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Date : 20131021


Dossier : IMM-1818-13

 

Référence : 2013 CF 1053

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

demandeur

et

TAMAM ABDALLAH

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Tamam Abdallah, une citoyenne du Liban, a marié Mohammad Ayache le 9 janvier 2009, au Liban, environ un mois après leur rencontre. Le mariage a été arrangé par leurs pères respectifs, qui se connaissaient. Après le mariage, M. Ayache est rentré au Canada, mais Mme Abdallah est restée au Liban, d’où elle a présenté une demande de résidence parrainée par M. Ayache. Mme Abdallah a été interrogée par un membre du personnel de l’ambassade à Damas, en Syrie, le 9 juin 2009, et elle a obtenu son visa de résidente permanente plus tard ce jour‑là. Le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration [STIDI] contient une entrée datée du 10 juin 2009 qui indique que la demanderesse a reçu le visa et une confirmation de résidence permanente. À la lumière des documents eux‑mêmes, il est clair que ceux‑ci étaient datés du 9 juin et que tant la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SI] et la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SAI] ont accepté la preuve présentée par Mme Abdallah pour établir qu’elle a récupéré les documents tard le 9 juin 2009.

 

[2]               Le 8 juin 2009, soit le jour précédant l’entrevue avec l’ambassade, Mme Abdallah et M. Ayache se sont disputés au téléphone, ce qui aurait amené M. Ayache à remettre en question le parrainage de son épouse. Le 18 juin 2009, à l’insu de Mme Abdallah, il a faxé une note à l’ambassade pour l’aviser qu’il ne souhaitait plus parrainer la demande de Mme Abdallah. 

[traduction]

Je sollicite l’annulation de ma demande concernant Tamam Abdallah. Je ne souhaite plus la parrainer, parce que j’ai l’impression qu’elle se sert de moi seulement pour venir au Canada. Je crains sérieusement qu’elle me quitte à son arrivée.

 

[3]               Le même jour, l’ambassade a tenté de téléphoner à Mme Abdallah, en vain. Mme Abdallah savait qu’elle avait manqué ces appels, qui figuraient sur son afficheur. Lors de son témoignage, elle a dit avoir retourné les appels, mais soit il n’y avait pas de réponse, soit elle tombait sur un message enregistré de l’ambassade. Deux jours plus tard, soit le 20 juin 2009, Mme Abdallah a acheté un billet d’avion pour un vol à destination du Canada le 22 juin 2009.

 

[4]               Le 21 juin 2009, l’ambassade a téléphoné à Mme Abdallah et l’a informée du fait que l’offre de parrainage avait été retirée et qu’elle devait rendre son visa [l’appel du 21 juin]. Le 24 mars 2011, Mme Abdallah a dit à la SI qu’on lui avait demandé de rendre le visa parce que celui‑ci avait été annulé, mais qu’on ne lui avait pas fourni de raison. Confrontée à sa déclaration précédente, selon laquelle on lui avait dit que l’offre de parrainage avait été retirée, elle a répondu [traduction] : « Je suis au Canada depuis deux ans maintenant. Je ne puis l’affirmer avec certitude, non, et je ne puis nier avoir dit cela ». Voici un extrait de la déclaration qu’elle a faite sept mois avant ce témoignage, soit le 23 juin 2010 :

[traduction]

Le 21 juin 2009, j’ai reçu un appel d’une personne qui disait travailler à l’ambassade du Canada à Damas. Elle m’a dit que je devais rendre les documents d’immigration délivrés le 10 juin 2009, parce que l’offre de parrainage avait été retirée. Je ne savais pas quoi en penser, et j’étais confuse, parce que j’avais reçu les documents de résidence permanente le 9 juin 2009. De plus, aucun des membres de la famille de mon mari n’a communiqué avec moi ou avec un membre de ma famille pour m’informer de la situation, et j’ai cru à une erreur ou à une farce.

