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Date : 20130925


Dossier :

IMM-8808-12

 

Référence : 2013 CF 975

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2013

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

KLAUDIA KONYA

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          Le contexte

[1]               La demanderesse, Mme Klaudia Konya, est une citoyenne de la Hongrie qui est arrivée au Canada en février 2009. Elle demande l’asile au Canada parce qu’elle craint d’être persécutée : a) en tant que Rom et b) par son ancien conjoint de fait (I.), qui est censément le père de son enfant.

 

[2]               Dans une décision datée du 3 août 2012, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention, aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), ni celle de personne à protéger, aux termes de l’article 97 de la LIPR. La Commission n’a pas ajouté foi aux allégations de violence de la demanderesse, mais sa conclusion déterminante a été que cette dernière n’avait pas réfuté la présomption d’une protection de l’État.

 

[3]               La demanderesse souhaite faire infirmer cette décision. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

II.        Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

 

[4]               La présente demande soulève les questions suivantes :

 

1.                  La conduite de la Commission, qui a intégré dans son analyse certains passages émanant d’une tierce partie et utilisé des « textes standards » tirés d’autres décisions, donne-t-elle lieu à une crainte raisonnable de partialité ou à un manque d’équité procédurale?

 

2.                  La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse en exigeant des documents corroborants ou en se fondant sur des incohérences microscopiques dans le témoignage?

 

3.                  La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État :

 

a.                   en appliquant le mauvais critère;

 

b.                  en omettant d’évaluer de manière sérieuse l’efficacité de la protection de l’État pour les victimes de violence familiale;

 

c.                   en faisant abstraction de preuves documentaires pertinentes;

 

d.                  en faisant abstraction d’éléments jurisprudentiels pertinents?

 

4.                  La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse bénéficiait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) est-elle déraisonnable?

 

[5]               Les parties conviennent que la question de la crainte de partialité est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte et que les questions de crédibilité, de protection de l’État et de PRI sont assujetties à la norme de la raisonnabilité. Comme l’a prescrit la Cour suprême du Canada, selon la norme de la raisonnabilité, la Cour ne doit pas intervenir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

 

A.        La question no 1 : le manque d’équité procédurale ou la crainte raisonnable de partialité

 

[6]               Dans la version de la décision qui a été envoyée à la demanderesse, le passage qui suit figure dans une rubrique qui précède une partie des motifs portant sur la protection de l’État :

Contexte : Situation des Roms en Hongrie (toute cette section devrait faire partie de l’analyse de la protection de l’État) [Non souligné dans l’original.]

 

[7]               Pour une raison inexpliquée, ce passage souligné a été supprimé de la version de la décision que contient le dossier certifié du tribunal (DCT), de sorte que la rubrique se lit maintenant comme suit : « Contexte : situation des Roms en Hongrie ».

 

[8]               Cette rubrique est suivie de 14 paragraphes d’un texte de nature très générale sur la situation en Hongrie, avant le début d’une autre rubrique (sans texte additionnel). La demanderesse soutient que la rubrique dénote l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de la part de la Commission et que l’utilisation d’un texte standard de 14 paragraphes constitue un manquement à l’équité procédurale (invoquant à cet égard les commentaires de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Es-Sayyid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 59, 432 NR 261).

 

[9]               Je commencerai par analyser les 14 paragraphes de texte qui sont contestés. À l’instar d’un grand nombre de mes confrères, j’ai vu des paragraphes identiques (ou fort semblables) dans un certain nombre de décisions concernant des demandes émanant de Roms de souche originaires de la Hongrie. Ces 14 paragraphes sont suivis d’une section portant sur l’« Intervention de l’État par rapport à la discrimination contre les Roms », qui semble  être elle aussi souvent utilisée dans de telles décisions. L’emploi d’un tel « texte stéréotypé » n’est pas forcément une erreur ((Cordova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 309, au paragraphe 24, [2009] ACF no 620). Après tout, la Hongrie en tant que pays et ses institutions ne changent pas d’un demandeur d’asile à un autre. Une grande part de la documentation générale sur le pays s’applique à toutes les demandes d’asile de Roms hongrois. De plus, la question qui se pose consiste en fait à savoir si le fait d’intégrer du texte apparaissant ailleurs amènerait une personne raisonnable, informée de tous les faits pertinents, à conclure que la Commission n’a pas porté son attention sur les questions en litige et n’a pas rendu une décision indépendante qui soit fondée sur la preuve (pour reprendre le paragraphe 49 de l’arrêt Cojocaru c British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, 357 DLR (4th) 585).

