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Date : 20131011

 

Dossier : T-1932-11

 

Référence : 2013 CF 1034

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2013

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

HORTILUX SCHRÉDER B.V.

 

demanderesse

ET

IWASAKI ELECTRIC CO., LTD.

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Vue d’ensemble

[1]               Les deux parties ont sollicité l’enregistrement de la marque de commerce « Hortilux » en liaison avec de l’équipement d’éclairage utilisé dans le secteur horticole. Chacune des parties s’est aussi opposée à l’enregistrement de cette marque par l’autre.

 

[2]               Dans le cadre de la première procédure, la Commission des oppositions des marques de commerce a autorisé (malgré l’opposition de la demanderesse, Hortilux Schréder) l’enregistrement de la marque « Hortilux » par la défenderesse, Iwasaki. Lors d’un contrôle judiciaire, toutefois, le juge James Russell a annulé la décision de la Commission au motif qu’Hortilux Schréder avait utilisé la marque la première (Hortilux Schréder BV c Iwasaki Electric Co Ltd, 2011 CF 967, aux paragraphes 54 et  89, conf. par Iwasaki Electric Co Ltd c Hortilux Schréder BV, 2012 CAF).

 

[3]               Dans le cadre de la deuxième procédure, également introduite en 2002, Hortilux Schréder sollicitait l’enregistrement de la marque de commerce « Hortilux », qu’elle prétendait utiliser depuis août 1997. Iwasaki s’est opposée à cette demande, en faisant valoir que, contrairement à ce qu’elle affirmait, Hortilux Schréder n’avait pas véritablement utilisé la marque au Canada pendant la période pertinente. De plus, selon Iwasaki, la marque n’avait pas le caractère distinctif exigé par la Loi parce qu’elle créait de la confusion avec sa propre marque.

 

[4]               En 2011, la Commission a rejeté la demande d’Hortilux Schréder pour deux motifs. Elle a conclu, premièrement, que l’emploi par Hortilux Schréder de son nom commercial ne constituait pas l’emploi de la marque « Hortilux » seule. Deuxièmement, les deux parties cherchaient à employer la même marque à l’égard de marchandises semblables, essentiellement au sein de la même industrie; « Hortilux » n’avait donc pas un caractère distinctif.

 

[5]               Hortilux Schréder sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de refuser l’enregistrement de sa marque, au motif que les deux conclusions tirées par la Commission sont erronées. Hortilux Schréder a présenté de nouveaux éléments de preuve qui, selon elle, auraient eu une incidence importante sur les conclusions de la Commission, et elle me demande de tirer de nouvelles conclusions au vu de l’ensemble de la preuve. Hortilux Schréder me demande de conclure, subsidiairement, que la décision de la Commission était déraisonnable. Iwasaki a elle aussi produit de nouveaux éléments de preuve.

 

[6]               Je conclus que les nouveaux éléments de preuve d’Hortilux Schréder n’auraient pas eu une incidence importante sur la décision de la Commission. Ces éléments n’aident pas à démontrer l’emploi de la marque de commerce « Hortilux » par Hortilux Schréder pendant la période pertinente, ni qu’elle possède un caractère distinctif. En outre, les conclusions tirées par la Commission constituaient des issues pouvant se justifier au regard de la preuve présentée et du droit. Ces conclusions étaient par conséquent raisonnables.

 

[7]               Les questions en litige sont les suivantes :

 

1.         Les nouveaux éléments de preuve auraient-ils eu une incidence importante sur la décision de la Commission?

 

2.         La Commission a-t-elle conclu erronément que la période d’emploi alléguée par Hortilux Schréder était inexacte?

 

3.         La Commission a-t-elle conclu erronément que la marque de commerce d’Hortilux Schréder n’était pas distinctive?

