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Federal Court

 

Cour fédérale

Date : 20130925

Dossiers : IMM-252-13

IMM-546-13

Référence : 2013 CF 979

Ottawa (Ontario), ce 25e jour de septembre 2013

En présence de monsieur le juge Roy 

Dossier : IMM-252-13

ENTRE :

 

Odney Richmond VICTOR

 

 

 

Demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

Défendeur

 

 

 

Dossier : IMM-546-13

ENTRE :

 

Odney Richmond VICTOR

 

 

 

Demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, monsieur Odney Richmond Victor, a fait deux demandes de contrôle judiciaire à l’égard de décisions à son égard.

 

[2]               Dans la première (IMM‑252‑13), il s’agit d’un contrôle judiciaire demandé relativement à la décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SI) du 18 décembre 2012 qui concluait que le demandeur est interdit de territoire en ce qu’il est une personne visée par les alinéas 36(1)c) (grande criminalité) et 36(2)c) (criminalité) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi).

 

[3]               Dans la seconde (IMM‑546‑13), c’est d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) dont il est question. Cette décision a été rendue le 20 décembre 2012 et elle concluait que le demandeur ne pouvait se réclamer des articles 96 et 97 parce qu’il est une personne visée par la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention). Cette exclusion découle de l’article 98 de la Loi qui se lit :

  98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

  98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

[4]               Les deux demandes de contrôle judiciaire, quoique distinctes, ont été entendues ensemble. Les deux procèdent de la même trame factuelle. Certains des arguments originaux, relativement à l’identification du demandeur, étaient communs aux deux affaires. Quant à l’application des articles 36 et 98 de la Loi aux faits de l’affaire, ils avaient des signes de parenté.

 

[5]               Aux fins de tenter de rendre les choses le plus clair possible, jugement est donc rendu par les présentes dans ces deux dossiers, mais je tenterai de bien distinguer entre les deux affaires dans le cours des motifs du jugement.

 

Les faits

[6]               Tel qu’indiqué, la trame factuelle est commune aux deux demandes de contrôle judiciaire. J’entends exposer les faits qui sont nécessaires à la disposition de chaque demande de contrôle judiciaire.

 

[7]               Le demandeur est un citoyen des Bahamas. Il n’est pas un résident permanent du Canada.

 

[8]               Essentiellement, les faits pertinents aux demandes de contrôle judiciaire proviennent d’un rapport de police du Hamilton Township Police Department du New Jersey, aux États-Unis. On y relate les circonstances de l’arrestation d’un certain Jean René Delhomme.

 

[9]               Monsieur Delhomme a été arrêté par la police le 13 mars 2007. Les événements menant à l’arrestation procèdent du congédiement de monsieur Delhomme d’un établissement tenu par un certain Anthony Spadaccini. Celui-ci se plaignait du harcèlement téléphonique subi aux mains de monsieur Delhomme depuis son congédiement. Des menaces ont été proférées incluant une menace de se présenter avec une « gang from Camden ».

 

[10]           Le 13 mars 2007, des policiers du Hamilton Township Police Department se sont rendus à l’établissement de monsieur Spadaccini parce que celui-ci se plaignait d’autres appels intimidants. Monsieur Delhomme avait appelé en début de soirée (vers 19 h) et aurait menacé monsieur Spadaccini en termes de « I’m going to come over and get you ».

 

[11]           Alors que les policiers se trouvaient sur les lieux, monsieur Delhomme s’y est présenté. Le véhicule dans lequel il se trouvait a traversé le stationnement de l’établissement de monsieur Spadaccini avec les phares éteints, s’éloignant des policiers. Croyant reconnaître le véhicule de monsieur Delhomme dont ils avaient la description, les policiers l’ont pris en chasse.

 

[12]           La poursuite a été mouvementée. De fait, les policiers ont perdu de vue le véhicule qu’ils pourchassaient; il a été aperçu par des confrères venus en renfort. Monsieur Delhomme est sorti du véhicule et il a alors fui à pied. Il a été retrouvé sous un bosquet.

 

[13]           Lorsque intercepté par les policiers, monsieur Delhomme a résisté à son arrestation au point où les policiers ont utilisé du poivre de Cayenne. Il semble qu’il se soit roulé par terre dans l’espoir de ne pas être contrôlé par les policiers. Il a finalement été maîtrisé.

 

[14]           Lorsque les policiers sont retournés au véhicule abandonné par monsieur Delhomme, ils ont vu sur le plancher, du côté du conducteur, un couteau d’une longueur d’environ 8 pouces (20 cm). Permission a été accordée par monsieur Delhomme de fouiller son véhicule où le couteau a été saisi.

