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Date : 20130927

Dossier : T‑1419‑12

Référence : 2013 CF 997

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2013

En présence de madame la juge Strickland

 

 

ENTRE :

 

DANKO PAVICEVIC

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 25 avril 2012, par laquelle la Section de la gestion des cas de la Direction générale de la sécurité de Passeport Canada (Passeport Canada) a révoqué le passeport du demandeur, au motif qu’il n’était pas un citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 (la Loi sur la citoyenneté) parce qu’au moment de sa naissance, l’un de ses parents était un diplomate étranger en service au Canada. Passeport Canada était par conséquent tenu de révoquer son passeport conformément au Décret sur les passeports canadiens, TR/81‑86 (le Décret sur les passeports).

 

Contexte

[2]               Le demandeur est né à Ottawa, en Ontario, le 23 avril 1956.

 

[3]               En 1990 ou 1991, il a présenté son certificat de naissance de l’Ontario à l’ambassade du Canada à Belgrade et il s’est par la suite fait délivrer un passeport canadien.

 

[4]               En 1991, le demandeur est allé s’installer à Toronto, où il a vécu et travaillé jusqu’à sa retraite en 2011. Pendant cette période, il a parrainé la demande d’immigration de son épouse, avec laquelle il a eu une fille, qui est née au Canada en 2005. Il a renouvelé ses passeports en 1997, 2002 et 2007.

 

[5]               En 2006, le demandeur a présenté une demande de passeport canadien pour le fils qu’il avait eu d’un mariage antérieur. Par lettre en date du 3 septembre 2007 adressée au fils du demandeur, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a expliqué qu’il avait été décidé que, par application du paragraphe 5(3) de la Loi sur la citoyenneté, le demandeur n’avait pas acquis la citoyenneté de naissance au Canada, étant donné que son père avait été dûment accrédité pour représenter un gouvernement étranger et qu’il avait la qualité de diplomate au moment de la naissance du demandeur. Par conséquent, comme le demandeur n’avait pas la citoyenneté canadienne au moment de la naissance de son fils, ce dernier ne pouvait prétendre à la citoyenneté par l’intermédiaire de son père, le demandeur.

 

[6]               En avril 2012, le demandeur se trouvait en Serbie où il visitait son père. Il s’est adressé à l’ambassade du Canada à Belgrade pour faire renouveler son passeport canadien qui était sur le point d’expirer en mai 2012. Au lieu de renouveler son passeport, Passeport Canada lui a écrit le 25 avril 2012 une lettre l’informant que son passeport avait été révoqué (la décision). Cette décision est celle qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

Décision à l’examen

[7]               Il est précisé dans la décision que Passeport Canada a été chargé par le ministre des Affaires étrangères de s’occuper de toutes les questions se rapportant à la délivrance, à la révocation, au refus de délivrer ou à la récupération des passeports canadiens, ainsi qu’il est précisé dans le Décret sur les passeports. Aux termes du paragraphe 4(2) du Décret sur les passeports, aucun passeport n’est délivré à une personne qui n’est pas un citoyen canadien. De plus, aux termes du paragraphe 3(2) de la Loi sur la citoyenneté, n’acquièrent pas la citoyenneté l’enfant né au Canada dont, au moment de la naissance, les parents n’avaient qualité ni de citoyens canadiens ni de résidents permanents et dont le père ou la mère était agent diplomatique ou consulaire, représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger, ou était au service d’une telle personne.

 

[8]               Passeport Canada a par conséquent décidé de révoquer le passeport du demandeur parce qu’il avait été confirmé que l’un des parents du demandeur était un diplomate étranger en service au Canada au moment de la naissance du demandeur.

 

Thèse des parties

Prétentions et moyens du demandeur

[9]               Le demandeur affirme que Passeport Canada est irrecevable à refuser de lui délivrer un passeport parce qu’il a déjà été décidé qu’il avait droit à un passeport canadien et que le demandeur remplit les conditions permettant de conclure à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée que la Cour a suivies dans la décision Yamani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), [2002] ACF no 1550 (1re inst) (QL) [Yamani]. De plus, le demandeur affirme que la doctrine de la préclusion promissoire s’applique en l’espèce, ajoutant qu’il satisfait aux exigences de cette doctrine, précisées dans l’arrêt Maracle c Travellers Indemnity Co. of Canada, [1991] 2 RCS 50, au paragraphe 13 [Maracle].

 

[10]           Le demandeur soutient également qu’il s’attendait légitimement à ce qu’on lui délivre un passeport canadien. Il cite l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193 [Baker] et soutient que les autorités chargées de délivrer des passeports ne peuvent revenir sur leurs déclarations et leurs agissements antérieurs sans lui faire bénéficier de droits procéduraux complets.

 

[11]           Le demandeur fait valoir que les autorités chargées de délivrer des passeports se sont rendues coupables d’un abus de procédure et/ou d’un abus de pouvoir en décidant après 20 ans de refuser de lui délivrer un passeport canadien (Ministre de la Citoyenneté c Parekh, [2010] ACF no 856 (1re inst) (QL), au paragraphe 24 [Parekh]; Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 RCS 307, au paragraphe 121, [Blencoe]). Les autorités chargées de délivrer des passeports auraient été mises au courant du statut de diplomate des parents du demandeur en 2007, mais n’ont rien fait à ce sujet jusqu’à ce qu’il demande un nouveau passeport en 2012. La décision a eu des effets dévastateurs sur le demandeur et est à ce point abusive qu’il serait dans l’intérêt public de lui permettre de conserver son passeport au lieu de le révoquer, et ce, indépendamment de la question de savoir si Passeport Canada a légalement le droit de révoquer son passeport ou non.

 

[12]           Le demandeur affirme qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale (arrêt Baker, précité; Muliadi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] ACF no 1056 (CA) (QL); Abdi c Canada (Procureur général), [2012] ACF no 945 (1re inst) (QL) [Abdi]; Hrushka c Canada (Ministre des Affaires étrangères), [2009] ACF no 94 (1re inst) (QL); Kamel c Canada (Procureur général), 2008 CF 338, aux paragraphes 58 et 59, infirmé pour d’autres motifs dans 2009 CAF 21 [Kamel]). Passeport Canada aurait dû lui faire part de ses sujets de préoccupation et lui offrir la possibilité d’y répondre avant de prendre sa décision. Passeport Canada aurait également dû lui communiquer les éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé pour rendre sa décision. En fait, Passeport Canada s’est fondé sur une série de courriels pour conclure que les parents du demandeur avaient le statut de diplomates au moment de sa naissance. Toutefois, à défaut de documents à l’appui ou d’analyse du fondement factuel sur lequel reposait sa décision, Passeport Canada ne pouvait raisonnablement arriver à sa décision.

