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Date : 20130923

Dossier : IMM‑6636‑12

Référence : 2013 CF 973

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2013

En présence de madame la juge Gleason

 

ENTRE :

 

 

ISTVANNE REZMUVES, MELISSZA REZMUVES (mineure) et ISTVAN REZMUVES (mineur), représentés par leur tutrice à l’instance ISTVANNE REZMUVES

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

  MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Les demandeurs sont tous des citoyens hongrois d’origine rom. La demanderesse adulte, Istvanne Rezmuves, est la mère et les deux autres demandeurs sont ses enfants. Ils ont demandé l’asile en invoquant la discrimination et la victimation qu’ils allèguent avoir subi et subiront encore en Hongrie du fait de leur origine ethnique.

 

[2]               Leurs demandes d’asile avaient été jointes à l’origine en vue d’une audience devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR) à la demande de M. Rezmuves, maintenant séparé de son épouse. Au début de l’audience, l’avocate qui agissait pour le compte des demandeurs a demandé de séparer la demande de M. Rezmuves de celle des demandeurs en raison d’un conflit d’intérêt qui s’était développé entre‑temps entre les deux conjoints. Le commissaire de la CISR qui a instruit la cause, Edward C. Robinson [le commissaire], a rejeté la demande et l’instance s’est poursuivie. L’avocate a choisi de représenter les demandeurs, et M. Rezmuves a plaidé sa cause sans conseil.

 

[3]               Dans une décision du 13 juin 2012, le commissaire a rejeté les demandes des demandeurs et celle de M. Rezmuves et a conclu que l’allégation selon laquelle que Mme Rezmuves avait été harcelée, agressée et violée par des membres de la Garde hongroise n’était pas crédible. Le commissaire a fondé sa conclusion relative à la crédibilité en grande partie sur le fait que M. Rezmuves ne croyait pas que le viol avait eu lieu.

 

[4]               Les demandeurs soutiennent que la décision devrait être annulée parce que, entre autres choses, le commissaire avait commis une erreur en rejetant la requête de séparation et les a du coup privés de leur droit à l’équité procédurale et qu’il avait également commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que la demande de Mme Rezmuves n’était pas crédible. Les demandeurs affirment que la façon dont le commissaire a traité la preuve de Mme Rezmuves contrevient aux principes énoncés dans les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe : mise à jour, données en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration et entrées en vigueur le 13 novembre 1996 (les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe) et que ses conclusions relativement à la crédibilité étaient abusives parce que le fait qu’un époux – et surtout un ex‑époux – ne croit pas que sa femme a été violée ne justifie pas de rejeter le témoignage de l’épouse.

 

[5]               Je conviens avec la demanderesse que le refus de séparer les demandes a privé les demandeurs de l’exercice de leur droit à l’équité procédurale et que la conclusion qu’a tirée le commissaire relativement à la crédibilité était abusive. Je conclus par conséquent que la décision du commissaire doit être annulée pour les motifs énoncés ci‑après.

 

Norme de contrôle

[6]               Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle qui s’applique au refus du commissaire de séparer les demandes; les demandeurs affirment qu’il s’agit ici d’équité procédurale et que la norme de la décision correcte s’applique, tandis que le défendeur soutient que le commissaire a appliqué les dispositions des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 [les Règles] aux faits de l’espèce et que sa décision est par conséquent assujettie au contrôle selon la norme de la décision raisonnable[1]. Les deux parties conviennent que la conclusion tirée par le commissaire relativement à la crédibilité doit être appréciée selon la norme de la décision raisonnable.

 

[7]               Je conviens que la norme de la décision raisonnable s’applique à la conclusion relative à la crédibilité ainsi que l’a fermement établi la jurisprudence (voir p. ex. Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, au paragraphe 4, [1993] ACF no 732 (CAF); Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 169 NR 107, au paragraphe 3, [1994] ACF no 486 (CAF); Cetinkaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 8, au paragraphe 17, [2012] ACF no 13 (CF), et Rahal c Canada, 2012 CF 319, au paragraphe 22, [2012] ACF no 369 (« Rahal »)). Cependant, j’estime que le refus de la Commission de séparer les demandes ne donne pas lieu à l’application d’une norme déférente étant donné que ce refus a occasionné un manquement à l’obligation d’équité procédurale et, dans les circonstances de l’espèce, il ne convient pas de faire preuve de déférence à l’égard de la décision du commissaire sur la question de la séparation des demandes même si elle est le résultat de l’application d’une disposition des Règles.

 

[8]               Les Règles prévoient ce qui suit en ce qui concerne la jonction et la séparation des demandes présentées à la SPR :

Jonction automatique de demandes d’asile

 

 (1) La Section joint la demande d’asile du demandeur d’asile à celle de son époux ou conjoint de fait, son enfant, son père, sa mère, son frère, sa soeur, son petit‑fils, sa petite‑fille, son grand‑père et sa grand‑mère.

