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FCHdrF

 


Date : 20131015

Dossier : T‑1591‑05

Référence : 2013 CF 1043

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

DISTRIMEDIC INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

DISPILL INC. et EMBALLAGES

RICHARDS INC.

 

 

 

défenderesses

 

ET ENTRE :

 

 

EMBALLAGES RICHARDS INC.

 

 

 

et

 

DISTRIMEDIC INC., ROBERT POIRIER, CLAUDE FILIATRAULT, DISTRIMEDIC CANADA INC. et 9268‑2244 QUÉBEC INC.

 

 

 

 

demanderesse reconventionnelle

 

 

 

 

 

 

défendeurs reconventionnels

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          VUE D’ENSEMBLE.. 4

II.        CONTEXTE FACTUEL.. 6

a)         Les parties. 6

b)         Le brevet en litige. 9

c)         Les produits en question. 20

i.          Le produit de Richards. 21

ii.         Le produit de Distrimedic. 25

d)         Les instances connexes. 26

i.          L’instance relative à la renonciation au brevet 26

ii.         La procédure d’enregistrement de la marque de commerce. 31

III.       QUESTIONS EN LITIGE.. 33

IV.       TÉMOINS DE FAIT.. 35

a)         Les témoins de fait de Richards. 35

i.          Gerry Glynn. 35

ii.         Marie‑Josée Glaude. 45

iii.        René Thibault 51

b)         Les témoins de fait de Distrimedic. 53

i.          Claude Filiatrault 53

ii.         Robert Poirier. 58

iii.        Paul van Gheluwe. 59

V.        TÉMOINS EXPERTS. 59

a)         Les témoins experts de Richards. 60

i.          Koen de Winter. 60

ii.         Tarek Abdelrahman. 71

iii.        France Morissette. 78

iv.        James McAuley. 81

b)         Les témoins experts de Distrimedic. 85

i.          Claude Mauffette. 86

ii.         Philip Levi 89

VI.       ANALYSE.. 93

a)         Brevet 93

i.          Interprétation du brevet 93

ii.         Contrefaçon. 105

iii.        L’acte de renonciation. 112

iv.        Argument subsidiaire : Antériorité et/ou évidence des revendications faisant l’objet d’une renonciation. 117

b)         Fausses déclarations. 125

c)         Imitation frauduleuse. 132

i.          Le code de couleurs de Dispill n’est pas une marque de commerce. 139

ii.         Le code de couleurs initial de Distrimedic n’a pas été « employé » de manière à faire intervenir l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. 147

iii.        Distrimedic n’a pas appelé l’attention du public sur son entreprise de manière à créer de la confusion avec celle de Richards. 151

d)         Droit d’auteur. 154

i.          Principes juridiques applicables en matière de protection conférée par le droit d’auteur  155

ii.         Les feuilles d’étiquettes de Dispill sont‑elles susceptibles de faire l’objet d’un droit d’auteur?. 160

iii.        Richards est‑elle titulaire d’un droit d’auteur sur la feuille d’étiquettes de Dispill?  168

iv.        Les défendeurs reconventionnels ont‑ils violé un droit d’auteur?. 176

VII.     CONCLUSION.. 181

JUGEMENT.. 182

ANNEXE.. 183

 

 


I.                   VUE D’ENSEMBLE

[1]               Distrimedic Inc. a introduit la présente instance le 26 septembre 2005 par le dépôt d’une déclaration dans laquelle elle sollicitait, en vertu du paragraphe 60(2) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4 (Loi sur les brevets), un jugement déclarant que le brevet canadien no 2 207 045 (le brevet 045), appartenant à Emballages Richards Inc. (Richards), n’avait pas été contrefait. Le produit pour lequel le jugement déclaratoire est sollicité est une trousse servant à la fabrication d’un système de piluliers individuels. Distrimedic Inc. a modifié cette déclaration le 3 novembre 2005.

 

[2]               Le 1er décembre 2005, ou vers cette date, Richards a déposé une défense et demande reconventionnelle contre Distrimedic Inc. et diverses parties liées (Robert Poirier, Claude Filiatrault, Distrimedic Inc. et 9268‑2244 Québec Inc.). Ces défendeurs reconventionnels sont tous représentés par les mêmes avocats et seront désignés collectivement sous le nom de « Distrimedic ». La défense et demande reconventionnelle a été modifiée le 27 novembre 2006, le 29 janvier 2007, et de nouveau, le 27 septembre 2010. Peu de temps après avoir déposé sa défense et demande reconventionnelle initiale, Richards a déposé un document censé être une renonciation au sens de l’article 48 de la Loi sur les brevets en rapport avec certaines des revendications du brevet 045.

 

[3]               Le 12 février 2010, Distrimedic Inc. s’est désistée de son action initiale, à la suite de quoi elle a payé la somme de 11 908,82 $ à titre de dépens à Richards. La demande reconventionnelle a toutefois été maintenue.

 

[4]               Selon Distrimedic, la défense et demande reconventionnelle modifiée trois fois a eu pour effet d’élargir de façon considérable la portée de l’instance en y ajoutant de nombreuses nouvelles allégations et de nombreux nouveaux moyens de droit et de joindre de nombreuses autres sociétés et personnes affiliées à Distrimedic. Outre la contrefaçon alléguée du brevet 045 (ce qui correspond exactement à l’objet de l’action de Distrimedic), la demande reconventionnelle de Richards a eu pour effet d’ajouter plusieurs nouvelles questions, en l’occurrence la contrefaçon des revendications faisant l’objet d’une renonciation, la validité de la renonciation, la violation du droit d’auteur, plusieurs questions se rapportant aux droits que les marques de commerce conféreraient à Richards, la violation de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‑34, ainsi que les dommages‑intérêts réclamés en rapport avec la violation alléguée de divers droits. Suivant Richards, il était nécessaire d’ajouter les défendeurs en question puisqu’ils ont réussi à mettre Distrimedic Inc. à l’abri de tout jugement grâce aux ententes conclues entre les diverses personnes physiques et morales concernées.

 

[5]               L’instruction de la présente affaire a eu lieu du 25 mars au 16 avril 2013 et les parties ont déposé leurs observations écrites les 15 et 16 avril respectivement. Les deux parties ont formulé des observations au sujet de la liste de questions en litige énumérées par le protonotaire Morneau dans son ordonnance du 28 septembre 2011 à la suite de la conférence préparatoire tenue avec les parties.

 

[6]               Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut qu’il y a lieu de rejeter la demande reconventionnelle de Richards.

 

II.        CONTEXTE FACTUEL

            a) Les parties

[7]               Ainsi que Richards l’a expliqué et qu’il est précisé dans l’exposé conjoint des faits des parties, la présente affaire trouve son origine dans une idée de M. Michel Bouthiette, dentiste de formation et inventeur désigné du brevet en litige.

 

[8]               Monsieur Bouthiette, qui œuvrait également activement dans le domaine des résidences pour personnes âgées, a eu l’idée d’un système qui améliorerait l’administration des médicaments aux patients sur une période de temps déterminé, par exemple une semaine. Après avoir demandé un brevet aux États‑Unis en 1996, M. Bouthiette a déposé une demande de brevet canadienne en revendiquant la priorité en raison de la demande de brevet déposée aux États‑Unis. Le brevet 045 lui a été délivré le 1er juin 1999.

 

[9]               Monsieur Bouthiette a constitué en personne morale Dispill Inc. (Dispill) pour vendre les composantes de son système d’administration et de conservation de pilules le 11 novembre 1997; il a exploité cette entreprise en tant que propriétaire unique jusqu’à ce qu’il échange son entreprise et ses actifs pour des actions de Dispill en 1998.

 

[10]           Dispill louait des bureaux de la Société d’Impression Filiatrault & Poirier (la Société), une personne morale appartenant aux défendeurs Robert Poirier et Claude Filiatrault. La Société a acheté une participation de 50 p. 100 de Dispill pour 100 000 $. De 1998 jusqu’en septembre 2002, Messieurs Filiatrault et Poirier étaient tous les deux des employés de Dispill et des actionnaires de cette dernière par l’intermédiaire de la Société.

 

[11]           En 2002, un conflit a éclaté et MM. Filiatrault et Bouthiette se sont prévalus d’une clause d’achat forcé stipulée dans la convention d’actionnaires de Dispill; toutefois, M. Bouthiette l’a emporté et sa relation avec M. Filiatrault s’est terminée par l’achat, par une société à matricule appartenant à M. Bouthiette, des actions que possédait la Société dans Dispill.

 

[12]           Malgré le fait qu’ils étaient assujettis à une entente de non‑concurrence de deux ans prenant effet le 3 septembre 2002 et se terminant le 3 septembre 2004, MM. Filiatrault et Poirier ont rencontré des agents de brevet pendant cette période pour discuter de la possibilité d’élaborer un pilulier afin de livrer concurrence à Dispill à l’expiration de l’entente de non‑concurrence, le tout sans contrefaire le brevet 045.

 

[13]           Distrimedic Inc. a été constituée en personne morale le 7 septembre 2004 et, déjà en 2005, MM. Filiatrault et Poirier étaient prêts à livrer concurrence à Dispill. Distrimedic Inc. n’a pas d’employés sur sa liste de paye, étant donné qu’elle partage ses ressources, y compris ses employés et ses représentants aux ventes, avec deux autres sociétés appartenant à MM. Filiatrault et Poirier et exploitées par eux, en l’occurrence, la Société, qui offre des services d’imprimerie et des produits d’impression notamment aux pharmacies, aux laboratoires pharmaceutiques et à des sociétés d’assurance, et Emballages Alpha Inc. (Alpha), qui vend à des pharmaciens des fioles à médicaments. Les deux sociétés facturent les salaires et commissions en conséquence à Distrimedic Inc.

 

[14]           Aux termes d’une série de transactions, Richards, une entreprise fabriquant et distribuant des produits d’emballage qui avait été constituée en personne morale sous le régime des lois canadiennes, a acquis Dispill de M. Bouthiette en juillet 2005. Dispill a par la suite été dissoute. Le 29 juillet 2005, avant la dissolution, Dispill a cédé le brevet 045 à Richards.

 

[15]           Le 16 septembre 2005, Richards a fait envoyer par ses avocats à MM. Filiatrault et Poirier, aux soins de la Société, une lettre dans laquelle il était allégué que les démarches entreprises pour commercialiser le système de pilulier concurrentiel de Distrimedic Inc. portaient atteinte aux droits exclusifs conférés par le brevet et la marque de commerce.

 

[16]           En vue de tenter de régler la question de la contrefaçon du brevet, Distrimedic Inc. a introduit le 26 septembre 2005 une action visant à obtenir un jugement déclarant qu’elle n’avait pas contrefait le brevet 045. Elle a déposé une déclaration modifiée le 3 novembre 2005.

 

[17]           Le 8 novembre 2005, après avoir reçu signification de la déclaration de Distrimedic Inc. mais avant de déposer une défense, Richards a déposé un acte de renonciation en rapport avec plusieurs des revendications de son brevet 045 (la renonciation).

 

[18]           Richards a ensuite déposé une défense et demande reconventionnelle, qu’elle a par la suite modifiée à trois reprises comme nous l’avons déjà mentionné. Comme je l’ai déjà également expliqué, Distrimedic Inc. s’est désistée de son action initiale le 12 février 2010 et a versé à Richards des dépens taxés à 11 908,82 $.

 

[19]           À la suite de l’introduction de la présente instance, en octobre 2010, MM. Filiatrault et Poirier ont conclu une entente prévoyant que M. Filiatrault se portait de nouveau acquéreur de la totalité des actions détenues par M. Poirier dans toutes les sociétés québécoises (la Société, Distrimedic Inc., Alpha et 9120‑2994, une société de placements). En échange, M. Poirier se portait de nouveau acquéreur de la totalité des actions détenues par M. Filiatrault dans Distrimedic France et une autre société, Rx‑V. Distrimedic Canada Inc., qui avait été constituée en personne morale en vue de vendre les produits de Distrimedic dans d’autres provinces que le Québec. Cette dernière société était l’un des défendeurs reconventionnels initiaux, n’a jamais exercé d’activité commerciale et a été dissoute en 2008. Le 1er septembre 2012, Alpha et la Société ont fusionné pour former 9268‑2244 Québec Inc. Pour tenir compte de ces opérations, l’intitulé de la cause a été modifié en conséquence.

 

            b) Le brevet en litige

[20]           Le brevet 045 en litige dans la présente action qui a été enregistré en liaison avec le produit de Richards s’intitule [traduction] « Trousse et méthode de fabrication relatives à un ensemble de contenants distincts de pilules ». Il a été déposé le 21 mai 1997 et revendiquait la priorité en raison de la demande de brevet provisoire présentée aux États‑Unis le 22 juillet 1996. Le brevet 045 est devenu accessible au public le 21 juin 1997 et a été délivré le 1er juin 1999. Il expirera le 21 mai 2017.

 

[21]           Le brevet 045 comportait à l’origine 28 revendications; les revendications 1, 11, 15, 22, 26 et 28 sont indépendantes tandis que les autres revendications dépendent directement ou indirectement de l’une ou l’autre des revendications indépendantes. Richards a déposé un acte de renonciation le 8 novembre 2005 en rapport avec plusieurs des revendications du brevet 045, en l’occurrence les revendications 15 à 21. La renonciation a eu pour effet de modifier les revendications 15 et 17 à 21 et de supprimer complètement la revendication 16. Je reviendrai plus loin sur la renonciation.

 

[22]           Le brevet 045 comprend la description d’un système de préparation de pilulier. Ce système consiste à recouvrir un plateau présentant un certain nombre d’enfoncements espacés uniformément au moyen d’une feuille alvéolaire en plastique translucide comptant un nombre équivalent de cavités, elles aussi espacées uniformément. Le concept consiste à fabriquer une série de contenants destinés à des pilules devant être consommées quatre fois par jour (déjeuner, dîner, souper et coucher) pendant sept jours.

 

[23]           Une fois les contenants remplis selon une ordonnance, la feuille alvéolaire est scellée au moyen d’une pellicule autoadhésive sur laquelle sont imprimés les renseignements relatifs à l’ordonnance, notamment le nom du patient et du pharmacien, la date, ainsi que les pilules logées dans chacun des contenants. La pellicule de scellement est alignée avec la feuille alvéolaire à l’aide de deux protubérances vers le haut qui sont situées sur la surface supérieure du plateau et qui s’engagent dans deux orifices correspondants traversant la pellicule de scellement et la feuille alvéolaire. L’alignement de la pellicule et de la feuille permet celui des orifices et la séparation facile des divers contenants. Après l’alignement, un revêtement adhésif appliqué sur la surface arrière de la pellicule de scellement peut être retiré, afin que cette dernière soit collée par‑dessus la feuille alvéolaire.

 

[24]           La première page du brevet 045 présente une brève description de l’art antérieur par rapport auquel le brevet constituerait une amélioration :

[traduction]

Pour préparer un ensemble de contenants distincts destinés à un patient, on a déjà proposé le recours à une pellicule de plastique dotée de multiples enfoncements moulés formant chacun un petit contenant qui peut être ouvert vers le haut et qui peut contenir des pilules. Une fois remplis, les contenants sont recouverts d’une pellicule de scellement en plastique sur laquelle sont imprimés tous les renseignements pertinents, dont le nom du patient, la date et l’heure de la posologie, etc. La pellicule de scellement est apposée et scellée à chaud sur une feuille alvéolaire. On peut concevoir que les renseignements susmentionnés sont imprimés et mis en forme sur la pellicule de scellement de manière à la disposer adéquatement par rapport au contenant correspondant. La feuille alvéolaire et la pellicule de scellement comportent des lignes de déchirement conçues pour faciliter la séparation des divers contenants.

 

Bien que ce type d’assemblage soit efficace, il présente quelques inconvénients; il est particulièrement difficile et laborieux de disposer adéquatement sur les contenants la pellicule de scellement sur laquelle une impression figure déjà. On peut présumer qu’une pellicule mal disposée rend ardue toute séparation des contenants. De plus, le scellement à chaud constitue une technique coûteuse en raison de l’équipement qu’elle exige.

 

[25]           Le brevet américain no 3 780 856 (le brevet Braverman), dont une reproduction figure à l’annexe des présents motifs, a été publié le 25 décembre 1973 et peut donc être cité comme pièce d’art antérieur à l’égard du brevet 045 aux fins de l’antériorité et de l’évidence. On y décrit un pilulier similaire à nombre d’égards au système décrit dans le brevet 045. Ainsi que le Bureau des brevets l’a affirmé dans son rapport du 17 décembre 1998, lors du traitement de la demande ayant donné lieu à la délivrance du brevet 045 :

[traduction]

Le brevet Braverman vise une trousse et une méthode de fabrication relatives à un ensemble de contenants distincts de pilules. La trousse se compose d’une feuille alvéolaire (100) en plastique dont la surface supérieure compte un certain nombre de cavités qui sont espacées uniformément, en rangées et en colonnes, qui s’ouvrent vers le haut et qui constituent chacune un contenant (120). Chaque contenant est entouré d’un rebord (122) dans lequel un pointillé central a été poinçonné (117 et 118). La trousse présente aussi un support alvéolaire (200) dont la surface supérieure comporte un nombre d’enfoncements (212) équivalent à celui des cavités de la feuille alvéolaire. Une pellicule de scellement (122) est apposée, celle‑ci présentant une surface supérieure et une inférieure, ainsi qu’une forme et une taille qui permettent de recouvrir au moins tous les contenants et leurs rebords. La surface inférieure est dotée de bandes (126) qui sont enduites d’un autoadhésif, dont la forme et la taille correspondent exactement à celles des rebords, qui sont couvertes d’un revêtement protecteur pelable (128 et 129), jusqu’à l’utilisation de la trousse, et qui présentent leurs propres lignes de déchirement centrales (170 et 172). La surface supérieure de la feuille alvéolaire et la pellicule de scellement (bords de celles‑ci; 196), à tout le moins, comportent des dispositifs conçus pour s’assurer qu’en pratique, les bandes enduites d’autoadhésif et leurs lignes de déchirement soient superposées exactement sur les rebords et les pointillés de la feuille alvéolaire. Le brevet Braverman traite également de l’impression de renseignements sur la pellicule de scellement (par exemple, lignes 32 à 37 de la colonne 4). Le nombre d’enfoncements n’est pas considéré comme un objet brevetable.

 

Recueil conjoint de documents, no 144.

 

Les figures du brevet Braverman susmentionnées sont reproduites ci‑dessous :

 

[26]           Il est inutile, aux fins de la présente instance, de se pencher sur l’ensemble des éléments des revendications que comporte le brevet 045. Voici l’élément clé des revendications 1 (dont les revendications 2 à 10 qui en dépendent), 11 (dont les revendications 12 à 14 qui en dépendent), 15 (dont les revendications 17 à 21 qui en dépendent) et 22 (dont les revendications 23 à 25 qui en dépendent) :

[traduction]

d) La surface supérieure de la feuille alvéolaire et la pellicule de scellement, à tout le moins, comportent des dispositifs conçus pour s’assurer, en pratique et après l’application de la feuille alvéolaire sur le support alvéolaire, que le revêtement de papier peut être pelé et retiré des bandes de la pellicule de scellement, que cette dernière est disposée sur la surface supérieure de la feuille alvéolaire et que les bandes enduites d’autoadhésif, ainsi que leurs lignes de déchirement, sont exactement superposées en fonction des rebords et des pointillés de la feuille alvéolaire,

 

les dispositifs susmentionnés consistant en au moins une protubérance vers le haut située sur la surface supérieure du support alvéolaire, en au moins un orifice se trouvant dans la feuille alvéolaire et en au moins un autre orifice situé dans la pellicule de scellement, ces derniers orifices ayant une taille et étant disposés de manière à ce que la protubérance s’engagent en eux.

 

[27]           Voici le libellé de la revendication 15, après la renonciation (les éléments modifiés pour en tenir compte sont soulignés et en caractères gras) :

[traduction]

d) La surface supérieure de la feuille alvéolaire et la pellicule de scellement, à tout le moins, comportent des dispositifs conçus pour s’assurer, en pratique et après l’application de la feuille alvéolaire sur le support alvéolaire, que la pellicule de scellement est adéquatement disposée sur la surface supérieure de la feuille alvéolaire et que ses lignes de déchirement sont exactement superposées en fonction des pointillés de la feuille alvéolaire,

 

les dispositifs susmentionnés consistant en au moins une protubérance vers le haut située sur la surface supérieure du support alvéolaire, et les dispositifs d’engagement figurant sur la feuille alvéolaire, ainsi que les autres dispositifs d’engagement figurant sur la pellicule de scellement, ayant une taille et étant disposés de manière à ce que la protubérance s’engagent en eux. 

 

[28]           En ce qui concerne les autres revendications (26 à 28), leur interprétation est inutile, étant donné qu’aucun élément de preuve ou argument n’indique que leurs éléments font partie d’un produit fabriqué, utilisé ou vendu par Distrimedic.

 

[29]           Les dispositifs de mise en place sont décrits à la page 8 du brevet 045 : 

[traduction]

La surface supérieure de la feuille alvéolaire (3) et la pellicule de scellement (9), à tout le moins, comportent des dispositifs conçus pour s’assurer, lorsque la pellicule de scellement est disposée sur la surface supérieure de la feuille alvéolaire (3), que les bandes (18) et leurs lignes de déchirement (11) sont exactement superposées sur les rebords (10) et les pointillés (4) de la feuille alvéolaire (3). Sur les illustrations des réalisations, lesquelles sont privilégiées, ces dispositifs de mise en place consistent en deux protubérances (5) qui sont situées sur le support (1) et s’élèvent depuis la surface supérieure de la partie enfoncée « A », en des orifices (7) situés sur la feuille alvéolaire (3) et la pellicule de scellement (9), ainsi qu’en deux orifices (15) dont la taille et l’emplacement permettent l’engagement des deux protubérances (5) du support (1).

 

[30]           Le brevet 045 comprend aussi la description (à la page 10) suivante d’une solution de rechange aux dispositifs de mise en place :

[traduction]

Puisque les pointillés et les lignes de déchirement (11 et 4) doivent se trouver précisément au‑dessus les uns des autres, il est très important que la pellicule de scellement (9) soit elle aussi précisément disposée au‑dessus de la feuille alvéolaire (3). Pour ce faire, les deux protubérances (5) du support (1) doivent s’engager dans les deux orifices (15) figurant sur la pellicule de scellement (9).

 

On a constaté qu’il est plus pratique de fournir un support (1) doté de protubérances et de la feuille alvéolaire (3) et de la pellicule de scellement (9) présentant des orifices correspondants. Toutefois, certaines modifications peuvent être apportées tout en respectant l’esprit de l’invention. Par exemple, les protubérances devant s’engager dans les orifices correspondants qui figurent dans la pellicule de scellement (9) peuvent être moulées directement sur la surface supérieure de la feuille alvéolaire (3) plutôt que sur le support (1).

 

Une fois que les protubérances (5) du support (1) sont engagées dans les orifices (15) de la pellicule de scellement (9), le revêtement de papier doit être pelé et retiré des bandes (18) de la pellicule de scellement (9) et collé à la surface supérieure de la feuille alvéolaire (3).

 

[31]           Voici une reproduction des figures du brevet 045 auxquelles les numéros ci‑dessus renvoient :

 

 

            c)  Les produits en question

[32]           Richards et Distrimedic produisent hebdomadairement des piluliers détachables principalement utilisés dans des centres d’hébergement et de soins de longue durée. Les produits des parties concernées sont décrits ci‑après de manière plus détaillée.

 

i.          Le produit de Richards

[33]           Richards vend un pilulier servant à trier des pilules, des comprimés et des gélules. Son pilulier est décrit dans le brevet 045 et à la figure 7 de celui‑ci, laquelle est reproduite ci‑dessus.

 

[34]           Selon la description des deux parties, l’élément inférieur de la figure 7 consiste en un plateau (aussi appelé support alvéolaire) qui sert à soutenir une feuille alvéolaire en plastique translucide (parfois appelée emballage‑coque) et comporte un certain nombre de cavités espacées uniformément. Une fois les cavités remplies selon une ordonnance, la feuille alvéolaire est scellée au moyen d’une pellicule de scellement (parfois appelée étiquette), qui constitue l’élément supérieur de la figure 7 et qui est alignée avec la feuille alvéolaire à l’aide de deux protubérances vers le haut qui sont situées sur la surface supérieure du support alvéolaire et qui s’engagent dans deux orifices correspondants traversant la pellicule de scellement et la feuille alvéolaire.

 

[35]           Richards utilise deux types de pellicule de scellement, soit une conçue pour recouvrir une feuille alvéolaire de manière permanente (étiquette permanente [permanent, dans l’image ci-dessous]) et l’autre, pour être refermée ou remise en place (étiquette refermable [replaceable, dans l’image ci-dessous). Ces deux types de pellicule de scellement comportent une surface supérieure sur laquelle des renseignements peuvent être imprimés, ainsi qu’une couche inférieure pelable conçue pour sceller les cavités de la feuille alvéolaire. La surface supérieure de chaque pellicule de scellement présente une partie supérieure blanche et une partie inférieure subdivisée en quatre colonnes de largeur identique respectivement colorées (de gauche à droite) en rose, en vert, en jaune et en blanc. Les pellicules de scellement permanentes et refermables de Richards sont reproduites ci‑après :

 

[36]           Le plateau de fixation de l’étiquette refermable comporte des enfoncements qui facilitent l’utilisation des tirettes (pièce 508) (RCD no 19).

 

 

Le plateau (emballage‑coque) est doté d’enfoncements latéraux peu profonds alignés sur ceux qui facilitent l’utilisation des tirettes. Ce sont ces enfoncements latéraux, conçus pour faciliter l’utilisation des tirettes, qui distinguent l’emballage‑coque amovible de celui qui est permanent (pièce 509) (RCD no 21).

L’étiquette refermable se distingue par une petite tirette de plastique, qui est alignée sur sa partie colorée et qui sert à retirer et à refermer l’étiquette, et celle qui est permanente, par les enfoncements qui facilitent la rupture du scellement et le retrait des pilules (pièces 510 [étiquette permanente] et 511 [étiquette refermable]).

Des renseignements produits par ordinateur (posologie, nom de la pharmacie et nom du patient) peuvent être imprimés sur chacune des cellules d’une pellicule finie et scellée, selon ce qui est indiqué à la figure 6 du brevet 045 (reproduite ci‑dessus).

 

[37]           Au début, Richards ne vendait qu’une étiquette de 8,5 po sur 10 po, mais depuis elle en vend une de 8,5 po sur 11 po. Les étiquettes vierges sont vendues aux pharmaciens, qui remplissent les emballages‑coques et effectuent leurs propres impressions.

 

[38]           Richards fabrique divers accessoires destinés aux pharmaciens, conçus pour faciliter le remplissage, la vérification et l’expédition du produit, ainsi que la correction de pellicules préalablement scellées. Ces accessoires consistent notamment en un pilulier composé de deux feuilles mobiles de plastique qui permettent à l’utilisateur de déposer d’abord des pilules sur un plateau alvéolaire, puis de déplacer ce dernier transversalement, afin que les pilules tombent dans les enfoncements appropriés de la feuille alvéolaire, ainsi qu’en un couteau, un guide de couteau, un support de vérification et des produits d’expédition connexes.

 

ii.         Le produit de Distrimedic

[39]           Suivant la description qui figure dans l’exposé conjoint des faits, Distrimedic vend également un pilulier servant à trier des pilules, des comprimés et des gélules. Le pilulier de Distrimedic comprend une feuille alvéolaire composée d’un plastique translucide, dotée d’un certain nombre de cavités espacées uniformément et recouverte d’une pellicule de scellement.

 

[40]           L’image ci‑après représente l’un des plateaux de Distrimedic (pièce 500) :

 

[41]           Tout comme Richards, Distrimedic fabrique des pellicules de scellement permanentes et refermables, selon des dimensions de 8,5 po sur 11 po et en format A4. Ces pellicules présentent toutes une partie supérieure blanche et une partie inférieure subdivisée en quatre colonnes colorées. Voici une image de la pellicule de scellement actuellement commercialisée par Distrimedic :

 

            d) Les instances connexes

i.          L’instance relative à la renonciation au brevet

[42]           Comme je l’ai déjà mentionné, le 8 novembre 2005, à la suite de l’introduction de l’action principale par Distrimedic Inc., mais avant de déposer une défense ou de présenter sa demande reconventionnelle, Richards a déposé un acte de renonciation en rapport avec le brevet 045, conformément à l’article 48 de la Loi sur les brevets, en demandant que [traduction] « l’inscription de la renonciation soit accélérée » (RCD no 144).

 

[43]           Les modifications apportées à la revendication 15 en raison de la renonciation déposée par Richards le 8 novembre 2005 figurent en caractères gras et entre parenthèses.

[traduction]

a) une feuille alvéolaire de plastique dont la surface supérieure comporte un certain nombre de cavités qui sont espacées uniformément et s’ouvrent vers le haut, lesdites cavités constituant des contenants qui sont tous indépendamment entourés d’un rebord d’une largeur donnée, dans lequel un pointillé central a été poinçonné, ledit pointillé permettant de séparer chacun des contenants les uns des autres, ainsi que de la feuille alvéolaire;

 

b) un support alvéolaire dont la surface supérieure compte un nombre d’enfoncements équivalent à celui des cavités de la feuille alvéolaire, l’emplacement, la forme et les dimensions desdits enfoncements correspondant à ceux des contenants constitués par les cavités;

 

c) une pellicule de scellement présentant une surface supérieure et une inférieure, ainsi qu’une forme et une taille qui permettent de recouvrir au moins tous les contenants de la feuille alvéolaire et leurs rebords, ladite surface inférieure comportant des bandes dont l’emplacement, la forme et la taille correspondent exactement à ceux des rebords sous‑jacents, un autoadhésif recouvrant au moins lesdites bandes et étant lui‑même recouvert jusqu’à l’utilisation du produit par un papier protecteur pelable, et ladite pellicule de scellement comportant des lignes de déchirement permettant de la subdiviser en un certain nombre de pièces qui recouvrent un nombre équivalent de contenants;

 

d) des dispositifs de mise en place sur au moins la surface supérieure de la feuille alvéolaire et la pellicule de scellement, lesdits dispositifs permettant en pratique de disposer adéquatement la pellicule de scellement sur la surface supérieure de la feuille alvéolaire, après l’installation de cette dernière sur le support alvéolaire, de manière à ce que les lignes de déchirement de la pellicule soient exactement situées au‑dessus des pointillés de la feuille alvéolaire,

 

lesdits dispositifs de mise en place comptant au moins une protubérance vers le haut située sur la surface supérieure du support alvéolaire [au moins un orifice] et étant conjugués à des dispositifs d’engagement figurant [dans] sur la feuille alvéolaire, lesdits [au moins un orifice] dispositifs d’engagement et [un autre orifice] autres dispositifs d’engagement ayant une taille et étant disposés de manière à s’engager dans lesdites protubérances.

 

[44]           Ainsi que le juge Martineau l’a expliqué dans la décision rendue par la Cour en réponse à une demande de contrôle judiciaire, Richards a été avisée, après le dépôt de sa renonciation, que sa demande avait été déférée à un examinateur des brevets (Emballages Richards Inc c Canada (Procureur général), 2007 CF 11, au paragraphe 19 [Richards]). Le dossier a finalement été examiné par un agent de brevets qui a refusé la renonciation de Richards par lettre datée du 20 décembre 2005. L’agent a conclu que la demande ne pouvait être assimilée à un acte de renonciation et qu’elle devait par conséquent être refusée, en expliquant que la renonciation avait pour effet d’élargir la portée de la revendication au‑delà de ce qui avait été accordé au départ et que si on l’accordait, on permettrait à Richards de revendiquer plus que ce qui était jusqu’alors protégé par les revendications du brevet (Richards, précité, au paragraphe 21).

 

[45]           Richards a déposé une demande de contrôle judiciaire dans laquelle elle sollicitait un bref de mandamus ainsi que d’autres jugements déclaratoires et, le 27 février 2006, le protonotaire Morneau a fait droit à la requête présentée par Distrimedic en vue d’être autorisée à se constituer codéfenderesse dans l’instance en contrôle judiciaire (Emballages Richards Inc c Procureur général du Canada, 2006 CF 257).

 

[46]           Dans le jugement Richards, au paragraphe 23, le juge Martineau a expliqué les conséquences de la renonciation à ce moment précis sur le dossier actuellement soumis à notre Cour :

23  À ce stade, je relève que, le 1er décembre 2005, après le dépôt au Bureau des brevets de l’acte de renonciation de la demanderesse, mais avant que soit rendue la décision contestée, la demanderesse a déposé devant la Cour une défense et une demande reconventionnelle dans lesquelles elle prétend que diverses revendications du brevet sont valides et que Distrimedic a contrefait ces revendications. Ses prétentions s’appuient en grande partie sur son acte de renonciation déposé le 8 novembre 2005. Saisi d’une requête en radiation déposée par Distrimedic, le protonotaire Morneau a ordonné le 29 juin 2006 que soient radiés les paragraphes de la défense et de la demande reconventionnelle de la demanderesse qui faisaient mention de son acte de renonciation. La Cour n’avait pas encore examiné la légalité de la décision contestée, mais le protonotaire Morneau a néanmoins conclu que « cet avis de demande de contrôle judiciaire ne change pas pour l’instant le fait qu’il n’y a pas de renonciation valide affectant présentement les revendications du brevet ‘045 » (Distrimedic Inc. c. Dispill Inc., 2006 CF 832, paragraphe 38) [non souligné dans l’original]. Le 17 octobre 2006, mon collègue le juge Max M. Teitelbaum, confirmant en appel l’ordonnance du protonotaire Morneau, a reconnu « que, tant que la question de la validité et de l’effet de la renonciation n’aura pas été tranchée par la Cour, les mentions de cette renonciation doivent être radiées de la défense et demande reconventionnelle en vertu des alinéas 221(1)b) et c) des Règles des Cours fédérales parce qu’elles sont frivoles et non pertinentes » [non souligné dans l’original] (Distrimedic Inc. c. Dispill Inc., 2006 CF 1229, paragraphe 56). Cela dit, le juge Teitelbaum écrit, au paragraphe 55, que si la demanderesse « obtient gain de cause dans le cadre de cette procédure de contrôle judiciaire, elle pourra demander à la Cour l’autorisation de modifier ses actes de procédure afin de réintroduire, dans sa défense et demande reconventionnelle, les allégations fondées sur la renonciation ».

 

[Passages soulignés dans l’original]

 

[47]           Concluant que le Bureau des brevets n’avait aucun pouvoir discrétionnaire lui permettant de refuser d’enregistrer ou d’inscrire une renonciation dès lors qu’elle avait été soumise conformément aux modalités prévues et que les frais prescrits avaient été acquittés, le juge Martineau a admis les arguments de Richards selon lesquels : « 1) M. Dionne [l’agent des brevets] n’avait pas le pouvoir, selon la Loi et les Règles, que ce soit par délégation ou autrement, d’examiner l’acte de renonciation de la demanderesse et de rendre la décision contestée; et 2) le commissaire n’est pas habilité, par la Loi ou par les Règles, à refuser le dépôt ou l’enregistrement de l’acte de renonciation de la demanderesse qui a été déposé le 8 novembre 2005 selon les modalités réglementaires prévues au paragraphe 48(2) de la Loi et à l’article 44 des Règles » (Richards, précité, au paragraphe 24).

 

[48]           Même si Distrimedic affirmait que « l’adoption par la Cour de la position de la demanderesse rendrait les brevets inéquitables et impossibles à prédire et en ferait des nuisances publiques” et que « les concurrents potentiels du breveté seraient dans un état constant d’incertitude sur la portée du brevet, puisque le breveté pourrait à tout moment, au moyen d’un document censé constituer une renonciation, élargir les revendications du brevet », le juge Martineau a conclu que le droit canadien des brevets était un droit entièrement d’origine législative et que « la Cour ne peut s’en rapporter à des considérations de principe valides pour se substituer au législateur » (Richards, précité, au paragraphe 25).