 

J’ai dit à la personne à l’autre bout du fil que je rendrais les documents. J’ai ensuite parlé à mon agent de voyage, et il m’a dit que s’il y avait un problème avec mes documents, je ne serais pas autorisée à monter à bord de l’avion à Beyrouth. J’ai donc décidé de ne pas retourner au bureau des visas, car en plus de l’erreur de date, ni ma belle‑famille ni mon parrain ne m’avaient informée que le parrainage avait été annulé ou que la relation était terminée. Mon mari ou sa famille n’ont absolument rien laissé transparaître qui m’aurait permis de penser qu’il souhaitait mettre fin à notre relation. J’ai soupçonné ses parents de vouloir s’interposer, mais je pensais que, forts de notre histoire, Mohamed et moi pourrions les convaincre, une fois réunis. J’ai donc décidé de venir au Canada le plus tôt possible. »

 

[5]               Dans son témoignage devant la SAI, elle clairement dit que, selon ce qu’on lui avait dit, [traduction] « Mohammed, qui – qui m’avait parrainée – avait retiré son offre de parrainage ».

 

[6]               En dépit de son affirmation selon laquelle son mari n’avait [traduction] « absolument rien laissé transparaître qui [lui] aurait permis de penser qu’il souhaitait mettre fin à [la] relation », Mme Abdallah a admis avoir eu une dispute lors de la conversation téléphonique du 8 juin 2009 et que, bien qu’elle ait tenté de le rejoindre, M. Ayache ne lui a jamais reparlé depuis. Il s’agissait de tout un revirement, car avant la dispute, selon la preuve, ils se parlaient tous les jours ou tous les deux jours.

 

[7]               Mme Abdallah n’a pas rendu le visa, contrairement à la promesse qu’elle avait faite. Elle a plutôt pris un vol à destination du Canada le 22 juin 2009, et a obtenu la résidence permanente. Elle n’a pas mentionné l’appel du 21 juin à l’agent au point d’entrée.

 

[8]               Depuis son arrivée au Canada, Mme Abdallah n’a pas cohabité avec M. Ayache. Ils ont officiellement divorcé le 14 novembre 2011. De plus, bien qu’elle ait affirmé le contraire à l’agent des visas le 8 juin 2009, elle admet aujourd’hui qu’elle n’a jamais vécu avec M. Ayache, et qu’elle n’a jamais eu de relation intime avec lui.

 

[9]               Comme Mme Abdallah n’avait pas dévoilé l’information qui lui avait été transmise lors de l’appel du 21 juin, elle a été déclarée interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, selon lequel emporte interdiction de territoire pour fausses déclarations le fait de, « directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ». 

 

[10]           La SI a conclu qu’elle était interdite de territoire, ainsi que l’a allégué le ministre. Pour parvenir à cette conclusion, le commissaire a établi que Mme Abdallah avait fourni une explication non crédible de son interprétation de l’appel du 21 juin, et de la raison pour laquelle elle n’a pas mentionné cet appel à l’agent au point d’entrée :

[traduction]

Je suis d’avis que la preuve de Mme Abdallah quant à son interprétation de l’appel téléphonique n’est pas crédible. Compte tenu des circonstances dans lesquelles elle a reçu l’appel, je ne crois pas qu’elle ait pensé à une erreur ou à une blague. Bien que M. Ayache ne lui ait pas dit directement qu’il retirait son offre de parrainage, il n’en demeure pas moins que peu de temps avant de recevoir l’appel de l’ambassade, M. Ayache et Mme Abdullah [sic] se sont disputés au téléphone. Après cette dispute, M. Ayache a refusé de prendre ses appels, ou de la rappeler lorsque sa famille le lui a demandé. Mme Abdullah [sic] savait que l’ambassade tentait de communiquer avec elle après sa dispute avec M. Ayache, étant donné qu’elle avait vu le numéro de téléphone de l’ambassade sur son afficheur le 18 juin 2009.

 

De plus, quand Mme Abdallah a été interrogée par l’agent d’immigration, le 14 décembre 2009, elle a affirmé que sa dernière conversation avec son mari remontait au 9 juin 2009. Lorsque l’agent lui a demandé pourquoi elle était venue au Canada même si la relation était terminée, Mme Abdallah a répondu qu’elle croyait que si son mari la voyait, la réconciliation serait possible. Cette affirmation contredit celle voulant qu’elle n’a pas cru l’ambassade lorsque cette dernière lui a dit que M. Ayache souhaitait retirer son offre de parrainage.