 

Jonction de demandes d’annulation ou de constat de perte d’asile

 

(2) La Section joint les demandes d’annulation ou les demandes de constat de perte d’asile dans le cas où les demandes d’asile des personnes protégées étaient jointes.

 

Demande de jonction

 

 (1) Toute partie peut demander à la Section de joindre plusieurs demandes d’asile, d’annulation ou de constat de perte d’asile.

 

 

Demande de séparation

 

(2) Toute partie peut demander à la Section de séparer des demandes d’asile, d’annulation ou de constat de perte d’asile qui ont été jointes.

 

Forme et transmission de la demande

 

(3) La partie fait sa demande selon la règle 44, mais elle n’a pas à y joindre d’affidavit ou de déclaration solennelle. De plus, elle transmet :

 

 

 

a) à toute personne qui sera touchée par la décision de la Section à l’égard de la demande une copie de la demande;

 

b) à la Section une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon une copie de la demande a été transmise à toute personne touchée, avec preuve de transmission à l’appui.

 

 

Délai

 

(4) Les documents transmis selon la présente règle doivent être reçus par leurs destinataires au plus tard vingt jours avant l’audience.

 

Éléments à considérer

 

(5) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

 

a) si des questions similaires de droit ou de fait découlent des affaires;

 

b) si le fait d’accueillir la demande favoriserait l’efficacité du travail de la Section;

 

 

c) si le fait d’accueillir la demande causerait vraisemblablement une injustice.

Claims automatically joined

 

 

 (1) The Division must join the claim of a claimant to a claim made by the claimant’s spouse or common‑law partner, child, parent, brother, sister, grandchild or grandparent.

 

 

Applications joined if claims joined

 

 

(2) Applications to Vacate Refugee Protection or Applications to Cease Refugee Protection are joined if the claims of the protected persons were joined.

 

 

Application to join

 

 (1) A party may make an application to the Division to join claims, Applications to Vacate Refugee Protection or Applications to Cease Refugee Protection.

 

Application to separate

 

(2) A party may make an application to the Division to separate claims or Applications that are joined.

 

 

Form of application and providing application

 

(3) A party who makes an application to join or separate must follow rule 44, but the party is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration. The party must also

 

(a) provide a copy of the application to any person who will be affected by a decision of the Division on the application; and

 

(b) provide the Division with a written statement of how and when the copy of the application was provided to any affected person, together with proof that the party provided the copy to that person.

 

Time limit

 

(4) Documents provided under this rule must be received by their recipient no later than 20 days before the hearing.

 

 

Factors

 

(5) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

 

 

 

(a) whether the claims or Applications involve similar questions of fact or law;

 

(b) whether allowing the application would promote the efficient administration of the work of the Division; and

 

(c) whether allowing the application would likely cause an injustice.

 

 

[9]               La jurisprudence et la doctrine ne traitent que peu de la norme de contrôle applicable à une décision par laquelle la SPR aurait commis une erreur en rejetant une demande de joindre ou de séparer les demandes d’asile ni, de fait, des principes applicables pour décider si la SPR devrait accueillir une demande de jonction.

 

[10]           Dans la décision Lu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1517, la juge Layden‑Stevenson a refusé de statuer sur la question de la norme de contrôle, faisant valoir que la demande avait été rejetée parce que, indépendamment de la norme applicable, rien dans le dossier qui lui avait été présenté n’appuyait pas l’argument selon lequel les demandeurs se fondaient sur des faits différents. Elle a conclu que le refus de joindre les demandes dans cette affaire était à la fois raisonnable et correct.

 

[11]           Dans la décision Tamas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1316, mon collègue, le juge Russell, a rejeté l’argument voulant que la Commission avait fait erreur en rejetant une demande d’ajournement et en ordonnant la séparation de la demande de l’épouse de celle du reste de sa famille. Le juge Russell a décidé que la norme de la décision correcte s’appliquait au contrôle de la décision de la SPR de refuser l’ajournement et d’ordonner la séparation des demandes parce que les demandeurs alléguaient un manquement à l’équité procédurale. Il a conclu que les demandeurs n’avaient pas été privés de leur droit à cet égard et que le témoignage de l’épouse n’était pas indispensable dans l’examen de la demande de l’époux.

 

[12]           Mis à part ces deux cas, le sujet ne semble pas avoir été pris en considération dans la jurisprudence.

 

[13]           Jusqu’à récemment, il était considéré comme un principe bien établi que les allégations de manquement à l’équité procédurale de la part d’un tribunal administratif sont sujettes à un examen judiciaire exhaustif et que c’est à la cour qu’il incombe de déterminer si le tribunal a effectivement manqué à son obligation d’équité procédurale; dans certaines décisions, ce type d’examen est qualifié de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir p. ex. Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, [2008] ACS n9 (« Dunsmuir »); et Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] ACS no 12 ).

