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Date : 20130925

Dossier : T-1388-13

Référence : 2013 CF 980

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Harrington

 

 

ENTRE :

SHAWN BEVINS,

 

ASSOCIATION CANADIENNE POUR LES ARMES À FEU,

 

6497870 CANADA INC.

 

demandeurs

et

DIRECTEUR DE L’ENREGISTREMENT

DES ARMES À FEU,

 

COMMISSAIRE AUX ARMES À FEU –

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

 

CONTRÔLEUR DES ARMES À FEU DU QUÉBEC – GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Bien que le Parlement ait aboli le registre des armes d’épaule l’année dernière concernant les armes à feu sans restriction et bien que le Parlement ait ordonné la destruction des fichiers d’enregistrement de celles-ci, ce registre demeure fonctionnel pour les résidents du Québec.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent une ordonnance de cette Cour enjoignant les défendeurs de se conformer aux lois. Dans leur requête en injonction interlocutoire, ils demandent la destruction des fichiers d’enregistrement ainsi que les transferts d’armes à feu sans restriction ne soient pas enregistrés. Leurs prétentions sont basées sur un principe fondamental. Personne, et certainement pas la police, n’est au-dessus de la loi.

 

[3]               Le registre est présentement fonctionnel vis-à-vis les résidents du Québec alors que le gouvernement du Québec conteste la validité constitutionnelle de l’article 29 de la Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule, LC 2012 ch 6. Cet article exige la destruction des fichiers d’enregistrement des armes à épaules. Le Québec affirme que ceci empiète sur la compétence provinciale.

 

[4]               L’article 29(1) et (2) de la loi indique :

(1) Le commissaire aux armes à feu veille à ce que, dès que possible, tous les registres et fichiers relatifs à l’enregistrement des armes à feu autres que les armes à feu prohibées ou les armes à feu à autorisation restreinte qui se trouvent dans le Registre canadien des armes à feu, ainsi que toute copie de ceux-ci qui relève de lui soient détruits.

 

(2) Chaque contrôleur des armes à feu veille à ce que, dès que possible, tous les registres et fichiers relatifs à l’enregistrement des armes à feu autres que les armes à feu prohibées ou les armes à feu à autorisation restreinte qui relèvent de lui, ainsi que toute copie de ceux-ci qui relève de lui soient détruits.

(1) The Commissioner of Firearms shall ensure the destruction as soon as feasible of all records in the Canadian Firearms Registry related to the registration of firearms that are neither prohibited firearms nor restricted firearms and all copies of those records under the Commissioner’s control.

 

 

 

(2) Each chief firearms officer shall ensure the destruction as soon as feasible of all records under their control related to the registration of firearms that are neither prohibited firearms nor restricted firearms and all copies of those records under their control.

 

[5]               Le Québec a entrepris des démarches devant la Cour supérieur du Québec afin de contester la constitutionnalité de l’article 29. Il a réussi. Cependant, la Cour d’appel du Québec a accueilli l’appel du Procureur général du Canada et a refusé de suspendre les effets de sa décision. Le Procureur général du Québec a déposé une requête en sursis d’exécution du jugement de la Cour d’appel du Québec devant la Cour suprême du Canada ainsi qu’un avis de demande d’autorisation d’appel. La demande et la requête sont actuellement en instance.

 

[6]               Le Commissionnaire de la Gendarmerie royale du Canada a écrit au demandeur, M. Bevins, qui est le vice-président exécutif de l’Association canadienne pour les armes à feu, afin de lui dire que le Gouvernement du Canada a accepté de sauvegarder les fichiers relatifs à l’enregistrement des armes d’épaule du Québec jusqu’à ce que la Cour suprême rende jugement sur la requête en sursis.

 

[7]               Suite à une discussion franche et étoffée avec l’avocat des demandeurs, j’ai indiqué que malgré mes inquiétudes à l’égard de la requête d’injonction interlocutoire, la meilleure solution est de suspendre les procédures en attendant la décision de la Cour suprême relative à la demande d’autorisation d’appel ainsi qu’à la requête en sursis d’exécution du jugement de la Cour d’appel du Québec. J’ai dit que je fournirais mes motifs par écrit advenant que les demandeurs souhaitent poursuivre cette affaire.

 

[8]               Premièrement, le Procureur général du Québec a le droit de déposer un avis de demande d’autorisation d’appel au greffe de la Cour suprême à l’encontre du jugement de la Cour d’appel du Québec. Ce n’est pas à moi de me prononcer sur la justesse de la décision à laquelle l’autorisation est demandée ou de prévoir ce que la Cour suprême décidera. Il se peut ou non qu’elle accorde l’autorisation. Il se peut ou non qu’elle accorde un sursis. Si l’autorisation est accordée, il se peut que le Procureur général du Québec réussisse sur le fond. S’il réussit sur le fond, la décision sera sans effet et sans objet si j’ordonne la destruction des dossiers qu’il cherche à préserver.

 

[9]               Les demandeurs ont anticipé cette préoccupation. Ils ont alors émis un avis de requête modifié qui laisserait les dossiers en place pour le moment, mais qui refuserait l’accès à la police. Toutefois, les nouveaux transferts d’armes à feu sans restriction ne seront pas enregistrés. Le Procureur général du Canada s’est opposé à cette modification au motif qu’il doit obtenir des instructions quant aux implications de ceux-ci. Advenant que le Québec réussisse, j’ai souligné qu’il y aurait alors d’importantes lacunes dans les dossiers.  

