Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20131023


Dossier :

IMM-4859-12

 

Référence : 2013 CF 1070

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

VICTORIA GOMEZ, JULIO CÉSAR

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par Me Edward Aronoff, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le Commissaire ou la SPR) datée du 3 mai 2012, qui ne reconnaît pas au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

 

[2]               Après avoir soigneusement examiné le dossier et tenu compte des représentations écrites et orales des parties, j’estime que le demandeur ne peut avoir gain de cause. Le Commissaire n’a pas cru le récit du demandeur, et ce dernier n’a pas démontré qu’une erreur importante dans l’appréciation de la preuve justifiait l’intervention de cette Cour. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

 

I. Faits

[3]               Le demandeur est citoyen du Mexique.

 

[4]               Le père du demandeur était fonctionnaire d’un tribunal civil dans l’État de Puebla. Il aurait amassé des informations concernant la torture, voire la mort, de personnes détenues, aux mains des policiers. Les documents recueillis auraient visé le gouverneur, le Procureur général de l’État et le directeur du ministère responsables de la lutte contre le crime organisé. En mai 1996, le père du demandeur aurait été congédié afin que cette information ne devienne pas publique. Il est décédé en 1999, à l’âge de 56 ans, et la cause de son décès reste indéterminée. Le demandeur est convaincu que le Bureau du Procureur général est responsable de la mort de son père, ce qui expliquerait pourquoi aucune autopsie n’a été pratiquée.

 

[5]               En 2006, le demandeur a obtenu son diplôme en droit. Afin d’obtenir son diplôme avec la mention cum laude, il devait rédiger une thèse. Pour satisfaire à cette exigence, le demandeur a décidé de préparer un projet de loi, sur la base des papiers de son père que sa mère avait conservés, pour mettre un terme au système de torture utilisé par la police dans l’État de Puebla. Lorsqu’il a soumis son projet de thèse, en février 2007, le Procureur général (également professeur à la Faculté de droit) y a eu accès et aurait menacé le demandeur, lui faisant clairement comprendre qu’il devait abandonner son projet.

 

[6]               Le 21 décembre 2007, le demandeur aurait emprunté un chemin différent pour rentrer chez lui. Alors qu’il se trouvait à un feu rouge, deux individus à pied seraient montés dans sa voiture et lui auraient volé son ordinateur (sur lequel se trouvait une ébauche de sa thèse), une clé USB et la chaîne stéréo de sa voiture. Le demandeur aurait porté plainte au Bureau du Procureur général, qui aurait requis un portrait-robot des agresseurs et une expertise de la voiture.

 

[7]               Deux jours plus tard, deux individus armés auraient fait irruption à son travail et auraient volé et ligoté les trois employés présents. Ils auraient volé la carte électorale du demandeur, sa carte de débit, son argent, son permis de conduire et son téléphone cellulaire. D’après le demandeur, il était clairement ciblé par ces deux vols, et les malfaiteurs lui auraient d’ailleurs dit qu’il devait cesser ses travaux.

 

[8]               Le 13 mai 2008, au retour du demandeur après une absence de quatre jours, un ami avocat l’aurait informé que son frère et trois autres personnes avaient été torturés pour qu’ils révèlent où se trouvait le demandeur et qu’ils avouent l’enlèvement par le demandeur d’un ami de la famille, au motif que ce dernier avait collaboré avec la police en vue de le capturer et de confisquer l’information qu’il avait reçue de son père. La maison du demandeur, occupée par son frère, aurait à cette occasion été vidée par la police. Le demandeur soutient que toute cette mise en scène aurait été orchestrée par les gens sur qui le demandeur possédait des informations.

 

[9]               Constatant que sa vie était en danger, le demandeur allègue s’être caché chez des membres de sa famille dans d’autres États du Mexique, mais les autorités policières de l’État de Puebla auraient été en mesure de le retracer. Le 15 mai 2008, il aurait entamé une procédure pour obtenir la suspension d’un mandat d’arrestation dont il croyait faire l’objet. Toutefois, une décision rendue le 9 juillet 2008 est à l’effet que la cour n’était pas en mesure d’autoriser la suspension d’un tel mandat parce que le directeur général de la police judiciaire de l’État de Puebla a indiqué que la police n’a jamais produit de rapport préliminaire à l’appui d’une demande visant à obtenir un mandat d’arrestation contre le demandeur, de sorte qu’aucun mandat d’arrestation n’a été délivré et que la demande était donc sans objet. Une semaine plus tard, le demandeur a quitté son pays et il a demandé l’asile le jour même de son arrivée, soit le 16 juillet 2008.

 

[10]           Le 25 janvier 2010, le frère du demandeur et quatre autres co-accusés auraient été déclarés coupables d’enlèvement et de vol qualifié et condamnés à 26 ans de prison. Cette décision, qui semble faire 304 pages, mais dont le demandeur n’a produit que deux courts extraits, indique qu’un mandat d’arrêt a été lancé contre le demandeur et une autre personne le 15 décembre 2009 pour enlèvement et vol qualifié. Le frère du demandeur aurait fait appel, et la Cour d’appel n’a pas encore rendu sa décision.

