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Date : 20130920


Dossier :

T-1498-12

 

Référence : 2013 CF 963

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2013

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

SAMIR WANIS

 

demandeur

et

L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS et LE DR MEIDRYM HEBDA

 

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          Introduction

[1]               Le Dr Samir Wanis, vétérinaire, travaille pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA ou l’Agence). En décembre 2011, le Dr Meidrym Hebda a obtenu une nomination à un poste de vétérinaire de la catégorie VM‑02, à Sarnia (Ontario). Le Dr Wanis, croyant qu’il aurait dû être nommé à ce poste, a présenté un grief relativement à la nomination du Dr Hebda. Son grief a été rejeté au premier, au deuxième ainsi qu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Par la présente demande de contrôle judiciaire, le Dr Wanis vise à faire annuler la décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs (la décision définitive) par M. Stephen Baker, le Vice‑président des Opérations de l’ACIA (le VP Baker), le 5 juillet 2012.

 

II.        Les questions en litige

 

[2]               La question générale sur laquelle porte le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si le VP Baker a commis une erreur en rejetant le grief du Dr Wanis. Cette question soulève aussi la question subsidiaire qui consiste à savoir si la nomination du Dr Hebda au poste VM‑02 à Sarnia, sans concours de dotation et malgré l’existence d’un répertoire de postulants (décrit ci‑dessous), était raisonnable ou correcte (selon la norme de contrôle applicable).

 

[3]               J’ai conclu, pour les motifs qui suivent, que la demande devrait être rejetée.

 

III.       Le contexte

 

[4]               L’ACIA a été créée à titre d’organisme distinct au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, au titre de l’article 12 de la Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, LC 1997, c 6, article 12 (la Loi sur l’ACIA)). En tant qu’organisme distinct, l’ACIA détient certains droits en matière de gestion, y compris le pouvoir de gérer ses propres processus de dotation. Dans le contexte de son vaste mandat, l’ACIA a élaboré et a mis sur pied un certain nombre de politiques en matière de dotation. Ce sont ce mandat et ces politiques de l’Agence qui ont fait naître l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               La présente affaire en matière de dotation s’était amorcée avec une annonce de possibilité d’emploi publiée par l’ACIA sur le site Web de la fonction publique le 24 mars 2010. Dans cette annonce, l’ACIA lançait le processus de dotation numéro 09‑ICA‑OB‑INT‑NE‑1418 (le processus de dotation 1418), au moyen duquel elle visait à doter des postes VM‑02 (vétérinaire de district, vétérinaire en chef) à divers endroits en Ontario. Le processus de dotation 1418 avait pour objectif d’établir un répertoire de postulants [traduction] « qui pourrait être employé pour doter des postes similaires [...] à divers endroits ». Aucun poste en particulier n’était nommé.

 

[6]               Le Dr Wanis a présenté sa candidature pour faire partie du répertoire de postulants (le bassin 1418) et, par un courriel daté du 25 juin 2010, il avait été avisé qu’il répondait à toutes les exigences d’admissibilité. On a aussi informé le Dr Wanis dans cet avis qu’il serait avisé dans l’éventualité où sa candidature serait prise en considération pour une nomination. Le bassin 1418 était valide du 25 juin 2010 au 25 juin 2011.

 

[7]               Par un courriel daté du 7 mars 2011, tous les candidats faisant partie du bassin 1418 se sont fait demander s’ils étaient intéressés à un poste VM‑02 au Bureau de district de Sarnia. Le Dr Wanis a répondu par l’affirmative le 16 mars 2011.

 

[8]               Un nouveau processus de dotation, le processus 11‑ICA‑INT‑IND‑SOUTH‑750 (le processus de dotation 750) a été lancé relativement au poste de vétérinaire de district à Sarnia (Ontario). Le processus de dotation 750 visait à établir un bassin de candidats qualifiés, et ce, dans le seul but de doter des postes à Sarnia (Ontario). Comme en fait foi le courriel daté du 31 mai 2011 rédigé par M. Tom Doyle, Président du jury de sélection, le processus de dotation 750 a eu comme résultat la création d’un deuxième bassin (le bassin 750), valide du 31 mai 2011 au 30 mai 2012. La candidature du Dr Wanis faisait partie du bassin 750. Le courriel avisait aussi le Dr Wanis que le Dr Rajesh Sangwan, qui faisait partie de ce bassin, fût nommé au poste de vétérinaire de district, de niveau VM‑02, à Sarnia (Ontario). Il semblerait que le bassin 750 ne comptait que deux candidatures — celle du Dr Wanis et celle du Dr Sangwan. Le lieu géographique n’était manifestement pas un critère de nomination à l’égard de la nomination du Dr Sangwan. L’Agence aurait assumé les coûts liés au déménagement du Dr Sangwan (de Brantford à Sarnia) dans l’éventualité où il acceptait ce poste.

