Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20130926

Dossier : IMM-10726-12

Référence : 2013 CF 984

Ottawa (Ontario), ce 26e jour de septembre 2013

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

Mauro SANDOVAL ARAMBURO

 

Demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]          La demande de contrôle judiciaire, présentée aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et de la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27, (la Loi) vise une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) qui refuse d’accorder l’asile au demandeur.

 

[2]          Après lecture des mémoires des parties et du dossier du tribunal et après avoir entendu les plaidoiries des avocats des parties le 18 juin 2013, la seule question en litige est de savoir si le demandeur pourrait bénéficier de la possibilité de refuge intérieur (« PRI ») dans la ville de Mexico s’il devait être retourné au Mexique.

 

[3]          La décision de la SPR se fonde essentiellement sur sa conclusion que le demandeur, qui est homosexuel et souffre de poliomyélite, pourrait aller demeurer dans la capitale mexicaine, Mexico, bénéficiant ainsi d’une PRI. Il est donc pris pour acquis, aux fins de ma décision, que le harcèlement et la persécution dont le demandeur a été victime pourraient par ailleurs constituer une persécution donnant ouverture aux articles 96 et 97 de la Loi. S’il existe une possibilité raisonnable de refuge intérieur au Mexique, le demandeur ne peut avoir gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire (Lopez c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 990).

 

[4]          La SPR a bien mis en doute vers la toute fin de ses motifs que le cumul des incidents puisse constituer de la persécution (paragraphe 53 de la décision). Cependant tous les motifs de la décision portent sur la PRI et, au titre de la détermination, le SPR conclut qu’il y a possibilité d’un refuge intérieur dans la ville de Mexico. C’est donc sur cette base que l’affaire a été examinée.

 

[5]          Il ne sera pas nécessaire donc de réviser en détail les faits de cette affaire. Le demandeur, comme il le note à de multiples reprises dans son mémoire, est « homosexuel perçu comme fortement efféminé et handicapé de surcroît. » Pour une bonne partie de sa vie il a été l’objet de moqueries, d’insultes, de railleries et aurait même été menacé. La seule question qui se pose est de savoir s’il pourrait, ayant quitté la ville de Guadalajara, dans l’État de Jalisco, le 10 novembre 2008, en direction du Canada, être relocalisé à Mexico.

 

[6]          La décision de la SPR est sujette à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Il s’agit de questions mixtes de droit et de faits qui commandent une norme de contrôle de la raisonnabilité. La jurisprudence à cet égard est abondante et, à ma connaissance, unanime. De fait, même l’interprétation de sa loi constitutive ou d’une loi liée à son mandat et dont le tribunal administratif a une connaissance approfondie fera l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 RCS 654). Quoi qu’il en soit, aucune question de droit n’est apparue.

 

[7]          La question de la détermination du test à appliquer pour décider si une possibilité de refuge intérieur existe nous vient de la Cour d’appel fédérale dans Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1992] 1 CF 706. Le test, retrouvé à la page 710, est le suivant :

. . . la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge. 

 

La version anglaise du même passage se lit ainsi :

 

. . . the Board must be satisfied on the balance of probabilities that there is no serious possibility of the claimant being persecuted in the part of the country to which it finds an IFA exists.

 

 

 

[8]          La deuxième partie du test est ainsi présentée à la page 709 :

(2) la situation dans cette partie du pays doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, de s’y réfugier;

[9]          D’ailleurs, il faut rappeler que lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable, on parle de « . . . l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions » (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CA), [2001] 2 CF 164 au paragraphe 15). L’état du droit est clair. Avant de chercher refuge au Canada, on doit trouver refuge dans son propre pays. La Cour d’appel fédérale a insisté sur ce point dans Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1994] 1 CF 589, où on peut lire à la page 598 :

[13]     Permettez-moi de préciser. Pour savoir si c’est raisonnable, il ne s’agit pas de déterminer si, en temps normal, le demandeur choisirait, tout compte fait, de déménager dans une autre partie plus sûre du même pays après avoir pesé le pour et le contre d’un tel déménagement. Il ne s’agit pas non plus de déterminer si cette autre partie plus sûre de son pays lui est plus attrayante ou moins attrayante qu’un nouveau pays. Il s’agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. . . .

 

 

[10]      Puisque le test à appliquer en cette matière est celui de la norme de la décision raisonnable, il faut s’en remettre au paragraphe 47 de la décision Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] où on y lit :

[47]     . . . Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[11]      L’avocat du demandeur a fait à l’audience une excellente démonstration des difficultés que rencontrerait le demandeur s’il devait être retourné au Mexique. Il s’est employé à examiner la preuve documentaire relative au Mexique pour argumenter que la SPR a mal évalué cette preuve qui aurait dû lui faire conclure que le demandeur ne pourrait trouver refuge au Mexique et en particulier dans la capitale. À n’en pas douter, le demandeur préférerait rester au Canada. Mais tel n’est pas le test.

