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Cour fédérale

 

Federal Court



Date : 20131001

Dossier : IMM-300-13

Référence : 2013 CF 996

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

 

 

OLIVIER KRISZTIA PARADI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a déterminé qu’Oliver Krisztia Paradi n’était ni un « réfugié » au sens de l’article 96 de la LIPR, ni une « personne à protéger » au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

I.          Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen rom de la Hongrie âgé de 22 ans. Il a grandi dans un petit village de ce pays.

[3]               Il a affirmé que, parce qu’il était rom, il avait été souvent battu par d’autres élèves à l’école. Il a aussi dit que les enfants roms et les autres élèves recevaient un enseignement séparé, pour la même raison. Il a en outre soutenu avoir été maltraité au travail, avoir été contraint de travailler pour deux, et avoir été le premier à être licencié.

 

[4]               De jeunes skinheads et de jeunes hommes portant l’uniforme se rassemblaient dans les rues et lui lançaient des bouteilles. En mai 2011, des skinheads l’ont poursuivi, mais il a réussi à leur échapper. Le demandeur affirme que des croix gammées avaient été peintes sur les murs de maisons de son village, que de jeunes gens ont commencé à porter l’uniforme et à se raser la tête, et que la Garde hongroise tenait même des réunions dans le village.

 

[5]               Il a en outre affirmé qu’un conducteur ivre avait tué l’enfant d’un membre de sa famille, et que le conducteur n’avait jamais été puni parce que l’enfant était d’origine rom. Il a soutenu que la police n’avait rien fait, même après que les Roms du village ont eu porté plainte.

 

[6]               Le demandeur est venu au Canada avec deux amis le 19 octobre 2011, et il a demandé l’asile.

 

II.        Décision faisant l’objet du présent contrôle

[7]               La SPR était convaincue de la preuve présentée eu égard à l’identité du demandeur.

 

[8]               La SPR a finalement rejeté la demande du demandeur et a conclu qu’il n’était pas un « réfugié au sens de la Convention », étant donné qu’il ne serait pas exposé à un risque sérieux de persécution en Hongrie aujourd’hui, et qu’il n’était pas une « personne à protéger », étant donné que son renvoi, selon la prépondérance des probabilités, ne l’exposerait pas personnellement aux dangers et aux risques énoncés aux alinéas 97(1)a) et b) de la LIPR.

 

[9]               La SPR a affirmé que la protection de l’État était la question déterminante en l’espèce.

 

[10]           Dès le départ, la SPR était d’avis que le demandeur avait fourni un témoignage direct. Elle convenait que le demandeur puisse avoir été victime de discrimination dans sa vie, mais elle n’était pas d’avis que cette discrimination équivalait à de la persécution.

 

[11]           La SPR s’est penchée sur certaines contradictions relevées dans le témoignage du demandeur.

 

[12]           Premièrement, la SPR s’est penchée sur l’enseignement dispensé aux enfants roms. Le demandeur avait affirmé dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que les enfants tsiganes et les élèves blancs recevaient toujours un enseignement séparé. Toutefois, il a ensuite affirmé avoir été à l’école avec des enfants non roms jusqu’à la 8e année. Lors de l’interrogatoire, le demandeur a expliqué que si les enfants roms avaient été plus nombreux, ils auraient été placés dans des classes séparées. La SPR a ainsi conclu que l’affirmation du demandeur était spéculative, et qu’il n’avait pas reçu d’enseignement séparé.

 

[13]           Deuxièmement, la SPR s’est penchée sur l’expérience de travail du demandeur. Ce dernier avait affirmé avoir été le premier remercié dans le cadre de plusieurs emplois. Or, dans son témoignage, il dit avoir occupé un poste seulement, qu’il a quitté. Il n’a pas été renvoyé. Là encore, lors de l’interrogatoire, le demandeur a expliqué que bien qu’il n’ait pas vécu l’expérience lui‑même, les Roms étaient toujours les premiers à être remerciés.

