

78.       En revanche, le brevet 728 tente de démontrer qu’un produit contenant 75 µg de gestodène + 20 µg d’éthinylestradiol, administré pendant 23 jours plutôt que 21, serait associé à certains avantages (nommément une faible fréquence de développement folliculaire, un faible taux de follicules de taille importante, un faible taux de recrutement des follicules dominants, et la suppression des concentrations de 17β‑estradiol, de façon à atténuer les symptômes cliniques tels qu’une sensibilité mammaire, un syndrome prémenstruel et des troubles menstruels). Aucun des documents de l’art antérieur cités par le Dr Shulman n’indique l’intervalle de doses de drospirénone qui serait nécessaire pour obtenir ces avantages.

 

79.       L’efficacité clinique relativement à la suppression de l’ovulation n’équivaut certainement pas aux avantages énumérés dans la divulgation du brevet 728, et elle n’équivaut pas non plus à la « contraception », à savoir le paramètre/l’effet pharmacologique revendiqué dans le brevet 728.

 

[134]       Je considère qu’il n’y a aucune certitude quant à ce qui constituerait la dose précise de drospirénone qui équivaudrait à 75 µg de gestodène. La réponse la plus probable est qu’il s’agit d’une dose de 2 mg, laquelle permettrait de supprimer l’ovulation. Pour parvenir à une autre conclusion, le lecteur devrait dépouiller les publications scientifiques de l’époque pertinente, soit la date de publication, et choisir la valeur la plus élevée ou alors faire un choix rationnel à partir des valeurs publiées. Dans aucun de ces cas les revendications en litige ne définissent « distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention » comme le prévoit le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

 

5.         Absence de contrefaçon

[135]       Le produit de Cobalt contiendra 3 mg de drospirénone. Selon mon interprétation, les revendications précisent que la dose maximum ou que la dose unique est de 2 mg de drospirénone ou une quantité indéterminée de drospirénone. Le produit de Cobalt ne contrefera aucune des revendications en litige.

 

6.         Évidence

[136]       Lors des débats, l’avocat de Cobalt a restreint le moyen tiré de l’évidence à deux exemples d’antériorité. Le premier est le brevet européen 607 (EP‑A‑O‑253 607), mentionné à la page 2 du brevet 728, et le second, le brevet canadien 780 (2 016 780). Le brevet 780 n’est pas mentionné dans l’avis d’allégation de Cobalt en ce qui concerne l’évidence. Il n’est mentionné dans l’avis d’allégation de Cobalt qu’en ce qui concerne les allégations de double brevet que je vais examiner dans un instant.

 

[137]       Pour ce qui concerne l’évidence, je n’examinerai que le brevet européen 607. Il est à noter que la drospirénone est absente de la liste des ingrédients figurant dans ce brevet. Le brevet mentionne trois œstrogènes et un groupe de cinq progestatifs à partir desquels il est possible de préparer un produit caractérisé par l’association de deux médicaments et de l’administrer à des femmes en préménopause pendant une période de 22 à 26 jours, suivie d’un temps d’arrêt de 2 à 5 jours, le cycle d’administration préférentiel étant d’une période de 24 jours suivie d’un arrêt de 4 jours. Les doses présentées sont inférieures à celles qui sont utilisées dans les contraceptifs oraux classiques.

 

[138]       Je souscris aux conclusions du Dr Shulman qui affirme, au paragraphe 40 de son affidavit, que l’utilisation des compositions révélées dans le brevet 607 n’aurait pas été envisagée pour les préparations contraceptives destinées aux jeunes femmes.

 

[139]       Rien ne permet à mon avis de penser que la personne versée dans l’art aurait conclu que le brevet 607 aurait été suffisant pour motiver des recherches qui auraient probablement conduit à l’invention revendiquée dans le brevet 728.

 

7.         Double brevet

[140]       L’expression « double brevet » illustre le concept que la personne qui possède un monopole sur un brevet ne devrait pas pouvoir étendre la portée de ce monopole en obtenant un second brevet portant sur la même invention revendiquée ou sur un équivalent évident. Si le premier brevet a été publié suffisamment avant le dépôt de la demande relative au second brevet, il servira simplement d’exemple d’antériorité et le second brevet pourra être déclaré invalide pour cause d’absence de nouveauté ou pour cause d’évidence. Ce n’est donc que lorsque la délivrance d’un second brevet est demandée à un moment où le premier brevet ne peut servir d’exemple d’antériorité que la question du double brevet se pose. De toute évidence, les deux brevets doivent appartenir au même breveté.