 

II.        Décision de la Commission

1.                  Preuve présentée à la Commission

a)         Preuve d’Hortilux Schréder

 

[8]               Hortilux Schréder a soutenu devant la Commission que l’emploi de son nom commercial « Hortilux Schréder » constituait un emploi de la marque « Hortilux ». Le mot « Schréder » serait vraisemblablement considéré être un simple nom de famille par les consommateurs.

 

(i)         Affidavit de M. Dickinson

[9]               M. George Dickinson, représentant de commerce de PL Light Systems Canada Inc., filiale canadienne d’Hortilux Schréder, a expliqué qu’Hortilux Schréder avait accordé à sa filiale l’autorisation d’utiliser la marque de commerce « Hortilux ». M. Dickinson a souligné qu’Hortilux Schréder vend ses produits uniquement à des grossistes ou à des serres commerciales, que ce soit directement ou par l’entremise de PL Light Systems. Ni celle‑ci ni Hortilux Schréder, contrairement à Iwasaki, ne vendent de marchandises à des détaillants ou à des consommateurs.

 

[10]           M. Dickinson a confirmé qu’en 1997, Hortilux BV avait changé son nom pour celui d’Hortilux Schréder. Il a produit un échantillon du ruban d’emballage accompagnant les produits vendus au Canada :

[11]           Sur le ruban figurent l’adresse de la société aux Pays-Bas, son numéro de téléphone, ainsi que son adresse courriel dans laquelle le mot « hortilux » figure seul. M. Dickinson a également produit des échantillons de pages du site Web de la société montrant que celle‑ci est connue sous le nom d’« Hortilux ».

 

(ii)        Affidavit de Mme MacIsaac

 

[12]      La déposition de Mme Gwendoline MacIsaac, étudiante en droit au bureau de l’agent d’Hortilux Schréder, a porté sur la fréquence d’emploi de noms de famille au Canada qui ressemblent à « Schréder ». Il n’y a dans l’annuaire Canada 411 que 14 personnes ayant le nom de famille « Schreder », et aucune ayant le nom « Schréder » (avec un accent). Mme MacIsaac a également cherché les noms de famille commençant par « Schre » et se terminant par « er », « ers » ou « dl »; 217 personnes ou couples répondaient à ce critère de recherche. Pour ce qui est des noms de famille similaires, « Schroeder » et « Schroder », la recherche a respectivement généré 1 591 et 171 inscriptions.

 

b)   Preuve d’Iwasaki

 

[13]           Iwasaki a fait valoir devant la Commission qu’Hortilux Schréder n’avait pas utilisé « Hortilux » depuis décembre 1997, soit depuis que la société a délaissé le nom Hortilux BV. Iwasaki a aussi fait valoir qu’« Hortilux » n’avait pas un caractère distinctif puisqu’elle‑même utilisait cette marque, dans le même secteur d’activités, en liaison avec des marchandises semblables.

 

(i)         Affidavit de M. Ward

[14]           M. Keith Ward, président et chef de l’exploitation d’EYE Lighting International of North America Inc., la filiale américaine d’Iwasaki, a expliqué que sa société détenait une licence pour la vente de lampes d’Iwasaki portant la marque de commerce « Hortilux »; EYE Lighting vend ces lampes depuis au moins le 31 décembre 1997. Le mot « Hortilux » est affiché bien en évidence sur les étiquettes, le matériel d’emballage et les documents promotionnels, habituellement précédé du mot « EYE ».

[15]           EYE Lighting distribue également des produits d’Iwasaki au Canada par l’entremise de son distributeur, Standard Products Inc. Dans son affidavit, M. Ward fait état des chiffres de vente au Canada pour les années 1997 à 2007, ainsi que des frais de promotion et de marketing pour les années 2003 à 2007, et il fournit des échantillons de documents publicitaires.