 

[9]               À un certain moment entre le 31 mai 2011 et le 11 juillet 2011, le Dr Sangwan a décliné le poste à Sarnia. Dans un courriel daté du 12 juillet 2011, M. Doyle a avisé le Dr Wanis que le Dr Sangwan avait confirmé son refus le 11 juillet. Le dossier contient d’autres courriels que s’étaient envoyés M. Doyle et le Dr Wanis, dans lesquels le Dr Wanis continuait d’exprimer son intérêt envers le poste VM‑02 à Sarnia et M. Doyle tenait le Dr Wanis informé au sujet du processus.

 

[10]           L’ACIA a lancé un nouveau processus de dotation, le processus 11‑ICA‑ON‑WOS‑IND‑SOUTH‑1832 (le processus de dotation 1832), lequel contenait un critère portant que les candidats devaient vivre à l’intérieur d’un rayon de 40 kilomètres des installations de Sarnia. Le processus de dotation 1832 ne nécessitait pas d’appel de demandes. En décembre 2011, le Dr Meidrym Hebda a été nommé au poste VM‑02 à Sarnia. Le Dr Hebda, qui occupait un poste VM‑01 à Sarnia, exerçait les fonctions d’un titulaire de poste VM‑02 depuis plus d’un an et il travaillait à l’ACIA au sein de la division de la santé animale depuis plus de quatre ans. À un certain moment avant sa nomination, le Dr Hebda s’était qualifié pour faire partie du répertoire de postulants pour les postes VM‑02 dans la région de l’Atlantique. Le fait de faire partie de ce bassin lui permettait d’être nommé directement au poste VM‑02 à Sarnia.

 

IV.       Le grief

 

[11]           Le 18 janvier 2012, le Dr Wanis a présenté un grief (le grief au premier palier) relativement à la décision de nommer le Dr Hebda. Le Dr Wanis qualifiait d’arbitraire le choix de court‑circuiter le bassin 750; il considérait que ce choix contrevenait à la politique et aux valeurs de l’ACIA en matière de dotation, en plus de constituer un manquement à son obligation de bonne foi. Subsidiairement, le Dr Wanis affirmait que la décision de limiter la dotation du poste aux gens qui travaillaient ou qui résidaient dans un rayon de 40 kilomètres des installations de Sarnia violait les politiques et les valeurs de l’ACIA en matière de dotation, l’équité procédurale ainsi que de la justice naturelle.

 

[12]           Le grief au premier palier a été rejeté par une décision datée du 24 février 2012.

 

[13]           Le Dr Wanis a renvoyé l’affaire au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, et l’affaire a été entendue le 12 mars 2012. Dans une décision datée du 14 mars 2012, le décideur au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, le Directeur exécutif associé Ron Ramdeholl, a rejeté le grief au deuxième palier. Dans cette décision, M. Ramdeholl a cité la Politique sur la responsabilité de gestion, qui mentionne qu’un gestionnaire délégué peut faire des nominations sans concours lorsqu’il ou elle juge que cette méthode sert au mieux les intérêts de l’Agence. Dans ses motifs, M. Ramdeholl a donné les détails suivants :

 

                     la modification de la période de service à Sarnia, qui est passée 24 heures par jour à 8 heures par jour;

 

                     le fait que la nomination du Dr Hebda n’entraînait aucun coût de déménagement;

 

                     la possible perte de savoir institutionnel, dans l’éventualité où le Dr Hebda devait quitter les installations pour accepter un poste VM‑02 ailleurs.

 

[14]           En résumé, M. Ramdeholl jugeait que l’embauche du Dr Hebda servait aux mieux les intérêts de l’Agence.