[14]           La SPR s’est ensuite penchée sur différents événements liés à la sécurité du demandeur. Lorsqu’on lui a demandé de décrire la pire expérience qu’il avait vécue avec les skinheads, le demandeur a parlé de l’incident du 20 mai 2011 décrit dans son FRP. Le demandeur a fait valoir qu’il avait appelé la police après l’incident – au cours duquel il n’a pas été blessé – et que les policiers ne s’étaient pas présentés pour en faire rapport.

 

[15]           Eu égard aux autres incidents, le demandeur a dit avoir communiqué avec la police à différentes reprises après avoir été harcelé de façon similaire, mais la SPR a conclu que son témoignage était vague quant à la réponse de la police.

 

[16]           La SPR s’est ensuite penchée sur la question de la protection de l’État, qui était déterminante dans l’affaire. Elle a aussi mentionné la présomption selon laquelle l’État est en mesure de protéger ses citoyens, et le fardeau associé à la réfutation de cette présomption. La SPR a conclu que la Hongrie est une démocratie qui fonctionne et que rien ne permet de penser à un effondrement de l’appareil étatique, et elle a conclu que cela constituerait un lourd fardeau pour le demandeur d’établir qu’il ne devrait pas être tenu d’épuiser tous les recours s’offrant à lui.

 

[17]           La SPR a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve concernant la protection de l’État. Pour les besoins de cet exercice, la SPR s’est demandé si la Hongrie était en mesure de fournir une protection et si elle avait la volonté d’agir. Il incombait au demandeur de présenter des éléments de preuve établissant le contraire, car selon lui, cette protection était inadéquate.

 

[18]           La SPR a examiné la preuve documentaire contenue dans la documentation nationale concernant le traitement des Roms en Hongrie, et elle a conclu que, bien que les Roms aient été la cible de plusieurs attaques et qu’ils aient subi des violations de leurs droits, le gouvernement de la Hongrie a agi comme il se doit pour protéger ses citoyens. En particulier, la SPR a conclu qu’à la suite d’attaques, des personnes avaient été accusées et poursuivies, la police avait doublé la taille de son équipe chargée d’enquêter sur les attaques contre les Roms, et les lois, y compris le code criminel, avaient été modifiées pour lutter contre les groupes ciblant les Roms.

 

[19]           La SPR a en outre conclu que les lois hongroises figurent parmi les plus avancées en matière de la lutte contre la discrimination, et que le pays a adopté d’un système de protection des groupes minoritaires en Europe centrale et en Europe de l’Est. La SPR a reconnu que le gouvernement de la Hongrie avait été critiqué pour ne pas avoir appliqué les mesures en question, mais elle a néanmoins conclu que des moyens étaient à la disposition des personnes souhaitant obtenir des dommages‑intérêts. La SPR a aussi reconnu que le système hongrois, y compris le système policier, était loin d’être parfait, avant de donner une liste de mécanismes offerts et de mesures adoptées pour protéger le demandeur et les Roms.

 

[20]           La SPR s’est penchée sur certains résultats et sur l’efficacité des différentes mesures offertes, et elle a tiré la conclusion que la Hongrie offre des solutions concrètes en réponse aux difficultés que vivent les Roms.

 

[21]           La SPR s’est ensuite penchée sur la question de la persécution et a conclu que les mauvais traitements subis par le demandeur n’équivalaient pas à de la persécution. En outre, elle a tenu compte des différents problèmes vécus par le demandeur, lesquels, combinés, pourraient avoir justifié une allégation de crainte fondée de persécution, avant de conclure que tel n’était pas le cas. Ainsi, la SPR a tranché la question de savoir si le demandeur avait subi ou anticipé des mauvais traitements graves, c’est‑à‑dire des traitements susceptibles de nuire à un de ses intérêts et de compromettre le maintien, l’emploi, l’expression ou l’exercice de cet intérêt. Les tribunaux ont établi que de tels mauvais traitements équivalent à la négation clé d’un droit fondamental de la personne.

 

[22]           S’appuyant sur le Guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, la SPR a fait valoir que les personnes qui reçoivent un traitement moins favorable en raison d’une différence ne sont pas nécessairement victimes de persécutions. Ce n’est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaut à des persécutions, lorsque les mesures discriminatoires ont des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas dans cette situation, pour différentes raisons.