 

[13]           Le demandeur soutient également que Passeport Canada n’a pas légalement le pouvoir de révoquer son passeport, ajoutant que Passeport Canada a commis une erreur en appliquant rétroactivement la Loi sur la citoyenneté à 1956, année de sa naissance.

 

[14]           Enfin, le demandeur fait valoir que Passeport Canada a outrepassé sa compétence en révoquant son passeport. Le Décret sur les passeports ne permet pas à Passeport Canada de vérifier si l’auteur d’une demande de passeport est un citoyen canadien en fonction du statut de diplomate de ses parents au moment de sa naissance. Bien que le Décret sur les passeports prévoie plusieurs raisons pour lesquelles Passeport Canada peut refuser de délivrer un passeport à l’auteur d’une demande, l’ascendance n’en fait pas partie. En fait, comme c’est CIC qui avait le pouvoir de se prononcer sur la qualité de citoyen, la décision de Passeport Canada n’avait aucune base légale.

 

Prétentions et moyens du défendeur

[15]           Le défendeur affirme que le demandeur ne pouvait s’attendre légitimement à se faire délivrer un passeport. Passeport Canada est tenu de par la loi d’appliquer le Décret sur les passeports et a l’obligation de révoquer et de refuser de délivrer un passeport à toute personne qui n’est pas un citoyen canadien. Passeport Canada n’a aucun pouvoir d’attribuer ou de révoquer la citoyenneté : CIC est le service compétent en matière de citoyenneté. Les erreurs administratives en raison desquelles le demandeur a pu par le passé obtenir un passeport ne créent ni une préclusion découlant d’une question déjà tranchée ni une préclusion promissoire, pas plus qu’elles ne créent d’attentes légitimes quant à la délivrance d’un passeport à l’avenir. Le fait que le demandeur ait antérieurement obtenu un passeport fondé sur son certificat de naissance n’emporte pas attribution de la citoyenneté. De plus, les erreurs administratives ne changent rien aux exigences prévues par la loi (Ministre des Ressources naturelles c Inland Industries Limited, [1974] RCS 514, à la page 523 [Inland Industries]).

 

[16]           Le défendeur déclare par ailleurs qu’il est bien établi que les attentes légitimes ne créent que des droits procéduraux et non des droits matériels (Khadr c Canada (Procureur général), 2006 CF 727, au paragraphe 30 [Khadr]). La présente espèce est analogue à l’affaire Al‑Ghami c Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2007 CF 559, aux paragraphes 35 et 36 [Al‑Ghami]).

 

[17]           Le défendeur soutient que Passeport Canada avait le pouvoir légal de révoquer ou de refuser de délivrer un passeport au demandeur, étant donné que ce dernier n’était pas un citoyen canadien. Le paragraphe 4(2) du Décret prévoit ceci : « Aucun passeport n’est délivré à une personne qui n’est pas citoyen canadien en vertu de la Loi ». La « Loi » en question est, selon l’article 2 du Décret, la Loi sur la citoyenneté, dont l’article 3 dispose que les enfants nés de diplomates étrangers ou de l’équivalent au Canada n’ont pas droit à la citoyenneté canadienne du simple fait de leur naissance.

 

[18]           Le défendeur fait valoir que cette disposition de la Loi sur la citoyenneté était déjà en vigueur au moment de la naissance du demandeur. L’alinéa 5(2)(i) de la version de la Loi sur la citoyenneté qui était en vigueur en 1952 prévoit la même exception dans le cas des enfants nés d’un diplomate étranger ou d’un agent consulaire ou du représentant d’un gouvernement étranger accrédité auprès de Sa Majesté.

 

[19]           Le défendeur affirme que Passeport Canada délivrerait un passeport au demandeur si ce dernier lui soumettait des éléments de preuve démontrant qu’il est un citoyen canadien et qu’il satisfait aux autres exigences du Décret sur les passeports. De plus, à l’instar de tout autre ressortissant étranger, le demandeur peut également demander la résidence permanente en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et ensuite demander la citoyenneté.

 

Questions en litige

[20]           Je formulerais comme suit les questions en litige :

1.         La décision est‑elle correcte?

2.         La décision est‑elle raisonnable?

 

Contexte législatif

[21]           L’article 3 de la Loi sur la citoyenneté précise qui a qualité de citoyen canadien, ce qui, dans la plupart des cas, comprend les personnes nées au Canada :

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :

 

a) née au Canada après le 14 février 1977;

3. (1) Subject to this Act, a person is a citizen if

 

 

 

(a) the person was born in Canada after February 14, 1977;

 

 

[22]           Toutefois, au paragraphe 3(2) prévoit une exception dans le cas des enfants dont les parents étaient des diplomates étrangers ou autres personnes liées à un gouvernement étranger au Canada :

(2) L’alinéa (1)a) ne s’applique pas à la personne dont, au moment de la naissance, les parents n’avaient qualité ni de citoyens ni de résidents permanents et dont le père ou la mère était :

 

a) agent diplomatique ou consulaire, représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger;

 

b) au service d’une personne mentionnée à l’alinéa a);

 

 

c) fonctionnaire ou au service, au Canada, d’une organisation internationale — notamment d’une institution spécialisée des Nations Unies — bénéficiant sous le régime d’une loi fédérale de privilèges et immunités diplomatiques que le ministre des Affaires étrangères certifie être équivalents à ceux dont jouissent les personnes visées à l’alinéa a).

(2) Paragraph (1)(a) does not apply to a person if, at the time of his birth, neither of his parents was a citizen or lawfully admitted to Canada for permanent residence and either of his parents was

 

(a) a diplomatic or consular officer or other representative or employee in Canada of a foreign government;

 

 

(b) an employee in the service of a person referred to in paragraph (a); or

 

(c) an officer or employee in Canada of a specialized agency of the United Nations or an officer or employee in Canada of any other international organization to whom there are granted, by or under any Act of Parliament, diplomatic privileges and immunities certified by the Minister of Foreign Affairs to be equivalent to those granted to a person or persons referred to in paragraph (a).

 

 

[23]           Selon l’article 2 de la version du Décret sur les passeports canadiens qui était en vigueur à l’époque où la décision a été prise (entre le 14 avril 2010 et le 16 mai 2012), Passeport Canada était le service du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international que le ministre des Affaires étrangères avait chargé de la délivrance, du refus de délivrance, de la révocation, de la retenue, de la récupération et de l’utilisation des passeports, y compris le refus de services de passeport.

 

[24]           Le Décret sur les passeports dispose qu’aucun passeport n’est délivré à une personne qui n’est pas citoyen canadien au sens de la Loi (laquelle étant, selon l’article 2 du Décret, la Loi sur la citoyenneté) :

4. (1) Sous réserve du présent décret, un passeport peut être délivré à toute personne qui est citoyen canadien en vertu de la Loi.

 

(2) Aucun passeport n’est délivré à une personne qui

n’est pas citoyen canadien en vertu de la Loi.

