Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20131001

Dossier: IMM-1301-13

Référence : 2013 CF 1002

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

 

DAISY JANE VERA FLORES

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 ch 27 [ la « LIPR »] à l’encontre de la décision rendue le 13 août 2012 par un agent d’immigration, laquelle rejetait la demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse [la « demande CH »].

 

I.          Faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Mexique âgée de 23 ans qui est arrivée au Canada le 1er novembre 2007, moment auquel elle a demandé l’asile.

 

[3]               La demanderesse a quitté son pays d’origine avec sa mère, ses deux jeunes frères et sa sœur dans le but de fuir certains problèmes; ayant subi des sévices physiques et sexuels au Mexique de la part de son ancien beau-père, la demanderesse prétend qu’elle serait encore à risque dans ce pays si elle devait y retourner.

 

[4]               Le 6 septembre 2011, la Section de la protection des réfugiés [la « SPR »] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la « CISR »] a rejeté sa demande d’asile. La SPR a conclu à la disponibilité de la protection de l’État et à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [« PRI »]. La demanderesse et sa famille ont ensuite déposé une demande d’autorisation de contrôle judiciaire, laquelle fut accordée, à l’égard de la décision de la SPR, mais ils se sont désistés suivant les recommandations de leur ancien procureur parce que la mère de la demanderesse avait entrepris une demande de parrainage et de résidence permanente.

 

[5]               La demanderesse a par la suite présenté une demande d’évaluation des risques avant renvoi [« ERAR »], laquelle a été rejetée. La demanderesse n’a pas contesté le rejet de sa demande.

 

[6]               Le 21 juin 2012, la demanderesse a présenté une demande CH, invoquant son degré d’établissement au Canada, le meilleur intérêt des enfants concernés, les risques et les difficultés au Mexique, ainsi que son état de santé résultant des violences sexuelles qu’elle a subies.

[7]               La demande CH a été rejetée. La demanderesse en a été informée le 12 février 2013 et elle a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’endroit de cette décision le 18 février 2013.

 

[8]               La demanderesse a également demandé et obtenu un sursis d’exécution de la mesure de renvoi prévu le 25 mars 2013.

 

II.        Décision contestée

[9]               L’agent d’immigration a entrepris son examen du dossier en précisant qu’au titre du paragraphe 25(1.3) de la LIPR il soustrayait de son examen les risques invoqués qui concernent les articles 96 et 97 de cette Loi. La décision rappelle que, pour être relevée de son obligation de présenter sa demande de résidence permanente depuis l’extérieur du pays et de son obligation de satisfaire aux exigences d’une catégorie particulière de résidents permanents, la demanderesse devait convaincre l’agent d’immigration que le fait de présenter sa demande depuis l’extérieur du pays l’exposerait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

 

[10]           L’agent a rejeté la demande CH après avoir examiné les relations de la demanderesse avec sa famille, son état de santé, la question de l’intérêt supérieur des enfants concernés et les éventuelles difficultés qu’un retour au Mexique représenterait pour celle-ci. De l’avis de l’agent, les difficultés éprouvées par la demanderesse en retournant au Mexique ne seraient ni injustifiées et inhabituelles, ni démesurées.

 

[11]           L’agent a d’abord étudié la question du niveau d’établissement de la demanderesse au Canada. S’appuyant sur la documentation présentée, l’agent a indiqué que la demanderesse n’a pas déposé de demande de permis de travail ou de permis d’étude depuis 2010 et qu’elle n’a pas travaillé ou fait de bénévolat au Canada. L’agent a relevé que la demanderesse venait en aide à ses jeunes frères, notamment avec leurs devoirs, et que plusieurs connaissances avaient préparé des lettres à l’appui de sa demande. L’agent a toutefois noté que ni sa mère, ni sa sœur, ni aucun ami proche de la demanderesse n’avaient rédigé de telles lettres. La décision précise également que la demanderesse a habité avec son conjoint de fait d’août 2009 à avril 2012 et qu’elle avait donc vécu séparée des membres de sa famille pendant deux ans et demi, bien qu’elle soit probablement restée en contact avec eux. La documentation permettait également de conclure que la demanderesse avait un groupe d’amis et que sa famille se réunissait pour célébrer des anniversaires, entre autres.