 

[49]           Estimant que le pouvoir de se prononcer sur la validité d’un acte de renonciation appartenait exclusivement aux tribunaux, et qu’une demande de contrôle judiciaire « n’est pas le bon moyen d’obtenir un jugement déclaratoire sur la validité ou l’invalidité d’un acte de renonciation déposé par un breveté auprès du Bureau des brevets », en partie à cause de l’insuffisance des témoignages d’experts, le juge Martineau a annulé la décision contenue dans la lettre de l’agent, de sorte que l’acte de renonciation était présumé avoir été déposé et avoir pris effet à la date de son dépôt, le 8 novembre 2005. Ce faisant, le juge Martineau a infirmé la conclusion du Bureau des brevets suivant laquelle la modification permettrait de revendiquer plus que ce qui était jusqu’alors protégé par les revendications du brevet, estimant qu’il s’agissait d’une conclusion de fait et de droit portant sur le bien‑fondé de la renonciation que le bureau des brevets n’avait pas compétence pour tirer.

 

[50]           La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Martineau dans un jugement prononcé à l’audience le 8 janvier 2008 (Distrimedic Inc c Richards Packaging Inc, 2008 CAF 4).

 

            ii.         La procédure d’enregistrement de la marque de commerce

[51]           Dans sa défense et demande reconventionnelle modifiée trois fois, Richards affirme qu’en raison de l’abondante publicité qu’elle a faite et de son important chiffre d’affaires, [traduction] « les marques de commerce Couleurs d’étiquettes d’emballage de Richards » (c.‑à‑d. les couleurs appliquées sur la surface supérieure de ses pellicules de scellement permanentes et de ses pellicules de scellement refermables) sont bien connues des pharmaciens, des infirmiers et infirmières et du personnel des centres d’hébergement et de soins de longue durée, qui leur ont fait bon accueil, tout comme le grand public, et que ses marques de commerce distinguent les emballages de Richards en liaison avec son pilulier de Dispill (défense et demande reconventionnelle, 27 septembre 2010, aux paragraphes 28 et 29).

 

[52]           La marque de commerce des couleurs de Richards que Distrimedic désigne sous le nom de [traduction] « code de couleurs de Dispill » est l’objet de la demande de marque de commerce canadienne no 1393024. À la suite de l’opposition à l’enregistrement produite par Distrimedic, une audience a eu lieu et le registraire des marques de commerce a finalement repoussé la demande le 31 octobre 2012. Le registraire a conclu que Richards n’avait pas employé le code de couleurs en tant que marque de commerce au sens de l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13, mais comme code de couleurs servant à indiquer le moment de la journée où prendre le médicament contenu dans le pilulier plutôt que comme marque de commerce identifiant la provenance des marchandises. Par conséquent, la Commission des oppositions a fait droit à l’opposition de Distrimedic et a conclu que : (i) le code de couleurs de Dispill n’était pas destiné à servir de marque de commerce; (ii) le code de couleurs de Dispill n’avait pas de caractère distinctif inhérent parce qu’il est simplement fonctionnel; (iii) Richards n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve démontrant que le public avait reconnu le code de couleurs de Dispill comme marque de commerce.

 

[53]           La décision du registraire a été portée en appel le 4 février 2013 et est actuellement en instance devant notre Cour dans le dossier T‑236‑13, Emballages Richards Inc c Distrimedic Inc. Richards a présenté une demande d’audience le 21 juin 2013. Richards soutient que lorsqu’il a rejeté la demande, le registraire a commis plusieurs erreurs, notamment en appliquant une norme de preuve plus exigeante que nécessaire dans le cadre de son analyse de l’emploi de la marque visée par la demande (qu’il a qualifiée de « non traditionnelle »); en estimant que, dans les cas où une marque présente une certaine fonctionnalité, le fardeau du requérant d’établir le caractère distinctif de la marque de commerce est élevé; en concluant qu’une marque de commerce consistant en une ou plusieurs couleurs appliquées à la surface d’un produit n’avait aucun caractère distinctif inhérent; en analysant la preuve et les témoignages qui lui avaient été présentés; et, en tirant une de ses conclusions de fait, bien qu’on ne puisse se prononcer sur l’importance de l’erreur reprochée sur le seul fondement de l’avis de demande. Richards a repris essentiellement les mêmes arguments dans le cadre de la présente affaire.

 

III.       QUESTIONS EN LITIGE

[54]           Le 28 septembre 2011, à la suite d’une conférence préparatoire tenue avec les parties, le protonotaire Morneau a prononcé une ordonnance dans laquelle il dressait la liste suivante de questions à aborder au procès :

Brevet

 

1          Interprétation du brevet 2 207 045

 

2          Distrimedic a‑t‑elle contrefait le brevet 2 207 045 en fabriquant et en vendant le pilulier Distrimedic?

 

3          L’acte de renonciation déposé relativement aux revendications 15 à 21 du brevet 045 est‑il valide et les revendications 15 et 17 à 21 faisant l’objet d’une renonciation sont‑elles invalides compte tenu de l’invalidité de l’acte de renonciation?

 

4          Pour le cas où l’acte de renonciation serait valide et que les revendications visées par la renonciation sont interprétées de façon suffisamment large pour englober le pilulier Distrimedic, les revendications 15 et 17 à 19 visées par la renonciation sont‑elles néanmoins invalides au motif qu’elles sont antériorisées par le brevet américain no 3 780 856 (Braverman) ou rendues évidentes par ce dernier?

 

Allégation de fausses déclarations

 

5          Les défendeurs reconventionnels ont‑ils fait des déclarations fausses et trompeuses qui ont contribué à discréditer l’entreprise, les services ou les marchandises de Richards?

 

Marque de commerce

 

6         Les droits conférés par les marques de commerce s’appliquent‑ils aussi à la combinaison de couleurs appliquées sur la pellicule de scellement de Richards?

 

7         Distrimedic a‑t‑elle utilisé ces droits conférés par les marques de commerce en rapport avec la combinaison de couleurs initiale en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce?

 

8          Distrimedic a‑t‑elle appelé l’attention du public sur son entreprise de manière à créer de la confusion au Canada avec celle de Richards?

 

Droit d’auteur

 

9          Existe‑t‑il un droit d’auteur sur la feuille d’étiquettes de Dispill?

 

10        Richards est‑elle titulaire du droit d’auteur en question sur la feuille d’étiquettes de Dispill?

 

11       Distrimedic a‑t‑elle violé le droit d’auteur de Richards sur la feuille d’étiquettes de Dispill?

 

Présumée responsabilité conjointe

 

12       Les défendeurs reconventionnels autres que Distrimedic Inc. sont‑ils responsables de l’un ou l’autre des actes de contrefaçon allégués?

 

Réparations

 

13        Pour le cas où la contrefaçon reprochée a effectivement eu lieu :

a)         Richards a‑t‑elle subi des dommages et, dans l’affirmative, quelle en est l’ampleur?

 

b)         S’agissant de la violation du droit d’auteur, Richards a‑t‑elle droit à des dommages‑intérêts et à une reddition de comptes des profits?

 

c)         Richards a‑t‑elle droit à l’injonction et aux jugements déclaratoires demandés en ce qui concerne la validité du brevet et les actes commis par les défendeurs reconventionnels?

 

14        Les dépens.

 

IV.       TÉMOINS DE FAIT

[55]           Avant l’ouverture du procès, Richards et Distrimedic ont indiqué leur intention de faire entendre chacun trois témoins de fait.

 

[56]           Richards voulait faire témoigner Gerry Glynn, président‑directeur général (PDG) d’Emballages Richards Inc., Marie‑Josée Glaude, directrice générale de la Division Dispill de Richards et René Thibault, un pharmacien et client de Dispill avec qui Distrimedic avait communiqué lorsque celle‑ci était arrivée sur le marché.

 

[57]           Distrimedic avait l’intention de faire témoigner Claude Filiatrault et Robert Poirier, tous les deux anciens employés et actionnaires de Dispill et actionnaires actuels ou anciens d’autres personnes morales parmi les défendeurs reconventionnels. Distrimedic avait également l’intention de faire témoigner Paul van Gheluwe, un ancien employé de Dispill et représentant de commerce pour Distrimedic, mais a finalement estimé que son témoignage était inutile pour les raisons expliquées plus loin.

 

            a) Les témoins de fait de Richards

i.          Gerry Glynn

[58]           Monsieur Gerald Glynn est le PDG de Richards depuis 2002. Il a été appelé à témoigner sur certains faits concernant Emballages Richards Inc., Dispill Inc., le pilulier de Dispill et certains renseignements financiers connexes ainsi que sur l’utilisation de la marque de commerce des couleurs de Richards, de la feuille d’étiquettes de Dispill et sur la renonciation au brevet.

 

[59]           Au cours de son interrogatoire principal, M. Glynn a expliqué son rôle chez Richards et a brossé un tableau de la structure opérationnelle de Richards et de son entreprise dans l’ensemble, en parlant notamment du type de produits qu’elle vendait. Monsieur Glynn a ensuite relaté les circonstances entourant l’acquisition de Dispill Inc. et parlé du rôle de la Division au sein de l’ensemble de l’entreprise. Il a notamment parlé de la distribution géographique, de la représentation et de la structure hiérarchique interne de la division et il a parlé de ce qu’il a appelé [traduction] « la solution de Dispill » et des principaux clients de l’entreprise.

 

[60]           Les avocats de Richards ont ensuite demandé à M. Glynn de verser aux dossiers divers documents se rapportant à l’acquisition de Dispill Inc, en prenant acte du fait que M. Glynn ne pouvait pas lire le français. Il a été convenu que les documents en question seraient tenus pour avérés à moins qu’une objection ne soit soulevée. Après avoir déposé plusieurs documents, M. Glynn a expliqué qu’il avait appris l’existence de MM. Filiatrault et Poirier et de l’échec de leur tentative d’acquérir Dispill Inc. au cours du contrôle préalable portant sur l’acquisition de Richards, mais qu’il ne les avait jamais rencontrés et en avait simplement entendu parler.

 

[61]           Monsieur Glynn a déposé deux DVD contenant des vidéos instructionnelles destinées respectivement aux centres d’hébergement et de soins de longue durée et aux pharmacies. Il s’agissait d’outils de marketing de Richards qu’on a fait jouer pour que la Cour les voie. Monsieur Glynn n’était pas certain du moment où elles avaient été réalisées, mais il a confirmé qu’elles étaient antérieures à l’acquisition de 2005. Monsieur Glynn a ensuite versé au dossier plusieurs éléments matériels et en a expliqué l’utilité. Il a ensuite passé en revue les éléments énumérés dans la liste de prix de Dispill en expliquant à la Cour l’usage auquel étaient destinés les divers composants et accessoires de produits et à qui ils étaient destinés (par exemple, les pharmaciens, les infirmiers et infirmières et les membres du personnel non professionnel travaillant dans des pharmacies ou des centres d’hébergement et de soins de longue durée). Monsieur Glynn a ensuite parlé de la marge de profit des divers produits en faisant observer que la plupart des produits vendus par Richards étaient des produits de consommation (plaquettes alvéolaires et étiquettes) et que les accessoires étaient vendus principalement pour faciliter la vente des produits de consommation. Des échantillons d’étiquettes ont été ensuite déposés et décrits par le témoin.

 

[62]           Monsieur Glynn a expliqué que, lorsque Dispill Inc. avait commencé à exercer ses activités, elle avait une relation d’exclusivité avec la société pharmaceutique Novopharm Québec. Les produits que les pharmacies commandaient ou achetaient étaient facturés à Novopharm, qui les payait. Plus tard, cette relation avec Novopharm a pris fin et, par la suite, Dispill facturait directement aux pharmacies les produits qu’elles commandaient.

 

[63]           Après avoir produit d’autres éléments matériels, M. Glynn a présenté une solution complète que Distrimedic avait remise à Richards comme échantillon au moment où l’action avait été introduite. Cette solution portait une étiquette arborant les mêmes couleurs que le produit de Richards. Monsieur Glynn a également produit un échantillon qu’il avait reçu lors d’une foire commerciale et qui présentait le même code de couleurs que le code de couleurs actuel de Distrimedic.

 

[64]           Monsieur Glynn a examiné l’acte de renonciation de Richards en expliquant les raisons pour lesquelles, à son avis, certaines revendications avaient une portée trop large et devaient être davantage circonscrites, ajoutant qu’on souhaitait proposer une définition plus précise de l’étiquette et mieux expliquer à quoi servaient les orifices, en l’occurrence pour offrir un dispositif d’engagement. Monsieur Glynn a expliqué que l’acte de renonciation avait été déposé à ce moment précis après que Richards eut examiné le brevet après avoir reçu la déclaration de Distrimedic, ajoutant que la renonciation visait à restreindre la portée de la demande de brevet et à corriger toute erreur commise par inadvertance ou toute description insuffisante, tant pour faciliter le déroulement du procès auquel Distrimedic était partie pour que clarifier le brevet vis‑à‑vis les autres concurrents de Richards.

 

[65]           Monsieur Glynn a poursuivi en discutant de l’importance des couleurs sur les étiquettes de Dispill, expliquant qu’elles visaient deux objectifs : le premier étant de [traduction] « permettre au public de reconnaître le produit » et l’autre, de [traduction] « faciliter l’utilisation du produit » (transcription du 25 mars, à la page 125). Il a fait observer que, sauf dans les cas où la loi exigeait autre chose, par exemple lorsqu’on servait des stupéfiants, Richards utilisait toujours le même code de couleurs et qu’il ne connaissait aucune autre société qui utilisait les mêmes couleurs à part Distrimedic, qui ne les avait utilisés que pendant une brève période. Monsieur Glynn a expliqué que les pharmaciens impriment eux‑mêmes les étiquettes et qu’il est peu probable que les patients voient une étiquette complète. Il a ensuite parlé des produits et des couleurs employés par les divers concurrents de Richards, et plus précisément Jones et Manrex, et des avantages que comportait la solution Richards par rapport aux autres produits en question (par exemple, le produit de Richards ne nécessite pas de sceau thermique). Il a produit des échantillons à l’appui de ses dires. Il a ajouté que le système de Dispill était supérieur à ceux de Jones et de Manrex parce qu’il était plus fonctionnel et que les mentions imprimées sur les alvéoles étaient plus sûres. Avec le système Dispill, l’administration des pilules aux patients prend moins de temps et le taux d’erreur est moins élevé. Jones et Manrex occupent un faible pourcentage du marché québécois, mais ont une part plus grande du marché canadien. Quant aux autres produits qui existaient sur le marché avant l’arrivée de Distrimedic, M. Glynn a expliqué qu’il s’agissait de solutions de rechange à l’administration de pilules et de produits non concurrents.

 

[66]           Monsieur Glynn a ensuite discuté des diverses entreprises de logiciels et des différents programmes associés à Dispill Inc. au fil des ans, dont le programme Mentor de Kroll et de DLD. Il a affirmé que lorsque Dispill était partie à une entente avec une entreprise de logiciels, l’entente prévoyait l’utilisation du logiciel de Dispill par cette entreprise. Des instantanés d’écran des versions DOS et Windows du logiciel de DLD ont été présentés, ceux‑ci comportant un hyperlien rattaché au nom de Distrimedic dans au moins une version.

 

[67]           Monsieur Glynn a confirmé que les ventes des produits de consommation représentent 97 ou 98 p. 100 du chiffre d’affaires de Richards, et que les ventes d’étiquettes surpassent les ventes d’emballages‑coques d’environ 20 à 25 p. 100, étant donné que plus d’étiquettes sont utilisées quand des changements sont apportés. Il a également traité des documents financiers faisant état de remises, de diminutions de prix et de rabais. Monsieur Glynn a ajouté que les prix ont chuté d’environ 20 p. 100 lorsque Distrimedic est entrée sur le marché en 2006. Ainsi, le nombre de clients à qui l’entreprise proposait des remises a augmenté, et ce même si les remises offertes n’avaient pas changé. Il a également affirmé que des rabais étaient offerts en réponse aux pressions sur les prix qu’exerçait Distrimedic. Au cours de l’année où Distrimedic est entrée sur le marché, les prix ont subi une correction à la baisse, mais les ventes de Richards ont progressé chaque année par la suite. Monsieur Glynn estime que si Distrimedic n’était pas présente sur le marché, Richards aurait pu augmenter ses prix.

 

[68]           Dans son contre‑interrogatoire de M. Glynn (témoignage de M. Glynn du 26 mars, aux pages 45 à 153), l’avocate de Distrimedic a abordé une foule de questions. Monsieur Glynn a confirmé qu’il ne participait pas aux activités quotidiennes de la Division Dispill et qu’il ne consacrait que très peu de temps à cet aspect de l’entreprise de Richards; il a également reconnu qu’il ne connaissait pas personnellement les activités de Dispill avant son acquisition par Richards en juillet 2005, hormis les renseignements qui lui avaient été communiqués dans le cadre du contrôle préalable qui avait été effectué avant l’opération.

 

[69]           L’avocate a également posé des questions à M. Glynn au sujet des procédures entreprises simultanément par Richards relativement à la demande de marque de commerce, des préoccupations particulières de Richards au chapitre des marques de commerce (aucune allégation quant à la couleur et au nom actuellement employés par Distrimedic), de la nature de du droit d’auteur revendiqué par Richards (aucune allégation relative à un logiciel ni aucune selon laquelle Distrimedic a utilisé des logiciels; on allègue plutôt que l’entreprise a incité des pharmaciens à l’utiliser et on admet que la version DOS n’a probablement pas été employée depuis au moins 2006), ainsi que de la relation de Richards avec diverses entreprises de logiciels (concernant notamment la propriété de la feuille d’étiquettes de Dispill et les paiements pour des services de programmation ou des licences de logiciels).

 

[70]           Monsieur Glynn a répété que le produit de Dispill était devenu la norme au sein de l’industrie et qu’il dominait essentiellement le marché québécois. L’avocate a demandé à M. Glynn de préciser les circonstances dans lesquelles l’acquisition de 2005 avait eu lieu et de fournir des précisions au sujet du contrôle préalable au cours duquel la question de la propriété intellectuelle avait été examinée. Il a admis que ni le code de couleurs de Dispill ni la feuille d’étiquettes de Dispill n’avaient été expressément abordés au cours du contrôle préalable et qu’ils n’avaient pas été expressément mentionnés dans les ententes relatives à l’opération. Il a toutefois expliqué que l’entente conclue entre Richards et Dispill Inc. se voulait exhaustive et que tous les droits de propriété intellectuelle de Dispill Inc. devaient être transférés à Richards. À son avis, bien que l’annexe 5.1ee) de l’entente d’achat d’actions du 29 juillet 2005 (RCD no 244), qui ne mentionne ni le code de couleurs de Dispill ni la feuille d’étiquettes de Dispill, indique qu’il s’agit d’une liste de tous les droits de propriété intellectuelle, le vendeur avait l’obligation de dresser cette liste. Advenant le cas où le vendeur n’aurait pas dressé une liste complète de ses droits de propriété intellectuelle, cette omission n’aurait aucune incidence sur le droit de Richards d’acquérir la totalité des droits de propriété intellectuelle de Dispill Inc.

 

[71]           L’avocate a ensuite interrogé M. Glynn au sujet de la baisse des prix attribuable à l’arrivée de Distrimedic sur le marché, de la réaction de Richards à l’entrée sur le marché de Distrimedic (par exemple, l’avis envoyé à tous les clients pharmaciens en septembre 2005 en ce qui concerne l’éventuelle contrefaçon du brevet de Dispill, vraisemblablement en réponse à la confusion créée dans l’esprit de la clientèle de Richards et pour supprimer toute confusion entre Richards et Distrimedic) et de la légalité du transfert d’employés de Dispill à Distrimedic.

 

[72]           Enfin, l’avocate a demandé à M. Glynn de discuter des différences pratiques entre la solution de Dispill et celles de concurrents comme Jones et Manrex (notamment à l’égard du scellement et de l’impression des étiquettes; l’avocate voulait entre autres savoir pourquoi aucune poursuite n’a été intentée contre les pharmaciens autorisés à imprimer des étiquettes présentant des renseignements similaires à ceux figurant sur les étiquettes de Richards), ainsi que de celles entre la feuille d’étiquettes du logiciel de Dispill et celui des programmes plus couramment utilisés en pharmacie. À un certain moment, M. Glynn a convenu que le droit d’auteur que Richards revendique vise la méthode d’impression des renseignements sur des cellules distinctes, et non sur la partie supérieure de la pellicule de scellement. Autrement dit, il a laissé entendre que le droit d’auteur revendiqué se rapporte à la méthode selon laquelle des cellules distinctes peuvent être séparées tout en demeurant étanches et les renseignements sont affichés à l’arrière des cellules, de manière à ce que ces dernières constituent des produits indépendants. Il affirme qu’il y a violation du droit d’auteur de Richards lorsque les renseignements sont affichés sur chacune des cellules et qu’ils sont en grande partie identiques à ce qui figure sur les instantanés d’écran de Richards. Lorsqu’on lui a présenté un produit de Jones qui a été récemment commercialisé et dont chaque cellule comporte une impression, M. Glynn a indiqué que Richards n’a pas examiné le produit en détail et n’est pas certaine que ce produit constitue une contrefaçon du brevet, mais que son entreprise est d’avis que Jones viole le droit d’auteur en imprimant des renseignements à l’arrière de chaque cellule de son produit, quel qu’en soit le format.

 

[73]           En ce qui a trait aux brevets, les avocats de Distrimedic ont demandé à M. Glynn de confirmer qu’aucun accessoire n’est vendu sous une condition quelconque visant leur utilisation, hormis la protection conférée par un brevet. Monsieur Glynn a aussi confirmé que personne n’allègue que Distrimedic vend un couteau ou une planche à découper. Pendant l’analyse des raisons pour lesquelles Richards a déposé une renonciation de brevet, M. Glynn a reconnu que selon le dernier paragraphe de la version initiale de la revendication 15, la taille et l’emplacement des orifices correspondent à ceux desdites protubérances et visent à permettre un engagement dans ces dernières, et il a finalement expliqué qu’il avait ultimement fondé la renonciation sur le fait que [traduction] « la nouvelle description est meilleure lorsqu’elle est conjuguée à cet élément », faisant ainsi vraisemblablement référence aux formules nouvelles et antérieures (transcription du 26 mars, à la page 102). Bien qu’il reconnaisse l’existence de similitudes entre les revendications 1 et 15 du brevet 045, M. Glynn n’a pu expliquer pourquoi la renonciation ne vise pas ces dernières. Il a indiqué que Richards n’a pas communiqué avec M. Bouthiette à propos de la nécessité de déposer une renonciation, que l’absence de référence à des bandes adhésives dans le brevet d’origine représente une erreur et que la référence à un engagement n’est [traduction] « pas suffisamment descriptive » (transcription du 26 mars, à la page 104).

 

[74]           Lorsqu’on lui a demandé d’autres précisions concernant la violation alléguée du droit d’auteur et les allégations qui concernent plus précisément le formulaire d’étiquettes du logiciel de Dispill ou sous‑tendant celui‑ci, M. Glynn a affirmé (en renvoyant aux pièces 164 et 165) qu’il n’existait initialement aucun lien avec Distrimedic dans le logiciel Mentor, de sorte qu’une étiquette de Distrimedic était imprimée en recourant par défaut à une étiquette de Dispill. Monsieur Glynn a reconnu qu’après l’intégration ultérieure d’un tel lien au logiciel, [traduction] « le problème que pose [selon Richards] Distrimedic quant au droit d’auteur et au logiciel est que Distrimedic a intégré au logiciel pharmaceutique une application qui permet à un pharmacien de choisir les mêmes champs et de les imprimer sur une étiquette, par‑dessus une cellule » (transcription du 26 mars, aux pages 122 et 123). Monsieur Glynn, faisant encore valoir que le produit de Dispill présente une valeur ajoutée par rapport à ceux des concurrents, notamment en raison de la valeur de la propriété intellectuelle connexe et de la facilité d’utilisation du produit, a confirmé que Richards a [traduction] « le droit d’empêcher quiconque d’utiliser le programme Mentor pour imprimer sur un pilulier les renseignements qui figurent sur les cellules distinctes (transcription du 26 mars, à la page 126.

 

[75]           Monsieur Glynn a poursuivi son témoignage en décrivant la clientèle cible de Dispill (les pharmacies et les centres de soins de longue durée), les facteurs qui influent sur la concurrence (la fonctionnalité et la précision sont plus importantes que le prix pour les centres de soins de longue durée) et les prix sur le marché. Monsieur Glynn a répété que Richards avait réagi à l’entrée sur le marché de Distrimedic en accordant plus de rabais dès 2006 et en réduisant ses prix en 2007. Dispill n’avait pas de concurrent avant Distrimedic; Jones et Manrex étaient quant à elles des solutions de rechange, mais elles n’offraient pas le même type de produit. Monsieur Glynn a mentionné que la propriété intellectuelle de Dispill Inc. n’était pas entrée en jeu dans les négociations qui avaient mené à l’achat de l’entreprise par Richards.

 

[76]           En 2006, Richards a éliminé le volume d’achat requis pour obtenir une remise afin d’apaiser certains clients, sans toutefois réduire automatiquement ses prix pour tous ses clients. Avant l’entrée sur le marché de Distrimedic, peu de clients atteignaient le volume d’achat requis, de sorte que Richards accordait peu de remises. Par la suite, le pourcentage de remise sur le volume est demeuré à environ 7 p. 100, alors que le nombre de remises a quant à lui progressé, car Richards offrait une remise à beaucoup plus de clients pour concurrencer les prix inférieurs que pratiquait Distrimedic. En 2007, la concurrence féroce livrée par Distrimedic a forcé Richards à réduire ses prix; l’entreprise avait abaissé le prix unitaire (revenu par boîtier) de 20 p. 100 au 31 décembre 2007. En revanche, à l’extérieur du Québec, les prix et les remises étaient demeurés stables après le lancement de Distrimedic.

 

ii.         Marie‑Josée Glaude

[77]           Marie‑Josée Glaude, vice‑présidente aux ventes et aux relations commerciales à la Division de la vente au détail de Richards et directrice générale de la Division Dispill de Richards à Montréal, a été appelée à témoigner au sujet des faits et à déposer divers documents concernant Emballages Richards Inc., les rapports de l’entreprise avec diverses sociétés de vente de logiciels et l’établissement des prix, notamment les rabais offerts en rapport avec les produits de Dispill. Madame Glaude a été interrogée et contre‑interrogée les 26 et 27 mars 2013. Elle a confirmé dans l’ensemble le témoignage donné par M. Glynn au sujet de l’établissement des prix, ajoutant que les prix des produits de Dispill étaient réglés au cas par cas; le prix était diminué s’il était logique de le faire pour conserver un client. Elle a donné de nombreux exemples de clients de Dispill qui informaient constamment Dispill, à la suite de l’entrée de Distrimedic sur le marché, qu’ils pouvaient obtenir le même produit à meilleur prix en se le procurant auprès de Distrimedic. Elle a également mentionné certains courriels et notes manuscrites rédigés par des employés de Richards qui tendaient à démontrer que certains représentants de Distrimedic avaient utilisé des brochures de Dispill pour commander des produits de Distrimedic et que les accessoires de Dispill étaient compatibles avec les produits de Distrimedic. Lorsqu’on a été mis au courant de ces méthodes à l’automne 2005, on a envoyé aux pharmaciens par la poste un avis les informant de ce qui suit : [traduction] « Nous avons appris que certaines personnes font sans autorisation la promotion d’un produit semblable au DISPILL® ou le présentent comme un produit interchangeable avec le DISPILL®. » La lettre informait également que les personnes en question n’étaient pas associées à DISPILL® ou à Emballages Richards et qu’elles n’étaient pas autorisées à vendre ce produit ou à se présenter comme étant associées à ce produit. La lettre précisait que tout autre produit associé faussement au DISPILL® violait les droits conférés à Richards par sa marque de commerce, que DISPILL® était protégée par brevet et que l’utilisation de ces composantes telles que les alvéoles ou les feuilles adhésives achetées de sources non autorisées par Richards pour fabriquer des contenants distincts de pilules contreferait la méthode brevetée utilisée par Richards pour le DISPILL® et que tout produit qui était une copie ou qui prétendait être identique au DISPILL® violerait les droits conférés à Richards dans le produit en question par son brevet (pièces 141 et 143).

 

[78]           Je suis d’accord avec les avocats des défendeurs reconventionnels pour dire que Mme Glaude ne peut témoigner au sujet du caractère distinctif de la marque de commerce alléguée ou sur la confusion ou les fausses déclarations de l’un ou l’autre des défendeurs reconventionnels sans que son témoignage constitue du ouï‑dire ou sans se livrer à des hypothèses. Elle a d’ailleurs admis qu’elle n’avait pas de contacts directs avec les pharmaciens clients de Dispill et elle n’a soumis aucun élément de preuve permettant de croire qu’elle était en rapport avec des centres d’hébergement et de soins de longue durée. En ce qui concerne les questions de logiciel, Mme Glaude a admis qu’elle ne connaissait pas bien le logiciel Mentor ou les versions plus récentes de ce logiciel pharmaceutique, ajoutant qu’elle ne pouvait se prononcer sur le la feuille d’étiquettes de Dispill (RCD no 149), dont l’usage avait été abandonné avant l’acquisition de Dispill Inc. par Richards. Pour ces motifs, je conclus que son témoignage est peu utile sur cette question et qu’on devrait lui accorder peu de poids.

 

[79]           De plus, certains documents invoqués par Mme Glaude pour étayer les allégations de fausses déclarations de Richards ne sont pas admissibles parce qu’ils contiennent du ouï‑dire, ce qui est vrai, en particulier si l’on tient compte de l’échange de courriels qui s’est terminé le 3 janvier 2007 par un message que Hugo Lebrun a adressé à Dispill, dans lequel on trouve une note manuscrite (voir RCD no 168 et RCD no 352, à la page 6), un courriel du 25 octobre 2007 que Maryse Fontaine a adressé à Hugo Lebrun (voir RCD no 182, RCD no 183, à la page 2 et RCD no 352, à la page 7), ainsi qu’une page manuscrite intitulée « Automne 2006 » mentionnant la pharmacie Fleury et associés (voir RCD no 352, à la troisième page de la fin). Tous ces documents ont été préparés par Maryse Fontaine, qui travaille à la Division de Dispill de Richards à Granby (Québec).

 

[80]           La règle générale interdisant le ouï‑dire a été énoncée de façon succincte comme suit :

[traduction]

Les déclarations, écrites ou de vive voix, ou les communications faites par des personnes dans des situations autres que lors d’un témoignage livré dans l’instance où elles sont présentées, sont inadmissibles si elles sont produites pour établir leur véracité ou les assertions implicites qui en découlent.

 

 

Alan W. Bryant, Sidney N. Lederman & Michelle K. Fuerst, Sopinka, Lederman & Bryantm The Law of Evidence in Canada, 3e éd. (Markhamm LexisNexis, 2009), aux pages 229 et 230.

 

[81]           Cette règle interdit essentiellement d’ajouter foi à toute déclaration écrite ou de vive voix faite en dehors du cadre de l’instance si cette déclaration est produite en vue d’en établir la véracité. La demanderesse reconventionnelle soutient que les documents susmentionnés devraient être considérés admissibles même s’ils renferment du ouï‑dire parce qu’ils constituent des documents commerciaux.

 

[82]           L’exception à la règle déclarant inadmissible le ouï‑dire dans le cas des documents commerciaux se justifie par le fait que l’identité de la personne qui a créé le document est peut‑être inconnue et que, même si cette personne était présente devant le tribunal, elle ne pourrait rien ajouter à ce qu’on trouve au dossier. De plus, il y a des raisons qui justifient de se fier à l’exactitude des renseignements contenus dans les documents commerciaux : en l’occurrence, le fait que l’on fasse constamment des inscriptions dans les documents commerciaux et que l’employé intéressé s’expose à des mesures disciplinaires en cas d’inexactitude.

 

[83]           Le paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5, permet d’admettre en preuve des documents qui constitueraient autrement du ouï‑dire, à condition qu’ils soient désignés comme des documents établis dans le cours ordinaire des affaires. Le paragraphe 30(10) énumère toutefois certaines catégories de documents que le paragraphe 30(1) ne rend pas admissibles, notamment les documents établis en prévision d’une procédure judiciaire (sous‑alinéa 30(10)a)(ii)). Cette exception se justifie par le fait qu’il existe un danger qu’un document établi en prévision d’une procédure judiciaire manque d’objectivité, ce qui le rend peu fiable (Performing Rights Organization of Canada Ltd c Lion d’Or (1981) Ltée, [1987] ACF no 934, à la page 3; Setak Computer Services Corp c Burroughs Business Machines Ltd (1977), 15 OR (2d) 750, à la page 755 (Cour sup. Ont.)). Les principales conditions à remplir pour admettre des éléments de preuve constituant du ouï‑dire en vertu de l’exception de la common law concernant les documents commerciaux sont les suivantes : la personne qui a créé le document l’a rédigé au jour le jour en se fondant sur ses connaissances personnelles et dont le travail consiste à le faire (Ares c Venner, [1970] RCS 608). Suivant la méthode d’analyse raisonnée, la preuve par ouï‑dire doit être nécessaire pour prouver un fait en litige et elle doit être fiable, la nécessité tenant à la pertinence et à la disponibilité de la preuve (R c Khan, [1990] 2 RCS 531; R c Khalawon, [2006] 2 RCS 787).

 

[84]           Dans le cas qui nous occupe, Mme Glaude n’a pas laissé entendre que Maryse Fontaine n’était pas disponible pour témoigner; en fait, elle a confirmé que Mme Fontaine travaillait à Granby le jour où Mme Glaude avait témoigné. Madame Glaude a également reconnu qu’au moins une partie des notes de Mme Fontaine n’avait pas été rédigée au jour le jour, mais plus tard, soit de mémoire ou en s’inspirant d’autres notes qui n’ont pas été produites en preuve.

 

[85]           De plus, selon le premier échange de courriels se terminant par le message du 3 janvier 2007 que Hugo Lebrun a adressé à Dispill, un représentant de Distrimedic a montré à un client éventuel de Dispill un catalogue en vue de commander des accessoires. Cette situation aurait eu lieu entre un représentant de Distrimedic et l’éventuel client. Cet éventuel client aurait ensuite fait part de ce fait à deux représentants de Dispill qui, à leur tour, l’auraient communiqué à Mme Fontaine qui, selon Mme Glaude, a rédigé la note. Le contenu de la note manuscrite constitue donc du triple ouï‑dire. Même si cette note manuscrite était qualifiée de document commercial, elle constituerait quand même du double ouï‑dire.

 

[86]           Selon le courriel du 25 octobre 2007 que Mme Fontaine a adressé à Hugo Lebrun, Distrimedic a demandé à l’un de ses clients d’appeler Dispill pour obtenir des accessoires. Cette situation ressemble à celle relatée dans le paragraphe précédent. Elle aurait eu lieu entre Distrimedic et le client. Ce client aurait ensuite fait part de ce fait à un centre d’hébergement et de soins de longue durée qui, à son tour, l’aurait communiqué à Mme Fontaine qui, suivant Mme Glaude, a écrit le courriel. Le contenu de ce courriel constitue donc du triple ouï‑dire, de sorte que, même s’il répondait à la définition de document commercial, il constituerait quand même du double ouï‑dire.

 

[87]           Enfin, selon la note manuscrite intitulée « Automne 2006 », un pharmacien a reçu une carte professionnelle de la Société d’impression sur laquelle était inscrit le numéro de téléphone de Dispill. Le pharmacien en aurait fait part à Mme Fontaine. Rien ne permet de penser que Mme Fontaine et Mme Glaude ont vu cette carte. De plus, rien n’indique la date à laquelle cette page a été rédigée. La date indiquée sur la page est « Automne 2006 (Je crois Nov. 06) », ce qui permet de penser que le document a été créé après l’appel téléphonique, c’est‑à‑dire probablement quelques mois plus tard.