 

[10]           Les paragraphes contestés sont inspirés de preuves documentaires, et ils s’appliquent à la situation de la demanderesse. Dans la mesure où la demande d’asile de la demanderesse reposait, en partie, sur la crainte générale d’être Rom en Hongrie, ce sommaire de la situation régnant en Hongrie répond aux allégations générales de la demanderesse et est parfaitement justifié. Dans d’autres parties de la décision, la Commission porte clairement son attention sur les prétentions particulières de violence familiale de la demanderesse. La conduite de la Commission, en reproduisant au moins 14 paragraphes décrivant la situation générale du pays, n’est pas assimilable en l’espèce à un cas de manquement à l’équité procédurale ou de partialité. Une personne raisonnable, ayant lu la décision dans son intégralité, ne conclurait pas que la décision du juge n’est pas impartiale et indépendante.

 

[11]           La deuxième question a trait au passage supprimé. Selon la demanderesse, le texte souligné donne à penser que quelqu’un d’autre a pris part au processus décisionnel et qu’il s’agit là d’un manquement à la justice naturelle ou d’une démonstration d’une crainte de partialité, de sorte qu’il y a lieu de renvoyer la décision.

 

[12]           La Commission n’aurait pas dû modifier la décision en vue de supprimer le texte souligné, sans explication aucune. Les motifs modifiés suscitent davantage de questions et obligent à procéder à un examen plus détaillé que ce n’aurait été par ailleurs le cas.

 

[13]           Il ressort clairement du passage supprimé qu’une personne autre que l’auteur de la décision a passé cette dernière en revue. Compte tenu de la charge de travail des commissaires et du souhait de cohérence dans certains secteurs, cela n’est ni surprenant ni, en soi, une erreur susceptible de contrôle. La demanderesse ne prétend pas que la Commission a, de quelque façon, mal interprété la situation qui règne en Hongrie. Tout ce qui est mentionné dans les 14 paragraphes peut être justifié par la documentation relative à la situation générale du pays qui a été soumise à la Commission. Je n’approuve pas la suppression de ce passage dans la décision, mais je ne suis pas convaincue que la conduite de la Commission atteint le niveau d’une crainte de partialité ou démontre l’existence d’un manquement à l’équité procédurale qui est susceptible de contrôle.

 

B.        La question no 2 : la crédibilité

 

[14]           Il ressort clairement d’une lecture de la décision dans son ensemble que la Commission n’a pas ajouté foi à la prétention de la demanderesse selon laquelle elle avait été victime de violence familiale aux mains de I. La conclusion de la Commission reposait en bonne partie sur un manque de preuves corroborantes. Cependant, elle a également tiré une conclusion défavorable du fait que la demanderesse avait omis de préciser quelle était son adresse à l’époque où elle vivait avec I.

 

[15]           La demanderesse affirme qu’il était déraisonnable que la Commission : a) ne souscrive pas à son explication quant à la raison pour laquelle elle avait omis d’inscrire l’adresse de I. dans la liste des lieux de résidence, et b) exige des documents corroborants.

 

[16]           Je conviens avec la demanderesse que la Commission doit ajouter foi au témoignage d’un demandeur d’asile sauf si on lui donne raison de douter de sa véracité (Dias Pinzon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1138, au paragraphe 5, [2010] ACF no 1411). De plus, il faut que le décideur soit en mesure d’exposer pourquoi il trouve une demande d’asile suspecte – il y a lieu d’accorder le bénéfice du doute à la personne qui fournit les preuves (Dias Pinzon, précité).

