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Date : 20131010

Dossier : T‑1317‑12

Référence : 2013 CF 1030

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2013

En présence de madame la juge Heneghan

 

ENTRE :

DARYL PAUL DOLINSKI

 

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          INTRODUCTION

[1]               Monsieur Daryl Paul Dolinski (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision du ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités (le ministre), datée du 6 juin 2012. Dans sa décision, le directeur général, Sûreté de l’aviation a, au nom du ministre, annulé l’habilitation de sécurité du demandeur, en application de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. 1985, ch. A‑2 (la Loi) et du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (le PHST).

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire est présentée conformément à la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 et aux Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles).

 

[3]               Le procureur général du Canada (le défendeur) représente le ministre dans la présente instance.

 

II.        LES FAITS

[4]               Le demandeur a obtenu une habilitation de sécurité à l’Aéroport international d’Edmonton, en 2006. Le 25 janvier 2007, lui et un autre employé de l’aéroport ont été appréhendés alors qu’ils fumaient de la marijuana dans le véhicule du demandeur. De la marijuana et une balance ont aussi été trouvées dans le véhicule. Le demandeur a été accusé de possession de marijuana, mais l’accusation a été retirée.

 

[5]               En 2008, le demandeur a commencé à travailler pour Air Canada en tant que manutentionnaire de bagages.

 

[6]               Le 23 février 2009, la police a intercepté le véhicule du demandeur. L’agent a découvert ce qu’il a cru être de la marijuana et a accusé le demandeur de possession d’une substance désignée. De plus, l’agent a trouvé 1 180 $ en espèces et cinquante comprimés d’ecstasy. Il a aussi trouvé, sur le téléphone cellulaire du demandeur, des messages émanant de personnes qui voulaient acheter de la drogue et reçu un appel de quelqu’un disant qu’il voulait [traduction] « en avoir deux ».

 

[7]               Le demandeur a été accusé de possession d’une substance désignée dans le but d’en faire le trafic, en application du paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19 (la LRCDAS), et de possession de produits de la criminalité, en application de l’alinéa 355b) du Code criminel, L.R.C., 1985, ch. C‑46. Le 7 décembre 2009, le demandeur a plaidé coupable à l’infraction moins grave de possession d’une substance désignée prévue au paragraphe 4(1) de la LRCDAS et a reçu une absolution sous condition, assortie de douze mois de probation. Le demandeur a conservé son habilitation de sécurité et continué de travailler à Air Canada. Le 3 avril 2011, il a demandé le renouvellement de son habilitation de sécurité.

 

[8]               Par une lettre datée du 27 mars 2012, le demandeur a été informé par M. N. Dupuis, chef des programmes d’enquêtes de sécurité, Direction de soutien aux programmes de sûreté à Transports Canada, que son habilitation de sécurité serait examinée par l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport. La raison de cet examen était que certains renseignements obtenus soulevaient des questions sur la pertinence de l’habilitation du demandeur, à savoir des renseignements concernant les incidents de janvier 2007 et de février 2009.

 

[9]               Le 12 avril 2012, le demandeur a déposé une lettre expliquant les deux incidents, une lettre de son avocat, une lettre de son superviseur, et une lettre d’un certain Dr Pagliaro, un témoin expert dont les services ont été retenus par le demandeur relativement aux accusations criminelles déposées contre lui.

 

[10]           Le 20 avril 2012, vu la longueur du processus d’examen, l’habilitation de sécurité du demandeur a été automatiquement renouvelée, conformément à une politique permettant le renouvellement automatique. Le 25 avril 2012, le demandeur a téléphoné au Bureau de contrôle des laissez‑passer de l’Aéroport international d’Edmonton, qui l’a informé du renouvellement, et il a commencé à utiliser son laissez‑passer.

 

III.       LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[11]           Le 10 mai 2012, l’Organisme consultatif a examiné l’habilitation de sécurité du demandeur et recommandé son annulation. Le 6 juin 2012, le directeur général, Sûreté de l’aviation a, au nom du ministre, décidé d’annuler l’habilitation de sécurité du demandeur. La décision faisait référence aux renseignements que le demandeur avait fournis.

 

[12]           Dans ses conclusions, le directeur général indique que les renseignements sur les récentes accusations criminelles relatives aux drogues portées contre le demandeur, notamment les renseignements concernant les messages textes et les appels à son téléphone logés par des individus cherchant à acheter de la drogue, l’amènent à croire que, selon la prépondérance de la preuve, le demandeur pourrait être sujet à commettre un acte ou aider ou inciter une personne à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile. Il ajoute que l’information contenue dans la déclaration écrite du demandeur n’est pas suffisante pour apaiser ses préoccupations et qu’il s’est écoulé trop peu de temps pour qu’on puisse démontrer un changement dans le comportement du demandeur.

 

[13]           Par une lettre datée du 7 juin 2012, le demandeur a été avisé par le directeur général, Sûreté de l’aviation, que le ministre avait annulé son habilitation de sécurité en matière de transport. Les motifs invoqués dans cette lettre sont les mêmes que dans la décision du 6 juin 2012.