 

[14]           Dans une récente décision, toutefois, la Cour d’appel du Québec met ce principe en doute en statuant que la cour doit appliquer la norme déférente du caractère raisonnable pour déterminer si un tribunal administratif a privé une partie de ses droits à l’équité procédurale dans le cas où la décision contestée est d’ordre procédural et a trait à l’interprétation que le tribunal a faite d’une disposition de sa loi constitutive ou de toute autre disposition qui est étroitement liée à son mandat et à son rôle.

 

[15]           Dans l’arrêt Syndicat des employés de Au dragon forgé inc. c Commission des relations de travail, 2013 QCCA 793 [Syndicat des employés de Au dragon forgé], la Cour d’appel a été saisie d’une affaire dans laquelle une organisation syndicale prétendait que ses droits à l’équité procédurale avaient été violés par la Commission des relations du travail, laquelle, dans le cadre d’une demande de substitution d’agent négociateur, avait refusé de fournir les noms de certains des employés qui, de l’avis de la Commission, avaient omis d’acquitter les droits d’adhésion au syndicat rival qui cherchait à prendre la place du demandeur. Cette information revêtait de l’importance pour le demandeur étant donné que le syndicat rival était tenu de produire la preuve du soutien de plus de 55 % des employés de l’unité de négociation pour avoir le droit de se substituer au demandeur. Le syndicat rival avait déposé la preuve du soutien des membres auprès de la Commission, et le demandeur avait fourni la preuve que huit de ces employés n’avaient pas acquitté les droits d’adhésion obligatoires au moment de signer leur carte de membre du syndicat rival. Au cours de l’audience, le commissaire avait informé les parties que la Commission avait conclu que six des huit employés n’avaient effectivement pas acquitté les droits requis pour adhérer au syndicat rival et que, en conséquence, leur cartes n’allaient pas être prises en compte. Le syndicat demandeur avait cherché à savoir quelles cartes allaient être rejetées, mais le commissaire a refusé de communiquer les noms en s’appuyant sur l’article 36 du Code du travail du Québec, LRQ, c. C‑27 [Code du travail] , lequel dispose que « [l]’appartenance d’une personne à une association de salariés ne doit être révélée par quiconque au cours de la procédure d’accréditation ou de révocation d’accréditation sauf à la Commission […] Ces personnes ainsi que toute autre personne qui prend connaissance de cette appartenance sont tenues au secret ».

 

[16]           La Cour supérieure du Québec a cassé la décision de la Commission des relations du travail et conclu que le commissaire avait contrevenu à la règle audi alteram partem en refusant de révéler les noms des employés en cause au syndicat demandeur. En appel, la décision a été infirmée par la juge Bich, laquelle, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré que la norme du caractère raisonnable s’appliquait à l’examen relatif à la violation alléguée de la règle audi alteram partem. À cet égard, elle écrit au paragraphe 47 :

Considérant tout cela, j’estime, par analogie, que la norme de la décision raisonnable doit aussi s’appliquer lorsque la question de la justice naturelle se pose dans le contexte de l’interprétation par le tribunal administratif de sa loi constitutive et accessoirement aux dispositions qu’elle doit ainsi interpréter et appliquer, comme c’est ici le cas. Évidemment, il n’est pas nécessaire de préciser qu’une interprétation qui irait à l’encontre d’une disposition législative limpide serait déraisonnable.

 

[17]           Enfin, la Cour d’appel a rétabli la décision de la Commission des relations du travail, estimant raisonnable le refus d’identifier les employés dont les cartes avaient été rejetées. Dans des décisions subséquentes, la Cour du Québec a aussi appliqué la norme de la raisonnabilité à l’examen des allégations de manquement à l’équité procédurale qui se rapportent aux décisions d’ordre procédural qu’un tribunal a rendues en vertu de la législation ou des règlements qui s’appliquent à lui (voir p. ex. Desrochers c Centrale des syndicats du Québec, 2013 QCCQ 6259; et Aubé c Lebel, 2013 QCCQ 6531).

 

[18]           À mon avis, la décision qu’a rendue la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Syndicat des employés de Au dragon forgé ne nous oblige pas à appliquer la norme de la raisonnabilité à l’examen relatif au manquement à l’équité procédurale qu’aurait commis le commisssaire en l’espèce. Tout d’abord, cette décision ne lie pas la Cour, contrairement aux arrêts de la Cour suprême du Canada, selon lesquels la norme du caractère correct doit s’appliquer lorsqu’il est question de manquement à l’équité procédurale. Ensuite, et surtout, il importe de distinguer la disposition législative considérée dans l’affaire Syndicat des employés de Au dragon forgé et les dispositions des Règles que le commissaire a appliquées en l’espèce.