 

[15]           Le représentant syndical du Dr Wanis avait présenté des observations de vive voix et par écrit pour le compte du demandeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, lors de l’audience tenue le 30 avril 2012. Le Dr Wanis y participait par téléconférence. Le VP Baker disposait aussi de copies d’un certain nombre de documents pertinents, dont l’un d’entre eux était un mémoire ou un précis (le précis de grief du dernier palier) rédigé par Mme Tammy Jeffry, une conseillère en relations de travail auprès de l’ACIA. Le précis de grief du dernier palier résumait les faits sous‑jacents, exposait une analyse et contenait la recommandation selon laquelle le grief devait être rejeté. Dans la décision définitive, le VP Baker a exposé les motifs suivants pour rejeter le grief :

[traduction]

Votre argument selon lequel le fait que vous faisiez partie d’un bassin visant à doter un poste VM 02 à l’échelle locale devrait vous donner un droit de priorité en matière de dotation ne repose pas sur des pratiques saines de gestion. En fait, vous faisiez partie d’un bassin de candidats VM 02 et on vous avait offert la possibilité d’obtenir une promotion à partir de ce bassin, promotion que vous avez refusée. Le Dr Hebda a été jugé pleinement qualifié au terme d’un processus valide de sélection VM‑02 et, par conséquent, il répondait à tous les critères pour occuper le poste vacant à Sarnia (Ontario). Il occupait le poste de manière intérimaire et il s’acquittait bien de ses fonctions. Je conclus que sa nomination était conforme aux valeurs de dotation de l’ACIA que sont la compétence, l’ouverture et l’équité.

 

 

[16]           L’élément essentiel de cette décision, lorsqu’on la replace dans le contexte de l’ensemble du dossier, est que la nomination du Dr Hebda à ce poste, sans qu’il n’y ait eu de concours et malgré l’existence du bassin 750, était justifiée. Par conséquent, le grief du Dr Wanis a été rejeté.

 

V.        La norme de contrôle applicable

 

[17]           Les parties ne s’entendent pas au sujet de la norme de contrôle applicable.

 

[18]           Le Dr Wanis affirme que le VP Baker devait trancher une question de droit. Plus précisément, l’ACIA pouvait‑elle renoncer à un processus de sélection valide en faveur d’une nomination directe, ou avait‑elle une obligation juridique d’embaucher le Dr Wanis à partir du bassin 750? Le Dr Wanis soutient qu’une telle question de droit devrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte et invoque à l’appui de sa thèse un certain nombre de décisions de la Cour d’appel fédérale (Assh c Canada (Procureur général), 2006 CAF 358, [2007] 4 RCF 46 (Assh); Johal c Agence du revenu du Canada, 2009 CAF 276, 312 DLR (4th) 663 (Johal); Appleby‑Ostroff c Canada (PG), 2011 CAF 84, 417 NR 250 (Appleby-Ostroff)). Je ne souscris pas à sa prétention.

 

[19]           La question que le VP Baker devait trancher était celle de savoir si l’embauche du Dr Hebda et l’annulation du processus de dotation 750 respectaient les exigences législatives ainsi que les politiques de l’ACIA en matière de dotation. Cela nécessitait du VP Baker qu’il interprète les dispositions législatives pertinentes de la loi constitutive de l’Agence ainsi que les politiques internes adoptées par cette dernière. À mon avis, il s’agit d’une question qui est susceptible de contrôle selon la norme de raisonnabilité. Il n’y a pas de question juridique fondamentale de portée générale justifiant l’application de la norme de la décision correcte.

 

[20]           Le rôle de la cour lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la raisonnabilité est d’établir si « la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 (Dunsmuir)). De plus, le caractère raisonnable d’une décision tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

VI.       Analyse

 

[21]           Je commencerai en faisant observer que les motifs exposés dans la décision définitive sont obscurs. L’expression [traduction] « pratiques saines de gestion » est bien loin de répondre à la norme d’intelligibilité nécessaire pour qu’une décision soit raisonnable. Cependant, bien que le présent contrôle judiciaire porte directement sur la décision définitive, la jurisprudence enseigne que la Cour ne devrait pas examiner la décision définitive de manière isolée. Comme l’a mentionné le juge Evans dans l’arrêt Assh, précité, au paragraphe 19, « il convient d’examiner les motifs exposés aux trois paliers afin de bien comprendre le fondement de la décision contestée en l’espèce ». De plus, la jurisprudence établit aussi qu’un mémoire interne contenant des recommandations à l’attention du décideur peut constituer des motifs (à titre d’exemple, voir Miller c Canada (Procureur général), 2006 CF 912, [2007] 3 RCF 438, au paragraphe 62). En l’espèce, le VP Baker s’est manifestement fondé sur le précis de grief du dernier palier pour rendre sa décision; le contenu de ce document devrait être considéré comme faisant partie des motifs de la décision définitive.