 

(3) Le présent décret n’a pas pour effet de limiter, de quelque manière, la prérogative royale que possède Sa Majesté du chef du Canada en matière de passeport.

 

(4) La prérogative royale en matière de passeport peut

être exercée par le gouverneur en conseil ou le ministre au nom de Sa Majesté du chef du Canada.

 

4. (1) Subject to this Order, any person who is a Canadian citizen under the Act may be issued a passport.

 

 

(2) No passport shall be issued to a person who is not a Canadian citizen under the Act.

 

(3) Nothing in this Order in any manner limits or affects Her Majesty in right of Canada’s royal prerogative over passports.

 

 

(4) The royal prerogative over passports can be exercised by the Governor in Council or the Minister on behalf of Her Majesty in right of Canada.

 

 

[25]           Les articles 9 et 10 du Décret sur les passeports concernent respectivement le refus et la révocation des passeports.

 

Norme de contrôle

[26]           Lorsque la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à une question donnée, la cour de révision peut l’adopter (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 57 et 62 [Dunsmuir]).

 

[27]           La question de savoir si Passeport Canada a ou non la compétence pour révoquer le passeport du demandeur parce qu’il n’était pas un citoyen canadien est une question de droit assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Dunsmuir, au paragraphe 59). La Cour a constamment jugé que les décisions de Passeport Canada de refuser, de révoquer ou de retenir des passeports sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Villamil c Canada (Procureur général), 2013 CF 686, au paragraphe 30; décision Kamel, précitée, aux paragraphes 58 et 59; Okhionkpanmwonyi c Canada (Procureur général), 2011 CF 1129, au paragraphe 8 [Okhionkpanmwonyi]; Slaeman c Canada (Procureur général), 2012 CF 641, au paragraphe 44 [Slaeman]; Sathasivam c Canada (Procureur général), 2013 CF 419, au paragraphe 13).

 

[28]           Les attentes légitimes concernent l’équité procédurale d’une décision. Dans l’arrêt Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 RCS 249, la juge Arbour déclare ce qui suit :

[78]      […] La doctrine de l’attente raisonnable ne crée pas de droits fondamentaux et n’entrave pas le pouvoir discrétionnaire du décideur légal. Elle fait plutôt partie des règles de l’équité procédurale et trouve application dans les cas où une partie affectée par une décision administrative peut établir qu’elle s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557; Baker, précité, par. 26. Elle peut donner lieu au droit de faire des observations, au droit d’être consulté et peut‑être, si les circonstances l’exigent, à des droits procéduraux plus étendus. Mais autrement elle n’entrave pas le pouvoir discrétionnaire du décideur légal de façon à entraîner un résultat particulier : voir D. Shapiro, Legitimate Expectation and its Application to Canadian Immigration Law (1992), 8 J. L. & Pol’y 282, p. 297.

 

[29]           La norme de contrôle applicable aux questions qui font intervenir la doctrine des attentes légitimes et de la préclusion promissoire ainsi que les règles d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Productions Tooncan (XIII) inc c Canada (Ministre du Patrimoine), 2011 CF 1520, au paragraphe 41; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53). La question de savoir si les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont remplies est une question de droit, étant donné qu’elle concerne les droits procéduraux du demandeur (Rahman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] ACF no 1661, au paragraphe 12 (1re inst) (QL)). Les questions d’abus de pouvoir ont trait à l’équité procédurale et sont donc assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (Herrera Acevedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 167, au paragraphe 10).

 

[30]           Vu ce qui précède, la première question, qui concerne à la fois l’équité procédurale et la compétence légale de Passeport Canada, est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte.

 

[31]           La seconde question a trait au caractère raisonnable de la décision. Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la Cour n’a pas à soupeser de nouveau la preuve ou à substituer sa propre opinion à celle du tribunal administratif; son rôle consiste plutôt à s’assurer que la décision du tribunal est conforme aux principes de justification, de transparence et d’intelligibilité et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables (arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 47 et 53; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59 [Khosa]).

 

Équité procédurale

[32]           Dans l’arrêt Apotex Inc c Merck & Co, 2002 CAF 210, la Cour d’appel fédérale définit la préclusion découlant d’une question déjà tranchée comme étant une irrecevabilité qui intervient lorsque la même question a déjà été tranchée par une « décision judiciaire » mettant en présence les mêmes parties. La décision d’un tribunal administratif peut être considérée comme une « décision judiciaire » donnant lieu à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, [2001] 2 RCS 460 [Danyluk] si trois conditions sont réunies. Ainsi, il faut tenir compte de la nature du décideur administratif ayant rendu la décision, c’est‑à‑dire chercher à savoir s’il s’agissait d’un organe investi d’un pouvoir juridictionnel; il faut ensuite se demander si la décision litigieuse devait être prise judiciairement; enfin, question de fait et de droit, la décision a‑t‑elle été rendue de manière judiciaire? (arrêt Danyluk, précité, au paragraphe 35).

 

[33]           Le demandeur affirme qu’il satisfait aux trois conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, que notre Cour a suivies dans la décision Yamani, précitée, à savoir :

1.         La même question a déjà été tranchée;

2.         La décision judiciaire qui est censée créer la préclusion était une décision définitive;

3.         Les parties à la décision judiciaire ou leurs ayants droit sont les mêmes que les parties à l’instance dans laquelle la préclusion est soulevée ou leurs ayants droit.

 

[34]           Le demandeur affirme que, parce que Passeport Canada lui a déjà délivré des passeports, il avait décidé qu’il « avait droit » à un passeport canadien. Ainsi, la même question opposant les mêmes parties a déjà été tranchée de façon définitive et Passeport Canada ne peut par conséquent refuser de délivrer un passeport au demandeur.

 

[35]           À mon avis, les arguments formulés par le demandeur quant à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont dénués de fondement. Les passeports sont délivrés en vertu de la prérogative royale qui est exercée soit par le gouverneur en conseil, soit par le ministre, conformément au Décret sur les passeports (paragraphe 4(4); Abdi c Canada (Procureur général), 2012 CF 642, au paragraphe 10). Je ne suis par conséquent pas convaincue que l’exigence selon laquelle la décision antérieure doit être « judiciaire » plutôt qu’administrative ou législative a été respectée dans le cas qui nous occupe (arrêt Danyluk, au paragraphe 56).