 

[141]       Dans le cas qui nous occupe, Cobalt affirme que le brevet 728 ne saurait être valide compte tenu du brevet canadien no 2 016 780 (le brevet 780) qui a été délivré à Schering (maintenant Bayer) le 11 juillet 2007 sur le fondement d’une demande déposée le 16 novembre 1990. Le brevet 780 a expiré le 16 novembre 2010.

 

[142]       Le second brevet revendiqué par Cobalt, le brevet 426, est l’autre brevet en litige dans la présente instance. La demande visant ce brevet a été déposée le 31 août 2000. Le brevet a été délivré à Schering (Bayer) le 27 février 2006. Ce brevet expirera le 31 août 2020.

 

[143]       La demande relative au brevet 728 a été déposée le 22 décembre 1994. Le brevet a été délivré à Schering (Bayer) le 1er septembre 2009. La date d’expiration du brevet 728 est le 22 décembre 2014.

 

[144]       Compte tenu de la date d’expiration du brevet 426 (31 août 2020) et du brevet 728 (22 décembre 2019), il est évident que le brevet 426 peut être contesté pour cause de double brevet sur le fondement du brevet 728, mais non l’inverse. Seul le brevet 728 a été contesté par Cobalt sur le fondement du brevet 426. Cette contestation n’est donc pas fondée.

 

[145]       Il ne reste donc que le brevet 780. La question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si le brevet 728 a élargi de façon inacceptable la portée du monopole revendiqué par le brevet 780. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Whirlpool Corp c Camco Inc, [2000] RCS 1067, aux paragraphes 65 et 66, la question à se poser est celle de savoir s’il y a « identité » des revendications de l’un et l’autre brevet ou, dans la négative, si les revendications ne visent pas un élément brevetable distinct.

 

[146]       À cette étape‑ci, il convient d’épurer quelque peu les revendications. Bayer a mis en litige les revendications 1, 2, 6, 7 et 8 du brevet 728. Cobalt, dans son avis d’allégation, conteste les revendications 1 à 3, 6 à 12 et 14 à 19 du brevet 728 en invoquant l’existence d’un double brevet. Toutes les revendications invoquées par Bayer sont donc contestées. L’affidavit du Dr Bhavnani conteste d’autres revendications qui n’ont pas été mises en cause par Bayer ou par Cobalt. Fait intéressant, la revendication 1 n’est pas contestée par le Dr Bhavnani, sauf de façon générale.

 

[147]       La preuve présentée par le Dr Bhavnani est sibylline. On la trouve aux paragraphes 117 et 118 de son affidavit. Il se contente d’affirmer que les revendications du brevet 728 « chevauchent » l’objet du brevet 780 ou qu’elles en constituent [traduction] « une variante évidente ». Le Dr Bhavnani tire purement et simplement des conclusions de droit, chose qu’il appartenait à la Cour de faire. Le Dr Bhavnani a présenté peu d’éléments de preuve utiles pour la Cour.

 

[148]       En revanche, aux paragraphes 209 à 214 de son affidavit, le Dr Shulman dit clairement que ce que le brevet 780 revendique se distingue nettement de ce qui est revendiqué par le brevet 728, et il ajoute que le brevet 780 n’enseigne rien qui rendrait évident ce qui est revendiqué par le brevet 728. Je préfère son témoignage.

 

[149]       Je conclus que les allégations formulées par Cobalt au sujet du double brevet ne sont pas fondées.

 

8.         Utilité et prédiction valable

[150]       Cobalt fait valoir que le brevet 728 ne divulgue que des études menées avec du gestodène et que le dernier paragraphe complet de la page 8 du brevet comporte une déclaration à l’emporte‑pièce selon laquelle ces études représentent une classe de progestatifs dont on nomme huit éléments, l’un d’eux étant la drospirénone. M. Düsterburg, l’un des inventeurs, a admis lors de son contre‑interrogatoire qu’aucune étude n’avait été menée sur un composé autre que le gestodène avant le dépôt de la demande de brevet. Le Dr Bhavnani explique qu’il n’y a aucune relation entre le gestodène et la drospirénone sur le plan de la structure moléculaire et que ce serait faire preuve de simplisme que de croire que toutes les progestines sont identiques.

 

[151]       Il faut faire preuve de prudence pour s’assurer de bien comprendre l’utilité de l’invention énoncée dans le brevet 728. Cette utilité est exposée aux pages 5 et 6 du brevet :

 

[traduction]

L’objet de la présente invention concerne la mise au point d’une association médicamenteuse monophasique destinée aux femmes en âge de procréer qui n’ont pas encore atteint la préménopause, dans une unité posologique individuelle contenant un œstrogène et un progestatif, la dose dudit œstrogène étant la plus faible possible et la quantité totale d’hormones fournie par cycle d’administration étant également faible.