 

[19]           À cet égard, le Code du travail du Québec circonscrit la portée de la communication autorisée de renseignements par ailleurs pertinents, et restreint ainsi l’exercice des droits à l’équité procédurale des parties à l’égard de cette information. Il est bien établi que les droits à l’équité procédurale reconnus en common law peuvent être restreints par la loi (tant que ne sont pas enfreints les droits constitutionnels garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi constitutionnelle de 1982 (R.‑U.) 1982, c 11) (voir p. ex. Innisfil Township c Vespra Township), [1981] 2 RCS 145, aux paragraphes 171‑172 [Innisfil]; Telecommunications Workers Union c Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), [1995] 2 RCS 781, aux paragraphes 21, 125 DLR (4th) 471; Ocean Port Hotel Ltd c Colombie‑Britannique(General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, aux paragraphes 19 à 21, [2001] 2 RCS 781; et Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177, au paragraphe 33, 17 DLR (4th) 422). Ainsi que le fait remarquer la juge Bich, toute décision contravenant à une disposition législative claire est déraisonnable. L’affaire Syndicat des employés de Au dragon forgé peut donc être considérée comme un cas où les droits à l’équité procédurale d’une partie étaient définis par une loi et où l’interprétation de cette loi par le tribunal était sujette à la norme de contrôle de la décision raisonnable, comme c’est normalement le cas lorsqu’un tribunal interprète une disposition de sa loi constitutive (Dunsmuir, au paragraphe 54; Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC, au paragraphe 28, [2011] 1 RCS 160; et Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 30, [2011] 3 RCS 654).

 

[20]           Les articles 49 et 50 des Règles, par ailleurs, ne définissent d’aucune façon la portée des droits à l’équité procédurale que peut exercer en common law une partie qui comparaît devant la SPR. En fait, l’alinéa c) de l’article 50 requiert seulement que la CISR détermine si la jonction ou la séparation des demandes « causerait vraisemblablement une injustice », ce qui ne circonscrit pas les droits à l’équité procédurale qu’une partie pourrait exercer puisque ces droits ont pour objet d’empêcher toute injustice.

 

[21]           Par conséquent, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard de la décision de rejeter la demande de séparation. Je dois donc statuer sur la question de savoir si, en rejetant la demande, le commissaire a porté atteinte aux droits à l’équité procédurale des demandeurs, et non si sa décision était raisonnable.

 

Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

[22]           Comme nous l’avons fait remarquer, l’avocate qui a la première représenté les demandeurs agissait à la fois au nom des demandeurs et au nom de M. Rezmuves lorsqu’elle s’est présentée devant la SPR. Au début de l’audience, elle a renouvelé une demande de séparation des cas qu’elle avait déjà faite par écrit et a informé le commissaire qu’en raison d’un conflit d’intérêts qui avait émergé entre les époux, elle ne pouvait plus les représenter tous. Le commissaire lui a demandé des précisions sur ce conflit d’intérêts et l’avocate lui a déclaré qu’elle ne pouvait lui en donner sans violer le secret professionnel. Le commissaire a alors rejeté la demande de séparation, faisant valoir qu’il lui fallait plus de renseignements ou, à tout le moins, qu’il lui fallait connaître l’essentiel du conflit, à défaut de quoi il devrait rejetter la demande. Il a également décidé d’instruire quand même l’affaire le jour même et a donné à l’avocate la possibilité de choisir l’époux qu’elle voulait représenter. L’avocate a décidé de continuer d’agir au nom de Mme Rezmuves et de ses enfants (desquels Mme Rezmuves a été nommée tutrice en raison de leur statut de mineurs).

 

[23]           Le formulaire de renseignements personnels déposé par Mme Rezmuves ainsi que son témoignage devant le commissaire ont mis au jour le fait qu’elle s’était enfuie de la Hongrie parce qu’elle avait été victime d’agression sexuelle et de viol collectif aux mains de membres de la Garde hongroise qui se livraient sans gêne à ces activités dans son village. Son époux a allégué quant à lui d’autres actes de persécution pour appuyer sa demande d’asile.

 

[24]           Comme c’est la coutume, le commissaire a mené l’audience de façon inquisitoire et a interrogé aussi bien Mme Rezmuses que son époux. Aucun n’a eu la possibilité de contre‑interroger l’autre. Durant l’interrogatoire de M. Rezmuves, le commissaire lui a demandé s’il aimait sa famille et s’il croyait que sa femme avait été violée. M. Rezmuves a répondu qu’il aimait toujours sa famille, mais qu’il ne croyait pas que sa femme avait été violée. Le commissaire a également demandé à Mme Rezmuves si son mari croyait qu’elle avait été violée et elle a confirmé qu’il ne la croyait pas.

 

[25]           Dans sa décision, le commissaire a déclaré ce qui suit.

