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Date : 20131010


Dossier : IMM-1462-13

 

Référence : 2013 CF 1023

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Roy

 

 

ENTRE :

KULDEEP KAUR

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent de l’immigration (l’agent), en date du 28 janvier 2013, par laquelle la demanderesse a été déclarée interdite de territoire pour fausses déclarations en application de l’article 40 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

 

[2]               La preuve se compose de documents concernant le fils de la demanderesse, que celle‑ci a présentés dans le cadre de sa demande de résidence permanente. La demande de résidence permanente vise le fils en tant qu’enfant à charge. L’agent a conclu que le certificat d’immatriculation et le certificat d’études secondaires de deuxième cycle du fils de la demanderesse étaient frauduleux. Par conséquent, il a conclu que la demanderesse est interdite de territoire. Je conclus que la décision de l’agent n’est pas raisonnable dans les circonstances. De plus, les circonstances particulières de la présente affaire m’amènent à conclure que l’équité procédurale n’a pas été respectée. L’affaire doit donc être renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Les motifs de ma décision sont exposés ci‑après.

 

Les faits

[3]               La demanderesse souhaite obtenir un visa de résidente permanente au Canada. Elle est parrainée par sa fille qui est une résidente permanente du Canada. Le 11 novembre 2010 ou vers cette date, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente, ainsi que les documents à l’appui de celle‑ci, au Haut‑commissariat du Canada à New Delhi, en Inde. Au cours des deux années qui ont suivi, diverses demandes de renseignements ou de mises à jour auraient été nécessaires dans le cadre du traitement de la demande.

 

[4]               Le 9 novembre 2012 ou vers cette date, le Haut‑commissariat du Canada à New Delhi a envoyé à la demanderesse une lettre faisant état de vives préoccupations au sujet de certains documents fournis. Voici un extrait de la lettre dite « relative à l’équité » :

[traduction]

 

Vous avez soumis des documents relatifs aux études de votre fils Sukhjeet Singh à l’appui de votre demande de résidence permanente au Canada. Après vérification, les certificats d’études secondaires et d’études secondaires de deuxième cycle de votre fils ont été jugés frauduleux.

 

 

 

[5]               La demanderesse a allégué que la lettre relative à l’équité contenait trop peu de détails pour qu’elle puisse fournir une réponse. J’ai conclu que tel n’était pas le cas. Les documents auxquels la lettre faisait référence tiennent à quelques pages et, même si des précisions auraient pu être utiles, il n’était pas difficile de déceler le problème à la vue des documents. La véritable difficulté résidait dans le fait qu’il était précisé dans la lettre que la demanderesse devait fournir une réponse dans les 30 jours suivant la date de la lettre.

 

[6]               Le défendeur ne conteste pas le fait que la lettre du 9 novembre n’est parvenue à la demanderesse que le 3 décembre 2012. À tout le moins, le défendeur ne peut contredire l’affidavit de la demanderesse selon lequel elle a reçu la lettre ce jour‑là.

 

[7]               Le conseil qui représentait alors la demanderesse a demandé une prorogation de délai le 11 décembre 2012. Aucune explication n’a été donnée au fait que la demanderesse a mis huit jours à demander la prorogation. Quoi qu’il en soit, on peut difficilement contester le fait que le défendeur a reçu un tel courriel, parce qu’il a demandé au conseil de lui fournir son autorisation d’agir au nom de la demanderesse, puisqu’il semblait que quelqu’un d’autre avait agi en son nom avant cette date.

 

[8]               Le 7 janvier 2013, le même conseil a réitéré sa demande de prorogation de délai et il a fourni par la même occasion au défendeur le formulaire confirmant qu’il représentait la demanderesse.

 

[9]               Il n’est pas contesté que le défendeur n’a jamais précisé s’il acceptait ou non la prorogation du délai de réponse à la lettre relative à l’équité datée du 9 novembre 2012. En revanche, la demanderesse n’a pas fait preuve de diligence pour ce qui est de répondre aux préoccupations soulevées dans la lettre du 9 novembre 2012.

 

[10]           Un peu plus de deux semaines après avoir reçu la confirmation du changement du conseil représentant la demanderesse, le défendeur a laconiquement rejeté la demande de résidence permanente au Canada. La demanderesse a été déclarée interdite de territoire, aux termes de l’article 40 de la Loi, pour les motifs suivants :

[traduction]

 

Dans le cadre de votre demande de résidence permanente au Canada, vous avez déclaré Sukhjeet Singh comme votre enfant à charge. À l’appui de la demande de Sukhjeet Singh, vous avez soumis son certificat d’immatriculation et son certificat d’études secondaires de deuxième cycle délivrés par la commission scolaire du Penjab. Après vérification auprès de la commission scolaire du Penjab, nous avons appris que le certificat d’immatriculation et le certificat d’études secondaires de deuxième cycle de Sukhjeet Singh étaient frauduleux. Nous vous avons informée de cette conclusion dans une lettre datée du 9 novembre 2012, mais nous n’avons encore obtenu aucune réponse de votre part. Je conclus que vous avez soumis des certificats d’études frauduleux au nom de Sukhjeet Singh pour montrer qu’il satisfait à la définition d’« enfant à charge » au sens du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