 

[36]           De plus, les décisions antérieures de Passeport Canada de délivrer un passeport au demandeur n’étaient pas des décisions « définitives ». Tous les passeports viennent à expiration un jour et, par conséquent, tout citoyen canadien désireux de continuer à être titulaire d’un passeport en cours de validité doit, à un moment ou à un autre, présenter une demande pour se faire délivrer un nouveau passeport. Chaque demande se solde par une nouvelle décision que Passeport Canada prend en fonction de la demande qui lui est soumise et, chaque fois, les exigences prévues par le Décret sur les passeports doivent être respectées. Il se peut que la situation du demandeur ait changé, ce qui peut avoir une incidence sur le sort d’une demande subséquente ou le statut de son passeport actuel. Ainsi, si le demandeur a été accusé d’un acte criminel, Passeport Canada peut refuser de lui délivrer un passeport ou lui révoquer son passeport actuel en vertu respectivement de l’alinéa 9b) ou du paragraphe 10(1) du Décret sur les passeports. Par conséquent, le simple fait que Passeport Canada a délivré dans le passé un passeport au demandeur ne permet pas de conclure qu’une décision définitive a été rendue au sens de la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

 

[37]           Dans le même ordre d’idées, rien ne justifie d’invoquer la préclusion promissoire dans le cas qui nous occupe. Celle‑ci n’existe que lorsqu’il y a une promesse explicite ou implicite dont les effets sont clairs et précis et que cette promesse a amené la personne à qui elle s’adressait à agir autrement qu’elle l’aurait fait en d’autres circonstances (La Reine c Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1984] 1 CF 1081, à la page 1085 (CF)).

 

[38]           À ce propos, le demandeur affirme qu’il répond aux principes d’application de la préclusion promissoire, citant à cet égard l’arrêt Maracle, précité, à la page 57 :

Il incombe à la partie qui invoque cette exception d’établir que l’autre partie a, par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse ou donné une assurance destinées à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes.

 

[…]

 

[…] la promesse doit être non équivoque, mais […] peut s’inférer des circonstances.

 

[39]           Plus précisément, le demandeur affirme qu’en lui délivrant un passeport dans le passé, Passeport Canada l’a amené à croire qu’il était un citoyen canadien ayant droit à un passeport. Sur la foi de cet état de fait, le demandeur a fait du Canada son pays d’adoption depuis une vingtaine d’années.

 

[40]           Je ne partage pas cet avis. À mon avis, Passeport Canada ne pouvait promettre formellement au demandeur de continuer à lui délivrer un passeport. Passeport Canada est tenu d’administrer la délivrance et la révocation des passeports en conformité avec le Décret sur les passeports. Il ne peut donc y avoir de préclusion promissoire.

 

[41]           En ce qui concerne la citoyenneté, le droit de détenir un passeport canadien découle de la citoyenneté, laquelle ne peut être attribuée qu’en conformité avec la Loi sur la citoyenneté (Solis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 407 (QL); Al‑Ghamdi c Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2007 CF 539, au paragraphe 29 [Al‑Ghamdi]). Dans le cas qui nous occupe, lorsqu’il a délivré des passeports dans le passé, Passeport Canada l’a fait en croyant à tort que le demandeur était un citoyen canadien de par son lieu de naissance. Toutefois, « une approbation donnée sans que les conditions prescrites par la loi ne soient remplies ne lie pas le ministre » (arrêt Inland Industries, précité; décision Al‑Ghamdi, précitée, au paragraphe 31). Par conséquent, le fait qu’un passeport a été délivré dans le passé n’emporte pas attribution de la citoyenneté et n’oblige pas Passeport Canada à délivrer d’autres passeports à l’avenir, pas plus qu’il ne l’empêche de révoquer un passeport si les conditions légales sous‑jacentes n’ont pas été respectées.

 

[42]           À l’appui de son argument fondé sur l’abus de procédure, le demandeur invoque la décision Parekh, précitée. J’estime toutefois qu’il y a lieu d’établir une distinction entre cette affaire et celle qui m’est soumise en l’espèce.

 

[43]           Dans l’affaire Parekh, précitée, les défendeurs avaient obtenu la citoyenneté canadienne en février 2001. Ils avaient par la suite été accusés de fausses déclarations dans leurs demandes de citoyenneté canadienne et ils avaient plaidé coupables à ces accusations en novembre 2002. CIC a été informé des déclarations de culpabilité en mai 2003 et, le mois suivant, a formulé une recommandation interne en vue de faire révoquer leur citoyenneté. Toutefois, aucune mesure n’a été prise pour entamer ce processus avant décembre 2006 et la déclaration introductive d’instance n’a été déposée dans cette affaire qu’en mai 2008.

 

[44]           La Cour a conclu que l’incertitude entourant le statut des défendeurs avait eu des répercussions néfastes sur leur vie, signalant notamment que CIC n’avait pas examiné la demande de résidence que la fille des demandeurs avait présentée sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire. Si CIC avait révoqué leur citoyenneté dans un délai raisonnable, les défendeurs auraient pu présenter une nouvelle demande après cinq ans. La Cour a conclu que ce délai constituait un abus de procédure parce qu’il avait eu pour effet de priver les défendeurs des avantages inhérents à la citoyenneté, notamment en les empêchant de voyager et en créant de l’incertitude quant à leur statut.

 

[45]           Dans la décision Parekh, la Cour a cité l’arrêt Blencoe, précité, dans lequel la Cour suprême avait examiné les conditions à respecter pour démontrer qu’un retard avait causé un abus de procédure, aux paragraphes 120 à 122 :

120      Pour conclure qu’il y a eu abus de procédure, la cour doit être convaincue que [traduction] « le préjudice qui serait causé à l’intérêt du public dans l’équité du processus administratif, si les procédures suivaient leur cours, excéderait celui qui serait causé à l’intérêt du public dans l’application de la loi, s’il était mis fin à ces procédures » (Brown et Evans, op. cit., à la p. 9‑68). Le juge L’Heureux‑Dubé affirme dans Power, précité, à la p. 616, que, d’après la jurisprudence, il y a « abus de procédure » lorsque la situation est à ce point viciée qu’elle constitue l’un des cas les plus manifestes. À mon sens, cela s’appliquerait autant à l’abus de procédure en matière administrative. Pour reprendre les termes employés par le juge L’Heureux‑Dubé, il y a abus de procédure lorsque les procédures sont « injustes au point qu’elles sont contraires à l’intérêt de la justice » (p. 616). « Les cas de cette nature seront toutefois extrêmement rares » (Power, précité, à la p. 616). Dans le contexte administratif, il peut y avoir abus de procédure lorsque la conduite est tout aussi oppressive.

 

121      Pour qu’il y ait manquement à l’obligation d’agir équitablement, le délai doit être déraisonnable ou excessif (Brown et Evans, op. cit., à la p. 9‑68). Le délai ne constitue pas en soi un abus de procédure. La personne visée par des procédures doit établir que le délai était inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause. Bien que je sois disposé à reconnaître que le stress et la stigmatisation résultant d’un délai excessif peuvent entraîner un abus de procédure, je ne suis pas convaincu que le délai écoulé en l’espèce était « excessif ».

 

122      La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l’objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d’autres circonstances de l’affaire. Comme nous l’avons vu, la question de savoir si un délai est excessif et s’il est susceptible de heurter le sens de l’équité de la collectivité dépend non pas uniquement de la longueur de ce délai, mais de facteurs contextuels, dont la nature des différents droits en jeu dans les procédures.