Si la demandeure d’asile a bien été ciblée expressément par des membres de la Garde hongroise, qui sont aussi des policiers, et qu’elle a été agressée sexuellement deux fois auparavant (ils l’ont poussée de force contre un mur, ont essayé de l’embrasser et l’ont touchée de façon inappropriée, etc.) par ces hommes et, comme elle l’a affirmé, qu’elle a protesté contre ce qu’ils lui faisaient subir, mais surtout, qu’elle l’a dit à son époux et que celui‑ci a su que ces incidents avaient réellement eu lieu, il n’en reste pas moins que, lorsque la demandeure d’asile a en fait été enlevée et violée par ces mêmes individus, son époux ne l’a pas cru. Il a plutôt pensé qu’elle avait eu « une relation consensuelle ». Il ne me semble pas logique que l’épouse du demandeur d’asile lui ait parlé des choses graves que ces hommes lui avaient fait subir auparavant, que celui‑ci ait su que ces incidents avaient réellement eu lieu et qu’il n’avait rien fait, mais que, lorsqu’elle avait été violée par la suite, le demandeur d’asile n’ait pas cru qu’elle avait été violée et ait dit qu’elle avait eu une relation sexuelle consensuelle.

 

Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile n’a pas été ciblée ni violée par des membres de la Garde hongroise, qui sont aussi policiers. Son époux croyait qu’elle avait eu une relation consensuelle avec quelqu’un, ce qui a mis leur mariage à rude épreuve. Il semble aimer son épouse et sa famille et veut que celle‑ci demeure unie. Par exemple, lorsqu’il lui a été demandé [traduction] « Aimez‑vous votre famille? », le demandeur d’asile a répondu ce qui suit : [traduction] « Ma famille est tout pour moi. » Je crois que le demandeur d’asile aime sa famille, mais je pense aussi que, en raison de la stigmatisation associée aux gestes de son épouse et de l’affirmation de celle‑ci selon laquelle sa famille l’avait reniée, le demandeur d’asile a décidé de quitter la Hongrie et de commencer une nouvelle vie au Canada loin de la stigmatisation et des personnes qui étaient au courant de l’événement. Lorsqu’il lui a été demandé pourquoi elle avait attendu deux jours avant de parler du viol à son époux, la demandeure d’asile a répondu ceci : [traduction] « Je savais que nos vies en seraient ruinées. » Lorsque la ville de Budapest a été proposée comme possibilité de refuge intérieur pour éviter les problèmes associés à la stigmatisation et aux personnes qui étaient au courant de ce qui s’était passé, la demandeure d’asile a déclaré que son époux et elle avaient une grande famille à Budapest également.

 

Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que toute cette demande d’asile repose sur le fait que les demandeurs d’asile tentent d’échapper à leur passé, mais j’estime qu’il ne s’agit pas d’un passé fondé sur la persécution, mais plutôt sur la stigmatisation découlant du comportement de la demandeure d’asile. Les membres de sa famille l’ont peut‑être reniée, mais ne l’ont certainement pas persécutée ni blessée d’aucune façon.

 

[26]           Dans ces circonstances, le refus d’autoriser la séparation des demandes équivalait à un manquement à l’équité procédurale parce que les intérêts de M. et de Mme Rezmuves étaient opposés; on a demandé à M. Rezmuves de donner son avis sur l’allégation de Mme Rezmuves, mais Mme Rezmuves n’a pas eu la possibilité de contre‑interroger M. Rezmuves et le commissaire s’est essentiellement fondé sur l’opinion qu’avait M. Rezmuves sur la sincérité de Mme Rezmuves pour rejeter sa demande. Cette décision est fondamentalement injuste étant donné que Mme Rezmuves n’a pas pu contester la preuve défavorable de son ex‑époux ni signaler les raisons évidentes pour lesquelles, à la suite de leur séparation, il serait moins bien disposé à son égard.

 

[27]           À défaut de doctrine ou de jurisprudence sur la question, on peut faire une analogie avec la justice pénale, où la séparation des procès de co‑accusés est généralement autorisée si l’un des accusés souhaite faire témoigner l’autre pour obtenir une preuve disculpatoire (voir p. ex. R c Boulet (1987), 40 CCC (3rd) 38, à la p. 43 (QC CA); R c Torbiak (1978), 40 CCC (2d) 193, au paragraphe 20, [1978] OJ n580 (ON CA); R c Savoury (2005), 201 OAC 40, aux paragraphes 22 à 29, 200 CCC (3rd) 94; R c Chow, 2005 CSC 24, au paragraphe 10, [2005] 1 RCS 384). Dans ce contexte, la séparation est requise pour garantir un procès équitable et donner à l’accusé la possibilité de faire entendre toute la preuve disculpatoire étant donné qu’un co‑accusé n’est pas contraint de témoigner en raison de la présomption d’innocence.

