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Date : 20130905

Dossier : IMM-6542-12

Référence : 2013 CF 908

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

DANA DAVIDOVA,

MIROSLAV DAVID,

DAGMAR DAVIDOVA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision du 4 juin 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile des demandeurs.

 

I.          Faits

[2]               Les demandeurs sont une famille originaire de Koprivnice, un village situé près d’Ostrava, lequel est principalement peuplé de Roms. La demanderesse principale est mère célibataire de trois enfants. Elle a divorcé de son époux en 1996 parce qu’il avait des problèmes de jeu. Elle a une autre fille qui est restée en République tchèque, et qui l’a informée que la situation se détériorait. La fille de la demanderesse principale a aussi une fille [la petite‑fille de la demanderesse principale] qui est citoyenne canadienne; les besoins découlant de l’état de santé et du handicap de la petite‑fille forment en partie le fondement factuel et juridique de la demande d’asile de sa mère.

 

[3]               En 1996, l’époux de la demanderesse principale rentrait un jour à la maison et a été suivi par des skinheads, qui sont entrés par effraction dans l’appartement et ont battu la famille. La police a été appelée, mais lorsqu’elle est arrivée, les agresseurs étaient partis.

 

[4]               La demanderesse principale a décrit d’autres incidents où elle avait été bousculée par des skinheads qui l’agressaient verbalement lorsqu’elle était dans la rue, surtout quand elle accompagnait ses enfants jusqu’à l’école et lorsqu’ils en revenaient. Elle a déclaré qu’elle s’était présentée au poste de police de huit à dix fois pour déposer une plainte, mais que les policiers avaient seulement pris sa déclaration sans rien faire d’autre.

 

[5]               En mai 2008, alors qu’elle rentrait à la maison, la demanderesse principale a été agressée par un groupe de skinheads. Elle s’est présentée à une clinique pour recevoir des soins médicaux, mais n’a pas signalé l’incident à la police.

 

[6]               La fille de la demanderesse principale étudiait au secondaire en administration hôtelière et a un jour été suivie par deux élèves, qui l’ont giflée et qui ont craché sur elle. L’incident n’a pas été signalé à la police, mais la demanderesse principale s’est présentée à l’école le lendemain matin et a parlé au directeur, qui a suspendu les deux élèves et la fille de la demanderesse principale afin de calmer la situation.

 

[7]               La fille a continué de fréquenter l’école pendant environ trois semaines après cet incident, mais a fini par quitter l’école en mars ou en avril 2008 parce qu’elle était la seule élève rom de sa classe et craignait les menaces des autres élèves. Elle a déclaré qu’elle se sentait mal d’avoir quitté l’école et qu’elle voulait aider les membres de sa famille, étant donné que sa mère était seule à subvenir à leurs besoins.

 

[8]               Après que la fille de la demanderesse principale eut laissé l’école, les membres de la famille ont décidé de quitter le pays pour venir au Canada. Ils ont obtenu des passeports le 26 mai 2009. Le fils de la demanderesse principale, qui était mineur, a continué sa septième année jusqu’à la fin de l’année scolaire, en juin 2009. La demanderesse principale, ses enfants et le conjoint de fait de sa fille ont quitté le pays depuis Prague. Ils sont arrivés au Canada le 12 juillet 2009 et ont demandé l’asile le lendemain.

 

II.        Décision faisant l’objet du contrôle

[9]               La SPR a déterminé que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.

 

[10]           La SPR a déterminé que la République tchèque était une démocratie fonctionnelle bénéficiant de la présomption de protection de l’État, et que les demandeurs devaient faire plus que simplement démontrer qu’ils s’étaient adressés aux membres du corps de police et que leurs efforts avaient été vains. La SPR a conclu qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

[11]           La demanderesse principale a déclaré qu’elle avait été agressée verbalement et bousculée par des skinheads un certain nombre de fois et qu’elle s’était présentée au poste de police de huit à dix fois pour déposer une plainte, mais que les policiers avaient seulement pris sa déclaration sans rien faire d’autre. Toutefois, la SPR a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir que les policiers avaient refusé de consigner ses plaintes.

 

[12]           En mai 2008, la demanderesse principale a été agressée, mais elle n’a fourni aucun élément de preuve corroborant pour montrer qu’elle s’était présentée à une clinique afin de recevoir des soins médicaux. La SPR a néanmoins estimé que l’incident s’était bel et bien produit. La SPR a fait remarquer que la demanderesse principale n’avait jamais pu identifier ses agresseurs et a ajouté que, selon la preuve qui lui avait été présentée, elle ne pouvait conclure que les policiers n’auraient pas été disposés à faire enquête si la demanderesse principale leur avait fourni suffisamment d’information. Le caractère inadéquat de la protection de l’État ne pouvait donc être établi. Si la demanderesse principale estimait que les policiers n’avaient pas dûment enquêté sur l’incident, elle aurait pu déposer une plainte contre eux.