 

IV.       LES OBSERVATIONS

[14]           Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable. L’article I.4 du PHST précise qu’il vise toute personne qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile, ou à aider ou inciter toute autre personne à commettre un tel acte. Les facteurs pertinents énoncés à l’alinéa II.35(2)a) du PHST comprennent les condamnations pour le trafic, la possession dans le but d’en faire le trafic, l’exportation ou l’importation dans le cadre de la LRCDAS.

 

[15]           Le demandeur soutient qu’il n’a été condamné pour aucune de ces infractions, mais bien pour possession, chef d’accusation pour lequel il a reçu une absolution sous condition. Même si la Cour a observé, dans la décision Lavoie c. Canada (Procureur général), 2007 CF 435, aux paragraphes 23 à 26, qu’une absolution sous condition n’empêche pas le ministre de tenir compte d’une condamnation, dans cette affaire une infraction énoncée à l’alinéa II.35(2)a) était visée. La possession n’est pas visée à l’alinéa II.35(2)a). Le demandeur soutient que la décision du ministre est fondée sur un facteur non prévu par le PHST.

 

[16]           Pour sa part, le défendeur soutient que la décision du ministre est raisonnable. Le ministre devait tenir compte de la question de savoir si l’habilitation de sécurité du demandeur serait contraire aux objectifs énoncés à l’article I.4 du PHST. En prenant une décision conforme à l’alinéa I.4.4 du PHST, le ministre peut tenir compte de tout facteur pertinent, y compris, mais sans s’y limiter, ceux qui figurent à l’alinéa II.35(2)a).

 

[17]           Par ailleurs, le défendeur soutient qu’il ressort clairement de la jurisprudence que le ministre peut tenir compte de facteurs absents du PHST, notamment des accusations criminelles débouchant sur une déclaration de culpabilité, des accusations donnant lieu à d’autres résultats et un comportement qui n’a pas donné lieu à des accusations criminelles; voir le jugement Fontaine c. Canada (Transports) (2007), 313 F.T.R. 309.

 

[18]           Dans le jugement Russo c. Canada (Transports) (2011), 406 F.T.R. 49, notre Cour a statué que l’usage de la marijuana par le demandeur était une considération pertinente parce que celui‑ci s’associait avec des criminels pour acheter de la drogue. Dans le jugement Lavoie, précité, notre Cour a déterminé que l’Organisme consultatif et le ministre n’étaient limités ni par l’absence de condamnation, ni par les éléments énumérés à l’alinéa II.35(2)a).

 

[19]           Comme dans le jugement Russo, précité, l’association du demandeur avec des criminels lorsqu’il achète de la marijuana est un facteur pertinent. De plus, la décision du ministre n’est pas fondée uniquement sur le plaidoyer de culpabilité et l’absolution sous condition. Le ministre a plutôt tenu compte de plusieurs facteurs pertinents, notamment l’accusation de possession de 2007 et les renseignements indiquant un trafic de drogue.

 

[20]           Le défendeur fait valoir qu’une norme de preuve relativement peu exigeante s’applique aux décisions en matière d’habilitation de sécurité. Un refus ne nécessite qu’un motif raisonnable de croire, selon la prépondérance de la preuve, qu’une personne est sujette ou susceptible d’être incitée à commettre ou aider à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile. Un refus peut n’être fondé que sur un doute raisonnable (Fontaine, précité, aux paragraphes 74, 75, 81 et 82; Lavoie, précité, au paragraphe 29; Clue, précité, au paragraphe 20). L’alinéa I.4.4 prévoit une appréciation de la réputation de la personne ou de ses penchants et n’exige aucune preuve de la perpétration effective d’un acte illicite (Clue, précité, au paragraphe 20).

 

[21]           En l’espèce, l’Organisme consultatif a pris en compte l’absolution sous condition, le retrait de l’accusation, les rapports de la GRC, la possession d’une balance par le demandeur, les messages textes et les appels téléphoniques que celui‑ci recevait, son usage de drogues durant ses pauses au travail, son incapacité à justifier les renseignements révélant le trafic et le fait que les incidents sont relativement récents.

 

V.        ANALYSE ET DÉCISION

[22]           La disposition pertinente de la Loi est l’article 4.8 :

4.8 Le ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

4.8 The Minister may, for the purposes of this Act, grant or refuse to grant a security clearance to any person or suspend or cancel a security clearance.

 

[23]           Les dispositions suivantes du PHST sont également pertinentes :

L’objectif de ce programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré dans le cas de toute personne :

[…]

 

4. qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à:

o          commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile; ou

o          aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

I.4 The objective of this Program is to prevent the uncontrolled entry into a restricted area of a listed airport by any individual who

 

[…]

 

4. the Minister reasonably believes, on a balance of probabilities, may be prone or induced to

o          commit an act that may unlawfully interfere with civil aviation; or

o          assist or abet any person to commit an act that may unlawfully interfere with civil aviation.

 

II. 35

1.         L’Organisme consultatif peut recommander au ministre de refuser ou d’annuler l’habilitation d’une personne s’il est déterminé que la présence de ladite personne dans la zone réglementée d’un aéroport énuméré est contraire aux buts et objectifs du présent programme.