 

(ii)        Affidavit de M. Burkhout

[16]           M. Peter Burkhout, ancien directeur général de PL Light, la filiale canadienne d’Hortilux Schréder, a déclaré qu’il avait appris à la fin de 1999 l’existence des produits Hortilux d’Iwasaki. Déjà avant cette époque, les distributeurs américains de PL Light achetaient des produits d’Iwasaki. À compter de l’année 2000, PL Light se procurait auprès de Standard Products des produits « Hortilux » d’Iwasaki destinés au marché canadien. Les dirigeants d’Hortilux Schréder étaient au fait de cet arrangement.

 

(iii)       Affidavit de M. Thomas

 

[17]           M. Len Thomas, directeur du marketing chez EYE Lighting, a expliqué comment les produits Hortilux d’Iwasaki ont été commercialisés et annoncés de 1997 à 2001. À l’été 1997, il a pris part à la création du monogramme qui allait ensuite être apposé sur ces produits. Achevé à l’automne 1997, le dessin a commencé à figurer peu après sur les produits d’Iwasaki. On utilisait dans le monogramme les mots « EYE Hortilux ». La première vente dans la pratique normale du commerce de produits portant cette marque a eu lieu le 31 décembre 1997. La marque a alors commencé à figurer dans la documentation technique et promotionnelle. À compter de 1999, on a donné moins d’importance au mot « EYE » dans le monogramme, et le mot « Hortilux » est devenu l’élément dominant. Depuis 2005, on fait la publicité des produits d’Iwasaki sur le site Web eyehortilux.com.

 

2.         Conclusions de la Commission

 

[18]           La Commission s’est d’abord demandé si la prétention d’Hortilux Schréder selon laquelle elle avait utilisé la marque de commerce « Hortilux » d’août 1997 jusqu’à la date de présentation de sa demande (le 31 mai 2002) était exacte. Quiconque sollicite un enregistrement est tenu en vertu de la Loi de préciser dans sa demande la date à compter de laquelle il a « employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande » (Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, alinéa 30b); les dispositions dont il est fait mention dans les présents motifs sont reproduites en annexe).

 

[19]           La Commission a relevé qu’en décembre 1997, Hortilux Schréder avait remplacé son nom commercial Hortilux BV par le nom Hortilux Schréder BV. Depuis lors, elle a presque dans tous les cas employé « Hortilux » en lien avec le mot « Schréder ». La Commission a conclu que le mot « Schréder » n’était pas, par rapport au terme « Hortilux », une adjonction sans importance. Selon elle, un consommateur moyen ne considérerait vraisemblablement pas que le mot « Schréder » est un simple nom de famille. L’emploi d’« Hortilux Schréder » ne constituait donc pas un emploi du mot « Hortilux » seul. Par conséquent, Hortilux Schréder a prétendu à tort dans sa demande qu’elle utilisait la marque « Hortilux » depuis 1997.

 

[20]           Dans son analyse de la question du caractère distinctif, la Commission a déterminé si la marque « Hortilux » d’Iwasaki était connue dans une certaine mesure au Canada à la date de sa déclaration d’opposition (le 26 mars 2007). La Commission a conclu que l’emploi par Iwasaki de la marque avait rendu celle‑ci suffisamment connue pour qu’Hortilux Schréder ait le fardeau d’établir l’absence de confusion. Hortilux Schréder lui a fait remarquer que, bien que le juge Russell ait déjà conclu à la confusion dans l’instance précédente, la question des différences que comportaient les voies commerciales des parties n’avait pas été soulevée devant lui; elle a fait valoir qu’elle faisait principalement affaire avec des entreprises commerciales horticoles, tandis qu’Iwasaki ciblait le marché de détail. La Commission a conclu, malgré tout, que les marques étaient identiques et que les parties vendaient toutes deux des produits d’éclairage destinés à des fins horticoles. Hortilux Schréder n’avait donc pas prouvé que sa marque ne créait pas de confusion, et par conséquent celle‑ci n’avait pas le caractère distinctif requis par la Loi (alinéa 38(2)d)).

 

III.       Première question en litige – Les nouveaux éléments de preuve auraient-ils eu une incidence importante sur la décision de la Commission?