 

II. Décision contestée

[11]           Après avoir longuement résumé les allégations du demandeur, la SPR est arrivée à la conclusion que le demandeur n’était pas crédible, et que ses prétentions n’étaient pas corroborées par la preuve. Au terme d’une analyse serrée du témoignage du demandeur et de la preuve soumise, le Commissaire écrit :

[19]      De l’avis du tribunal, l’exposé circonstancié du demandeur d’asile n’est pas vraisemblable. Le demandeur d’asile a indiqué que son frère, Omar Rafael, et les trois autres personnes accusées ont été arrêtés et torturés afin de les amener à avouer que le demandeur d’asile avait enlevé Armando Rios Bonilla parce que celui-ci avait collaboré avec la police afin que le demandeur d’asile soit capturé et que l’information recueillie par le père de ce dernier soit confisquée. Il n’est pas vraisemblable que le frère du demandeur d’asile et les trois autres personnes accusées soient déclarés coupables et condamnés à 26 ans d’emprisonnement, à moins qu’il n’y ait eu des éléments de preuve concrets pour corroborer de telles accusations. En outre, la direction du Ministère responsable de la lutte contre le crime organisé, au cours du mois de mai 2008, n’a jamais présenté de rapports préliminaires confirmant la délivrance d’un mandat d’arrestation contre le demandeur d’asile. Le demandeur d’asile n’a présenté aucune preuve quelconque à l’appui de son allégation selon laquelle le système judiciaire dans l’État de Puebla est corrompu. Il n’y a aucun élément de preuve à l’appui de l’affirmation du demandeur d’asile selon laquelle son frère, Omar Rafael, et les trois autres personnes accusées ont été arrêtées [sic] à la suite de fausses accusations et qu’ils ont été déclarés coupables d’un enlèvement uniquement aux fins de l’arrestation du demandeur d’asile. Il est tout à fait possible que le demandeur d’asile fasse toujours l’objet au Mexique d’un mandat d’arrestation non exécuté. Toutefois, de l’avis du tribunal, il n’y a aucun élément de preuve selon lequel le demandeur d’asile serait persécuté ou soumis à la torture s’il était arrêté à son retour au Mexique. De plus, selon le tribunal, le demandeur d’asile pourrait demander la suspension du mandat d’arrestation. Le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités qu’il n’y a pas de possibilité raisonnable ou qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté s’il devait retourner au Mexique. De la même façon, selon la prépondérance des probabilités, il est plus probable que le contraire que le demandeur d’asile ne soit pas personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner au Mexique.

 

III. Question en litige

[12]           La seule question en litige consiste à déterminer si la SPR a erré en concluant que les allégations du demandeur ne sont pas crédibles, invraisemblables et non corroborées par la preuve.

 

IV. Analyse

[13]           Il n’est pas contesté que la norme de contrôle applicable lorsque les questions soulevées portent sur des conclusions de fait, de droit ou mixtes de droit et de fait est celle de la raisonnabilité : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Par conséquent, la Cour doit déterminer si la décision de la SPR fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et si les motifs qui la sous‑tendent sont transparents et intelligibles (Dunsmuir, précité au para 47).

 

[14]           Un examen attentif de la preuve au dossier, ainsi que du témoignage lors de l’audience devant la SPR, révèle que plusieurs allégations du demandeur ne sont pas corroborées, contrairement à ce qu’il prétend. Ainsi, le demandeur a affirmé que son père était avocat, qu’il travaillait comme fonctionnaire au sein d’un tribunal mixte (civil et criminel) et qu’il avait contesté son congédiement illégal. Or, la pièce D-2 (un document notarié) établit plutôt qu’il a été congédié parce qu’il n’était pas avocat alors que sa fonction l’exigeait, et les pièces D-3, D-8 et D-9 sont à l’effet qu’il n’a pas contesté son congédiement, mais plutôt le non-paiement de sa pension.

 

[15]           En outre, certaines des affirmations du demandeur étaient purement spéculatives et ne reposaient sur aucune preuve. Il en va notamment ainsi de sa prétention à l’effet que les deux vols dont il a été victime le ciblaient personnellement, de même que du décès de son père qui aurait été tué parce qu’il comptait révéler la corruption des représentants du gouvernement de l’État de Puebla.

 

[16]           La SPR a également tenu pour invraisemblables un certain nombre de déclarations du demandeur, à savoir que le chef de la Division du crime organisé était présent lorsque le frère du demandeur a été torturé et qu’il l’aurait lui-même frappé, que son ami avocat était également présent et a pu transmettre au demandeur une lettre de son frère relatant ces événements, que les deux individus qui ont agressé le demandeur dans sa voiture savaient qu’il emprunterait une route différente et qu’il devrait s’arrêter à un feu rouge, et que le père du demandeur, fonctionnaire dans un tribunal civil, avait pu amasser des informations concernant la torture et le meurtre de personnes arrêtées et détenues.