 

[12]           Tout en reconnaissant les difficultés de la famille, l’agent a conclu que le niveau d’établissement de la demanderesse paraissait insuffisant pour octroyer la dispense prévue à l’article 25 de la LIPR. Certes, la demanderesse serait séparée de sa famille pendant quelque temps, mais elle pourrait demeurer en contact par l’entremise de divers moyens de communication. L’agent termine son analyse de ce point en précisant que la demanderesse ne serait pas totalement orpheline au Mexique puisque des membres de sa famille s’y trouvent toujours.

 

[13]           Ensuite, l’agent s’est intéressé à l’intérêt des enfants concernés. La décision reconnaît que la demanderesse joue un rôle de plus en plus important dans la vie de ses frères depuis quelques mois, mais conclut que rien ne donne à penser que l’absence de la demanderesse serait fondamentalement préjudiciable pour les enfants, qui seraient toujours entourés de leur famille et de leur réseau social.

[14]           De plus, l’agent s’est penché sur la question des difficultés auxquelles la demanderesse serait exposée advenant un retour au Mexique. La décision indique que la demanderesse n’est plus une enfant et qu’elle devrait être en mesure de s’occuper de sa propre personne. Après avoir pris en considération la documentation présentée, l’agent a affirmé ne pas être convaincu que le fait pour la demanderesse d’être une femme entraînerait des difficultés au sens de la LIPR. La décision reconnaît que la demanderesse ne retournerait pas au Mexique dans les meilleures conditions et qu’elle se heurtera à certaines difficultés dans sa réintégration au pays, mais ajoute néanmoins que, compte tenu de ses capacités et de la présence de membres de sa famille, ces difficultés ne sont pas injustifiées, inhabituelles ou démesurées.

 

[15]           Finalement, l’agent étudie la question de l’état de santé de la demanderesse, plus précisément la thérapie qu’elle a entreprise en raison des agressions sexuelles subies de son ancien beau-père. L’agent a indiqué que des ressources sont offertes aux femmes, surtout dans la ville de Mexico, et que la demanderesse ne montrait aucun signe d’une condition médicale susceptible de gêner son retour au Mexique.

 

III.       Arguments de la demanderesse

[16]           La demanderesse affirme que l’agent d’immigration a commis des erreurs dans sa décision relative à la demande CH et qu’il n’a donc pas correctement appliqué l’article 25 de la LIPR.

 

[17]           En premier lieu, s’appuyant sur la jurisprudence applicable, elle affirme que l’agent n’a pas retenu le bon critère pour l’appréciation des difficultés aux fins de l’article 25 de la LIPR. Celui-ci aurait dû examiner les motifs d’ordre humanitaire dans leur ensemble plutôt que de façon isolée.

[18]           De plus, la demanderesse prétend que l’agent a mal apprécié les difficultés auxquelles elle serait exposée si elle devait présenter sa demande de résidence permanente à l’étranger. Elle rappelle que sa crédibilité n’a jamais été mise en doute, ni par la CISR au moment de l’étude de la demande d’asile, ni par l’agent d’immigration. La demanderesse ajoute que l’agent a reconnu comme avérées les allégations concernant les sévices sexuels subis de la part de son ancien beau-père dans la ville de Léon, au Mexique. Or, dans son analyse, l’agent a aussi indiqué que la demanderesse pouvait compter sur le soutien des membres de sa famille à Léon, c’est-à-dire dans la ville où elle a subi des agressions sexuelles. La demanderesse affirme avoir besoin d’être entourée de sa famille immédiate.

 

[19]           En outre, la demanderesse convient qu’elle a vécu séparée de sa famille à Montréal, mais affirme que l’on ne peut prétendre, à l’instar de l’agent d’immigration, que le fait d’avoir vécu avec son conjoint hors de la résidence familiale en gardant un contact personnel avec la famille équivaut à vivre seule à l’étranger sans contact direct avec la famille.

 

[20]           La demanderesse affirme qu’un retour au Mexique entraînerait de graves conséquences pour elle. L’agent a mal apprécié les éléments de preuve qui lui ont été présentés, puisqu’il lui aurait fallu analyser le dossier en prenant en compte non seulement la situation des femmes au Mexique, mais plus précisément celle des femmes victimes de violences physiques et sexuelles. Le cartable national sur le Mexique renferme des articles en ce sens. Aussi, l’agent a réalisé une analyse générale de la situation, alors qu’il aurait dû prendre en considération les circonstances qui lui sont particulières : la demanderesse est une jeune femme de 23 ans, elle a subi des agressions sexuelles de la part de son ancien beau-père, elle se retrouvera seule sans l’appui de sa famille, alors qu’elle n’a ni profession, ni moyens de subvenir à ses besoins.