 

[10]           En vertu de l’article 50(1)(b) de la Loi sur les Cours fédérales, cette Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures lorsque l’intérêt de la justice l’exige.  

 

[11]           Comme une demande d’autorisation d’appel ainsi qu’une requête en sursis d’exécution sont pendantes devant la Cour suprême du Canada, il serait à mon avis, tout à fait inapproprié d’ordonner la destruction des documents qui sont au cœur même de ces procédures. La destruction des fichiers d’enregistrement à ce moment privera effectivement le gouvernement du Québec de sa journée en cour. Je ne suis pas disposé à émettre une telle ordonnance. Je serai en train d’intervenir dans les affaires de la Cour suprême du Canada.

 

[12]           Puisque la requête d’injonction interlocutoire est simplement suspendue, et pourrait être relancée, il semble approprié que j’exprime mes préoccupations à cet égard.

 

L’INJONCTION INTERLOCUTOIRE

 

[13]           Je crains que si la requête d’injonction interlocutoire est accordée en bout de ligne il n’y aurait presque plus de décision à prendre quant à la demande d’autorisation d’appel. La question serait décidée sur une base provisoire sans donner aux parties la possibilité de fournir des dossiers complets, tel que prévu par les articles 300 et suivants des Règles des Cours fédérales, et ceci obligerait la Cour de rendre une décision sans pouvoir profiter pleinement des soumissions complètes des avocats.

 

[14]           Il y a aussi la question de qualité pour agir. Bien que M. Bevins possède la qualité pour agir afin de solliciter la destruction de ces propres fichiers, il n’y a pas de preuve qu’il s’exprime au nom desdits 500 000 autres propriétaires d’armes à feu au Québec.

 

[15]           Il faudrait que l’Association canadienne pour les armes à feu établisse la qualité pour agir dans l’intérêt public.  

 

[16]           Une demande d'injonction interlocutoire met en jeu le critère à trois volets, bien connu, énoncé par la Cour suprême du Canada dans des décisions tel que l’arrêt RJR- MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311. Le demandeur doit démontrer qu'il y a une question sérieuse à trancher, qu’il subirait un préjudice irréparable si l'injonction n'est pas accordée et que la prépondérance des inconvénients est en sa faveur.

 

[17]           Il semble effectivement y avoir une question sérieuse : le refus des autorités de donner effet à une loi Parlementaire.

 

[18]           En ce qui à trait au préjudice irréparable, M. Bevins soulève les questions de protection de la vie privée. Cependant, il a lui-même identifié dans cette requête ses armes à feu aux yeux de tous. Il faudra peut-être un recours collectif.

 

[19]           La société à numéro, un marchand d’armes Québécois bien connu faisant affaires sous le nom « L’Archerot Plus, le centre d’armes à feu de l’Outaouais », pourrait bien perdre des futures occasions d'affaires si les résidents du Québec choisissent d’acheter les armes à feu sans restriction dans des provinces où la transaction ne sera pas enregistrée. Toutefois, il faudra démontrer qu’une action en dommages-intérêt ne serait pas un remède suffisant.

 

[20]           Tout préjudice subit pourrait bien être à court terme.

 

[21]           Finalement, les demandeurs doivent établir que la balance des inconvénients penche en leur faveur. Il existe un argument solide que la balance des inconvénients penche en faveur du Québec.

 

[22]           Cette décision est rendue simultanément dans les deux langues officielles, tel que l’exige l’article 20 de la Loi sur les langues officielles.  


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

1.         La requête en injonction interlocutoire ainsi que toutes les procédures en la matière sont suspendues en attendant la décision de Cour suprême du Canada dans l’affaire Procureur général du Québec c Procureur général du Canada (Qué), dossier 35448, à l’égard de la demande d’autorisation d’appel et la requête en sursis d’exécution du jugement de la Cour d’appel du Québec dans le dossier 500-09-023030-125 (2013 QCCA 1138), déposée par le Procureur général du Québec.  

2.         Les dépens suivent l’issue de la cause.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

 

T-1388-13

 

INTITULÉ :

SHAWN BEVINGS ET AL c

DIRECTEUR DE L’ENREGISTREMENT DES ARMES À FEU ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            OTTAWA, ONTARIO

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 19 SEPTEMBER 2013

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

                                                            JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 25 septembre 2013

COMPARUTIONS :

Guy Lavergne

pour leS demandeurS

Eric Dufour

Suzanne Gauthier

pour leS défendeurS

CONTRÔLEUR DES ARMES À FEU DU QUÉBEC ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 

 

Dominique Guimond

Claude Joyal

pour leS défendeurS

DIRECTEUR DE L’ENREGISTREMENT DES ARMES À FEU, COMMISSAIRE AUX ARMES À FEU ET

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Guy Lavergne

St-Lazare (Québec)

 

pour leS demandeurS

Bernard, Roy (Justice – Québec)

Direction générale des affaires juridiques et législatives

Montréal (Québec)

 

pour leS défendeurS

CONTRÔLEUR DES ARMES À FEU DU QUÉBEC ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour leS défendeurS

DIRECTEUR DE L’ENREGISTREMENT DES ARMES À FEU, COMMISSAIRE AUX ARMES À FEU ET

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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