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Date : 20130925

Dossier: IMM-996-13

Référence : 2013 CF 977

Montréal (Québec), le 25 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

 

YANIRA JEANETH GARCIA ARREAGA

JONATHAN ABDIEL IMUL

JONATHAN IMUL MEJIA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 à l’encontre de la décision rendue le 7 janvier 2013 par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés [la « SPR »] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la « CISR »], dans laquelle on concluait que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention pour l’application de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la « LIPR »], ni des personnes à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

I.          Faits

[2]               Madame Yanira Jeaneth Garcia Arreaga [la « demanderesse »], son époux Jonathan Imul Mejia [le « demandeur »], citoyens du Guatemala, et leur fils Jonathan Abdiel Imul, citoyen des États-Unis, [ensemble, les « demandeurs »] fondent leur demande sur l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR. La demanderesse est la représentante désignée de son fils.

 

[3]               La demanderesse était une commerçante travaillant dans la rue et elle affirme avoir été victime d’extorsion, c’est-à-dire qu’elle devait payer pour rester en affaires. Les actes d’extorsion se sont déroulés en personne et au téléphone. Tous les citoyens commerçants subissaient cette extorsion. La demanderesse affirme que des policiers, des fonctionnaires politiques et des agents des douanes étaient impliqués.

 

[4]               La demanderesse a informé les policiers de la situation par téléphone, leur demandant de surveiller les suspects, mais les policiers ne se sont pas présentés. Le demandeur a dénoncé les crimes dont la demanderesse était victime au ministère public pour que les autorités puissent faire enquête, et le ministère a invité les demandeurs à dénoncer les suspects au moment même où surviennent les actes répréhensibles. Il était impossible pour les autorités de protéger la demanderesse en tout temps.

 

[5]               La demanderesse a entrepris une collecte de signatures et d’écrits visant à exercer de la pression sur les autorités. Elle a recueilli trois listes : les personnes qui consentaient à payer, les personnes qui ne consentaient pas à payer et les personnes indécises. La demanderesse a également présenté une ultime dénonciation dans laquelle elle accusait les autorités de complicité et la désignait comme responsable de la situation qu’elle vivait.

 

[6]               Afin de poursuivre ses activités, la demanderesse a déménagé dans un autre secteur.

 

[7]               La demanderesse soutient qu’en février 2000 des enquêteurs de la Direction d’investigation criminelle seraient venus l’intercepter à son domicile pour qu’elle réponde de certains délits devant la justice. La demanderesse est d’avis que la Direction d’investigation criminelle souhaitait faire de son cas un exemple.

 

[8]               Le 5 mars 2000, la demanderesse aurait quitté le pays pour s’installer aux États-Unis afin de fuir les criminels qui la recherchaient en raison des dénonciations. Le fils de la demanderesse est né aux États-Unis. Les demandeurs n’ont jamais revendiqué l’asile pendant leur séjour aux États-Unis.

 

[9]               Le demandeur a quitté les États-Unis pour le Guatemala pour demander un visa de travail, mais il a dû quitter le pays peu longtemps après parce que les appels de menace ont repris. Les appels d’extorsion se sont poursuivis après le départ du demandeur.

 

[10]           Les demandeurs sont entrés au Canada et ont demandé l’asile le 22 juin 2011.

 

II.        Décision contestée

[11]           La SPR s’est dite satisfaite de l’identité des demandeurs et a conclu que ceux-ci ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention pour l’application de l’article 96 de la LIPR, ni des personnes à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

[12]           La SPR a affirmé que la demanderesse n’a pas livré un témoignage crédible et a relevé certaines contradictions qui se sont glissées dans les différentes versions des faits. Ces contradictions portaient sur le nombre d’appels reçus et sur le moment de la réception de ces appels. La SPR a indiqué qu’elle estimait normal et compréhensible que la demanderesse ait pu se tromper entre deux dates, étant donné que les événements se sont déroulés 12 ans plus tôt, mais elle ne comprenait toutefois pas pourquoi les faits relatés par la demanderesse quant au nombre d’appels et au moment de la réception des appels pouvaient être si précis à un certain moment et beaucoup moins clairs à un autre. Ultimement, la SPR a rejeté les dates mises en avant par la demanderesse, les qualifiant d’« inventées de toutes pièces ». Elle a ajouté que les dates en question ne figuraient pas dans le formulaire de renseignements personnels [le « FRP »] de la demanderesse.