 

[21]           La demanderesse allègue également que l’agent d’immigration a eu recours au mauvais critère dans son analyse des conséquences qu’aurait un éventuel retour de la demanderesse au Mexique sur les enfants. En effet, plutôt que d’appliquer le critère de l’intérêt supérieur des enfants comme le commande la jurisprudence, l’agent a analysé la situation en exigeant de démontrer l’existence de difficultés excessives pour les frères et les sœurs de la demanderesse.

 

[22]           Enfin, à plusieurs reprises, l’agent a renvoyé à la décision qu’il a rendue relativement à la demande d’ERAR de la demanderesse, alors que les deux procédures requièrent des analyses distinctes. Ainsi la demanderesse est-elle d’avis que l’inclusion de la décision précédente dans la décision faisant l’objet du présent contrôle constitue une erreur.

 

IV.       Arguments du défendeur

[23]           Le défendeur affirme que l’agent a appliqué le bon critère dans l’appréciation des difficultés aux fins de l’article 25 de la LIPR et qu’il a raisonnablement conclu à l’absence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées pour la demanderesse si cette dernière devait déposer sa demande de résidence permanente depuis l’étranger.

 

[24]           Le défendeur soutient que l’agent a constamment appliqué le critère adéquat, celui des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées, tout au long de son analyse et que, de surcroît, ce critère est explicitement énoncé dans la décision. Il ajoute que le fait pour l’agent d’avoir fait de simples renvois à la décision d’ERAR et à la décision relative à la demande d’asile ne suffit pas pour démontrer que l’agent n’a pas tenu compte de la question de savoir si le risque pouvait entraîner des difficultés.

 

[25]           De plus, le défendeur fait valoir que la demanderesse invite la Cour à réexaminer les éléments de preuve présentés et à en arriver à une conclusion différente, ce qui n’est pas le rôle de la Cour.

 

[26]           Quant à la question du niveau d’établissement, le défendeur est d’avis que la décision de l’agent était raisonnable et fondée sur l’examen de la preuve soumise puisque l’agent a pris en considération de multiples éléments de preuve avant de conclure que le niveau d’établissement de la demanderesse au Canada n’était pas suffisant pour octroyer la dispense prévue à l’article 25 de la LIPR.

 

[27]           Le défendeur affirme également que l’agent a dûment tenu compte de la situation personnelle de la demanderesse dans son analyse et que la décision contestée fait état de nombreux éléments se rapportant à sa situation personnelle. Le défendeur réfute également l’argument de la demanderesse, qu’il qualifie de trompeur, concernant le fait que l’agent a indiqué que la demanderesse pouvait compter sur le soutien des membres de sa famille à Léon, alors que c’est dans cette ville qu’elle a subi des agressions sexuelles. À cet égard, le défendeur rappelle que la SPR a conclu à la disponibilité de la protection de l’état pour la demanderesse au Mexique. De plus, le défendeur ajoute que l’agent a bel et bien pris en compte les liens familiaux de la demanderesse, mais qu’il n’était tout simplement pas convaincu que la proximité physique était nécessaire, puisque la demanderesse a déjà vécu séparée de sa famille. Il était donc raisonnable de conclure que le retour de la demanderesse au Mexique n’empêcherait pas le maintien des relations à l’aide de moyens de communication variés.

 

[28]           Aussi, le défendeur est d’avis que l’agent a appliqué le bon critère dans son analyse de l’intérêt des enfants et qu’il a pris sa décision après avoir correctement examiné la preuve. Qui plus est, contrairement aux décisions judiciaires invoquées par la demanderesse, les enfants concernés en l’espèce sont ses frères et sœurs et non ses propres enfants. Elle n’est pas la principale personne qui subvient à leurs besoins.

 

[29]           De plus, pour ce qui est de la question des difficultés alléguées par la demanderesse, le défendeur énonce une série d’éléments dont a tenu compte l’agent et affirme que la décision est de ce fait raisonnable.