 

[15]           Plusieurs accusations ont été portées contre monsieur Delhomme. Pour nos fins, il suffit de noter qu’un Grand Jury du New Jersey l’a inculpé en vertu de l’article 2C:39-5 du New Jersey Code of Criminal Justice qui se lit en partie comme suit :

2C:39-5. Unlawful possession of weapons.

 

d.     Other weapons. Any person who knowingly has in his possession any other weapon under circumstances not manifestly appropriate for such lawful uses as it may have is guilty of a crime of the fourth degree.

 

[16]           Monsieur Delhomme devait comparaître devant la Superior Court of New Jersey, Mercer Criminal Division, le 27 août 2007. Il a plutôt été déporté le 22 août 2007. Un mandat d’arrestation, émis le 27 août, est donc pendant contre lui.

 

[17]           La Couronne prétend que monsieur Victor, le demandeur, est en fait monsieur Delhomme. Le demandeur a été prévenu de cette identité par des représentants du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada le 24 avril 2012.

 

[18]           Plusieurs des faits disputés dans les deux affaires en l’espèce avaient trait à la correspondance d’identité entre monsieur Victor et monsieur Delhomme. Dit simplement, monsieur Victor argumente qu’il y a erreur sur la personne : il n’est pas le Jean René Delhomme faisant l’objet d’accusations au New Jersey. Il va de soi que les défendeurs contestent ces assertions.

[19]           De nombreuses péripéties entourent cette question. Cependant, le matin de l’audience devant cette Cour, l’avocate du demandeur a déclaré ne plus contester les conclusions de la SI et de la SPR selon lesquelles monsieur Victor est la personne visée au New Jersey. Face à la preuve disponible devant ces instances, le demandeur concède qu’il ne pourrait pas avoir gain de cause devant cette Cour par rapport à un examen mené en vertu de la norme de la décision raisonnable.

 

[20]           Il convient de noter que le demandeur ne fait pas l’admission qu’il est Jean René Delhomme. En même temps, il faut bien sûr convenir que la preuve présentée devant ces instances faisait en sorte qu’il était raisonnable pour celles-ci de conclure comme elles l’ont fait. C’est la concession faite par le demandeur.

 

[21]           On peut maintenant examiner les demandes de contrôle judiciaire l’une après l’autre.

 

IMM-252-13

[22]           La SI s’est penchée sur la question de savoir si le demandeur est interdit de territoire, par application de l’article 36 de la Loi. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile s’appuyait sur deux accusations portées au New Jersey.

 

[23]           L’une procède de la grande criminalité en ce qu’elle est relative à l’inculpation de possession d’arme pour laquelle la peine d’emprisonnement maximal est dix ans. L’autre procède de la criminalité en ce qu’elle consiste à l’inculpation au New Jersey pour avoir résisté à l’arrestation qui est une infraction punissable par mise en accusation.

 

[24]           Cette seconde inculpation, qui a donné lieu à une décision de la SI que le demandeur est interdit de territoire en raison de l’application de l’alinéa 36(2)c) de la Loi, ne fait plus l’objet de contestation devant cette Cour. Le texte de cet alinéa se lit :

  36. (2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

*         

(...)

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation;

 

 (2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for

 

 

(...)

 

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament; or

 

[25]           Il en résulte que l’interdiction de territoire relative à l’infraction de résister à son arrestation tient. Elle était contestée devant la SI, mais elle ne l’est plus.

 

[26]           Ce n’est pas le cas de l’autre interdit de territoire. Le texte de l’alinéa pertinent se lit ainsi :

 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(...)

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

[27]           La SI a conclu que la preuve était suffisante pour se satisfaire que le demandeur avait commis l’infraction décrite à l’article 2C:39-5d du New Jersey Code of Criminal Justice. Je rappelle que l’article 33 de la Loi requiert seulement qu’il y ait des motifs raisonnables de croire :

  33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

  33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

[28]           Pour ce qui est de la partie de l’alinéa 36(1)c) qui veut que le comportement à l’étranger, qui y constitue une infraction, constituerait aussi une infraction au Canada punissable d’un emprisonnement d’au moins dix ans, la SI conclut que l’infraction canadienne pourrait être le paragraphe 88(1) du Code criminel, LRC 1985, ch C-46, qui décrit une infraction punissable d’un emprisonnement de dix ans si poursuivie par voie de mise en accusation (il s’agit d’une infraction hybride). Son texte se lit de la façon suivante :

  88. (1) Commet une infraction quiconque porte ou a en sa possession une arme, une imitation d’arme, un dispositif prohibé, des munitions ou des munitions prohibées dans un dessein dangereux pour la paix publique ou en vue de commettre une infraction.

  88. (1) Every person commits an offence who carries or possesses a weapon, an imitation of a weapon, a prohibited device or any ammunition or prohibited ammunition for a purpose dangerous to the public peace or for the purpose of committing an offence.