 

[13]           Ensuite, la SPR s’est penchée sur la qualité d’activiste de la demanderesse. Elle a conclu qu’il était invraisemblable de prétendre que la demanderesse ait mobilisé les commerçants qui ont des magasins en les invitant à ne pas payer les personnes qui les extorquaient. De l’avis de la SPR, il était plus vraisemblable que les gestes de la demanderesse se limitent à mobiliser des vendeurs de son niveau, c’est-à-dire des vendeurs de rues, des vendeurs au marché ou des vendeurs ambulants, mais pas des commerçants possédant des magasins.

 

[14]           La SPR a également confronté la demanderesse au sujet d’une autre divergence entre son témoignage et le contenu de son FRP. En effet, dans son témoignage, la demanderesse a affirmé avoir travaillé seule, tandis que son FRP employait le pronom « nous », ce qui donne à penser qu’un groupe de vendeurs travaillait avec elle.

 

[15]           Passant ensuite à un examen hypothétique de la question, la SPR a conclu que même si l’on supposait que l’histoire était crédible, la violence à laquelle la demanderesse pourrait être exposée serait de nature généralisée. Au terme d’un examen de la preuve documentaire, la SPR a indiqué que des bandes d’extorqueurs exigeaient bel et bien de l’argent de l’ensemble de la population, mais elle a qualifié de fort générale et de non crédible la prétention de la demanderesse selon laquelle elle était visée par la police ou par ces bandes au motif qu’elle les aurait dénoncées. La SPR était d’avis que les présumés extorqueurs et « policiers véreux » ne disposaient d’aucune façon de retrouver la demanderesse puisque cette dernière n’a fourni aucun renseignement aux autorités permettant d’identifier les individus qui posaient les actes d’extorsion. Ainsi, puisque les dénonciations ne contenaient aucun nom, la SPR n’a pas cru la demanderesse quant au fait que des agents de la Direction d’investigation criminelle seraient venus la chercher pour qu’elle réponde de certains délits.

 

[16]           Dans sa décision, la SPR s’est également intéressée à la documentation produite par la demanderesse qui dénonçait l’extorsion, et elle a une fois de plus conclu que les documents ne pouvaient entraîner aucun acte de vengeance puisqu’ils permettaient d’identifier personne. Confrontée quant à savoir pourquoi, dans le formulaire qu’elle a rempli au moment de son entrée au Canada, elle n’avait pas mentionné avoir dénoncé les extorqueurs et les policiers, la demanderesse a affirmé ne pas avoir eu suffisamment d’espace pour ce faire, explication rejetée par la SPR.

 

[17]           Finalement, la SPR a indiqué que les demandeurs ont séjourné aux États-Unis pendant 10 ans et, étant entrés illégalement dans ce pays, qu’ils n’y ont présenté aucune demande d’asile. Le délai autorisé pour la présentation d’une telle demande aux États-Unis est échu. La SPR a conclu que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de preuve à cet égard. Pour conclure, la SPR a ajouté que la représentante désignée du fils, la mère, n’a présenté aucun élément de preuve à l’encontre des États-Unis, pays de citoyenneté de celui-ci. À son égard, aucune crainte de retour aux États-Unis ne fut soulevée et la conclusion le concernant n’est pas remise en question. En conséquence, la décision de la SPR est valable.

 

III .      Position des demandeurs

[18]           Selon les demandeurs, la SPR est arrivée à la conclusion selon laquelle la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger parce qu’elle estimait que celle-ci n’était par crédible, qu’elle a été victime de violence généralisée et qu’elle a omis de demander l’asile aux États-Unis lorsqu’elle en avait la possibilité. Les demandeurs sont d’avis que la décision n’est pas raisonnable puisque la SPR a omis de procéder à une analyse distincte concernant l’article 96, qu’elle n’a pas informé la demanderesse du fait que la question du risque généralisé était soulevée et qu’elle n’a pas correctement apprécié la preuve au dossier, l’entraînant à déclarer la demanderesse non crédible.