 

[30]           Enfin, relativement à l’état de santé de la demanderesse, le demandeur indique que la Cour ne disposait pas de diagnostic et d’une opinion d’un professionnel de la santé indiquant qu’un retour au Mexique compromettrait l’état de santé de la demanderesse. Cette dernière n’a présenté que des allégations formulées par son avocate et une lettre rédigée par un organisme venant en aide aux victimes de viol et d’inceste; l’agent a pris en considération ces éléments de preuve, mais ceux-ci n’ont tout simplement pas suffi à conclure à l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées pour la demanderesse si elle devait présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger.

 

V.        Réplique de la demanderesse

[31]           En plus de répéter en grande partie les arguments invoqués dans son mémoire initial, la demanderesse ajoute quelques précisions.

 

[32]           Elle affirme que sa demande formulée à la Cour ne vise pas à obtenir le réexamen des éléments de preuve présentés, mais bien une évaluation du traitement accordé à ces éléments par l’agent d’immigration qui, de l’avis de la demanderesse, rend la décision déraisonnable. Elle répète que les motifs d’ordre humanitaire présentés à l’appui de sa demande CH doivent être examinés dans leur ensemble et que l’agent n’a pas correctement évalué les difficultés et l’ensemble des circonstances personnelles de la demanderesse. Elle réitère également que l’agent n’a pas utilisé le bon critère dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants touchés.

 

VI.       Questions en litige

[33]           La présente affaire soulève deux questions en litige :

 

i.     L’agent d’immigration a-t-il appliqué le bon critère dans l’appréciation des

difficultés aux fins de l’article 25 de la LIPR?

 

ii.         Était-il raisonnable pour l’agent d’immigration de conclure que la demanderesse ne

subirait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées si elle devait déposer sa demande de résidence permanente à l’étranger?

 

 

 

VII.     Norme de contrôle

 

[34]           Comme l’indique le défendeur, la norme de contrôle applicable pour évaluer si l’agent a énoncé le bon critère dans son évaluation des motifs d’ordre humanitaire, c’est-à-dire à la première question en litige en l’espèce, est celle de la décision correcte puisqu’il s’agit d’une question de droit (voir Pereira c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 1413 au para 8, [2011] ACF no 1784; voir aussi Ebonka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 80 au para 16, [2009] ACF no 122 [Ebonka] et Premnauth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1125 au para 20, [2009] ACF no 1594 [Premnauth]).

 

[35]           Toutefois, la deuxième question en litige dans la présente affaire, soit l’application de ce critère à la situation de la demanderesse, doit faire l’objet d’un contrôle judiciaire suivant la norme de la décision raisonnable puisqu’il s’agit d’une question mixte de faits et de droit (voir Pereira aux paras 8-9; voir aussi Ebonka, précité au para 16 et Premnauth, précité au para 21). La Cour doit donc traiter avec déférence la décision de l’agent et intervenir dans les seules situations où la décision contestée n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

 

VIII.    Analyse

A. L’agent d’immigration a-t-il appliqué le bon critère dans l’appréciation des difficultés

     aux fins de l’article 25 de la LIPR?

 

[36]           Dès les premiers paragraphes de sa décision, l’agent d’immigration a énoncé le critère qu’il entendait appliquer à son analyse des difficultés aux fins de l’article 25 de la LIPR, c'est-à-dire le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées », et il s’agissait du bon critère à appliquer en l’espèce. En effet, comme l’a justement relevé la demanderesse, la Cour a déjà établi, dans la décision Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 11 aux paras 1-2, [2009] ACF no 4, le critère qu’il convient d’utiliser dans l’examen des difficultés dans le cadre d’une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire :

 

1     L'une des pierres angulaires de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) est l'obligation, pour les personnes qui souhaitent s'établir au Canada, de soumettre avant leur arrivée au Canada une demande hors du Canada, de satisfaire aux critères relatifs au statut de résident et d'obtenir un visa de résidence permanente. L'article 25 de la LIPR donne au ministre la possibilité d'autoriser certaines personnes, dans les cas qui le justifient, à déposer leur demande depuis le Canada. Cette mesure est clairement une mesure d'exception, comme l'indique le libellé de cette disposition (Doumbouya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1186, 325 F.T.R. 186 au par. 6)

 

2     Pour obtenir cette dispense, les demandeurs devaient prouver que les difficultés auxquelles ils feraient face, s'ils devaient déposer leur demande respective de résidence permanente depuis l'extérieur du pays, seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives (Doumbouya, ci-dessus au par. 8; Akinbowale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2007] A.C.F. no 1613, 2007 CF 1221 aux par. 14 et 24; Djerroud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 981, 160 A.C.W.S. (3d) 881 au par. 32). [Non souligné dans l’original.]