 

 

2.         Au moment de faire la détermination citée au sous‑alinéa (1), l’Organisme consultatif peut considérer tout facteur pertinent, y compris:

 

 

a.         si la personne a été condamnée ou autrement trouvé [sic] coupable au Canada ou à l’étranger pour les infractions suivantes:

 

i.          tout acte criminel sujet à une peine d’emprisonnement de 10 ans ou plus;

 

ii.         le trafic, la possession dans le but d’en faire le trafic, ou l’exportation ou l’importation dans le cadre de la Loi sur les drogues et substances contrôlées;

 

iii.        tout acte criminel cité dans la partie VII du Code criminel intitulée « Maison de désordre, jeux et paris »;

 

iv.        tout acte contrevenant à une disposition de l’article 160 de la Loi sur les douanes;

 

v.         tout acte stipulé dans la Loi sur les secrets officiels; ou

 

vi.        tout acte stipulé dans la partie III de la Lois [sic] sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

3.         si elle possède une mauvaise réputation en matière de crédit et qu’elle occupe un poste de confiance; ou

 

 

 

4.         qu’il est probable qu’elle participe à des activités directes ou en appui à une menace ou qu’elle se livre à des actes de violence sérieuse contre la propriété ou des personnes.

II.35

1.         The Advisory Body may recommend to the Minister the cancellation or refusal of a security clearance to any individual if the Advisory Body has determined that the individual’s presence in the restricted area of a listed airport would be inconsistent with the aim and objective of this Program.

 

2.         In making the determination referred to in subsection (1), the Advisory Body may consider any factor that is relevant, including whether the individual:

 

a.         has been convicted or otherwise found guilty in Canada or elsewhere of an offence including, but not limited to:

 

i.          any indictable offence punishable by imprisonment for more then 10 years,

 

ii.         trafficking, possession for the purpose of trafficking or exporting or importing under the Controlled Drugs and Substances Act,

 

 

iii.        any offences contained in Part VII of the Criminal Code – Disorderly Houses, Gaming and Betting,

 

iv.        any contravention of a provision set out in section 160 of the Customs Act,

 

v.         any offences under the Security of Information Act; or

 

vi.        any offences under Part III of the Immigration and Refugee Protection Act;

 

 

3.         is likely to become involved in activities directed toward or in support of the threat or use of acts of serious violence against property or persons.

 

[24]           Le PHST prévoit que l’Organisme consultatif peut considérer « tout facteur pertinent » et que les infractions à considérer comprennent, mais sans s’y limiter, celles énumérées à l’alinéa II.35(2)a). Dans le jugement Russo, précité, le juge Russell a rejeté une demande de contrôle judiciaire dans laquelle le demandeur avait été condamné pour possession et production de marijuana et avait admis qu’il consommait de la marijuana à l’occasion.

 

[25]           La présente demande porte sur la décision du ministre d’annuler une habilitation de sécurité. Cette décision relève de son pouvoir discrétionnaire au regard de l’article 4.8 de la Loi et des dispositions précitées du PHST. Ce genre de décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable; voir les jugements Fradette c. Canada (Procureur général), 2010 CF 884, au paragraphe 17, et Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323, au paragraphe 14. Par conséquent, la seule question fondamentale soulevée est celle de savoir si la décision du ministre était raisonnable.

 

[26]           Je suis d’avis que la décision du ministre était raisonnable. L’argument du demandeur selon lequel les dispositions du PHST touchant les drogues sont limitées au trafic va à l’encontre de la formulation même du programme et du large pouvoir discrétionnaire accordé au ministre.

 

[27]           Je suis convaincue que la décision du ministre était raisonnable, compte tenu des éléments de preuve présentés et de la norme de preuve applicable. Dans le jugement Clue, précité, au paragraphe 20, le juge Barnes a fait observer que la norme de preuve dans ce genre d’affaires comporte une appréciation de la réputation de la personne et de ses penchants et n’exige aucune preuve de la perpétration d’un acte illicite. Ce raisonnement a été appliqué dans le jugement récent Peles c. Procureur général du Canada, 2013 CF 294.

 

[28]           Bien que la première accusation contre le demandeur ait été retirée et qu’il ait reçu une absolution sous condition pour la seconde, l’Organisme consultatif a tenu compte des éléments de preuve indiquant le trafic, du fait que le demandeur consommait de la drogue durant ses pauses au travail et du fait que les événements étaient relativement récents.

 

[29]           Ces éléments de preuve étayent raisonnablement la conclusion du ministre selon laquelle le demandeur, selon la prépondérance de la preuve, pourrait être sujet à commettre un acte ou à aider ou inciter une personne à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile.

[30]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire que me confère le paragraphe 400(1) des Règles, je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée; aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1317‑12

 

INTITULÉ :                                                  DARYL PAUL DOLINSKI c
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 10 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DU JUGEMENT :                           Le 10 octobre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew R. Fraser

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Robert Drummond

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Snyder & Associates LLP

Barristers and Solicitors

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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