 

[22]           Le Dr Wanis prétend que l’Agence avait l’obligation juridique de complèter le le processus de dotation 750, en le nommant au poste VM‑02 offert à Sarnia immédiatement après que le Dr Sangwan eut refusé l’offre. Malgré les observations habiles présentées par l’avocat du Dr Wanis, je ne souscris pas à cette prétention.

 

[23]           La première difficulté que soulève la thèse du Dr Wanis est que la Politique sur la responsabilité de dotation, en vigueur le 15 août 2007 (la Politique), ne fait pas état d’une telle obligation. Selon cette Politique, les gestionnaires ont le pouvoir délégué, par le président de l’ACIA, en matière de dotation, conformément à un certain nombre d’exigences générales, y compris les obligations légales de l’ACIA, ses politiques et ses valeurs en matière de dotation, ses pratiques et procédures, ainsi qu’aux « principes d’un jugement sûr et raisonnable ». La Politique traite du pouvoir discrétionnaire des gestionnaires de doter des postes et mentionne qu’un gestionnaire « devrait envisager de nommer une personne à partir d’une liste d’admissibilité existante, d’un répertoire de postulants ou d’un inventaire » [non souligné dans l’original]. Lorsque cela ne sert pas aux mieux les intérêts de l’Agence de doter un poste à partir d’un processus de dotation, un gestionnaire peut lancer un processus de dotation. En dernier lieu, un gestionnaire peut faire une nomination sans appel de demande dans un cas où cela sert au mieux les intérêts de l’agence. Non seulement il n’y a rien dans la Politique qui interdit à l’ACIA de doter le poste de la manière qu’elle l’a fait, mais la Politique reconnaît expressément la capacité d’un gestionnaire d’avoir nommé le Dr Hebda sans qu’il n’y ait eu de concours, même dans un cas où il existe un répertoire de postulants.

 

[24]           En l’espèce, l’ACIA semble avoir respecté de près sa politique, et ce, par un certain nombre de mesures :

 

1.                  Lorsque l’ACIA était d’avis qu’elle pouvait payer des frais raisonnables pour le déménagement d’un employé qualifié, elle a lancé le processus de dotation 750, dans le but d’établir un bassin de candidats. L’Agence a décidé qu’elle procéderait à la nomination du Dr Sangwan au poste VM‑02, à partir du bassin 750 qui découlait du processus de dotation.

 

2.                  Après que le Dr Sangwan eut décliné le poste, des préoccupations budgétaires avaient conduit l’Agence à juger que de procéder à la dotation à partir de ce bassin ne servait pas au mieux ses intérêts, puisque toute nomination à même le bassin 750 entraînerait des frais de déménagement.

3.                  L’Agence a conclu que, en raison des caractéristiques propres au Dr Hebda et de ses besoins, procéder à la nomination du Dr Hebda sans « appel de demandes » servait au mieux ses intérêts.

 

[25]           Le Dr Wanis implore la Cour d’adopter les principes énoncés dans United Nurses of Alberta, Local 207 c Peace Country Health, [2005] AGAA no 50 (Peace Country Health), une décision arbitrale rendue dans le contexte d’un grief.

 

[26]           La question dont était saisi l’arbitre dans l’affaire Peace Country Health était celle de savoir si l’annulation d’une annonce d’emplois relativement à certains postes, lesquels ont subséquemment été dotés par d’autres moyens, contrevenait à la convention collective. L’arbitre a exposé, dans sa conclusion selon laquelle l’employeur n’avait pas le pouvoir d’annuler l’annonce originale, son interprétation des dispositions pertinentes (au paragraphe 36) :

[traduction]

Il semblerait que le [principe général] le plus fondamental est qu’une fois qu’un processus d’annonce d’emplois est amorcé, celui‑ci doit être complété – au moyen de la nomination du candidat retenu – à moins que l’employeur ait démontré que le processus a pris fin pour des motifs valables et concrets. (CUPE c Woodstock, [2001] NBLAA no 17; Foothills Provincial General Hospital c AUPE, 76 LAC (4th) 371).