 

[46]           Contrairement à la situation en cause dans l’affaire Parekh, dans le cas qu’il s’occupe, le demandeur était au courant que CIC était d’avis, depuis septembre 2007, année où la demande de citoyenneté de son fils avait été refusée, qu’il ne pouvait avoir la citoyenneté canadienne en raison du paragraphe 5(3) de la Loi sur la citoyenneté. Bien que Passeport Canada ait attendu au 25 avril 2012 avant de révoquer le passeport du demandeur, dans l’intervalle et contrairement à la situation dans l’affaire Parekh, précitée, le demandeur n’a pas été privé de la citoyenneté ou empêché de voyager à l’étranger ni subi d’autres préjudices importants.

 

[47]           À mon avis, compte tenu des faits et du contexte de la présente affaire, le critère de l’arrêt Blencoe n’a pas été respecté et le délai qui s’est écoulé avant que le passeport du demandeur ne soit révoqué ne constituait pas un abus de procédure.

 

[48]           Le demandeur cite la décision Abdi à l’appui de son argument que la procédure suivie par Passeport Canada pour révoquer et refuser de lui délivrer un passeport constituait un manquement à l’équité procédurale à son égard. À mon avis, cette décision n’est d’aucun secours pour le demandeur.

 

[49]           Dans cette affaire, les passeports des demanderesses avaient été saisis lorsqu’elles avaient tenté de rentrer au Canada à leur retour d’un voyage à l’étranger. Les enquêteurs de Passeport Canada avaient recommandé que leurs passeports soient révoqués, que les demandes qu’elles avaient présentées en vue d’obtenir le renouvellement de leur passeport soient rejetées et que la prestation de services de passeport leur soit refusée pour une période de cinq ans, étant donné que l’enquête avait permis d’établir que deux des trois demanderesses avaient été impliquées dans un incident de passage de clandestins et que la troisième avait de façon irrégulière permis que son passeport soit utilisé par une tierce personne. Passeport Canada avait renvoyé l’affaire à un arbitre pour qu’il rende une décision et l’arbitre avait accepté la recommandation.

 

[50]           Saisie d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision, la juge Gleason a conclu que Passeport Canada avait manqué à son obligation d’équité procédurale étant donné qu’il n’avait pas communiqué aux demanderesses des renseignements importants pour l’enquête, renseignements dont l’arbitre avait tenu compte. Cette omission avait privé les demanderesses de la possibilité de répondre adéquatement à l’arbitre qui avait rendu la décision.

 

[51]           Dans l’affaire en question, la Cour a mentionné les Règles de procédure concernant les cas de refus de délivrance et de révocation de passeports (les Règles) que Passeport Canada avait promulguées unilatéralement. Les Règles prévoyaient une procédure en deux étapes à suivre en cas de refus ou de révocation d’un passeport. La première étape de l’enquête consistait à décider s’il existait des éléments de preuve à l’appui d’une recommandation de révoquer ou de refuser de délivrer un passeport pour l’un des motifs énumérés à l’article 9 ou 10 du Décret sur les passeports. Selon les Règles, la Section de la revue de l’admissibilité de la Direction générale de la sécurité, des politiques et de l’admissibilité du Bureau des passeports (la Section) était tenue de communiquer à l’intéressé « toutes les informations et tous les faits pertinents qu’elle a en sa possession et [lui] donner […] la possibilité de répondre et de fournir un complément d’information ».

 

[52]           Malgré les demandes répétées des demanderesses, la Section n’avait divulgué aucun des documents sur lesquels elle s’était fondée, y compris des rapports détaillés, mais avait plutôt écrit une série de lettres aux demanderesses dans lesquelles plusieurs, mais non la totalité des faits importants étaient relatés. La juge Gleason a conclu que l’équité procédurale n’exigeait pas que les demanderesses reçoivent une copie du dossier entier qui avait été soumis à l’arbitre. L’équité procédurale exigeait toutefois que la Section communique aux demanderesses tous les faits importants qu’elle avait découverts au cours de son enquête, ainsi que tous les arguments à l’appui de la thèse de la Section qui avaient été soumis à l’arbitre. De plus, les intéressées devaient avoir la pleine possibilité de se prononcer sur les faits et les renseignements en question avant que l’affaire ne soit confiée à l’arbitre pour qu’il rende une décision.

 

[53]           Dans la présente affaire, à l’audience, l’avocat du défendeur n’a pas pu préciser à la Cour quelles règles de procédure, le cas échéant, étaient en vigueur au moment où la décision a été prise. La Cour lui a demandé de lui remettre une copie des règles procédurales ou de la procédure utilisées par Passeport Canada à l’époque en cause. Par lettre du 23 janvier 2013, l’avocat du défendeur a soumis un extrait de page Internet d’un document intitulé « L’Ombudsman/The Ombudsman ».

 

[54]           En réponse, l’avocat du demandeur a écrit à la Cour une lettre dans laquelle il soulignait que le document intitulé « L’Ombudsman/The Ombudsman » précisait la procédure à suivre en cas de plaintes portant sur les services de Passeport Canada, tandis que les règles dont il était question dans l’affaire Abdi, précitée, qui concernait le refus et la révocation des passeports, semblaient porter sur une série de mesures complètement différentes. Le défendeur a ensuite présenté les Règles de procédure concernant les cas de refus de délivrance et de révocation de passeports, mais a affirmé qu’elles ne s’appliquaient pas étant donné que le passeport du demandeur avait été révoqué en vertu de l’article 4 du Décret sur les passeports, et non de l’article 9 ou 10. Le défendeur a rétorqué qu’il existait une procédure régissant les révocations effectuées en vertu de l’article 4, mais que cette procédure n’était pas publiée sur le site Internet de Passeport Canada. Quoi qu’il en soit, la procédure qui avait été appliquée correspondait à celle publiée dans la sous‑section intitulée « Procédure pour les cas de refus et de révocation non soumis à l’arbitrage » que l’on trouve dans la copie du document intitulé « L’Ombudsman/The Ombudsman ».

 

[55]           Indépendamment de ce manque de clarté quant à la procédure applicable de Passeport Canada, ce qui est clair, c’est que, suivant la jurisprudence, pour refuser ou révoquer un passeport, il faut une « participation réelle du demandeur au processus d’enquête » (décision Kamel, précitée, au paragraphe 67). Toutefois, même si elle conclut à un manquement à l’équité procédurale, la Cour peut confirmer la décision si elle est convaincue qu’elle ne pouvait avoir aucune incidence sur l’issue de l’affaire (Ahani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 RCS 72, au paragraphe 26). La Cour peut refuser d’accorder une réparation si le manquement à l’équité procédurale « est un vice de forme et n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice » (arrêt Khosa, précité, au paragraphe 43).