 

[29]           La question à laquelle il faut répondre dans ce litige est de savoir si l’infraction décrite au paragraphe 88(1) du Code criminel satisfait aux conditions de l’alinéa 36(1)c) de la Loi. Le demandeur prétend que non. C’est ce que conteste le demandeur.

[30]           La SI, quant à elle, dispose de l’affaire en analysant les faits mis en preuve (ils n’étaient pas contestés) pour se satisfaire qu’ils suffisent pour avoir des motifs raisonnables de croire que l’infraction décrite au paragraphe 88(1) aurait été commise si les faits s’étaient produits au Canada. Aux dires de la SI, il importe peu que l’interprétation de « dans un dessein dangereux pour la paix publique ou en vue de commettre une infraction », qui constitue l’intention spécifique requise pour la commission de cette infraction, soit faite sur la base de la décision du juge Bastarache dans R. c Kerr, [2004] 2 RCS 371, [Kerr] ou sur la base de la décision du juge Lebel dans la même affaire. Kerr examinait les éléments essentiels de l’infraction trouvée à l’article 88 du Code criminel. Pour la SI, on peut tirer de la preuve l’inférence que « Delhomme’s purpose was to carry out his previous threats of causing a problem or “getting” Mr. Spadaccini » (au paragraphe 32). Il en découle que quel que soit le test appliqué sur la base de Kerr, il est satisfait.

 

Argument

[31]           Si je comprends bien l’argument, par ailleurs créatif, présenté par le demandeur, il faut qu’il y ait une équivalence procédant de la symétrie entre l’infraction américaine et l’infraction canadienne. On présente l’argument que cette équivalence doit aller jusqu’à avoir identité entre les éléments essentiels de chaque infraction.

 

[32]           Ainsi, il ne saurait y avoir en l’espèce cette identité puisque l’infraction canadienne a un élément essentiel supplémentaire, soit que la possession de l’arme soit dans un dessein dangereux pour la paix publique, élément qu’on ne trouve pas au texte de l’infraction au New Jersey Code of Criminal Justice.

 

[33]           Lorsque le demandeur doit expliquer la jurisprudence autour de l’article 36 de la Loi, il avance que la méthode d’analyse voudrait que la SI se satisfasse d’abord de l’identité des infractions. À l’audience, l’avocate du demandeur a suggéré que d’autres équivalences pourraient être possibles lorsque les systèmes juridiques sont trop différents du système canadien, ce que l’on présume n’est pas le cas avec le New Jersey. Elle refusait qu’un tribunal puisse choisir une « équivalence » qui n’implique pas l’identité des éléments essentiels entre les infractions. On ne pourrait passer aux autres méthodes de Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1987), 73 NR 315 [Hill], où on trouve les différents types d’équivalence, qu’en expliquant pourquoi. Les autres méthodes ne seraient disponibles que lorsque les systèmes juridiques sont éloignés de ceux d’inspiration anglaise. L’avocate a par ailleurs concédé qu’aucune autorité n’étayait son argument. Au mieux croyait-elle lire dans des décisions comme Abid c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 164 [Abid]; Tomchin c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 231 et Patel v The Minister of Citizenship and Immigration, 2013 FC 804 [Patel], que l’approche proposée, voulant qu’on doive passer d’une méthode à l’autre, animait ces décisions.

 

Analyse

[34]           D’entrée de jeu, les parties s’entendent que la norme de contrôle en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Je partage cet avis (Abid, ci-dessus; Lu c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 FC 1476; Patel, précité).

 

[35]           Le débat aura porté en cette Cour sur ce que constitue la notion dite d’équivalence. Le demandeur insistait qu’il s’agit de l’identité des éléments essentiels de l’infraction étrangère et de l’infraction canadienne.

 

[36]           Je ne suis pas convaincu que la jurisprudence citée par les parties soit parfaitement applicable à notre cas. En effet, cette jurisprudence porte sur l’alinéa 36(1)b) de la Loi, ou son équivalent dans le passé. Or, l’on parle à cet alinéa d’une condamnation à l’étranger qui pourrait correspondre à une condamnation au Canada. Son texte se lit de la façon suivante :

 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ;

 

 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(...)

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

 

[37]           Dans notre cas d’espèce, la disposition est différente. Dans sa version anglaise, l’alinéa 36(1)c) établit qu’il y aura interdiction de territoire lorsque la personne aura commis « an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence ». Ainsi, l’attention porte sur le comportement (« an act ») et pas tant sur les infractions elles-mêmes. Si ce comportement constitue une infraction dans le lieu où elle est commise et qu’il constitue une infraction au Canada, il y aura double criminalité, dans la mesure bien sûr où l’infraction canadienne aura la gravité objective que constitue l’emprisonnement maximal prévu par le Parlement. L’emprisonnement possible de dix ans est le seuil requis par le Parlement aux termes des alinéas 36(1)b) et 36(1)c) de la Loi. L’examen des éléments essentiels des infractions sous la jurisprudence relative à l’alinéa 36(1)b) n’est peut-être pas aussi pertinent sous l’alinéa 36(1)c). Dans un cas, l’attention porte sur les infractions alors que dans l’autre elle porte sur le comportement.

