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Date : 20130927

Dossier: IMM-12478-12

Référence : 2013 CF 990

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Annis 

 

ENTRE :

 

MUSTAFA SAHIN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], relative à la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rendue le 23 octobre 2012, concluant que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.


Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen turc d’ethnie kurde, né en 1979. Il a atteint l’âge de 19 ans en 1998 et normalement aurait dû commencer son service militaire obligatoire, mais a obtenu un sursis d’appel au service de trois ans pour terminer ses études. Pour ce faire, il a dû signer une entente selon laquelle il effectuerait son service après ses études. Il n’a pas soulevé son objection de conscience, craignant d’être pris pour un terroriste.

 

[3]               En 2000 la fin du sursis approchait, mais il croyait en la non-violence et ne voulait ni servir ni se battre contre son peuple. Son père l’a donc aidé à quitter la Turquie avec un visa étudiant et à rejoindre un frère aîné en Suisse. Il a fréquenté une école de langues, mais ceci ne pouvait pas être compté comme un cours universitaire pour fins de prorogation du sursis d’appel. Le sursis est expiré en 2001. Son passeport turc est expiré en 2006. Il a obtenu un diplôme en français en 2007. Il est ensuite resté en Suisse sans statut puisque c’était impossible pour lui de demander l’asile dans ce pays sans se faire expulser vers la Turquie.  En 2011, il a pris le passeport de son frère et s’est rendu au Canada. Il réclame l’asile en raison de sa nationalité, sa race, et le fait d’être un objecteur de conscience.

 

Décision contestée

[4]               Le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté du fait de sa race et de sa nationalité. Il n’existe pas de droit absolu ni partiel au statut d’objecteur de conscience et la crainte de poursuite pour insoumission au service militaire obligatoire ne constitue pas une crainte justifiée d’être victime de persécution au sens de la définition de réfugié. Le demandeur n’avait pas établi qu’il risquait d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie, ou à des traitements ou peines cruels et inusités, s’il retournait en Turquie.

 

[5]               Le tribunal a noté que la Cour fédérale a restreint la notion d’objection de conscience au cas où le demandeur d’asile refuse toute participation aux actions militaires. Ce demandeur n’avait pas démontré qu’il avait de profondes croyances religieuses or philosophiques l’opposant au service militaire, ni qu’il appartenait à une organisation d’objecteurs de conscience. Il n’avait pas révélé aux autorités militaires qu’il refusait de servir, ne s’est jamais opposé publiquement au service militaire ou à la guerre, et a bénéficié de la loi d’application générale lui permettant de reporter son service jusqu’à la fin de ses études. Il n’avait pas démontré que s’il était condamné pour insoumission ou désertion, des peines supplémentaires à la norme seraient infligées en vue de son statut d’objecteur de conscience. La possibilité d’une sentence pouvant atteindre un maximum de trois ans n’équivalait pas à la persécution en l’absence de circonstances aggravantes.

 

[6]               Le tribunal a rejeté la demande d’asile.

 

Questions en litige

[7]               Les questions en litige sont les suivantes :

a.       Est-ce qu’il était raisonnable pour le tribunal de conclure que le demandeur n’était pas un objecteur de conscience ?

b.      Est-ce qu’il était raisonnable pour le tribunal de conclure que les peines prévues pour insoumission à la loi d’application générale imposant le service militaire n’équivalaient pas à de la persécution ?

 

Norme de contrôle

[8]               Les deux questions doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (voir par exemple Etiz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 308, aux paras 16-17).

 

Analyse

1. Est-ce qu’il était raisonnable pour le tribunal de conclure que le demandeur n’était pas un objecteur de conscience ?

[9]      En l’espèce, le demandeur cherche à se prévaloir de la troisième exception dans Lebedev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 728 au paragraphe 14 :

[14] Ainsi, un demandeur ne peut généralement revendiquer le statut de réfugié au titre de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) ni, par conséquent, au titre de l'article 96 de la LIPR, uniquement parce qu'il ne veut pas servir dans l'armée de son pays. Selon M. Hathaway, il existe cependant trois exceptions à cette règle. [] La troisième et dernière exception s'applique aux personnes ayant des "objections de principe" au service militaire, plus connues sous le nom d'"objecteurs de conscience".