 

[12]      Malheureusement pour le demandeur, le défendeur a aussi fait une démonstration sans équivoque que la région de la capitale mexicaine constitue une alternative raisonnable. Ce n’est pas sans dire que ce refuge intérieur n’est pas sans peine, ou que la société mexicaine est complètement ouverte face à l’homosexualité. Mais pour avoir gain de cause, il eut fallu une preuve réelle et concrète de l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur.

 

[13]      Or, la preuve devant la SPR lui permettait de conclure que la démonstration ne lui avait pas été faite. La conclusion à laquelle la SPR est arrivée était raisonnable en ce qu’elle était une des issues possibles acceptables, considérant les faits au dossier et le droit. De toute façon, c’était au demandeur de démontrer qu’il n’existe pas de PRI (Suarez c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 1474) et c’est le fardeau dont il ne s’est pas déchargé. Non seulement le fardeau du demandeur n’a pas été déchargé, mais la preuve documentaire tend à démontrer que la région de la capitale mexicaine pourrait recevoir le demandeur.

 

[14]      Ma conclusion concorde avec celle à laquelle en était venue mon collègue le juge James O’Reilly dans Gomez Nieto c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1202 [Gomez Nieto]. Comme dans le cas d’espèce, cette décision était relative à la persécution en raison de l’orientation sexuelle dans une région du Mexique. Dans ce cas aussi la preuve documentaire laissait voir des facettes différentes. Je note que la Cour dans Gomez Nieto a aussi remarqué que la preuve documentaire supporte que Mexico protège les droits des homosexuels et en fait la promotion. Mais c’est au tribunal administratif de peser la preuve et de faire des choix qui doivent satisfaire au test de la décision raisonnable. Comme il a été récemment rappelé par la Cour suprême du Canada, c’est la décision dans son ensemble, à la lumière du dossier, qui doit être examinée pour en apprécier le caractère raisonnable, tel que le veut Dunsmuir, précité (voir Agraira c Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2013 CSC 36 au paragraphe 53).

 

[15]      Finalement, le demandeur a fait grand état du rapport psychologique dont, dit-il, la SPR n’aurait pas tenu compte. Il trouve appui à ce sujet sur Dink c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 FCT 334, où notre Cour a fait reproche de ne pas en avoir traité là où un tel rapport avait été déposé en preuve.

 

[16]      L’argument du demandeur se bute à la décision même de la SPR. Elle a mis dans la balance ce rapport alors que dans l’autre plateau se trouvait le test qui veut que les conditions soient telles que la vie et la sécurité du revendicateur seraient en péril s’il est relocalisé. La SPR a conclu que tel ne serait pas le cas, tout en expliquant pourquoi. Ce faisant, le tribunal administratif satisfait au test de la raisonnabilité dans Dunsmuir, précité, et à la qualité des motifs à être fournis selon Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708 :

[17]     Le fait que la convention collective puisse se prêter à une interprétation autre que celle que lui a donnée l’arbitre ne mène pas forcément à la conclusion qu’il faut annuler sa décision, si celle-ci fait partie des issues possibles raisonnables. Les juges siégeant en révision doivent accorder une « attention respectueuse » aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs.

 

 

 

[17]      Ce n’est pas à cette Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle de la SPR. De fait, le tribunal administratif est autorisé à opter pour l’une des solutions raisonnables qui se présentent au regard des faits et du droit. En l’espèce, je ne vois rien à redire à la décision de la SPR dans sa conclusion que la preuve étaye largement la conclusion que la ville de Mexico constitue une alternative, eu égard au test à appliquer, et en particulier que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il serait appelé à s’installer. C’est le risque sérieux de persécution, tel que le terme est utilisé en droit de l’immigration, qui constitue le barème à être utilisé par le décideur. Or, compte tenu du dossier, on ne peut conclure que la SPR a appliqué un principe erroné ou qu’elle a commis une erreur pour en arriver à sa conclusion. Sa conclusion fait partie des différentes solutions rationnelles acceptables. À ce titre, la Cour ne saurait intervenir.

 


 

ORDONNANCE

 

            La demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 27 septembre 2012 est rejetée. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-10726-12

 

INTITULÉ :                                      Mauro SANDOVAL ARAMBURO et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 juin 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      Le juge Roy

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 septembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alain Joffe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Yaël Levy

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alain Joffe

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.