 

[21]           En appel d’une décision de la Commission, les parties peuvent produire de nouveaux éléments de preuve (paragraphe 56(5)). Si je conclus que les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence importante sur la décision de la Commission, je dois alors déterminer, compte tenu de l’ensemble de la preuve, si Hortilux Schréder peut enregistrer sa marque (Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] ACF n° 159 (CAF), au paragraphe 51). Dans le cas contraire, je dois faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la Commission, et ne l’annuler que si elle est déraisonnable.

 

[22]           J’estime que les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas eu une incidence importante sur la décision de la Commission.

 

1.         Nouveaux éléments de preuve d’Hortilux Schréder

 

a)   Affidavit et contre-interrogatoire de M. Brok

 

[23]           M. Marco Brok a commencé à travailler chez Hortilux Schréder en 1997, pour en devenir en 2001 le directeur de la recherche et du développement. Il a expliqué qu’à compter de 1997 les marchandises d’Hortilux Schréder ont été importées par sa filiale canadienne, PL Light. Il a joint des factures, datées d’août à octobre 1997, établies entre Hortilux BV (la société remplacée par  Hortilux Schréder) et PL Light. Le nom « Hortilux » figure en majuscules, comme suit, sur les factures :

 

[24]           M. Brok a également fourni des dessins produits en juillet 1997 par Hortilux BV à l’intention de sa filiale canadienne PL Light, où figurait en lettres majuscules « Hortilux » pour désigner la société.

 

[25]           M. Brok a concédé en contre-interrogatoire que c’est lorsqu’il a souscrit son affidavit qu’il a vu les factures pour la première fois et qu’il ne pouvait être certain de leur origine. Il a aussi déclaré qu’à compter du 3 décembre 1997, tous les documents de l’entreprise – dessins, matériel d’emballage, factures, articles de papeterie – ont été modifiés de façon à ce que le nom « Hortilux Schréder » plutôt que le nom « Hortilux » soit utilisé pour désigner la société.

 

[26]           M. Brok a déclaré que les clients d’Hortilux Schréder utilisaient souvent le nom « Hortilux » pour désigner la société et ses marchandises. De plus, l’adresse du site Web de la société est hortilux.com depuis 1998. Entre 2004 et 2009, on a utilisé le mot « Hortilux » pour désigner la société et ses produits sur le site, quoiqu’en faisant voir bien clairement dans les pages Web que le nom de la société était « Hortilux Schréder ». « Schréder » est décrit en tant que « partenaire ». M. Brok a expliqué en contre-interrogatoire que, lorsque les clients canadiens cherchent l’adresse hortilux.com, ils sont dirigés vers le site Web principal de la société, dont l’adresse est hortilux.nl. À partir de ce dernier site, les clients nord-américains sont dirigés vers le site Web de PL Light.

 

[27]           M. Brok a également confirmé en contre-interrogatoire que PL Light achetait des produits Hortilux d’Iwasaki par l’entremise de la filiale américaine de celle‑ci, EYE Lighting.

 

b)   Affidavits de MM. de Gier, Westerhoff et Van Wingerden

 

[28]           MM. Edwin de Gier, Kendrick Westerhoff et Johannes Van Wingerden sont des clients d’Hortilux Schréder. Tout en confirmant que le nom « Hortilux Schréder » figure toujours sur les marchandises de l’entreprise, ils ont affirmé utiliser le mot « Hortilux » pour désigner Hortilux Schréder et ses produits.

 

2.         Nouveaux éléments de preuve d’Iwasaki

 

a)   Affidavit de Mme Gates

 

[29]           Mme Anne Gates, une vice-présidente d’EYE Lighting, a fourni des chiffres de vente se rapportant aux produits Hortilux d’Iwasaki au Canada entre les années 2000 et 2007. Le montant des ventes se situe approximativement entre 1 500 000 $ (en 2005) et 5 200 000 $ (en 2001). Mme Gates a également donné des précisions sur les frais de promotion et de publicité d’EYE Lighting, qui se sont situés approximativement entre 600 000 $ (en 2000) et 1 300 000 $ (en 2007). Dans sa déposition Mme Gates a fourni des précisions sur des points dont M. Ward traite dans son affidavit.