 

[11]           Lors de l’appel, la SAI a annulé le constat d’interdiction de territoire. La SAI a conclu que lors de l’appel du 21 juin, l’affirmation selon laquelle l’offre de parrainage avait été retirée [traduction] « n’était pas une représentation exacte, étant donné que la demande de retrait n’avait pas encore été approuvée par [le centre de traitement des demandes] ». La SAI a ainsi déclaré ce qui suit :

[traduction]

L’obligation de franchise forçant la divulgation de l’appel téléphonique du 21 juin 2009 aux agents au point d’entrée aurait existé si l’appel de l’ambassade avait raisonnablement pu être considéré comme un appel avisant l’appelante que l’offre de parrainage était retirée. Le fait que l’agent a dit que l’offre de parrainage était « retirée » ne rend pas le retrait effectif, et l’affirmation selon laquelle l’appel du 21 juin 2009 constitue un avis de retrait donne un portrait erroné de l’état du parrainage au moment de l’appel.

 

L’affirmation la plus exacte que l’on puisse faire au sujet de l’appel téléphonique fait par l’ambassade le 21 juin 2009 est qu’il permettait à l’appelante de penser que son état matrimonial soulevait peut‑être des questions qui pourraient devoir être réglées. (Non souligné dans l’original.)

 

[12]           En outre, et subsidiairement, la SAI a conclu que l’appel devait être accueilli pour des motifs d’ordre humanitaire. En prenant cette décision, elle a conclu que  [traduction] « même si la non‑divulgation de renseignements au point d’entrée était considérée comme une fausse représentation, celle‑ci serait à mon avis plutôt innocente compte tenu des circonstances dans lesquelles elle a été informée du “retrait” ».

 

[13]           Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie.

 

Questions en litige

[14]           Le ministre soutient que :

1.      La SAI a commis une erreur dans son interprétation de « l’obligation d’être sincère » qui incombe à la personne qui cherche à entrer au Canada, et plus précisément dans son interprétation de l’exception décrite dans la décision Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345 (ACF) [Medel];

2.      L’application, par la SAI, de l’exception décrite dans la décision Medel était déraisonnable d’après les faits de l’espèce;

3.      La SAI a tiré des conclusions de fait déraisonnables concernant la croyance subjective de Mme Abdallah selon laquelle le fait de ne pas mentionner l’appel du 21 juin n’équivalait pas à une réticence sur des renseignements importants;

4.      Ces conclusions de fait déraisonnables jettent un doute sur la décision de la SAI de faire droit à l’appel pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

Analyse

[15]           Les étrangers qui tentent d’entrer au Canada ont une obligation de franchise : Bodine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, aux paragraphes 41 et 42.  Le paragraphe 16(1) de la Loi prévoit que « l’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis ». (Non souligné dans l’original.) 

 

[16]           L’alinéa 40(1)a) de la Loi établi les conséquences d’un manquement à l’obligation de franchise : « [e]mportent interdiction de territoire pour fausses déclarations [le fait de,] a) directement ou indirectement, faire une représentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ».

 

[17]           Cette disposition est rédigée en termes généraux et englobe même les fausses représentations faites par une tierce personne à l’insu du demandeur :  LBJ c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 942, au paragraphe 35. Elle englobe également les omissions innocentes de fournir des renseignements importants :  Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15. En bref, la portée de cette disposition est très large et toute exception doit être interprétée de manière restrictive.

 

[18]           Une exception étroite à l’obligation générale de franchise a été établie par la Cour d’appel fédérale du Canada dans la décision Medel. Dans cette décision, la demanderesse avait présenté une demande de résidence permanente parrainée par son mari. Son mari avait retiré son offre de parrainage avant qu’elle vienne au Canada, sans l’aviser de ce retrait. L’ambassade lui avait envoyé un télégramme l’avisant qu’elle devait retourner son visa avant de l’utiliser, afin qu’une erreur d’inscription puisse être corrigée, ce qui donnait à penser que le visa lui sera rendu une fois la correction apportée. En fait, l’ambassade avait caché la véritable raison pour laquelle le visa devait être retourné (soit que son mari avait retiré son offre de parrainage). 