 

[19]           Premièrement, les demandeurs sont d’avis que la SPR ait commis une erreur en omettant de réaliser une analyse distincte relativement à l’article 96, disposition invoquée par la demanderesse qui dit craindre d’être persécutée en raison de son appartenance à un groupe social, soit un groupe de défendeurs des droits de la personne, ou de ses opinions politiques, lesquelles sont opposées à celles des autorités gouvernementales. Ils prétendent que la SPR a limité son analyse à la crédibilité de la demanderesse, à la notion de risque généralisé et à l’omission de la demanderesse de demander l’asile aux États-Unis, sans pour autant se questionner sur les opinions politiques de la demanderesse. Ils font d’ailleurs valoir que, si elle devait retourner au Guatemala, la demanderesse risquerait beaucoup en raison de ses opinions politiques. Ils ajoutent que la SPR ne mentionne nullement qu’elle rejette les prétentions de la demanderesse à cet égard et qu’elle se contente d’affirmer que la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve, et ce, sans préciser de quel fardeau de preuve il est question.

 

[20]           Puisqu’il existait suffisamment de preuve pour étayer une demande fondée sur les opinions politiques, la SPR aurait dû examiner plus précisément ce motif de la demande. S’appuyant sur la jurisprudence, les demandeurs estiment que la SPR a commis une erreur puisqu’elle n’a pas analysé les risques, alors que de la preuve avait été présentée à cet égard. Qui plus est, la SPR ne s’est même pas prononcée quant à l’existence ou à l’absence de lien entre la demande d’asile et les motifs établis à l’article 96 de la LIPR, contrairement à ce que dicte l’équité procédurale. La conclusion de la SPR n’indique pas que la demanderesse n’a pas réussi à établir une possibilité sérieuse de persécution en lien avec un des motifs de la Convention ou que le risque auquel elle serait exposée advenant son retour au Guatemala serait différent de celui auquel sont exposés ses concitoyens. Les fardeaux de preuve étant différents, il n’est même pas possible de savoir si la SPR a appliqué le fardeau de preuve de l’article 96 ou celui de l’article 97.

 

[21]           Deuxièmement, quant à la question du risque généralisé, les demandeurs sont d’avis que la demanderesse n’a jamais été informée du fait que la SPR était préoccupée par cette question et elle n’a donc pas pu fournir les détails nécessaires.

 

[22]           Troisièmement, en ce qui concerne la crédibilité, les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure qu’il était invraisemblable que la demanderesse, à titre de commerçante travaillant dans la rue, ait pu mobiliser des commerçants possédant des magasins. Ils qualifient cette conclusion d’insultante puisqu’elle revient à dire que la demanderesse est inférieure aux autres vendeurs. Ils ajoutent que le rang social ou la richesse de la demanderesse n’ont rien à voir avec ses qualités de militante.

 

[23]           Quatrièmement, les demandeurs prétendent que la SPR a omis de prendre en considération et de mentionner dans sa décision une série d’éléments de preuve qui appuient les prétentions de la demanderesse. Ils affirment que le fait d’avoir accepté en preuve la documentation sans en contester la valeur probante permettait de conclure que les pièces font toute preuve de leur contenu. Les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur en insistant sur quelques contradictions concernant les appels, alors que la preuve – qu’elle n’a pas mentionnée – démontrait les allégations de la demanderesse. Ils ajoutent également que comme la preuve allait à l’encontre de la conclusion de la SPR sur une question fondamentale, il incombait à celle-ci d’analyser la preuve et d’expliquer pourquoi elle lui préférait d’autres éléments.

IV.       Position du défendeur

[24]           Le défendeur qualifie la décision de la SPR de raisonnable étant donné que les demandeurs ont adopté un comportement qui mine leur crédibilité, qu’ils ont livré un récit incohérent et contradictoire et qu’ils allèguent un risque généralisé et aléatoire.

 

[25]           En premier lieu, le défendeur fait valoir qu’il incombait aux demandeurs d’établir une crainte subjective de persécution ainsi qu’un fondement objectif à cette crainte. Or, les demandeurs ont vécu pendant 10 ans sans statut aux États-Unis, pays signataire de la Convention, sans entreprendre de démarches pour demander l’asile. Un tel comportement peut amener la SPR à tirer des inférences négatives quant à l’élément subjectif de la crainte alléguée par un demandeur, et l’absence de preuve quant à cet élément subjectif constitue une lacune fatale pour une demande. Il était loisible pour la SPR d’apprécier le comportement des demandeurs et ces derniers n’ont pas fourni d’explications suffisantes quant à savoir pourquoi ils n’ont pas revendiqué l’asile pendant cette période de 10 ans.