 

b)   Affidavit et contre-interrogatoire de M. Anderson

 

[30]           M. Mike Anderson, directeur, produits de spécialité, chez EYE Lighting, a décrit les discussions tenues à compter de 2000 entre son entreprise et PL Light, au sujet des produits Hortilux d’Iwasaki qu’elle lui vend. PL Light a d’ailleurs présenté certains de ces produits à son kiosque lors d’une foire commerciale tenue en 2000.

 

[31]           M. Anderson a toutefois admis en contre-interrogatoire qu’il n’avait connaissance, en ce qui concerne ces produits, d’aucune commande ou vente effectuée par PL Light.

 

c)   Affidavit et contre-interrogatoire de M. Nathaniel

 

[32]           M. David Nathaniel, chef de la direction et président de Standard Products, le distributeur canadien d’EYE Lighting, a fourni des chiffres sur les ventes à PL Light de produits Hortilux d’Iwasaki entre 2000 et 2005. Le chiffre de vente a oscillé entre 18 000 $ (en 2005) et 540 000 $ (en 2002).

 

[33]           M. Nathaniel a concédé en contre-interrogatoire qu’il n’avait personnellement connaissance d’aucune vente de produits d’Iwasaki effectuée par PL Light.

 

3.         Les nouveaux éléments de preuve auraient-ils eu une incidence importante sur la décision de la Commission?

[34]           Hortilux Schréder soutient que les éléments de preuve produits dans le présent appel auraient eu une incidence importante sur la décision de la Commission. La Commission a expressément relevé, souligne-t-elle, que certains éléments de preuve – plus particulièrement l’affidavit de M. Brok – soumis au juge Russell dans l’instance précédente ne lui avaient pas été présentés. Le juge Russell avait conclu que l’affidavit de M. Brok montrait « l’emploi continu des marques de commerce et des noms commerciaux HORTILUX et HORTILUX SCHREDER » par Hortilux Schréder (au paragraphe 96). Le juge a aussi fait mention des pages Web de la société ainsi que des dépositions de clients qui affirmaient désigner la société et ses marchandises tout simplement par le mot « Hortilux ». En se fondant en partie sur ces éléments de preuve, le juge Russell a conclu qu’Hortilux Schréder n’avait pas abandonné la marque de commerce qu’elle revendiquait. Ces éléments de preuve, qui n’ont pas été présentés à la Commission, font maintenant partie du dossier devant la Cour.

 

[35]           Je ne suis pas d’accord avec Hortilux Schréder pour dire que ces éléments de preuve auraient eu une incidence importante sur la décision de la Commission. Il importe de bien comprendre que la question dont était saisi le juge Russell (la date de premier emploi et l’absence d’abandon) n’est pas celle que j’ai moi‑même à trancher (l’emploi véritable pendant la période pertinente).

 

[36]           Le juge Russell a conclu qu’Hortilux Schréder avait démontré avoir utilisé la marque de commerce « Hortilux » avant la société Iwasaki (c.-à-d. avant le 31 décembre 1997). Il ne fait pas de doute qu’avant son changement de nom en décembre 1997, Hortilux Schréder utilisait la marque de commerce « Hortilux ». Comme ce fut le cas devant moi, les factures et les dessins examinés par le juge Russell démontraient l’emploi de la marque avant décembre 1997. La question est de savoir si on a utilisé la marque par la suite.