 

[88]           Aucune des questions contestées qui se dégagent des documents susmentionnés ne reposait sur des faits dont Mme Fontaine aurait personnellement eu connaissance. De plus, tous ces documents ont été créés longtemps après l’introduction de la présente action en septembre 2005 et il ne semble pas que Richards avait l’habitude de créer de tels documents avant l’introduction de la présente action. Pour tous ces motifs, je conclus que ces documents ne répondent pas aux conditions requises pour bénéficier de l’exception à la règle interdisant le ouï‑dire applicable aux documents commerciaux.

 

            iii.        René Thibault

[89]           Monsieur René Thibault, pharmacien et directeur du Département de pharmacie, Centre CSSS, Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke, était un client du pilulier de Dispill avec qui Distrimedic a communiqué lorsqu’elle était arrivée sur le marché. Monsieur Thibault a été interrogé et contre‑interrogé le 27 mars 2013.

 

[90]           En 2006, M. Thibault a appris l’existence de Distrimedic lorsqu’il cherchait les meilleurs prix sur le marché pour les emballages‑coques. Au cours de l’automne 2006, il a rencontré un représentant de Distrimedic, soit M. Paul van Gheluwe, afin de vérifier si Distrimedic pouvait lui offrir une meilleure entente que celle que pouvait offrir Dispill à l’époque. Lorsque M. Thibault a envisagé d’utiliser le produit de Distrimedic plutôt que celui de Dispill, il s’est demandé si Distrimedic offrait les mêmes accessoires que Dispill. Selon son témoignage, le représentant de Distrimedic lui a montré dans un catalogue des accessoires se prêtant à l’utilisation du pilulier de Distrimedic. Lorsque M. Thibault, qui connaissait alors très bien le pilulier de Richards, a demandé au représentant de Distrimedic si celle-ci offrait des accessoires destinés aux produits qu’elle commercialise, on lui a montré des fiches de produits très similaires à celles du catalogue de Dispill (qui lui ont été présentées comme étant la pièce 513), mais sur lesquelles le nom « Dispill » ne figurait pas. C’est en raison de cette similarité qu’il a présumé que les deux entreprises faisaient affaire avec le même fournisseur externe.

 

[91]           Lors de son contre‑interrogatoire, M. Thibault a dit qu’il choisissait principalement un produit en fonction de la facilité à l’utiliser. Il a également indiqué que certains renseignements devaient être imprimés pour un médicament sur ordonnance : par exemple, le nom du patient, le nom du médicament et sa puissance, sa posologie et la voie d’administration. Comme la loi exige que ces renseignements soient inscrits, il n’est donc pas autorisé à utiliser un pilulier sur lequel ces renseignements seraient absents.

 

[92]           Monsieur Thibault a également mentionné que c’était lui qui avait communiqué avec le représentant de Distrimedic en 2006 pour se renseigner au sujet de son produit, après que des collègues lui eurent dit que Distrimedic offrait un produit semblable à Dispill à un prix inférieur. Lorsqu’on lui a montré les listes de prix de Distrimedic (RCD nos 27 et 34), il a déclaré qu’il ne croyait pas que les listes de prix en question lui auraient donné la même impression quant à la similitude du catalogue de Dispill par rapport aux listes qu’il se souvenait avoir consultées. Or, M Thibault a également reconnu que, lorsqu’il avait rencontré le représentant de Distrimedic, ce dernier n’avait pas tenté de lui faire croire qu’il était un représentant de Dispill ou qu’il vendait des produits de Dispill et qu’il n’avait jamais fait de déclarations fausses et trompeuses à l’égard des produits de Distrimedic; il était évident pour lui à l’époque qu’il s’agissait de deux sociétés distinctes.

 

[93]           Les avocats de la demanderesse reconventionnelle ont affirmé que la Cour devait tirer une conclusion défavorable du défaut des défendeurs reconventionnels de faire témoigner M. van Gheluwe pour contredire le témoignage de M. Thibault. En réponse, les avocats des défendeurs reconventionnels ont expliqué qu’il n’y avait aucune raison de faire témoigner M. van Gheluwe, étant donné qu’il n’y avait aucun élément de preuve d’acte répréhensible à réfuter; d’ailleurs, les avocats de Distrimedic de se sont dits d’avis que M. Thibault était un témoin fort crédible, qu’il était le seul des témoins de Richards qui était en mesure de donner un témoignage qui ne contenait aucun ouï‑dire au sujet des fausses déclarations que Distrimedic aurait faites, qu’il avait donné des réponses claires et précises et que l’on devait accorder beaucoup de valeur à son témoignage. Je reviendrai sur ce témoignage lorsque j’analyserai les allégations de fausses déclarations dans la partie des présents motifs consacrés à l’analyse.

 

            b) Les témoins de fait de Distrimedic

i.          Claude Filiatrault

[94]           Monsieur Claude Filiatrault a été interrogé le 5 avril 2013 et son interrogatoire s’est poursuivi les 8 et 9 avril 2013, dates auxquelles son contre‑interrogatoire a également eu lieu.

 

[95]           Monsieur Filiatrault est l’unique actionnaire des personnes morales défenderesses reconventionnelles et il est également défendeur reconventionnel à titre personnel. Il est le fil conducteur entre chacune des parties défenderesses nommément désignées dans la présente affaire et il était l’un des trois dirigeants de Dispill Inc. entre 1997 et 2002 avant que lui et M. Poirier ne vendent leurs actions à M. Bouthiette. Au terme de la période de deux ans prévue par l’entente de non‑concurrence, il a lancé Distrimedic avec M. Robert Poirier, avec qui il contrôlait ou dirigeait chacune des autres personnes morales défenderesses (Alpha et la Société ont fusionné l’an dernier). Son témoignage a été présenté comme étant utile pour retracer les origines de Dispill et pour témoigner de ses activités chez Dispill, ainsi que pour relater la genèse de Distrimedic, ses activités, ses produits et ses opérations ainsi que les activités, les produits et les opérations des autres défendeurs reconventionnels.

 

[96]           Monsieur Filiatrault a expliqué que les personnes morales défenderesses reconventionnelles partageaient certaines ressources par souci d’efficacité et de gestion des ressources et à des fins fiscales, mais qu’elles exerçaient leurs activités en tant qu’entités distinctes chargées chacune d’activités commerciales séparées. Chacune des sociétés en question conserve des registres et des relevés financiers bien distincts et divulgue aux autres sociétés la valeur de ces ressources mises en commun qu’elles utilisent. Par exemple, il n’y a qu’une seule liste de paye pour tous les employés des trois sociétés : la Société est chargée de payer tous les employés et elle facture ensuite les deux autres sociétés pour les montants payés en salaires et en commissions. Monsieur Filiatrault a également expliqué que des rabais sont parfois consentis à des clients d’une société pour tenir compte du fait qu’ils achètent également des produits des deux autres sociétés, le tout pour fidéliser les clients.

 

[97]           Monsieur Filiatrault a expliqué qu’au cours des dernières années, les pharmaciens étaient devenus des consommateurs et des gestionnaires de plus en plus avertis, qu’ils se partageaient des renseignements commerciaux et que ceux qui travaillaient pour les pharmacies franchiseuses pouvaient compter sur l’appui d’un personnel commercial bien formé et même recevoir une formation en négociation commerciale. Il a également expliqué le rôle des pharmacies franchiseuses par opposition aux pharmacies franchisées pour décider quels produits acheter et à quel prix. Il a évoqué les débuts de Dispill Inc. et ses relations d’affaires avec Novopharm.

 

[98]           Monsieur Filiatrault a mentionné qu’au moment de commercialiser leurs produits, les dirigeants de Dispill Inc. n’avaient jamais envisagé d’utiliser le code de couleurs comme marque de commerce, mais qu’ils l’avaient toujours considéré comme une caractéristique de sécurité de leurs produits. Il a également parlé des pharmaciens en expliquant qu’ils étaient les principales cibles des campagnes de publicité de commercialisation de la société, et il a parlé d’une campagne de promotion destinée à l’ensemble de sa clientèle que Dispill avait dû abandonner parce que les pharmaciens n’étaient pas en mesure de répondre à la demande des consommateurs.

 

[99]           Pour ce qui est du choix des renseignements figurant sur chaque cellule, M. Filiatrault ne se souvenait pas sur quoi il reposait, mais il avait l’impression que M. Bouthiette l’avait initialement fait en raison de sa collaboration avec un pharmacien. Il a ajouté que l’Ordre des pharmaciens du Québec devrait disposer d’un code de pratiques régissant les renseignements de base devant figurer sur l’étiquette d’un contenant de médicaments vendu à un client. Lors de son témoignage, il a signalé que la programmation du logiciel DOS initiale a été effectuée par le neveu de M. Bouthiette et qu’elle tenait partiellement compte de commentaires formulés par un pharmacien et des entreprises de logiciels au sujet du choix des champs et du fonctionnement du logiciel. Il a ensuite énuméré certains des programmes informatiques qui ont été utilisés au fil des ans pour reproduire sur les feuilles d’étiquettes de Dispill les renseignements sur les patients qui figurent dans les bases de données des pharmaciens. À ce chapitre, il a versé en preuve deux ententes, soit une entre Dispill Inc. et DLD et l’autre entre Dispill Inc. et InfoPharm, lesquelles portaient sur l’installation du logiciel DOS et la création d’un lien entre ce dernier et les plateformes de DLD et d’InfoPharm. À sa connaissance, aucun droit d’auteur visant ces applications n’a jamais été enregistré.

 

[100]       Monsieur Filiatrault a expliqué les circonstances entourant la vente de ses actions et de celles de M. Poirier à M. Bouthiette ainsi que la clause de non‑concurrence figurant dans l’entente, aux termes de laquelle MM. Filiatrault et Poirier avaient accepté de ne pas faire concurrence à Dispill pendant une période de deux ans à compter du 3 septembre 2002. Il a déclaré qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de ne pas respecter cette entente. Ils ont également demandé un avis juridique concernant la conception d’un nouveau produit pour déterminer s’ils contreferaient ainsi le brevet 045 de Dispill Inc. Suivant cet avis, daté du 5 mars 2003, cette conception ne contreferait aucune des revendications du brevet 045. Ils ont ensuite laissé ce projet en veilleuse jusqu’au début de 2005, après avoir constitué en personne morale Distrimedic Inc. le 7 septembre 2004. Il a fallu presque toute l’année 2005 avant de trouver un fabricant et pour obtenir un prototype de bonne qualité pour le nouveau produit qu’ils ont ensuite commencé à montrer aux pharmaciens en vue de recueillir leurs réactions. Distrimedic a commencé à vendre ses produits en juin 2006. À l’époque, une boîte de 500 étiquettes (pellicules de scellement) contenant 500 alvéoles (feuilles alvéolaires) se vendait environ 380 $, alors que le produit équivalent de Dispill se vendait environ 460 $.

 

[101]       Monsieur Filiatrault a versé en preuve un document (RCD no 549) dans lequel se trouvait la liste de toutes les étiquettes utilisées par Distrimedic depuis novembre 2005. Monsieur Filiatrault a admis qu’en novembre et décembre 2005, ils avaient imprimé une petite quantité de pellicules de scellement comportant le même code de couleurs que celui de Dispill. Monsieur Filiatrault a déclaré qu’environ 100 000 feuilles comportant ce code de couleurs avaient été imprimées et que, de ce nombre, une quinzaine de lots de 500 feuilles avaient été distribués gratuitement à environ onze pharmacies pour qu’elles en fassent l’essai. Monsieur Filiatrault a affirmé que les feuilles en question avaient par la suite été détruites et qu’elles n’avaient jamais été utilisées par les pharmaciens en vue d’être vendues à leurs clients. Il convient également de souligner que Distrimedic utilisait les mêmes codes de produit (ETCA‑500 et ETCP‑500) pour les étiquettes comportant, à divers moments, le code de couleurs dont la contrefaçon est alléguée ainsi que son code de couleurs actuel.

 

[102]       Monsieur Filiatrault a également mentionné que Distrimedic n’utilisait jamais de catalogue, mais uniquement des listes de prix illustrant ses produits. Distrimedic utilise maintenant son site Internet pour montrer ses produits aux pharmaciens. Monsieur Filiatrault a également insisté pour dire qu’il n’avait jamais dit à ses clients qu’ils pouvaient utiliser les produits de Distrimedic avec des accessoires de Dispill étant donné que Distrimedic avait ses propres accessoires et ses propres produits qu’elle souhaitait vendre et que certains des accessoires de Dispill n’étaient pas compatibles avec les produits de Distrimedic. Il a expliqué que certains des clients de Dispill avaient changé pour Distrimedic parce que les produits de cette dernière étaient plus fonctionnels (cellules plus larges, étiquettes plus lisibles et plateaux plus ergonomiques), en raison de son service à la clientèle et parce que ses prix étaient concurrentiels. Il a ajouté que la décision de changer le produit n’est habituellement pas prise sous l’impulsion du moment et qu’elle peut prendre des jours, sinon des semaines, selon le processus décisionnel de chaque pharmacie et du temps requis pour acquérir le nouveau logiciel.

 

            ii.         Robert Poirier

[103]       Monsieur Robert Poirier a été interrogé, contre‑interrogé et interrogé de nouveau les 11 et 12 avril 2013. On l’a fait témoigner pour qu’il donne des renseignements complémentaires sur la plupart des sujets abordés par M. Filiatrault.

 

[104]       Monsieur Poirier est défendeur reconventionnel en sa qualité personnelle et il était l’un des actionnaires des personnes morales défenderesses reconventionnelles jusqu’en 2010, en plus d’être l’un des trois dirigeants de Dispill Inc. de 1997 à 2002. Monsieur Poirier a participé activement à l’élaboration du produit de Dispill et, bien qu’il ne s’occupe plus des affaires courantes de Distrimedic depuis 2006 et qu’il soit complètement absent de l’entreprise depuis 2010, son témoignage a confirmé et complété celui de M. Filiatrault et a été utile en ce sens qu’il a fourni des renseignements au sujet des débuts de Dispill Inc.

 

[105]       Monsieur Poirier a notamment confirmé que les dirigeants de Dispill n’avaient jamais eu l’intention d’utiliser le code de couleurs de Dispill comme marque de commerce, mais qu’ils le considéraient plutôt comme un élément fonctionnel de leur produit et comme un mécanisme permettant d’identifier les divers moments de la journée où les patients devaient prendre les pilules. Il a également corroboré le témoignage de M. Filiatrault au sujet du fait que le neveu de M. Bouthiette avait programmé le logiciel DOS qui servait à imprimer les renseignements se trouvant sur les étiquettes de Dispill. Il a confirmé que Distrimedic avait distribué de petites quantités de pellicules de scellement arborant le code de couleurs initial de Distrimedic comme prototype à une quinzaine de ses pharmaciens‑clients, que ces feuilles avaient par la suite été détruites et qu’elles n’avaient jamais été utilisées par les pharmaciens en vue de les vendre à leurs clients.

 

[106]       Monsieur Poirier a nié avoir fait passer Distrimedic pour Dispill ou avoir incité les clients de Dispill à utiliser Distrimedic et à utiliser les produits de Distrimedic avec des accessoires de Dispill. Enfin, M. Poirier a expliqué que le logiciel rédigé en langage DOS qui avait été utilisé au départ pour la feuille d’étiquettes de Dispill avait cessé d’être utilisé à la fin des années 90 ou au début des années 2000. Suivant M. Poirier, ni lui ni M. Filiatrault n’avaient participé à l’exécution du mandat donné à DLD pour créer le module Distrimedic qui permettait aux utilisateurs du logiciel Mentor d’imprimer sur les pellicules de scellement de Distrimedic.

 

            iii.        Paul van Gheluwe

[107]       Distrimedic a choisi de ne pas faire témoigner M. Paul van Gheluwe, un ex‑employé de Dispill et maintenant représentant de commerce pour Distrimedic. Les avocats de Distrimedic avaient l’intention de demander à M. van Gheluwe de répondre aux allégations de fausses déclarations, mais ils ont conclu que le témoignage présenté par M. Thibault n’était pas suffisant pour étayer la cause de Richards et qu’aucun autre témoignage n’était nécessaire.

 

V.        TÉMOINS EXPERTS

[108]       Richards a présenté des témoins experts à qui il a demandé de donner leur avis sur des questions se rapportant aux brevets et concernant les allégations de violation de droit d’auteur et d’usurpation de marque de commerce, en plus de leur demander de témoigner en faveur des diverses réparations connexes qu’elle réclame.

 

[109]       Distrimedic a fait témoigner des experts en brevets et en finances pour répondre aux arguments formulés par les experts de Richards à ce sujet.

 

            a) Les témoins experts de Richards

[110]       Richards a fait témoigner M. Koen de Winter à titre d’expert, pour étayer ses prétentions se rapportant aux brevets, en plus de faire entendre M. Tarek Abdelrahman pour obtenir son avis au sujet des logiciels (à l’appui de ses allégations de violation du droit d’auteur), Mme France Morissette comme utilisatrice experte du produit de Dispill et comme témoin de fait au sujet des couleurs du produit (en ce qui concerne les allégations d’usurpation de la marque de commerce), et M. James McAuley, comme expert financier à l’appui des demandes connexes de réparations.

 

i.          Koen de Winter

[111]       Richards a fait témoigner M. de Winter comme expert au sujet de l’état des connaissances de la personne versée dans l’art auquel se rapporte le brevet 045 et pour donner son avis comme expert quant à l’interprétation du brevet 045 et pour formuler ses observations au sujet de la contrefaçon de ce brevet et de la validité de certaines des revendications en litige.

 

[112]       Monsieur de Winter a étudié les technologies céramiques en 1962 et a poursuivi ses études en dessin industriel. Il a conçu un grand nombre d’objets industriels et il est l’inventeur de plus de 25 brevets. Il a également remporté plusieurs prix en dessin industriel et en graphisme et il enseigne à l’Université du Québec à Montréal depuis 1985. Sa qualité d’expert n’a pas été contestée.

 

[113]       Monsieur de Winter a été interrogé et contre‑interrogé du 4 au 6 avril 2013. Il a soumis deux affidavits. Le premier est daté du 30 septembre 2010 et le second, du 12 février 2011. Le premier affidavit énumère les questions abordées et les titres et qualités de M. de Winter, son opinion sur le brevet, sur la personne versée dans l’art, sur l’éventuelle contrefaçon, sur les revendications visées par la renonciation, ainsi que sur l’antériorité et l’évidence. Le second affidavit contient surtout des observations sur deux autres plateaux de montage de Distrimedic et sur une pellicule de scellement qui avaient été reçus après la rédaction de son premier rapport.

 

[114]       Suivant M. de Winter, la personne moyennement versée dans l’art à qui s’adresse le brevet 045 est un designer industriel possédant au moins une année d’expérience en conception de produits et ayant reçu une formation spécialisée dans un collège communautaire ou une université et qui possède au moins une année d’expérience pratique pertinente en technologie de fabrication et de production. La personne moyennement versée dans l’art serait également au courant des contraintes liées à la production et connaîtrait bien les procédés industriels, y compris les techniques de formage sous vide.

 

[115]       Le brevet 045 comporte 27 revendications, à savoir les revendications 1 à 14 et les revendications 17 à 28. Un acte de renonciation a été déposé en ce qui concerne les revendications 15 à 21. Les revendications 1, 11, 15, 22, 26 et 28 sont des revendications indépendantes. Les autres sont des revendications dépendantes.

 

[116]       La revendication 1 vise notamment un support alvéolaire, une feuille alvéolaire, une pellicule de scellement et des dispositifs de mise en place. En ce qui a trait aux dispositifs de mise en place, M. de Winter reconnaît que l’engagement des protubérances dans les orifices a une incidence particulière sur la pellicule de scellement, dont l’emplacement, la forme et la taille de l’autoadhésif en recouvrant la surface inférieure doivent correspondre à ceux des rebords des contenants de la feuille alvéolaire. En outre, on compte parmi les éléments essentiels de l’invention des dispositifs de mise en place qui permettent de superposer de manière efficace et exacte (d’après une tolérance très faible) la pellicule de scellement sur la feuille alvéolaire, afin de prévenir toute déchirure de la pellicule de scellement, lors de la séparation de cellules distinctes, et de ne pas ainsi nuire à l’utilisation prévue du produit. La disposition des composants en plastique et en papier doit être identique et exacte, afin que l’utilisateur puisse les plier à quelques reprises sans les arracher. Monsieur de Winter souligne que l’on fait référence à plusieurs reprises aux dispositifs de mise en place dans le mémoire descriptif, notamment à la ligne 13 de la page 3, aux lignes 1 à 4 de la page 9, aux lignes 8, 13 et 18 de la page 10, à la ligne 22 de la page 11 et à la ligne 22 de la page 15.

 

[117]       Monsieur de Winter affirme également que l’engagement des protubérances dans les orifices empêche la pellicule de scellement de glisser horizontalement (selon deux dimensions), verticalement, latéralement et à tout autre angle, ce qui maintient les bandes autoadhésives sur la partie inférieure de la pellicule et les aligne sur les rebords de la feuille alvéolaire, afin de préparer l’application de la pellicule sur la feuille alvéolaire. Il est question, dans la revendication 1, d’[traduction] « au moins un autre orifice situé dans la pellicule de scellement »; aucune forme particulière de l’orifice n’est cependant mentionnée. Bien que les dessins du brevet 045 présentent deux orifices circulaires, ceux-ci ne doivent pas nécessairement être ronds, étant donné que cette forme n’est pas essentielle en présence d’un seul orifice et d’une seule protubérance circulaires; en l’absence d’un support supplémentaire, la pellicule pourrait pivoter autour d’une protubérance, ce qui ne permettrait pas une superposition exacte de ses bandes sur les rebords de la feuille.

 

[118]       Pour que la protubérance choisie fonctionne, sa forme et sa taille doivent en permettre l’engagement dans un orifice, car si elle est trop petite, il peut lui être impossible de maintenir la pellicule en place, puisque la tolérance serait trop grande en ce qui concerne la disposition de la pellicule sur la feuille. Le papier est souple, si bien que la zone de contact avec la protubérance doit être suffisamment grande pour maintenir les éléments en place. Monsieur de Winter est donc d’avis que les mots [traduction] « orifice » et « protubérance » devraient être rattachés à leurs fonctions respectives énoncées : les protubérances s’élèvent depuis le support et la feuille alvéolaires et s’engagent dans un ou des rebords de la feuille et de la pellicule, afin de prévenir tout déplacement bidimensionnel de la pellicule et d’assurer une superposition exacte de ses bandes sur les rebords de la feuille.

 

[119]       Quant à la revendication 2, M. de Winter a indiqué qu’à l’instar de la revendication 1, elle se rapporte à la fixation de la pellicule de scellement.

 

[120]       Pour ce qui est de la revendication 3, M. de Winter est d’avis que l’une des principales fonctions de la feuille alvéolaire est de pouvoir être cassée en des contenants distincts, ce qui, en pratique, est le plus efficacement effectué lorsque les pointillés sont droits dans les deux directions. Cela exige du même coup que les contenants forment des rangées horizontales et verticales droites, comme celles du pilulier de Distrimedic.

 

[121]       En ce qui a trait à la revendication 4, M. de Winter convient que des renseignements sont imprimés sur la surface supérieure de la pellicule de scellement du pilulier de Distrimedic, plus précisément sur chacun des contenants de la feuille alvéolaire, afin de renseigner sur le médicament (ou les médicaments) devant se trouver dans chacune des alvéoles.

 

[122]       Pour ce qui est de la revendication 5, M. de Winter a indiqué que le pilulier de Distrimedic compte 28 enfoncements et un nombre équivalent de contenants disposés en quatre colonnes et sept rangées.

 

[123]       Au sujet de la revendication 6, M. de Winter a expliqué que le pilulier de Richards présente deux plaques superposables, ainsi que toutes les caractéristiques et fonctions décrites dans la revendication 6. Il comporte plus particulièrement une première plaque dont les ouvertures, situées dans la paroi inférieure des enfoncements moulés jusqu’à mi‑profondeur, sont disposées et moulées comme les contenants de la feuille alvéolaire. Les enfoncements susmentionnés présentent une paroi inférieure plate qui, après une superposition de la seconde plaque, dépasse les contenants de la feuille alvéolaire. Par ailleurs, la taille de cette paroi permet à une pilule de tomber dans un contenant sous‑jacent. Le pilulier comporte une seconde plaque, laquelle présente des enfoncements inférieurs qui sont plus petits que ceux moulés jusqu’à mi‑profondeur, disposés par‑dessus ces derniers lorsque la seconde plaque est superposée sur la première et conçus pour glisser simultanément par‑dessus ceux moulés jusqu’à mi‑profondeur, depuis ces derniers jusqu’à leurs ouvertures, afin que les pilules y soient déposées et tombent dans les contenants sous‑jacents.

 

[124]       À propos de la revendication 7, M. de Winter a affirmé que les ouvertures susmentionnées, situées dans la paroi inférieure des enfoncements moulés jusqu’à mi‑profondeur, recouvrent environ 50 p. 100 de la surface de la paroi et se trouvent d’un seul côté.

 

[125]       Quant à la revendication 8, M. de Winter a indiqué que le pilulier de Richards présente une première et une seconde plaque, ainsi que toutes les caractéristiques essentielles au fonctionnement de la trousse décrites dans les revendications 6 à 9. Il comporte des rivets et des fentes horizontales qui permettent à la seconde plaque de glisser horizontalement par rapport à la première.

 

[126]       En ce qui concerne la revendication 9, M. de Winter a signalé que d’après la revendication 1, seuls une protubérance et un orifice correspondant sont nécessaires. La revendication 9 vise une configuration particulière des protubérances et des orifices connexes. Pour que la trousse fonctionne et constitue un produit logiquement constitué, l’orifice (ou les orifices) et la protubérance (ou les protubérances) doivent avoir une forme et une taille qui s’engagent exactement les uns dans les autres, afin d’assurer une disposition et une stabilité adéquates de tous les composants.

 

[127]       Pour ce qui est de la revendication 10, M. de Winter a affirmé avoir mépris le mot « creux » (trough) pour la locution « à travers » (through). Cette caractéristique est illustrée sur la figure 12 du brevet 045, où l’on décrit les éléments 124 et 208 du pilulier de Richards, lesquels englobent la totalité des caractéristiques considérées dans la présente revendication comme essentielles au fonctionnement du produit.

 

[128]       Au sujet de la revendication 11, M. de Winter a expliqué qu’il a considéré que le terme « pellicule de scellement par contact » (contact sealing sheet) signifie « pellicule de scellement ». L’utilisation du produit de Distrimedic d’après la procédure affichée sur le site Web de cette entreprise constituerait la méthode décrite dans cette revendication.

 

[129]       Quant à la revendication 12, M. de Winter est d’avis que la méthode affichée sur le site Web de Distrimedic est celle qui est décrite dans la revendication 12 à propos de l’impression des renseignements sur la pellicule de scellement, comme indiqué.

 

[130]       Pour ce qui est de la revendication 13, M. de Winter a expliqué que l’utilisateur employait cette méthode lorsque le pilulier de Richards (RCD no 20) était utilisé avec un pilulier de Distrimedic d’une taille identique.

 

[131]       En ce qui a trait à la revendication 14, M. de Winter a indiqué que la fonction du pilulier, soit la vérification de chaque pilule avant son ajout à un contenant existant, impliquerait inévitablement le recours à la méthode visée par la revendication 14. L’utilisation du pilulier de Richards était exactement la même.

 

[132]       Les deux principaux problèmes que le brevet vise à résoudre sont 1) l’alignement de la feuille alvéolaire sur la pellicule de scellement et 2) le recours, dans la mesure du possible, à une autre méthode de scellement que celle à chaud. Monsieur de Winter croit que le brevet devrait être interprété comme suit relativement aux produits de Richards et de Distrimedic.

 

[133]       Leur conception repose essentiellement sur la présence d’un pointillé poinçonné et découpé sur le rebord de chacun des contenants, afin de permettre la séparation de ceux-ci en récipients distincts. Il existe divers types de pointillés (points, fentes, etc.). La facilité avec laquelle les contenants sont séparés dépend du nombre de perforations choisi par le fabricant. Sans perforations, il ne suffirait pas de plier le plastique pour séparer les contenants, car cela pourrait le renforcer temporairement et rendre toute séparation particulièrement ardue. En séparant un contenant de la feuille alvéolaire, on le détache des contenants voisins.

 

[134]       Le terme « orifice » (hole) figurant dans le brevet ne devrait pas être interprété au sens propre de « trou circulaire complet » (on ne précise aucune forme particulière), mais plutôt d’un point de vue fonctionnel rattaché à l’alignement adéquat de la pellicule de scellement, selon lequel un orifice n’est pas nécessairement rond. Par exemple, à la page 15 du brevet, on présente d’autres réalisations du produit breveté que celle de Dispill.

 

[135]       Monsieur de Winter a expliqué qu’en étudiant la fonction de l’orifice et de la protubérance du produit de Distrimedic, on se doit d’examiner l’invention du point de vue dynamique, c’est‑à‑dire sur le plan de son utilisation concrète, plutôt que du point de vue statique, à savoir après la mise en place de l’emballage‑coque de plastique et de la feuille d’étiquettes sur le plateau de montage. Les deux tirettes latérales sont très importantes, car elles permettent de mettre rapidement et facilement en place l’emballage‑coque, ce qui a beaucoup d’importance pour un pharmacien ou un utilisateur qui remplit des dizaines, voire des centaines de piluliers par jour. Bien que l’on puisse identifier l’emballage‑coque de plastique grâce à ses cavités, qui pénètrent dans les enfoncements du plateau de montage, cela ne constitue pas un moyen efficace de le mettre en place. Du point de vue dynamique, les deux tirettes latérales jouent donc le même rôle que l’orifice et la protubérance de la feuille alvéolaire du produit de Dispill. En outre, et comme je l’ai expliqué précédemment, la feuille d’étiquettes est mise en place en l’appuyant contre des protubérances ou rebords surélevés se trouvant sur le plateau de montage de Distrimedic. On pourrait donc se rapporter à la revendication pour affirmer que la position de ce composant correspond à celle des orifices dans lesquels il s’engage. Les rebords surélevés jouent donc le même rôle que l’orifice et la protubérance de la pellicule de scellement du produit de Dispill.

 

[136]       Les protubérances sont essentielles à la disposition de la pellicule de scellement sur la feuille alvéolaire, car elles constituent un lien entre celles‑ci. Leur disposition est effectuée grâce aux cavités et aux rebords des tirettes de feuille alvéolaire, qui permettent la suspension de cette feuille. La pellicule de scellement doit être glissée en place avant que la pellicule protectrice autoadhésive puisse être retirée par traction et collée à la feuille.

 

[137]       Le pilulier de Distrimedic comporte une protubérance qui permet l’engagement des rebords de la feuille alvéolaire et de la pellicule de scellement et prévient ainsi tout déplacement bidimensionnel de cette dernière. D’après M. de Winter, le fonctionnement de ce pilulier est identique à celui visé par le brevet. La différence entre la protubérance du pilulier de Distrimedic et celles illustrées dans le brevet n’a aucune incidence matérielle sur le fonctionnement du pilulier. Celui de Distrimedic est également doté d’une bande horizontale qui est retirée de la surface inférieure de la pellicule de scellement, afin d’exposer une bande autoadhésive conçue pour fixer la surface supérieure de la feuille alvéolaire, ainsi que pour favoriser l’immobilisation et la stabilisation dans une troisième dimension (verticale). Monsieur de Winter est donc d’avis que le pilulier de Distrimedic joue le même rôle que celui exposé dans la revendication 1 du brevet et qu’en l’absence d’une description plus explicite de la forme et de la taille de la protubérance et de l’orifice connexe mentionnés dans cette revendication, ce pilulier fonctionne de la même façon.

 

[138]       Enfin, M. de Winter croit qu’on n’indique pas dans le brevet Braverman comment effectuer ou fabriquer ce qui fait l’objet d’une renonciation et d’une revendication à titre d’invention dans le brevet 045. Il juge qu’à compter du 21 juin 1997, peu de crédibilité aurait été attribuée au brevet Braverman, compte tenu de la méthode nécessaire pour obtenir un résultat comme celui décrit et revendiqué dans le brevet, dans le domaine pertinent.

 

[139]       Le brevet Braverman vise notamment des tiges à ressort et une pièce qui exerce de la pression. Dans les revendications des colonnes 5 et 6 de ce brevet, les tiges ne sont pas mentionnées comme parties de l’invention revendiquée. Monsieur de Winter a souligné qu’à la colonne 4, il semble y avoir quelques erreurs touchant les numéros qui figurent dans le dessin et correspondent aux tiges à ressort.

 

[140]       Monsieur de Winter a expliqué que dans le brevet Braverman, les tiges à ressort ne servent pas à fixer la pellicule de scellement à la feuille alvéolaire ou à l’aligner sur celle‑ci et qu’aucun essai ne permettrait de croire le contraire. Il croit qu’elles ne servent qu’à contrebalancer le poids de l’autoadhésif. Pour les personnes à l’esprit mécanique, une tige à ressort sert à repousser quelque chose, car cela en constitue généralement la fonction. Selon lui, ce fait est confirmé à deux reprises dans le brevet Braverman, dans lequel on affirme deux fois que les tiges servent à éjecter la pièce qui exerce une pression.

 

[141]       La pièce qui exerce une pression ne sert pas à aligner la pellicule de scellement. Elle constitue plutôt le rouleau utilisé conjointement avec le produit de Distrimedic pour comprimer davantage la pellicule de scellement contre la feuille alvéolaire. Les tiges à ressort sont adéquatement décrites comme des dispositifs conçus pour guider la pellicule jusqu’à la position voulue, non pas à la mettre en place. Pour mettre la pellicule en place, il faut la tenir avec la main, à partir d’un coin coupé. De plus, à la ligne 45 de la colonne 4, on fait référence à une bande de revêtement qui recouvre le coin coupé, ce qui pousse M. de Winter à croire que la pellicule doit être tenue avec un doigt, puisque le coin est diagonalement opposé aux tiges, et soutient sa théorie selon laquelle les tiges ne servent pas à maintenir la pellicule en place.

 

[142]       Monsieur de Winter est arrivé à la conclusion selon laquelle la personne moyennement versée dans l’art ne pourrait inventer directement ou facilement le produit visé par les revendications figurant dans le brevet, ni être motivée à le faire, étant donné la nature du brevet Braverman. Considérant le brevet 045 dans son ensemble, l’invention n’était pas évidente, les améliorations apportées au brevet 045 d’après le brevet Braverman non plus. Le brevet Braverman est axé sur le maintien en place des trois coins visant à permettre de retirer la pellicule en la pelant. Pour la personne moyennement versée dans l’art qui connaît cette technologie et étudie le brevet Braverman, il ne serait pas évident que ce qui manque principalement à l’invention consiste en un dispositif permettant de mettre la pellicule de scellement en place.

 

ii.         Tarek Abdelrahman

[143]       Richards a demandé à M. Abdelrahman, qui est professeur de génie informatique à l’Université de Toronto, de témoigner à titre d’expert en ce qui concerne deux programmes informatiques, mais plus précisément de donner son opinion d’expert sur les éléments suivants :

[traduction]

Le lien entre les systèmes d’exploitation DOS et Windows sur le plan de la valeur des renseignements figurant sur la feuille du programme DOS de Richards, lorsque le programme de gestion de pharmacie Mentor est utilisé pour en imprimer les feuilles d’étiquettes.

 

L’incidence des boutons d’impression distincts du programme de gestion de pharmacie Mentor, soit celui visant les étiquettes de Dispill et l’autre, celles de Distrimedic, sur le fonctionnement du logiciel.