 

[38]           Comme on le verra plus loin, de toute façon, la jurisprudence sous l’alinéa 36(1)b) a évolué pour permettre que la soi-disant équivalence soit autre que d’avoir la correspondance parfaite des éléments essentiels des deux infractions. Si on examine cette jurisprudence, je ne vois pas comment l’argument du demandeur pourrait prévaloir, que ce soit lorsque c’est l’alinéa 36(1)b) ou l’alinéa 36(1)c) qui est invoqué en l’espèce.

 

[39]           Le demandeur cherche à convaincre que l’arrêt cité à répétition sur les façons d’établir la soi-disant équivalence (dans le cadre de l’alinéa 36(1)b)) ne donne pas ouverture aux trois méthodes qui y sont présentées, mais plutôt aura établi une grille d’analyse requérant que le décideur justifie ses choix entre plusieurs façons d’établir l’équivalence.

 

[40]           Cette décision est évidemment Hill, supra, où le juge Urie de la Cour d’appel fédérale, avec l’appui du juge MacGuigan, déclarait :

[15]     Cette Cour, dans l’arrêt Brannson, n’a pas restreint l’appréciation de la soi-disant [TRADUCTION] « équivalence » du paragraphe de notre Code, contestée dans cette espèce, aux éléments essentiels de quelque infraction expressément définie dans la loi qui lui était comparée. Une telle démarche n’est pas non plus nécessaire en l’espèce. Il me semble que, étant donné la présence des termes « qui constitue . . . une infraction . . . au Canada », l’équivalence peut être établie de trois manières: tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

                                                                        (J’ai souligné.)

 

 

 

[41]           Sans pour autant chercher à faire l’exégèse de ce paragraphe, il n’est peut-être pas inutile de noter que le juge Urie, dans Brannson c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1981] 2 CF 141, [Brannson] avait déjà annoncé son inconfort face à une approche rigide dans la détermination d’une forme d’équivalence :

[3]     La question qui se pose dès lors est de savoir dans quelle mesure l’arbitre a le droit d’ajouter à la preuve relative à l’infraction commise aux États-Unis en s’enquérant de la façon dont le requérant a commis cette infraction, afin de savoir si elle constituerait une infraction au Canada. Pour pouvoir appliquer l’article 19(2)a) au requérant, l’arbitre doit être convaincue, uniquement sur la foi des preuves à elle soumises et par elle admises, que les éléments, dont la preuve est absolument nécessaire pour la condamnation à l’étranger, constituent, l’infraction eût-elle été commise au Canada, « une infraction qui peut être punissable par voie d’acte d’accusation, en vertu d’une autre loi du Parlement, d’une peine maximale de moins de dix ans d’emprisonnement ».

 

[4]     À mon avis, il ne lui suffit pas de se fonder uniquement sur la preuve authentique d’une condamnation à l’étranger. Il faut qu’elle ait la preuve, tout d'abord, que les éléments essentiels de l’infraction punissable au Canada sont les mêmes que ceux de l’infraction punissable aux États-Unis, et ensuite, que les faits qui justifiaient les poursuites criminelles aux États-Unis, constitueraient au Canada les éléments d’une infraction punissable par voie d’acte d’accusation. Ce serait là la meilleure preuve, mais non la seule, sur laquelle elle puisse fonder sa décision.

 

[…]

 

[7]     Il est d’autant plus nécessaire de permettre l’administration des preuves susmentionnées qu’en cas de condamnation dans des pays n’appliquant pas la common law, la procédure de poursuite peut être considérablement différente. Dans ces pays, la communication des détails de l’infraction reprochée ou des éléments à établir n’est peut-être pas nécessaire, ou tout au moins n’est peut-être pas aussi stricte que dans les pays de common law. En conséquence, il peut s’avérer nécessaire d’établir des impératifs différents pour ce qui est d’établir que les infractions considérées sont constituées d’éléments parallèles dans l’une et l’autre part, ce qui, évidemment, peut requérir des témoignages de vive voix.

 

[8]     En résumé, la nécessité qu’il y a pour l’arbitre de déterminer si l’infraction, dont le requérant a été déclaré coupable, constituerait une infraction punissable au Canada, requiert, au moins dans le cas où elle est définie au Canada dans des limites plus étroites qu’à l’étranger, l’appréciation des détails de l’infraction dont cette personne a été déclarée coupable. Il n’est ni possible ni souhaitable de définir de manière générale les impératifs applicables dans tous les cas. Il suffit de dire que la validité ou le bien-fondé de la sentence ne sont pas en cause et que l’arbitre était fondée à rejeter toute argumentation à ce sujet. Cependant, elle avait l’obligation de s’assurer que la condamnation en cause portait sur des agissements visés par l’article 19(2)a), ce qu’elle n’a pas fait.