 

[17]           Cependant, dans le cas présent, la demanderesse a été informée dans le formulaire d’examen initial que sa crédibilité était en cause et, en particulier, que cela était imputable aux incohérences relevées entre les notes prises au point d’entrée à son sujet et l’exposé circonstancié du formulaire de renseignements personnels (FRP). La Commission avait toutes les raisons de considérer comme importants l’omission de l’adresse d’I. et du temps pendant lequel la demanderesse avait vécu avec lui. La cohabitation de la demanderesse avec I. était un élément essentiel de sa demande d’asile.

 

[18]           Cette omission, et les doutes de la Commission face aux explications de la demanderesse, sont un motif suffisant pour que la Commission exige des preuves corroborantes (Osman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 921, aux paragraphes 36 à 39, [2008] ACF no 1134). La Commission n’a pas commis d’erreur en exigeant une preuve corroborante, surtout que la crédibilité de la demanderesse était mise en doute.

 

[19]           La Commission a tiré au moins une autre conclusion relative à la crédibilité : elle n’a pas cru que le père de la demanderesse, un Hongrois de souche, dirait à la police que I. était le conjoint de fait de sa fille au moment de signaler que celui-ci l’avait agressée. Il ne s’agit pas là d’une inférence illogique.

 

[20]           Les seules preuves que la demanderesse a produites ont été son propre témoignage et des preuves documentaires. Elle aurait pu fournir des informations émanant d’autres sources, comme sa famille, des rapports de police ou autrement, mais elle a décidé de ne pas le faire. Il incombe à la demanderesse d’établir le bien-fondé de sa cause (Bema c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 845, au paragraphe 22, 63 IMM LR (3d) 253; Karanja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574, au paragraphe 5, [2006] ACF no 574; Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS 2002/228, article 7). Elle ne l’a pas fait.

 

[21]           La demanderesse soutient que la Commission a procédé à une analyse microscopique, ce qui n’est pas autorisé. À l’appui de cet argument, elle cite un certain nombre de décisions, dont Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF), [1989] ACF no 444 [Attakora]; Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 346, 69 Imm LR (3d) 286 [Huang]; Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 270, [2007] ACF no 395 [Chen]; et Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 55, [2010] ACF no 54 [Dong].

 

[22]           D’après toutes ces décisions, une analyse microscopique est une analyse dans le cadre de laquelle la Commission examine un fait qui n’est pas très pertinent pour un point quelconque, a moins de poids que d’autres éléments de preuve et ne joue pas un rôle fondamental dans les questions qui sont en litige dans l’affaire, mais dont on se sert pour trancher cette dernière.

 

[23]           Dans le cas de la demanderesse, celle-ci savait qu’il y avait des incohérences dans les notes prises au moment de l’examen effectué au point d’entrée et dans son FRP. De plus, elle avait eu la possibilité de modifier son FRP, et elle l’avait fait avant l’audience en y intégrant de nouveaux renseignements sur sa famille ainsi que sur son nouveau conjoint de fait, ici au Canada. La demanderesse n’avait pas profité de l’occasion pour rectifier les renseignements manquants au sujet du temps qu’elle avait passé à Budapest, soit dans le questionnaire de son FRP, soit dans l’exposé circonstancié accompagnant ce dernier.

 

[24]           La Commission n’a pas procédé à une analyse microscopique. Elle a interrogé la demanderesse à propos d’une incohérence qui, dans son témoignage, était importante pour l’affaire. L’emplacement de l’agent de persécution et l’endroit où la demanderesse avait vécu en Hongrie étaient des informations pertinentes en l’espèce. Il ne s’agissait pas d’une estimation du nombre de personnes fréquentant une église clandestine (comme dans l’affaire Dong, précitée), de la question de savoir si un trou était de la taille exacte d’un ballon de soccer (comme dans l’affaire Attakora, précitée) ou de l’endroit où l’on parle de l’arche de Noé dans la Bible (comme dans l’affaire Chen, précitée). La cohabitation avec I. est un point fondamental dans le dossier de la demanderesse, et la Commission était en droit de l’examiner.