 

[Rapport d’expert de M. Abdelrahman, au paragraphe 2 de la pièce 545]

 

[144]       L’examen des divers documents qu’il mentionne dans son rapport d’expert a mené M. Abdelrahman à tirer les conclusions suivantes :

‑           l’aspect différent des programmes DOS et Windows découle des interfaces utilisateurs distinctes des systèmes d’exploitation DOS et Windows;

‑           le programme Windows doit compter sur les renseignements figurant sur la feuille du programme DOS pour imprimer des feuilles d’étiquettes de Dispill ou de Distrimedic, et ce, malgré les différences d’aspect et de relation touchant l’impression des feuilles;

‑           les deux boutons d’impression dans le programme Windows ne sont importants que dans la mesure où ils indiquent au programme quel module de programme exécuter et comment mettre en forme et imprimer les renseignements nécessaires d’après le type de feuille d’étiquettes.

 

[145]       Le programme DOS de Richards présente un écran de gestion des médicaments dans lequel sont entrées des données pertinentes : numéros d’ordonnance et d’identification de médicament, nom et type du médicament (antibiotiques, narcotiques ou courants), puissance et format du médicament, nombre de renouvellements, date du dernier renouvellement, dose prescrite et nom du médecin. La dose prescrite correspond au nombre de pilules à consommer le matin, le midi, au souper et au coucher. Le programme présente aussi un écran d’impression d’étiquettes dans lequel sont entrées des données sur le patient : nom, numéro de chambre, numéro de tableau, langue, numéro de dossier, début de l’ordonnance, date initiale de la feuille d’étiquettes et nombre de jours. Il est finalement doté d’un écran de configuration sur lequel figurent le nom, l’adresse et le numéro de téléphone du pharmacien, ainsi que les paramètres de l’imprimante.

 

[146]       Le tableau 1 de l’affidavit de M. Abdelrahman comporte 14 éléments à inscrire sur la feuille et les paragraphes 24 à 27, un élément supplémentaire, soit l’heure de la journée. Douze de ces quinze éléments figurent dans le programme Mentor de DLD comme champs pouvant être remplis. Monsieur Abdelrahman n’a pu déterminer si c’est également le cas des trois autres éléments (numéro de dossier et nom, adresse et numéro de téléphone du pharmacien); il a cependant signalé qu’ils pourraient être entrés pendant l’installation du programme dans une pharmacie donnée. Il a donc conclu que les éléments de la feuille d’étiquettes de Dispill figuraient aussi dans la version Windows.

 

[147]       Bien que d’importantes différences distinguent l’aspect des écrans du programme DOS et celui des fenêtres des programmes Mentor, ces distinctions sont prévisibles en raison des interfaces utilisateurs propres aux deux systèmes d’exploitation (basé sur des caractères dans le programme DOS; de nature graphique dans le programme Windows). Les différentes fenêtres du programme Windows Mentor permettent d’entrer davantage de données que le programme DOS, mais cette information supplémentaire ne figure pas sur les étiquettes imprimées et ne semble pas rattachée à l’impression.

 

[148]       En définitive, l’impression des feuilles d’étiquettes du programme Mentor et de celui de Richards nécessite l’entrée des mêmes données.

 

[149]       Pour imprimer les étiquettes du programme Mentor, un pharmacien doit choisir les médicaments dont les renseignements doivent être imprimés sur les étiquettes et cliquer sur le bouton d’exécution, ce qui entraîne l’affichage d’un menu contextuel, dans lequel le pharmacien doit cliquer sur le bouton « Imprimer », puis d’un sous‑menu d’impression, qui présente plusieurs choix, dont « Dispill Laser » (impression d’une feuille d’étiquettes de Dispill) et « Distrimedic » (impression d’une feuille d’étiquettes de Distrimedic). 

 

[150]       Le programme permet d’imprimer une feuille d’étiquettes de deux manières. La première consiste à inclure une feuille dans un module de logiciel en lui attribuant un format particulier et la seconde, à laisser le programme utiliser un gabarit dont lequel le texte d’un paramètre fictif est remplacé par les renseignements relatifs au patient, à son médicament et à son pharmacien, entre autres, lorsque les étiquettes sont imprimées.

 

[151]       La taille de la feuille de Distrimedic, soit A4, a été rétablie à 8,5 po sur 11 po, ce qui représente une configuration et un format très similaires à ceux de la feuille de Dispill. Monsieur Abdelrahman a donc conclu que des trois conséquences suivantes peut vraisemblablement se produire : 1) les instructions du module de programme qui sont suivies lorsque le sous‑menu « Distrimedic » est choisi sont mises à jour afin qu’elles témoignent du passage du format A4 à celui de 8,5 po sur 11 po, 2) le module de programme dont l’exécution survient lorsque le sous‑menu « Dispill Laser » est choisi est exécuté lorsque le sous‑menu « Distrimedic » est choisi ou 3) le choix du sous‑menu « Dispill Laser » sert à imprimer la feuille d’étiquettes de Distrimedic mesurant 8,5 po sur 11 po. Pour ce qui est des deux dernières conséquences, il est important de savoir que les renseignements clés imprimés sur la feuille d’étiquettes devraient être disposés comme ceux figurant sur la feuille de Dispill, sans présenter une configuration propre aux étiquettes de Distrimedic.

 

            iii.        France Morissette

[152]       Madame Morissette a été interrogée et contre‑interrogée le 28 mars, après avoir été interrogée et contre‑interrogée au sujet de ses titres et qualités. Avec les réserves ci‑après exposées qui ont été établies au procès, elle a soumis deux rapports d’expert datés respectivement du 13 septembre 2010 et du 14 octobre 2011.

 

[153]       Dans le premier affidavit, Mme Morissette exprime son opinion au sujet des effets commerciaux et de l’utilité du pilulier de Dispill, en plus d’énoncer ses compétences et d’exposer les faits, les hypothèses et son opinion, notamment en ce qui concerne la capacité du pilulier d’assurer une administration sans danger des médicaments par du personnel non professionnel. Le second affidavit constitue une simple mise à jour de son expérience et de ses compétences. Elle a annexé à cet affidavit un curriculum vitae actualisé.

 

[154]       Madame Morissette, qui est infirmière, a témoigné en tant que personne utilisant des piluliers dans des établissements de santé et de personne connaissant l’utilité et le succès commercial de ce genre de produits et des marques de commerce afférentes. Distrimedic a rétorqué que Mme Morissette n’était pas experte en marketing, en sondage, en psychologie ou dans d’autres domaines se rapportant à la reconnaissance des marques, ajoutant que le témoignage de Mme Morissette ne devait être accepté que pour la valeur que représentait son expérience personnelle, étant donné qu’elle n’est pas représentative du public ciblé par l’une ou l’autre des marques de commerce en question.

 

[155]       Les parties ont fini par convenir que Mme Morissette ne serait reconnue comme experte que dans la mesure suivante proposée par les avocats de Richards :

[traduction]

France Morissette est présentée comme une personne possédant de l’expérience comme utilisatrice des dispositifs en question, c’est‑à‑dire comme travailleuse versée dans l’art qui peut formuler des observations sur les problèmes à surmonter et sur le fonctionnement de divers mécanismes et qui comprend ces questions.

 

[Madame Morissette, 28 mars 2013, de la page 43, l. 20 à la page 44, l. 3]

 

[156]       Les parties et la Cour ont également convenu que Mme Morissette serait admise à témoigner comme utilisatrice apte à témoigner sur le plan factuel quant aux couleurs et aux formes du pilulier de Dispill et d’autres distributeurs semblables, mais non comme experte sur des questions de marques de commerce.

 

[157]       Selon Mme Morissette, le pilulier de Dispill est efficace et procure un certain degré de sûreté. Il a été recommandé aux responsables de 12 des 14 résidences où elle travaillait; ceux des deux autres établissements recourent au système UniDose, dont les principaux problèmes sont posés par un entreposage accru. Madame Morissette a indiqué que le code de couleurs de Dispill permet de s’assurer facilement que le personnel, surtout celui qui n’est pas professionnel, peut administrer des médicaments de manière sûre. Bien que le personnel professionnel puisse être formé pour administrer des médicaments, le personnel non professionnel (par exemple, préposés aux soins) ne l’est généralement pas et peut donc se baser sur le code de couleurs de Dispill pour s’assurer d’administrer les bons médicaments aux patients. Madame Morissette a également affirmé qu’elle préfère utiliser un code de couleurs lorsque le personnel non professionnel doit administrer des médicaments. Enfin, elle a expliqué que le personnel des centres d’hébergement et de soins de longue durée avec lequel elle est en contact connaît bien les couleurs figurant sur les étiquettes de Dispill et qu’elle ne connaît aucune autre entreprise que Emballages Richards Inc. (Dispill) dont les étiquettes de pilulier présentent de telles couleurs.

 

[158]       Les avocats de Distrimedic ont reconnu qu’il n’y avait aucune raison de contester la crédibilité de Mme Morissette ou de son témoignage. À leur avis, le témoignage de Mme Morissette était très utile pour comprendre les caractéristiques fonctionnelles du produit de Dispill et notamment la disposition des couleurs de Dispill en se plaçant du point de vue des infirmiers et infirmières chargés d’assurer l’administration sans danger des médicaments dans des centres d’hébergement et de soins de longue durée. Ils ont également souligné que Mme Morissette avait confirmé l’utilité d’imprimer certains renseignements sur chacune des cellules du produit de Dispill, en plus de confirmer que les centres d’hébergement et de soins de longue durée et les pharmaciens participaient au choix des renseignements en question pour répondre à leurs besoins précis [Madame Morissette, 28 mars 2013, à la page 56, ll. 13 à 17 et de la page 59, l. 1 à la page 61, l. 4].

 

[159]       Lors de son contre‑interrogatoire, Mme Morissette a signalé que les patients ne choisissent pas les piluliers et n’en utilisent habituellement aucun sans aide. En fait, aucun pilulier n’est fourni aux résidents d’un centre d’hébergement et de soins de longue durée, qui ne disposent que de petits emballages‑coques contenant les médicaments rattachés à une période particulière de la journée.

 

iv.        James McAuley

[160]       Monsieur McAuley, partenaire et vice‑président principal chez KPMG s.r.l./S.E.N.C.R.L., a été interrogé et contre‑interrogé les 3 et 4 avril 2013, à titre d’expert en comptabilité. Au procès, son expertise a été définie dans ces termes :

[traduction]

[Nous] demandons à ce que M. McAuley soit admis comme témoin à titre d’expert en analyse et en quantification des dommages, en comptabilité ainsi qu’en analyse et en quantification des profits.

 

[Monsieur McAuley, 3 avril 2013, à la page 220]

 

 

[161]       Avant la tenue du procès, il a déposé un rapport d’expertise, daté du 9 février 2011. Dans son rapport, M. McAuley décrit ainsi le mandat de KPMG :

[traduction]

Nous avons été mandatés pour évaluer les pertes subies par Richards attribuables à la contrefaçon alléguée du brevet et à la violation alléguée du droit d’auteur par Distrimedic et les autres défendeurs reconventionnels. Nous avons également été chargés de comptabiliser les profits ayant trait au droit d’auteur. Nous comprenons que ce rapport pourra être utilisé par la Cour en vue d’évaluer les pertes de Richards. […]

 

[Rapport d’expertise de M. McAuley, 9 février 2011, section 2.3 à la page 4]

 

[162]       Monsieur McAuley a reçu l’instruction de calculer les pertes potentielles de Richards attribuables à la contrefaçon alléguée de son brevet et d’estimer les profits réalisés par Distrimedic par suite de la violation alléguée du droit d’auteur de Richards. Il est allégué que, lorsqu’elle est entrée sur le marché, Distrimedic aurait offert un produit contrefait à un prix inférieur. Il est en outre allégué que les bas prix pratiqués par Distrimedic ont forcé Richards à réduire ses prix au Québec pour demeurer concurrentielle. C’est d’ailleurs cette réduction qui constitue le fondement de la perte de revenu alléguée. Comme il ne disposait pas des données nécessaires pour examiner et quantifier la perte alléguée de clients de Richards au profit de Distrimedic, M. McAuley n’a pas estimé ce chef de perte de revenu. Cependant, il a estimé le profit qu’avait réalisé Distrimedic grâce à ses ventes d’étiquettes, ce qui lui fournissait une estimation des pertes qu’avait subies Richards au sens de la législation sur le droit d’auteur.

 

[163]       Pour calculer la perte de revenu passé attribuable à la compression des prix, KPMG a comparé les prix de Richards, après réductions, à ceux de Distrimedic. Avant l’arrivée sur le marché de Distrimedic, les prix unitaires pratiqués par Richard étaient environ de 260 $ pour les emballages‑coques, et de 183 $ pour les étiquettes. Les prix nets de Richard ont commencé à baisser en 2006 après l’arrivée sur le marché de Distrimedic, qui offrait des emballages‑coques et des étiquettes dont les prix unitaires nets étaient respectivement estimés à 174 $ et à 56 $.

 

[164]       Pour estimer les pertes de Richards entraînées par la diminution des prix à l’unité, M. McAuley a calculé le prix à l’unité réel moyen avant toute réduction au Québec en divisant la valeur des ventes brutes annuelles d’emballages‑coques et d’étiquettes au Québec par le nombre d’unités vendues chaque année dans la province. Partant du principe que le prix de vente moyen au Québec aurait été à peu près semblable au prix moyen dans les autres provinces si Distrimedic n’était pas entrée sur le marché, M. McAuley a utilisé le prix de vente moyen à l’extérieur du Québec comme prix unitaire supposé ou prévu qu’aurait pratiqué Richards au Québec. Ainsi, la différence entre le prix unitaire réel et le prix unitaire supposé ou prévu si Distrimedic n’avait pas pénétré le marché représente la baisse de prix unitaire estimée chaque année. Pour calculer les pertes totales occasionnées par la baisse du prix unitaire chaque année, il suffit de multiplier la valeur de la baisse du prix unitaire par le nombre réel d’unités vendues chaque année. Selon les calculs de M. McAuley, le prix unitaire moyen réel des emballages‑coques et des étiquettes de Richards a commencé à diminuer en 2006.

 

[165]       Dans le cadre d’une analyse de la compression des prix, il faut également tenir compte du fait que la diminution de prix peut faire grimper les ventes. Dans son analyse, M. McAuley a examiné la possibilité que les ventes de Dispill aient augmenté de 2008 à 2009 en raison de la diminution du prix de son distributeur de pilules, mais il a conclu que, historiquement, le volume de ventes de Dispill n’était pas sensible au prix et que la croissance était plutôt attribuable aux efforts de vente, à la pénétration du marché et à la stratégie marketing de l’entreprise.

 

[166]       Aux fins de ses calculs, M. McAuley a supposé que, n’eût été l’entrée sur le marché de Distrimedic en 2006, la réduction moyenne par unité au Québec serait demeurée stable au niveau de 2005. Ainsi, il a calculé que la perte de revenu totale (jusqu’au 31 décembre 2010) se situait entre 6 112 100 $ et 6 594 500 $. Il a ajouté que l’entreprise aurait continué de subir des pertes pendant encore deux ans et, en utilisant la perte de 2010 comme valeur de référence pour 2011 et 2012 (une perte incrémentielle d’environ 1,6 M$), il a calculé que la perte totale de Richards aurait atteint près de 10 M$ en 2013.

 

[167]       Afin de comptabiliser les profits de Distrimedic en vue d’établir les dommages‑intérêts pour la violation alléguée du droit d’auteur de Richards, M. McAuley a utilisé la méthode du coût différentiel, selon laquelle il obtient la marge sur coût variable en soustrayant le coût variable estimé des étiquettes des revenus tirés des étiquettes, après remises.

 

[168]       Les défendeurs reconventionnels soutiennent que Distrimedic est une [traduction] « entreprise à produit unique »; ils font valoir que l’entreprise n’aurait pas vendu d’emballages‑coques si elle n’avait pas vendu d’étiquettes, ces deux produits intervenant pour la majorité des ventes totales. Ainsi, la méthode que l’expert de Distrimedic a utilisée pour calculer les profits réalisés sur les étiquettes consiste à répartir le revenu net de l’entreprise entre emballages‑coques (44,29 p. 100) et étiquettes (55,71 p. 100). Après avoir témoigné en formation avec l’expert de Distrimedic, M. Levi, M. McAuley a accepté d’utiliser cette méthode de calcul pourvu qu’elle soit ajustée de façon à ce que les trois types de coûts suivants ne soient pas déduits : i) les impôts sur le revenu; ii) les frais professionnels; iii) les coûts liés au développement du marché européen. Selon ce calcul, M. McAuley a estimé à 552 972 $ les profits totaux que Distrimedic avait réalisés sur les étiquettes.

 

[169]       En plus de tenir compte des profits, les dommages‑intérêts prévus à l’article 35 de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42 (modifiée par la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, LC 2012, c 20), incluent le recouvrement des pertes financières quand le plaignant a été forcé de réduire ses prix afin de demeurer concurrentiel. Selon M. McAuley, les pertes totales attribuables à la compression des prix, déjà calculées au titre de la contrefaçon du brevet, s’élèveraient à 2 707 372 $ (estimation plancher) ou à 2 938 332 $ (estimation plafond) en date du 31 décembre 2010. Il a expliqué que l’entreprise aurait continué de subir des pertes pendant encore deux ans. En utilisant la perte de 2010 comme valeur de référence pour 2011 et 2012 (une perte incrémentielle d’environ 712 000 $), il a estimé que la perte totale de Richards aurait atteint près de 4,1 M$.

 

[170]       Enfin, M. McAuley a calculé les pertes attribuables à la commercialisation trompeuse alléguée à l’égard de la marque de commerce. Les revenus bruts totaux estimés des étiquettes qui auraient fait l’objet d’une commercialisation trompeuse interdite à l’égard de la marque de commerce s’élèvent à 62 000 $. Appliquant la marge sur coûts variables aux étiquettes (calculée pour la comptabilisation des profits réalisés par suite de la violation du droit d’auteur), M. McAuley a calculé que Richards avait subi une perte de 49 000 $ sur la vente des étiquettes en question.

 

            b) Les témoins experts de Distrimedic

[171]       Distrimedic n’a fait entendre que deux témoins experts : M. Claude Mauffette, sur diverses questions se rapportant aux brevets, et M. Philip Levi, au sujet des aspects financiers des réparations demandées par Richards.

 

            i.          Claude Mauffette

[172]       Distrimedic a présenté M. Mauffette comme expert en brevets. Monsieur Mauffette a été interrogé et contre‑interrogé les 9 et 10 avril 2013. Voici comment on a défini ses titres et qualités :

[traduction]

Nous voulons faire entendre M. Mauffette comme expert sur l’état des connaissances de la personne versée dans l’art à laquelle se rapporte le brevet en litige pour qu’il donne son opinion au sujet de la façon dont l’invention décrite dans le brevet fonctionne, le sens des termes employés dans le brevet, et notamment l’interprétation des revendications, sur la pertinence de l’art antérieur ayant trait au brevet en litige et sur la question de savoir si les produits de Distrimedic incorporent les éléments essentiels des revendications en question.

 

[Monsieur Mauffette, 9 avril 2013, aux pages 130 et 131]

 

[173]       Monsieur Mauffette a obtenu un diplôme en sculpture et en dessin industriel. Il est membre de l’Association des designers industriels du Québec depuis 1986. Il est l’inventeur de plusieurs produits industriels et a remporté de nombreux prix et bourses. Il enseigne à temps partiel à l’Université de Montréal et a également été chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal de 1993 à 2000.

 

[174]       Monsieur Mauffette a soumis un rapport d’expert daté du 14 avril 2011 rédigé en français dans lequel il relate son expérience, son mandat, les sources sur lesquelles il s’est fondé, et son avis au sujet du brevet 045, le produit de Distrimedic et le brevet Braverman.

 

[175]       Richards n’a pas contesté les titres et qualités de M. Mauffette, mais a présenté au procès une requête visant à forcer M. Mauffette à témoigner en anglais compte tenu du fait qu’il est parfaitement bilingue. Cette requête a rapidement été rejetée tant en vertu de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.‑U.), 30 et 31 Vict, c 3, qu’en vertu de la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl.), aux articles 14 à 20 : voir également l’arrêt Procureur général du Québec c Blaikie et autres, [1979] 2 RCS 1016.

 

[176]       Monsieur Mauffette a expliqué qu’il n’était pas nécessaire de posséder des compétences particulières pour comprendre certains des aspects du brevet 045 tels que le caractère essentiel des protubérances revendiquées. Il a toutefois bien précisé que son opinion était fondée sur les directives qui lui avaient été données de donner une interprétation téléologique aux revendications.

 

[177]       Selon M. Mauffette, le brevet 045 comprend la description d’un système de préparation de pilulier. Comme le montre la figure 7 du brevet, ce système consiste à recouvrir un plateau présentant un certain nombre d’enfoncements espacés uniformément au moyen d’une feuille alvéolaire en plastique translucide comptant un nombre équivalent de cavités, elles aussi espacées uniformément. Une fois les contenants remplis selon une ordonnance, la feuille est scellée au moyen d’une pellicule autoadhésive sur laquelle sont imprimés les renseignements relatifs à l’ordonnance, par exemple le nom du patient et du pharmacien, la date, ainsi que les pilules logées dans chacun des contenants.

 

[178]       Monsieur Mauffette a indiqué que d’après les revendications 1, 11 et 22, ainsi que celles qui en dépendent, les dispositifs de mise en place consistent en [traduction] « au moins une protubérance vers le haut située sur la surface supérieure du support alvéolaire » et en « au moins un orifice se trouvant dans la feuille alvéolaire et en au moins un autre orifice situé dans la pellicule de scellement ». Il a ajouté que le mot « orifice » sous‑entend une partie qui est exempte de matière, mais qui entourée de matière, comme c’est le cas d’un cadre de raquette de tennis, mais pas celui d’une raquette de ping‑pong.

 

[179]       Il a expliqué que dans la revendication 15 et celles qui en dépendent, les dispositifs de mise en place consistent en [traduction] « au moins une protubérance vers le haut située sur la surface supérieure du support alvéolaire, et les dispositifs de mise en place figurant sur la feuille alvéolaire, ainsi que les autres dispositifs d’engagement figurant sur la pellicule de scellement ». Les dispositifs d’engagement peuvent consister en un orifice ou un autre élément qui s’engage dans au moins une protubérance vers le haut. À son avis, rien dans le brevet 045 ne laisse croire que l’inventeur n’a pas considéré les dispositifs d’engagement de la feuille alvéolaire et de la pellicule de scellement comme des éléments essentiels. De plus, rien dans le brevet 045 ne laisse supposer que dans les revendications 1, 11 et 22, l’inventeur n’a pas considéré la protubérance (ou les protubérances) vers le haut et les orifices comme des éléments essentiels.

 

[180]       Monsieur Mauffette a affirmé que le support alvéolaire du système de Distrimedic ne comporte aucune protubérance vers le haut qui correspond à un orifice et doit s’engager dans celui‑ci. L’alignement de la pellicule de scellement sur la feuille alvéolaire et leur fixation matérielle l’une à l’autre diffèrent de ceux décrits et revendiqués dans le brevet 045, de sorte qu’il est d’avis que le produit de Distrimedic n’est muni d’aucun des éléments essentiels revendiqués dans ce brevet, puisque sa feuille alvéolaire ne présente aucun orifice ou autre dispositif visant l’engagement d’une protubérance correspondante du plateau.

 

[181]       Enfin, M. Mauffette croit que le brevet Braverman porte sur un pilulier similaire à nombre d’égards au produit de Distrimedic. Il est doté d’un plateau présentant des enfoncements conçus pour soutenir et maintenir en place une feuille alvéolaire qui compte un nombre équivalent de cavités qui, lorsqu’elles sont adéquatement remplies, sont recouvertes d’une pellicule de scellement adhésive. Le système de Distrimedic et celui décrit dans le brevet Braverman fonctionnent donc essentiellement de la même manière.

 

            ii.         Philip Levi

[182]       Monsieur Levi a été présenté comme un expert en questions financières. Il a été interrogé, contre‑interrogé et interrogé de nouveau les 10 et 11 avril 2013, et il a par la suite participé à une séance de témoignage en formation (« hot‑tubbing ») avec M. McAuley le 11 avril 2013, comme je l’ai déjà mentionné. Il a soumis un rapport daté du 8 juillet 2011 dans lequel il décrit ses titres et qualités et son mandat, énonce son analyse au sujet de la nouvelle ligne de produits de Dispill et des pertes que Dispill aurait subies tant avec ses lignes de produits initiales qu’avec ses nouvelles lignes de produits et énonce ses conclusions et son avis.

 

[183]       Distrimedic décrit comme suit les titres et qualités de M. Levi :

[traduction]

Nous voulons faire témoigner M. Levi comme expert en analyse d’états financiers et analyse et calcul des dommages‑intérêts et des profits.

 

[Monsieur Levi, 10 avril 2013, aux pages 118 et 119]

 

 

[184]       Dans la partie de son rapport dans lequel il précise son mandat, M. Levi déclare qu’il a été engagé par Distrimedic :

[traduction]

[…] sans limiter mon examen à un domaine particulier, pour donner mon opinion à titre d’expert au sujet des dommages qu’aurait subis Richards, calculés par KPMG dans son rapport du 9 février 2011.

 

[Rapport d’expert de M. Levi, 10 avril 2013, au paragraphe 1.2.1]

 

[185]       Se fondant sur les renseignements que Distrimedic a obtenus au cours du témoignage de M. Glynn au sujet du sens de certains codes de produit, M. Levi a soumis une version révisée de son rapport le 2 avril 2013. Se fondant sur d’autres renseignements appris au cours du témoignage de M. McAuley au sujet de l’association entre les remises sur volume et les réductions dans son rapport, M. Levi s’est engagé à revoir ses chiffres au plus tard le 19 avril 2013 et de soumettre un second rapport expert révisé ce jour‑là.

 

[186]       Distrimedic signale que, bien que la qualité d’expert de M. Levi n’ait pas été contestée, Richards a tenté d’attaquer sa crédibilité au cours de son contre‑interrogatoire. En particulier, Richards a interrogé M. Levi au sujet de son rôle de témoin dans trois affaires antérieures. Je suis d’accord avec les avocats de Distrimedic pour dire qu’aucune des affaires en question n’a affaibli la crédibilité de M. Levi en qualité d’expert dans la présente affaire.

 

[187]       Alors que M. McAuley traite tous les produits d’emballages‑coques et les étiquettes de Richards de la même façon, M. Levi fait une distinction entre la gamme de produits initiale et la nouvelle gamme. Monsieur Levi inclut dans la gamme originale tous les produits vendus avant l’arrivée sur le marché de Distrimedic en 2006. Tous les autres produits, y compris ceux plus hauts d’un pouce, sont considérés comme de nouveaux produits. Il appert que les nouveaux produits ont rapidement supplanté les anciens pour représenter la majeure partie des ventes de Richards. Monsieur Levi estime que les deux gammes de produits ne devraient pas être regroupées aux fins du calcul des pertes alléguées de Richards attribuables à la réduction des prix, comme l’a fait M. McAuley. Selon M. Levi, il faut tenir compte uniquement des produits offerts au moment où Distrimedic est arrivée sur le marché pour déterminer les répercussions de la réduction des prix occasionnée par l’entrée de l’entreprise sur le marché.

 

[188]       Monsieur Levi remet aussi en question l’hypothèse de M. McAuley selon laquelle le marché québécois correspondrait au marché à l’extérieur de la province. Selon lui, cette hypothèse fait abstraction des effets qu’aurait pu avoir la législation adoptée au Québec en 2005 et en 2006 visant à limiter les rabais et autres avantages liés à des produits pharmaceutiques offerts aux pharmaciens. La réduction des avantages offerts aux pharmaciens au Québec (le maximum de 50 p. 100 a été réduit à 20 p. 100) a eu des effets substantiels. Ainsi, les pharmaciens ont dû augmenter leur marge de profit sur d’autres produits pour compenser cette baisse.

 

[189]       Monsieur Levi conteste également une autre hypothèse de M. McAuley, selon laquelle, n’eût été l’arrivée sur le marché de Distrimedic, les prix moyens des emballages‑coques et des étiquettes de Richards vendus au Québec auraient augmenté et baissé au même rythme qu’à l’extérieur de la province. Monsieur Levi fait valoir que les ventes au Québec ont toujours été bien supérieures aux ventes réalisées ailleurs et qu’elles ont continué de progresser à bon rythme au cours de la période en question malgré la concurrence de Distrimedic.

 

[190]       Un autre point sur lequel M. Levi et M. McAuley ne s’entendent pas est l’utilisation des remises sur volume en tant que réductions aux fins du calcul de la compression des prix. Monsieur McAuley considère comme équivalents tous les types de réductions, tant les remises sur volume que les prix promotionnels ou autres rabais. Dans son rapport révisé du 19 avril 2013, M. Levi indique que le rapport de M. McAuley ne mentionne pas les remises sur volume, et inclut ces réductions dans ses calculs. Dans son témoignage, il a expliqué que les ventes de produits ayant un code ordinaire, c’est‑à‑dire ceux sans suffixe *ESC ou *PR, semblent renvoyer à la liste de prix de Richards. Le suffixe *ESC indiquerait une remise sur volume, et *PR, un prix promotionnel offert uniquement au Québec. Selon M. Levi, les remises sur volume et les remises pour l’achat d’autres produits, comme des fioles (des produits marqués du suffixe *ESC) ne concernent pas la concurrence de Distrimedic et ne devraient donc pas être prises en compte dans le calcul de toute perte de revenu qu’aurait subie Richards en raison de l’entrée sur le marché de Distrimedic. Dans son rapport, M. Levi applique ces hypothèses pour calculer la perte alléguée de revenu futur de Richards.

 

[191]       Monsieur Levi s’oppose également à l’évaluation des profits que Distrimedic aurait réalisés sur ses ventes d’étiquettes faite par M. McAuley. Il fait valoir que Distrimedic est une entreprise à produit unique, lequel comprend un emballage‑coque et une étiquette, et qu’elle ne peut pas vendre un composant sans l’autre. Toutes les dépenses de l’entreprise se rapportent à ses revenus, de sorte qu’elles devraient toutes être prises en compte dans le calcul des profits. Monsieur Levi a évalué les profits attribuables aux étiquettes en calculant les profits cumulés liés aux étiquettes en tant que fraction des profits totaux de Distrimedic, c’est‑à‑dire 55,71 p. 100 d’environ 116 000 $, pour obtenir près de 64 000 $. Les deux experts ont par la suite convenu de porter cette valeur à 85 000 $.

 

[192]       Enfin, M. Levi a évalué les pertes alléguées de revenu passé et futur tiré de la nouvelle gamme de produits en appliquant la même méthode. Selon ses calculs, les pertes alléguées attribuables à la compression de prix et à la hausse des rabais pour la nouvelle gamme de produits représentent 1 889 000 $, et les pertes alléguées de revenu futur sont évaluées à 1 723 400 $ (premier scénario), à 2 283 600 $ (deuxième scénario) ou à 2 841 700 $ (troisième scénario).

 

VI.       ANALYSE

            a) Brevet

[193]       Les questions concernant le brevet que le protonotaire Morneau a exposées dans son ordonnance du 28 septembre 2011 soulèvent des questions d’interprétation des brevets, de contrefaçon, de validité de l’acte de renonciation et d’invalidité résultant de l’antériorité ou de l’évidence compte tenu du brevet Braverman des États‑Unis qui ont déjà été décrites dans la section des présents motifs consacrée aux faits (partie II). Chacune de ces questions sera examinée à tour de rôle.

 

i.          Interprétation du brevet

[194]       Il est de jurisprudence constante que toute évaluation de la question de la contrefaçon et/ou de l’invalidité d’un brevet exige que la Cour interprète d’abord les revendications du brevet en litige pour déterminer la nature de l’invention définie dans le brevet ainsi que la portée du monopole (Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67, [2000] 2 RCS 1067, au paragraphe 43 [Whirlpool]).

 

[195]       C’est le libellé des revendications, lorsqu’on les interprète correctement, qui permet de définir les droits exclusifs du breveté et qui sert de fondement à toute analyse des questions de contrefaçon et d’invalidité. Les principes suivants énoncés par la Cour suprême du Canada constituent le point de départ de toute analyse portant sur la contrefaçon ou de l’invalidité du brevet :

a)         La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

b)         Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.

c)         La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.

d)         Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue.

e)         Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés

1)         en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;

2)         à la date à laquelle le brevet est publié;

3)         selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou

4)         conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

5)         mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.

f)         Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.

 

Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, [2000] 2 RCS 1024, au paragraphe 31 [Free World Trust]

 

[196]       La primauté du libellé des revendications était de toute évidence solidement enracinée dans notre jurisprudence avant l’arrêt Free World Trust, et les tribunaux canadiens ont longtemps rejeté l’idée que l’interprétation des revendications devait porter sur le fond plutôt que sur la forme pour protéger l’idée originale à la base du libellé des revendications. Le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets incarne cette idée en énonçant ce qui suit : « Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif. » C’est pourquoi la règle habituelle veut que « ce qui n’est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation » (Whirlpool Corp, précité, au paragraphe 42).

 

[197]       En d’autres termes, l’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité. Pour citer un exemple tiré de l’arrêt Free World Trust de la Cour suprême (au paragraphe 32), il ne serait pas légitime d’obtenir un brevet pour un procédé déterminé qui permet de faire pousser des cheveux sur les hommes chauves pour ensuite prétendre que tout ce qui permet de faire pousser les cheveux sur la tête des hommes chauves contrefait ce brevet.

 

[198]       Le fait de s’en tenir au libellé des revendications favorise la prévisibilité et garantit que la concurrence n’est pas « gelée ». Le brevet dont la portée est incertaine empêcherait la recherche et le développement et découragerait l’activité économique. Cela dit, le breveté doit être protégé contre les effets d’une interprétation littérale excessive. On atteint cet objectif en interprétant les revendications à la lumière des connaissances de la personne à qui le brevet s’adressait à la date de la publication du brevet. Bien qu’il lui revienne d’interpréter le brevet, le tribunal doit se placer du point de vue de la personne moyennement versée dans l’art à laquelle le brevet s’adresse et qui est ainsi en mesure de mettre en pratique l’invention décrite dans les revendications. Évidemment, le niveau de connaissances attribué à la personne moyennement versée dans l’art dépend dans une large mesure du domaine dont relève le brevet, et le tribunal doit interpréter le brevet à la lumière des connaissances et de la compréhension de cette personne (Whirlpool Corp, précité, au paragraphe 53; Free World Trust, précité, au paragraphe 44).

 

[199]       L’extrait suivant de l’arrêt Free World Trust de la Cour suprême (au paragraphe 51), résume fort bien la question :

[51] […] L’interprétation des revendications avec le concours d’un destinataire versé dans l’art donne au breveté l’assurance que certains termes et concepts seront considérés par le tribunal à la lumière du témoignage d’un expert concernant leur sens technique. Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée.

 

[200]       Enfin, la violation des seuls éléments de la revendication qui peuvent être considérés comme essentiels suffira à justifier une conclusion de contrefaçon. Cette façon de voir s’accorde avec l’idée que les brevets ne doivent pas être interprétés de manière à restreindre indûment la concurrence et que la portée des revendications ne peut être étendue au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité :

[…] Pour qu’un élément soit jugé non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir que (i), suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention, c.‑à‑d. que, si le travailleur versé dans l’art avait alors été informé de l’élément décrit dans la revendication et de la variante et [traduction] « qu’on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière », sa réponse aurait été affirmative : Improver Corp. c. Remington, précité, à la p. 192. Dans ce contexte, je crois qu’il faut entendre par « fonctionner de la même manière » que la variante (ou le composant) accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat. […]

 

(Free World Trust, précité, au paragraphe 55.)

 

[201]       Il incombe au demandeur d’établir une interchangeabilité connue et manifeste à la date de la publication du brevet. En d’autres termes, tout ce qui est revendiqué est présumé essentiel à moins que le breveté ne démontre le contraire ou que le libellé de la revendication ne l’exige :

Même s’il est injuste de permettre qu’un appareil qui ne se distingue de celui décrit dans les revendications du brevet que par la permutation de caractéristiques secondaires échappe impunément au monopole conféré par le brevet, il incombe au breveté d’établir une interchangeabilité connue et manifeste à la date de la publication du brevet. Si le breveté ne se décharge pas de ce fardeau de preuve, le terme ou le mot descriptif figurant dans la revendication doit être considéré comme essentiel, sauf lorsque la teneur des revendications indique le contraire. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité.