 

[37]           Le juge Russell n’avait pas à déterminer si Hortilux Schréder avait véritablement utilisé la marque « Hortilux » seule entre 1997 et 2002. La question à trancher était plutôt de savoir si Hortilux Schréder avait eu l’intention d’abandonner la marque « Hortilux ». Le juge Russell a conclu par la négative. Il a en outre conclu qu’Hortilux Schréder était désignée par le nom « Hortilux » dans ses pages Web et par certains de ses clients. Cela étayait la prétention d’Hortilux Schréder selon laquelle elle n’avait pas eu l’intention d’abandonner la marque « Hortilux ».

 

[38]           La question qui m’est soumise, toutefois, est de savoir si les mêmes éléments de preuve – les pages Web et les dépositions de clients – démontrent l’emploi véritable de la marque « Hortilux ». Dans ce contexte, l’« emploi » s’entend de l’emploi en liaison avec les marchandises de la société (article 2). Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises « si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée » (paragraphe 4(1)).

 

[39]           À mon avis, les pages Web et les dépositions ne démontrent pas l’emploi d’« Hortilux » en liaison avec les marchandises d’Hortilux Schréder. En fait, tous les éléments de preuve qu’on m’a présentés révèlent qu’à compter de décembre 1997, la marque de commerce « Hortilux Schréder » et non la marque « Hortilux » seule figurait sur les documents accompagnant toutes les marchandises d’Hortilux Schréder. Ni les pages Web ni les déclarations de clients ne prouvent l’emploi de la marque en liaison avec les marchandises. Le juge Wyman Webb a conclu de même, dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans le cadre de la première procédure, que les pages Web et les dessins ne constituaient pas une preuve d’emploi de la marque – ils démontraient uniquement l’absence d’intention de l’abandonner (au paragraphe 22).

 

[40]           Par conséquent, les nouveaux éléments de preuve produits dans le présent appel n’auraient pas eu une incidence importante sur la conclusion de la Commission selon laquelle il n’y a pas eu emploi continu de la marque « Hortilux » par Hortilux Schréder pendant la période pertinente, soit d’août 1997 à mai 2002.

 

IV.       Deuxième question en litige – La Commission a-t-elle conclu erronément que la période d’emploi alléguée par Hortilux Schréder était inexacte?

[41]           La personne qui demande l’enregistrement d’une marque de commerce doit démontrer l’exactitude de la date de premier emploi alléguée. Elle doit plus précisément démontrer l’emploi continu de sa marque entre la date de premier emploi alléguée et la date de dépôt de sa demande. En l’espèce, Hortilux Schréder devait démontrer l’emploi continu entre 1997 et 2002. Elle soutient que la Commission a conclu de manière déraisonnable qu’elle ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve.

 

[42]           Je suis en désaccord.

 

[43]           Comme je l’ai déjà fait observer, la Commission a conclu qu’après décembre 1997, Hortilux Schréder n’avait pas utilisé la marque « Hortilux » bien qu’elle ait utilisé la marque « Hortilux Schréder ». L’emploi de cette dernière marque composée n’équivalait pas à l’emploi de la marque « Hortilux » seule.

 

[44]           Pour tirer cette conclusion, la Commission s’est appuyée sur les principes juridiques énoncés dans Registraire des marques de commerce c Compagnie L’informatique CII Honeywell Bull, Société Anonyme et al (1985), 4 CPR (3d) 523. Dans cette décision, le juge Louis Pratte s’est demandé si l’emploi d’une marque composée (« CII Honeywell Bull ») équivalait à l’emploi d’un de ses éléments constitutifs (« Bull »). La question était de savoir, selon le juge, si les distinctions existant entre les deux marques étaient « à ce point minime qu’un acheteur non averti conclurait, selon toute probabilité, qu’elles identifient toutes deux, malgré leurs différences, des marchandises ayant la même origine » (au paragraphe 24). Le juge Pratte a conclu qu’en l’occurrence, l’emploi de « CII Honeywell Bull » ne constituait pas l’emploi de « Bull » seul.