 

[23]           Enfin, la SPR a souligné que la Hongrie était un membre responsable de l’Union européenne et que, par conséquent, le gouvernement de la Hongrie devait mettre en œuvre les normes prévues pour les membres de l’Union européenne et de prendre au sérieux les recommandations des différentes commissions européennes qui suivent de près la situation des Roms.

 

[24]           Enfin, après avoir examiné la preuve documentaire et testimoniale, la SPR a reconnu que les Roms de la Hongrie subissaient des préjudices, mais elle a affirmé que le gouvernement hongrois avait mis en place des initiatives en vue d’éradiquer la discrimination et le fascisme, et qu’il avait pris des mesures rigoureuses pour trouver des solutions adéquates à la situation des Roms désavantagés. En particulier, la Hongrie a adopté deux lois pour s’attaquer à la situation, et elle a financé des initiatives en vue de la mise en application de ces lois.

 

[25]           La SPR a ainsi conclu qu’à la lumière de la preuve documentaire, de la preuve présentée par le demandeur et du témoignage du demandeur, ce dernier n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

III.       Observations du demandeur

[26]           Le demandeur fait valoir que la SPR a fait une erreur dans son analyse de la protection de l’État et qu’elle a commis une erreur susceptible de contrôle dans son appréciation de la preuve.

 

[27]           Premièrement, le demandeur fait valoir que, bien que la SPR ait examiné en profondeur des documents pertinents concernant les conditions propres au pays, elle n’a pas mentionné la preuve qui allait dans le sens contraire de sa conclusion. Le demandeur mentionne plusieurs rapports présentés à titre de preuve, dont ceux où il est mentionné que les autorités hongroises ne prennent pas les mesures nécessaires pour prévenir et réprimer efficacement les actes de violence dont les Roms sont victimes, que le ministre de la Justice de la Hongrie a admis ne pas avoir réussi à épingler les responsables d’un nombre croissant d’attaques meurtrières, que les Roms sont victimes de profilage racial et d’abus de la part des policiers, et que des policiers refusent de consigner les plaintes formulées par des Roms.

 

[28]           Le demandeur soutient en outre que d’autres pièces présentées à la SPR vont dans le sens contraire de sa décision, notamment les pièces établissant que le taux de chômage chez les Roms est plus de dix fois supérieur à la moyenne nationale et qu’un parti politique d’extrême droite existe en Hongrie et qu’il compte plusieurs milliers de membres responsables de crimes haineux. Le demandeur cite aussi différents rapports portant sur la Hongrie qui confirment que les Roms sont toujours victimes de discrimination en Hongrie et que leur accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé et aux services sociaux y est encore limité.

 

[29]           Le demandeur ajoute que l’omission d’examiner adéquatement les documents contradictoires et d’expliquer pourquoi la préférence a été accordée à certains éléments de preuve plutôt qu’à d’autres justifie l’intervention de la Cour. Il fait également valoir que, bien que la SPR n’avait pas l’obligation de mentionner chacun des éléments de preuve dans ses motifs, plus les éléments écartés sont importants, plus la Cour pourrait être encline à conclure de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve.

 

[30]           Deuxièmement, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en n’appliquant pas les principes jurisprudentiels pertinents eu égard au caractère adéquat de la protection de l’État. Il affirme que la SPR n’aurait pas dû se demander si des efforts sérieux avaient été faits pour protéger le citoyen, mais plutôt si cette protection avait été offerte sur le terrain. La SPR aurait ainsi dû se demander si lesdits efforts avaient donné des résultats acceptables. Compte tenu de la situation actuelle des Roms en Hongrie, il fait valoir que si les mesures prises par les autorités hongroises avaient été efficaces, le climat ne serait pas si mauvais dans le pays.

 

[31]           Troisièmement, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en minimisant ses problèmes, et qu’elle a ainsi fait une mauvaise interprétation de la loi. Il affirme en outre avoir été victime de discrimination grave ayant nui à sa capacité de gagner sa vie.

