Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20131017


Dossier :

T-1263-12

 

Référence : 2013 CF 1049

Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

MICHEL TREMBLAY

 

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La présente est une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 7 juin 2012 par Jean-François Leblanc (le délégué du ministre), gestionnaire du Centre d’expertise d’allègement pour les contribuables de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC). Dans sa décision, le délégué du ministre a rejeté la demande d’annulation des pénalités imposées pour production tardive de déclarations d’impôt sur le revenu, effectuée par le demandeur en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) (LIR).

 

[2]               Le demandeur est un homme d’affaire qui œuvre dans le domaine de la construction depuis cinquante (50) ans.

 

[3]               Il a fait une première demande d’allègement visant l’annulation des pénalités et intérêts relativement aux années d’imposition 1998 et 1999, dans laquelle il faisait notamment état de sa situation financière précaire (Dossier du défendeur, Affidavit de Diane Michaud, Pièce 1, aux pp 6-8).

 

[4]               Dans une décision rendue le 19 avril 2011, le Coordonnateur d’équipe aux Recouvrements des recettes de l’ARC a accordé l’annulation des intérêts relativement aux années d’imposition 1998 et 1999, mais a refusé l’annulation des pénalités (Dossier du défendeur, Décision du 19 avril 2011, aux pp 10-12).

 

[5]               Le 20 mai 2011, le demandeur a fait une deuxième demande d’allègement relativement aux années d’imposition 1998 et 1999 afin d’obtenir l’annulation des pénalités (Dossier du défendeur, Affidavit de Diane Michaud, Pièce 3, aux pp 14-15).

 

[6]               Le 7 juin 2012, le délégué du ministre a rejeté la seconde demande d’allègement du demandeur et a refusé d’annuler les pénalités (Dossier du défendeur, Décision du 7 juin 2012, aux pp 17-20). Le demandeur reconnaît avoir déjà obtenu l’annulation des intérêts mais « demande maintenant à la Cour fédérale de lui accorder l’annulation des pénalités … » (Dossier de demandeur, Mémoire des faits et du droit du demandeur, à la page 2).

 

[7]               La décision qui fait l’objet du contrôle judiciaire devant la Cour est la décision du 7 juin 2012, soit celle du délégué du ministre.  

 

[8]               La question en litige soulevée par cette cause est la suivante : La décision du délégué du ministre de ne pas accorder l’annulation des pénalités pour production tardive de déclarations d’impôts était-elle raisonnable ?

 

[9]               Pour ce qui est de la norme de contrôle, la Cour est d’avis que la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision du délégué du ministre (Lanno c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 153 aux para 6-7, 139 ACWS (3d) 191 [Lanno]; Telfer c Canada (Agence du Revenu), 2009 CAF 23 au para 24, [2009] ACF no 71 (QL) [Telfer]; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Plus précisément, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement aux décisions discrétionnaires (Dunsmuir, précité au para 51). La Cour d’appel fédérale a également confirmé que les décisions du ministre qui applique le paragraphe 220(3.1) de la LIR sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Lanno, précité aux para 6‑7; Telfer, précité au para 24).

 

[10]           Il convient de rappeler que la présente demande est une demande de contrôle judiciaire. À titre de Cour de révision d’une décision discrétionnaire, la Cour ne peut sous-peser à nouveau les faits de l’affaire. Elle ne peut non plus substituer son jugement à celui du délégué du ministre. Son rôle se limite à celui de s’assurer que la décision rendue par le délégué du ministre fasse partie des issues possibles justifiables en regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité au para 47).

 

[11]           Le demandeur estime que les retards occasionnés par le conflit avec son comptable justifient la production tardive de ses déclarations et qu’il n’était pas raisonnable de maintenir les pénalités. Dans les faits, le demandeur invoque une erreur commise par un tiers, en l’occurrence son comptable, comme une situation hors de son contrôle ou des circonstances exceptionnelles expliquant son retard. La Cour ne peut retenir cet argument pour les raisons qui suivent.