 

[27]           L’arbitre a continué en donnant l’explication suivante quant à la justification de la « protection du processus d’annonce d’emplois » (aux paragraphes 39 et 41) :

[traduction]

Le syndicat pourrait naturellement être préoccupé par la possibilité que la direction fasse un usage abusif d’un droit illimité de mettre fin à un processus d’annonce d’emplois après qu’il eut conclu qu’il existait un poste libre et qu’il eut reçu les candidatures des employés pour doter le poste vacant. Cette préoccupation s’explique par le fait que si la direction, pour une raison ou une autre, ne souhaite pas offrir le poste à un candidat qualifié bien précis, ou au candidat qualifié ayant le plus d’ancienneté, elle pourrait être tentée de simplement mettre fin au processus.

 

[...]

Un examen de la jurisprudence démontre que les arbitres accordent beaucoup d’importance à ce risque et qu’ils s’en servent comme justification pour protéger les processus d’annonce d’emplois, même dans les cas où la bonne foi de la société n’est pas remise en question. C’est l’appréhension à l’égard de ce type d’abus, ou la possibilité que ceux-ci surviennent, qui incite les arbitres à lui accorder une telle importance, ainsi que la volonté de protéger l’intégrité du processus d’offre d’emplois. [...]

 

[28]           L’un des effets inquiétants de cette décision ainsi que d’autres décisions arbitrales similaires est que l’on présume que l’employeur agit de mauvaise foi dès qu’un concours est annulé. L’arbitre, plutôt que d’exiger à l’employé de lui présenter quelque élément de preuve de mauvaise foi ou d’abus, impose à l’employeur le fardeau de le convaincre qu’il n’agissait pas de mauvaise foi et que sa décision d’annuler le processus était fondée sur des motifs de gestion valables. Cette obligation peut s’expliquer dans certaines affaires, mais je ne vois pas en quoi elle s’applique aux faits sur lesquels porte mon examen.

 

[29]           Un problème évident que présente le renvoi à ce précédent est que celui‑ci ne lie pas la Cour — voir aucune cour. Aucun précédent judiciaire n’a été invoqué à l’appui de ce principe « fondamental ». Le deuxième problème est que la décision arbitrale en question a été rendue dans le contexte de l’interprétation d’une convention collective plutôt que dans celui de l’interprétation d’une loi habilitante et de politiques internes. Dans l’affaire dont je suis saisie, je dois trancher en fonction d’une disposition législative claire et sans bémols et d’un ensemble de politiques de dotation créées à l’interne, ce qui fait en sorte qu’il est très difficile d’appliquer les conclusions tirées par l’arbitre à la décision de l’Agence d’embaucher le Dr Hebda à l’extérieur du cadre du processus de dotation 750.

 

[30]           Je suis aussi préoccupée par le fait que les « principes » qui peuvent être dégagés de l’ensemble des décisions arbitrales citées ne sont pas nécessairement conformes à l’actuelle jurisprudence de la Cour suprême du Canada.

 

[31]           Les pouvoirs de l’Agence en matière d’embauche sont prévus à l’article 7 de la Loi sur l’ACIA. Cette disposition confère au président de l’ACIA le pouvoir de nommer des employés, d’établir des conditions d’emploi, de classifier les postes et d’attribuer des tâches. En d’autres mots, le législateur a accordé un large pouvoir discrétionnaire au président en matière de dotation. En vertu de cette disposition législative, l’ACIA a adopté un certain nombre de politiques ou de directives en matière de dotation et elle prend, probablement sur une base quotidienne, des décisions en matière de dotation, dont notamment celle d’avoir adopté la Politique citée ci‑dessus. Souscrire à la thèse du Dr Wanis quant au droit applicable aurait pour effet de restreindre le pouvoir discrétionnaire du Président.

 

[32]           Un tel large pouvoir discrétionnaire est souhaitable et nécessaire pour veiller à la bonne administration d’un organisme complexe. Cela ne signifie pas toutefois que ce pouvoir discrétionnaire est illimité. Dans l’arrêt Roncarelli c Duplessis, [1959] RCS 121, 16 DLR (2d) 689, le juge Rand a énoncé qu’il n’existe pas de pouvoir discrétionnaire absolu et sans réserve au sein des organismes administratifs et des postes administratifs. Aucune disposition législative ne peut prévoir un pouvoir discrétionnaire illimité sans le mentionner expressément. L’exercice du pouvoir discrétionnaire est présumé se faire de bonne foi; sans cette bonne foi, la décision peut être annulée (Duplessis, aux pages 140 et 143).