 

[37]           Par conséquent, il convient de conclure que l’agent a fondé sa décision sur le bon critère.

 

[38]           En outre, la demanderesse affirme que l’agent se devait d’examiner les motifs d’ordre humanitaire invoqués dans leur ensemble et non de façon isolée. Toutefois, comme l’a dûment fait remarquer le défendeur, l’agent d’immigration conclut sa décision en affirmant ce qui suit : « [traduction] Compte tenu de l’information présentée, je ne suis pas convaincu que les difficultés auxquelles Mme Vera Flores pourrait être exposée si elle devait retourner au Mexique sont, individuellement ou collectivement, inhabituelles et injustifiées ou démesurées. [Non souligné dans l’original.] » Il appert donc de ce passage que, contrairement à ce que prétend la demanderesse, l’agent d’immigration a examiné les motifs d’ordre humanitaire, tant sur une base individuelle que collective, avant de prendre sa décision.

 

[39]           Par conséquent, la première question en litige de la présente affaire ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

B. Était-il raisonnable pour l’agent d’immigration de conclure que la demanderesse ne subirait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées si elle devait déposer sa demande de résidence permanente à l’étranger?

 

[40]           Cette conclusion de l’agent d’immigration était raisonnable.

 

[41]           Pour débuter, il convient de rappeler que la dispense visée à l’article 25 de la LIPR constitue l’exception et non la règle et qu’il incombe effectivement à la personne qui présente une demande CH de produire des éléments de preuve à l’appui de ses allégations (voir Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2009 CAF 189, au para 35, [2009] ACF no 713; Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 38 au para 5, [2004] 2 RCF 635). Il appartenait donc à la demanderesse de convaincre l’agent que sa situation personnelle était telle que le fait pour elle de devoir présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger entraînerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

 

[42]           La demanderesse affirme que l’agent d’immigration a commis diverses erreurs dans son appréciation du dossier qui rendent la décision qu’il a rendue déraisonnable, notamment en ce qui concerne son établissement au Canada, l’intérêt supérieur des enfants concernés, les difficultés auxquelles elle serait confrontée au Mexique et son état de santé. Elle affirme que l’agent n’a pas pris en compte sa situation personnelle dans la décision. Or, à la lecture de la décision, il est possible de constater que l’agent a procédé à un examen valide des divers points soulevés par la demanderesse. En effet, la décision de l’agent fait état d’une série d’éléments concernant la situation personnelle de la demanderesse, éléments qu’il a soupesés dans son analyse, notamment ses relations de famille, les difficultés qu’elle a vécues et les circonstances dans lesquelles elle retournerait au Mexique. Il en va de même pour son niveau d’établissement au Canada, que l’agent a raisonnablement jugé insuffisant pour l’octroi de la dispense visée à l’article 25 de la LIPR. Qui plus est, l’agent n’a conclu que les difficultés auxquelles la demanderesse serait confrontée au Mexique et son état de santé ne sauraient justifier l’octroi d’une demande CH qu’après avoir procédé à l’examen de nombreux éléments de preuve présentés à ce sujet.

 

[43]           Quant à l’argument concernant la ville de Leon, endroit où la demanderesse est née et où elle a subi les sévices de son ancien beau-père, la Cour note que le décideur ne disposait d’aucune preuve quant à la présence de ce dernier dans cette ville. Dans sa propre lettre à l’appui de sa demande, la demanderesse ne discute pas de la problématique de retourner dans sa ville natale. Elle avait le fardeau de présenter la situation et elle ne l’a pas fait. En plus, la famille de la demanderesse au Mexique ne réside pas seulement dans la ville de Leon. La décision révèle qu’elle a de la famille ailleurs à Mexico. On ne peut reprocher à l’agent d’immigration de ne pas avoir pris en considération que l’ancien beau-père de la demanderesse se trouverait toujours dans la ville de Leon. De plus, il est approprié de constater que la SPR dans sa décision avait conclu à l’existence de la protection de l’État.