 

[32]           À cet égard, contrairement à ce qu’affirme la SPR dans sa décision, le demandeur affirme avoir fourni des exemples clairs, dans son témoignage, de situations où il s’est vu refuser la protection de la police. Il soutient qu’il a par conséquent des raisons de croire qu’il ferait l’objet d’une protection insuffisante s’il décidait de rentrer en Hongrie. En réponse à l’affirmation de la SPR selon laquelle le demandeur a lui‑même quitté son emploi parce qu’il devait travailler pour deux, le demandeur répond avoir déclaré, lors de son témoignage, qu’il avait en outre reçu des menaces de collègues, et que son supérieur lui avait dit de démissionner s’il n’arrivait pas à endurer la situation.

 

IV.       Observations du défendeur

[33]           S’appuyant sur plusieurs conclusions de la SPR, le défendeur fait valoir que bien que le demandeur ait en effet été victime de discrimination lors de différents incidents, cela n’équivalait pas à de la persécution. Le défendeur ajoute que le demandeur s’est fondé sur de la documentation générale sur la Hongrie pour étayer sa demande, mais que sa situation personnelle était différente de la situation générale de la communauté rom en Hongrie, étant donné qu’il a pu aller à l’école, qu’il a trouvé et gardé un emploi, et qu’il vivait dans une maison dotée de commodités. Le défendeur affirme ainsi que le risque potentiel de persécution du demandeur n’était pas personnalisé ou fondé sur des circonstances personnelles, et il ajoute que la Commission a compétence pour tirer ce genre de conclusions.

 

[34]           Plus précisément, l’expérience la plus troublante vécue par le demandeur est d’avoir été pourchassé par des skinheads, et bien que cela se soit produit à plusieurs reprises, le demandeur n’a jamais été blessé. La seule raison pour laquelle il a été ciblé est que son arrêt d’autobus est situé non loin d’un bar fréquenté par les skinheads.

 

[35]           Le défendeur soutient en outre que la SPR a eu raison de conclure que ces cas de discrimination particuliers, qu’ils soient pris individuellement ou collectivement, n’équivalaient pas à de la persécution, étant donné que, selon la jurisprudence, les épisodes de discrimination auraient dû être graves, systématiques ou créer une possibilité sérieuse de persécution à l’avenir.

 

[36]           Le défendeur souligne également que la Commission a conclu que le demandeur pourrait obtenir la protection prévue par l’État hongrois s’il était victime de discrimination à l’avenir. La loi établit clairement que l’État est présumé être en mesure d’offrir une protection à ses citoyens. On attendait donc du demandeur à ce qu’il prenne toutes les mesures raisonnables pour obtenir cette protection et résoudre ses problèmes, ce qu’il n’a pas démontré avoir fait. Comme la Commission a conclu que la Hongrie est une démocratie qui fonctionne, le demandeur devait s’acquitter du lourd fardeau d’établir que les recours qu’il avait initiés étaient suffisants pour démontrer une absence de protection. En l’espèce, le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

[37]           De plus, le défendeur est d’avis que les allégations du demandeur voulant que la SPR n’a pas fait mention d’éléments de preuve allant dans le sens contraire de sa conclusion et qu’elle a omis de se pencher sur la question de savoir si les efforts déployés par les autorités du pays ont donné des résultats satisfaisants sont mal fondées. De fait, la SPR était parfaitement consciente de la situation difficile dans laquelle se trouve la communauté rom, et elle l’a mentionné à plusieurs reprises dans sa décision. En outre, la SPR a reconnu que la protection de l’État offerte aux Roms de la Hongrie fait l’objet de critiques et qu’elle pourrait être meilleure, mais elle a néanmoins donné des exemples de résultats observés sur le terrain, notamment des arrestations et des poursuites. Ainsi, reconnaissant que la situation actuelle des Roms n’est pas idéale, la SPR a néanmoins conclu que l’État prenait différents moyens pour protéger ses citoyens roms. Elle a conclu que, selon la preuve, la Hongrie offre des solutions concrètes en réponse aux difficultés que vivent les Roms. Le défendeur soutient qu’il était par conséquent raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur ait fait plus de démarches pour obtenir la protection de l’État.

 

[38]           En dernier lieu, le défendeur affirme que la croyance subjective du demandeur n’est pas suffisante pour réfuter la présomption de protection de l’État.

 

V.        Questions en litige

[39]           La présente procédure de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.      La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’une protection de l’État s’offrait au demandeur?