 

[33]           Dans le contexte d’un tel large pouvoir discrétionnaire, les propos maintes fois cités du juge McIntyre dans l’arrêt Maple Lodge Farms Limited c Canada, [1982] 2 RCS 2, 137 DLR (3d) 558, sont toujours pertinents :

En interprétant des lois semblables à celles qui sont visées en l’espèce et qui mettent en place des arrangements administratifs souvent compliqués et importants, les tribunaux devraient, pour autant que les textes législatifs le permettent, donner effet à ces dispositions de manière à permettre aux organismes administratifs ainsi créés de fonctionner efficacement comme les textes le veulent. [...] Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision. […]

[Non souligné dans l’original.]

 

[34]           L’application de cette directive aux faits dont la Cour est saisie en l’espèce me mène à conclure que la décision définitive devrait être confirmée, à moins qu’il ne puisse être démontré que :

 

1.                  l’Agence a agi de mauvaise foi;

 

2.                  l’Agence n’a pas agi de manière équitable en embauchant le Dr Hebda;

 

3.                  l’Agence s’était fondée sur des considérations inappropriées ou étrangères.

 

a)         La mauvaise foi

 

[35]           L’ACIA doit agir de bonne foi envers ses employés. Je ne dispose pas d’éléments de preuve portant que l’ACIA a agi de mauvaise foi en annulant le processus de dotation 750 et en embauchant le Dr Hebda sans tenir de concours. En fait, le dossier expose un certain nombre de raisons pour lesquelles il servait au mieux les intérêts de l’Agence de ne pas retenir les services des candidats faisant partie du bassin 750 et d’embaucher le Dr Hebda sans tenir de concours.

 

[36]           Comme le démontre largement le dossier, les préoccupations budgétaires de l’Agence étaient graves et impérieuses. M. Doyle a décrit de manière franche, et ce, dès un courriel rédigé le 3 août 2011, les problèmes budgétaires auxquels l’ACIA est confrontée. Plus particulièrement, M. Doyle a avisé le Dr Wanis le 9 septembre 2011 que [traduction] « vu notre situation budgétaire, nous devons vérifier que nous avons les fonds pour défrayer tout déménagement qui pourrait découler de mutations ou d’offres ». Il s’agissait manifestement d’un facteur important — et raisonnable — pouvant mener à la décision d’embaucher une personne dont l’embauche n’entraînerait pas des dépenses supplémentaires pour son déménagement.

 

[37]           Un deuxième motif qui ressort de manière évidente à la lecture du dossier était les antécédents de travail du Dr Hebda. Le Dr Hebda travaillait comme vétérinaire auprès de l’Agence depuis quatre ans à cet endroit précis. Il avait [traduction] « occupé le poste de vétérinaire de district à titre intérimaire pendant de nombreuses périodes prolongées et il avait réglé de manière compétente toutes les questions qui lui avaient été soumises par les employés de l’ACIA à ce bureau ». Avant sa nomination, le Dr Hebda s’était qualifié pour un poste VM‑02. À ce moment‑là, pourquoi l’Agence ne souhaiterait-elle pas embaucher un employé qu’elle connaissait bien, qui avait les compétences pour faire le travail et qui avait accompli un travail satisfaisant lorsqu’il occupait ce poste?

 

[38]           Le Dr Wanis prétend que, même si l’Agence n’a pas l’obligation juridique de compléter le processus de dotation 750, son devoir d’agir équitablement faisait en sorte qu’elle devait lui offrir le poste VM‑02 dès que le Dr Sangwan avait décliné le poste le 11 juillet. Le Dr Wanis ne souligne aucune disposition de la loi ou des politiques applicables qui imposeraient une telle exigence à l’ACIA. À mon avis, une telle obligation n’existe pas. L’ACIA doit avoir la possibilité de revoir ses propres besoins en matière de dotation en tout temps, y compris lorsque le candidat désiré refuse l’offre d’emploi; la Politique précitée fait état de ce pouvoir.