 

 

 

[42]           Ce que la Cour d’appel fédérale annonce dans Brannson se concrétise dans Hill. La Cour ne fait rien d’autre que de s’assurer que lorsque l’on compare une condamnation étrangère à ce qui serait nécessaire pour obtenir une condamnation canadienne, on ne cherche pas seulement l’adéquation entre les deux textes de loi. C’est pourquoi de la preuve est possible.

 

[43]           Avec égards, je ne trouve rien dans Brannson ou Hill qui permette de dire que la Cour d’appel fédérale cherchait à créer une forme de hiérarchie dans l’examen des moyens offerts pour établir que la condamnation pour un crime étranger constituerait un crime au Canada. À mon sens, c’est plutôt le contraire. Dans Brannson, le juge Urie notait qu’il est relativement simple d’établir qu’une condamnation à l’étranger en constituerait aussi une au Canada pour certaines infractions :

[6]     J’admets que, pour certaines infractions qu’on peut sommairement qualifier de malum in se, comme le meurtre, l’arbitre n’est pas tenue de se fonder sur une preuve aussi onéreuse pour remplir ses obligations. Habituellement, les faits donnant lieu à une condamnation pour un crime de ce genre constituent une infraction punissable au Canada. C’est dans le domaine des infractions créées par la loi, lesquelles peuvent être qualifiées d’infractions malum prohibitum par opposition aux infractions malum in se, que mes remarques ci-dessus sont spécialement applicables.

 

 

Il s’agit là de la première méthode offerte dans le fameux passage cité de l’arrêt Hill. Mais on est loin d’une suggestion qu’il faille d’abord se satisfaire de l’adéquation des éléments essentiels.

 

[44]           Ainsi, rien ne permet, à mon avis, de mettre en doute que la Cour d’appel fédérale, dans Hill, mettait à la disposition des méthodes alternatives d’établir la soi-disant « équivalence ». D’abondant, j’ajoute que la logique interne des trois manières s’oppose à la conclusion recherchée par le demandeur. En effet, on comprend mal pourquoi une manière dite hybride, la troisième, serait inférieure à la deuxième manière qui se satisfait de la preuve présentée pour établir les éléments essentiels de l’infraction au Canada.

 

[45]           Tout récemment, ma collègue la juge Judith Snider, qui a eu à traiter de nombreux cas en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la Loi, a confirmé qu’à son avis, ce n’était pas une erreur que de choisir l’une des trois manières (Ulybin c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CF 629). Je partage son avis. J’ajouterai que si tant est que les manières offertes dans Hill peuvent être nécessaires sous l’alinéa 36(1)c), auquel nous sommes confrontés en notre espèce, la seconde manière me semblerait particulièrement avisée.

[46]           Il ne nous reste plus qu’à examiner si le comportement qui a donné lieu à l’infraction qui a été imputée à monsieur Delhomme au New Jersey correspond à l’infraction canadienne de l’article 88. Le demandeur a fait grief à la SI d’avoir tiré l’inférence des faits devant elle que la possession était dans un dessein dangereux pour la paix publique ou en vue de commettre une infraction.

 

[47]           En toute déférence, les faits de cette affaire tels qu’ils sont disponibles mènent à cette conclusion sans effort. Des menaces sérieuses, menant à des plaintes faites aux policiers, sont faites à répétition; monsieur Delhomme se présente sur les lieux où il peut trouver le propriétaire de l’établissement le soir même où de telles menaces sont répétées, phares d’auto éteints; la poursuite mouvementée en auto qui s’ensuit se termine par une fuite à pied de monsieur Delhomme qui se cache sous un bosquet; il résiste farouchement à son arrestation. Lorsqu’on ajoute au narratif un couteau de huit pouces laissé du côté conducteur dans le véhicule à portée de main, il me semble que la conscience coupable du fugitif ainsi démontrée s’ajoute pour arriver à la conclusion que la possession de l’arme était dans un dessein dangereux. Est-il nécessaire de rappeler que les faits devaient être appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire et que l’intervention de notre Cour n’est permise que si l’inférence est déraisonnable? À mon avis, la dichotomie entre les juges Bastarache et Lebel, dans Kerr, précité, n’avait aucun effet sur l’inférence qui a été tirée. Les conditions de l’article 88 du Code criminel étaient satisfaites.