 

[13]           La demanderesse principale a expliqué qu’elle était inquiète pour ses enfants et restreignait leurs activités, et que sa fille avait cessé d’aller à l’école. La SPR a pourtant constaté que les membres de la famille avaient quitté le pays plus d’un an après l’incident de mai 2008, comme le révélaient leurs passeports.

 

[14]           La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir qu’ils avaient pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir la protection de l’État, étant donné que la République tchèque est une démocratie fonctionnelle qui déploie des efforts considérables pour corriger la discrimination historique exercée contre les Roms.

 

[15]           LA SPR n’a pas tiré de conclusion défavorable de l’absence de rapports de police, mais elle a estimé que l’incapacité de la police à mener une enquête était attribuable au fait que les agresseurs n’avaient pas été identifiés.

 

[16]           La SPR a ajouté que les éléments de preuve sur les efforts déployés par le gouvernement étaient contradictoires, étant donné que la police faisait parfois preuve de discrimination à l’endroit des Roms. Cependant, la police participe à des activités visant à améliorer les relations avec les jeunes Roms, et plus de policiers roms sont embauchés depuis le lancement d’une campagne de recrutement en 2006.

 

[17]           De plus, la SPR a examiné des éléments de preuve montrant qu’un certain nombre d’organisations non gouvernementales [ONG] en République tchèque pouvaient aider les demandeurs, c’est‑à-dire traiter les cas d’inconduite policière. De telles organisations pourraient prêter assistance aux demandeurs.

 

[18]           La SPR a donc conclu que la preuve témoigne des efforts que fait la République tchèque pour protéger les Roms et de son efficacité opérationnelle.

 

[19]           La SPR a en outre examiné les programmes d’éducation mis en place par le gouvernement à l’intention des Roms, et a souligné que les enfants de la demanderesse principale ne s’étaient jamais vu refuser le droit d’aller à l’école.

 

[20]           En ce qui concerne les inquiétudes soulevées par la maladie de la petite-fille de la demanderesse principale, la SPR a déterminé, selon la preuve, que la petite-fille souffrait de graves problèmes de santé depuis sa naissance et que si la fille de la demanderesse principale faisait l’objet de discrimination ou n’avait pas accès à des soins de santé adéquats pour son enfant, elle pourrait obtenir de l’aide des ONG. De plus, les demandeurs pourraient s’adresser au défenseur public des droits, à qui bon nombre de problèmes sont signalés.

 

III.       Observations des demandeurs

[21]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR selon laquelle la protection de l’État est adéquate en République tchèque est déraisonnable, car elle va à l’encontre de la preuve. La SPR a fait abstraction d’éléments principaux présentés par la demanderesse principale dans son témoignage concernant le fait que la police n’avait pas pris de notes sur l’introduction par effraction des skinheads dans son domicile ni ne lui avait demandé d’aller au poste de police. La SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de son témoignage crédible quant à la protection de l’État.

 

[22]           De plus, le fait de ne pas avoir fourni de documentation personnelle attestant chaque allégation ne devrait pas en soi miner la crédibilité de la demanderesse principale, à moins que des éléments de preuve ne contredisent ces allégations. La SPR n’avait pas de réserves sur la crédibilité.

 

[23]           La SPR a commis une erreur en déclarant qu’elle ne pouvait conclure, selon la preuve qui lui avait été présentée, que, dans ce cas, les policiers n’auraient pas été disposés à aider la demanderesse principale si elle avait fourni suffisamment d’éléments de preuve fiables et probants leur permettant de mener une enquête. La SPR a tiré une conclusion fondée sur une hypothèse, car aucun élément de preuve ne corroborait le fait que la police n’avait pas pu mener d’enquête en raison de la mauvaise identification des agresseurs. Au contraire, certains éléments de preuve laissaient entrevoir d’autres explications pour l’inaction de la police, et la SPR en a fait abstraction. Dans son formulaire de renseignements personnels, la demanderesse principale a déclaré que la police avait des liens avec les skinheads. Certains éléments de preuve montrent l’existence de racisme institutionnel au sein de la police de la République tchèque et la réalisation d’enquêtes inadéquates sur les crimes perpétrés contre les Roms. Lorsque la police n’enquête pas sur de graves plaintes de harcèlement racial ou sur des crimes haineux et que la pratique de discrimination systématique dans les forces policières est révélée par la preuve, la SPR ne devrait pas conclure à la bonne foi de la police.