 

[28]           En l’espèce, les Règles ne donnent pas à Mme Rezmuves le droit de contre‑interroger son ex‑époux co‑demandeur. Les Règles reposent sur la prémisse que les co‑demandeurs ont un intérêt commun dans une instance puisque rien n’autorise un co‑demandeur à contre‑interroger l’autre demandeur. Cela serait possible dans le cas où des co‑demandeurs auraient des intérêts opposés car les Règles autorisent le contre‑interrogatoire lorsqu’une partie adverse est susceptible de témoigner. Par exemple, si M. Rezmuves avait dû témoigner non pas comme co‑demandeur mais comme témoin, le paragraphe 57(3) des Règles aurait permis à l’avocate de Mme Rezmuves de le contre‑interroger. Par ailleurs, les Règles prévoient que le conseiller peut interroger (mais non contre‑interroger ses propres clients (paragraphe 57(2)). Toutefois, rien ne prévoit le contre‑interrogatoire d’un co‑demandeur non représenté. En conséquence, les Règles semblent envisager la possibilité que les demandes soient séparées si les intérêts des co‑demandeurs sont opposés.

 

[29]           Plus important encore, l’équité procédurale implique que le droit de contre‑interroger doit être accordé à un demandeur d’asile dans le cas où le témoignage d’une autre partie lui est défavorable. Le contre‑interrogatoire est essentiel à la fonction de recherche de la vérité des tribunaux. Dans Wigmore on Evidence (Chadbourne rev. 1970), vol. 3, au paragraphe 1367, le contre‑interrogatoire est considéré comme le meilleur mécanisme juridique qu’on ait jamais imaginé pour mettre la vérité au jour. Dans bien des cas, le contre‑interrogatoire a été jugé tout aussi important dans le contexte administratif (voir p. ex. Innisfil, aux pages 166 et 167, et Armstrong c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1994] 2 CF 356, au paragraphe 26, 73 FTR 81), conf. [1998] 2 CF 666, 156 DLR (4th) 670 (CAF).

 

[30]           La récente décision Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 176, 405 FTR 62 [Nagalingam] appuie aussi la conclusion selon laquelle les demandeurs auraient dû pouvoir se prévaloir du droit de contre‑interroger M. Rezmuves. Dans l’affaire Nagalingam, la Cour s’est penchée sur le refus de la déléguée du ministre d’autoriser le demandeur à contre‑interroger un témoin qui avait déposé par affidavit une preuve nuisible à la position du demandeur. En concluant que la déléguée du ministre avait fait erreur, mon collègue, le juge Russell, a déclaré ceci au paragraphe 165 :

Vu l’importance pour le demandeur des conséquences de la décision contrôlée, qui mettait notamment en jeu son droit de ne pas être soumis à la persécution et à la torture, ainsi que ses droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, j’estime que l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés aussi bien que les principes de justice naturelle inhérents à la common law exigeaient qu’on lui accorde la possibilité de mettre à l’épreuve la véracité de la déclaration du détective Fernandes produite en preuve contre lui [en contre‑interrogatoire].

 

Le même raisonnement s’applique en l’espèce (même si l’article 7 de la Charte ne s’applique pas).

 

[31]           Le commissaire a donc fait erreur en se fondant sur la déclaration de M. Rezmuves pour rejeter la demande de Mme Rezmuves sans donner à celle‑ci la possibilité de mettre à l’épreuve la véracité de la déclaration. Le contre‑interrogatoire est autorisé par les Règles uniquement si les demandes ont été séparées. Le rejet de la demande de séparation et le déni conséquent du droit des demandeurs de contre‑interroger M. Rezmuves ont privé les demandeurs de leur droit à l’équité procédurale et doivent entraîner l’annulation de la décision.

 

La Commission a‑t‑elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité?

[32]           Bien que ma conclusion sur la question de l’équité procédurale suffise à trancher la présente demande, je me sens tenu de revenir sur les conclusions qu’a tirées le commissaire quant à la crédibilité car leur caractère est si abusif qu’elles doivent être commentées.

 

[33]           Je commencerai mon analyse en reconnaissant que les décisions relatives à la crédibilité ressortissent entièrement au mandat de la SPR et, en conséquence, méritent généralement une grande déférence. Comme je l’ai fait remarquer au paragraphe 42 du jugement Rahal :

[…] il faut reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve. Ajoutons à cela que, dans bien des cas, le tribunal possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision. Le tribunal est donc bien mieux placé pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, et notamment pour juger de la plausibilité de la preuve.