 

 

Analyse

 

[11]           Les notes entrées par le défendeur dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) sont le seul élément de preuve dont dispose la Cour. De façon générale, les notes ne corroborent pas l’énoncé principal exposé dans la lettre du 28 janvier 2013. Dans une entrée en date du 4 octobre 2012, on peut lire ce qui suit :

[traduction]

 

J’ai appelé à l’école secondaire de deuxième cycle Khalsa Amarjit, Domali (Kapurthala), au sujet des détails figurant sur le certificat d’immatriculation et sur le certificat d’études secondaires de deuxième cycle. J’ai donné les renseignements détaillés figurant sur les deux certificats, la directrice de l’école a vérifié dans ses dossiers et confirmé qu’il n’existait aucun dossier à ce nom ou à ce numéro de matricule et à ce numéro d’inscription pour le niveau de la 10e année en mars 2004 et pour le niveau de la 12e année (études secondaires de deuxième cycle) en 2006.

 

[12]           Comme on peut le voir, rien ne montre que la commission scolaire a été jointe. Les certificats sont délivrés par la commission scolaire. Rien ne confirme non plus que les certificats étaient frauduleux. Il semble que l’agent ait tiré cette conclusion parce que la directrice n’avait trouvé aucun dossier.

 

[13]           En effet, dans les notes entrées le 28 janvier 2013 dans le STIDI, on peut lire ce qui suit :

[traduction]

 

J’ai examiné tous les faits relatifs à l’affaire et je constate que la demanderesse n’avait pas donné suite à nos démarches entreprises en vue de respecter l’équité procédurale. Selon la prépondérance des probabilités, il est effectivement plus probable que la demanderesse ait fait une présentation erronée sur un fait important pour une décision fondée sur la LIPR…

 

 

Je suis porté à penser que cette déclaration n’est pas tout à fait exacte. Même si la demanderesse n’avait pas encore formulé de commentaires, elle avait déjà demandé une prorogation de délai à deux reprises sans obtenir de réponse du défendeur. Elle avait donné suite aux « démarches entreprises en vue de respecter l’équité procédurale », même si elle n’avait pas donné sa réponse en bonne et due forme. Une telle déclaration donne à penser que la demanderesse était demeurée silencieuse depuis le 9 novembre 2012. La déclaration est imprécise et elle pourrait entraîner une perception inexacte, selon laquelle il y aurait lieu de conclure que, selon la prépondérance des probabilités, il y aurait eu une fausse déclaration compte tenu de l’absence de réponse. De toute évidence, la décision de déclarer la demanderesse interdite de territoire pour fausses déclarations tient en bonne partie à l’absence de réponse aux démarches visant le respect de l’équité procédurale.

 

[14]           L’appel téléphonique à l’école secondaire de deuxième cycle Khalsa Amarjit a eu lieu en octobre 2012. La lettre relative à l’équité a été envoyée plus d’un mois plus tard, ce qui laisse penser qu’il n’y avait pas d’urgence. Rien au dossier ne contredit le fait que la lettre en question a été reçue par la demanderesse seulement quelques jours avant l’expiration du délai de réponse de 30 jours. Toutefois, la demanderesse a envoyé des messages en décembre 2012 et en janvier 2013 qui permettaient manifestement de penser qu’elle répondrait aux préoccupations sous peu. En dépit de cela, le défendeur a conclu l’affaire dans une lettre datée du 28 janvier en invoquant le fait que la lettre relative à l’équité du 9 novembre 2012 était restée sans réponse à ce jour. Il est difficile de comprendre pourquoi le défendeur était si pressé de conclure cette affaire qui avait débuté en novembre 2010 par le dépôt d’une demande de résidence permanente.

 

[15]           Qui plus est, la lettre du 28 janvier ne précise pas pourquoi les documents soumis étaient visés par les dispositions de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, qui se lisent comme suit :

  40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

  a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

  40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

  (a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

[16]           En l’espèce, il appert que d’autres documents au dossier appuieraient la prétention selon laquelle le fils de la demanderesse était un étudiant universitaire, ce qui laisserait supposer qu’il avait terminé ses études secondaires. Or, le défendeur estime que la présentation erronée concerne un fait important quant à un objet pertinent qui risquerait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

 

[17]           Je m’explique mal pourquoi le défendeur a procédé de façon précipitée et envoyé la lettre du 28 janvier 2013 après réception de deux demandes de prorogation de délai restées sans réponse. La demanderesse aurait pu faire preuve de plus de diligence en matière d’équité. Non seulement les deux demandes de prorogation de délai étaient‑elles séparées d’un mois, mais il aurait été dans l’intérêt supérieur de la demanderesse qu’elle fournisse des renseignements, même partiels, à l’appui de son allégation selon laquelle les réserves du défendeur étaient injustifiées, sinon complètement infondées. Rien de tout cela n’a eu lieu.