 

 

 

[10]               Le demandeur soumet que la SPR n’a pas examiné la possibilité de persécution du fait de son origine kurde, arrivant à sa conclusion sans présentant d’analyse sur ce point. Je trouve que le demandeur n’a pas allégué être persécuté en raison du fait qu’il est kurde - ni dans son récit écrit, ni dans son témoignage à l’audience. Par conséquent, le Tribunal n’avait pas à statuer sur ce motif.

 

[11]    Le demandeur allégeait de plus que la SPR ne l’a pas questionné sur ses croyances religieuses durant l’audience et donc ses allégations à ce sujet ne sont pas contredites.

 

[12]    Compte tenu du témoignage oral et de la preuve documentaire, la Commission a raisonnablement conclu que le demandeur n'est pas un objecteur de conscience. Son raisonnement comprend les points suivants :       

a.       Le demandeur n’appartient pas à une organisation composée d’objecteurs de conscience ;

b.      Lorsque le demandeur a initialement été appelé pour faire son service militaire obligatoire, il n’a pas révélé aux autorités militaires  qu’il était un objecteur de conscience et qu’il refusait de servir dans l’armée ;

c.       Le demandeur s’est conformé à la loi turque d’application générale. En effet, le demandeur s’est prévalu de cette loi afin d’obtenir une dispense de trois ans pour poursuivre ses études et ainsi reporter son service militaire. En agissant ainsi le demandeur a reconnu la légitimité du système du service militaire obligatoire pendant au moins trois ans ; 

d.      Le demandeur ne s’est jamais opposé publiquement au fait de servir dans l’armée ; et        

e.       Le demandeur n’a jamais pris part à des manifestations contre la guerre.

 

[13]    La conclusion de la Conclusion s’avérait une issue possible et acceptable en vue des faits présentés.


2. Est-ce qu’il était raisonnable pour le tribunal de conclure que les peines prévues pour insoumission à la loi d’application générale imposant le service militaire n’équivalaient pas à de la persécution ?

[14]      Le demandeur allégeait que la SPR avait ignoré la preuve que des insoumis kurdes ont été battus et maltraités en prison et que plusieurs sont morts, et la preuve que les insoumis turcs peuvent être traduits en justice de façon répétitive, ceci pouvant aussi constituer de la persécution.

 

[15]      En ce qui a trait à ces allégations je suis d’accord avec le défendeur que le Tribunal a conclu que :

La loi turque qui prévoit le service militaire obligatoire est d’application générale;

Le demandeur n’a offert aucune preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle il serait condamné à une peine d’emprisonnement supplémentaire à titre d’objecteur de conscience kurde. Au contraire, la preuve documentaire indique qu’il serait condamné de la même façon que tous les autres insoumis; et

La possibilité que le demandeur soit emprisonné pour une période pouvant aller jusqu’à trois ans n’équivaut pas à de la persécution telle que l’a déjà reconnu cette Cour.

 

[16]    Dans l'arrêt Ates c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 322, la Cour d'appel fédérale a conclu que le fait d'intenter des poursuites et d'incarcérer un objecteur de conscience qui refuse d'effectuer son service militaire ne constitue pas de la persécution fondée sur un motif visé par la Convention sur les réfugiés.

 

[17]      En l'espèce, la Commission n'a pas accepté que le demandeur était un objecteur de conscience et elle n'a pas accepté que le demandeur subirait des conséquences, outre une poursuite judiciaire, s'il refusait d'effectuer son service militaire. La Commission a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un danger s'il retournait en Turquie, et elle a rejeté la demande fondée sur l'article 97.

 

[18]      Cette Cour a déjà reconnu que l’emprisonnement pour une période allant jusqu’à trois ans dans de telles circonstances n’équivalait pas à de la persécution et que le fait que les prisons turques ne respectent pas les mêmes normes que les prisons canadiennes ne répond pas au critère de la torture ou de menace à la vie ou de peine cruelle et inusitée. (Voir par exemple Ozunal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)), 2006 CF 560, au para 28.)

 

Conclusions

[19]      La Commission bénéficie d'une retenue appréciable. Elle a raisonnablement conclu que la preuve soumise par le demandeur pour réfuter les conclusions défavorables et pour appuyer ses allégations n'y est pas parvenue. La Commission a raisonnablement conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque à son retour, même s'il était perçu comme étant un objecteur de conscience.

 

[20]      Pour ces motifs, la demande est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-12478-12

 

INTITULÉ :                                      MUSTAFA SAHIN

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 14 août 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT                              LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 septembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rachel Benaroch

 

POUR LE DEMANDEUR

Lyne Prince

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rachel Benaroch

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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