 

[34]           Toutefois, cela ne signifie pas que les conclusions relatives à la crédibilité sont à l’abri d’un contrôle. Lorsque, comme c’est le cas en espèce, elles sont tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve au dossier, elles doivent être annulées en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

 

[35]           En déclarant qu’il ne croyait pas que Mme Rezmuves avait été violée, M. Rezmuves a fourni un témoignage d’opinion sur sa crédibilité. À défaut d’autres éléments de preuve permettant d’appuyer sur des faits les raisons pour lesquelles il ne l’a pas cru, ce témoignage n’était pas probant et ne pouvait servir de fondement à une conclusion selon laquelle Mme Rezmuves n’était pas crédible. Les appréciations de la crédibilité doivent être laissées au juge des faits et les témoignages d’opinion relativement à la crédibilité ne sont pas pertinents, sauf dans des conditions particulières (voir p.ex. R c D(D), [2000] 2 RCS 275, à la page 287, [2000] ACS no 44; et R c Marquard, [1993] 4 RCS 223, à la page 249, [1993] ACS no 119). En règle générale, le témoignage d’un témoin sur la crédibilité d’un autre témoin n’est pas admissible. Les juges Bryant, Lederman et Fuerst établissent cette règle au paragraphe 10.135 de leur ouvrage The Law of Evidence in Canada (3e ed.) (Markham (Ontario), LexisNexis, 2009) (« The Law of Evidence ») :

[traduction]

Les questions qui visent à obtenir l’opinion d’un témoin sur la crédibilité d’un autre témoin, même indirectement, sont inadmissibles.

 

 

[36]           De plus, le type d’interrogatoire auquel a procédé le commissaire révèle une attitude sexiste qui n’a pas sa place dans une audience et est d’autant plus inacceptable dans une audience devant la SPR où une femme relate des agressions sexuelles et des viols qu’elle aurait subis et qui l’ont poussée à demander l’asile au Canada.

 

[37]           Le principe de la plainte immédiate en common law – selon lequel le défaut de rapporter une agression sexuelle rapidement est un facteur pouvant être considéré comme minant la crédibilité d’un plaignant – a été aboli par la législation pénale en 1983 (Code criminel, LRC 1985, c C‑46, art. 275). Dans l’ouvrage The Law of Evidence in Canada, les auteurs font remarquer au paragraphe 1.63, que ce principe était [traduction] « fondé sur des stéréothypes qui permettaient a l’accusé de saper le témoignage de la victime et d’échapper à la condamnation ». La Cour d’appel de l’Ontario a fait les observations suivantes à ce sujet R c WB (2000), 49 OR (3rd) 321, aux paragraphes 145 et 146, 134 OAC 1 :

[traduction]

L’abrogation du principe de droit de la plainte immédiate a signifié le rejet clair par le législateur des deux fondements de ce principe de common law. En révoquant cette règle conçue par un juge, le législateur a déclaré qu’il était injuste de laisser entendre que les plaignants dans des affaires d’agressions sexuelles étaient moins crédibles que les plaignants dans d’autres types d’affaires, et qu’il était injuste de présumer que toutes les victimes d’agressions sexuelles, peu importe leur âge et les circonstances de l’agression, présentent une plainte sans attendre. Les deux suppositions véhiculaient des stéréotypes qui rabaissaient les plaignants (dont la plupart étaient de sexe féminin) et ne tenaient pas compte des réalités de l’existence. Il était insensé de laisser entendre qu’il fallait présumer des victimes d’un crime traumatisant comme l’agression sexuelle qu’elles réagissent toutes de la même façon et qu’elles fassent une plainte spontanée (R c W (R), [1992] 2 RCS 122, à la page 136. De fait, cette supposition est aujourd’hui si erronée qu’il est difficile de s’imaginer qu’elle a déjà été reconnue dans la common law.

 

En révoquant la règle de la plainte spontanée, le législateur a voulu éliminer une règle qui traitait les plaignants d’agressions sexuelles comme des citoyens de seconde classe. De plus, le Parlement a également voulu écarter une présomption qui risquait vraiment d’induire le juge des faits en erreur et de dénaturer la quête de la vérité. L’abrogation de la règle a été très favorable aussi bien à l’égalité qu’à la quête de la vérité à laquelle les tribunaux sont tenus.

 

 

[38]           Les mêmes stéréotypes sous‑tendent les questions que le commissaire a posées à M. Rezmuves au sujet de son opinion sur Mme Rezmuves et des conclusions qu’il a tirées quant à la crédibilité de cette dernière.

 

[39]           De fait, en procédant de cette façon, le commissaire n’a pas fait cas des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, lesquelles disposent de ce qui suit :

Les femmes qui revendiquent le statut de réfugié font face à des problèmes particuliers lorsque vient le moment de démontrer que leur revendication est crédible et digne de foi. Certaines difficultés peuvent survenir à cause des différences culturelles. Ainsi,

 

1.         Les femmes provenant de sociétés où la préservation de la virginité ou la dignité de l’épouse constitue la norme culturelle peuvent être réticentes à parler de la violence sexuelle dont elles ont été victimes afin de garder leur sentiment de « honte » pour elles‑mêmes et de ne pas déshonorer leur famille ou leur collectivité.