 

[26]           Ensuite, le défendeur est d’avis que le récit des demandeurs était incohérent et contradictoire. Pour appuyer ses prétentions, le défendeur rapporte certains éléments essentiels au dossier qui ont été soulevés par la SPR, notamment le fait que la demanderesse a livré des versions contradictoires au sujet des appels menaçants, qu’elle n’a pas su identifier ses prétendus persécuteurs et qu’elle n’a pas mentionné sa dénonciation ni sa crainte des policiers lors de sa déclaration au point d’entrée au Canada. Les demandeurs n’ont pas fourni tous les détails auxquels on pouvait raisonnablement s’attendre en l’espèce, et les incohérences et les contradictions dans les récits des demandeurs permettent de dûment conclure à un manque de crédibilité de la part des demandeurs.

 

[27]           Enfin, le défendeur affirme que le risque allégué par les demandeurs est généralisé et aléatoire puisque la crainte invoquée par les demandeurs se rapporte aux agissements d’une bande de criminels qui s’en prennent à la population en général. Ainsi, les demandeurs ne sont pas exposés à un risque personnalisé, et ils échappent par conséquent à la définition de réfugié au sens de la Convention pour l’application de l’article 96 de la LIPR. Qui plus est, le défendeur indique que même si les demandeurs appartenaient à un sous-groupe de personnes qui est plus susceptible d’être visé par certains types de crimes qui sont par ailleurs répandus, le risque n’en demeurerait pas moins généralisé aux fins de l’application du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR. Les demandeurs ne sont donc pas des personnes à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR puisqu’ils n’ont aucunement établi en quoi un éventuel retour au Guatemala les exposerait personnellement à un risque de torture ou à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités.

 

[28]           Pour terminer, le défendeur indique que la demande d’asile concernant le fils de la demanderesse a été rejetée parce que les demandeurs n’ont allégué aucun risque pour lui dans son pays de citoyenneté, les États-Unis. Puisque les demandeurs ne contestent pas cette conclusion, la demande de contrôle judiciaire applicable au fils doit par conséquent être rejetée.

 

V.        Questions en litige

[29]           Le présent contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

 

1.    La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs et, le cas échéant, le rejet par la SPR de la demande de statut de réfugié au sens de la Convention pour l’application de l’article 96 de la LIPR était-il raisonnable?

 

2.    La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs étaient exposés à un risque généralisé et non personnalisé au Guatemala pour l’application de l’article 97 de la LIPR?

 

3.    La SPR a-t-elle commis une erreur en ignorant l’un des motifs au soutien de la demande, soit les opinions politiques de la demanderesse?

 

VI.       Norme de contrôle

[30]           La norme de la décision raisonnable est applicable à la conclusion de la SPR concernant la crédibilité des demandeurs, c’est-à-dire à la première question, puisqu’il s’agit d’une question de fait et qu’il relevait de la compétence de la SPR d’apprécier l'allégation de crainte subjective des demandeurs (Pinon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 413 au para 10, [2010] ACF no 500, voir également Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 au para 4, 1993 CarswellNat 303 (CAF)).

 

[31]           Les conclusions de la SPR visées par la deuxième question et portant sur l’application de l’article 97 de la LIPR consistent en des questions mixtes de fait et de droit qui doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (voir Acosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 213 aux paras 11 à 15, [2009] ACF no 270; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 53, (2008), 329 NBR (2d) 1 [Dunsmuir]).

 

[32]           La norme de contrôle applicable à la troisième question en litige est celle de la décision correcte puisqu’il s’agit d’une question de droit (Dunsmuir, précité au para 59).

 

VII.     Analyse

A. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs

     et, le cas échéant, le rejet par la SPR de la demande de statut de réfugié au sens de la

    Convention pour l’application de l’article 96 de la LIPR était-il raisonnable?

 

[33]           Les conclusions de la SPR au sujet du manque de crédibilité des demandeurs sont raisonnables puisque, comme l’a souligné la SPR dans sa conclusion, la demanderesse a livré un témoignage non crédible à plusieurs égards. Elle avait le fardeau de démontrer une fondation factuelle justifiant une conclusion que les demandeurs sont des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger. Que ce soit pour l’article 96 ou encore l’article 97 de la LIPR, les prétentions des demandeurs ne furent pas telles qu’elles pouvaient justifier une de ces conclusions (Adjei c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 CF 680 au para 5, 7 Imm LR (2d) 169) [Adjei]; Chan c Canada (Ministre de l’Emploi de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, au para 120, [1995] ACS no 78).