 

[19]           Plusieurs mois avant de recevoir ce télégramme, la demanderesse avait fait vérifier son visa au consulat du Canada, et on lui avait dit que ses documents étaient conformes. Après avoir reçu le télégramme, elle avait demandé à son oncle et à un ami qui parlaient couramment anglais de jeter un coup d’œil au visa. Ils avaient eux aussi conclu qu’il n’y avait pas d’erreur sur le visa. Elle avait ensuite reçu un nouvel appel de l’ambassade l’avisant du fait qu’elle ne pourrait utiliser son visa tel qu’il existait et qu’elle devait le retourner. Elle avait répondu qu’elle le retournerait. Après une deuxième consultation de son oncle et de son ami, elle avait conclu que rien ne clochait sur le visa et, plutôt que de retourner le document, elle s’en était servie pour entrer au Canada. Elle n’avait pas parlé du télégramme ni de l’appel téléphonique à l’agent au point d’entrée.

 

[20]           La Cour a conclu que la demanderesse était subjectivement inconsciente du fait qu’elle dissimulait de l’information. En outre, comme on lui avait seulement dit qu’il s’agissait d’une erreur d’inscription, et comme tant les membres de sa famille que le consulat du Canada lui avaient confirmé qu’il n’y avait pas d’erreur dans ses documents, il était raisonnable de conclure à une inconscience subjective. Elle ne savait pas que son mari avait retiré son offre de parrainage. La Cour a également souligné que si l’ambassade avait révélé la véritable raison pour laquelle le visa devait être rendu, on aurait pu conclure à une fausse représentation de la part de la demanderesse. Or, puisqu’elle avait été induite en erreur, elle avait cru subjectivement ne pas dissimuler d’information.

 

[21]           L’exception pour cause d’« inconscience subjective », telle qu’il est établi dans la décision Medel, a été interprétée de manière large depuis sa première mention : voir, par exemple, Mohammed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 CF 299.

 

[22]           Le ministre fait valoir que la SAI n’a pas interprété correctement l’exception à l’obligation générale « d’être sincère » établie dans la décision Medel. Plus précisément, l’exception, dans la décision Medel, n’était pas en soi liée au fait que l’ambassade avait fourni une raison inexacte pour justifier le fait que le visa devait être rendu. De fait, l’ambassade avait plutôt essayé de tromper la demanderesse et, après vérification indépendante ayant permis de confirmer l’absence d’erreur, la demanderesse croyait subjectivement qu’il n’y avait pas d’information importante à cacher, et cette croyance était raisonnable. 

 

[23]           Le ministre fait valoir qu’en concluant que la décision Medel ouvrait la voie à une exception dès lors que l’ambassade communiquait au demandeur un renseignement inexact, quel qu’il soit, la SAI a commis une erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Il est soutenu que la SAI a essentiellement mal compris la portée de la décision Medel.

 

[24]           Je suis d’accord.

 

[25]           La SAI avait raison d’affirmer que pour l’application de l’exception mentionnée dans la décision Medel, la demanderesse devait croire [traduction] « honnêtement et raisonnablement » qu’elle ne dissimulait pas d’information importante. Toutefois, la SAI n’a pas interprété correctement l’importance et l’inexactitude des affirmations de l’ambassade. La SAI a conclu qu’en mentionnant le retrait de l’offre de parrainage lors de l’appel du 21 juin, l’ambassade a fait [traduction] « une affirmation inexacte concernant l’état du parrainage au moment de l’appel », ce qui annule l’obligation de franchise. Cette interprétation de la décision Medel est erronée.

 

[26]           La SAI a conclu erronément que la décision Medel implique que les affirmations inexactes de l’ambassade rendent objectivement raisonnable la non‑divulgation d’information aux agents au point d’entrée. Toutefois, dans la décision Medel, l’inexactitude était importante seulement parce que les affirmations avaient pour but d’induire la demanderesse en erreur, et parce que le consulat et les membres de la famille de la demanderesse avaient indépendamment affirmé que rien dans le visa ne clochait. Conjuguée au fait que la demanderesse avait obtenu une confirmation indépendante, l’intention de tromper sous‑jacente à la non‑divulgation de la véritable raison pour laquelle l’ambassade voulait que le visa soit retourné (soit que l’offre de parrainage avait été retirée) faisait en sorte qu’il était raisonnable de la part de la demanderesse de croire qu’elle ne dissimulait pas d’information importante. L’inexactitude de l’affirmation de l’ambassade n’a rien à voir avec la croyance subjective de la demanderesse, ni avec le caractère raisonnable de cette croyance en soi.