 

[48]           Finalement, le demandeur a fait grand cas qu’une infraction du New Jersey Code of Criminal Justice, objectivement plus grave que celle pour laquelle monsieur Delhomme a été accusé, aurait été considérée par les autorités américaines qui auraient choisi de porter l’accusation moins grave. Procédant par une forme de logique inversée, le demandeur semble arguer que l’identité des infractions entre le New Jersey et le Canada aurait été mieux affirmée si les autorités américaines avaient porté cette infraction plus sérieuse, ce qui démontrerait qu’il n’y a pas identité entre les infractions.

 

[49]           La SI a refusé d’admettre en preuve cette autre infraction. À mon avis, cette nouvelle infraction n’est pas utile au demandeur. Comme j’ai tenté de l’expliquer, il suffit qu’une infraction américaine ait été commise pour que le deuxième élément de l’alinéa 36(1)c) soit enclenché, soit que les faits donnent ouverture à condamnation au Canada pour une infraction punissable par dix années d’emprisonnement. À la lecture même de l’alinéa 36(1)c), la gravité objective, représentée par la peine d’emprisonnement maximale, n’a d’importance que pour l’infraction canadienne.

 

[50]           Il en découle que la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’immigration est rejetée.

 

IMM-546-13

[51]           La même infraction qui aurait été commise par monsieur Delhomme a fait en sorte que la Section de la protection des réfugiés a donné application à l’article 98 de la Loi. Son texte est reproduit au paragraphe [3] des présents motifs. En notre espèce, le demandeur a été exclu à cause de la section Fb) de l’article premier de ladite Convention qui se lit :

  F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

(...)

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

  F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

(...)

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 

 

[52]           Évidemment, la question dont devait traiter la SPR était de déterminer si les agissements au New Jersey constituent un crime grave de droit commun.

 

[53]           Encore ici, la norme à être utilisée par la SPR en était une inférieure à la norme de preuve civile, soit la balance des probabilités, pour être située aux « raisons sérieuses de penser ». Il n’est pas besoin de prouver par la balance des probabilités qu’un crime grave de droit commun a été commis. Des raisons sérieuses de le penser sont suffisantes.

 

[54]           Il n’est pas contesté que la norme de contrôle judiciaire sera celle de la décision raisonnable. La Cour en convient (Flores c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1147; Sanchez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 1130 [Sanchez]).

 

Argument

[55]           Encore ici, l’argument sur l’identification du demandeur comme étant le Jean René Delhomme qui fait l’objet d’accusations au New Jersey a été abandonné. Sans admettre que monsieur Victor et monsieur Delhomme sont la même personne, le demandeur concède qu’il ne pourrait pas contester avec succès cette identification étant donné la preuve en l’espèce et le fardeau qui est le sien.

 

[56]           Le demandeur se plaint en cette Cour que l’interprétation donnée par la SPR à la clause d’exclusion était large et que cela constitue une erreur révisable comme étant une interprétation déraisonnable.

 

[57]           Appliquant la grille d’analyse élaborée dans Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 RCF 164, [Jayasekara] le demandeur soutient qu’une analyse plus appropriée aurait dû mener à la conclusion que l’infraction équivalente en droit canadien ne serait pas passible d’un emprisonnement de dix ans, se réclamant d’une interprétation étroite de la clause d’exclusion.

 

[58]           L’argument à cet égard est en fait le même que celui présenté au sujet de l’alinéa 36(1)c); l’intention spécifique pour l’infraction canadienne n’aurait pas dû être inférée. Le fait que l’infraction canadienne est hybride aurait aussi dû être retenu contre la conclusion qu’il s’agit d’un crime grave de droit commun. Finalement, la peine possible au New Jersey, soit un emprisonnement maximal de 18 mois, n’a pas été dûment considérée.

 

Analyse

[59]           L’argument développé par le demandeur au sujet de la soi-disant équivalence, à cause de l’intention spécifique de l’infraction canadienne, ne vaut pas plus au sujet de la section F de l’article premier de la Convention qu’il ne vaut pour l’article 36 de la Loi. Qu’on se rappelle que l’interdiction de territoire contre le demandeur est aux termes de l’alinéa 36(1)c) de la Loi : il ne fait pas l’objet d’une condamnation au New Jersey.

 

[60]           De fait, en notre espèce, je préfère éviter le mélange des genres.

 

[61]           La soi-disant équivalence, terme utilisé quant à l’alinéa 36(1)b) de la Loi, prête à une certaine confusion, à mon avis, si on est tenté d’y voir symétrie. De plus, je vois mal comment il s’applique en notre espèce (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. P.A.P.D., 2011 CF 738; Sanchez, précité).

 

[62]           Ici, la question est de déterminer le sens à donner aux mots « crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés ». Le guide qui nous est offert pour procéder à cette détermination est l’arrêt Jayasekara, ci-dessus. Pour ma part, je préfère m’en tenir à cette grille d’analyse. Ainsi, on cherche les critères à appliquer et quel est le rôle du droit interne dans la détermination de ce qui est « grave » (Vlad c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 172). Parler d’équivalence ne me sied guère.

