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Date : 20131016

Dossier : T‑858‑12

Référence : 2013 CF 1045

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2013

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

OMAR KRAYA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie du contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) a rejeté la plainte du demandeur selon laquelle le comité d’évaluation avait abusé de son pouvoir en rejetant sa demande sur le fondement de références fournies par un répondant qui les avait retirées.

 

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance renvoyant l’affaire devant le Tribunal pour réexamen.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur est agent d’acquisition et de soutien du matériel au sein du groupe Approvisionnements du ministère de la Défense nationale (MDN). Il occupe un poste de niveau PG‑02. Il a présenté une demande pour faire partie d’un bassin de candidats qualifiés au niveau PG‑04.

 

[4]               La dernière étape du concours consistait en la vérification des références. Parmi les trois noms qu’il avait fournis, le demandeur avait donné celui de son gestionnaire (M. Burke). Le comité de sélection a communiqué avec M. Burke, puis le demandeur a été informé qu’il avait échoué l’étape de vérification des références. M Burke a ensuite demandé au comité de retirer son nom à titre de répondant, et le demandeur l’a aussi demandé. Le comité a refusé et la candidature du demandeur a donc été rejetée.

 

[5]               Le demandeur a soutenu devant le Tribunal que ce refus, entre autres, constituait un abus de pouvoir. Seul ce refus est visé par le contrôle judiciaire.

 

La décision

 

[6]               Le 30 mars 2012, le Tribunal a publié sa décision et ses motifs sous 2012 TDFP 0009. Le Tribunal a résumé la preuve qui lui avait été présentée, y compris les témoignages du demandeur, de M. Burke et d’un employé du MDN qui avait participé au processus de nomination.

 

[7]               Il est à noter que M. Burke a déclaré qu’il avait retiré ses références parce qu’il avait compris que le demandeur intenterait une action en justice.

 

[8]               Le Tribunal a conclu que le fait de s’appuyer sur les références fournies par M. Burke, même si celui‑ci avait demandé à ce qu’elles soient retirées, ne constituait pas un abus de pouvoir. Le Tribunal a cité une décision antérieure dans laquelle il déclarait que ce qui était important, c’était que le répondant connaisse suffisamment bien le travail du candidat pour fournir des renseignements adéquats. La décision de consentir au retrait des références appartenait au comité d’évaluation, qui doit déterminer s’il dispose de suffisamment de renseignements pour évaluer le candidat en connaissance de cause.

 

[9]               Le Tribunal a conclu que la preuve démontrait que M. Burke était le gestionnaire du demandeur. Même s’il ne le supervisait pas directement, M. Burke discutait quotidiennement avec lui au sujet du travail et participait à la gestion de son rendement. La preuve ne permettait pas de conclure que les références étaient peu fiables, non représentatives ou trompeuses. Si le demandeur avait des réserves au sujet du répondant, il n’aurait pas dû donner son nom au comité d’évaluation.

 

[10]           Le Tribunal a rejeté la plainte.

 

Questions

 

[11]           Dans son mémoire, le demandeur soulève la question suivante :

1.         Si une personne qui agit à titre de répondant demande le retrait des références qu’elle a données, le comité doit‑il accéder à sa demande?

 

[12]           Je reformulerais la question comme suit :

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.         Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en rejetant la plainte?

 

Observations écrites du demandeur

 

[13]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité, bien qu’il fasse également référence à l’équité procédurale. Le demandeur cite la définition que donne un dictionnaire du mot « retirer » et soutient que le comité a agi de façon irrégulière et préjudiciable en se fondant sur les références qu’un répondant avait retirées, étant donné que celles‑ci n’avaient aucune valeur et devraient être tenues pour nulles et sans effet. Le demandeur prétend que le Tribunal a fait preuve d’iniquité en appuyant la décision du comité.

 

Observations écrites du défendeur

 

[14]           Le défendeur reconnaît que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité et soutient que le Tribunal n’a commis aucune erreur susceptible de révision. Il ajoute qu’en ce qui concerne la présente affaire, le dossier du demandeur contient des documents qui n’ont pas été soumis au Tribunal et qui n’ont donc pas été présentés à la Cour selon les règles.

 

[15]           Le défendeur prétend que M. Burke, qui a tenté de retirer ses références, n’a pas expliqué au comité pourquoi il souhaitait le faire et n’a pas laissé croire que ses références étaient inexactes ou fausses.