 

2.   La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les problèmes vécus par le demandeur n’équivalaient pas à de la persécution?

 

VI.       Norme de contrôle

[40]           La conclusion de la SPR eu égard à la protection de l’État est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]), tout comme son appréciation de la preuve, étant donné qu’il s’agit d’une question de fait (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

VII.     Analyse

A.    La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’une protection de l’État s’offrait au demandeur?

 

[41]           La conclusion de la SPR eu égard à la protection de l’État est raisonnable, pour les raisons qui suivent.

[42]           En ce qui concerne la protection de l’État, il existe une présomption selon laquelle l’État, à moins d’un effondrement, est en mesure de protéger ses citoyens. Pour réfuter cette présomption, le demandeur doit présenter une preuve claire et convaincante établissant que la protection est inadéquate (voir l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, 20 Imm LR (2d) 85, au paragraphe 57). Si le tribunal conclut que le pays est démocratique, le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur sera d’autant plus lourd. De fait, comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale, « plus les institutions de l’État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à lui [c’est‑à‑dire le demandeur] » (Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 DLR (4th) 532, au paragraphe 5). En l’espèce, à la lumière de la preuve présentée, la SPR a conclu que la Hongrie est une démocratie qui fonctionne et que rien ne donne à penser à un effondrement de l’appareil étatique. Elle a en outre conclu que la Hongrie exerce un contrôle effectif sur son territoire et fait des efforts sérieux pour assurer la protection des Roms, de sorte que la protection offerte est adéquate (voir la décision Atakurola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 463, au paragraphe 13, 1995 CarswellNat 1338).

 

[43]           Par conséquent, le demandeur devait s’acquitter d’un lourd fardeau pour établir qu’il ne devrait pas être tenu d’épuiser tous les autres recours s’offrant à lui. S’appuyant sur la jurisprudence afin de trancher la question de savoir si le demandeur s’était acquitté du fardeau de la preuve, la SPR s’est demandé si la Hongrie avait la capacité d’offrir une protection et avait la volonté d’agir. Comme le demandeur affirmait que la protection de l’État était inadéquate, il lui incombait de produire une preuve allant en ce sens (Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 ACF 94, [2008] ACF no 399).

 

[44]           La preuve soumise à la SPR comporte de fait plusieurs documents alarmants provenant de sources crédibles qui étayent les allégations du demandeur eu égard à l’absence de protection de l’État pour les citoyens roms en Hongrie, et bien que le demandeur ait fourni des éléments de preuve, la SPR a tiré une conclusion allant dans le sens contraire. L’examen de la preuve s’inscrit dans les limites de la compétence de la SPR. De fait, cette dernière a examiné la preuve documentaire et tenu compte du témoignage du demandeur, et bien qu’elle reconnaisse que la situation actuelle des Roms n’est pas idéale, elle a néanmoins conclu que l’État prenait différents moyens pour protéger ses citoyens roms. Elle a conclu que, selon la preuve, la Hongrie offre des solutions concrètes en réponse aux difficultés que vivent les Roms.

 

[45]           Le demandeur affirme que la SPR n’aurait pas dû se demander si la Hongrie avait déployé des efforts sérieux pour protéger ses citoyens roms, mais plutôt si cette protection avait été offerte sur le terrain et, donc, si elle avait donné des résultats satisfaisants. Or, la SPR a clairement mentionné, et ce à plusieurs reprises, les résultats des efforts déployés par le gouvernement de la Hongrie.

 

[46]           Après examen des éléments de preuve sur lesquels s’appuie le demandeur pour établir que la Hongrie n’assure pas une protection aux citoyens roms, il est pertinent de mentionner que le document de 2011 du Département d’État des États‑Unis mentionne à plusieurs reprises la discrimination, non la persécution, et que l’article de juin 2012 intitulé « Hungary-Nations in Transit » décrit de façon générale l’incidence de la victoire électorale du parti Fides sur la structure politique de la Hongrie, sans établir toutefois que les citoyens roms n’ont pas accès à une protection de l’État. Enfin, il est mentionné de façon générale que le rapport d’Amnistie internationale daté d’avril 2011 souligne que la nouvelle constitution de la Hongrie n’est pas conforme aux normes internationales et européennes relatives aux droits de la personne. Dans sa décision, la SPR mentionne 19 documents tirés du cartable national de documentation, dont certains émettent des critiques sur l’état des droits de la personne en Hongrie. Lors de l’audience, l’avocate a attiré mon attention sur d’autres parties de certains des documents mentionnés. Cela ne change pas mon opinion.