 

 

[40]           Si les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne lient pas la SPR, la Cour a souvent annulé des décisions où la SPR a omis d’appliquer les principes qui sont énoncés dans les Directives. Par exemple, dans la décision Evans c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 444, mon collègue, le juge Mosley, a contrôlé une autre decision du commissaire Robinson selon lequel la demanderesse usait « d’un stratagème complexe de fabrications fondées sur des exagérations et sur une version embellie de son histoire pour étayer sa demande d’asile ». Le juge Mosley a conclu que les conclusions du commissaire quant à la crédibilité de la demanderesse avaient été tirées de manière abusive et arbitraire.

Au paragraphe 18 de sa décision, la Commission a émis la conclusion quant à la vraisemblance suivante, portant atteinte à la crédibilité de la demanderesse :

 

Le tribunal a également considéré que le témoignage de la demandeure d’asile, selon lequel il lui était interdit d’avoir des amis, voire de s’asseoir à l’extérieur de la maison, parce que ces gestes signifieraient pour son époux qu’elle cherchait d’autres hommes, était constitué d’exagérations et d’embellissements. Par exemple, il s’agit du même homme qui aurait forcé la demanderesse d’asile à avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes alors qu’il regardait. Le tribunal estime donc que l’époux de la demanderesse d’asile pouvait difficilement être le genre d’homme à enfermer son épouse parce qu’il était jaloux.

 

Les aspects psychologiques de l’agression ainsi que les diverses formes sous lesquelles les agressions et sévices peuvent se présenter chez l’agresseur ne sont pas reconnus dans ce raisonnement. Ce raisonnement considère, à tort, qu’une personne jalouse ou qui brime son conjoint ne peut forcer une personne à se soumettre à des activités sexuelles dégradantes. M. Evans soumettait sa conjointe à des activités sexuelles avec ses amis et collègues de travail et cela constituait pour lui un autre moyen d’assurer sa dominance sur sa conjointe. La jalousie et la domination peuvent coexister. Les deux attitudes découlent de la volonté d’exercer son pouvoir sur une autre personne et du manque de respect envers l’autre personne et son corps. La logique de la Commission sur ce point démontre tant une insensibilité envers la situation de la demanderesse qu’un manque de vigilance quant à l’ensemble de la problématique de la violence conjugale et de l’agression sexuelle. À la lumière de ces éléments, la Cour estime que la présente conclusion au sujet de la crédibilité fut tirée de manière abusive et arbitraire.

 

[41]           Nous appliquons le même jugemenrt en l’espèce.

[42]           Par conséquent, pour ces motifs, la décision du commissaire doit être annulée.

 

Question certifiée

[43]           Les demandeurs demandent de certifier la question suivante en application de l’article 74 de la LIPR :

Quelle norme de contrôle s’applique lorsque l’erreur alléguée consiste à avoir omis de séparer les demandes devant la SPR?

 

[44]           L’alinéa 74d) de la LIPR dispose que « le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle‑ci ». La jurisprudence a établi trois critères à cet égard, à savoir que la question doit transcender les intérêts des parties, qu’elle doit être de portée ou d’importance générale et qu’elle doit déterminante de l’issue de l’appel (Liyanagamage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 176 NR 4, 51 ACWS (3d) 910; Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, au paragraphe 11, 318 NR 365; Di Bianca c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 935, au paragraphe 22, 224 FTR 168; et Xiong Lin Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CAF 168, aux paragraphes 9 et 10, 446 NR 382).

 

[45]           En l’espèce, le défendeur s’oppose à la certification de la question, soutenant que la loi est bien établie et que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable. Toutefois, je pense exactement le contraire et estime que la question n’a pas été vraiment débattue dans la jurisprudence. J’estime également que cette question sera soulevée à nouveau dans l’avenir car d’autres demandes de séparation se présenteront certainement, tout comme les demandes de contrôle judiciaire des décisions rendues à leur égard. Je conclus par conséquent que la question posée par les demandeurs doit être certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du commissaire datée du 13 juin 2012 est annulée.

2.                  Les demandes d’asile sont renvoyées à la SPR pour être examinées par un tribunal différemment constitué.

3.                  La question d’importance générale suivante est certifiée :

Quelle norme de contrôle s’applique lorsque l’erreur alléguée consiste à avoir omis de séparer les demandes devant la SPR?

 

4.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie‑Michèle Chidiac, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6636‑12

 

INTITULÉ :                                                  Istvanne Rezmuves, Melissza Rezmuves (mineure) et Istavn Rezmuves, fils (mineur), représentés par leur tutrice à l’instance Istvanne Rezmuves c le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 28 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE GLEASON

 

DATE :                                                          Le 23 septembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Camille Williams

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Khatidja Moloo

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet d’avocats de Roger Rowe

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] La version DORS/2002‑228 des Règles de la Section de la protection des réfugiés était en vigueur à l’époque de la décision faisant l’objet du présent contrôle. Elle a été remplacée le 15 décembre 2012 par la version DORS/2012‑256). L’une comme l’autre version sont essentiellement identiques en ce qui a trait à la jonction et à la séparation des demandes.

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