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Date : 20131022


Dossier :

IMM-11928-12

 

Référence : 2013 CF 1063

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2013

En présence de monsieur le :            juge Phelan

 

ENTRE :

MARY EFUA GYARCHIE

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          INTRODUCTION

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne une allégation de négligence de la part de l’avocat et le refus par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de rouvrir la demande d’asile de la demanderesse.

 

[2]               La SPR a rejeté la demande d’asile et le juge Kelen a refusé la demande d’autorisation.

 

[3]               La demande de réouverture est régie par l’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228. La question fondamentale consiste à déterminer s’il y a eu un manquement à un principe de justice naturelle.

 

 

L’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés a été modifié le 15 décembre 2011. La version susindiquée était en vigueur lorsque la décision faisant l’objet du présent contrôle a été prise.

II.        CONTEXTE

[4]               La demanderesse, une ressortissante du Ghana, a fait appel aux services juridiques de Me Atuobi-Danso, également citoyen du Ghana. Le 11 août 2010, Me Atuobi-Danso a présenté une demande d’asile aux motifs que la demanderesse était victime de violence conjugale et était accusée d’être une sorcière.

 

[5]               En octobre 2010, le Barreau du Haut-Canada a infligé des sanctions disciplinaires à MAtuobi-Danso et en janvier 2011, son droit de pratique a été suspendu pour refus de communiquer des documents et pour défaut de collaborer aux fins d’une enquête. L’objet de ces procédures disciplinaires ne concerne en rien la demanderesse. En fin de compte, MAtuobi-Danso a renoncé de manière définitive à exercer le droit.

 

[6]               En mars 2011, MAtuobi-Danso a informé la demanderesse de la suspension de son permis d’exercer le droit en raison de certains problèmes liés à ses dossiers. Même si la demanderesse était au fait de cette situation, elle a continué à suivre les conseils de MAtuobi-Danso.

 

[7]               La demanderesse a indiqué qu’elle n’avait pas compris que la présente suspension signifiait que MAtuobi-Danso ne pouvait pas la représenter. Lorsqu’elle a demandé si elle avait besoin de faire appel aux services d’un autre avocat aux fins de sa comparution à l’audience de la SPR, MAtuobi-Danso lui aurait dit qu’elle maîtrisait suffisamment bien son dossier, et qu’elle pouvait se présenter à l’audience sans la présence d’un avocat.

 

[8]               Il convient de souligner que le barreau exige des avocats qui ont fait l’objet d’une suspension qu’ils indiquent à leurs clients qu’ils devraient faire appel aux services d’un autre avocat. La raison pour laquelle le barreau imposerait une telle obligation en la matière à un avocat qui a commis un tel manquement grave à ses responsabilités professionnelles au point de justifier une suspension, n’est pas claire.

 

[9]               Le 14 septembre 2011, la demanderesse s’est présentée à l’audience de la SPR sans la présence d’un avocat. La SPR a soulevé la question de la suspension de son avocat, et lui a demandé si elle était prête à poursuivre sans la présence d’un avocat. Elle a répondu par l’affirmative.

 

[10]           La demanderesse a soutenu en cette Cour qu’elle avait décidé de poursuivre en l’absence d’un avocat sur les conseils de MAtuobi-Danso.

 

[11]           La SPR a rejeté la revendication de la demanderesse au motif qu’elle manquait de crédibilité, principalement parce que le défaut de celle-ci de présenter une demande d’asile dans les pays qu’elle avait visités ou dans lesquels elle avait résidé (États-Unis et Jamaïque) était incompatible avec une crainte subjective. Il semblerait que la SPR n’ait vu aucune raison de répondre aux allégations concernant le fait qu’elle serait une sorcière, vraisemblablement parce que l’absence de crainte subjective englobe l’ensemble des motifs de la revendication de la demanderesse.