 

[47]           Ces éléments de preuve montrent que la Hongrie éprouve des difficultés sur le plan des droits de la personne, mais ils n’indiquent pas si une protection de l’État est offerte sur le terrain aux citoyens roms de la Hongrie. La SPR a noté tous ces éléments et a tenu compte des renseignements fournis à cet égard, mais elle devait au bout du compte se faire une opinion générale, et elle a conclu que la Hongrie offrait une protection raisonnable.

 

[48]           La question qui se pose réellement en l’espèce est celle de savoir si le demandeur pourrait courir un risque personnalisé de persécution, comme il doit être établi (voir la décision Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 530, aux paragraphes 102 à 104). Comme le montrera la réponse à la deuxième question, le demandeur n’a pas été en mesure de le démontrer (voir les paragraphes 11 et 34, entre autres, de la décision).

 

[49]           Par conséquent, la Cour conclut que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État et que la décision de la SPR « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

B.     La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les problèmes vécus par le demandeur n’équivalaient pas à de la persécution?

 

[50]           Le demandeur fait valoir qu’il n’a pas été victime de discrimination, mais bien de persécution. De fait, il a soumis des éléments de preuve et un témoignage allant en ce sens. Dans sa décision, la SPR a examiné la preuve et le témoignage et en fait même mention dans ses motifs. Elle a tenu compte de l’expérience et des circonstances personnelles du demandeur ainsi que des mesures prises en Hongrie pour les citoyens roms. Encore une fois, la SPR a reconnu que la situation des Roms en Hongrie n’était pas idéale, mais elle a conclu que, pour un certain nombre de raisons, les mauvais traitements subis ne compromettaient pas la subsistance ou l’emploi du demandeur. La SPR a fait l’évaluation de la situation du demandeur en Hongrie et elle est arrivée à la conclusion qu’elle n’équivalait pas à de la persécution.

 

[51]           La SPR a examiné une preuve partagée avant de tirer cette conclusion, et la SPR a compétence pour tirer des conclusions quant à la question de savoir si les problèmes vécus par le demandeur équivalent à de la persécution. La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas été persécuté était par conséquent raisonnable, et il n’est pas justifié que la Cour intervienne. Eu égard à cette question, la lecture du paragraphe 34 de la décision révèle que le demandeur n’a pas été en mesure de fournir des éléments de preuve établissant l’existence d’un risque personnalisé de persécution.

 

[52]           Dans la décision Molnar, précitée, au paragraphe 105, mon collègue le juge Russell écrit ce qui suit :

 

105     Il est très difficile d’évaluer la situation de la Hongrie. La réponse à cette question dépend en grande partie des faits et des éléments de preuve présentés dans chaque cas ainsi que de la réponse à la question de savoir si la SPR a procédé à une analyse raisonnable. Dans l’affirmative, j’estime qu’il n’appartient pas à notre Cour d’intervenir, et ce, même si elle aurait pu arriver à une conclusion différente. J’estime que la SPR a procédé à une analyse raisonnable dans le cas qui nous occupe et qu’elle s’est montrée sensible aux principes applicables, qu’elle a appliqués aux faits au dossier d’une manière responsable. Pour cette raison, je ne puis modifier la décision.

 

[53]           Je ne saurais dire mieux.

 

[54]           Les parties ont été invitées à soumettre une question pour certification, ce qu’elles n’ont pas fait.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et qu’aucune question ne soit certifiée.

 

                                                                                                                   « Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad.a.

 

 

 

 


 

Cour fédérale

 

Federal Court



 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-300-13

 

INTITULÉ :                                      OLIVIER KRISZTIA PARADI c LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 septembre 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Nöel

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 1er octobre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Styliani Markaki

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Thomas Cormie

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Styliani Markaki

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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