 

Canamould Extrusions Ltd c Driangle Inc, 2003 CFPI 244, 229 FTR 104, au paragraphe 35, conf. par 2004 CAF 63. Voir également Free World Trust, précité, aux paragraphes 55 et 57; Quadco Equipment Inc c Timberjack Inc (2002), 17 CPR (4th) 224, au paragraphe 28.

 

 

[202]       Après une lecture attentive du brevet 045, il s’avère manifeste que les dispositifs de mise en place dont la feuille alvéolaire et la pellicule de scellement sont munies constituent des éléments essentiels de l’invention. J’en arrive à cette conclusion pour les motifs suivants. Premièrement, la description de l’art antérieur figurant dans le brevet indique que malgré leur efficacité, les piluliers présentaient certains inconvénients, dont un rattaché à leur pellicule de scellement comportant déjà des impressions, dont la disposition exacte sur les contenants s’avérait difficile et coûteuse en temps. L’invention revendiquée vise à régler ce problème grâce à des dispositifs conçus pour aligner deux des composants de la trousse (la feuille alvéolaire et la pellicule de scellement), de façon à ce que chaque contenant puisse être facilement séparé.

 

[203]       Comme je l’ai déjà mentionné, il est également très révélateur que le dispositif de mise en place fasse partie intégrante de chacune des revendications indépendantes et qu’il soit mentionné à plusieurs reprises dans le mémoire descriptif et notamment aux endroits suivants : ligne 13 de la page 3; lignes 25‑1 de la page 8, et lignes 1 à 4 de la page 9; lignes 8, 13 et 18 de la page 10; ligne 22 de la page 11; ligne 22 de la page 15.

 

[204]       Les experts appelés à témoigner au nom des parties à propos du brevet en viennent tous les deux à la même conclusion. Au paragraphe 10 de son premier affidavit, M. de Winter affirme ce qui suit :

[traduction]

À mon avis, une feuille alvéolaire, un support alvéolaire, une pellicule de scellement et des dispositifs de mise en place constituent des éléments essentiels. Des dispositifs de mise en place permettant de superposer précisément une pellicule de scellement (selon de très faibles tolérances) sur une feuille alvéolaire représentent un des éléments essentiels de l’invention, car toute imprécision entraînerait le déchirement de la pellicule et restreindrait son utilisation prévue.

 

(Monsieur de Winter, 30 septembre 2010, au paragraphe 10)

 

 

[205]       Monsieur Mauffette, quant à lui, est d’avis que rien dans le brevet 045 ne laisse croire que l’inventeur n’a pas estimé que les dispositifs de mise en place de la feuille alvéolaire et de la pellicule de scellement étaient des éléments essentiels. En outre, rien dans le brevet 045 n’indique que l’inventeur n’a pas jugé que la protubérance (ou les protubérances) vers le haut et les orifices étaient des éléments essentiels dans les revendications 1, 11 et 22. Vu que tout ce qui est revendiqué est présumé être un élément essentiel et qu’il incombe au breveté de signaler toute interchangeabilité connue et manifeste à la date de la publication, il est important de tenir compte du consensus des experts des parties quant à la nature essentielle des dispositifs de mise en place.

 

[206]       Enfin, il est intéressant de constater qu’à un certain moment pendant le processus de demande pour le brevet 045, la dernière partie des revendications indépendantes dans laquelle les orifices et les protubérances sont décrits n’y figurait pas (le paragraphe débutant par « les dispositifs susmentionnés […] »), comme l’indique la lettre du 8 mai 1998 que les avocats de Dispill ont envoyée au commissaire aux brevets en réaction à un refus antérieur (RCD no 144). À cette époque, le paragraphe « d) » de la revendication 1 (et les paragraphes connexes des autres revendications indépendantes) était le suivant :

[traduction]

La surface supérieure de la feuille alvéolaire et la pellicule de scellement, à tout le moins, comportent des dispositifs conçus pour s’assurer, en pratique et après l’application de la feuille alvéolaire sur le support alvéolaire, que le revêtement de papier peut être pelé et retiré des bandes de la pellicule de scellement, que cette dernière est disposée sur la surface supérieure de la feuille alvéolaire et que les bandes enduites d’autoadhésif, ainsi que leurs lignes de déchirement, sont exactement superposées en fonction des rebords et des pointillés de la feuille alvéolaire.

 

 

[207]       Le Bureau des brevets a initialement autorisé les revendications sans le paragraphe dans lequel les orifices et les protubérances vers le haut sont mentionnés. Toutefois, l’avis d’acceptation initial a été retiré et les revendications alors au dossier, refusées, lorsque le brevet Braverman, au sujet duquel je reviendrai plus loin, a été porté à l’attention du Bureau des brevets. Les paragraphes dans lesquels les protubérances vers le haut et les orifices sont décrits ont été ajoutés aux revendications par le demandeur, M. Bouthiette (le prédécesseur de Richards), afin de répondre au rejet.

 

[208]       Selon les avocats des défendeurs reconventionnels, il est difficile d’avoir un meilleur exemple du caractère essentiel d’un élément d’une revendication que son ajout à la revendication afin de répondre à une objection formulée par le Bureau des brevets. À l’époque, les avocats de M. Bouthiette avaient explicitement abondé dans ce sens dans la lettre d’accompagnement suivante, adressée au commissaire :

[traduction]

Le brevet des États‑Unis no 3 380 856 [sic] octroyé à BRAVERMAN divulgue et illustre, aux figures 14 à 17, une trousse de fabrication de contenants distincts de pilules comportant :

 

a) une feuille alvéolaire de plastique (correspondant à l’élément 3 sur les dessins de la présente demande);

b) un support alvéolaire dont la surface supérieure présente un nombre d’enfoncements au moins équivalent à celui des cavités moulées dans la feuille alvéolaire (voir l’élément 1 des dessins de la présente demande);

c) une pellicule de scellement (élément 9 des dessins de la présente demande).

 

Il est acquis que la structure et le fonctionnement de base de chacun de ces composants, divulgués dans le brevet Braverman, sont essentiellement identiques à ce qui est divulgué dans la présente demande.

 

Cependant, et contrairement aux arguments apportés jusqu’ici, le brevet BRAVERMAN ne divulgue ni ne propose la caractéristique structurale suivante, qui est la principale de la présente invention et qui consiste en :

d) des dispositifs de mise en place figurant sur au moins la surface supérieure de la feuille alvéolaire et la pellicule de scellement.

 

Dans les revendications antérieures 3 et 4, de tels dispositifs ont été décrits comme des éléments ayant préférablement la forme des protubérances et des orifices identifiés par les numéros 5, 7 et 15 sur les dessins de la présente demande.

 

Nous faisons donc valoir que les tiges 201 des figures 14 à 16 du brevet BRAVERMAN, contre lesquelles la pellicule de scellement peut être appuyée, ne correspondent pas aux dispositifs de mise en place décrits et revendiqués dans la présente demande et qu’ils n’en constituent pas des équivalents. En effet, les revendications actuellement au dossier visent des dispositifs de mise en place (tiges) figurant sur au moins la surface supérieure de la feuille alvéolaire et la pellicule de scellement, afin d’assurer leur disposition adéquate l’une par rapport à l’autre.

 

Dans le brevet BRAVERMAN, les tiges 210 1) ne figurent pas sur la surface supérieure de la feuille alvéolaire et ne la traversent pas, et 2) elles ne « verrouillent » pas la feuille alvéolaire et la pellicule de scellement ensemble, comme c’est le cas d’après les revendications de la présente demande.

 

[Souligné dans l’original.]

 

 

[209]       Les avocats de Richards se sont opposés énergiquement à l’utilisation de l’historique du dossier (ou les « notes apposées au dossier ») en faisant valoir, en s’appuyant sur l’arrêt Free World Trust de la Cour suprême, que le recours à de telles preuves extrinsèques avait été écarté. Dans cet arrêt, le juge Binnie déclare ce qui suit (au paragraphe 66) :

J’estime que, dans ces affaires, l’intention de l’inventeur renvoie à l’expression objective de cette intention dans les revendications du brevet, selon l’interprétation qui en est faite par une personne versée dans l’art, et non à des éléments de preuve extrinsèque comme des déclarations ou des aveux faits pendant l’examen de la demande de brevet. Autoriser la mise en preuve de tels éléments extrinsèques pour déterminer l’étendue d’un monopole compromettrait le rôle des revendications dans l’information du public et ajouterait à l’incertitude, tout en attisant le brasier déjà intense du contentieux en matière de brevets. La faveur dont jouit actuellement l’interprétation téléologique, qui assure la primauté de la teneur des revendications, paraît également incompatible avec l’ouverture de la boîte de Pandore que serait la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier. Lorsque des observations importantes lui sont présentées concernant la portée des revendications, le Bureau des brevets devrait exiger, si besoin est, qu’une modification soit apportée en conséquence aux revendications.

 

[210]       Je ne suis pas convaincu que la lettre mentionnée par les défendeurs reconventionnels tombe carrément sous le coup de cette exclusion. Bien que les déclarations ou les admissions faites au cours du traitement de la demande de brevet ne peuvent être utilisées pour interpréter une revendication, ce n’est pas ce sur quoi la Cour est appelée à se prononcer en l’espèce. La modification du libellé d’une revendication pour donner suite à une objection provenant du Bureau des brevets est un fait objectif à partir duquel une conclusion peut être tirée et qui ne saurait être assimilée à des observations présentées au Bureau des brevets. L’interprétation téléologique devrait bien sûr être axée sur le libellé de la revendication, mais la possibilité de tenir compte d’autres facteurs est loin d’être exclue pour autant.

 

[211]       Quoi qu’il en soit, les avocats de Richards ne contestent pas le fait que les protubérances et les orifices constituent un élément important du brevet 045. Ils s’opposent toutefois (en se basant sur le témoignage d’expert de M. de Winter) que le mot « orifice », comme il est employé dans le brevet 045, ne devrait pas être interprété au sens propre de « trou circulaire complet », mais plutôt d’un point de vue fonctionnel rattaché à l’alignement adéquat de la pellicule de scellement. Voici ce qu’il indique au paragraphe 14 de son premier affidavit :

[traduction]

Pour que la protubérance choisie fonctionne, sa forme et sa taille doivent en permettre l’engagement dans un orifice, car si elle est trop petite, il peut lui être impossible de maintenir la pellicule en place, puisque la tolérance serait trop grande en ce qui concerne la disposition de la pellicule sur la feuille. Le papier est souple, si bien que la zone de contact avec la protubérance doit être suffisamment grande pour maintenir les éléments en place. Je suis donc d’avis que les mots « orifice » et « protubérance » devraient être rattachés à leurs fonctions respectives énoncées : les protubérances s’élèvent depuis le support et la feuille alvéolaires et s’engagent dans un rebord (ou des rebords) de la feuille et de la pellicule, afin de prévenir tout déplacement bidimensionnel de la pellicule et d’assurer une superposition exacte de ses bandes sur les rebords de la feuille.

 

(Monsieur de Winter, 30 septembre 2010, au paragraphe 14)

 

 

[212]       Avec égards, il est difficile d’imaginer une telle définition du mot « orifice », car elle repousse l’interprétation ordinaire de ce mot au-delà des limites acceptables. Ainsi que M. Mauffette l’affirme dans son rapport d’expert [et une personne moyennement versée dans l’art pourrait raisonnablement le conclure, dans le contexte du présent brevet], pour qu’un orifice existe, un espace doit être entouré de matière. Monsieur de Winter semble s’en être tenu à tort aux dispositifs de mise en place décrits ailleurs dans les revendications et ne pas avoir adéquatement tenu compte de l’emploi du mot « orifice » y figurant. Le concept d’orifice doit être pris en compte dans l’interprétation des revendications indépendantes. Si ces revendications ne faisaient mention d’aucun orifice, ni d’aucune protubérance, il aurait été possible de les interpréter de manière à ce que les orifices et les protubérances ne représentent pas le seul moyen de mettre les composants en place. Il est particulièrement révélateur que les seuls substituts des dispositifs de mise en place qui soient décrits dans le brevet 045 (paragraphe 30 des motifs, ci‑dessus) consistent toujours en des orifices et en des protubérances, qui se distinguent uniquement par leur disposition, laquelle vise l’alignement nécessaire.

 

[213]       Monsieur de Winter a indiqué qu’il a été poussé à interpréter le mot « orifice » de manière plus large, car le brevet 045 n’exclut pas explicitement le recours à un seul orifice rond. Il a estimé que l’inventeur avait envisagé l’utilisation d’orifices d’une autre forme. Jusque‑là, l’hypothèse demeure raisonnable. Cependant, en se fondant sur un concept d’orifice non circulaire, M. de Winter s’est permis de conclure, de manière injustifiée, que l’invention avait pour objet d’englober des dispositifs qui ne consistent pas en des orifices caractéristiques, mais qui ont la même fonction de mise en place. Selon M. de Winter, ce raisonnement étaye son opinion selon laquelle une paroi surélevée doit être considérée comme l’équivalent d’un orifice partiel, étant donné qu’elle joue le même rôle que deux protubérances et orifices distincts.

 

[214]       Là encore, je suis d’accord avec les avocats de Distrimedic pour affirmer qu’une telle interprétation du mot « orifice » est injustifiée; d’ailleurs M. de Winter a lui‑même reconnu qu’il élargissait la portée de la définition du mot « orifice ». Il est allé jusqu’à dire qu’il avait choisi de se concentrer davantage sur la fonction que jouait un orifice plutôt que sur le concept d’orifice lui‑même (transcription du 2 avril, aux pages 172 et 173). Cette façon de procéder contredit carrément les principes régissant l’interprétation des revendications : bien que les revendications doivent être interprétées de manière téléologique, il faut quand même s’en tenir à leur libellé. Un orifice, du moins dans le contexte du présent brevet, n’a pas de sens inusité ou exceptionnel, et rien dans le brevet ne permet de penser qu’une aptitude particulière est nécessaire pour comprendre ce que veut dire la description du dispositif de mise en place.

 

[215]       Pour tous les motifs exposés ci-dessus, l’interprétation du brevet 045, et plus particulièrement des dispositifs de mise en place, proposée par les avocats de Richards doit être rejetée. Les mots figurant dans le brevet 045 sont simples et clairs et ne présentent, à première vue, aucune grande subtilité sur le plan de l’interprétation. Il faut donc donner aux mots « orifice » et « protubérance » leur sens courant. Le mot « orifice » ne peut pas désigner tout ce qui joue le rôle d’alignement d’un orifice, et nulle part propose‑t‑on dans le brevet 045 qu’un orifice pourrait consister en un bord de feuille voisin d’une protubérance. La Cour suprême a rappelé que l’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir (Free World Trust, précité, au paragraphe 32).

 

            ii.         Contrefaçon

[216]       Pour déterminer s’il y a eu contrefaçon, il faut comparer le produit qui serait contrefait avec les revendications et non avec le produit du breveté (Free World Trust, précité, aux paragraphes 69 et 70). Il y a contrefaçon si le produit reprend tous les éléments essentiels de la revendication, mais il n’y a pas contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis (Free World Trust, précité, aux paragraphes 31 et 68; McKay c Weatherford Canada Ltd, 2007 CF 1233 au paragraphe 32, conf. par 2008 CAF 369). En revanche, la substitution ou l’omission d’éléments non essentiels n’entraîne pas nécessairement le rejet d’une allégation de contrefaçon (Stonehouse c Batco Manufacturing Ltd, 2004 CF 1767, aux paragraphes 137 et 138).

 

[217]       Un brevet n’est pas contrefait simplement parce que le produit en question remplit la même fonction que l’invention brevetée (Emmanuel Simard & Fils (1983) Inc c Raydan Manufacturing Ltd, 2005 CF 973, aux paragraphes 80 et 81, inf. quant aux dépens dans 2006 CAF 293). Ce qui importe c’est de savoir si le produit en litige reprend la totalité des éléments essentiels de la revendication et non si le produit et le brevet fonctionnent de façon semblable (Canamould Extrusions Ltd c Driangle Inc, 2004 CAF 63, conf. 2003 CFPI 244, au paragraphe 52).

 

[218]       Même si le présumé contrefacteur n’a pas lui‑même réalisé toutes les étapes de l’invention revendiquée ou repris la totalité des éléments essentiels de l’invention revendiquée dans son produit, il peut quand même être reconnu coupable de contrefaçon par incitation. Notre Cour a récemment énoncé les conditions à remplir pour pouvoir conclure à la contrefaçon par incitation : 1) il doit y avoir acte de contrefaçon par le contrefacteur direct; 2) cet acte doit être influencé par le vendeur, à un point tel que sans cette influence, la contrefaçon n’aurait pas été commise par le contrefacteur direct; 3) l’influence doit être sciemment exercée par le vendeur, c’est‑à‑dire que le vendeur savait que son influence entraînerait l’exécution de l’acte de contrefaçon (MacLennan c Produits Gilbert Inc, 2008 CAF 35, au paragraphe 13, conf. par 2006 CF 1038).

 

[219]       Notre Cour a toutefois prévenu qu’il ne suffit pas de prétendre de façon générale que les produits en litige sont vendus avec des instructions sur leur usage et que les clients du défendeur ou les utilisateurs finals contrefont les brevets en litige lorsqu’ils utilisent les produits de la défenderesse en litige selon les instructions. Les éléments de preuve présentés au sujet de ces instructions doivent être concluants. L’exécution de l’acte de contrefaçon doit résulter de l’influence du contrefacteur direct et des preuves de cette influence doivent être présentées (Hershkovitz c Tyco Safety Products Canada Ltd, 2009 CF 256, au paragraphe 160 [Hershkovitz]).

 

[220]       Dans ses observations, les avocats de Richards ont soutenu que le pilulier de Distrimedic repose sur un certain nombre d’éléments essentiels tirés du brevet 045. Ils ont notamment mentionné la bande horizontale qui peut être retirée de la surface inférieure de la pellicule de scellement pour exposer une bande autoadhésive conçue pour être fixée à la surface supérieure de la feuille alvéolaire. Ils ont également indiqué que le pointillé (estampé) poinçonné dans la pellicule de scellement constitue lui aussi une des caractéristiques importantes, voire un élément essentiel, de ce produit. Il est toutefois inutile que je tire une conclusion à l’égard des similarités revendiquées, car les avocats de Distrimedic ont choisi de s’en tenir à d’autres éléments essentiels figurant dans les revendications dans leur argument concernant la contrefaçon. Comme je l’ai mentionné précédemment, les défendeurs reconventionnels n’ont qu’à prouver qu’un seul élément essentiel de chaque revendication du brevet 045 ne figure pas dans le système de Distrimedic pour éviter que la Cour conclue à l’existence de contrefaçon (Free World Trust, précité, au paragraphe 31).

 

[221]       L’une des caractéristiques clés de chacune des revendications 1 à 25 consiste en [traduction] « des dispositifs de mise en place sur au moins la surface supérieure de la feuille alvéolaire et la pellicule de scellement ». Les avocats de Distrimedic soutiennent que le système de cette entreprise ne comporte pas cette caractéristique, à tout le moins parce que sa feuille alvéolaire ne présente aucun dispositif de mise en place sur sa surface supérieure. Je suis d’accord avec M. Mauffette pour dire que la feuille alvéolaire du système de Distrimedic est maintenue en place grâce à l’ajustement serré de ses cavités dans les enfoncements du plateau. Aucune partie, dont le rebord, de la pellicule de scellement du système de Distrimedic ne s’engage dans une protubérance ou une partie surélevée du plateau.

 

[222]       On a beaucoup discuté de la proximité de la partie supérieure de la feuille alvéolaire par rapport à la partie saillante du plateau (support). Bien qu’elles soient effectivement rapprochées, elles ne semblent pas l’être à des fins fonctionnelles quelconques. On pourrait soutenir qu’il serait plus difficile de disposer la feuille alvéolaire sur le plateau si la partie supérieure de la feuille ou les deux tirettes latérales étaient en contact avec la partie saillante verticale du plateau. Or il manquerait toujours un élément clé, même si j’étais disposé à admettre que les deux tirettes latérales de la feuille facilitaient d’une manière ou d’une autre l’alignement de la feuille sur les rebords verticaux surélevés du plateau de montage. Les revendications 1 à 14 et 22 à 25 (les revendications 15 à 21 étant visées par une renonciation, j’y reviendrai plus loin) donnent les précisions suivantes :

[traduction]

[…] les dispositifs susmentionnés consistant en au moins une protubérance vers le haut située sur la surface supérieure du support alvéolaire, en au moins un orifice se trouvant dans la feuille alvéolaire et en au moins un autre orifice situé dans la pellicule de scellement, ces derniers orifices ayant une taille et étant disposés de manière à ce que la protubérance s’engage en eux.

 

[223]       La feuille alvéolaire et la pellicule de scellement du système de Distrimedic ne comportent aucun orifice. En outre, son support alvéolaire ne présente aucune protubérance vers le haut disposée pour s’engager dans un orifice. La pellicule et la feuille sont alignées l’une sur l’autre et fixées ensemble d’une manière distincte sur le plan matériel de celle décrite et revendiquée dans le brevet 045.

 

[224]       Les avocats de Richards allèguent que d’un point de vue dynamique, les deux tirettes latérales jouent le même rôle que les orifices et les protubérances du système de Dispill. De plus, il laisse supposer que mettre la feuille d’étiquettes en place en l’appuyant contre des protubérances ou rebords surélevés se trouvant sur le plateau de montage de Distrimedic constitue une méthode identique à celle consistant en un engagement dans des orifices, comme l’indiquent les revendications. Selon leurs observations, les rebords surélevés jouent donc le même rôle que les orifices de la feuille alvéolaire et de la pellicule de scellement, ainsi que des protubérances du support alvéolaire visé par le brevet.

 

[225]       Comme je l’ai déjà expliqué dans la section précédente portant sur l’interprétation du brevet 045, une telle interprétation alambiquée du brevet devrait être rejetée pour plusieurs raisons. Non seulement une telle interprétation des mots « orifice » et « protubérance » n’est pas conforme aux connaissances courantes du travailleur versé dans l’art dont relève le brevet, mais elle rendrait à tout le moins certaines des revendications invalides pour cause d’antériorité compte tenu du brevet Braverman.

 

[226]       Les autres revendications du brevet 045, les revendications 26, 27 et 28 définissent soit un pilulier, soit un mécanisme permettant d’ouvrir avec un couteau un système de piluliers. Richards n’allègue pas que ces revendications ont été directement contrefaites, étant donné qu’aucun élément de preuve ou argument ne permet de penser que le système de Distrimedic comporte un dispositif semblable à ceux revendiqués dans le brevet 045. Richards affirme plutôt que Distrimedic s’est rendu coupable de contrefaçon par incitation des revendications en question par les pharmaciens. Cet argument, que les avocats de Richards n’ont pas fait valoir vigoureusement, ne saurait être retenu. Indépendamment du fait que les deux dispositifs ne semblent pas bien fonctionner avec le système de Distrimedic, les personnes qui achètent ces dispositifs auprès de Richards doivent être présumées avoir acquis le droit implicite de les utiliser sans restriction (Eli Lilly & Co c Novopharm Ltd, [1998] 2 RCS 129, au paragraphe 100; Signalisation de Montréal Inc c Services de Béton Universels Ltée, [1993] 1 CF 341 (CAF), au paragraphe 20). En contre‑interrogatoire, M. Glynn a confirmé que Richards n’avait pas indiqué aux acheteurs de ces produits que l’utilisation de ses produits comportait une restriction qui l’emporterait sur le droit implicite de les utiliser sans restriction.

 

[227]       Il s’ensuit que les acheteurs de Richards ne contrefont pas le brevet 045 lorsqu’ils utilisent les dispositifs en question, et ce, indépendamment de la façon dont ils les utilisent. Il ne peut y avoir incitation à contrefaçon pour cette raison, notamment parce qu’il n’a pas été satisfait au premier élément du critère à trois volets (un acte de contrefaçon du contrefacteur direct). Qui plus est, Richards n’a présenté aucun élément de preuve admissible au sujet du second volet du critère de l’incitation à contrefaire, c’est‑à‑dire le fait que l’acte de contrefaçon commis par l’utilisateur des dispositifs en question était influencé par Distrimedic au point où, sans cette influence, l’acte de contrefaçon n’aurait pu avoir lieu. Par conséquent, il n’y a eu contrefaçon d’aucune des revendications comportant le mécanisme de pilulier ou le mécanisme permettant d’ouvrir avec un couteau un système de piluliers pour les raisons invoquées.

 

[228]       Enfin, bien que nombre de plateaux vendus au sein du système de Distrimedic comprennent [traduction] « un nombre d’enfoncements au moins équivalent à celui des cavités moulées dans la feuille alvéolaire » (selon les revendications 1 à 25), deux d’entre eux (pièces 543 et 544) n’en comportent aucun. Les deux premières rangées d’enfoncements de ces deux plateaux sont espacées uniformément et conçues pour loger les cavités de la feuille alvéolaire, comme d’autres plateaux de Distrimedic, mais leurs autres enfoncements sont distincts. En outre, ces plateaux ne constituent pas une contrefaçon selon les revendications 5 et 19, car ils ne présentent pas 28 enfoncements.

 

[229]       Ayant conclu que Distrimedic n’a pas contrefait le brevet 045, il n’est pas absolument nécessaire que j’aborde les deux questions suivantes formulées par le protonotaire en ce qui concerne le droit des brevets. Toutefois, étant donné que ces questions ont été analysées en détail par les parties et que la question de la validité des renonciations a expressément été laissée en suspens par suite des décisions par lesquelles notre Cour et la Cour d’appel ont ordonné au commissaire d’accepter l’acte de renonciation, je vais maintenant les aborder brièvement.

 

iii.        L’acte de renonciation

[230]       Comme je l’ai déjà mentionné, Richards a déposé un acte de renonciation concernant les revendications 15 à 21 du brevet 045. La revendication 15 est une revendication indépendante, tandis que les revendications 17, 18 et 19 sont des revendications dépendantes. La revendication 16 a fait l’objet d’une renonciation intégrale. Les modifications apportées à la revendication 15 par suite de l’acte de renonciation sont mentionnées au paragraphe 43 des présents motifs.

 

[231]       Un acte de renonciation est un important acte officiel et public déposé auprès du Bureau des brevets. C’est un mécanisme dont le breveté se sert pour renoncer à une partie de son brevet, en respectant les modalités réglementaires, lorsque, par erreur, accident ou inadvertance, et sans intention de frauder ou tromper le public, a) il a donné trop d’étendue à son mémoire descriptif ou b) il s’est représenté dans le mémoire descriptif (ou a représenté son mandataire) comme étant l’inventeur d’un élément matériel ou substantiel de l’invention brevetée, alors qu’il n’en était pas l’inventeur et qu’il n’y avait aucun droit (Loi sur les brevets, au paragraphe 48(1)).

 

[232]       L’acte de renonciation doit être déposé selon les modalités réglementaires, notamment de forme (Loi sur les brevets, au paragraphe 48(2)). Plus précisément, l’acte de renonciation est établi selon la formule 2 et les instructions connexes figurant à l’annexe 1, dans la mesure où les dispositions de cette formule et ces instructions s’y appliquent (Règle des brevets, DORS/96‑423, art. 44). Lorsqu’il remplit la formule 2, le breveté doit suivre la forme précise que revêtent les points 3(1) ou 3(2), lesquels précisent l’objet visé par la renonciation. Le breveté renonce à l’intégralité de la revendication ou à l’intégralité de la revendication à l’exception des éléments de cette revendication qui sont expressément énumérés. L’expression « à l’exception des éléments suivants » que l’on trouve au paragraphe 3(2) de la formule 2 démontre à l’évidence que la renonciation est essentiellement une allégation négative qui ne doit manifestement pas être utilisée comme moyen de reformuler ou de redéfinir l’invention révélée et revendiquée.

 

[233]       Les brevets sont présumés valides selon le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, mais cette présomption ne s’applique pas aux renonciations (Sanofi‑Aventis Canada Inc c Hospira Healthcare Corp, 2009 CF 1077, au paragraphe 142 [Sanofi‑Aventis]). Le fait que le commissaire aux brevets doive accepter l’acte de renonciation dès son dépôt n’indique rien sur sa validité et n’est pas déterminant quant à la question de savoir si l’auteur de l’acte de renonciation a respecté les exigences du paragraphe 48(1) de la Loi sur les brevets. C’est précisément ce que notre Cour et la Cour d’appel ont répété lorsqu’elles ont annulé, en réponse à une demande de contrôle judiciaire, la décision par laquelle le commissaire avait refusé d’inscrire l’acte de renonciation parce qu’il cherchait à élargir, plutôt qu’à limiter, la portée d’au moins une des revendications (paragraphes 44 à 50 des présents motifs). Lorsqu’un acte de renonciation est contesté, sa validité doit être prouvée, et il appartient au tribunal de décider si le breveté a fait la renonciation de bonne foi et non pour une raison irrégulière. Mon collègue le juge Martineau résume bien les règles de droit applicables à ces questions dans le jugement Hershkovitz, précité, au paragraphe 79 :

Enfin, lorsque la validité d’une renonciation est contestée, c’est au breveté qu’il incombe de montrer qu’il y a eu « erreur, accident ou inadvertance », et le bien‑fondé ou la validité de cette renonciation peut être contrôlé par la Cour si le brevet fait l’objet d’un litige. En outre, d’après la jurisprudence, la validité de la renonciation dépend de l’« état d’esprit » du breveté à l’époque où ce dernier a établi son mémoire descriptif. Le breveté doit être capable de montrer à la Cour que la renonciation est faite de bonne foi et non pour une raison irrégulière. S’il ne s’acquitte pas de ce fardeau, il sera conclu que la renonciation est invalide. Le fait que le Bureau des brevets ait accepté une renonciation n’est pas déterminant.

 

Voir également Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2007 CF 971, au paragraphe 38; Sanofi‑Aventis, précité, aux par. 140 à 142; ICN Pharmaceuticals, Inc. c Canada (Personnel du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1997] 1 CF 32, au paragraphe 70.

 

 

[234]       Après avoir examiné l’ensemble de la preuve versée au dossier, je suis porté à croire que le breveté ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’une erreur, un accident ou une inadvertance expliquait le fait que le mémoire descriptif avait une portée trop large. En tout premier lieu, ce n’est qu’après l’introduction de la présente instance que Richards a constaté la nécessité de déposer un acte de renonciation; aucune préoccupation ne semble avoir été soulevée lorsque le brevet a été examiné au moment où Richards l’a acquis. Bien que cette chronologie ne soit de toute évidence pas suffisante en elle‑même pour démontrer la mauvaise foi, elle constitue certainement un élément contextuel dont on peut tenir compte pour déterminer ce qui a motivé le dépôt de l’acte de renonciation.

 

[235]       L’explication de Richards relative à la partie de la renonciation qui porte sur le remplacement du mot « orifice » par « dispositifs d’engagement » n’est ni convaincante ni adéquate. Selon M. Glynn, Richards se souciait du fait qu’il n’existait aucune [traduction] « description adéquate des orifices à titre de dispositifs d’engagement d’une protubérance » (transcription du 25 mars, à la page 123). Or, dans la renonciation de revendication initiale, on parlait déjà d’[traduction] « orifices ayant une taille et étant disposés de manière à ce que la protubérance s’engage en eux ». Comme M. Glynn l’a indiqué, la nouvelle description des dispositifs de mise en place est peut‑être meilleure, mais elle ne constitue pas une erreur, un accident ou une inadvertance permettant de valider une renonciation.

 

[236]       Qui plus est, ni l’inventeur, M. Bouthiette, ni aucune autre des personnes ayant participé à la demande de brevet initial n’ont jamais été consultés au sujet de la renonciation. Là encore, bien que ce facteur ne soit pas déterminant pour décider si l’acte de renonciation a été déposé dans un but irrégulier, il s’agit néanmoins d’un indice pertinent dont on peut tenir compte, d’autant plus lorsque l’inventeur est disponible et qu’on peut facilement le joindre comme on l’a confirmé en l’espèce.

 

[237]       Enfin, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi la revendication 1, qui était pratiquement identique à la revendication 15 qui a fait l’objet d’une renonciation, n’a pas elle aussi fait l’objet d’une renonciation. Interrogé sur ce point, M. Glynn n’a pu donner aucune explication. Si une erreur, un accident ou une inadvertance avait véritablement motivé le dépôt de l’acte de renonciation, les autres revendications comportant un libellé identique auraient logiquement dû être modifiées elles aussi.

 

[238]       Sur le fond, l’acte de renonciation pose également problème, car il élargit manifestement la portée du brevet au lieu de la restreindre. Comme je l’ai déjà expliqué, un des principaux changements entraînés par l’acte de renonciation a été de remplacer l’expression [traduction] « au moins un orifice » par « dispositifs d’engagement » et l’expression « un autre orifice » par « autres dispositifs d’engagement ». Un orifice est de toute évidence un dispositif d’engagement, mais le contraire n’est pas nécessairement vrai. Un creux ou un enfoncement pourrait, par exemple, être assimilé à un dispositif d’engagement

 

[239]       Gardant à l’esprit le fait que la validité de l’acte de renonciation fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire, je m’abstiens de trancher cette question de façon définitive. Mes observations à ce propos ne visent qu’à invoquer une raison de plus pour justifier ma conclusion selon laquelle les défendeurs reconventionnels n’ont pas contrefait le brevet 045. Cela dit, je ne puis souscrire à l’avis des avocats de Distrimedic suivant lequel il y a lieu d’invalider le brevet original au motif qu’il est entaché par l’aveu de Richards suivant lequel, dans leur forme initiale, les revendications faisant l’objet de l’acte de renonciation étaient trop larges. Je ne puis retenir cet argument en l’espèce. Le raisonnement formulé par les défendeurs reconventionnels s’appliquerait si, dans leur forme initiale, les revendications faisant l’objet de l’acte de renonciation étaient effectivement trop larges. Toutefois, c’est bien au contraire l’acte de renonciation qui élargirait de façon inacceptable la portée de la revendication. Je suis conscient qu’en déposant l’acte de renonciation, Richards a admis que son brevet original avait une portée trop large. Nous ne disposons toutefois d’aucune preuve indépendante en ce sens et les défendeurs reconventionnels n’ont soumis aucun argument à l’appui de leur prétention selon laquelle le brevet original avait une portée trop large. Contrairement à l’exemple hypothétique donné par le juge Martineau dans le jugement Hershkovitz, précité, au paragraphe 49, où monsieur le juge tient pour acquis qu’on peut établir une nette distinction entre la portée de la revendication initiale et la portée plus restreinte de la revendication ayant fait l’objet d’une renonciation, on ne peut tracer une ligne de démarcation aussi nette en l’espèce. En fait, on aurait beaucoup de mal à nommer des domaines où l’innovation resterait possible alors que de nouveaux concurrents auraient pu sauter dans la mêlée par suite de la renonciation, compte tenu du fait que l’acte de renonciation élargit de toute évidence la portée de la revendication initiale au lieu de la restreindre. Dans ces conditions, les défendeurs reconventionnels n’ont rien démontré en vertu de la Loi sur les brevets qui empêcherait le breveté de revenir au brevet dans sa version antérieure à la renonciation.

 

            iv.        Argument subsidiaire : Antériorité et/ou évidence des revendications faisant l’objet d’une renonciation

[240]       Pour être brevetable, l’objet défini par chacune des revendications d’un brevet doit être nouveau; en d’autres termes, l’objet du brevet ne doit pas avoir déjà été divulgué. Une revendication qui n’est pas nouvelle ne peut être valide. En invoquant l’antériorité, ou l’absence de nouveauté, on affirme que l’invention était connue du public avant la date pertinente. La date pertinente est normalement, suivant la Loi sur les brevets actuelle, la « date de la revendication », qui correspond à la date du dépôt de la demande de brevet au Canada ou à la date du dépôt de la demande de priorité régulièrement déposée à l’étranger. Dans les cas où le demandeur est l’auteur de la pièce d’art antérieur, celui‑ci ne doit pas avoir divulgué l’objet que définit la revendication plus d’un an avant la date du dépôt de cette demande au Canada.