 

[56]           Ma collègue la juge Snider écrit quant à elle ceci dans la décision Nagulathas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1159 :

[24]      Même en admettant qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, j’estime qu’il n’y a pas lieu d’accorder au demandeur la réparation qu’il sollicite compte tenu des faits de la présente espèce. Dans le cas où il y aurait eu manquement aux règles de l’équité procédurale, la cour doit se demander si l’erreur en est une qui « n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice » (Khosa, précité, par. 43), et s’il est de toute façon « sans espoir » de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision (Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, p. 228, 111 DLR (4th) 1). Pour que la cour puisse conclure à l’existence d’une erreur susceptible de contrôle, le manquement à l’équité procédurale doit avoir une incidence sur la décision rendue (Lou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 862, par. 13 et 14).

 

[57]           La décision précisait clairement que le passeport du demandeur était révoqué. Elle ne communiquait qu’un seul fait important, en l’occurrence que le père du demandeur avait le statut de diplomate au moment de la naissance du demandeur. Elle informait également le demandeur que toute autre communication avec Passeport Canada relativement à cette affaire devait se faire par écrit.

 

[58]           Le 27 avril 2012, le demandeur a effectivement répondu par écrit à Passeport Canada pour expliquer qu’il était atterré devant la décision de révoquer son passeport et pour expliquer qu’au moment de sa naissance, son père ne faisait pas partie du corps diplomatique, mais était membre du personnel de service. Toute confirmation contraire du Bureau du protocole était erronée, comme pouvait le corroborer le ministre des Affaires étrangères à Belgrade, en Serbie. Toutefois, le demandeur n’a soumis aucun document à l’appui de cette affirmation. Il a demandé que la décision portant révocation de son passeport soit réexaminée à la lumière de ces renseignements pour que lui et les membres de sa famille puissent rentrer au Canada et reprendre leur vie normale.

 

[59]           Passeport Canada et le demandeur ont échangé plusieurs courriels entre le 3 et le 15 mai 2012. Passeport Canada a cherché à savoir du demandeur s’il détenait la citoyenneté et un passeport d’un autre pays et s’il avait tenté de se faire délivrer un titre de voyage canadien d’urgence. Le demandeur a confirmé qu’il avait la citoyenneté et un passeport serbes. Le 14 mai 2012, Passeport Canada a accusé réception de la réponse du demandeur à sa lettre du 25 avril 2012 et a déclaré qu’il avait procédé à d’autres vérifications auprès du Bureau du protocole, qui avait confirmé que le père et la mère du demandeur étaient au Canada et avaient le statut diplomatique entre 1953 et 1957.

 

[60]           À mon avis, le demandeur a été clairement informé du motif de la révocation de son passeport et s’est vu offrir la possibilité de répondre à cette décision, possibilité dont il s’est prévalu. De plus, le demandeur était au courant de l’existence de ce problème depuis septembre 2007. Or, il n’a entrepris aucune démarche quant à la question du statut de son père avant que son passeport ne soit révoqué, croyant sans doute que cela n’aurait aucune incidence sur son statut. Toutefois, même dans sa réponse à la décision, le demandeur n’a fourni aucun document à l’appui de son allégation que son père n’avait pas le statut de diplomate.

 

[61]           Fait plus important, dans l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a déclaré qu’au moment de sa naissance, son père travaillait à l’ambassade yougoslave comme agent des finances au sein du ministère des Affaires étrangères et ne faisait pas partie du corps diplomatique. Son père faisait partie du personnel technique ou administratif de l’ambassade, dont les membres ne jouissent pas de l’immunité ou des privilèges diplomatiques. Il a également affirmé que sa mère était femme au foyer.

 

[62]           Le demandeur a essentiellement reconnu qu’au moment de sa naissance, son père était un employé d’un gouvernement étranger travaillant au Canada. Il s’ensuit que l’alinéa 3(2)a) de la Loi sur la citoyenneté s’applique au demandeur. Par conséquent, même s’il avait été victime d’un manquement à l’équité procédurale – ce qui, à mon avis, n’est pas le cas –, je suis convaincue que ce manquement n’aurait aucune incidence sur l’issue finale de la présente affaire.

 

[63]           À mon avis, rien ne permet au demandeur de prétendre qu’il peut s’attendre légitimement à obtenir un passeport canadien. Comme il a été déclaré dans l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 26, la doctrine des attentes légitimes ne peut donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure. Elle est plutôt « fondée sur le principe que les “circonstances” touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédure, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants » (voir également la décision Khadr, précitée, au paragraphe 119; Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 93, 94 et 98).

 

[64]           À ce propos, je tiens également à signaler que l’affaire Al‑Ghamdi, précitée, dont les faits ressemblent beaucoup à ceux de la présente espèce et dans laquelle les mêmes dispositions de la Loi sur la citoyenneté et du Décret sur les passeports ont été examinées, le demandeur, qui était né à Montréal, s’était par erreur vu délivrer un passeport canadien sur la foi de son certificat de naissance provincial. Passeport Canada avait par la suite refusé de lui délivrer un nouveau passeport après avoir appris que le demandeur n’était pas un citoyen canadien parce qu’au moment de sa naissance, son père était un diplomate étranger ou l’équivalent.

 

[65]           Dans l’affaire Al‑Ghamdi, le demandeur avait également invoqué un argument fondé sur les attentes légitimes, argument que notre Cour avait rejeté. Le juge Shore a déclaré qu’il était bien établi en droit canadien que la doctrine des attentes légitimes ne conférait que des droits procéduraux. Voici ce qu’il écrit :

[37]      Le demandeur a toujours été conscient de ce qu’il devait prouver et on lui a accordé la possibilité de remplir les conditions prévues par le Décret sur les passeports canadiens.

 

[38]        En informant le demandeur de sa décision, Passeport Canada lui a communiqué suffisamment d’éléments d’information pour qu’il sache pourquoi sa demande de passeport était refusée, en l’occurrence parce qu’il n’est pas un citoyen canadien.

 

[39]        La raison pour laquelle le demandeur n’est pas un citoyen canadien est sans intérêt pour ce qui est de la décision de refuser de lui délivrer un passeport. Comme ce renseignement n’est pas pertinent pour ce qui est de la décision, il n’était pas nécessaire qu’il se retrouve dans la décision.

 

[40]        D’ailleurs, si le demandeur lui soumettait une preuve démontrant qu’il a la citoyenneté canadienne et qu’il satisfait à toutes les autres conditions prescrites par le Décret sur les passeports canadiens, Passeport Canada lui délivrerait un passeport.