 

[12]           À la suite de la décision défavorable, la demanderesse a demandé une fois de plus à MAtuobi-Danso de lui donner des conseils. Il s’est ensuite occupé de sa demande d’autorisation de manière non officielle, et celle-ci a été rejetée. Même après le rejet de la demande d’autorisation, la demanderesse a cherché à obtenir les conseils de MAtuobi-Danso concernant une demande d’ERAR.

 

[13]           La demanderesse a finalement décidé de faire appel aux services d’un avocat bénévole en vue de traiter sa demande de réouverture.

 

[14]           La SPR a rejeté la demande de réouverture de la revendication du statut de réfugié qui reposait sur le fait que l’incompétence de l’avocat aurait donné lieu à un déni de justice naturelle.

 

[15]           La SPR a statué à l’encontre de la demanderesse pour les motifs suivants :

                     Compte tenu de son éducation (elle était titulaire d’un certificat de soins infirmiers), il était déraisonnable qu’elle ait continué à faire appel aux services de MAtuobi-Danso sachant qu’il avait fait l’objet d’une suspension;

                     La demanderesse a renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat lorsqu’elle a indiqué à la SPR qu’elle était prête à poursuivre sans la présence d’un avocat lors de l’audience;

                     La décision de la demanderesse de chercher à obtenir les conseils de MAtuobi-Danso après le rejet de sa demande était « étrange et inexplicable », mais c’est une décision qu’elle a prise de son « propre gré »;

                     La demanderesse était à la recherche d’un tribunal favorable et avait commis un abus de procédure du fait qu’elle n’avait pas déposé de plainte auprès du barreau et qu’elle n’avait pas cherché à rouvrir le dossier dès qu’elle en a eu l’occasion.

 

III.       ANALYSE

[16]           Il est bien établi en droit que la question de la réouverture sur le fondement du déni de justice naturelle ou de l’équité procédurale doit être déterminée selon la norme de la décision correcte (Hillary c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 638, [2011] 4 RCF 440).

 

[17]           Il n’est pas nécessaire que le manquement à la justice naturelle soit causé par la SPR pour justifier une réouverture. Selon le principe absolu, une décision entachée d’un tel manquement est prise hors de la compétence du décideur. Il n’est pas nécessaire comme condition préalable à la réouverture que la SPR soit fautive.

 

[18]           Les commentaires formulés par la SPR concernant le fait que la demanderesse était à la recherche d’un tribunal favorable et avait commis un abus de procédure ne sont guère pertinents. Ceux concernant le fait que celle-ci avait continué à demander conseil à MAtuobi-Danso sont pertinents puisqu’ils portent sur le choix de la demanderesse et sur sa revendication selon laquelle elle avait été induite en erreur par l’avocat.

 

[19]           La demanderesse demande à la présente Cour de convenir que l’application du critère visant le maintien d’une renonciation au droit à l’assistance d’un avocat exige que cette renonciation soit « libre et éclairée » (voir Korpanay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 RCS 41, 1982 CanLII 12). Selon la demanderesse, sa renonciation au droit à l’assistance d’un avocat n’était pas « libre et éclairée » étant donné que cette décision n’avait pas été prise en toute connaissance de cause des effets d’une telle renonciation.

 

[20]           L’argument avancé par la demanderesse fondé sur les principes du droit criminel et sur la renonciation au droit garanti par l’alinéa 10b) de la Charte n’est pas pertinent en l’espèce. Une personne détenue ou arrêtée a le droit en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat, et le cas échéant, un avocat lui sera fourni aux frais de l’État. Lorsqu’une telle personne refuse de se faire représenter par un avocat, elle renonce au droit garanti par l’alinéa 10b) de la Charte, et il peut être approprié de procéder à une analyse de la renonciation.

 

[21]           Il n’y a aucun droit de ce genre en jeu dans le processus de demande d’asile. Les droits garantis par l’alinéa 10b) de la Charte reposent en partie sur la  nécessité de se protéger contre une détention injustifiée et contre l’auto-incrimination. Il n’y a aucune considération de la sorte dans le contexte de l’immigration.