 

[241]       La conception traditionnelle de l’antériorité a été formulée dans l’arrêt Beloit Canada Ltd c Valmet Oy (1986), 8 CPR (3d) 289 (CAF), à la page 297 [Beloit] :

On se souviendra que celui qui allègue l’antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l’invention était connue du public avant la date pertinente. L’enquête porte sur l’invention litigieuse elle‑même et non, comme dans le cas de l’évidence, sur l’état de la technique et des connaissances générales. De plus […] l’antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d’en arriver à l’invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

 

Voir également Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 187, au paragraphe 20, demande d’autorisation d’appel devant la CSC refusée, [2006] CSCR no 292; Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 214, au paragraphe 35.

 

[242]       La Cour suprême a plus tard précisé le critère de l’antériorité dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi‑Sunthelabo Canada Inc, 2008 SC 61, [2008] 3 RCS 265 [Apotex Inc], en exigeant que l’invention visée par le brevet ait été divulguée dans une même publication et qu’elle ait permis la réalisation de l’invention. Le critère traditionnel énoncé ci-dessus dans l’arrêt Beloit portait sur le volet du critère relatif à la divulgation, mais non sur celui relatif au caractère réalisable.

 

[243]       Suivant l’exigence de la divulgation antérieure, le brevet antérieur « doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet [...] À cette étape, les essais successifs sont exclus » (Apotex Inc, précité, au paragraphe 25). La première condition à satisfaire pour qu’une revendication soit antériorisée veut que le brevet antérieur divulgue ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet. Comme il a déjà été dit, « ce qui constitue une contrefaçon, s’il est postérieur, constitue une anticipation, s’il est antérieur » (Hughes and Woodley on Patents (2e édition), à la page 134, cité et approuvé dans l’arrêt Consolboard Inc c MacMillan Bloedel, [1981] 1 RCS 504, à la page 534; Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 187, au paragraphe 25, demande d’autorisation d’appel devant la CSC refusée , [2006] CSCR no 292; Lightning Fastener Co v Colonial Fastener Co, [1933] SCR 377, à la page 381.

 

[244]       Si l’exigence relative à la divulgation est satisfaite, le second élément du caractère réalisable exige que la personne moyennement versée dans l’art soit en mesure de réaliser l’invention. Ce n’est qu’à l’étape du caractère réalisable que les essais et les expériences sont autorisés, à condition de ne pas créer un fardeau excessif. Si le tribunal estime qu’une étape inventive était nécessaire pour parvenir à réaliser l’invention visée par le brevet, la publication antérieure n’aura pas rendu l’invention « réalisable » (Apotex, précité, aux paragraphes 26, 27 et 33).

 

[245]       Il y a lieu de tenir compte des facteurs suivants lors de l’analyse de l’exigence relative au caractère réalisable, ainsi que la Cour l’explique au paragraphe 37 de l’arrêt Apotex Inc, précité :

1. Le caractère réalisable est apprécié au regard du brevet antérieur dans son ensemble, mémoire descriptif et revendications compris. Il n’y a aucune raison de limiter les éléments du brevet antérieur dont tient compte la personne versée dans l’art pour découvrir comment exécuter ou réaliser l’invention que vise le brevet subséquent. L’antériorité est constituée de la totalité du brevet antérieur.

 

2. La personne versée dans l’art peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter les données du brevet antérieur. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré.

 

3. Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre l’exécution du brevet subséquent sans trop de difficultés. Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle‑ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable. Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

 

4. Les erreurs ou omissions manifestes du brevet antérieur ne font pas obstacle au caractère réalisable lorsque des habiletés et des connaissances raisonnables permettaient d’y remédier.

 

[246]       Quant à la question de l’évidence, l’article 28.3 de la Loi sur les brevets prévoit que « [l]’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet […] ». La date pertinente pour se prononcer sur l’évidence est semblable à celle qui s’applique pour l’antériorité, c’est‑à‑dire, normalement, la « date de la revendication » (date du dépôt de la demande canadienne ou date de priorité, le cas échéant) ou, lorsque l’antériorité est revendiquée par le demandeur, un an avant la date du dépôt de la demande au Canada.

 

[247]       Lorsqu’on plaide l’évidence ou l’absence d’inventivité, on affirme que, même si l’invention était nouvelle, la personne moyennement versée dans l’art, au courant de l’état de la technique et possédant les connaissances générales communes pertinentes à l’époque en cause, en serait arrivée « directement et facilement » à l’invention. La conception traditionnelle de l’évidence est la suivante :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art, mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment ou l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

 

(Beloit, précité, à la page 294).

 

[248]       Dans l’arrêt Apotex, au paragraphe 67, la Cour suprême du Canada a récemment clarifié les règles de droit sur l’évidence et proposé une méthode d’analyse comportant quatre volets :

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

 

      b) déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2)  Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3)  Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

(4)  Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

[249]       Dans ce même arrêt, la Cour suprême a introduit le critère de l’« essai allant de soi » comme facteur dont on doit tenir compte à la quatrième étape de la méthode d’analyse de l’évidence qu’elle propose. Le critère de l’« essai allant de soi » est indiqué dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, comme dans le secteur pharmaceutique. Toutefois, le critère « essai allant de soi » doit être abordé avec prudence, d’autant plus qu’il ne s’agit que d’un des facteurs utiles pour l’analyse de l’évidence.

 

[250]       Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence :

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

2. Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

3. L’art antérieur fournit‑il un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

(Apotex, précité, au paragraphe 69)

 

[251]       Enfin, le concept de l’inventivité est jugé en fonction des revendications et non du mémoire descriptif (Sanofi‑Aventis Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CF 676, au paragraphe 267; Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2009 CAF 222, au paragraphe 57). D’ailleurs, suivant un principe bien établi du droit des brevets : « La description ne définit pas une invention. Les revendications lues dans le contexte de la description définissent plutôt l’invention (ou les inventions) du brevet. » (Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2008 CF 825, au paragraphe 133, conf. par 2009 CAF 222, demande autorisation d’appel devant la CSC refusée 2009] CSC no 403.)

 

[252]       Les défendeurs reconventionnels fondent leurs allégations quant à l’antériorité et à l’évidence sur la divulgation effectuée par l’intermédiaire du brevet Braverman portant sur un pilulier. Il importe de souligner que nul ne prétend que le brevet 045 est invalide en raison du brevet antérieur de Braverman. Ce qu’on affirme, c’est qu’en raison de ce brevet, les revendications du brevet 045 ne peuvent avoir la portée que prétend Richards.

 

[253]       D’après les défendeurs reconventionnels, le brevet Braverman tient compte de l’importance d’aligner la feuille alvéolaire et la pellicule de scellement en présentant comme guides des tiges (210) le long des deux bords de la base (202). Comme il est indiqué aux lignes 59 à 63 de la colonne 4, [traduction] « les tiges résistantes sont disposées de manière à ce qu’elles guident la mise en place du composant de fermeture, comme l’illustre la FIG. 15, sur laquelle les bords 196 du composant sont concrètement en contact avec les tiges 210 ».

 

[254]       Les défendeurs reconventionnels considèrent que cette interaction entre le composant de fermeture et les tiges est semblable à celle entre la pellicule de scellement et la partie surélevée du plateau du système de Distrimedic. La pellicule de ce dernier est en contact avec la partie surélevée du plateau, ce qui représente le seul moyen de la maintenir en place, de sorte que le système de Distrimedic et celui décrit dans le brevet Braverman fonctionnent essentiellement de la même façon, comme les défendeurs reconventionnels l’ont indiqué dans leurs observations.

 

[255]       Après avoir lu attentivement les brevets 045 et Braverman, ainsi que les rapports d’experts de MM. de Winter et Mauffette, je conclus que les allégations des défendeurs reconventionnels sont infondées et que le brevet Braverman ne vise aucun dispositif de mise en place qui fonctionne identiquement à celui faisant l’objet du brevet 045, c’est‑à‑dire grâce à l’engagement actif de la pellicule de scellement et de la feuille alvéolaire. Bien qu’on ne puisse nier que les tiges à ressort contribuent à guider la pellicule, comme M. de Winter l’a admis, elles ne la mettent ou ne la maintiennent pas en place. De plus, elles n’ont clairement pas comme principale fonction de guider la pellicule de scellement. Elles sont coûteuses, surtout parce qu’un plateau de montage en acier inoxydable exige qu’elles se composent de ce métal, et si elles étaient uniquement conçues pour mettre en place la pellicule de scellement, elles auraient été remplacées par des composants de plastique moulés. En outre, on indique à deux reprises dans le brevet Braverman qu’elles servent à éjecter la pièce qui exerce une pression, ce qui correspond à l’utilisation courante de telles tiges et s’avère une caractéristique d’un usage propre au moulage, à l’estampage et à l’usinage. Enfin, il semble que pour mettre la pellicule en place, il faut la tenir avec la main, à partir d’un coin coupé diagonalement et situé à l’opposé des tiges, ce qui soutient le point de vue selon lequel les tiges ne sont pas conçues pour maintenir la pellicule en place.

 

[256]       Vu ce qui précède, j’accepte l’évaluation de M. de Winter suivant laquelle l’invention décrite dans le brevet 045 n’était pas évidente ni antériorisée. Le brevet Braverman ne précise pas comment réaliser ou fabriquer ce qui est divulgué et revendiqué comme étant l’invention contenue dans le brevet 045. Pour reprendre les propos du juge Hugessen dans l’arrêt Beloit, le brevet Braverman ne fournit pas « tous les renseignements nécessaires, en pratique, pour la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif » (Beloit, précité, au paragraphe 297). Les protubérances vers le haut et les orifices servant de dispositifs de mise en place de la pellicule de scellement sur la feuille alvéolaire n’étaient pas évidents non plus, compte tenu des connaissances générales courantes qui existaient le 22 juillet 1996. Le brevet Braverman peut avoir incité un inventeur à envisager un nouveau concept (tout aussi inventif), mais cela n’est pas suffisant pour rendre cette dernière idée évidente.

 

[257]       Cette conclusion confirme ma conclusion antérieure suivant laquelle l’acte de renonciation est invalide. Comme je l’ai déjà mentionné, le paragraphe définissant l’expression [traduction] « au moins une protubérance vers le haut située » et les orifices a été ajouté à la revendication 15 par la demanderesse (le prédécesseur de Richards) pour répondre au rejet du libellé précédent de la revendication par le Bureau des brevets. Cet élément essentiel constitue de toute évidence l’élément innovateur dans la revendication. Remplacer les termes [traduction] « au moins un orifice » par « dispositifs d’engagement » et l’expression « un autre orifice » par « autres dispositifs d’engagement » aurait de toute évidence pour effet d’élargir la portée de la revendication, étant donné qu’elle ne se limiterait plus à un système dans lequel la pellicule de scellement est alignée avec la feuille alvéolaire par l’engagement d’au moins une protubérance vers le haut dans les orifices correspondants dans le support alvéolaire. Si l’on invalide l’acte de renonciation et que l’on confirme la validité du brevet 45 dans sa version initiale, le caractère nouveau et inventif serait par conséquent préservé.

 

            b) Fausses déclarations

[258]       Comme nous l’avons déjà fait observer, le protonotaire Morneau a formulé comme suit la question des fausses déclarations : [traduction] « Les défendeurs reconventionnels ont‑ils fait des déclarations fausses et trompeuses qui ont contribué à discréditer l’entreprise, les services ou les marchandises de Richards? »

 

[259]       Suivant le paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence, nul ne peut, de quelque manière que ce soit, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’utilisation d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, donner au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses sur un point important. Suivant les alinéas 52(1.1)a) et c), il n’est pas nécessaire qu’une personne ait été effectivement trompée ou induite en erreur par les indications fausses ou trompeuses ni que les indications aient été données à un endroit auquel le public avait accès. Bien que le paragraphe 52(1) prévoie une interdiction criminelle, les articles 74.01 et suivants prévoient une procédure civile pour intenter une poursuite pour indications fausses ou trompeuses.

 

[260]       Il n’est pas allégué que les défendeurs reconventionnels ont donné des indications fausses ou trompeuses dans leur publicité et aucun élément de preuve en ce sens n’a été présenté. Dans le mémoire qu’elle a déposé en vue de la conférence préparatoire, Richards allègue (au paragraphe 30) qu’en 2005, M. Filiatrault, M. Poirier et/ou des représentants des défendeurs reconventionnels ont fait au moins l’une des déclarations suivantes aux clients de Richards :

[traduction]

a) Messieurs Filiatrault et Poirier ont quitté Dispill en raison d’abus allégués dans la fixation des prix et/ou du fait que des représentants étaient en train d’élaborer une solution semblable qu’ils devaient vendre à un prix plus juste;

 

b) Les représentants ont été autorisés par Dispill à offrir une solution de rechange aux piluliers de Richards, mais le produit serait vendu sous une marque de commerce différente.

 

[261]       À la clôture du procès, les avocats de Richards ont quelque peu circonscrit cette allégation en affirmant plutôt qu’un représentant de Distrimedic avait rendu visite à la pharmacie de M. Thibault pour lui présenter le pilulier de Distrimedic. Les avocats ont beaucoup insisté sur le fait qu’au cours de cette rencontre, M. Thibault se souvient qu’on lui ait montré des fiches de produits qu’il avait trouvées très semblables au catalogue de Dispill, à tel point qu’il avait l’impression que les deux sociétés avaient le même fournisseur extérieur. Monsieur Thibault est allé jusqu’à dire en contre‑interrogatoire qu’il ne croyait pas que les listes de prix de Distrimedic lui auraient laissé la même impression de similitude.

 

[262]       Le juge Hood de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a bien résumé les principes applicables aux décisions rendues en vertu de l’article 52 de la Loi sur la concurrence. Voici ce qu’il déclare dans le jugement Maritime Travel Inc c Go Travel Direct.Com Inc, (2008) 66 CPR (4th) 61, au paragraphe 39, conf. par 2009 NSCA 42 :

[traduction]

1. Il faut tout d’abord déterminer l’impression générale que donne la publicité. Pour ce faire, il faut tenir compte de la nature du segment de la population auquel elle s’adresse.

2. Il faut également tenir compte du sens littéral de la publicité.

3. Pour déterminer si la publicité donne des indications fausses ou trompeuses sur un point important, on peut tenir compte d’éléments de preuve extrinsèques, mais non dans le but de modifier l’impression générale déjà dégagée.

4. Pour être considérée comme trompeuse, une publicité doit être trompeuse sur un point important. L’importance se définit en fonction de l’effet que la publicité aurait sur la décision du consommateur d’acheter. Elle doit être à ce point « pertinente ou essentielle » (pour reprendre les qualificatifs employés dans l’arrêt Apotex) pour influencer la décision du consommateur. De simples exagérations ne suffisent pas pour constituer une publicité trompeuse.

5. Une publicité agressive ne tombe pas sous le coup de la Loi sur la concurrence à moins qu’elle ne constitue un « dénigrement mensonger » des marchandises ou des services du concurrent (expression tirée du jugement Purolator).

6. Le tribunal ne devrait pas s’ingérer dans un marché compétitif, à moins que la publicité ne soit « manifestement injuste » (Puralotor).

7. Même si la publicité « repousse les limites de ce qui est juste » elle ne sera pas considérée comme étant trompeuse sur un point important (Tele‑Mobile).

8. Dans le contexte civil, la charge de la preuve qui incombe au demandeur est quand même celle de la prépondérance de la preuve, mais il s’agit d’un fardeau plus lourd en raison de la gravité des allégations. Il faut fournir une « preuve substantielle » de l’activité qui constituerait « un crime public très grave » (Janelle).

 

 

[263]       La preuve présentée par Richards est insuffisante pour démontrer que des indications fausses ou trompeuses ont été données. Monsieur Thibault, le seul témoin que Richards a fait entendre sur la question, a affirmé dans les termes les plus nets, tant lors de son interrogatoire principal que de son contre‑interrogatoire, que lorsqu’il avait rencontré le représentant de Distrimedic en 2006, celui‑ci n’avait pas tenté de lui faire croire qu’il était un représentant de Dispill ou qu’il vendait des produits de Dispill, ajoutant que ce représentant n’avait jamais donné d’indications fausses ou trompeuses au sujet des produits de Distrimedic.

 

[264]       Le seul autre fait qui milite en faveur de la prétention de Richards est le fait que M. Thibault a été amené à croire que les deux sociétés avaient le même fournisseur extérieur en raison des similitudes qui existaient entre, d’une part, les fiches de produits que lui avait soumises le représentant de Distrimedic et, d’autre part, le catalogue de Dispill, qu’il connaissait bien. À mon avis, cela est loin d’être suffisant pour établir que Distrimedic a contrevenu à l’article 52 de la Loi sur la concurrence. Je suis conscient que si une telle fausse déclaration avait été démontrée, elle aurait porté sur des faits très importants, étant donné que la possibilité de se procurer des accessoires semblables à ceux offerts en rapport avec le système de Dispill était un facteur clé qui avait convaincu M. Thibault de délaisser le système Dispill au profit du système de Distrimedic. Quoi qu’il en soit, bien que M. Thibault ait pu avoir cette impression, aucun élément de preuve n’a été présenté pour nous permettre de penser que cette impression aurait été créée dans son esprit par suite d’une fausse indication donnée par un représentant de Distrimedic.

 

[265]       Bien qu’on ne doive pas perdre de vue le fait que certains des accessoires de Distrimedic sont effectivement semblables à ceux de Dispill, il convient de rappeler que Distrimedic n’offre pas exactement la même gamme d’accessoires que Dispill. Il vaut également la peine de souligner que l’expert de Richards, M. de Winter, a expliqué qu’il serait [traduction] « illogique » d’utiliser le pilulier de Dispill avec les produits de Distrimedic, parce que les solutions offertes par Distrimedic et Dispill visaient [traduction] « deux systèmes différents ».

 

[266]       Messieurs Filiatrault et Poirier ont tous deux nié s’être fait passer pour des représentants de Dispill ou d’avoir incité leurs clients à acheter le système Distrimedic et à l’utiliser avec des accessoires de Dispill, et ils ont donné des raisons crédibles pour expliquer pourquoi ils n’auraient pas agi ainsi. Ils ont expliqué qu’ils voulaient protéger leur réputation d’honnêteté et de fiabilité auprès des pharmaciens, qu’ils ne voulaient pas compromettre leurs rapports avec l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), qu’ils avaient leurs propres accessoires et produits qu’ils souhaitaient vendre et qu’au moins certains des accessoires de Dispill ne pouvaient être utilisés avec les produits de Distrimedic. Au cours de leur interrogatoire et de leur contre‑interrogatoire, ils se sont tous deux montrés directs et sincères dans les réponses qu’ils ont données et leur crédibilité n’a pas été contestée ou ébranlée sous quelque rapport que ce soit. Pour cette raison, je suis porté à accorder beaucoup de poids à leur témoignage et à le considérer comme digne de foi.

 

[267]       Enfin, une lecture attentive du contre‑interrogatoire de M. Thibault révèle que c’est lui qui a pris l’initiative de communiquer avec Distrimedic, qu’on ne lui a jamais montré le catalogue de Dispill, que les fiches de produits n’arboraient pas le nom de Dispill et qu’il a simplement conclu que les produits de Distrimedic étaient fabriqués par le même fournisseur extérieur que ceux de Dispill, parce que leur apparence était très similaire. Il a bien mentionné qu’il ne croyait pas que les listes de prix de Distrimedic qui lui avaient été montrées au procès lui auraient donné la même impression de similitude, mais il a précisé qu’il devait se souvenir de faits qui remontaient à sept ans.

 

[268]       Les avocats de Richards ont beaucoup insisté sur le fait que les défendeurs reconventionnels ont choisi de ne pas faire témoigner M. Paul van Gheluwe pour réfuter le témoignage de M. Thibault. Bien que le témoignage de M. van Gheluwe (et surtout son contre‑interrogatoire) aurait pu être utile pour savoir ce qui s’est réellement passé lors de sa rencontre avec M. Thibault en 2006, je ne suis pas disposé à tirer une conclusion défavorable de la décision stratégique des avocats de Distrimedic de ne pas le faire témoigner, étant donné qu’il n’y a aucune preuve d’acte répréhensible à réfuter.

 

[269]       En fait, on peut adresser les mêmes critiques en ce qui concerne la décision délibérée de Richards de ne faire témoigner aucun autre des pharmaciens à qui les fausses déclarations auraient été faites. Richards a plutôt soumis quelques courriels et notes manuscrites de ses employés à qui Distrimedic aurait fait de fausses déclarations. Les auteurs de ces notes manuscrites et de ces courriels n’ont pas témoigné au procès pour confirmer ce qu’on leur avait exactement dit et qui leur avait parlé, de sorte que Distrimedic n’a pas eu la possibilité de les contre‑interroger. Même si les auteurs de ces notes et de ces courriels avaient témoigné au procès, ils ne sont de toute évidence pas les personnes à qui les déclarations fausses et trompeuses auraient été faites. D’ailleurs, ces courriels et ces notes manuscrites sont simplement ceux d’employés de Richards à qui des clients (pour la plupart, des pharmaciens) ont rapporté les conversations qu’ils avaient eues avec des représentants de Distrimedic. Ils constituent de toute évidence du ouï‑dire (et, du moins dans un cas, du double ouï‑dire) et ils ne sont donc pas admissibles.

 

[270]       Compte tenu de la gravité des allégations formulées contre les défendeurs reconventionnels, j’estime que les avocats de la demanderesse reconventionnelle ne se sont pas acquittés du fardeau de preuve qui leur incombait. La preuve présentée ne satisfait pas à la norme rigoureuse de la prépondérance élevée de la preuve exigée par la jurisprudence (Janelle Pharmacy Ltd c Blue Cross of Canada, 2003 NSSC 179, 27 CPR (4th) 19, aux paragraphes 95 à 97; Pentagon Investments Ltd c Canadian Surety Co, [1992] NSJ no 402 (C.A. N.‑É.). Pour en arriver à cette conclusion, je tiens compte du fait que les acheteurs des produits de Dispill et de Distrimedic sont des clients avisés qui risquent peu d’être influencés ou induits en erreur, que la décision de choisir un pilulier plutôt qu’un autre est la plupart du temps prise par des professionnels de la santé et par plusieurs personnes, que ce soit dans une pharmacie ou dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée et c’est dans ce contexte que l’impression générale créée par la publicité ou par les affirmations doivent être examinées.

 

[271]       Pour tous ces motifs, je conclus que les allégations de fausses déclarations n’ont pas été établies. La preuve est loin d’établir de façon suffisante, selon la norme de la prépondérance élevée de la preuve, que Distrimedic ou ses représentants ont fait des déclarations trompeuses en ce qui concerne leurs marchandises ou qu’ils ont dénigré les marchandises et les services de Richards.

 

            c)  Imitation frauduleuse

[272]       Richards affirme que les défendeurs reconventionnels ont [traduction] « appelé de façon illégitime l’attention du public sur leurs entreprises, leurs services ou leurs marchandises de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada lorsqu’ils ont commencé à y appeler ainsi l’attention, entre leurs entreprises, leurs marchandises ou leurs services et ceux de la défenderesse Richards », contrevenant ainsi à l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce (défense et demande reconventionnelle modifiée trois fois, au paragraphe 48(i)). Plus précisément, Richards affirme ce qui suit : (1) en raison de l’abondante publicité qu’elle a faite et de son important chiffre d’affaires, [traduction] « les marques de commerce des couleurs de Richards employées sur les étiquettes d’emballage sont bien connues des pharmaciens, des infirmiers et infirmières et du personnel des centres d’hébergement et de soins de longue durée, qui leur ont fait bon accueil, tout comme le grand public, et que ces marques de commerce ont acquis un caractère distinctif en liaison avec l’emballage du pilulier de Dispill de Richards »; (2) [traduction] « l’usage constant de marques de commerce de couleurs qui sont appliquées sur la surface supérieure de la feuille alvéolaire en liaison avec le produit de DISTRIMEDIC par les défendeurs reconventionnels et leurs représentants est susceptible d’amener les membres du public à conclure soit que l’entreprise ou les marchandises de Distrimedic et des autres défendeurs reconventionnels sont associées aux pellicules de scellement et aux piluliers des Emballages Richards, soit que les Emballages Richards appuie ou approuve d’une quelconque manière l’entreprise, les services et les marchandises de Distrimedic et des autres défendeurs reconventionnels » (défense et demande reconventionnelle modifiée trois fois, aux paragraphes 29 et 46).

 

[273]       Il y a imitation frauduleuse lorsque la réputation ou l’achalandage d’une entreprise subira ou subira vraisemblablement un préjudice en raison d’une fausse déclaration par laquelle un concurrent crée une illusion de similitude ou de ressemblance entre les produits ou services de l’entreprise concurrente et les siennes, créant de la confusion dans l’esprit du consommateur au point de l’amener à croire que ses marchandises ou services sont ceux de quelqu’un d’autre ou qu’elles sont commanditées avec cette dernière ou associées à celle‑ci. Il s’agit de fait de « tirer profit » au moyen d’une déclaration tendant à induire en erreur. Ainsi que Fleming l’explique dans son célèbre ouvrage The Law of Torts, 4e éd. (Sydney, Law Book Co, 1971), à la page 626 :

[traduction]

Néanmoins, une autre forme de tromperie préjudiciable au commerce du demandeur, la concurrence déloyale par excellence, est le délit d’imitation frauduleuse, qui diffère de la fausse déclaration préjudiciable en ce qu’il tend à nuire à la clientèle du demandeur non pas par des remarques désobligeantes, mais bien au contraire par l’usurpation de sa réputation, l’usurpateur faisant croire que des marchandises ou services viennent de lui ou d’une firme associée ou qu’il les garantit.

 

Voir également Canadian Business School Inc c Sunrise Academy Inc (2002), 23 CPR (4th) 220 (CF), aux paragraphes 21 et 23.

 

 

[274]       Malgré le fait qu’ils ont formulé cet argument, les avocats de la demanderesse reconventionnelle ont offert peu d’éléments (que ce soit lors de leur plaidoirie ou dans leurs observations écrites) pour l’étayer. Si l’on fait abstraction du fait qu’ils mentionnent l’annexe A dans leurs observations écrites, qu’ils comparent les acheteurs d’étiquettes ETCP‑500 et ETCA‑500 de Distrimedic avec les clients de Distrimedic qui achètent le format A4 d’étiquettes, et le fait qu’ils citent l’annexe B pour démontrer que Richards et Distrimedic ont beaucoup de clients en commun, l’analyse que les avocats de la demanderesse reconventionnelle font des éléments nécessaires pour pouvoir conclure à l’imitation frauduleuse est très tenue, et ce, que l’on se fonde sur la common law ou sur l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. Après avoir examiné attentivement la preuve, j’en suis arrivé à la conclusion que le moyen que Richards tire de cet alinéa est mal fondé, car elle n’a pas démontré l’existence de l’un ou l’autre des éléments nécessaires pour obtenir gain de cause dans une action en imitation frauduleuse ou même qu’elle détenait des droits conférés par les marques de commerce sur son code de couleurs.

 

[275]       Avant d’aller plus loin, il vaut la peine de clarifier ce qui est en jeu ici. Richards a admis que le code de couleurs actuel de Distrimedic qui est employé depuis 2006 et reproduit ci‑après ne viole aucun des droits sur les marques de commerce que Richards affirme posséder (exposé conjoint des faits, pièce 500, au paragraphe 39).

 

[276]       Ce n’est donc que le code de couleurs initial que Distrimedic a employé pendant un certain temps en 2005 qui est visé par le moyen que Richards tire de la Loi sur les marques de commerce. Distrimedic a reconnu avoir imprimé et distribué un code de couleurs qui était à toutes fins utiles identique au code de couleurs de Dispill au début de ses activités tout en affirmant qu’il n’avait imprimé qu’une quantité limitée d’étiquettes présentant le code de couleurs initial et que ces étiquettes n’avaient été distribuées qu’à des fins d’essai. Le code de couleurs initial employé par Distrimedic, qui est identique à celui employé par Dispill est reproduit ci‑après :

 

[277]       La première question que le protonotaire a mentionnée dans son ordonnance du 28 septembre 2011 concerne l’existence même d’un droit conféré par une marque de commerce sur le code de couleurs de Dispill, ce qui s’accorde parfaitement avec la logique inhérente à l’action en imitation frauduleuse prévue par l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Kirkbi PG c Ritvik Holdings Inc, 2003 CAF 297, conf. par 2005 CSC 65, [2005] 3 CSC 302 [Kirkbi], il n’y a ouverture à l’action en imitation frauduleuse que dans les cas dans lesquels le demandeur peut démontrer qu’il détient des droits en vertu de la marque de commerce relativement aux marques figuratives qui auraient fait l’objet d’une appropriation illicite :

38 […] L’alinéa 7b) est l’expression légale correspondant au délit de commercialisation trompeuse existant en common law, à une exception près : afin de pouvoir se prévaloir de l’alinéa 7b), il faut prouver que l’on possède une marque de commerce valide opposable, déposée ou non. L’élément qui distingue l’action en commercialisation trompeuse existant en common law et l’action en commercialisation trompeuse prévue à l’alinéa 7b) de la Loi, c’est que, dans l’action existant en common law, le plaideur n’a pas à s’appuyer sur une marque de commerce pour se prévaloir de l’action. Afin d’intenter une action en commercialisation trompeuse fondée sur la Loi, il faut posséder une marque de commerce valide au sens de la Loi. Les définitions figurant à l’article 2 de la Loi font partie intégrante de toute action en commercialisation trompeuse relative à une marque de commerce qui est fondée sur l’alinéa 7b), comme c’est le cas pour l’action intentée par les appelantes.

 

[278]       La Cour suprême a confirmé les conclusions tirées par la Cour d’appel fédérale au sujet de la nécessité de démontrer l’existence d’une « marque de commerce » pour pouvoir obtenir gain de cause dans une action en imitation frauduleuse. Cet arrêt est intéressant et fort utile pour trancher la présente affaire. Kirkbi était titulaire des brevets des jeux de construction LEGO. À l’expiration du brevet, Ritvik, un fabricant de jouets canadiens, avait commencé à fabriquer et à vendre des briques pouvant être utilisées indistinctement avec les briques LEGO. Kirkbi a tenté d’invoquer l’existence d’une marque de commerce à l’égard de la « marque figurative LEGO » (laquelle reproduisait la face supérieure de la brique, qui présentait une configuration géométrique régulière de huit tenons), mais le registraire des marques de commerce avait refusé l’enregistrement. Kirkbi avait ensuite revendiqué la marque figurative LEGO à titre de marque non déposée et s’était fondée sur l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce et sur la doctrine de common law de la commercialisation trompeuse pour solliciter un jugement déclarant que Ritvik avait violé les droits liés à cette marque. Elle avait également sollicité une injonction permanente interdisant à Ritvik de commercialiser les produits contrefaits et elle avait réclamé des dommages‑intérêts.

 

[279]       Après avoir conclu que l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce relevait de la compétence du législateur fédéral étant donné que, de par son caractère véritable, l’alinéa 7b) était directement lié à la protection des marques de commerce et des noms commerciaux au Canada, la Cour suprême a appliqué le principe de la fonctionnalité et conclu qu’une marque de commerce non déposée formée uniquement des caractéristiques techniques ou fonctionnelles des briques LEGO ne pouvait servir de fondement à une marque de commerce. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour suprême a répété qu’une marque qui ne se bornait pas à distinguer les marchandises de son titulaire, mais se rapportait à la structure fonctionnelle des marchandises mêmes, outrepassait les limites légitimes d’une marque de commerce. On dénaturerait en fait les règles de droit relatives aux marques de commerce en accordant la protection qu’offre une marque de commerce à une marque qui est principalement fonctionnelle, car on attribuerait ainsi des droits qu’un brevet portant sur le même produit pourrait offrir, étant donné que la protection conférée par un brevet ne peut être perpétuelle. La Cour suprême a cité et approuvé le paragraphe suivant tiré des motifs du juge Sexton de la Cour d’appel fédérale :

De fait, à mon avis, le paragraphe 13(2) renforce l’idée selon laquelle la doctrine de la fonctionnalité invalide une marque qui est principalement fonctionnelle. Il montre clairement qu’il n’est pas interdit au public d’employer une particularité utilitaire d’un signe distinctif. Il s’ensuit que, si un signe distinctif est entièrement ou principalement fonctionnel, il n’est pas interdit au public d’utiliser le signe distinctif au complet. Par conséquent, un signe distinctif qui est principalement fonctionnel ne confère aucun droit à un emploi exclusif et il n’accorde donc pas la protection qu’offre une marque de commerce. En d’autres termes, le fait que le signe distinctif est principalement fonctionnel veut dire qu’il ne peut pas constituer une marque de commerce. Les appelantes ont simplement interprété le paragraphe 13(2) d’une façon erronée.

 

(Kirkbi, précité, au paragraphe 59)

 

[280]       Pour obtenir gain de cause en vertu de l’alinéa 7b), Richards devait par conséquent démontrer qu’elle possède des droits conférés par les marques de commerce sur le code de couleurs de Dispill. Comme je l’ai déjà mentionné, j’estime que Richards n’a pas fait cette preuve, d’abord et avant tout parce que le code de couleurs de Dispill a une utilité purement fonctionnelle, deuxièmement parce que nous ne disposons d’aucun élément de preuve convaincant suivant lequel Richards avait l’intention d’utiliser le code de couleurs de Dispill comme marque de commerce, et, enfin, parce que le code de couleurs de Dispill n’a pas été reconnu comme une marque de commerce par le public visé. J’expliquerai maintenant davantage chacune des lacunes en question.

 

i.          Le code de couleurs de Dispill n’est pas une marque de commerce

[281]       Pour répondre à la question de savoir si le code de couleurs de Dispill est une marque de commerce, il est essentiel de revenir à la définition de l’expression « marque de commerce » que l’on trouve à l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce :

 

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres;

 

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

 

 

[282]       L’apparence d’un produit qui est « connu » ou qui est « différent », mais qui n’est pas employé pour distinguer le produit d’un autre n’est pas une « marque de commerce ». En d’autres termes, il ne suffit pas de se contenter d’affirmer que les marchandises du défendeur ressemblent beaucoup à celles du demandeur. Il faut établir que les consommateurs, en raison de la présentation des marchandises du demandeur, en sont venus à les considérer comme ayant une source ou origine commerciale unique, même si ces consommateurs ne savent pas ou ne croient pas que le demandeur est la seule source du produit : Oxford Pendaflex Canada Ltd c Korr Marketing Ltd, [1982] 1 RCS 494, à la page 502.

 

[283]       Même si l’intention n’est pas nécessaire pour qu’une marque de commerce soit « employée pour distinguer », l’intention du propriétaire de l’utiliser comme marque de commerce et la reconnaissance de la marque par le public comme marque de commerce sont des facteurs pertinents. Il s’agit également là d’une conséquence intrinsèque de l’emploi de la conjonction « ou » dans la définition d’une marque de commerce : « employée [...] pour distinguer, ou de façon à distinguer ». Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a affirmé dans l’arrêt Tommy Hilfiger Licensing Inc c International Clothiers Inc, 2004 CAF 252, au paragraphe 35 :

[…] [pour décider] si une marque a été employée à titre de marque de commerce, l’intention de l’utilisateur et la renommée publique sont des considérations pertinentes, et que l’une ou l’autre pouvait suffire à établir que la marque a été employée à titre de marque de commerce.

 

Voir également Medox Ltd c Roussel (Canada) Ltée, [1979] TOMB no 21 (QL), 48 CPR (2d) 97, aux paragraphes 11 à 15.