 

[27]           La SAI a conclu que Mme Abdallah n’avait pas dissimulé d’information importante, étant donné que l’ambassade n’avait pas précisé que le retrait de l’offre de parrainage n’était pas encore officiel. Cela dit, la SAI a tiré cette conclusion prématurément en n’établissant pas comment l’inexactitude de l’affirmation de l’ambassade avait joué sur la croyance subjective de la demanderesse quant à la question de savoir si elle dissimulait ou non de l’information susceptible de jouer un rôle déterminant dans l’issue de sa demande. Ainsi, la SAI a commis une erreur en ne procédant pas à cette analyse.

 

[28]           Le ministre souligne avec justesse que l’état véritable de la demande de retrait de l’offre de parrainage n’a pas pu avoir d’incidence sur la croyance subjective de Mme Abdallah quant à la question de savoir si elle dissimulait ou non de l’information importante, ni sur le caractère raisonnable de cette croyance. Même si Mme Abdallah ne croyait pas que l’offre de parrainage avait été retirée, elle savait, ou aurait dû savoir, que cette information (qu’elle soit vraie ou fausse) aurait un poids important dans la décision relative à sa demande de résidence permanente. Elle avait donc l’obligation de divulguer le fait qu’on lui avait dit que l’offre de parrainage avait été retirée, peu importe la véracité de cette affirmation, et peu importe si elle y croyait ou non.

 

[29]           Indépendamment de l’analyse juridique, comme la demanderesse n’avait plus de nouvelles de son mari, malgré les efforts qu’elle déployait pour entrer en communication avec lui, comme elle savait que l’ambassade tentait de la rejoindre, et comme l’ambassade lui avait demandé, lors de l’appel du 21 juin, de rendre son visa parce que son mari avait retiré son offre de parrainage (demande à laquelle elle a acquiescé), il était tout simplement déraisonnable de la part de la SAI de conclure que la demanderesse pouvait au mieux avoir la croyance subjective [traduction] « qu’il pourrait y avoir des problèmes liés à sa relation conjugale ». 

 

[30]           Par conséquent, je considère que la SAI a appliqué erronément les faits au critère utilisé de la décision Medel. Bien que la SAI ait conclu que Mme Abdallah croyait subjectivement que l’offre de parrainage n’avait pas été retirée et que cette croyance était objectivement raisonnable, ces conclusions ne sont pas pertinentes, même si elles étaient vraies. La SAI devait plutôt se demander si Mme Abdallah « croyait raisonnablement, à la frontière, qu’elle ne cachait rien d’important en vue de son admission » : décision Medel, au paragraphe 12. Il ne fait nul doute que l’information relative à l’état de l’offre de parrainage (qu’elle soit véridique ou non) était importante pour son admission au Canada. Ainsi, la SAI n’a pas appliqué correctement le critère juridique aux faits.    

 

[31]           La SAI a conclu qu’il devait être fait droit à l’appel, non seulement parce que l’exception définie dans la décision Medel s’appliquait au cas de Mme Abdallah, mais également pour des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, pour faire annuler la décision de la SAI, le ministre doit également démontrer que les conclusions eu égard aux motifs d’ordre humanitaires étaient déraisonnables. Je conclus que le ministre s’est acquitté de ce fardeau.

 

[32]           S’appuyant sur la décision Deol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 990, où la Cour énonce les facteurs mentionnés dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (SAI T84-9623) [Ribic], la SAI a conclu qu’il devait être fait droit à l’appel pour des motifs d’ordre humanitaire, étant donné que :

1.      La fausse représentation était [traduction] « plutôt innocente compte tenu des circonstances dans lesquelles [Mme Abdallah] a été informée du “retrait” »;

2.      Mme Abdallah était établie au Canada sur les plans des relations, de l’emploi et de la collectivité : elle a poursuivi des études et occupé plusieurs fonctions de bénévole et elle entretient des liens avec des membres de sa famille élargie au Canada, [traduction] « ayant vécu avec sa belle‑sœur et sa famille et ayant pris soin des enfants de la famille durant plusieurs années »;

3.      Si elle était renvoyée au Liban, elle ne retrouverait pas la situation dans laquelle elle se trouvait avant, étant donné qu’elle a apporté d’importants changements à sa vie pour venir au Canada, et étant donné que son statut de divorcée lui causerait des ennuis sur le plan de l’emploi et de l’acceptation sociale.

