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Date : 20131008


Dossier : IMM-1296-13

Référence : 2013 CF 1016

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 8 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

LUIS FERNANDO BUESO TROCHEZ

LESTHER ENRIQUE BUESO TROCHEZ

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Introduction

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision, datée du 14 janvier 2013, rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par laquelle celle‑ci a décidé qu’aucun des demandeurs n’avait la qualité de réfugié au sens de la Convention, au sens de l’article 96 ni celle de personne à protéger, au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

 

II. Contexte

[2]               Les demandeurs, M. Luis Fernando Bueso Trochez et M. Lesther Enrique Bueso Trochez sont des frères et sont citoyens du Honduras. Ils sont nés et ont grandi dans la ville de San Pedro Sula.

 

[3]               En 2001, les parents des demandeurs ont immigré illégalement aux États-Unis et ont laissé les deux frères aux soins de leur grand‑mère.

 

[4]               En février 2005, les demandeurs ont commencé à fréquenter le Centro Educativo en Computacion.

 

[5]               Selon le Formulaire de renseignements personnels des demandeurs (FRP) :

a)      En mars 2005, le demandeur, M. Lesther Bueso, a été abordé par des membres du gang criminel Mara Salvatrucha 13 (MS-13) à l’extérieur de leur école, et, quand il a refusé de se joindre à leur gang, il a été sévèrement battu;

b)      En mai 2005, l’autre demandeur, le jeune frère de Lesther Bueso, Luis Bueso, a été exposé à une demande semblable de se joindre au gang et, quand il a refusé, il a été battu et poignardé dans la partie supérieure du bras gauche. Il a dû se rendre à un hôpital de régional;

c)      La famille des demandeurs a tenté de déposer une plainte à la police de l’endroit; toutefois, sans renseignements supplémentaires, la police les a avisés qu’elle ne pouvait rien faire;

d)     En juin 2005, les demandeurs sont allés vivre chez leur tante à San Pedro Sula, et ensuite, en décembre 2005, chez leur grand‑père dans la ville de Comayagua;

e)      En février 2006, les demandeurs ont décidé de quitter le Honduras pour vivre avec leurs parents aux États‑Unis. Ils ont traversé le Guatemala et le Mexique, en voiture, et le 16 mars 2006, ils ont franchi avec succès la frontière du Mexique et des États‑Unis à pied, à McAllen, au Texas.

 

[6]               Les demandeurs ont été réunis avec leurs parents, à Miami, et ils sont demeurés aux États‑Unis sans statut légal pendant plus de 5 ans.

 

[7]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 26 mars 2011, et ont demandé l’asile quelques jours plus tard.

 

[8]               Les demandeurs ont déclaré qu’en raison de menaces constantes faites à leur frère German Bueso, ils craignaient de retourner au Honduras. Ils ont le sentiment que leur famille est prise pour cible par le gang MS‑13, parce qu’ils avaient refusé de joindre leurs rangs en 2005.

 

III. Décision soumise au contrôle

[9]               Le 14 janvier 2013, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs.

 

[10]           Dès le début, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi de lien avec l’un des motifs prévus par la Convention. Comme les demandeurs ont souscrit à l’audience à la conclusion concernant la Convention, la SPR n’a pas davantage discuté de cette question dans sa décision relative à l’un des motifs de la Convention (transcription de l’audience, à la page 17).

 

[11]           Ayant conclu que le bien‑fondé de la demande, basée sur l’article 96, n’avait pas été établi, la SPR a ensuite examiné la question de savoir si les critères de l’article 97 de la LIPR avaient été satisfaits. La SPR a conclu que la preuve présentée par les demandeurs n’était pas fiable; ils n’ont donc pas établi qu’ils étaient exposés à une menace à leurs vies ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

[12]           La SPR a relevé l’absence de précision dans la demande des demandeurs; ils n’ont pas pu identifier un seul des membres du gang qui avait tenté de les recruter, bien qu’ils aient allégué que ces derniers étaient très connus dans leur quartier. La SPR a aussi conclu qu’il était peu probable que les membres du MS‑13 continuent de rechercher les demandeurs des années après qu’ils eurent quitté le pays. Se référant à la preuve documentaire, la SPR a souligné qu’elle ne concluait pas que les demandeurs correspondaient au profil des jeunes recrutés par le MS‑13, ou même que le type de recrutement du MS‑13 en était généralement un de recrutement forcé.