 

[284]       Les avocats des défendeurs reconventionnels soutiennent que le code de couleurs de Dispill ne sert qu’à des fins fonctionnelles, en l’occurrence permettre à un patient ou aux personnes qui lui administrent le médicament de savoir plus facilement quel médicament il doit prendre à un moment précis de la journée. J’abonde dans leur sens. Richards n’a présenté aucun élément de preuve convaincant pour démontrer l’intention d’employer le code de couleurs de Dispill comme marque de commerce ou pour démontrer que le code de couleurs de Dispill était considéré comme une marque de commerce par le public visé. Richards n’a donc pas démontré que le code de couleurs de Dispill était une marque de commerce.

 

[285]       Il vaut la peine de rappeler que la Commission des oppositions des marques de commerce a fait droit à l’opposition de Distrimedic et a refusé d’enregistrer le code de couleurs de Dispill comme marque de commerce. Dans cette décision, la Commission des oppositions a conclu que Richards ou son prédécesseur en droit n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer son intention d’utiliser le code de couleurs de Dispill comme marque de commerce. Dans le cas qui nous occupe, MM. Filiatrault et Poirier ont tous les deux expliqué qu’à la fin des années quatre‑vingt‑dix, lorsque le produit de Dispill avait été lancé, ils n’avaient jamais envisagé d’utiliser le code de couleurs comme marque de commerce, mais qu’ils le considéraient plutôt comme une caractéristique utilitaire de leur produit.

 

[286]       Il ressort par ailleurs du contre‑interrogatoire de M. Glynn que personne n’a jamais laissé entendre que le code de couleurs de Dispill était une marque de commerce lorsque Dispill avait été acquise par Richards et qu’il n’est nulle part mentionné que les feuilles d’étiquettes de Dispill sont des marques de commerce dans l’annexe dans laquelle sont énumérés les droits de propriété intellectuelle faisant partie de l’entente d’achat d’actions de juillet 2005 par laquelle Richards avait acquis Dispill de M. Bouthiette. Bien que Richards affirme que l’entente prévoyait le transfert de tous les droits de propriété intellectuelle associés à l’entreprise et que le fait que la marque de commerce ne soit pas mentionnée dans l’annexe n’est pas déterminant, cette absence tend toutefois à appuyer la conclusion à laquelle j’en arrive

 

[287]       Enfin, Richards n’a cité aucun symbole ou mention apparaissant sur le produit lui‑même ou ailleurs qui permettrait de penser que le code de couleurs Dispill a conféré des droits de marque de commerce. Je reconnais que rien n’oblige à inscrire le symbole MC sur une marque de commerce; toutefois compte tenu du fait que les autres produits de Richards portent des indications de marque de commerce ou de droits conférés par des brevets, il s’agit certainement d’un indice supplémentaire permettant de conclure que ni Richards ni Dispill Inc. n’avait l’intention d’utiliser le code de couleurs de Dispill comme marque de commerce.

 

[288]       Il est acquis aux débats que la protection conférée par la marque de commerce ne s’applique pas aux marques qui sont purement ou principalement fonctionnelles. Cette conclusion est un corollaire du caractère distinctif exigé de la part de toute marque de commerce (Parke, Davis & Co c Empire Laboratories Ltd, [1964] SCR 351, à la page 354). S’il en était autrement, on pourrait utiliser une marque de commerce pour perpétuer le monopole conféré par un brevet qui aurait expiré. Par conséquent, on ne peut obtenir de droits conférés par une marque de commerce sur la structure fonctionnelle des marchandises elles‑mêmes; ainsi que la Cour suprême l’a jugé dans l’arrêt Kirkbi, précité, aux paragraphes 42 et 43, une marque de commerce est censée protéger le caractère distinctif d’un produit et non sa fonction. Comme la Cour l’explique, au paragraphe 67 de l’arrêt en question : « La doctrine de la commercialisation trompeuse visait à protéger des monopoles exercés non pas sur des produits, mais sur des signes, présentations, noms et symboles qui constituent le caractère distinctif d’une source. » En revanche, une marque qui comporte certaines caractéristiques fonctionnelles n’est pas exclue de la protection conférée par une marque de commerce, dès lors que la protection des caractéristiques fonctionnelles en question ne crée pas de monopole sur la fonction : Crocs Canada Inc c Holey Soles Holdings Ltd, 2008 CF 188, au paragraphe 18. Ce principe de « fonctionnalité » s’applique tant aux marques de commerce qui sont déposées qu’à celles qui ne le sont pas.

 

[289]       Dans le cas qui nous occupe, la preuve révèle que le code de couleurs de Dispill est principalement fonctionnel. Plus précisément, le code de couleurs semble avoir été adopté principalement ou entièrement pour préciser à quel moment du jour il faut prendre la(les) pilule(s) contenue(s) dans une alvéole. L’arrangement qui en résulte ne sert pas d’« habillage » et n’a pas pour but de distinguer le produit de Richards. Il a toujours été clair dans l’esprit des dirigeants de Dispill, MM. Filiatrault et Poirier, que le code de couleurs de Dispill n’était qu’un code de couleurs visant à indiquer les périodes du jour pour la prise de médicaments et qu’il n’a jamais d’aucune façon été censé être employé comme marque de commerce (interrogatoire principal de Claude Filiatrault au procès, 5 avril 2013, aux pages 77 et 79; interrogatoire principal de Robert Poirier au procès, 11 avril 2013, aux pages 171 à 173).

 

[290]       France Morissette a également expliqué lors de son témoignage que le code de couleurs renforce la sécurité et l’efficacité du pilulier surtout auprès du personnel non professionnel des centres d’hébergement et de soins de longue durée.

 

[291]       Une fois de plus, je partage l’avis de la Commission des oppositions lorsqu’elle déclare ce qui suit : « Toutes ces preuves témoignent du fait que la Marque agit comme un code de couleurs indiquant la période de la journée où sont administrés les médicaments contenus dans le distributeur de pilules, plutôt que comme une marque de commerce identifiant la source des Marchandises » (Distrimedic Inc c Richards Packaging Inc, 2012 COMC 199, [2012] COMC no 5199 (QL), au paragraphe 40).

 

[292]       Dans son témoignage, M. Glynn lui‑même ne semble pas contester le fait que les couleurs ont une certaine fonctionnalité dans la mesure où elles facilitent l’utilisation du produit. Il affirme toutefois que les couleurs particulières employées pour l’étiquette de Dispill ont été choisies au hasard, qu’elles ne représentent aucun avantage particulier par rapport aux quatre autres couleurs, qu’elles sont bien connues sur le marché comme étant les couleurs de Richards, et qu’elles ne sont employées par aucune autre société. En d’autres termes, Richards affirme que le code de couleurs de Dispill a acquis un caractère distinctif ou un sens secondaire grâce à son emploi et à la reconnaissance du public.

 

[293]       Pour évaluer cet argument, il faut tout d’abord déterminer le groupe de clients auquel le produit est vendu et offert. De toute évidence, certains groupes de clients sont plus avertis que d’autres et sont moins susceptibles d’être induits en erreur par de fausses déclarations.

 

[294]       Même si les résidents de centres d’hébergement et de soins de longue durée sont les consommateurs ultimes des pilules et des autres produits pharmaceutiques qui leur sont prescrits par leur médecin, il est évident qu’ils ne sont pas la clientèle cible des piluliers en litige. Il ressort de la preuve que, dans l’ensemble, les patients n’achètent pas et n’utilisent même pas les piluliers comme tels. Il se peut que l’on donne à des patients autonomes une alvéole détachable individuelle au moment approprié de la journée, mais en principe, ils ne voient pas le pilulier sous sa forme intégrale et ils ne voient que rarement le code de couleurs Dispill au complet. Les patients ne sont donc pas les clients visés par les produits de Dispill et de Distrimedic lorsqu’il s’agit de déterminer si la marque de commerce alléguée a un caractère distinctif. D’ailleurs, M. Glynn a déclaré dans son témoignage que tout le matériel servant à faire de la promotion et à donner des consignes s’adressait aux pharmacies et aux centres d’hébergement et de soins de longue durée, ce qui s’accorde parfaitement avec la façon dont le produit est présenté dans la publicité de Dispill.

 

[295]       Le public visé est donc composé des pharmaciens, étant donné que ce sont eux qui achètent les piluliers et, dans une moindre mesure, des directeurs de centres d’hébergement et de soins de longue durée. À l’évidence, ces personnes sont beaucoup moins influencées par les couleurs que le grand public et risquent beaucoup moins de confondre un produit avec un autre en raison de l’usage d’un code de couleurs semblable. En tant que professionnels, les principaux clients de Richards sont préoccupés par la sécurité. Dans la mesure où le code de couleurs est susceptible d’améliorer la sécurité et l’efficacité de la distribution d’un médicament, ce code sera évidemment précieux, ce qui est très différent de dire que les clients en sont venus à associer le code de couleurs de Dispill avec Dispill Inc ou Richards.

 

[296]       Le seul témoin que Richards a fait entendre pour démontrer que le code de couleurs de Dispill était reconnu par le public visé comme une marque de commerce ou qu’il avait acquis un sens secondaire était Mme Morissette. Le témoignage de ce seul témoin de faits est nettement insuffisant pour établir que le code de couleurs de Dispill avait acquis un sens secondaire ou un caractère distinctif quelconque. Il est d’ailleurs assez révélateur que Richards n’ait fait témoigner aucun pharmacien à ce sujet et qu’elle n’ait pas jugé à propos de présenter des sondages ou des études démontrant que le public visé en était venu à associer le code de couleurs de Dispill à Dispill Inc. ou à Richards.

 

[297]       De plus, Mme Morissette ne s’est pas prononcée sur le caractère distinctif de la marque de commerce comme telle, se contenant de mentionner dans son rapport que le code de couleurs de Dispill était [traduction] « bien connu », ce qui ne rend pas une marque de commerce distinctive au sens de la Loi sur les marques de commerce. Tout au plus, ce code de couleurs peut avoir aidé à identifier le produit, mais cela s’explique davantage par le fait que Dispill a été pendant de nombreuses années le seul à utiliser des codes de couleur sur ses piluliers. Le fait qu’un produit particulier soit employé depuis de nombreuses années comme unique produit de sa catégorie ne transforme pas nécessairement ses caractéristiques en des marques de commerce, surtout lorsque, comme dans l’affaire Kirkbi, ces caractéristiques sont principalement fonctionnelles.

 

[298]       En résumé, on ne m’a pas convaincu que les quatre couleurs du produit de Dispill servent à identifier Richards comme source du produit. Le code de couleurs a été adopté d’abord et avant tout pour des raisons de fonctionnalité, et ce, même si, dans l’esprit de certaines personnes, il a fini par être en quelque sorte associé au produit de Dispill (un argument pour lequel il existe très peu d’éléments de preuve). Cet état de fait s’explique davantage par le fait qu’il s’agissait du seul produit de ce type sur le marché que par des démarches de commercialisation actives ou délibérées visant à créer dans l’esprit des pharmaciens un lien avec le produit de Dispill. Dans cette mesure, le code de couleurs n’a pas été « employé » par Richards pour distinguer son produit; c’est le nom commercial Dispill qui jouait ce rôle.

 

[299]       Les avocats des défendeurs reconventionnels invoquent également des décisions comme Apotex Inc c Registraire des marques de commerce, 2010 CF 291 [Apotex Inc, CF 2010], conf. par 2010 CAF 313, demande d’autorisation d’appel devant la CSC refusée, [2011] CSCR no 11, et Eli Lilly and Co c Novopharm Ltd (1997), 73 CPR (3d) 371, conf. par (2000), 10 CPR (4th) 10, pour affirmer que les demandes visant à faire reconnaître comme une marque de commerce la forme, la couleur et/ou la forme d’un produit pharmaceutique sont la plupart du temps rejetées. Cette situation s’explique évidemment par le fait que la forme et la couleur ne sont habituellement pas les principales caractéristiques par lesquelles le fabricant d’un produit souhaite distinguer celui‑ci des produits de ses concurrents. On ne peut pas nécessairement en dire autant des autres accessoires pharmaceutiques, dont la principale caractéristique n’est peut‑être pas leur efficacité pour traiter ou guérir une affection médicale et dont l’apparence peut s’avérer plus utile pour aider le consommateur à opter pour les produits d’un fabricant de préférence à ceux d’un autre. Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire que je m’étende davantage sur le sujet, étant donné que j’ai déjà conclu que Richards n’a pas employé le code de couleurs de Dispill principalement, voire jamais, pour identifier son produit. Richards ne peut donc pas se prévaloir de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce.

 

            ii.         Le code de couleurs initial de Distrimedic n’a pas été « employé » de manière à faire intervenir l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce

[300]       Même si je devais accepter que le code de couleurs de Dispill était une marque de commerce au moment où Distrimedic a fait son entrée sur le marché en 2005, il y a une autre raison pour laquelle il n’y a pas eu contravention à l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce en l’espèce. Non seulement la demanderesse reconventionnelle doit‑elle démontrer qu’elle était titulaire d’une marque de commerce sur le code de couleurs de Dispill, mais elle doit également démontrer que les défendeurs reconventionnels ont employé cette marque de commerce au sens de la Loi sur les marques de commerce. Après tout, l’alinéa 7b) est inextricablement lié au régime global de la Loi sur les marques de commerce. Pour conclure qu’il y a eu contravention à l’alinéa 7b), il faut faire la preuve d’une confusion en rapport avec une marque de commerce, ce qui dépend de l’« emploi » que le défendeur fait de la marque de commerce au sens de l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce (Positive Attitude Safety System Inc c Albian Sands Energy Inc, 2005 CAF 332, aux paragraphes 31 et 32).

 

[301]       L’article 4 de la Loi sur les marques de commerce définit l’« emploi » d’une marque de commerce en liaison avec des marchandises :

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

4. (1) A trade‑mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

[302]       L’expression « dans la pratique normale du commerce » a été interprétée comme [traduction] « exige[ant] que le transfert de la propriété ou de la possession des marchandises s’inscrive dans le cadre d’une opération commerciale portant sur les marchandises en vue d’acquérir l’achalandage et de réaliser des bénéfices grâce aux marchandises de marque » (Cast Iron Soil Pipe Institute c Concourse International Trading Inc (1988), 19 CPR (3d) 393 (COMC), à la page 395 [Cast Iron Soil Pipe]). Une telle opération commerciale exige un paiement ou un échange quelconque, ce qui exclut l’emploi de la marque de commerce dans des situations dans lesquelles les marchandises sont données gratuitement ou font l’objet d’un don. Il est de jurisprudence constante que, lorsque des échantillons ont été distribués gratuitement et qu’aucune vente du produit ne se concrétise par la suite, la marque de commerce alléguée n’a pas été employée « dans la pratique normale du commerce » : voir, par exemple, Cast Iron Soil Pipe, précité, à la page 395; Renaud Cointreau & Cie c Cordon Bleu International Ltd (1993), 52 CPR (3d) 284, à la page 287, conf. par [2000] ACF no 1414 (QL), 188 FTR 29 (CFPI); Banque Royale du Canada c Canada (Registraire des marques de commerce), [1995] ACF no 1049, au paragraphe 13, 63 CPR (3d) 322 (CFPI); Professional Gardener Co c Canada (Registraire des marques de commerce) (1985), 5 CPR (3d) 568 (CFPI), aux pages 571 et 572).

 

[303]       Il s’ensuit que la remise d’échantillons gratuits d’un produit sans que celui‑ci soit par la suite distribué sur le marché ne constitue pas un « emploi » de la marque apposée sur le produit en tant que marche de commerce et ne donne donc pas lieu à l’application de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. C’est précisément ce qui, selon les défendeurs reconventionnels, s’est produit en 2005 lorsqu’ils ont temporairement distribué le code de couleurs initial de Distrimedic. Suivant la preuve soumise à la Cour, environ 100 000 feuilles d’un code de couleurs semblable au code de couleurs de Dispill ont été imprimées. Messieurs Filiatrault et Poirier ont tous deux expliqué que seulement quelques lots de 500 feuilles avaient été distribués gratuitement à environ 11 pharmacies à des fins d’essai et pour obtenir leur rétroaction sur leurs produits. Cette opération s’est échelonnée sur une période de quelques semaines en novembre et en décembre 2005. Par la suite, les feuilles en question auraient été détruites et les pharmaciens ne les ont jamais vendues à leurs clients.

 

[304]       Certes, les circonstances entourant l’impression et la destruction subséquentes des feuilles initiales en question sont loin d’être claires et aucun élément de preuve n’a été produit pour corroborer les témoignages de MM. Filiatrault et Poirier. En revanche, la demanderesse n’a soumis aucun élément de preuve, soit en faisant témoigner des pharmaciens, soit autrement, pour miner la crédibilité de MM. Filiatrault et Poirier.

 

[305]       Le seul argument avancé par la demanderesse reconventionnelle à cet égard est le fait que les mêmes codes de produit (ETCA‑500 et ETCP‑500) ont été utilisés par Distrimedic pour des étiquettes arborant des codes de couleur différents (le code de couleurs initial de Distrimedic et un nouveau dessin avec des couleurs différentes), de sorte qu’il est difficile de savoir si Distrimedic a cessé d’utiliser le code de couleurs Dispill et à quel moment, ce qui est loin d’être suffisant pour réfuter le témoignage de MM. Filiatrault et Poirier. Plusieurs raisons pourraient expliquer pourquoi les mêmes codes de produits ont été utilisés pour le même produit tant avant qu’après le changement de couleur.

 

[306]       Enfin, je constate que Distrimedic a subi des pertes sur la vente des étiquettes ETCP‑500 et ETCA‑500, suivant le propre expert‑comptable de Richards. Par conséquent, même si l’on tenait pour acquis que les étiquettes n’ont pas été détruites et que la totalité des étiquettes ETCP‑500 et ETCA‑500 arboraient le code de couleurs initial de Distrimedic, les chiffres en question tendraient à confirmer que les étiquettes n’ont pas été employées dans la pratique normale du commerce, ce qui ne justifierait pas d’accorder des dommages‑intérêts pour imitation frauduleuse.

 

            iii.        Distrimedic n’a pas appelé l’attention du public sur son entreprise de manière à créer de la confusion avec celle de Richards

[307]       Richards allègue que l’emploi du code de couleurs initial de Distrimedic en liaison avec les produits de Distrimedic [traduction] « est susceptible d’amener les membres du public à conclure soit que l’entreprise ou les marchandises [des] […] défendeurs reconventionnels sont associées [aux pellicules de scellement de Richards], soit que Richards appuie ou approuve d’une quelconque manière l’entreprise, les services et les marchandises des défendeurs reconventionnels » [passages soulignés dans l’original] (défense et demande reconventionnelle modifiée trois fois, au paragraphe 46). Dans le cas qui nous occupe, aucun élément de preuve tendant à démontrer qu’il y avait effectivement eu confusion n’a été présenté. Comme je l’ai déjà mentionné dans mon résumé de la preuve, M. Thibault est le seul témoin produit par Richards qui a rencontré un représentant de Distrimedic pendant la période au cours de laquelle les fausses déclarations auraient eu lieu, et son témoignage n’a pas permis d’établir qu’il y avait eu fausse représentation ou confusion. Même s’il a peut‑être pensé que Dispill et Distrimedic recouraient aux mêmes fournisseurs externes pour leurs accessoires, M. Thibault savait fort bien que Dispill et Distrimedic étaient deux entreprises différentes. Il savait exactement à qui il avait affaire lorsqu’il a rencontré le représentant de Distrimedic et ce dernier ne s’est pas fait passer pour quelqu’un d’autre ni fait passer ses produits pour ceux de quelqu’un d’autre. Monsieur Thibault a répondu par la négative lorsqu’on lui a précisément demandé s’il croyait que les produits de Richards et de Distrimedic étaient liés.

 

[308]       Quant à Mme Glaude, son témoignage est loin d’être satisfaisant en raison du fait qu’il reposait en large partie sur du ouï‑dire et du double ouï‑dire. Ses explications n’étaient pas très précises et Richards n’avait conservé aucune trace des fausses déclarations alléguées avant l’introduction du présent procès. Si, en tout état de cause, de la confusion a été créée dans l’esprit des pharmaciens lorsque Distrimedic est entré sur le marché, cette confusion a été rapidement dissipée par suite de l’avis que Richards leur a envoyé pour s’assurer qu’ils sachent que le nouveau concurrent sur le marché n’était pas Dispill ni autorisé par Dispill; interrogée au sujet de l’efficacité de cet avis, Mme Glaude a répondu qu’elle croyait qu’il avait été efficace.

 

[309]       Comme elle n’avait pas démontré qu’il y avait effectivement eu confusion, Richards devait démontrer l’existence d’un risque de confusion. Or, elle n’a pas fait cette preuve.

 

[310]       Comme je l’ai déjà mentionné, les clients qui achètent des pellicules de scellement arborant le code de couleurs de Dispill sont les pharmaciens et, indirectement, les administrateurs de centres d’hébergement et de soins de longue durée. Suivant les arguments des parties, les pellicules de scellement sont rarement, voire jamais, individuellement vendues à des patients. Normalement, les pharmaciens les vendent directement aux centres d’hébergement et de soins de longue durée qui, à leur tour, distribuent les médicaments aux patients. Souvent, le patient n’a jamais vu le code de couleurs en question étant donné que les infirmiers ou les membres du personnel préparent les doses individuelles hors de la vue des patients. Les pharmaciens et les autres professionnels de la santé sont moins susceptibles que les autres clients de confondre les produits qu’ils ont l’obligation professionnelle d’utiliser avec attention, de sorte qu’il est encore plus difficile de démontrer qu’il y a eu confusion que dans le cas de produits de consommation de masse.

 

[311]       De plus, un pharmacien ne décide pas à la hâte d’adopter une marque de pilulier, étant donné que le changement ou l’ajout de marques implique de nombreux changements dans l’organisation et qu’elle a des incidences sur les centres d’hébergement et de soins de longue durée clients. Opter pour un nouveau fournisseur de piluliers comporte de nombreuses étapes : ainsi, il faut commander et payer les produits en appelant un autre numéro de téléphone ou en écrivant à une adresse différente, en plus de devoir communiquer avec l’entreprise de logiciels de la pharmacie et de devoir payer pour faire installer le logiciel de Dispill ou de Distrimedic dans l’ordinateur de la pharmacie, de devoir former le personnel à l’utilisation d’un nouveau système de piluliers, et de devoir éventuellement réorganiser les postes de travail pour s’adapter au nouveau système et aux nouveaux accessoires et informer les clients des changements ou des ajouts apportés aux produits existants. Suivant M. Thibault, un pharmacien peut prendre entre quelques jours et plusieurs mois avant de décider de changer de distributeur après qu’on lui a présenté un nouveau pilulier. De plus, il est admis que les professionnels de la santé ne sont nullement influencés par la forme ou la couleur des produits de santé lorsqu’ils choisissent un produit de préférence à un autre (Apotex Inc, CF 2010, précité, au paragraphe 33). Pour tous ces motifs, il est peu probable que les pharmaciens confondent les piluliers de Dispill avec ceux de Distrimedic en croyant à tort qu’ils proviennent de la même source ou encore que le produit d’un fournisseur est approuvé par le fournisseur de l’autre société.

 

[312]       Il en va de même pour les centres d’hébergement et de soins de longue durée et leurs administrateurs. Le choix et l’utilisation des piluliers dans les établissements en question sont contrôlés et analysés par des professionnels de la santé. À défaut de preuve contraire, il est difficile d’imaginer que de la confusion soit créée dans l’esprit de ces professionnels, qui sont chargés d’assurer le bon fonctionnement d’établissement de soins de santé, d’autant plus, que le nom commercial de Dispill ou de Distrimedic est clairement imprimé à l’endos de la pellicule de scellement.

 

[313]       Compte tenu de ce qui précède, et du fait qu’aucun cas concret de confusion n’a été mis en preuve par Richards, il est évident qu’aucun des défendeurs reconventionnels n’a appelé l’attention du public sur les marchandises, les services ou l’entreprise de Distrimedic de façon à causer ou à causer vraisemblablement de la confusion au Canada au sens de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. La prétention que Richards tire de cette disposition doit par conséquent être rejetée, étant donné que Richards n’a démontré l’existence d’aucun des éléments nécessaires pour obtenir gain de cause dans une action en imitation frauduleuse, c’est‑à‑dire, l’existence d’une marque de commerce jouissant d’une réputation, une fausse déclaration créant ou susceptible de créer de la confusion, et des dommages découlant de cette fausse déclaration et de cette confusion. Permettre à Richards d’obtenir gain de cause sur sa réclamation pour imitation frauduleuse irait non seulement à l’encontre de la législation sur les marques de commerce, mais nuirait à la saine concurrence sur le marché canadien.

 

            d) Droit d’auteur

[314]       Les questions soulevées par le protonotaire Morneau en rapport avec le moyen tiré par Richards du droit d’auteur étaient les suivantes : existe‑t‑il un droit d’auteur sur les « feuilles d’étiquettes de Dispill »; peut‑on affirmer que Richards est le titulaire d’un tel droit d’auteur et, dans l’affirmative, Distrimedic a‑t‑il violé le droit d’auteur détenu par Richards sur les feuilles d’étiquettes de Dispill?

 

            i.          Principes juridiques applicables en matière de protection conférée par le droit d’auteur

[315]       Au Canada, c’est la loi qui crée le droit d’auteur. La Loi sur le droit d’auteur vise un double objectif : d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur. Pour interpréter la Loi, les tribunaux doivent chercher à atteindre un juste équilibre entre ces objectifs (Théberge c Galerie d’Art du Petit Champlain Inc, [2002] 2 RCS 336, 2002 CSC 34, aux paragraphes 30 et 31).

 

[316]       Il est de jurisprudence constante au Canada que le droit d’auteur ne protège pas une idée, mais seulement l’expression de cette idée (CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 RCS 339, au paragraphe 8 [CCH]; Moreau c St Vincent, [1950] R.C. de l’Éch. 198, 12 CPR 32, au paragraphe 11 [Moreau]; Tri‑Tex Co v Ghaly et al, [1999] QJ no 4123 (QL) aux paragraphes 38 et 39 (C.A. Québec), comme le démontrent bien les mots introductifs du paragraphe 5(1) de la Loi sur le droit d’auteur :

5. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le droit d’auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci‑après, sur toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale (…)

 

5. (1) Subject to this Act, copyright shall subsist in Canada, for the term hereinafter mentioned, in every original literary, dramatic, musical and artistic work (…)

 

[317]       Voici comment la Loi sur le droit d’auteur définit les œuvres en question :

2. « toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale » S’entend de toute production originale du domaine littéraire, scientifique ou artistique quels qu’en soient le mode ou la forme d’expression, tels les compilations, livres, brochures et autres écrits, les conférences, les œuvres dramatiques ou dramatico‑musicales, les œuvres musicales, les traductions, les illustrations, les croquis et les ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture ou aux sciences.

 

2. “every original literary, dramatic, musical and artistic work” includes every original production in the literary, scientific or artistic domain, whatever may be the mode or form of its expression, such as compilations, books, pamphlets and other writings, lectures, dramatic or dramatico‑musical works, musical works, translations, illustrations, sketches and plastic works relative to geography, topography, architecture or science;

 

[318]       Puisque le droit d’auteur ne protège que l’expression des idées, l’œuvre doit être fixée sous une forme matérielle pour bénéficier de cette protection (CCH, précité, au paragraphe 8; Goldner c Société Radio‑Canada (1972), 7 CPR (2d) 158 (C.F. 1re inst.). Les idées et les théories font partie du domaine public dès qu’elles sont révélées, et ce, peu importe leur valeur. John S. Mckeown explique ce qui suit dans son ouvrage Fox‑ Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4e éd, vol. 1 (Toronto, Carswell, 2004), à la page 4‑3 :

[traduction]

Il n’est pas nécessaire que l’idée à l’origine d’une œuvre soit originale, et une idée nouvelle ne peut faire l’objet de la protection du droit d’auteur, contrairement à la forme d’expression de cette idée. Le droit d’auteur ne vaut que pour la forme sous laquelle les idées sont exprimées. Les idées font partie du domaine public tandis que l’œuvre appartient à son auteur.

[…]

Dans le même ordre d’idées, la protection du droit d’auteur ne s’applique pas aux théories, aux systèmes ou aux méthodes, même s’ils sont originaux, mais elle se limite à leur expression; le droit d’auteur ne protège pas non plus le moyen utilisé pour communiquer des renseignements, à moins que ce moyen soit lui‑même original. Si bon et valable qu’il soit, une idée, un projet, une théorie ou un système devient propriété publique dès qu’il est divulgué au public, du moins en ce qui concerne le droit d’auteur.

 

[319]       Enfin, suivant un des principes incontestables et bien connus en matière de droit d’auteur, une œuvre doit être originale pour bénéficier de la protection du droit d’auteur. Voici comment la Cour suprême définit l’« originalité » dans l’arrêt CCH, précité, au paragraphe 16 :

Pour être « originale » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, une œuvre doit être davantage qu’une copie d’une autre œuvre. Point n’est besoin toutefois qu’elle soit créative, c’est‑à‑dire novatrice ou unique. L’élément essentiel à la protection de l’expression d’une idée par le droit d’auteur est l’exercice du talent et du jugement. J’entends par talent le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. J’entends par jugement la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre. Cet exercice du talent et du jugement implique nécessairement un effort intellectuel. L’exercice du talent et du jugement que requiert la production de l’œuvre ne doit pas être négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique […]

 

 

[320]       Pour en arriver à cette conclusion, la Cour a tenté de trouver un juste milieu entre les deux conceptions qui avaient jusqu’alors cours en ce qui concerne le sens du mot « original » en matière de droit d’auteur. Suivant certains, l’auteur mérite que l’on reconnaisse les efforts qu’il a déployés pour produire une œuvre dès lors qu’il ne s’agit pas d’une simple copie d’une autre œuvre. D’autres favorisent une conception plus restrictive en exigeant que l’œuvre soit créative pour pouvoir être considérée comme originale. La Cour a décidé d’opter pour une solution se situant entre ces deux extrêmes. En d’autres termes, il ne suffit pas, comme le suggère la demanderesse reconventionnelle, de démontrer l’effort et le labeur pour conférer un droit d’auteur à une œuvre : voir, par exemple, le jugement U & R Tax Services Ltd c H & R Block Canada Inc, (1995), 62 CPR (3d) 257 (CFPI) [U&R Tax Services Ltd]. En revanche, on ne doit pas appliquer un critère exigeant au point d’exclure toute œuvre qui n’est pas créative, c’est‑à‑dire nouvelle ou unique. En définitive, ce qui est exigé, ce n’est pas la créativité comme telle, mais à tout le moins un certain effort intellectuel. Pour qu’il y ait droit d’auteur, l’expression d’une idée doit découler de l’exercice du talent et du jugement (CCH, précité, au paragraphe 18).

 

[321]       Les compilations et les formules doivent par conséquent être assujetties au même critère minimal d’originalité que toute autre œuvre. Selon l’arrêt CCH, le mot « compilation » est une forme d’expression consistant à présenter, sous une forme différente, des éléments qui existent déjà. Ce ne sont pas les divers éléments qui sont visés par le droit d’auteur, mais bien leur agencement global, qui est le fruit du travail de la personne qui les a agencés (CCH, précité, au paragraphe 33).

 

[322]       Dans l’affaire CCH, les éditeurs demandeurs revendiquaient un droit d’auteur sur les sommaires, les résumés jurisprudentiels, les index analytiques et les compilations de décisions judiciaires publiées. La Cour suprême a conclu que les sommaires, les résumés jurisprudentiels et l’index analytique étaient des œuvres originales protégées par le droit d’auteur au motif qu’il avait fallu exercer du talent et du jugement pour les créer. Quant aux décisions publiées, elles ont été considérées comme une compilation sommaire et des motifs judiciaires révisés et la protection du droit d’auteur leur a été reconnue. Toutefois, la Cour suprême a conclu que les éditeurs ne pouvaient revendiquer un droit d’auteur sur les motifs de la décision en eux‑mêmes, sans les sommaires, étant donné que l’ajout dans les décisions judiciaires de données factuelles comme la date du jugement, le nom de la Cour et des juges qui avaient entendu l’affaire, le nom des avocats des parties, les décisions, lois, règlements et règles cités, ainsi que les références parallèles étaient trop banales pour justifier la protection du droit d’auteur puisqu’ils ne nécessitaient pas l’exercice du talent et du jugement.

 

[323]       Il s’ensuit que l’arrangement de données factuelles d’une façon non originale n’était pas suffisant pour conférer un droit d’auteur (Télé‑Direct (Publications) Inc c American Business Information Inc (1997), 76 CPR (3rd) 296 (CAF), demande d’autorisation d’appel refusée, [1997] CSCR no 660). De plus, lorsqu’une idée ne peut être exprimée que selon un nombre limité de façons, l’expression de cette idée n’est pas protégée, étant donné que le fait de lui reconnaître la protection du droit d’auteur conférerait un monopole sur l’idée elle‑même. En pareil cas, le critère de l’originalité n’est pas respecté et il n’y a donc pas protection et l’idée en question ne pourrait bénéficier de la protection du droit d’auteur (Delrina Corp c Triolet Systems Inc (2002), 17 CPR (4th) 289, aux paragraphes 48 à 52 (CA Ont), demande d’autorisation d’appel refusée, (2002), 305 NR 398).

 

[324]       De même, lorsque le contenu et la présentation d’une formule sont largement tributaires de son utilité et/ou des exigences de la loi, elle ne peut être considérée comme une œuvre originale. On trouve une bonne illustration de ce principe dans l’affaire Bonnette c Entreprise Dominion Blue Line Inc, 2005 QCCA 342 (CanLII) [Bonnette]. Dans cette affaire, Bonnette poursuivait un concurrent pour violation de son droit d’auteur sur des livres et relevés de paye. La Cour d’appel a rappelé le principe fondamental suivant lequel l’idée de réunir dans un même ouvrage les renseignements exigés par la loi n’était pas susceptible de protection en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, étant donné qu’il s’agissait de l’expression d’une idée qui est protégée, et non de l’idée elle‑même. La seule question qu’il restait à trancher était celle de savoir si les livres de paye révélaient une expression originale de l’idée de colliger les données exigées par la loi dans un seul registre. La Cour a conclu que ce n’était pas le cas, étant donné qu’il n’existait qu’une seule façon de calculer le revenu net d’un employé et que la disposition des données sous forme de tableaux n’était pas protégée par le droit d’auteur, puisqu’elle constituait une méthode de travail. En revanche, la Cour d’appel a admis que l’aspect général des relevés de paye n’était pas dépourvu d’originalité, car l’auteur disposait de davantage d’options pour faire preuve d’une certaine originalité dans la disposition des renseignements dans le document et que cette disposition n’était pas dictée uniquement par l’utilité, comme c’était le cas pour les livres de paye.

 

[325]       En conclusion, je suis d’accord avec les défendeurs reconventionnels pour dire que les formules et les autres œuvres résultant d’une compilation d’éléments ne sont pas considérées comme possédant un degré suffisant d’originalité lorsque la sélection des éléments faisant partie de l’œuvre est dictée par la fonction et/ou par les exigences de la loi et que leur disposition en une forme concrète d’expression n’est pas originale. Seul l’aspect visuel de l’œuvre est susceptible d’être protégé par le droit d’auteur s’il est original.

 

ii.         Les feuilles d’étiquettes de Dispill sont‑elles susceptibles de faire l’objet d’un droit d’auteur?

[326]       Il y a eu une certaine confusion au sujet de l’élément du logiciel employé en liaison avec le produit de Richards que l’on prétend effectivement protégé par le droit d’auteur. Bien qu’il soit incontestable que la présente affaire ne porte pas sur la contrefaçon d’un logiciel, il est beaucoup plus incertain de savoir ce que Richards veut dire lorsqu’elle parle des feuilles d’étiquettes de Dispill.