 

[66]           Je tiens également à mentionner l’affaire Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 614, dans laquelle une agente de la citoyenneté avait refusé de délivrer au demandeur un certificat de citoyenneté canadienne. Avant de communiquer sa décision, l’agente avait obtenu des autorités frontalières des renseignements concernant les antécédents judiciaires et la citoyenneté du demandeur. Elle avait découvert que le père du demandeur était un diplomate au moment de la naissance du demandeur, ce qui empêchait ce dernier d’obtenir la citoyenneté. L’un des arguments du demandeur était qu’il avait été victime d’un manquement à l’équité procédurale parce que l’agente avait obtenu les renseignements en question d’un agent de l’ASFC sans l’aviser. Le juge Mandamin écrit :

[32] Il ressort des pièces soumises à l’agente de la citoyenneté que le demandeur était au courant du fait que le statut diplomatique de son père jouerait un rôle crucial en l’espèce. Par l’entremise de son avocat, le demandeur a reconnu que son père avait été admis au Canada muni d’un passeport diplomatique et qu’il avait été enregistré comme vice‑consul, en insistant toutefois pour dire que son père n’exerçait aucune des fonctions d’un agent diplomatique ou consulaire.

 

[67]           Le juge Mandamin a également déclaré ce qui suit :

[34]  À mon avis, comme il était au courant des documents en question de l’ASFC, le demandeur n’a pas été privé de la possibilité de faire pleinement valoir son point de vue. Il ressort d’ailleurs des observations que le demandeur a faites à l’agente de la citoyenneté qu’il s’est attaché à la question soulevée par le paragraphe 3(2) de la Loi sur la citoyenneté et au statut de son père. La lettre de l’ASFC parle de renseignements qui se trouvaient en la possession du demandeur. Elle traite de questions que le demandeur avait lui‑même abordées dans les observations qu’il avait faites à l’agente de la citoyenneté, exception faite de son argument que la MIDA était une organisation non gouvernementale.

 

[35]  Je conclus que le demandeur n’a pas été privé de la possibilité de faire valoir son point de vue de façon utile au sujet du statut de son père au moment de sa naissance. Je conclus que l’agente de la citoyenneté n’a pas violé le droit à l’équité procédurale du demandeur.

 

[68]           Tout comme dans les affaires Al‑Ghami et Lee, le demandeur savait, dans la présente affaire, que le statut de son père aurait un effet déterminant et il s’était vu offrir la possibilité de répondre à cette préoccupation.

 

[69]           Pour ces motifs, même si Passeport Canada aurait dû mener une enquête en conformité avec les règles relatives à la révocation et au refus de délivrer un passeport qui étaient en vigueur au moment de la décision, le demandeur n’a pas été victime d’un manquement à l’équité procédurale. De plus, même si les agissements de Passeport Canada avaient constitué un manquement à l’équité procédurale, ce manquement n’a pas eu d’incidence sur l’issue de l’affaire, de sorte qu’aucune erreur susceptible de révision n’a été commise.

 

[70]           Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire qu’aux termes du Décret sur les passeports, Passeport Canada était légalement autorisé à révoquer ou à refuser de délivrer un passeport au demandeur parce qu’il n’était pas un citoyen canadien.

 

[71]           Le demandeur affirme qu’en faisant défaut d’appliquer la version de la Loi sur la citoyenneté qui était en vigueur au moment de sa naissance, en l’occurrence la Loi sur la citoyenneté, LRC 1952, c 33, Passeport Canada a rendu une décision invalide.

 

[72]           Comme le défendeur le souligne, la même exception existait au paragraphe 5(2) dans sa rédaction en vigueur dans la version de 1952 de la Loi sur la citoyenneté :

5(1) Une personne, née après le 31 décembre 1946, est un citoyen canadien de naissance,

 

a) si elle est née au Canada ou sur un navire canadien; ou […]

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à un[e] personne si, au moment de la naissance de cette personne, son parent responsable

 

a) […]

 

b) était

 

(i) un agent diplomatique ou consulaire étranger ou un représentant d’un gouvernement étranger accrédité auprès de Sa Majesté,

 

(ii) un employé d’un gouvernement étranger, attaché à une mission diplomatique ou à un consulat au Canada, ou au service d’une telle mission ou d’un tel consulat, ou

 

(iii) un employé au service d’une personne mentionnée au sous‑alinéa (i).

 

[73]           Par conséquent, si son père occupait l’un des types de postes visés au paragraphe 5(1), le demandeur ne pourrait acquérir la citoyenneté simplement du fait de sa naissance en sol canadien.

 

[74]           Dans le cas qui nous occupe, le demandeur a reconnu que son père travaillait à l’ambassade yougoslave à titre d’agent des finances pour le ministre des Affaires étrangères et qu’il ne faisait pas partie du corps diplomatique au moment de sa naissance. Par conséquent, même si son père n’était pas un diplomate, j’estime quand même qu’il travaillait pour un gouvernement étranger attaché à une mission diplomatique ou à un consulat au Canada, ou au service d’une telle mission ou d’un tel consulat et qu’il tombait donc sous le coup de l’exception prévue par l’une ou l’autre version de la Loi sur la citoyenneté.

 

[75]           Pour tous les motifs qui ont été exposés, j’estime que la décision était correcte.

 

La décision est‑elle raisonnable?

[76]           Le demandeur affirme que la décision est déraisonnable parce que Passeport Canada s’est fondé sur un dossier de preuve entaché de lacunes. Plus précisément, il n’y avait aucun élément de preuve factuel pour appuyer la position de Passeport Canada que les parents du demandeur avaient le statut de diplomate au moment de sa naissance. Passeport Canada s’est fondé uniquement sur des courriels internes et n’a obtenu aucun document ni mené aucune analyse pour vérifier le fait essentiel que constituait le statut du père du demandeur avant de rendre sa décision.

 

[77]           Voici ce qu’on trouve dans le dossier soumis à Passeport Canada en ce qui concerne le statut des parents du demandeur :

[traduction]

-                      Document de Passeport Canada intitulé

« Fiche historique du dossier/sécurité », dossier no C66090093, en date du 19 novembre 2007, précisant ce qui suit : [traduction] « Il a été confirmé par le Bureau du protocole que le père, Nicola Pavicevic, né le 16 septembre 1930, a été accrédité comme représentant étranger au Canada à compter de son arrivée le 7 octobre 1953 jusqu’au 21 novembre 1957. Il était donc accrédité comme diplomate au moment de la naissance de Danko Pavicevik (23 avril 1956);

 

‑           Un autre document de Passeport Canada intitulé « Visualiser la note pour Fichier FL2009‑054769 » daté du 19 novembre 2007 reprend cette même déclaration;

 

‑           On trouve ce qui suit dans le courriel daté du 19 avril 2012 par lequel Passeport Canada cherchait à obtenir une confirmation du Bureau du protocole, Affaires étrangères et Commerce international (Bureau du protocole) quant au statut des parents du demandeur : « Je veux simplement vérifier avec vous le statut de la personne suivante. Suivant les notes au dossier, il a été confirmé par notre bureau en 2007 que le père de l’intéressé, Nicola Pavicevic, est né le 16 septembre 1930 et a été accrédité comme représentant étranger au Canada à compter de son arrivée le 7 octobre 1953 jusqu’au 21 novembre 1957. Il était donc accrédité comme diplomate à l’époque de la naissance de l’intéressé [...]