 

[22]           Cette affaire ne constitue pas un cas de renonciation au droit à l’assistance d’un avocat comme tel, étant donné que la décision de ne pas recourir aux services d’un avocat a été prise par la demanderesse. Un demandeur d’asile qui se présente devant la SPR a le droit en vertu de l’article 167 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, de se faire représenter à ses frais. Lorsque ce demandeur choisit de ne pas se faire représenter ou qu’il choisit un représentant et qu’il regrette son choix par la suite, il n’y a pas renonciation au droit de choisir d’être représenté. L’exercice du droit de choisir d’être représenté n’entraîne pas une renonciation à ce droit.

 

[23]           Les dispositions législatives en matière de renonciation dans le contexte du droit pénal et du droit civil sont essentiellement les mêmes. Toutefois, en droit pénal, l’examen de la renonciation peut être plus strict en pratique. Dans les deux contextes, la renonciation doit être une assertion éclairée et non équivoque, soit verbalement soit pas la conduite, de la renonciation à certains droits.

[Traduction] Pour qu’il y ait renonciation, il faut généralement satisfaire à deux conditions préalables essentielles. Il faut être au fait de l’existence du droit ou du privilège objet de la renonciation, et du droit de son titulaire de s’en prévaloir, et il faut également démontrer clairement une intention de renoncer à l’exercice d’un tel droit.

 

Western Canada Investment Co c. McDiarmid (1922), 15 Sask LR 142 à 146 (CA)

[24]           La demanderesse savait que l’avocat avait fait l’objet d’une suspension; elle a pourtant choisi de suivre son conseil de ne pas recourir aux services d’un autre avocat. Il se peut que l’avocat l’ait mal conseillée et qu’il ait fait preuve de négligence, toutefois, suivre de mauvais conseils ne constitue pas en soi un manquement à la justice naturelle. La demanderesse n’a pas agi sous la contrainte ou ne faisait pas l’objet d’une forme d’incapacité sur le plan juridique.

 

[25]           La SPR a fait tout ce qu’elle pouvait raisonnablement faire en vue de veiller à ce que la demanderesse poursuive de son plein gré, notamment en lui demandant si elle voulait poursuivre en la présence d’un avocat et ensuite, en soulignant les éléments à être pris en considération.

 

[26]           Il appartient à la demanderesse de choisir son avocat et de retenir les services de celui-ci. Elle a continué d’agir de la sorte non seulement après la suspension de son avocat, mais également après la tenue de l’audience aux termes de laquelle il en a découlé une issue défavorable.

 

[27]           Outre la propre responsabilité de la demanderesse en ce qui a trait à l’audience sur la demande d’asile, elle n’a pas établi que l’absence d’un avocat avait eu des effets préjudiciables sur la décision. L’issue défavorable repose sur le fondement de plusieurs motifs; l’absence d’un avocat ne s’est pas avérée être un facteur pour ce qui est de la motivation de ces derniers. Il n’y a aucune preuve justifiant le contraire en l’espèce.

 

[28]           La jurisprudence de la présente Cour (voir par exemple, Betesh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 173, 165 ACWS (3d) 337, et Shirvan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509, 143 ACWS (3d) 1098) a établi que l’incompétence d’un avocat peut constituer l’assise d’une réouverture uniquement dans des cas exceptionnels. La demanderesse doit démontrer que s’il n’y avait pas eu incompétence de son avocat, il y a une probabilité raisonnable que les résultats aient pu être différents. 

 

[29]           Selon moi, la décision de la SPR de ne pas rouvrir la demande d’asile est fondée pour les motifs susindiqués.

 

IV.       CONCLUSION

[30]           Par conséquent, le présent contrôle judiciaire est rejeté. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-11928-12

 

INTITULÉ :

MARY EFUA GYARCHIE c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            8 OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 22 OCTOBRE 2013

COMPARUTIONS :

Anthony Navaneelan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ildikó Erdei

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le DÉFENDEUR

 

 

 

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