 

[63]           Ma lecture d’arrêts tels Jayasekara, précité, Chan c Canada (MCI), [2000] 4 CF 390 (CA) [Chan] et Zrig c Canada (MCI), [2003] 3 CF 761 (CA) [Zrig] me fait croire que la détermination de ce qui constitue un crime grave de droit commun ne peut procéder d’une formule. Ainsi, le paragraphe 44 de l’arrêt Jayasekara a été cité comme étant l’élaboration de facteurs à considérer. Je n’y vois pas une simple formule à appliquer mécaniquement :

[44]     Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de la section Fb) de l’article premier de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité. En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités. On ne met toutefois pas en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous-jacents à la déclaration de culpabilité comme, par exemple, le risque de persécution dans le pays d’origine.

 

(J’ai omis les citations.)

 

 

[64]           Le fait que le crime commis à l’étranger puisse être passible d’emprisonnement pour dix ans au Canada constitue, selon la Cour d’appel fédérale, dans Jayasekara, « une forte indication de la part du législateur que le Canada, en tant que pays d’accueil, considère les crimes entraînant ce type de sanction comme des crimes graves ». Sans trancher la question et se satisfaisant que c’était une supposition utile à la démonstration à faire dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale dans Chan, précité, indiquait « qu’un crime grave de droit commun est assimilable à un crime qui, s’il avait été commis au Canada, aurait pu entraîner l’imposition d’une peine d’emprisonnement nationale égale ou supérieure à dix ans » (au paragraphe 9). Cette ligne tirée à dix années d’emprisonnement semble utile, quitte à ce qu’elle ne constitue pas une ligne lumineuse ou magique. J’hésite à parler de présomption à cause du bagage que cette notion emporte. Je préfère parler de cette ligne comme d’un point de départ, d’une base d’analyse. La nomenclature actuelle des infractions criminelles a traditionnellement trouvé ses balises, pour les actes criminels, avec des emprisonnements maximaux de deux, cinq, dix, quatorze ans d’emprisonnement, et la perpétuité. On a aussi vu des peines maximales de sept ans émerger : rien n’empêche que d’autres peines soient établies et la grille d’analyse Jayasekara permettrait à mon avis de considérer des infractions dont la peine maximale pourrait être inférieure à dix ans.

 

[65]           Or, comme j’ai déjà conclu au dossier IMM-252-12 impliquant le même demandeur que les faits de cette affaire suffisent amplement pour être satisfait qu’une condamnation pour l’infraction de l’article 88 du Code criminel serait possible parce que les éléments essentiels pourraient être démontrés, y inclus le dessein dangereux pour la paix publique ou pour la commission d’une infraction, il s’ensuit qu’une forte indication est donnée qu’un crime grave de droit commun pourrait avoir été commis.

 

[66]           Qui plus est, je suis d’avis qu’une condamnation à l’étranger n’est pas requise puisqu’il suffit d’avoir des raisons sérieuses de penser que le crime grave a été commis, ce qui exclut à mon sens qu’il faille qu’il y ait condamnation à l’étranger pour que l’article 98 de la Loi trouve application (Jawad c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 232, au paragraphe 27).

 

[67]           Les autres facteurs énoncés dans Jayasekara, précité, sont donc aussi importants; le seul fait que le comportement à l’étranger constituerait un crime punissable par dix années d’emprisonnement au Canada ne suffit manifestement pas. J’estime cependant que la SPR a procédé à un examen approprié des facteurs. C’était au demandeur d’en attaquer la raisonnabilité. C’est un fardeau dont il ne s’est pas déchargé, à la lumière de la norme de contrôle que les parties ont située comme étant la norme de la décision raisonnable, plaidant l’affaire sur cette base.

 

[68]           D’ailleurs, le demandeur se reposait considérablement sur son argument relatif à la soi-disant équivalence. Son attaque quant aux autres facteurs en cette Cour reposait sur le mode de poursuite. Or, il ne semble pas y avoir de mode de poursuite particulier au New Jersey et l’infraction canadienne est hybride. En droit canadien, telle infraction est traitée comme un acte criminel (article 34, Loi d’interprétation, LRC 1985, ch I-21). Quant aux circonstances atténuantes, aucune n’a été avancée et il faut donc conclure qu’il n’y en a pas. En fin de compte, l’analyse de la SPR est tout à fait raisonnable.