 

[13]           La SPR a aussi tiré une inférence défavorable d’une incohérence importante entre le FRP et le témoignage des demandeurs, relativement à la date où ils ont quitté l’école dans laquelle ils avaient été agressés. Dans leur FRP, les demandeurs ont mentionné qu’ils avaient quitté l’école en novembre 2005; toutefois, à l’audience, les demandeurs ont dit qu’ils avaient quitté l’école immédiatement après les agressions du printemps 2005. La SPR a relevé que les dates données à l’audience auraient été mentionnées dans l’exposé circonstancié de leur FRP, si les allégations avaient été vraies, « étant donné que de telles actions étayeraient la question du risque ».

 

[14]           Vu ces problèmes de crédibilité, vu le manque général de preuve corroborant leur récit, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait d’établir que leurs allégations de risque de torture étaient vraies.

 

[15]           En plus de cette conclusion défavorable quant à la crédibilité, la SPR a aussi conclu que le risque de torture allégué par les demandeurs était de nature généralisée et qu’un grand nombre de jeunes personnes au Honduras qui sont prises pour cibles par des gangs tels que le MS‑13 y étaient exposées. Comme le risque était de nature généralisé, qu’il ne visait pas particulièrement les demandeurs eux‑mêmes; même s’ils avaient été jugés crédibles, les dispositions de l’article 97 n’auraient pas été applicables aux demandeurs. La SPR a cité les décisions Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 345, et Maldonado Lainez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 707 à l’appui de cette conclusion.

 

[16]           De plus, la SPR a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau d’établir que la ville de Comayagua constituait une possibilité de refuge intérieur viable (la PRI).

 

IV. Questions en litige

[17]           1) La conclusion tirée par la SPR relativement à la crédibilité était‑elle raisonnable?

2) La conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs étaient exposés à un risque généralisé était‑elle raisonnable?

3) La décision de la SPR selon laquelle il existe une PRI viable au Honduras était‑elle raisonnable?

 

V. Dispositions législatives pertinentes

 

[18]           Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VI. Position des parties

[19]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR quant à la crédibilité n’était pas raisonnable, étant donné qu’elle n’a pas tenu compte ou a mal interprété des éléments de preuve importants, notamment, en ce qui avait trait aux conclusions tirées par la SPR relativement aux méthodes de recrutement du MS‑13 et aux profils des demandeurs.

 

[20]           Les demandeurs soutiennent aussi que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a accordé trop de poids aux incohérences entre leur FRP et leur témoignage en ce qui a trait à la date à laquelle ils ont quitté l’école. Les demandeurs insistent sur le fait qu’une telle incohérence ne peut pas, en soi, étayer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[21]           Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas établi que la conclusion de la SPR portant sur l’absence de crédibilité de la demande était déraisonnable.

 

[22]           Le défendeur a d’abord mis l’accent sur le fait que la SPR avait compétence pour adopter une approche fondée sur le bon sens lorsqu’elle a tiré des conclusions sur la crédibilité des demandeurs, et pour tenir compte de toute divergence dans leurs demandes (Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 415 (CAF) (QL/Lexis); Gudino c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 FC 457). Selon le défendeur, la SPR était aussi en droit de refuser les explications des demandeurs relativement aux divergences, puisqu’elles étaient insuffisantes pour ajouter foi à leurs allégations (Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, au paragraphe 10).

 

[23]           Le défendeur soutient ensuite qu’il était loisible à la SPR de tirer une inférence défavorable du fait que les demandeurs n’avaient pas produit de preuve documentaire corroborante pour étayer leurs allégations (Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 442, au paragraphe 15).

 

[24]           Le défendeur affirme enfin qu’il était aussi raisonnable que la SPR tire des conclusions défavorables relativement aux omissions et aux contradictions entre les faits allégués dans le FRP des demandeurs et leur témoignage (Basseghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 1867 (QL/Lexis)), au paragraphe 33; Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101, au paragraphe 18).

 

VI. Analyse

Norme de contrôle

[25]           La norme de contrôle applicable relativement au poids à accorder à la preuve et aux conclusions relatives à la crédibilité est la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF), au paragraphe 4).

 

[26]           La norme de contrôle applicable à la deuxième question en litige, à savoir si un demandeur est exposé à un risque généralisé, est aussi la décision raisonnable étant donné qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (Acosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, aux paragraphes 9 à 11).

 

[27]           Enfin, la norme de contrôle applicable à la question de l’existence d’une PRI est aussi la décision raisonnable (Agudelo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 465, au paragraphe 17).

 

1) La conclusion tirée par la SPR relativement à la crédibilité était‑elle raisonnable?