 

[39]           En résumé, la combinaison des facteurs prévalant au moment de l’embauche du Dr Hebda démontre que la décision de procéder à son embauche, plutôt que d’embaucher un candidat à partir du bassin 750, a été prise de bonne foi.

 

b)         L’équité

 

[40]           En ce qui a trait à l’équité procédurale, je remarque que le Dr Wanis a pu présenter un grief relativement à la nomination du Dr Hebda, et ce, aux trois paliers de la procédure de règlement des griefs. Rien ne donne à penser qu’on l’a empêché de présenter quelque document ou renseignement que ce soit à l’attention de l’Agence, ou de connaître la preuve contre lui. La chaîne de courriels contenue dans le dossier démontre que les communications entre l’Agence et le Dr Wanis étaient constantes et qu’elles se faisaient de manière ouverte. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

 

c)         Les considérations inappropriées

 

[41]           Le Dr Wanis prétend que le VP Baker a tenu compte de considérations inappropriées lorsqu’il lui a dit [traduction] « vous faisiez partie d’un bassin de candidats VM 02 et on vous avait offert la possibilité d’obtenir une promotion à partir de ce bassin, promotion que vous avez refusée ». Je conviens avec le Dr Wanis que la question de savoir s’il s’était vu offrir un autre poste VM‑02 à partir du bassin 1418 ou du bassin 750, ou s’il avait refusé une telle offre, est une considération inappropriée quant à la question très précise de savoir s’il aurait dû être nommé au poste VM‑02 à Sarnia. Cependant, lorsqu’on replace cette affirmation dans le contexte global du paragraphe dont elle est tirée, il est évident que celle‑ci visait à démontrer que l’ACIA avait respecté le déroulement du processus de dotation. Le VP Baker ne mentionnait pas que le refus du Dr Wanis d’accepter une autre offre était le motif pour lequel il ne l’avait pas nommé au poste VM 02 à Sarnia. La remarque visait plutôt à répondre à certaines des allégations du Dr Wanis selon lesquelles il n’était pas traité de manière équitable. Dans de telles circonstances, le commentaire n’était pas inapproprié ou étranger à la question. Il s’agit simplement d’un énoncé de fait qui démontre que le Dr Wanis a été traité de manière équitable au cours des divers processus de dotation.

 

VII.     Conclusion

 

[42]           En résumé, la question dont j’étais saisie dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire concernait l’exercice du vaste pouvoir discrétionnaire de l’ACIA pour doter ses postes à pourvoir. Elle se rapporte aussi aux droits du Dr Wanis, à titre d’employé faisant partie d’un répertoire de postulants. Le fait que Dr Wanis faisait partie du bassin 750 donnait-il à l’ACIA l’obligation juridique de lui offrir le poste VM‑02 à Sarnia dès que le Dr Sangwan eut refusé d’accepter ce poste? À mon avis, le fait que le Dr Wanis faisait partie du bassin 750 n’imposait pas à l’ACIA l’obligation de lui offrir le poste à Sarnia lorsque le Dr Sangwan l’avait refusé. De plus, les restrictions budgétaires de l’Agence, jumelées à la présence d’un vétérinaire qualifié qui s’acquittait de manière compétente de ce poste, donnaient à l’ACIA une justification amplement suffisante pour mettre un terme au processus de dotation 750 et pour nommer le Dr Hebda à un poste nouvellement créé. La décision définitive « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et elle possède « la justification de la décision [ainsi que] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » d’une décision possédant les attributs de la raisonnabilité (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[43]           À titre de partie ayant eu gain de cause, les défendeurs ont droit à leurs dépens. Je ne dispose d’aucun élément de preuve portant que le Dr Hebda a engagé des frais. L’ACIA demande qu’on lui verse une somme forfaitaire de 3 000 $ à titre de dépens. Je fixerai les dépens à 3 000 $, incluant toutes les taxes et tous les débours, en faveur de l’ACIA.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Le demandeur doit payer à l’ACIA une somme globale de 3 000 $, incluant les taxes et les débours, à titre de dépens.

 

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-1498-12

 

INTITULÉ :

SAMIR WANIS

c

L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS et LE DR MEIDRYM HEBDA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 4 SEPTEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 20 SEPTEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

M. Steven Welchner

 

POUR LE DEMANDEUR

 

M. Richard Fader

 

POUR LA DÉFENDERESSE, L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet juridique Welchner, société professionnelle

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE, L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

 

 

 

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