 

[69]           Je me permets une observation supplémentaire. Comme dans le dossier connexe, le demandeur fait grand état que l’infraction imputée au New Jersey comporte une peine d’emprisonnement de 18 mois, alors qu’une autre infraction, elle punissable de cinq années d’emprisonnement aurait pu être invoquée. Cet argument s’imbrique dans son argument sur l’équivalence pour démontrer une identité plus parfaite entre des infractions provenant de systèmes différents. Le demandeur fait reproche que l’infraction américaine soit objectivement moins sérieuse que l’infraction canadienne, y voyant là un motif de grief, d’autant que les autorités américaines auraient pu porter des accusations plus graves. Il me semble qu’il s’agit là d’une illustration de la pertinence de la mise en garde dans Jayasekara, précité :

[41]     Je suis d’accord avec l’avocate de l'intimé pour dire que, si aux termes de la section Fb) de l’article premier de la Convention, il faut tenir compte de la durée de la peine infligée ou du fait qu’elle a été purgée, il ne faut pas considérer ces facteurs isolément. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles une peine clémente peut effectivement être prononcée même pour un crime grave, ce qui ne diminue en rien la gravité du crime commis. En revanche, une personne peut encourir dans certains pays des peines d’emprisonnement prolongées pour des actes qui ne sont pas considérés criminels au Canada.

 

[42]     De plus, dans de nombreux pays, pour déterminer la peine à infliger pour une infraction criminelle, on ne tient pas uniquement compte de la gravité du crime. Ainsi, une personne impliquée dans un réseau de prostitution peut, par intérêt personnel, aider les autorités chargées des poursuites à démanteler le réseau en question en échange d’une peine légère. Ou encore un contrevenant peut obtenir une peine plus clémente en échange d’un plaidoyer de culpabilité qui épargne à la victime l’épreuve de devoir témoigner au sujet d’une agression sexuelle traumatisante. On peut éviter la tenue de mégas procès longs et coûteux impliquant de nombreux accusés en négociant des plaidoyers de culpabilité et des peines moins lourdes. Les négociations relatives aux peines à infliger peuvent être liées à des engagements de confidentialité, à la protection de personnes et au secret professionnel de l’avocat. Il se peut que l’accès à certains renseignements confidentiels, protégés et privilégiés soit interdit, de sorte qu’un examen isolé d’une peine clémente par une autorité chargée de la révision donnerait une image déformée de la gravité du crime dont le contrevenant a été reconnu coupable.

 

[43]     Bien qu’il faille tenir compte des normes internationales, on ne doit pas ignorer le point de vue de l’État ou du pays d’accueil lorsqu’il s’agit de déterminer la gravité du crime. Après tout, comme nous l’avons déjà évoqué, c’est à l’État ou au pays d’accueil qu’est conférée la protection prévue à la section Fb) de l’article premier de la Convention. C’est d’ailleurs ce que reconnaît la Note d’information de l’UNHCR (voir le paragraphe 36).

 

 

Les raisons qui expliquent les peines infligées, de même que les accusations portées à l’étranger, peuvent varier considérablement. Le point de vue du pays d’accueil a du poids.

 

[70]           Quant à moi, il s’agit d’une manifestation supplémentaire qu’on ne peut arriver à une conclusion sur ce qui sera « un crime grave de droit commun » grâce à l’application d’une formule. Un argument présenté sous la forme d’une équivalence entre les infractions ne me semble pas se conformer aux facteurs présentés dans Jayasekara. Ce qui doit être démontré, c’est la gravité du crime au sens de la section Fb) de l’article premier où le point de vue du pays d’accueil importe, parce que la section Fb) de l’article premier de la Convention est aussi à son bénéfice. Et à cet égard, il ne me semble plus faire de doute qu’une considération importante est la capacité de l’État de fermer ses frontières aux indésirables (Zrig, précité, aux paragraphes 118 et 119, cité avec approbation dans Jayasekara, paragraphe 28). L’importance de ce qui peut constituer un crime grave dans le pays d’accueil s’explique en partie par cette considération. Que les autorités américaines aient choisi de porter une accusation qui serait plus facile à poursuivre relève de leur discrétion. Si les autorités canadiennes ont des raisons sérieuses de penser qu’un crime grave de droit commun a été commis, la grille de Jayasekara permet d’appliquer l’article 98 de la Loi.

 

[71]           Il s’ensuit que la demande de contrôle judiciaire doit échouer.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire (IMM-252-13) relative à la décision du 18 décembre 2012 de la Section de l’immigration concernant l’interdiction de territoire en application des alinéas 36(1)c) et 36(2)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune n’est certifiée.

2.                  La demande de contrôle judiciaire (IMM-546-13) relative à la décision du 20 décembre 2012 de la Section de la protection des réfugiés concernant la conclusion que le demandeur ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger en application de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune n’est certifiée.

 

 

 

 

        « Yvan Roy »

Juge

 

 

 


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-252-13 et IMM-546-13

 

INTITULÉ :                                      Odney Richmond VICTOR et           LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                            Odney Richmond VICTOR et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 28 août 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 septembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Mylène Barrière

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Daniel Latulippe

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mylène Barrière

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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