 

[327]       Il semble que, envisagée sous l’angle le plus large, la prétention de Richards est que l’aspect de la « feuille d’étiquettes de Dispill » qui devrait être protégé par le droit d’auteur concerne le choix et l’utilisation des renseignements à imprimer sur la pellicule de scellement et à insérer dans les cellules des colonnes de la pellicule de scellement (Mémoire des défendeurs et demandeurs reconventionnels déposé lors de la conférence préparatoire, aux paragraphes 18 et 19; observations écrites présentées au procès, au paragraphe 314). Une conception aussi large de la feuille d’étiquettes de Dispill ne pourrait évidemment pas donner lieu à un droit d’auteur. Comme je l’ai déjà souligné, le droit d’auteur ne protège pas les idées, les théories, les méthodes de travail ou les choix abstraits, mais uniquement leur expression originale. Par conséquent, la sélection des renseignements ou des champs de renseignements ne constitue pas une « œuvre » susceptible d’être protégée par le droit d’auteur. À mon avis, cette conclusion s’impose d’emblée et il n’est pas nécessaire d’analyser davantage cette version de la prétention de Richards. On nuirait à la concurrence et on ne respecterait pas les principes applicables en matière de droit d’auteur si l’on permettait à Richards de monopoliser le commerce d’impression de renseignements de base sur les patients et les ordonnances sur la pellicule de scellement du pilulier, comme M. Glynn semblait parfois le prétendre lors de son contre‑interrogatoire et de l’interrogatoire préalable.

 

[328]       En dépit de l’ambiguïté que comportaient les plaidoiries et les actes de procédure de Richards, je suis prêt à reconnaître que par « feuille d’étiquettes de Dispill », Richards renvoie en fait à une série d’écrans de saisie figurant dans un logiciel programmé en langage DOS qui était utilisé durant les années 1990 et dont des instantanés sont reproduits au paragraphe 145 des présents motifs. Dans sa défense et demande reconventionnelle modifiée trois fois (au paragraphe 30), Richards définit la feuille d’étiquettes de Dispill comme étant [traduction] « […] un formulaire informatique sur lequel on inscrit les renseignements relatifs à un patient, avant de les imprimer sur une pellicule de scellement permanente ou refermable » et la qualifie d’« œuvre littéraire » (voir également au paragraphe 312 des observations écrites de Richards). Par conséquent, il semble que les éléments sur lesquels on revendique la protection du droit d’auteur consistent en la configuration, l’apparence ou l’aspect esthétique des écrans de saisie, ainsi qu’en la disposition de l’information choisie.

 

[329]       Bien que Distrimedic n’ait vraisemblablement jamais utilisé le programme DOS de Dispill, puisque son usage a été abandonné avant que Distrimedic Inc. soit constituée en personne morale, Richards soutient qu’il existe toujours dans la version Windows du logiciel pharmaceutique Mentor et ses écrans de saisie, lesquels sont reproduits au paragraphe 147 des présents motifs. Richards semble, en conséquence, aussi revendiquer le droit d’auteur sur ces écrans de saisie de Windows. Cette allégation de Richards est appuyée par l’affidavit et le témoignage de M. Abdelrahman, selon qui les renseignements figurant sur la feuille d’étiquettes du programme DOS de Richards le programme Windows Mentor sont nécessaires pour permettre l’impression de feuilles d’étiquettes.

 

[330]       Bien que le rapport et le témoignage de M. Abdelrahman aient aidé la cour à se familiariser avec les deux générations de systèmes d’exploitation utilisés pour imprimer les étiquettes de Dispill, son témoignage est peu pertinent en ce qui concerne les questions auxquelles la Cour doit répondre, notamment celle consistant à déterminer si un aspect de l’application de Distrimedic figurant dans les versions actuelles du logiciel utilisé par des pharmaciens avec le produit de Distrimedic constitue une violation du droit d’auteur que Richards revendique sur la feuille d’étiquettes de Dispill. Monsieur Abdelrahman ne doit pas être blâmé quant à la pertinence de ses déclarations, compte tenu du mandat que Richards lui a donné.

 

[331]       Les parties ne remettent pas en question le fait qu’une feuille puisse figurer sur un autre support que le papier et qu’un écran de logiciel (qui, dans tous les cas, peut être imprimé) puisse être défini comme une « œuvre » au sens de la Loi sur le droit d’auteur et par conséquent être protégé en vertu de celle‑ci. De même, les défendeurs reconventionnels ne contestent pas le fait que la feuille d’étiquettes du programme DOS de Dispill constitue une œuvre littéraire.

 

[332]       Il y a toutefois deux problèmes qui empêchent de reconnaître le droit d’auteur sur la feuille d’étiquettes de Dispill. Premièrement, le choix des renseignements sur la feuille d’étiquettes du programme DOS de Dispill comporte un très faible degré d’originalité, étant donné que ce choix est essentiellement imposé par la législation provinciale sur l’étiquetage des médicaments d’ordonnance, tant au Québec qu’en Ontario, où les produits des parties sont surtout vendus. Au Québec, les exigences légales à respecter en ce qui concerne les renseignements devant figurer sur l’étiquette identifiant un médicament d’ordonnance sont énoncées à l’article 2.01 du Règlement sur l’étiquetage des médicaments et des poisons, RRQ 1981, c P‑10, r 15. Aux termes de l’article 2.01 de ce règlement, tout pharmacien doit inscrire sur l’étiquette identifiant un médicament d’ordonnance le nom du patient, le médicament prescrit (y compris, le cas échéant, la date du service et numéro de l’ordonnance, le nom commun ou commercial, la quantité et concentration du médicament, la posologie, le mode d’administration du médicament, le mode particulier de conservation du médicament, le renouvellement autorisé, les précautions particulières et la date de péremption du médicament), le nom du prescripteur, ainsi que le nom, adresse et numéro de téléphone du pharmacien.

 

[333]       Comme la demanderesse reconventionnelle l’a signalé, on ne fait effectivement pas référence dans le règlement à certaines données inscrites sur la feuille d’étiquettes du programme DOS de Dispill ‑ l’heure et le numéro d’identification ou le type de médicament, par exemple ‑ qui sont affichés sur l’écran de gestion des médicaments, de même que le lieu de résidence du patient, le nombre de jours d’administration et le numéro de dossier, qui figurent sur l’écran d’impression d’étiquettes. La plupart de ces données ne se rapportent cependant qu’à des piluliers et des patients vivant dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée et ne jouent donc essentiellement qu’un rôle utilitaire.

 

[334]       L’arrêt Bonnette c Entreprise Dominion Blueline Inc, précité, de la Cour d’appel du Québec est fort intéressant à cet égard. La Cour a tenu compte du fait que l’auteur avait laissé des espaces dans le document pour permettre l’ajout de certains renseignements complémentaires, tels que des renseignements concernant l’emploi antérieur de l’intéressé, la mention du syndicat auquel il était affilié, sa situation familiale, etc. La Cour a reconnu qu’il y avait eu un exercice de jugement, mais a estimé que le jugement exercé n’était pas suffisant pour conférer à l’ensemble du document le degré d’originalité requis, étant donné que les éléments avaient été intégrés au document de façon logique et que les façons dont les renseignements pouvaient être présentés étaient limitées :

Il paraît clair que la majorité des données inscrites dans les tableaux relatifs aux gains et déductions des employés n’ont pas été sélectionnées grâce au jugement et au talent de l’auteur, mais simplement parce qu’elles constituent des données qu’un employeur a l’obligation légale de conserver. Au surplus, le choix des données ou éléments inscrits découle de l’objectif à atteindre, celui‑ci étant de conserver les données relatives au calcul du revenu net des employés, il résulte que les éléments inscrits dans les tableaux sont nécessairement l’ensemble des gains et déductions susceptibles d’entrer dans ce calcul. Cette portion de la conception des livres de paye n’a pas nécessité que l’auteur fasse appel à des connaissances ou à une compétence particulières ni qu’il utilise son discernement afin de parvenir au résultat exprimé.

 

(Bonnette, précité, au paragraphe 34)

 

[335]       Dans le même ordre d’idées, on ne peut pas dire que M. Bouthiette, l’auteur de la feuille d’étiquettes du programme DOS de Dispill, a fait preuve de beaucoup d’originalité dans la sélection des renseignements devant y être inscrits. On ne saurait non plus sérieusement prétendre que cette feuille d’étiquettes est susceptible d’être protégée par le droit d’auteur à cause de l’originalité de sa présentation, de son aspect ou de ses qualités esthétiques. Aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer que la conception de l’interface utilisateur sur la feuille d’étiquettes du programme DOS de Dispill différait sensiblement de l’interface DOS qui était couramment utilisée durant les années pertinentes.

 

[336]       En résumé, il m’est impossible de donner gain de cause à la demanderesse reconventionnelle. Le droit d’auteur protège l’originalité de la forme ou de l’expression. Comme la Cour suprême nous l’enseigne dans l’arrêt CCH :

[L’originalité] doit […] être le produit de l’exercice du talent et du jugement d’un auteur. Cet exercice ne doit pas être négligeable au point qu’on puisse le qualifier d’entreprise purement mécanique…

 

(CCH, précité, au paragraphe 25).

 

[337]       En l’espèce, on ne m’a pas convaincu que la sélection des renseignements et leur disposition sur la feuille d’étiquettes du programme DOS de Dispill exigeaient de son auteur le type de talent et de jugement qui mérite la protection du droit d’auteur. Il se peut, comme les avocats de Richards l’ont laissé entendre, que Dispill ait été la première personne à créer une méthode permettant de générer les renseignements du patient à imprimer sur chaque cellule du pilulier. Cette méthode n’est toutefois pas susceptible d’être protégée par le droit d’auteur parce qu’elle reviendrait à créer un monopole sur une idée ou une méthode, ce que la loi ne permet pas.

 

[338]       La demanderesse reconventionnelle allègue que le programme DOS initial breveté par Dispill existe toujours dans sa version Windows. En fait, il semble soutenir que l’information imprimée grâce au programme DOS qui contient la feuille DOS est similaire à celle imprimée au moyen du programme Windows qui comporte une feuille Windows. Richards sous‑entend ainsi qu’elle est titulaire du droit d’auteur visant la feuille Windows parce qu’elle détiendrait celui rattaché à la feuille DOS.

 

[339]       Le programme Windows doit incontestablement disposer des données inscrites sur la feuille du programme DOS pour imprimer des feuilles d’étiquettes de Dispill ou de Distrimedic, comme M. Abdelrahman le mentionne dans son rapport (au paragraphe 11). Après tout, deux logiciels peuvent jouer le même rôle et permettre d’imprimer la même feuille après l’extraction des mêmes renseignements depuis une base de données, ce qui ne permet certainement pas de dire qu’un programme constitue une copie de l’autre ou, plus particulièrement, que la feuille d’étiquettes du programme DOS de Dispill représente un équivalent de la version Windows du logiciel Mentor.

 

[340]       Il faut souligner que les premier et deuxième écrans du logiciel pharmaceutique Mentor (dont des instantanés sont reproduits au paragraphe 147 des présents motifs) ne se rapportent pas uniquement à la fonction du programme permettant à un utilisateur d’imprimer des renseignements sur la pellicule de scellement de Dispill. En fait, ces écrans font partie du logiciel pharmaceutique Mentor et ils n’ont aucun lien avec cette fonction du logiciel. Seul le troisième écran de saisie est propre au logiciel de Dispill et Richards pourrait vraisemblablement en revendiquer le droit d’auteur.

 

[341]       Il est également intéressant de signaler que parmi les quinze champs de la feuille DOS, seuls trois sont propres à la section du logiciel Mentor consacrée à Dispill, les douze autres semblant être rattachés à d’autres modules que la feuille Windows à imprimer au moyen du programme de Dispill (c.‑à‑d. les deux premiers instantanés d’écran) et se trouvant donc dans le logiciel Mentor pour d’autres raisons que celle d’imprimer sur les étiquettes de Dispill. Seulement deux éléments de la feuille DOS (date initiale de la feuille et nombre de jours) semblent figurer dans la section propre à Dispill du logiciel Windows Mentor (c.‑à‑d. le troisième instantané d’écran), ce qui signifie que ce que Richards présente comme une version Windows de la feuille DOS ne partage que deux éléments fondamentaux avec la feuille initiale.

 

[342]       Si la feuille d’étiquettes initiale du programme DOS de Dispill n’est pas une œuvre originale au sens de la Loi sur le droit d’auteur, parce que le choix des renseignements est pour l’essentiel imposé par la loi, l’utilité et la logique, il en va de même pour la section du logiciel Mentor, dans sa version Windows, consacrée à Dispill. Les renseignements propres à Dispill sont minimes et le troisième écran de la feuille Windows n’offre pas un plus grand degré d’originalité en ce qui concerne la présentation ou les qualités esthétiques. L’écran se résume à une liste de champs à imprimer pour les renseignements qui sont imposés par la loi ou par la logique et qui sont exprimés d’une manière non originale, et aucun élément de preuve n’a été présenté pour laisser entendre que cet écran était le produit de l’exercice du talent et du jugement de l’auteur. Je conclus par conséquent que ni la version DOS ni la version Windows de la feuille d’étiquettes de Dispill ne peuvent être protégées par le droit d’auteur en vertu de la Loi sur le droit d’auteur.

 

iii.        Richards est‑elle titulaire d’un droit d’auteur sur la feuille d’étiquettes de Dispill?

[343]       Les défendeurs reconventionnels contestent également la qualité de Richards pour les poursuivre pour violation du droit d’auteur, en faisant valoir que, même si la version DOS ou la version WINDOWS sont protégées par le droit d’auteur, Richards n’est pas titulaire d’un droit d’auteur sur l’une ou l’autre version. Richards rétorque que Bouthiette a cédé à Dispill son droit d’auteur sur la feuille d’étiquettes de Dispill, mentionnant la chaîne de titres suivante : a) l’entente concernant l’achat des actifs de M. Bouthiette par Dispill Inc. le 1er janvier 1998 (RCD no 68); b) le contrat d’achat d’actions daté du 29 juillet 2005 (confidentiel, RCD no 244 et RCD no 245); et c) l’entente de liquidation transférant la totalité des actifs d’une société à son actionnaire en date du 29 juillet 2005 (RCD no 135).

 

[344]       Je suis d’accord avec les défendeurs reconventionnels pour dire que, malgré la mention « DISPILL Copyright 1996 – Tous Droits Réservés » figurant à la première page du logiciel avec lequel la feuille d’étiquettes de Dispill a été imprimée (RCD no 149), le droit d’auteur allégué par Richards sur la feuille d’étiquettes de Dispill présente de nombreuses lacunes, si tant est que la feuille d’étiquettes en question puisse faire l’objet d’un droit d’auteur.

 

[345]       Le paragraphe 13(1) de la Loi sur le droit d’auteur prévoit que, sous réserve des autres dispositions de la Loi, l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre. Dans une instance dans laquelle le titre d’un demandeur est en litige, l’auteur est, selon le paragraphe 34.1(1), réputé être titulaire de ce droit d’auteur, jusqu’à preuve contraire :

13. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre.

13. (1) Subject to this Act, the author of a work shall be the first owner of the copyright therein.

 

Présomption de propriété

 

 

34.1 (1) Dans toute procédure civile engagée en vertu de la présente loi où le défendeur conteste l’existence du droit d’auteur ou la qualité du demandeur :

 

a) l’oeuvre, la prestation, l’enregistrement sonore ou le signal de communication, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, présumé être protégé par le droit d’auteur ;

 

 

b) l’auteur, l’artiste‑interprète, le producteur ou le radiodiffuseur, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, réputé être titulaire de ce droit d’auteur.

Presumptions respecting copyright and ownership

 

34.1 (1) In any civil

proceedings taken under this Act in which the defendant puts in issue either the existence of the copyright the title of the plaintiff to it,

 

(a) copyright shall be presumed, unless the contrary is proved, to subsist in the work, performer’s performance, sound recording or communication signal, as the case may be; and

 

(b) the author, performer, maker or broadcaster, as the case may be, shall, unless the contrary is proved, be presumed to be the owner of the copyright.

 

 

[346]       En l’espèce, Richards a reconnu qu’elle n’était pas l’auteur de la version DOS ou de la version Windows en question. Par conséquent, Richards avait l’obligation de démontrer qu’elle était maintenant la titulaire légitime du droit d’auteur allégué sur lesdites œuvres, en établissant l’existence d’une chaîne de titres valides la rattachant à l’auteur ou au premier titulaire du droit d’auteur. Or, Richards n’a pas fait cette preuve de façon satisfaisante.

 

[347]       En tout premier lieu, l’identité de l’auteur (ou des auteurs) de la version DOS n’a pas été établie. Il s’agit d’une première étape cruciale pour faire la preuve d’une chaîne de titres valide. Richards a identifié M. Bouthiette comme étant l’auteur de la version DOS. Messieurs Filiatrault et Poirier ont en revanche affirmé dans leur témoignage que c’était le neveu de M. Bouthiette, Francis Pelletier, qui avait programmé le logiciel DOS et qu’on avait obtenu une certaine rétroaction de la part des pharmaciens et des sociétés de logiciels quant au choix de champs du logiciel DOS et à son fonctionnement.

 

[348]       Richards aurait pu faire témoigner M. Bouthiette, étant donné qu’il est vivant et disponible, de l’aveu même de Mme Glaude. Néanmoins, Richards a choisi de ne pas le faire entendre comme témoin. Il est de jurisprudence constante qu’on peut tirer une conclusion défavorable si une partie ne présente pas un élément de preuve dont elle disposait et qui aurait pu permettre de résoudre la question en litige : voir Milliken & Co c Interface Flooring Systems (Canada) Inc (1998), 83 CPR (3d) 470, au paragraphe 26, conf. par (2000), 5 CPR (4th) 209. Aucune raison n’a été avancée pour expliquer pourquoi M. Bouthiette n’avait pas témoigné. Je tire donc une conclusion défavorable et conclus que M. Bouthiette n’est pas l’auteur de la partie de la version DOS pouvant faire l’objet d’un droit d’auteur ou du moins qu’il n’en est pas le seul auteur.

 

[349]       Par ailleurs, la preuve relative à la cession légitime du droit d’auteur à Richards présente des lacunes à au moins deux égards, et ce, même en supposant que M. Bouthiette ait été effectivement l’auteur de la version DOS. Suivant le paragraphe 13(4) et l’article 41.23 (anciennement le paragraphe 36(1)) de la Loi sur le droit d’auteur, Richards devait produire la série de cessions écrites que M. Bouthiette a signées en faveur de Richards. Or, elle ne l’a pas fait.

13. (4) Le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d’une façon générale ou avec des restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la concession n’est valable que si elle est rédigée et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet, ou par son agent dûment autorisé.

13. (4) The owner of the copyright in any work may assign the right, either wholly or partially, and either generally or subject to limitations relating to territory, medium or sector of the market or other limitations relating to the scope of the assignment, and either for the whole term of the copyright or for any other part thereof, and may grant any interest in the right by licence, but no assignment or grant is valid unless it is in writing signed by the owner of the right in respect of which the assignment or grant is made, or by the owner’s duly authorized agent.

 

41.23 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le titulaire d’un droit d’auteur ou quiconque possède un droit, un titre ou un intérêt acquis par cession ou concession consentie par écrit par le titulaire peut, individuellement pour son propre compte, en son propre nom comme partie à une procédure, soutenir et faire valoir les droits qu’il détient, et il peut exercer les recours prévus par la présente loi dans toute l’étendue de son droit, de son titre et de son intérêt.

 

Partie à la procédure

 

 

(2) Lorsqu’une procédure est engagée au titre du paragraphe (1) par une personne autre que le titulaire du droit d’auteur, ce dernier doit être constitué partie à cette procédure sauf :

 

a) dans le cas d’une procédure engagée en vertu des articles 44.1, 44.2 ou 44.4;

 

b) dans le cas d’une procédure interlocutoire, à moins que le tribunal estime qu’il est dans l’intérêt de la justice de constituer le titulaire du droit d’auteur partie à la procédure;

 

c) dans tous les autres cas où le tribunal estime que l’intérêt de la justice ne l’exige pas.

 

 

 

 

Frais

 

(3) Le titulaire du droit d’auteur visé au paragraphe (2) n’est pas tenu de payer les frais à moins d’avoir participé à la procédure.

 

Répartition des dommages‑intérêts

 

(4) Le tribunal peut, sous réserve de toute entente entre le demandeur et le titulaire du droit d’auteur visé au paragraphe (2), répartir entre eux, de la manière qu’il estime indiquée, les dommages‑intérêts et les profits visés au paragraphe 35(1).

41.23 (1) Subject to this section, the owner of any copyright, or any person or persons deriving any right, title or interest by assignment or grant in writing from the owner, may individually for himself or herself, as a party to the proceedings in his or her own name, protect and enforce any right that he or she holds, and, to the extent of that right, title and interest, is entitled to the remedies provided by this Act.

 

 

 

Copyright owner to be made party

 

(2) If proceedings under subsection (1) are taken by a person other than the copyright owner, the copyright owner shall be made a party to those proceedings, except

 

(a) in the case of proceedings taken under section 44.1, 44.2 or 44.4;

 

(b) in the case of interlocutory proceedings, unless the court is of the opinion that the interests of justice require the copyright owner to be a party; and

 

 

(c) in any other case in which the court is of the opinion that the interests of justice do not require the copyright owner to be a party.

 

 

Owner’s liability for costs

 

(3) A copyright owner who is made a party to proceedings under subsection (2) is not liable for any costs unless the copyright owner takes part in the proceedings.

 

Apportionment of damages, profits

 

(4) If a copyright owner is made a party to proceedings under subsection (2), the court, in awarding damages or profits, shall, subject to any agreement between the person who took the proceedings and the copyright owner, apportion the damages or profits referred to in subsection 35(1) between them as the court considers appropriate.

 

 

[350]       L’entente d’achat d’actifs par laquelle M. Bouthiette a vendu son entreprise à sa société Dispill Inc. le 1er janvier 1998 ne mentionne aucun droit d’auteur sur les feuilles d’étiquettes de Dispill (RCD no 68). Évidemment, lorsqu’elle interprète une cession ou une licence, la Cour doit examiner le contexte du contrat et l’intention des parties pour en déterminer la portée; elle doit toutefois s’assurer de ne pas donner une interprétation trop large à la cession ou à la licence, compte tenu de l’objectif clair de la législation sur le droit d’auteur de protéger les créateurs (voir Tamaro, Normand, The 2012 Annotated Copyright Act (Toronto, Thomson Carswell, 2012), à la page 419).

 

[351]       Dans le cas qui nous occupe, je ne crois pas que l’article premier de l’entente où il est stipulé que « [l]e vendeur vend à l’acquéreur, qui l’achète, son entreprise de vente d’un système de dispensateur de médicaments, connu sous le nom de DISPILL… » [souligné dans l’original], soit suffisamment explicite pour englober le droit d’auteur allégué sur les feuilles d’étiquettes de Dispill. Cela apparaît encore plus évident lorsqu’on lit la description qui est donnée de cette entreprise dans le même article, où est explicitement cité la section C de l’invention du brevet. Il ne semble donc pas que les parties à l’entente songeaient aux feuilles d’étiquettes de Dispill et au droit d’auteur sur celles‑ci lorsqu’elles ont signé l’entente, d’autant plus qu’elles ne les mentionnent pas malgré le fait que l’entente mentionne explicitement le brevet. Le fait que M. Bouthiette n’a pas cédé son droit d’auteur sur les feuilles d’étiquettes de Dispill à Dispill Inc. est également confirmé dans une certaine mesure par un autre document intitulé « DISPILL – Référence Interface – Dosette et Unidose Dispill ». Ce document, qui est daté du 31 mars 1998, contient un avis de droit d’auteur intitulé « Copyright Michel Bouthiette 1998 ».

 

[352]       Il vaut la peine de signaler que Richards affirme que la feuille d’étiquettes du programme DOS de Dispill a été créée par M. Bouthiette [traduction] « vers 1996 » (mémoire déposé lors de la conférence préparatoire, au paragraphe 17). À ce moment‑là, Dispill Inc. n’existait pas encore, étant donné qu’elle a été constituée en personne morale le 11 novembre 1997 (exposé conjoint des faits, au paragraphe 3). Par conséquent, Dispill Inc. ne pouvait avoir acquis de droit d’auteur sur les feuilles d’étiquettes de Dispill à moins que M. Bouthiette ne le lui ait cédé, et le fait que M. Bouthiette était un employé de Dispill Inc. ne tire pas à conséquence dans ce contexte.

 

[353]       Vu ce qui précède, je conclus, selon la prépondérance de la preuve, qu’aucune cession valide de droit d’auteur n’a eu lieu entre Bouthiette et Dispill Inc., de sorte que Dispill Inc. ne pouvait par la suite céder régulièrement à Richards le droit d’auteur allégué sur la feuille DOS.

 

[354]       Par conséquent, Richards est irrecevable à invoquer l’alinéa 5.1ee) de l’entente d’achat d’actifs du 29 juillet 2005 (RCD no 244) intervenue entre Richards Packaging Holdings Inc. et 9120‑0493 Québec Inc, Chantal Hebert, Étienne Bouthiette, Martin Bouthiette et Michel Bouthiette (collectivement appelés « les Bouthiette » ou « les garants ») aux termes de laquelle Richards Packaging Holdings Inc. a notamment acquis les actions appartenant aux vendeurs dans la société Dispill Inc. ainsi que tous ses droits de propriété intellectuelle. Même en tenant pour acquis que cette disposition précise aurait eu une portée suffisamment large pour englober tout droit d’auteur allégué sur les feuilles d’étiquettes de Dispill, M. Bouthiette et les autres vendeurs ne pouvaient transférer à la demanderesse reconventionnelle plus que ce qu’il leur appartenait dans la société Dispill Inc.

 

[355]       Enfin, ni M. Bouthiette ni l’un quelconque des employés de Richards n’est l’auteur de la feuille Windows. Richards n’a présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer que DLD avait cédé le droit d’auteur qu’elle détenait dans le logiciel Mentor ou la feuille Windows à Dispill Inc. ou à Richards. Richards ne peut donc prétendre être le titulaire de quelque droit d’auteur sur la feuille Windows.

 

            iv.        Les défendeurs reconventionnels ont‑ils violé un droit d’auteur?

[356]       De 2005 à 2006, DLD a développé une application dans son logiciel Mentor pour permettre à des utilisateurs d’imprimer les renseignements requis sur la pellicule de scellement de Distrimedic en cliquant sur le bouton « Imprimer » du deuxième instantané d’écran de la feuille Windows (reproduite au paragraphe 152), puis sur l’icône de Distrimedic affiché dans un menu contextuel, juste sous l’option « Dispill Laser ». Selon Richards, le développement de cette application par DLD et son utilisation par des pharmaciens dans le logiciel Mentor pour imprimer des renseignements sur la pellicule de Distrimedic constituent une violation de son droit d’auteur, laquelle a été autorisée par les défendeurs reconventionnels.

 

[357]       Voici comment la Loi sur le droit d’auteur définit la violation :

27. (1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir.

 

27. (1) It is an infringement of copyright for any person to do, without the consent of the owner of the copyright, anything that by this Act only the owner of the copyright has the right to do.

 

[358]       Dans le cas d’une œuvre, les droits exclusifs du titulaire du droit d’auteur sont énumérés à l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur :

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante

 

[…]

 

est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes. …

 

3. (1) For the purposes of this Act, “copyright”, in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof,

 

[..]

 

and to authorize any such acts.

 

[359]       L’auteur de la violation alléguée doit par conséquent avoir reproduit la totalité ou une partie importante de l’œuvre elle‑même ou avoir autorisé un tiers à faire cette reproduction, pour pouvoir être tenu responsable de violation par « reproduction ».

 

[360]       La question de savoir ce qui constitue une partie « importante » d’une œuvre originale est une question de fait; tout dépend de la qualité des parties plagiées sur l’original plutôt que de leur quantité. Dans le jugement U&R Tax Services Ltd, précité, à la page 268, notre Cour a énuméré certains des facteurs dont on doit tenir compte pour déterminer si les parties d’une œuvre qui a été plagiée étaient « importantes » :

a)        la qualité et la quantité des parties plagiées;

b)       la gravité de l’atteinte que l’utilisation du défendeur a portée aux activités du demandeur et la mesure dans laquelle la valeur du droit d’auteur s’en trouve diminuée;

c)        la question de savoir si le document plagié est protégé à bon droit par un droit d’auteur;

d)       la question de savoir si le défendeur s’est intentionnellement emparé de l’œuvre du demandeur pour épargner du temps et des efforts;

e)        la question de savoir si le défendeur utilise le document plagié d’une façon identique ou similaire au demandeur.

 

[361]       Dans le cas des œuvres renfermant des éléments non protégés par le droit d’auteur, on doit tenir compte uniquement des similitudes avec les éléments protégés par le droit d’auteur, car il n’y a pas violation du droit d’auteur lorsqu’on plagie des idées, des concepts ou des systèmes (Moreau, précité, aux paragraphes 14 et 15). Dans le même ordre d’idées, les similitudes qui existent entre deux œuvres ne permettent pas de conclure à la violation si ces similitudes font partie du domaine public (Philip Morris Products S.A. c Marlboro Canada Ltd, 2010 CF 1099, au paragraphe 320, conf. sur les questions de droit d’auteur par 2012 CAF 201 [Philip Morris Products S.A]). Il faut également démontrer que l’auteur de la violation alléguée a eu accès à l’œuvre; si la seconde œuvre a été créée de façon indépendante, il n’y aura pas violation du droit d’auteur (U&R Tax Services Ltd, précité, à la page 268; Philip Morris Products S.A., précité, au paragraphe 320). Enfin, pour l’application de la législation sur le droit d’auteur, le verbe « autoriser » doit être interprété restrictivement au sens de « sanctionner, appuyer ou soutenir ». Par conséquent, les tribunaux présument que celui qui autorise une activité « ne l’autorise que dans les limites de la légalité » (CCH, précité, aux paragraphes 37, 38 et 43).

 

[362]       Même si la Cour devait conclure qu’il existe un droit d’auteur dans une ou plusieurs des versions des feuilles d’étiquettes de Dispill et que Richards était titulaire de ce droit d’auteur, rien ne permet de penser que les défendeurs reconventionnels ont illégalement reproduit l’une ou l’autre de ces versions ou qu’ils ont autorisé quelqu’un d’autre à faire cette reproduction.

 

[363]       Les avocats de la demanderesse reconventionnelle ont fait valoir que, lorsque Distrimedic a lancé son produit, vers la fin de 2005, elle n’avait pas encore conclu d’entente avec DLD pour imprimer les étiquettes de Distrimedic (entente qui a par la suite été signée le 6 septembre 2006) de sorte qu’[traduction] « il semble que le logiciel DLD prévoyait que les étiquettes de Distrimedic devaient être imprimées à l’aide de l’imprimante au laser de Dispill » du moins au cours de cette période. Il s’agit toutefois de pures conjectures. Il semble que Dispill ne vendait initialement qu’une étiquette de 8,5 po sur 10 po, mais qu’elle ait vendu par la suite également une étiquette de 8,5 po sur 11 po (exposé conjoint des faits, au paragraphe 38), tandis que Distrimedic n’a vendu que le format A4 (8,5 po sur 11) pendant la période pertinente. Même si les feuilles de Distrimedic qui ont été vendues au cours de cette période étaient de la même taille que celles de Dispill, M. Abdelrahman a affirmé qu’elles devaient être exactement identiques pour qu’on puisse les imprimer correctement à l’aide du module de Dispill. Il a également affirmé qu’il ne pouvait confirmer si le module du programme qui s’exécute lorsque l’option de Dispill est sélectionnée avait été également utilisé pour le module de Distrimedic, étant donné qu’il n’avait pas examiné les codes sources de la feuille Windows et du module de Distrimedic. Enfin, Richards n’a présenté aucun élément de preuve pour établir ce qui se produisait si quelqu’un choisissait l’option de Distrimedic dans le menu d’impression du logiciel Mentor.

 

[364]       Suivant la preuve, la feuille DOS a été abandonnée longtemps avant que Distrimedic ne soit constituée en personne morale et qu’elle ne fasse son entrée sur le marché. Par conséquent, Distrimedic ne saurait prétendre avoir utilisé, reproduit ou autorisé la reproduction de la feuille DOS. Même si certains éléments de la feuille DOS se sont retrouvés dans le module de Distrimedic, ces éléments ne constituaient pas une partie importante de la feuille DOS et ne constituaient pas l’expression de l’œuvre originale ou littéraire de l’auteur, comme nous l’avons déjà expliqué. Quant à la feuille Windows elle‑même, Richards n’était titulaire d’aucun droit d’auteur sur elle. Par conséquent, la programmation, vraisemblablement par des employés de DLD, d’une application Distrimedic dans le logiciel Mentor (qui, comme on pouvait s’y attendre, utilise la même interface que la feuille Windows et s’affiche de la même manière avant l’impression) ne peut être considérée comme une violation du droit d’auteur allégué par Richards.

 

[365]       Richards n’a présenté aucune preuve concrète que Distrimedic a autorisé quiconque à reproduire une partie de la feuille DOS ou Windows ou à produire une quelconque violation du matériel que Richards prétend être visé par le droit d’auteur. C’est uniquement parce que certains champs doivent être remplis en vertu de la loi ou que les renseignements qu’ils contiennent doivent manifestement être imprimés sur un pilulier que Distrimedic a demandé à DLD de développer le module qui la concerne et qui permet aux utilisateurs du logiciel Mentor d’imprimer sur la pellicule de scellement de Distrimedic. Même si les programmeurs du logiciel Windows avaient violé le droit d’auteur allégué par Richards, on ne saurait affirmer que les défendeurs reconventionnels ont autorisé la violation, étant donné qu’aucun d’eux ne surveillait suffisamment les activités de DLD pour « sanctionner, appuyer ou soutenir » la violation du droit d’auteur. Quoi qu’il en soit, il faut présumer qu’une personne autorisant une activité le fait uniquement dans la mesure où cette activité est conforme à la loi.

 

[366]       Pour tous les motifs qui ont été exposés, la demande de Richards concernant le droit d’auteur doit être rejetée, étant donné qu’elle n’est pas appuyée par la preuve et qu’elle ne trouve aucun appui dans les principes juridiques applicables.

 

VII.     CONCLUSION

[367]       Vu que j’ai conclu que les défendeurs reconventionnels n’ont contrefait aucun brevet ni violé aucun droit d’auteur de Richards, qu’ils n’ont pas fait de fausses déclarations en ce qui concerne leurs marchandises, leurs services ou leurs entreprises, ou fait passer leurs marchandises, services ou entreprises pour ceux de Richards ni ne les ont présentés comme y étant associés, la demande reconventionnelle de Richards doit être rejetée dans son intégralité. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de tirer de conclusions au sujet de la responsabilité.

 

[368]       Les défendeurs reconventionnels ont droit à leurs dépens. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur le montant des dépens dans les 30 jours du prononcé du présent jugement, elles peuvent soumettre leurs observations à la Cour. Les parties auront ensuite 15 jours pour soumettre leurs observations en réponse, si elles le souhaitent.


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande reconventionnelle dans son intégralité, le tout avec dépens. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur le montant des dépens dans les 30 jours du prononcé du présent jugement, elles peuvent soumettre leurs observations à la Cour. Les parties auront ensuite 15 jours pour soumettre leurs observations en réponse, si elles le souhaitent.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 

 


ANNEXE


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1591‑05

 

INTITULÉ :                                                  DISTRIMEDIC INC. c
DISIPLL INC. et
EMBALLAGES RICHARDS INC.

 

ET ENTRE :                                                 EMBALLAGES RICHARDS INC. c
DISTRIMEDIC INC., ROBERT POIRIER, CLAUDE FILIATRAULT, DISTRIMEDIC CANADA INC. et 9268‑2244 QUÉBEC INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                      25 au 28 mars 2013

                                                                        2 au 5 avril 2013

                                                                        8 au 12 avril 2013

                                                                        15 et 16 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 15 octobre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

George R. Locke

Madeleine Lamothe‑Samson

 

POUR LA DEMANDERESSE ET LES DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS

 

 

Dale E. Schlosser

Joanna Vatavu

 

POUR LES DÉFENDERESSES ET LA DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Norton Rose Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE ET LES DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS

 

McMillan LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES ET LA DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

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