 

[44]           L’agent d’immigration a aussi constaté que la demanderesse avait cohabité avec son conjoint pendant près de 32 mois. Pour lui, ceci démontrait une certaine autonomie de la part de la demanderesse, qui a vécu ainsi à distance de sa famille. Il utilise cette situation pour expliquer que cette séparation se compare à celle qu’elle vivra en retournant au Mexique, outre le fait qu’elle ne pourra pas visiter les membres de sa famille qui demeureront ici. Toutefois, il ajoute qu’elle pourra communiquer avec eux, notamment par téléphone, par Internet et par la poste. La demanderesse est en désaccord avec cette constatation. Tenant compte de la décision dans son ensemble, le lien fait par l’agent entre les deux situations est raisonnable. Certes, ce sera plus difficile à vivre à distance, mais la demanderesse pourra garder de façon continue contact avec sa mère et sa famille au Canada.

 

[45]           La demanderesse reproche aussi que la décision n’a pas vraiment pris en considération le fait que la personne forcée à retourner au Mexique serait une jeune femme de 23 ans ayant vécu des événements douloureux. Ayant fait la lecture de la décision, je suis en désaccord. L’agent a tenu compte de ces faits dans sa décision. La demanderesse aurait aimé que l’enjeu soit abordé de manière plus élaborée, mais dans les circonstances il fut commenté de façon raisonnable.

 

[46]           On prétend aussi que l’agent a renvoyé à de l’information provenant de la décision d’ERAR. Comme l’a mentionné le défendeur, de telles références sont acceptables et elles ne justifient une intervention de la Cour à ce sujet (voir Chowdhury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 943, para 15, [2012] ACF no 1012).

[47]           En plus, la demanderesse considère que son état psychologique résultant des événements d’agressions par son ancien beau-père aurait dû amener l’agent à conclure qu’il était mieux qu’elle demeure au Canada. Comme l’agent, la Cour note que les sessions de thérapie sont toutes récentes et qu’il y a des services psychologiques au Mexique. Une telle constatation est raisonnable.

 

[48]           Enfin, quant à la question plus particulière du critère applicable à la question de l’intérêt des enfants concernés, je suis d’avis que l’agent a appliqué le bon critère. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans la décision Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 475 au para 4, [2002] ACF no 1687 : « On détermine l’intérêt supérieur de l'enfant en considérant le bénéfice que retirerait l'enfant si son parent n'était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l'enfant, soit advenant le renvoi de l'un de ses parents du Canada […] ». Or, en l’espèce, l’agent a bel et bien discuté des avantages de la présence de la demanderesse pour ses frères et sœurs. De plus, l’agent a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant (voir Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125 au para 12, [2002] ACF no 457; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 75; Kolosovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, aux paras 8-12, 323 FTR 181). En effet, il a examiné la preuve qui lui a été présentée, mais a conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne justifiait pas d’accueillir la demande CH de la demanderesse. En plus, comme l’a indiqué le défendeur, la demanderesse n’est pas la mère des enfants concernés et elle n’est pas la principale personne à subvenir à leurs besoins.

 

[49]           Dans sa décision, l’agent d’immigration s’est montré attentif à la situation de la demanderesse et a reconnu que cette dernière vivrait certainement des difficultés en retournant au Mexique. Toutefois, au terme d’un examen des éléments de preuve qui lui ont été présentés, il a néanmoins conclu qu’il n’était pas convaincu, à la lumière de ces éléments de preuve, que Mme Vera Flores serait exposée à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées si elle devait déposer sa demande de résidence permanente depuis le Mexique. Il a raisonnablement apprécié les motifs soumis par la demanderesse et, compte tenu de l’examen qu’il a réalisé, il était tout à fait raisonnable pour lui de parvenir à cette conclusion. De plus, comme l’a rappelé le défendeur, le rôle de la Cour n’est pas de réexaminer la preuve présentée.

 

[50]           Par conséquent, la seconde question en litige de la présente affaire ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

[51]           Les parties ont été invitées à présenter une question aux fins de certification, mais aucune question ne fut proposée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                                                  « Simon Noël »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1301-13

 

INTITULÉ :                                      DAISY JANE VERA FLORES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 25 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 1er octobre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alfredo Garcia

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Lyne Prince

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Alfredo Garcia

Barraza et Associés

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.