 

‑           Dans un courriel, le Bureau du protocole a expliqué qu’il n’était pas certain que ses dossiers remontaient à aussi loin et qu’il leur faudrait peut‑être demander aux archives ces renseignements qui ne se trouvaient pas sur microfiches;

 

‑           Par courriel interne daté du 20 avril 2012, Passeport Canada a déclaré qu’il souhaitait consulter les archives et qu’il contacterait également CIC. Il a également demandé si la microfiche remontait à aussi loin que 1953;

 

‑           Par courriel interne daté du 20 avril 2012, le directeur adjoint, Privilèges, Immunités et Accréditation, Services au Corps diplomatique, Bureau du protocole, a répondu par l’affirmative à la question de savoir si la microfiche remontait à aussi loin que 1953 et, dans le cas contraire, a précisé qu’il faudrait soumettre une demande aux archives. Il a également déclaré : « Je confirme également que le père et la mère avaient le statut de diplomates entre 1953 et 1957 »;

 

‑           Une note au dossier des Affaires étrangères, datée du 25 avril 2012, porte : « Des vérifications supplémentaires ont été effectuées auprès du Bureau du protocole/MAECI et CIC pour confirmer le statut de l’intéressé. Suivant les renseignements fournis, il a été confirmé par le Bureau du protocole que le père et la mère de l’intéressé avaient le statut de diplomates entre 1953 et 1957. Par conséquent, l’intéressé n’a pas droit à un passeport canadien »;

 

‑           L’échange de courriels reprend en mai 2012, ce qui permet de penser qu’une demande devait être soumise aux archives au sujet du statut de la sœur du demandeur compte tenu du fait que les dossiers vérifiés n’indiquaient pas que les parents du demandeur avaient déclaré la naissance de leurs enfants, contrairement à ce que doivent faire les diplomates, de sorte que l’on ne trouvait au dossier aucun résultat de recherche dans les archives.

 

[78]           Bien que les éléments qui ont été vérifiés et que l’on trouve au dossier à l’appui soient constitués de communications intergouvernementales plutôt que de documents concrets portant sur le statut des parents du demandeur, il n’appartient pas à la Cour de décider si les éléments de preuve en question constituent une preuve suffisante du fait que le père du demandeur était un diplomate étranger. Il s’agit plutôt pour notre Cour de vérifier si la décision contestée de Passeport Canada repose sur les éléments de preuve contenus au dossier et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59).

 

[79]           À mon avis, la décision était raisonnable parce qu’elle est défendable sur le fondement du dossier dont disposait Passeport Canada et parce qu’elle n’est contredite par aucun des éléments de preuve documentaire soumis par le demandeur. Même si tel n’était pas le cas, le demandeur lui‑même a confirmé que son père travaillait pour l’ambassade yougoslave au moment de sa naissance. Par conséquent, le résultat serait le même, et ce, même si l’affaire était renvoyée à Passeport Canada pour réexamen.

 

Dépens

[80]           Le demandeur soutient qu’un montant forfaitaire de 10 000 $ à titre de dépens est raisonnable et justifié en l’espèce. Le demandeur s’est vu refuser un passeport malgré le fait qu’il vit au Canada depuis 20 ans et la présente affaire soulève des questions importantes et complexes. Passeport Canada a placé le demandeur dans une situation sans issue et ne lui a fait aucune offre sérieuse pour régler l’affaire, en plus de lui faire des menaces sur la question des dépens pour l’inciter à se désister de sa demande.

 

[81]           Le défendeur affirme qu’un montant forfaitaire de 10 000 $ est inapproprié et que le demandeur devrait fournir à l’audience un projet de mémoire de frais complet conformément à l’article 400 et au tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles). De plus, le défendeur affirme qu’il est inapproprié de la part du demandeur de mentionner les discussions qui ont eu lieu entre les parties en vue d’un règlement. Le défendeur n’a pas proféré de menaces à l’endroit du demandeur sur la question des dépens, mais lui a fait une offre de règlement et, par souci de transparence, l’a informé que, s’il obtenait gain de cause dans la présente affaire, il informerait la Cour de son offre de règlement pour réclamer des dépens élevés en conformité avec les Règles.

 

[82]           À l’audience à laquelle j’ai présidé, le défendeur a soumis les lettres censées être une offre de règlement ainsi qu’un mémoire de dépens d’un montant de 2 485,26 $ présenté conformément à la colonne III du tarif B.

 

[83]           Ainsi que je l’ai expliqué à l’audience, bien que le défendeur affirme dans sa lettre qu’il s’agit d’une offre de règlement, l’idée que Passeport Canada était en mesure de présenter une sorte d’offre de règlement contredit directement son argument qu’eu égard aux circonstances de la présente affaire, le Décret des passeports et la Loi sur la citoyenneté empêchent Passeport Canada de prendre toute mesure autre que la révocation du passeport du demandeur. D’ailleurs, dans son « offre de règlement », l’avocat du défendeur déclare : [traduction] « Passeport Canada ne peut régler ce problème pour M. Pavicevic. Il s’agit plutôt d’une question qui relève de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). La lettre continue en expliquant que, si le demandeur se désistait de sa demande, le défendeur serait prêt à renoncer à ses dépens. Toutefois, si le demandeur poursuivait et n’obtenait pas gain de cause, le défendeur réclamerait des dépens élevés selon le barème le plus élevé prévu au tarif B et se fonderait sur son « offre de règlement ».

 

[84]           En réponse, l’avocat du demandeur a expliqué qu’il refusait de se désister de sa demande et qu’il réclamerait les dépens sur la base avocat‑client.

 

[85]           À mon avis, il n’y avait pas d’offre de règlement comme telle et les dépens majorés réclamés par le défendeur ne sont pas justifiés. Bien que le demandeur n’ait pas obtenu gain de cause, la révocation de son passeport canadien est une question très grave comportant des conséquences sérieuses, d’autant plus qu’il avait fait du Canada son pays d’adoption depuis une vingtaine d’années, travaillait au Canada, payait des impôts et était une personne qui a contribué à la société canadienne.

 

[86]           Le pouvoir discrétionnaire dont jouit le juge du procès lorsqu’il s’agit d’adjuger des dépens doit être exercé judiciairement en tenant compte des principes et des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles (Illinois Tool Works Inc c Cobra Anchors Co, 2003 CAF 358). Compte tenu de ce principe et des faits et circonstances susmentionnés, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour accorder au défendeur un montant forfaitaire de 500 $ à titre de dépens.

 

[87]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire. Les dépens, fixés à 500 $, sont adjugés au défendeur.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1419‑12

 

INTITULÉ :                                                  DANKO PAVICEVIC c PGC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 16 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 27 septembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffery

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Abigail Browne

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthey Jeffery

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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