 

[18]           À mon avis, la décision pose problème à deux égards. Premièrement, le processus suivi était déficient. Deuxièmement, la décision ne démontre pas pourquoi il était raisonnable dans les circonstances de conclure que la présentation erronée, le cas échéant, portait sur un fait important et satisfaisait au critère énoncé à l’article 40 de la Loi.

 

[19]           En l’espèce, après avoir examiné la demande sur une période de deux ans, le défendeur a envoyé une « lettre relative à l’équité » assortie d’un délai de réponse de 30 jours; or, il semble que la lettre n’ait été reçue que 24 jours plus tard. Si des éléments de preuve permettent de penser que le défendeur a bien reçu les deux demandes de prorogation du délai, il n’a répondu à aucune. Puis, soudainement, il a rendu une décision finale.

 

[20]           Comme l’affirment Brown et Evans au sujet de l’équité procédurale dans Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto, Canvasback Publishing Inc., 2013), au paragraphe 7:3110 :

[traduction]

 

Son but premier est d’accorder une possibilité réelle à ceux qui le souhaitent de présenter au décideur des éléments de preuve et des arguments pertinents pour la décision à rendre, et, corrélativement, d’assurer que le décideur les examine de façon équitable et impartiale.

 

 

Je suis bien sûr conscient du fait que la juste possibilité de participer n’est pas une proposition d’une portée illimitée. Selon les mots de Brown et Evans, elle est tempérée par [traduction] « l’intérêt du public à l’égard de la prise de décision efficace, rapide et efficiente » (au paragraphe 7‑1100). J’estime que si, pour des raisons d’équité, la demanderesse doit être avisée de préoccupations certes légitimes, il faut par conséquent donner à celle‑ci la juste possibilité d’y répondre. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, la précipitation du défendeur demeure inexpliquée, tout comme le fait qu’il n’a pas communiqué avec le représentant de la demanderesse en temps utile. La possibilité de présenter des observations ne peut être écartée au nom de l’efficience du processus décisionnel. Selon moi, la possibilité de présenter une réponse en bonne et due forme n’a pas été accordée en l’espèce. 

 

[21]           La norme de contrôle en matière d’équité procédurale est la norme de la décision correcte (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392). En l’espèce, le défendeur n’a pas donné la possibilité à la demanderesse de se faire entendre, ce qui serait suffisant pour trancher l’affaire.

 

[22]           Mais il y a plus. Je suis d’avis que la décision en elle‑même présente une lacune qui justifierait l’intervention de la Cour.

 

[23]           Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour affirme ce qui suit :

[47]     […] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel […].

 

 

Dans un cas où les motifs ne sont pas tout à fait exacts et où l’on ne sait pas clairement comment la présentation erronée alléguée pourrait entacher le processus au point d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi, la seule conclusion possible est de juger que les motifs sont insuffisants.

 

[24]           Le critère que les décideurs doivent respecter n’est pas celui de la perfection dans les motifs. En effet, l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 14). Les motifs n’ont pas non plus à être exhaustifs ou à faire référence à tous les arguments.

 

[25]           Néanmoins, je soutiens respectueusement que les motifs examinés en corrélation avec le résultat en l’espèce ne permettent pas au juge siégeant en révision de confirmer que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et qu’elle est donc raisonnable. Il s’agit du critère auquel satisfaire (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité, au paragraphe 16). Le seul fait de reproduire le contenu de la loi ne suffit tout simplement pas.

 

Conclusion

[26]           Par conséquent, l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Celui‑ci devra donner le temps à la demanderesse de présenter ses observations sur les préoccupations soulevées dans la lettre relative à l’équité datée du 9 novembre 2012. Une période de quarante‑cinq (45) jours suivant la date du présent jugement devrait suffire pour la présentation des observations.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      L’affaire fera l’objet d’une nouvelle décision par un autre agent dès que l’agent aura reçu les observations de la demanderesse sur les préoccupations soulevées dans la lettre relative à l’équité datée du 9 novembre 2012.

3.      La demanderesse devra soumettre lesdites observations au défendeur dans les quarante‑cinq (45) jours suivant la date du présent jugement.

4.      Les parties ont convenu qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.

 

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-1462-13

 

INTITULÉ :

KULDEEP KAUR c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                        Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 septembre 2013

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :                            LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 octobre 2013

 

COMPARUTIONS :

Puneet Khaira

 

Edward Burnet

 

pour la demanderesse

 

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lindsay Kenney LLP

Langley (Colombie‑Britannique)

 

pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

pour le défendeur

 

 

 

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