 

[34]           En premier lieu, une simple lecture de la retranscription de l’audience et du FRP de la demanderesse permet de remarquer que le témoignage de la demanderesse présente divers éléments susceptibles de miner sa crédibilité. D’une part, la demanderesse a relaté des souvenirs très précis quant au nombre d’appels reçus et au moment de la réception de ces appels – tant pour les dates que pour le moment de la journée. Or, la demanderesse n’a précisé aucune de ces dates dans son FRP, se contentant plutôt de dire qu’elle s’est vue contrainte à déménager en raison d’appels et de craintes. Compte tenu de la quantité de détails omis dans le FRP, il était raisonnable pour la SPR d’appuyer une détermination de non-crédibilité sur cette omission. D’autre part, la demanderesse n’a jamais fourni de détails permettant d’identifier les présumés extorqueurs et policiers corrompus et, qui plus est, lors de son arrivée au Canada, elle n’a mentionné ni ses dénonciations ni sa crainte des policiers aux autorités responsables.

 

[35]           De plus, en ce qui concerne l’appréciation de la crédibilité de la demanderesse, il est impératif de relever, à l’instar de la SPR, que les demandeurs ont habité illégalement aux États-Unis pendant 10 ans sans jamais revendiquer l’asile avant de venir déposer leur demande au Canada. C’est à bon droit que la SPR a relevé la durée de ce délai, qui mine inévitablement la crédibilité des demandeurs.

 

[36]           D’autres conclusions concernant l’utilisation du « nous » dans le FRP comparativement au « je » lors de son témoignage pour expliquer son rôle ainsi que la minimisation à simple vendeur ne pouvant influencer les riches commerçants sont un peu moins convaincantes, mais elles demeurent dans la limite de la raisonnabilité si l’on prend en considération l’ensemble des faits présentés. À nouveau, la lecture du témoignage de la demanderesse ainsi que du demandeur démontre de l’incertitude, de l’imprécision et même parfois des contradictions. Avec de tels témoignages, il est difficile pour les demandeurs de s’acquitter du fardeau qui leur incombait. Ceci a une conséquence sur l’ensemble de la demande.

 

[37]           Compte tenu des éléments qui précèdent, je suis d’avis que l’analyse réalisée par la SPR avant de déclarer les demandeurs non crédibles était raisonnable. Il n’y a pas de raison pour la Cour d’intervenir à l’égard de ce motif.

 

L’article 96 de la LIPR et la crainte subjective de persécution

 

[38]           L’analyse de la crédibilité par la SPR étant par ailleurs raisonnable, il conviendrait désormais d’examiner le caractère raisonnable de la conclusion du décideur selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention pour l’application de l’article 96 de la LIPR.

 

[39]           Il a été établi dans l’arrêt Ward c Canada (Procureur général), [1993] 2 RCS 689, 103 DLR (4th) 1) [Ward] que l’évaluation de la crainte de persécution comporte deux volets : 1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et 2) cette crainte doit être objectivement justifiée. Au paragraphe 14 de son arrêt Rajudeen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 55 NR 129 (CAF), la Cour d’appel fédérale a interprété ce critère comme suit : « L’élément subjectif se rapporte à l’existence de la crainte de persécution dans l’esprit du réfugié. L’élément objectif requiert l’appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée. » Soulignons que l’évaluation de la crainte subjective de persécution est intimement liée à la crédibilité de la personne ou des personnes qui font valoir une crainte d’être persécutées.

 

[40]           Ainsi, il incombait aux demandeurs d’établir une crainte subjective de persécution au Guatemala et le fondement objectif de cette crainte (Ward, précité et voir également Adjei, précité).