[28]           À maintes reprises, la Cour a confirmé que l’accumulation de contradictions entre le témoignage d’un demandeur, ses déclarations au point d’entrée et dans son FRP, ainsi que les omissions dans son FRP d’éléments cruciaux quant à sa demande peuvent légitimement servir de fondement à une conclusion négative quant à sa crédibilité (Cienfuegos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1262, au paragraphe 1).

 

[29]           Ces conclusions peuvent aussi être fondées sur le bon sens, l’invraisemblance et la logique inhérente de l’exposé circonstancié du demandeur (Shahamati, précité). Lorsque la SPR tire de telles conclusions, elles suffisent à rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant de les réfuter (Sellan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381).

 

[30]           En l’espèce, la Cour conclut que l’exposé circonstancié des demandeurs contient un grand nombre d’importantes contradictions et invraisemblances relativement aux allégations centrales de leur demande. Par conséquent, la SPR avait des motifs de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Les inférences défavorables tirées par la SPR n’étaient pas seulement fondées sur des « variantes ou omissions mineures ou futiles », mais plutôt sur des éléments centraux de la demande (Chavez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 10, aux paragraphes 13 à 15; Moscol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 657, aux paragraphes 21 et 22; Nsombo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 505).

 

[31]           Dans l’exposé circonstancié de leur FRP, les demandeurs ont déclaré qu’ils avaient [traduction] « peur de retourner à l’école ou même de quitter la maison » après les agressions, et qu’en juin 2005, ils ont déménagé chez leur tante dans un autre quartier en quête de sécurité (aux paragraphes 14 et 18); toutefois, plus loin dans leur FRP, ils ont indiqué qu’ils ont continué à fréquenter l’école où ils avaient été agressés (et continuellement harcelés) jusqu’en novembre 2005. À l’audience, lorsqu’on les a interrogés quant à cette contradiction, les demandeurs ont changé les dates déclarant qu’en fait ils avaient tous les deux quitté l’école peu de temps après les agressions, parce qu’ils craignaient le MS‑13. Les demandeurs n’ont pas été en mesure de fournir d’explication raisonnable quant à cette incohérence entre leur FRP et leur témoignage.

 

[32]           Selon la Cour, cette contradiction mine grandement la crédibilité des demandeurs étant donné qu’il s’agit d’un détail important de leur demande; ce détail est directement lié à leur prétendue crainte de persécution par le MS‑13. Le fait que les demandeurs auraient continué à fréquenter l’école pendant 6 mois, après les agressions, malgré que leurs agents de persécution aient tenté de les recruter de force à cet endroit, démontre qu’ils n’avaient pas de crainte subjective du gang. Selon la Cour, ce fait est suffisant pour servir de fondement à une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[33]           Les demandeurs n’ont pas été en mesure d’expliquer de façon satisfaisante à la SPR la raison pour laquelle ils n’ont pas pu identifier un seul des membres du MS‑13, bien qu’ils étaient prétendument très connus dans la communauté. Ils n’ont également fourni aucun élément de preuve objectif étayant leur explication en ce qui a trait à la question de savoir pourquoi ils étaient pris pour cibles par le MS‑13 ou comment les agressions ont eu lieu (par exemple, des rapports médicaux, des rapports de police, etc.).

 

[34]           La seule preuve documentaire fournie à la SPR relativement aux prétendues agressions était des certificats médicaux délivrés par une clinique de Montréal en 2009 confirmant que les deux demandeurs avaient subi des blessures dans le passé. La SPR a accordé peu de valeur probante à cet élément de preuve, parce que ce n’était que récemment qu’il avait été obtenu, et qu’il ne faisait que répéter une version des faits que la SPR avait estimé invraisemblable; les certificats ne confirmaient pas l’origine des blessures des demandeurs. La SPR était en droit de conclure que cet élément de preuve documentaire n’était pas suffisant pour donner foi à l’exposé circonstancié des demandeurs, et, par conséquent, elle a décidé d’y accorder peu de poids.

 

[35]           À maintes reprises, la Cour a décidé qu’une conclusion générale de manque de crédibilité d’un demandeur peut avoir un effet sur tous les éléments de preuve pertinents présentés par le demandeur, notamment la preuve documentaire, et en fin de compte entraîner le rejet de sa demande (Ayub c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1411, aux paragraphes 8 et 9; Nijjer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1259; Alonso c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 683).

 

[36]           Dans leurs observations écrites, les demandeurs ont principalement critiqué la SPR au motif qu’elle n’avait pas pris en compte des extraits précis de la preuve documentaire avant de contredire leur exposé circonstancié (voir les documents dans le dossier certifié du tribunal (DCT), aux pages 132 et 183). La Cour ne peut pas adhérer au point de vue des demandeurs selon lequel la SPR a commis une erreur dans sa décision parce qu’elle a mal interprété cette preuve ou qu’elle n’en a pas tenu compte.