 

[16]           Il affirme de plus que le seuil à atteindre pour que la Cour puisse conclure à un abus de pouvoir est élevé et que c’est au demandeur d’établir que la décision a été prise de mauvaise foi, qu’elle est teintée de favoritisme personnel ou entachée d’une autre manière semblable. Le terme « abus de pouvoir » est défini en partie au paragraphe 2(4) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art. 12 et 13, et s’entend notamment de la mauvaise foi et du favoritisme personnel. Les employés doivent comprendre qu’une plainte pour abus de pouvoir est une affaire très grave et que ça n’est pas simplement un moyen d’exposer ce que l’on considère comme une injustice.

 

[17]           Le défendeur soutient par ailleurs que le comité d’évaluation est le mieux placé pour décider s’il dispose de renseignements suffisants pour procéder à une évaluation. Sa décision n’est susceptible de révision que si le demandeur peut établir, selon la prépondérance des probabilités et au moyen d’une preuve claire et convaincante, qu’il y a eu mauvaise foi, favoritisme personnel, discrimination, corruption, faute lourde ou faute grave de nature semblable. En l’espèce, la preuve a démontré que M. Burke connaissait bien le travail du demandeur. La loi confère aux administrateurs généraux un vaste pouvoir discrétionnaire quant aux méthodes d’évaluation.

 

[18]           Le défendeur demande à la Cour de rejeter la demande et de lui accorder des dépens de 2 500 $. Il lui demande de plus de prononcer une ordonnance modifiant l’intitulé de façon à ce que le procureur général du Canada soit le seul défendeur dans la présente demande.

 

Analyse et décision

 

[19]           Question no 1

Quelle est la norme de contrôle applicable?

Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut l’adopter (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, par. 57).

 

[20]           La Cour suprême du Canada a récemment appliqué la norme du caractère raisonnable lors de l’examen d’une décision du Tribunal (voir Canada (Procureur général) c Kane, 2012 CSC 64, [2012] 3 RCS 398).

 

[21]           Lorsqu’elle examine la décision d’un tribunal suivant la norme de la raisonnabilité, la Cour ne doit intervenir que si le tribunal a tiré une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable ou intelligible, ou qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables compte tenu de la preuve (voir Dunsmuir, par. 47). Comme la Cour suprême l’a dit dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, il n’appartient pas à la cour de révision de substituer la solution qu’elle juge appropriée à celle qui a été retenue, et il n’entre pas dans ses attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve (par. 59 et 61).

 

[22]           Il est bien établi en droit qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence sur les questions d’équité procédurale (voir Khosa, par. 43).

 

[23]           Question no 2

Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en rejetant la plainte?

J’ai examiné l’argument soulevé par le demandeur en l’espèce, à savoir que le comité avait commis un abus de pouvoir en se servant des références en cause. Je ne vois aucune raison de modifier la conclusion du Tribunal à cet égard, compte tenu de la déférence dont il y a lieu de faire preuve à l’égard de son expertise dans l’interprétation de sa loi constitutive et dans l’examen des plaintes. Comme le Tribunal l’a indiqué dans ses motifs, l’objectif visé par le recours à des références est d’entendre une personne qui connaît le travail que faisait le demandeur. Le répondant dont le nom a été donné connaissait de fait le travail du demandeur.

 

[24]           Sur le plan procédural, je ne suis pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il prétend qu’il est inéquitable d’utiliser une référence qu’il a donnée. L’équité n’impose pas de permettre à une partie de retirer unilatéralement un élément de preuve qu’elle a elle‑même présenté au Tribunal si cet élément se révèle défavorable. Les références ont pour objet de permettre au comité d’entendre l’avis d’un tiers sur le rendement du demandeur. Il s’agit d’un moyen couramment utilisé en matière d’embauche, et c’est ainsi qu’il a été utilisé en l’espèce.

 

[25]           Je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

 

[26]           J’ai examiné la demande présentée par le défendeur en vue d’obtenir des dépens de 2 500 $. Je ne suis pas prêt à prononcer une ordonnance quant aux dépens sur le fondement des faits de l’espèce.

 

[27]           Dans ses observations écrites, le défendeur a demandé que l’intitulé soit modifié de façon à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme seul défendeur. Je suis prêt à consentir à cette modification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

2.         L’intitulé est modifié par le retrait à titre de défendeurs du sous‑ministre de la Défense nationale et du sous‑ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada, et par l’ajout, à titre de seul défendeur, du procureur général du Canada.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art. 12 et 13

 

 

2. (4) Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

2. (4) For greater certainty, a reference in this Act to abuse of authority shall be construed as including bad faith and personal favouritism.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑858‑12

 

INTITULÉ :                                                  OMAR KRAYA

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 1er mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE :                                                          Le 16 octobre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joshua Juneau

Michel Drapeau

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christine Diguer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de Michel Drapeau

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto ((Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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