 

[45]           J’estime que la Commission, qui a appliqué le bon critère, a conclu de manière raisonnable que l’emploi d’« Hortilux Schréder » n’équivalait pas à l’emploi d’« Hortilux » seul. À chaque fois que figurait le mot « Hortilux », le mot « Schréder » se voyait accorder une égale importance, même si l’autre figurait en premier. « Schréder » était un élément tout aussi important de la marque « Hortilux Schréder ».

 

[46]           La Commission a conclu de manière raisonnable qu’étant donné la rareté du nom de famille « Schréder » (et même de ses variantes proches), les consommateurs moyens ne considéreraient vraisemblablement pas l’ajout de ce nom au mot « Hortilux » comme une adjonction sans importance.

 

[47]           La Commission a aussi conclu de manière raisonnable, compte tenu de la preuve et en fonction du bon critère, que les différences existant entre « Hortilux Schréder » et « Hortilux » n’étaient pas à ce point minimes qu’un acheteur non averti conclurait que les marchandises liées à l’une ont la même origine que les marchandises liées à l’autre.

 

V.        Troisième question en litige – La Commission a-t-elle conclu erronément que la marque de commerce d’Hortilux Schréder n’était pas distinctive?

[48]           Hortilux Schréder soutient qu’il était déraisonnable pour la Commission de conclure qu’elle n’avait pas réussi à établir le caractère distinctif de la marque « Hortilux ». Elle fait principalement valoir que les voies commerciales qu’elle-même et Iwasaki utilisent sont différentes, ce qui constitue un facteur auquel la Commission n’a guère attaché d’importance. Hortilux Schréder avance qu’au sein du marché exploité par l’une et l’autre entreprises, il serait peu probable que les acheteurs confondent, quant à leur origine, les marchandises.

 

[49]           Hortilux Schréder soutient également que la Commission n’a pas appliqué la bonne norme de preuve à l’égard de cette question. Iwasaki avait le fardeau initial de démontrer que sa marque était devenue suffisamment connue en 2007 pour faire perdre à la marque Hortilux Schréder son caractère distinctif. La Commission a toutefois simplement déclaré que, selon elle, Iwasaki avait prouvé que sa marque était « connue au Canada dans une certaine mesure à la date pertinente » (au paragraphe 49).

[50]           Je ne suis pas convaincu par les observations d’Hortilux Schréder. Je suis d’avis que la conclusion de la Commission n’était pas déraisonnable.

 

[51]           Pour ce qui est du fardeau de preuve, la Commission a correctement décrit au début de son analyse le fardeau particulier qui incombait à chacune des parties, et s’est référée à cet égard aux décisions Motel 6, Inc c No 6 Motel Ltd (1981), 56 CPR (2d) 44, à la page 58, et Muffin Houses Inc c The Muffin House Bakery Ltd (1985), 4 CPR (3d) 272. La Commission a ensuite résumé la preuve pertinente produite par Iwasaki, et elle a conclu qu’il avait été établi que la marque d’Iwasaki était connue « dans une certaine mesure » au Canada pendant la période pertinente.

 

[52]           Quoique la Commission aurait été bien avisée de faire preuve de cohérence lorsqu’elle a décrit le fardeau de preuve qui incombait à Iwasaki, je ne peux conclure qu’elle n’avait pas connaissance du critère applicable, ni qu’elle a fait défaut de l’appliquer. On avait présenté à la Commission une preuve importante de l’emploi de la marque « Hortilux » par Iwasaki – soit les affidavits de MM. Thomas, Ward et Berkhout précédemment résumés –, même si le mot « EYE » y était souvent adjoint (habituellement de façon plus discrète). J’estime donc, dans les circonstances, que la Commission a énoncé et appliqué le bon critère, et qu’elle a conclu de manière raisonnable qu’Iwasaki s’était acquittée de son fardeau de preuve initial.