 

[25]           Le fait qu’il soit interdit à la Commission de procéder à une analyse microscopique n’est pas une excuse pour que la demanderesse fournisse des éléments de preuve non crédibles. On présume qu’un demandeur dit la vérité mais, quand la véracité d’éléments de preuve ou la crédibilité de la demande d’asile suscite des doutes, la Commission est en droit d’interroger le demandeur sur cet aspect. La conclusion relative à la crédibilité est raisonnable.

 

[26]           Cependant, même si la conclusion relative à la crédibilité était erronée, la Commission a ensuite examiné la question de la protection de l’État, y compris pour les femmes victimes de violence familiale. C’est donc dire qu’à moins d’une erreur dans l’analyse relative à la protection de l’État, le fait de s’être trompé dans l’analyse relative à la crédibilité n’amènerait pas à faire droit à la demande de contrôle judiciaire.

 

C.        La question no 3 : la protection de l’État

 

[27]           La demanderesse soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État est déraisonnable. Je ne suis pas d’accord.

 

[28]           Il incombe à un demandeur d’asile d’établir que la protection de l’État est insuffisante. Il lui faut aussi en faire la preuve et convaincre le juge des faits que cette protection est insuffisante selon la prépondérance des probabilités (Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF  94, aux paragraphes 18 à 20, [2008] 4 FCR 636). Si l’État est démocratique, le fardeau qu’assume le demandeur est lourd, et cela fait qu’il est plus difficile de réfuter la présomption (Carrillo, précité, au paragraphe 26; Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF  171, au paragraphe 57, 282 DLR (4th) 413). La preuve doit être « claire et convaincante ».

 

[29]           La demanderesse soutient que la Commission :

 

                     a appliqué le mauvais critère;

 

                     a omis d’analyser l’efficacité des efforts faits par la Hongrie pour assurer une protection aux victimes de violence familiale;

 

                     a fait abstraction de certaines preuves documentaires;

 

                     a fait abstraction d’éléments jurisprudentiels pertinents.

 

[30]           À mon avis, aucun de ces arguments n’est défendable. La décision n’est pas déraisonnable.

 

(1)        Le critère erroné

 

[31]           La demanderesse soutient qu’en ce qui concerne la protection de l’État, la Commission a appliqué le mauvais critère. Cette présumée erreur survient au paragraphe 30 de la décision, où écrit la Commission :

[…] la demandeure d’asile n’a pas démontré que la protection de l’État en Hongrie est à ce point insuffisante qu’elle était dispensée de s’adresser de quelque façon aux autorités […] [Non souligné dans l’original.]

 

[32]           Cet extrait, par la demanderesse, d’un seul usage précis de mots ne veut pas dire que la Commission a appliqué un critère inexact. Dans l’ensemble des motifs, la Commission déclare à maintes reprises que le critère relatif à la protection de l’État est le caractère suffisant. La Commission a manifestement compris et appliqué le bon critère, relativement à la protection de l’État. Il n’y a pas d’erreur.

 

(2)        L’efficacité de la protection de l’État

 

[33]           La demanderesse soutient que la Commission a mis fin à son évaluation après avoir indiqué que le gouvernement central met en œuvre divers moyens d’aider les Roms, et qu’il s’agit là d’une erreur. Il incombait à la Commission, soutient-elle, de déterminer si l’État était capable de protéger les victimes. Elle affirme que la Commission aurait dû évaluer et expliquer pourquoi et comment l’État pouvait assurer une protection suffisante. En fait, elle soutient que la Commission aurait dû examiner l’efficacité de la protection de l’État.

 

[34]           Le critère qui s’applique à la protection de l’État n’est pas un critère d’efficacité; il s’agit plutôt de savoir si cette protection est adéquate (Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 668, au paragraphe 25, [2011] ACF no 840; Kis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 606, au paragraphe 16, [2012] ACF no 603). Il ne suffit pas que la demanderesse démontre que l’État n’est pas toujours efficace pour ce qui est de protéger les personnes se trouvant dans la même situation que celle de la demanderesse (Lakatos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1070, au paragraphe 14, [2012] ACF no 1152).