Il a été conclu qu’il était possible d’obtenir une suppression ovarienne prononcée sans maturation folliculaire fréquente avec une faible dose quotidienne d’œstrogène, une faible dose totale d’œstrogène et une faible dose d’hormones totales par cycle d’administration, en utilisant une association médicamenteuse comprenant un œstrogène selon les précisions ci‑dessous :

de 2,0 mg à 6,0 mg de 17β‑estradiol, et

de 0,015 mg à 0,020 mg d’éthinylestradiol;

ainsi qu’un progestatif selon les précisions ci‑dessous :

de 0,05 mg à 0,075 mg de gestodène,

de 0,075 mg à 0,125 mg de lévonorgestrel,

de 0,06 mg à 0,15 mg de désogestrel,

de 0,06 mg à 0,15 mg de 3‑cétodésogestrel,

de 0,1 mg de drospirénone à une dose de drospirénone équivalant à 0,075 mg de gestodène,

de 0,1 mg d’acétate de cyprotérone à une dose d’acétate de cyprotérone équivalant à 0,075 mg de gestodène,

de 0,2 mg à 0,3 mg de norgestimate, et

de > 0,35 mg à 0,075 mg de noréthistérone,

 

pour la production d’une forme pharmaceutique à activité contraceptive destinée aux femmes en âge de procréer n’ayant pas encore atteint la préménopause, laquelle forme pharmaceutique doit être administrée pendant une période de 23 à 24 jours à partir du premier jour du cycle menstruel (premier jour de l’écoulement menstruel), suivie d’une période d’arrêt de 5 ou de 4 jours, sans pilules ou avec des pilules à base de sucre, pour une période totale de 28 jours.

 

[152]       La liste des « avantages » énumérés aux pages 9 et 10 a déjà été reproduite dans les présents motifs. Cette liste ne devrait pas être élevée au rang de « promesse »; il s’agit simplement d’une observation portant sur les avantages que l’on peut espérer retirer. Ainsi que le juge Pelletier l’a expliqué dans l’arrêt Sanofi‑Aventis c Apotex Inc, 2013 CAF 186, au paragraphe 67, lorsqu’il fait allusion à une possibilité, l’inventeur ne promet pas un résultat; un objectif n’est pas nécessairement une promesse.

 

[153]       M. Düsterberg a témoigné au sujet des études menées avec le gestodène. Les conclusions qu’il tire correspondent à ce que j’estime être la promesse du brevet. Le Dr Shulman, l’expert indépendant de Bayer, est du même avis. Le Dr Bhavnani, l’expert de Cobalt, n’est pas en désaccord.

 

[154]       Aux paragraphes 143 à 149 de l’affidavit qu’il a souscrit au sujet de la validité, le Dr Shulman explique les raisons pour lesquelles, en raison des travaux de M. Düsterberg, il est possible de faire une prédiction valable au sujet des autres progestatifs.

 

[155]       Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, je ne suis pas convaincu que les allégations formulées par Cobalt au sujet de l’absence d’utilité et de prédiction valable sont fondées. Les témoignages de M. Düsterberg et du Dr Shulman m’ont convaincu que l’utilité du gestodène avait été démontrée et que l’utilité des autres progestatifs avait fait l’objet d’une prédiction valable.

 

9.         Méthode de traitement médical

[156]       Les revendications en litige du brevet 728, à savoir les revendications 1, 2, 6, 7 et 8, concernent toute utilisation à des fins contraceptives d’une composition pharmaceutique qui est destinée à une administration par voie orale chez des femmes d’un certain âge et qui renferme deux matières actives : un œstrogène et un progestatif.

 

[157]       La revendication 1 permet de choisir un œstrogène parmi deux possibilités, chaque œstrogène étant associé à un intervalle de doses, et permet de choisir un progestatif parmi huit possibilités, chaque progestatif étant associé à un intervalle de dose.

 

[158]       La revendication 2 ramène le choix des œstrogènes à une possibilité. La revendication 6 ramène le choix des progestatifs à deux possibilités. La revendication 7 renvoie à la revendication 1, avec deux œstrogènes et plusieurs progestatifs. Un des œstrogènes est associé à une dose unique, et l’intervalle des doses des progestatifs est restreint.