 

[53]           En ce qui concerne les voies commerciales de l’une et de l’autre partie, la Commission savait manifestement qu’Hortilux Schréder vendait des appareils d’éclairage aux entreprises commerciales horticoles, tandis qu’Iwasaki vendait des ampoules sur le marché de détail. Elle a néanmoins conclu que les sociétés vendaient toutes deux des produits d’éclairage destinés à des fins horticoles. Les différences pouvant exister entre les voies commerciales ne pouvaient contrebalancer le facteur le plus pertinent, soit le degré de ressemblance entre les deux marques (comme l’enseigne l’arrêt Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc et al, 2011 CSC 27). Les deux sociétés utilisaient des marques pratiquement identiques. Ce facteur a mené le juge Russell à conclure que les marques des deux parties créaient de la confusion. La Commission a conclu dans le même sens.

 

[54]           Là encore, je ne puis conclure que la conclusion de la Commission était déraisonnable à la lumière des éléments de preuve devant elle. Alors que le mot « Hortilux » a un caractère distinctif inhérent en tant que mot inventé combinant des allusions à la lumière (« lux ») et à l’horticulture (« horti »), le fait que les deux sociétés utilisaient la même marque au sein de la même industrie pouvait très bien conduire le consommateur moyen à croire que les marchandises de l’une provenaient de l’autre. Il n’était donc pas déraisonnable pour la Commission de conclure qu’Hortilux Schréder n’avait pas réussi à démontrer le caractère distinctif de sa marque.

 

VI.       Conclusion et dispositif

 

[55]           Les nouveaux éléments de preuve qui m’ont été présentés n’auraient pas eu une incidence importante sur les conclusions tirées par la Commission quant à la durée de l’emploi d’« Hortilux » par Hortilux Schréder, et quant au caractère distinctif de cette marque. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, la Commission a conclu de manière raisonnable qu’Hortilux Schréder n’avait pas utilisé la marque « Hortilux » après 1997. Il était également raisonnable pour la Commission de conclure que la marque n’avait pas un caractère distinctif, étant donné l’emploi par Iwasaki de la même marque à l’égard, elle aussi, d’équipements d’éclairage dans le secteur horticole.

[56]           Par conséquent, je dois rejeter l’appel, avec dépens.


 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.         L’appel est rejeté avec dépens.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


 

 

Annexe

 

 

Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), ch. T-13

 

Contenu d’une demande

  30. Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

 

[…]

 

b) dans le cas d’une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande;

 

 

Déclaration d’opposition

  38. (1) Toute personne peut, dans le délai de deux mois à compter de l’annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d’opposition.

 

Motifs

  (2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

 

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

 

b) la marque de commerce n’est pas enregistrable;

 

c) le requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement;

 

 

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

 

 

 

Preuve additionnelle

  56 (5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

Trade-marks Act, RSC 1985, c T-13

 

 

Contents of application

  30. An applicant for the registration of a trade-mark shall file with the Registrar an application containing

 

 

 

(b) in the case of a trade-mark that has been used in Canada, the date from which the applicant or his named predecessors in title, if any, have so used the trade-mark in association with each of the general classes of wares or services described in the application;

 

 

 

 

Statement of opposition

  38. (1) Within two months after the advertisement of an application for the registration of a trade-mark, any person may, on payment of the prescribed fee, file a statement of opposition with the Registrar.

 

Grounds

  (2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds:

 

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

 

(b) that the trade-mark is not registrable;

 

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade-mark; or

 

(d) that the trade-mark is not distinctive.

 

 

 

 

Additional evidence

  56 (5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :                                          T-1932-11

 

 

 

INTITULÉ :

HORTILUX SCHRÉDER B.V. c

IWASAKI ELECTRIC CO., LTD.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              Le 13 juin 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 octobre 2013

 

COMPARUTIONS :

Jeremy Want

Daniel S. Davies

 

                                            POUR LA DEMANDERESSE

 

Robert A. MacDonald

Jennifer Galeano

 

                                              POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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