 

[35]           Quoi qu'il en soit, la Commission n’a pas mis fin à son analyse. Elle a pris en compte la version des faits de la demanderesse, à savoir qu’elle avait quitté Budapest pour se réfugier chez ses parents, que la police n’avait pas prêté assistance quand on lui avait demandé de le faire (selon le formulaire de demande d’asile initial indiquant que si I. se représentait, la police l’arrêterait) et que la demanderesse n’avait pas tenté de chercher de l’aide ailleurs. La Commission a également jugé qu’il y avait de nombreuses organisations qui étaient en mesure de l’aider. De plus, elle a estimé que la demanderesse avait eu deux chances de demander l’asile aux États-Unis en tant que femme d’origine rom victime de discrimination, et qu’elle ne s’en était pas prévalu. Autrement dit, la Commission a examiné l’efficacité d’un grand nombre des mesures de protection de l’État possibles dans le contexte factuel de la situation de la demanderesse.

 

[36]           La demanderesse signale que le fait que la Commission ait fait référence à la disponibilité d’ordonnances de non-communication est un facteur qui étaye la conclusion qu’elle a tirée quant à l’existence d’une protection de l’État adéquate. Elle se fonde sur l’affaire Sebok c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1107, [2012] ACF no 1192 [Sebok], dans laquelle la Cour a conclu que l’analyse relative à la protection de l’État était entachée d’un vice fatal parce que la Commission s’était fondée dans une large mesure sur la disponibilité d’ordonnances de non‑communication.

 

[37]           L’affaire Sebok est à distinguer de la présente espèce. Dans celle-ci, la Commission s’est fondée sur plus que la simple disponibilité d’ordonnances de non-communication. Elle a pris en compte des moyens d’aide autres que la police, comme des refuges et des lignes téléphoniques d’urgence subventionnés par le gouvernement. Elle a eu accès à des renseignements additionnels sur la formation des agents de police, sur une nouvelle politique de la Police nationale au sujet de la violence familiale ainsi que sur les attitudes de la police dans de telles affaires – un élément qui était absent dans l’affaire Sebok (Sebok, précité, au paragraphe 22). Contrairement à Sebok, la totalité des éléments de preuve ne montre pas que l’État ne pourrait pas raisonnablement assurer une protection (Sebok, précité, au paragraphe 25). Il était loisible à la Commission de tirer la conclusion à laquelle elle est arrivée sur la foi de ces éléments de preuve.

 

(3)        Les preuves documentaires

 

[38]           La demanderesse soutient que la Commission a omis de tenir compte de certaines preuves documentaires qu’elle avait en main. Ces informations, ajoute-t-elle, faisaient état d’une absence de protection de l’État pour les victimes de violence familiale. Plus précisément, elle se reporte à un document des Nations Unies ainsi qu’à la Demande d’information HUN103981.EF.

 

[39]           La demanderesse se trompe; la Commission a pris en considération ces documents et les a évalués. De plus, il est présumé que cette dernière a tenu compte de la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, sauf si l’on démontre le contraire (Boulos c Canada (Alliance de la fonction publique), 2012 CAF  193, au paragraphe 11, [2012] ACF no 832, citant Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598, au paragraphe 1, (11 juin 1993) A-1307-91 (CAF)).

 

[40]           Pour ce qui est du document des Nations Unies, la Commission fait expressément référence dans sa décision au paragraphe 46 de ce document. La prétention selon laquelle la Commission a pris ce document en compte pour ensuite en faire abstraction est une invitation lancée à la Cour pour qu’elle réévalue la preuve, ce qu’elle n’est pas appelée à faire dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[41]           Pour ce qui est de la Demande d’information, la Commission en parle au paragraphe 10 et admet que les femmes roms risquent d’être victimes de trafic, d’exploitation sexuelle et de prostitution. Le passage précis dont la Commission a fait abstraction, d’après la demanderesse, est cité dans son mémoire complémentaire des faits et du droit, et semble étayer la thèse voulant que la police ignore les appels que font les femmes vivant dans les quartiers roms. Cependant, après avoir lu la Demande d’information originale, il semble que la demanderesse ait sélectivement révisé le passage soumis à la Cour.