 

[159]       La revendication 8 se limite à une dose unique (et non à un intervalle) d’un œstrogène parmi deux possibilités, et à une dose unique (et non à un intervalle) d’un progestatif parmi trois possibilités.

 

[160]       J’ai récemment examiné le droit en ce qui concerne la méthode de traitement médical dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 985, aux paragraphes 70 à 101. En l’espèce, le libellé des revendications indique clairement qu’il est question d’une utilisation à des fins contraceptives. Toutes les revendications, à l’exception de la revendication 8, présentent un intervalle de doses pour l’œstrogène ou le progestatif ou les deux.

 

[161]       La Dre Kives a expliqué que, dans le monde commercial, les produits en question sont vendus sous forme de trousses dans lesquelles on trouve des comprimés à doses prédéterminées devant être administrés dans le cadre d’un régime quotidien. En contre‑interrogatoire, la Dre Kives a admis que, dans certains cas exceptionnels, elle prescrirait une quantité différente de comprimés ou un régime quotidien différent.

 

[162]       Il ne s’agit cependant pas de savoir si un produit commercial est offert en doses prédéterminées ou dans le cadre d’un régime. Il s’agit plutôt de s’interroger sur ce que disent les revendications. Toutes les revendications en litige sont des revendications d’utilisation et non des revendications de produit. Toutes les revendications, sauf la revendication 8, revendiquent l’utilisation d’un contraceptif à base d’un médicament constitué de deux éléments dont chacun est sélectionné à partir d’un choix de composants, dont chacun doit être administré à une dose se situant dans un intervalle de doses. Les revendications 1, 2, 6 et 7 ne peuvent faire l’objet d’un brevet canadien, parce qu’elles ne revendiquent pas un produit vendable; elles offrent à ceux qui prescrivent ou fournissent des contraceptifs le choix entre une foule de composants et d’intervalles de doses. Seule la revendication 8 survit, car elle vise une seule dose de chacun des deux composés.

 

10.       Conclusions en ce qui concerne le brevet 728

[163]       En conclusion, en ce qui concerne le brevet 728, je suis arrivé à la conclusion que les allégations d’absence de contrefaçon de Cobalt sont fondées. Je suis également parvenu à la conclusion que l’une, mais pas la totalité, des allégations de Cobalt au sujet de l’invalidité est fondée. En particulier,  j’en suis arrivé à la conclusion que l’allégation suivant laquelle les revendications 1, 2, 6 et 7 ne sont pas brevetables parce qu’elles visent une méthode de traitement médical est fondée. Par conséquent, je vais rejeter la demande d’interdiction présentée par Bayer en ce qui concerne le brevet 728.

 

DÉPENS

[164]       Bayer a obtenu gain de cause à l’égard de l’un des deux brevets qu’elle revendique dans la présente instance. Ainsi que je l’ai fait dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc c Teva Canada Ltd, 2013 CF 203, aux paragraphes 190 à 193, j’estime qu’il convient d’accorder à Bayer la moitié de ses dépens et débours autrement taxables. Les dépens seront adjugés selon l’échelon supérieur de la colonne IV. Les honoraires de deux avocats principaux peuvent être accordés pour l’audience et ceux d’un avocat principal pour la conduite ou la défense des contre‑interrogatoires. Les dépens relatifs aux témoins experts ne doivent pas dépasser les honoraires des avocats principaux pour la période de temps équivalente. Les frais de déplacement en classe affaires pour se rendre en Europe et pour en revenir sont raisonnables.

 

 

 


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

1.         ACCUEILLE la demande en ce qui concerne le brevet canadien no 2 382 426 et INTERDIT au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Cobalt pour son contraceptif oral à base de drospirénone et d’éthinylestradiol avant l’expiration du brevet en question;

 

2.         REJETTE la demande en ce qui concerne le brevet canadien no 2 179 728;

 

3.                  DÉCLARE QUE Bayer a le droit de récupérer la moitié de ses dépens de Cobalt selon les modalités précisées dans les motifs.

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T-215-12

 

INTITULÉ :

BAYER INC. et BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT c
COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY et MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            Les 7, 8, 9 et 10 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT:

                                                            LE JUGE HUGHES

DATE DES MOTIFS :

                                                            Le 22 octobre 2013

COMPARUTIONS :

Neil Belmore

Lindsay Neidrauer

Ariel Neuer

POUR LES DEMANDERESSES

 

Douglas Deeth

Heather Watts

 

POUR LA DÉFENDERESSE COBALT

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belmore Neidraurer LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Deeth Williams Wall LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE COBALT

 

 

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