 

[37]           Selon la Cour, les conclusions de la SPR étaient pleinement étayées par la preuve documentaire, lorsqu’on la prend dans son ensemble. Quand on lit la décision de la SPR, il est évident que celle‑ci a pris en compte tous les éléments de preuve documentaire, et qu’elle était consciente que cette preuve comportait des contradictions par rapport à la preuve des demandeurs. Dans sa décision, la SPR a déclaré de façon explicite que selon « la plupart des recherches, la Mara ne procède pas au [traduction] “recrutement forcé” » [Non souligné dans l’original.]; contrairement à ce que les demandeurs ont donné à penser, la SPR n’a pas jugé que, compte tenu de l’ensemble de la preuve documentaire, cette conclusion s’imposait. Il est aussi clair que la SPR s’est fondée sur la preuve documentaire lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas le profil type des personnes que le MS‑13 recrute (décisions de la SPR, aux paragraphes 18 et 19). Presque toute la preuve objective dont la SPR disposait établissait que les nouvelles recrues du MS‑13 étaient généralement des personnes qui vivaient dans un contexte de pauvreté, de chômage, et de foyers brisés (voir La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Honduras : Information sur le recrutement des membres de la Mara Salvatrucha (MS) et du gang 18th Street (Calle 18 ou Mara 18); information indiquant si des personnes sont contraintes de participer à des activités d’un gang (2007-décembre 2011), DCT, à la page 132; Comment les gangs de rue ont pris contrôle de l’Amérique centrale, DCT, à la page 142; Évaluation des gangs en Amérique et au Mexique, annexe 3 : Profil du Honduras, DCT, à la page 165). Sur la foi de la preuve contenue au dossier, la Cour convient que ce profil ne correspond pas à celui des demandeurs.

 

[38]           Cela dit, la Cour conclut néanmoins que, lorsqu’on les lit dans leur ensemble (et non pas seulement les extraits surlignés), aucun des extraits contradictoires mentionnés par les demandeurs dans leurs observations écrites ne réfute les conclusions tirées par la SPR relativement au profil type des personnes que le MS‑13 recrute ou aux profils des demandeurs.

 

[39]           La Cour conclut que la SPR a adéquatement soupesé la preuve lorsqu’elle a accordé la préférence à ses conclusions tirées au sujet de la majorité des sources contenues dans la preuve documentaire relative à la situation dans le pays, plutôt qu’aux renseignements soumis par les demandeurs. Cela ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. En effet, les demandeurs demandent à la Cour de soupeser de nouveau la preuve qui a été soumise à la SPR, et de tirer une conclusion différente. La Cour ne peut toutefois pas se livrer à un tel exercice.

 

[40]           Il appartenait à la SPR, un tribunal spécialisé et juge des faits, de soupeser la preuve qui lui était soumise et de lui accorder la valeur probante qu’elle estimait appropriée. La Cour ne peut pas conclure que la SPR n’a pas pris en compte toute la preuve qui lui était présentée, parce qu’elle n’a pas fait référence à chacun des éléments de preuve qui pouvaient contredire l’information présentée dans sa décision (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35).

 

[41]           La Cour conclut que, globalement, la décision de la SPR relative à la crédibilité appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Dans leurs observations écrites, les demandeurs n’avancent aucun argument qui invalide la décision de la SPR.

 

2) La conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs étaient exposés à un risque généralisé était‑elle raisonnable?

 

3) La décision de la SPR selon laquelle il existe une PRI viable au Honduras était‑elle raisonnable?

 

[42]           La Cour soutient depuis longtemps que le défaut d’un demandeur de prouver que la conclusion tirée par la SPR concernant l’absence de crédibilité est déraisonnable suffit pour faire échec à la demande (Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262, au paragraphe 25; Salim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1592, au paragraphe 31).

 

[43]           Vu que la décision de la SPR était axée autour d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité, la nature généralisée du risque ou l’existence d’une PRI, elle ne peut pas, en soi, justifier l’intervention de la Cour. Pour ce motif, ces questions n’ont pas à être examinées.

 

VII. Conclusion

[44]           Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que : la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée, et il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 


DOSSIER :

IMM-1296-13

 

INTITULÉ :

LUIS FERNANDO BUESO TROCHEZ ET AUTRES

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 7 octobre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            le juge SHORE

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     le 8 octobre 2013

COMPARUTIONS :

 

Mitchell Goldberg

 

POUR LES DEMANDEURS

Suzanne Trudel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay, Goldberg, Berger

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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