 

[42]           Si on lit le passage dans son intégralité, il est évident que : a) l’affirmation de la représentante de la NANE selon laquelle la police ne prend souvent pas note des prétentions formulées n’est pas corroborée, b) si la police ne donne pas suite à une plainte, la victime peut déposer une plainte au sujet de l’absence d’une enquête ou d’une violation de droits, c) certaines des conclusions sur lesquelles repose l’étude du European Roma Rights Centre datent de 2007, soit deux ans après l’entrée en vigueur, en 2009, des dispositions légales concernant les ordonnances de non-communication, et d) le passage tout entier porte sur l’efficacité de la protection de la police.

 

[43]           Aucune preuve ne dénote que la Commission n’a pas tenu compte de cela au moment de rendre sa décision. Ces éléments ont été soumis à la Commission, et celle-ci y fait référence au début de la décision ainsi que dans son raisonnement, au paragraphe 52.

 

[44]           Quoi qu'il en soit, la Commission n’est pas obligée de faire référence à tous les éléments de preuve documentaires ou à tous les passages tirés des sources invoquées par le demandeur et susceptibles de contredire les informations sur lesquels la Commission se fonde. La contrainte consiste à savoir si, en examinant le dossier dans son ensemble, y compris les éléments de preuve contradictoires, la décision est raisonnable (Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1265, au paragraphe 12, [2011] ACF no 1551; Rachewiski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 244, au paragraphe 17, 365 FTR 1; et Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923, au paragraphe 33, [2010] ACF no 1138). Dans le cas présent, la décision est raisonnable au vu de ces éléments de preuve.

 

(4)        La jurisprudence

 

[45]           La demanderesse fait référence à un certain nombre de décisions de la Cour dans lesquelles ont été infirmées des conclusions relatives à l’existence d’une protection de l’État et elle fait valoir que la Commission aurait dû s’y conformer. Cet argument suscite deux problèmes.

 

[46]           Premièrement, chaque affaire doit être examinée au vu des faits qui lui sont propres. Il est difficile d’appliquer la conclusion que tire un juge ou un tribunal dans une situation de fait particulière à une autre.

 

[47]           Le second problème est que la demanderesse semble se servir de conclusions de la Cour comme preuves qu’en Hongrie, la protection de l’État n’est pas adéquate. Il s’agirait là d’une application erronée du droit. Un juge de la Cour fédérale, siégeant dans le cadre d’un contrôle judiciaire, ne décide pas si la protection de l’État est adéquate ou non en Hongrie. La tâche de ce juge est de contrôler la décision afin de déterminer si elle raisonnable. Chaque affaire est tranchée en fonction des faits et des arguments qui sont soumis à la Cour. Dans le cadre de son analyse, un juge peut exprimer des opinions sur ce que la preuve documentaire tend à montrer. Mais on ne peut pas transformer les commentaires du juge en conclusions de fait. Seule la Commission est en mesure de tirer de telles conclusions. Le fait d’utiliser la jurisprudence comme le voudrait la demanderesse est inapproprié.

 

D.        La question no 4 : la possibilité de refuge intérieur

 

[48]           En plus de conclure que la demanderesse n’était pas parvenue à réfuter la présomption d’une protection de l’État, la Commission a exprimé l’avis que cette dernière bénéficiait de deux PRI où elle pouvait vivre sans risque de persécution grave.

 

[49]           Comme j’ai considéré que la conclusion de la Commission sur la protection de l’État est raisonnable, il n’est pas nécessaire de me prononcer sur le caractère raisonnable de la conclusion relative à la PRI.

 

III.       Conclusion

 

[50]           En conclusion, je ne suis pas convaincue qu’il y a lieu d’infirmer la décision de la Commission. La conduite de cette dernière n’a pas atteint le niveau d’une crainte raisonnable de partialité. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. La décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47) et, de plus, elle fait montre de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel qui sont requises (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[51]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé une question à certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                  aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-8808-12

 

INTITULÉ :

KLAUDIA KONYA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            le 18 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 25 SEPTEMBRE 2013

COMPARUTIONS :

Daisy McCabe-Lokos

 

POUR LA demanderesse

 

David Knapp

 

POUR LE défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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