 

[41]           Il est important de rappeler que les demandeurs en l’espèce ont habité aux États-Unis pendant 10 ans sans statut et sans entreprendre de démarche visant à demander l’asile dans ce pays, qui est signataire de la Convention. Or, comme le prétend le défendeur, la SPR a le loisir de tirer des inférences négatives à l’égard de la crainte subjective d’un demandeur si ce dernier omet de demander l’asile dans un pays partie à la Convention (voir Ilie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] ACF no 1758, 51 ACWS (3d) 1349). D’ailleurs, aux paragraphes 22 à 25 de la décision Herrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 979, [2007] ACF no 1297, le juge Beaudry tranchait une question similaire et a conclu, au paragraphe 22, qu’« il était raisonnable pour la Commission de conclure qu'un séjour de cinq ans aux États-Unis sans faire de demande démontre une absence de crainte subjective. » De plus, la jurisprudence a établi que l’absence de crainte subjective peut s’avérer

« une lacune fatale qui justifie à elle seule le rejet de la revendication puisque les deux éléments de la définition de réfugié, subjectif et objectif, doivent être rencontrés. » (voir Kamana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] ACF no 1695 au para 10,

94 ACWS (3d) 338). À la lecture du dossier, il appert que les explications fournies par la demanderesse quant au fait que les demandeurs n’aient pas revendiqué l’asile aux États-Unis ne sont pas suffisantes.

 

[42]           Pour les raisons précédentes, je suis d’avis que la SPR a raisonnablement conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention selon l’article 96 de la LIPR et ainsi, la demande fut rejetée.

 

B. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs étaient exposés à un risque généralisé et non personnalisé au Guatemala pour l’application de l’article 97 de la LIPR?

 

[43]           La conclusion de la SPR quant au fait que les demandeurs sont exposés à un risque généralisé pour l’application de l’article 97 de la LIPR est raisonnable pour les raisons suivantes. La SPR a examiné la preuve documentaire et a conclu que les extorqueurs au Guatemala font des victimes parmi l’ensemble de la population. Les demandeurs ne sont donc pas précisément ciblés par les actes criminels.

 

[44]           En outre, bien qu’elle ait dénoncé l’extorsion dont elle était victime, la demanderesse n’a jamais donné de détails permettant l’identification des présumés extorqueurs et policiers corrompus. Pour cette raison, il était donc tout à fait raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs ne sont exposés à aucun risque personnalisé de vengeance puisque la demanderesse n’a identifié aucune personne dans ses dénonciations.

 

C. La SPR a-t-elle commis une erreur en ignorant l’un des motifs au soutien de la demande, soit les opinions politiques de la demanderesse?

 

[45]           Contrairement à ce qu’elle affirme dans son mémoire, lors de l’audition, la demanderesse n’a jamais invoqué les « opinions politiques » comme motif à l’appui de sa demande. En réponse à la question 28 du FRP, la demanderesse a plutôt indiqué demander l’asile en s’appuyant sur son appartenance à un groupe social; il n’a toutefois jamais été question d’opinions politiques. De plus, le point n’a pas été soulevé lors de l’audience. Or, dans le traitement d’une demande de réfugié, il incombe à la partie demanderesse d’établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits sur lesquels elle fonde sa demande, ce que la demanderesse n’a pas fait en l’espèce à l’égard des opinions politiques. On ne peut reprocher à un décideur de ne pas en avoir traité lorsque la demanderesse elle-même ne l’a pas soulevé ou présenté lors de son témoignage. Nul n’est tenu à l’impossible. Par ailleurs, je note en plus que lors de la plaidoirie, le sujet ne fut pas abordé.

 

[46]           La SPR n’a donc pas commis d’erreur au chapitre des motifs à l’appui de la demande. Dans l’ensemble, c’est une décision qui donne pleine importance au témoignage de la demanderesse. Elle est ajustée à celui-ci. Il est évident que les faits présentés ne pouvaient être reconnus comme crédibles et, en conséquence, les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau tant à l’égard de l’article 96 que de l’article 97 de la LIPR.

 

[47]           J’ajoute que bien que la SPR n’a pas identifié spécifiquement son analyse en fonction des articles 96 et 97 de la LIPR, une lecture attentive de la décision permet de constater que la SPR a analysé les faits mis en preuve en tenant compte des articles mentionnés ci-haut. Certes, elle aurait pu être mieux rédigée, mais ce n’est pas une raison pour la qualifier de non correcte ou encore de déraisonnable.

 

[48]           Les parties ont été invitées à présenter une question aux fins de certification, mais aucune question ne fut proposée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-996-13

 

INTITULÉ :                                      YANIRA JEANETH GARCIA ARREAGA ET AL c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 23 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 septembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Angelica Pantiru

POUR LES DEMANDEURS

 

Daniel Baum

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Angelica Pantiru

Avocate

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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