 

[33]           Le ministre conteste la façon dont les facteurs ont été appliqués aux faits de l’espèce. Plus particulièrement, il est soutenu que la conclusion de la SAI, selon laquelle la fausse représentation était [traduction] « plutôt innocente », était factuellement inexacte et a teinté l’évaluation des considérations d’ordre humanitaires.

 

[34]           L’un des facteurs devant être examinés au moment de trancher la question de savoir s’il y a lieu de surseoir à la mesure de renvoi pour des motifs d’ordre humanitaire est « la gravité des fausses déclarations ayant entraîné la mesure de renvoi et les circonstances dans lesquelles elles ont eu lieu » : décision Deol, au paragraphe 7. Dans son évaluation, la SAI a conclu que les fausses représentations n’étaient pas très graves et qu’elles étaient « plutôt innocente compte tenu des circonstances dans lesquelles elle a été informée du “retrait” ». La SAI n’établit pas précisément quelles sont les « circonstances » sur lesquelles elle s’appuie pour tirer cette conclusion. Cela dit, à la lumière du dossier soumis à la Cour, les circonstances comprennent les faits suivants :

1.      Elle savait depuis un certain temps que depuis la dispute qu’elle avait eue avec son mari, ce dernier ne communiquait plus avec elle;

2.      Après la dispute, elle savait que l’ambassade tentait de la rejoindre;

3.      Lors de l’appel du 21 juin, l’ambassade l’a informée du fait que son mari avait retiré son offre de parrainage et qu’elle devait rendre son visa.

 

[35]           La SAI semble accorder une grande importance au fait que seule l’ambassade, et non M. Ayache lui‑même, l’a informée du retrait de l’offre de parrainage. Il est soutenu que pour cette raison, il était raisonnable de sa part de penser que l’offre de parrainage n’avait pas été retirée. Selon moi, étant donné que c’est l’ambassade qui avait délivré le visa et que M. Ayache refusait de parler à Mme Abdallah après leur dispute, il n’est vraiment pas étonnant que M. Ayache ait seulement communiqué avec l’entité émettrice du visa, soit l’ambassade, et non avec Mme Abdallah.

 

[36]           J’ai dit plus tôt que, selon moi, il était déraisonnable de la part de la SAI de conclure qu’aucune fausse représentation n’avait été faite. J’estime de surcroît qu’il était déraisonnable de conclure que la fausse représentation était innocente. Que cela était vrai ou non, Mme Abdullah avait reçu l’information selon laquelle l’offre de parrainage avait été retirée et selon laquelle le visa devait être retourné. Elle savait qu’en le retournant, elle ne pourrait pas entrer au Canada. Elle savait ou aurait dû savoir que si elle disait à l’agent au point d’entrée qu’on l’avait informée du retrait de l’offre de parrainage, qu’on lui avait demandé de rendre le visa et qu’elle avait accepté de le faire, elle se serait probablement vu refuser l’entrée au Canada. Malgré cela, elle a pris l’avion et a omis de divulguer des faits très pertinents qui, s’ils avaient été connus, auraient pu entraîner son renvoi immédiat au Liban. 

 

[37]           Selon moi, la gravité de la fausse représentation doit raisonnablement être qualifiée de très élevée.

 

[38]           De plus, la SAI a omis de tenir compte d’un des facteurs pertinents mentionnés dans la décision Ribic, nommément la question de savoir si le demandeur éprouve des remords. Comme la SAI a mal qualifié la fausse représentation et mal évalué sa gravité, et étant donné qu’elle n’a pas tenu compte de la question de savoir si la demanderesse avait des remords au moment d’examiner les autres facteurs, il n’est pas évident que la SAI aurait autrement tiré la même conclusion eu égard aux motifs d’ordre humanitaire. La portée de l’arrêt Dunsmuir ne permet pas à la Cour de procéder à cette appréciation. La décision doit être prise par la SAI après une nouvelle audition de l’appel de Mme Abdallah ou, si les parties y consentent, à la lumière du dossier soumis à la Cour. 

 

[39]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande est accueillie.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit accueillie, que la décision de la SAI soit infirmée, et que l’appel interjeté par la défenderesse soit examiné à nouveau par un autre commissaire de la SAI.

 

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad.a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-1818-13

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c TAMAM ABDALLAH

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :             Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 15 octobre 2013

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Zinn

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 21 octobre 2013

COMPARUTIONS :

Brad Hardstaff

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Michael A. E. Greene

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

SHERRITT GREENE

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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