 

[12]           La preuve ne démontre pas que le comptable du demandeur ait été négligent ou incompétent ou qu’il ait commis la moindre inconduite. Le recours à l’Ordre des comptables en management accrédités du Québec déposé par le demandeur vise une médiation relativement au compte d’honoraires (Dossier du tribunal, Lettre de Gilles Cossette, syndic de l’Ordre des comptables en management accrédités du Québec à Michel Tremblay, 18 octobre 2000, onglet 42) et aucune inconduite de la part du comptable n’a été portée à l’attention du délégué du ministre ou à cette Cour. La preuve démontre que le demandeur, en difficulté financière, n’est pas parvenu à payer les honoraires dus au comptable, lequel a alors retenu les états financiers inachevés. La Cour ne peut noter que la preuve soumise par le demandeur démontre que le comptable mandaté pour effectuer les états financiers n’a été mandaté que pour l’année 1998, alors que l’année 1999 est également en cause dans la présente demande (Dossier du tribunal, Lettre de Jacques Doucet à Michel Tremblay, 31 mai 1999, onglet 41).

 

[13]           Le paragraphe 220(3.1) de la LIR confère au ministre un pouvoir discrétionnaire de « renoncer » aux pénalités et intérêts payables par le contribuable. La Cour rappelle que les lignes directrices concernant l’allégement des contribuables prévoient que, sauf circonstances exceptionnelles, les contribuables sont généralement considérés comme responsables des erreurs commises par des tiers (Dossier du défendeur, Affidavit de Jean-François Leblanc, Pièce 2, Circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu n° IC07-1 au para 35, aux pp 61-62). Plusieurs décisions de la Cour fédérale ont confirmés ce constat : Northview Apartments Ltd c Canada (Procureur général), 2009 CF 74 au para 11, 176 ACWS (3d) 882 ; Légaré c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2003 CF 1047 au para 10, [2004] 5 CTC 44 ; Babin c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CF 972 au para 12, [2005] 4 CTC 1 ; Quastel c Canada (Agence du Revenu), 2011 CF 143 au para 29, 2011 GTC 2016 ; Succession Jones c Canada (Procureur général), 2009 CF 646 aux para 59-60, [2009] ACF no 813 (QL) ; Fleet c Canada (Procureur général), 2010 CF 609 au para 29, [2010] 5 CTC 85. Dans le cas qui nous occupe, et au regard du dossier, rien ne permet à cette Cour de déroger à ce principe.

 

[14]           Aussi, le demandeur n’a pas expliqué, malgré ses difficultés financières, en quoi sa situation l’empêchait d’estimer ses revenus ou de contacter l’ARC pour s’informer de ses droits et de ses obligations fiscales. Plus particulièrement, il appert que le demandeur n’a pas agi avec diligence pour remédier à tout retard ou omission. Il a en effet produit ses déclarations de revenus avec 1085 jours de retard pour l’année 1998 et 719 jours de retard pour l’année 1999. Qui plus est, il est demeuré inactif envers l’ARC pendant respectivement 897 et 694 jours pour les années fiscales 1998 et 1999, alors qu’il faisait l’objet de demandes formelles de production de ses déclarations.

 

[15]           Également, la Cour note les nombreuses déclarations tardives du demandeur ainsi que ses retards répétés à acquitter les soldes dus à l’ARC entre 1993 et 2009. La Cour note que parmi les facteurs utilisés pour arriver à sa décision, le délégué du ministre peut considérer si le contribuable a respecté par le passé ses obligations fiscales (Dossier du défendeur, Circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu n° IC07-1 au para 33, p 61).

 

[16]           Les lignes directrices précisent que la situation financière difficile d’un demandeur ne justifie une annulation des pénalités que dans des circonstances exceptionnelles, telles des catastrophes naturelles ou des maladies graves, ou encore quand la situation financière d’une entreprise est telle que l’application des pénalités mettrait sa survie et le bien-être de la collectivité en danger (Dossier du défendeur, Circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu n° IC07-1 aux para 23-27 et 33, aux pp 60-61). Aucune des ces circonstances exceptionnelles n’a été établie.

 

[17]           Bien que la Cour trouve la situation du demandeur regrettable, elle n’a décelé aucune erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du délégué du ministre. Ce dernier a fait une appréciation raisonnable des faits et de la preuve qui lui ont été soumis, a appliqué les dispositions pertinentes. La décision du délégué du ministre fait partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 

[18]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Avec dépens.

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T-1263-12

 

INTITULÉ :

MICHEL TREMBLAY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 8 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE BOIVIN

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 17 octobre 2013

COMPARUTIONS :

Jean-Roger Brodeur

POUR LE DEMANDEUR

Marie-France Camiré

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’avocat de Me Brodeur

Canton Tremblay (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.