 

[17]           Enfin, la SPR a relevé un certain nombre de contradictions et d’omissions dans la preuve. Ainsi, le demandeur n’a pas mentionné dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’il avait été forcé de déchirer la première plainte qu’il avait déposée et dans laquelle il indiquait avoir été ciblé au moment du vol survenu dans son automobile, alors qu’il s’agissait là de l’explication suivant laquelle il n’avait pas mentionné que ses agresseurs avaient été envoyés par le Bureau du procureur général. Il a également déclaré à la question 31 de son FRP que son frère l’avait informé dans sa lettre que lui et trois autres personnes avaient été torturés, qu’un complot avait été fomenté pour faire accuser le demandeur lui-même, et qu’un individu dénommé Armando Rios Bonilla aurait été enlevé, alors que la lettre ne fait aucunement mention de ces informations.

[18]           Compte tenu de ces invraisemblances, contradictions et omissions, ainsi que du caractère spéculatif de plusieurs affirmations du demandeur, la SPR pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’était pas crédible.

 

[19]           Le demandeur a également tenté de faire valoir que le Commissaire avait erré en spéculant sur les possibilités de recours du demandeur en droit mexicain. Il est bien établi que le droit étranger est une question de fait qui doit être prouvée : Hernandez Rodriguez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1331 au para 26 (disponible sur CanLII); Lakhani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 674 aux para 22-23, 158 ACWS (3d) 638. Dans le cas présent, le Commissaire a conclu que le demandeur pourrait entreprendre un recours pour faire suspendre le deuxième mandat d’arrestation, comme il l’avait fait en 2008 pour le mandat donc il croyait faire l’objet. Le demandeur a tenté de soutenir qu’il ne pourrait prendre un tel recours parce qu’il y avait chose jugée, mais n’a déposé aucune preuve concernant le droit mexicain à cet égard. Il ne peut maintenant s’appuyer sur sa propre négligence pour contester la conclusion de la SPR.

 

[20]           Enfin, le demandeur a soutenu que la SPR avait omis de considérer un certain nombre d’éléments de preuve qui ont une forte valeur probante et qui auraient pu avoir un impact sur la décision. Il a tout d’abord fait référence à son itinéraire de voyage, dont on n’aurait conservé que la première des deux pages dans son dossier. D’une part, ce n’est pas à la SPR que ce document a été confié par le demandeur, mais bien aux autorités de l’Agence des services frontaliers à son arrivée au pays. .D’autre part, le demandeur n’a pas indiqué quel préjudice il aurait subi en raison de l’absence de cette page et n’a pas mentionné quelle information importante y aurait été contenue.

[21]           Le demandeur reproche également à la SPR de ne pas avoir tenu compte de la preuve tendant à démontrer la corruption de l’ancien gouverneur de l’État de Puebla. Je note cependant que les documents soumis en preuve ne font pas état de la corruption des tribunaux, et rien ne permet donc de croire que le demandeur ne pourrait obtenir la levée du mandat d’arrestation qui pèserait contre lui s’il n’est effectivement pas l’auteur des infractions qu’on lui reproche. En tout état de cause, cette question apparaît secondaire à partir du moment où le demandeur n’a pas réussi à établir qu’il avait été ciblé à cause de la thèse qu’il avait voulu déposer et de l’information qu’il détenait. À cet égard, le Commissaire pouvait d’ailleurs s’en remettre au sens commun pour s’interroger sur le choix du demandeur de dévoiler cette information dans le cadre d’une thèse universitaire plutôt que d’alerter les médias.

 

[22]           Enfin, je note que le demandeur n’a pas jugé bon de déposer l’entièreté du jugement de la cour mexicaine qui a condamné son frère et ses co-accusés pour enlèvement et extorsion. Ce jugement aurait pu fournir un éclairage pertinent sur les allégations voulant que ces personnes aient toutes été arrêtées et condamnées dans le seul but de se saisir du demandeur. Le Commissaire pouvait très certainement tirer une inférence négative quant à la crédibilité du demandeur sur la base de cette omission.

 

[23]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que le demandeur n’a pas établi le caractère déraisonnable de la décision contestée. Le demandeur a proposé de certifier une question quant à la façon de prouver le droit étranger. Il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande, d’une part parce que cette question a déjà fait l’objet de nombreux jugements, et d’autre part parce qu’elle ne serait pas déterminante aux fins du présent dossier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-4859-12

 

INTITULÉ :

VICTORIA GOMEZ, JULIO CÉSAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 16 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 23 octobre 2013

COMPARUTIONS :

Me Felipe Morales

Pour le dEMANDEUR

 

Me Sonia Bédard

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Felipe Morales

Montréal (Québec)

 

Pour le dEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.