 

[24]           De plus, selon le critère, il incombait à la demanderesse principale de chercher à obtenir la protection de la police en fournissant à celle‑ci des éléments de preuve fiables et probants lui permettant de mener une enquête. Par la suite, le tribunal se met rétrospectivement en position de décider si la demanderesse principale a rempli ce critère. Il est déraisonnable de blâmer les demandeurs parce que la police a omis de faire enquête.

 

[25]           Selon les demandeurs, le fait que l’État déploie de sérieux efforts n’est pas pertinent; le bon critère juridique à appliquer est celui de savoir si de tels efforts sont efficaces sur le plan opérationnel. La SPR a commis une erreur en tenant compte de la volonté d’aider de la police tout au long de sa décision plutôt que de se demander si la police pouvait protéger les victimes roms et si elle le faisait réellement. Les demandeurs ont fourni des éléments de preuve selon lesquels des émeutes avaient éclaté en 2011 en Bohême du Nord malgré la présence de la police, ce qui montre que la protection de l’État n’est pas efficace sur le terrain.

 

[26]           En outre, les demandeurs soutiennent que la SPR a fait certaines erreurs en concluant que la fille de la demanderesse principale pourrait avoir accès à des soins adéquats pour son enfant en République tchèque. La SPR a commis une erreur en estimant que la fille de la demanderesse principale pourrait obtenir l’aide d’ONG chargées de se pencher sur les problèmes qui frappent la communauté rom. La présence d’ONG qui aident les victimes de discrimination à déposer des plaintes pour atteinte aux droits de la personne ne démontre pas l’efficacité de la protection de l’État, plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’accès aux soins de santé. La SPR a commis une erreur en fusionnant la protection de l’État avec le soutien des ONG, car la présence d’ONG ne peut remplacer la protection de l’État, et si les ONG constituent le seul recours de la fille, il faut en conclure que la protection de l’État est inadéquate. La preuve ne démontre pas que, par suite des services rendus par les ONG, un hôpital serait tenu de remédier à la discrimination. Rien dans la preuve n’établit que les services rendus par les ONG auraient pour effet d’empêcher la répétition des incidents de discrimination.

 

[27]           La SPR a en outre commis une erreur en concluant que la petite-fille de la demanderesse principale obtiendrait des soins médicaux appropriés dans les grands centres urbains, car la SPR n’a pas tenu compte de la preuve soumise par les demandeurs selon laquelle ils n’avaient pas les moyens de payer les soins médicaux et n’avaient pas accès aux possibilités d’emploi. Il fallait tenir compte de la nature du système de soins de santé en partie pour déterminer si la crainte de la demanderesse principale était objectivement raisonnable. La SPR a commis une erreur en tenant pour acquis que des soins de santé seraient offerts parce que la preuve présentée par les demandeurs ne suffisait pas à établir le contraire. La présomption de protection de l’État ne suppose pas qu’un État particulier offre un régime public de soins de santé. La question de savoir si la demanderesse principale serait en mesure de payer des soins de santé spécialisés et si elle aurait à payer pour obtenir ces services est complètement écartée de la conclusion sur les soins de santé.

 

[28]           Les demandeurs ajoutent que la SPR ne pouvait conclure que la protection de l’État était adéquate en ce qui concerne l’aspect soins de santé de leur demande d’asile. Ayant exprimé des réserves sur le caractère suffisant de la preuve soumise sur ce point, la commissaire était tenue à tout le moins d’indiquer comment le problème du manque de preuve avait été résolu avant de trancher la question des soins de santé.

 

[29]           Enfin, les demandeurs affirment que l’exemption prévue au sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR ne s’applique pas à l’aspect de leur demande d’asile qui porte sur les soins de santé de la petite-fille de la demanderesse principale, la SPR ayant déterminé qu’ils avaient été victimes de discrimination pour un des motifs prévus dans la Convention.

 

[30]           La demanderesse principale soutient, à titre subsidiaire, que si le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR s’applique à cet aspect de la demande d’asile, la SPR a tiré une conclusion erronée, étant donné que sa demande d’asile fait partie des rares demandes d’asile fondées sur la discrimination généralisée envers les Roms en République tchèque, qui ne saurait être considérée comme une raison légitime justifiant l’incapacité du gouvernement de fournir des soins de santé.

 

IV.       Observations du défendeur

[31]           Le défendeur soutient premièrement que la SPR a d’abord tenu compte de l’efficacité de la protection de l’État avant d’examiner si les demandeurs avaient réfuté la présomption de protection adéquate de l’État. La SPR a tenu compte de la preuve contradictoire et de l’efficacité opérationnelle.

 

[32]           Deuxièmement, le défendeur soutient qu’il incombait aux demandeurs de réfuter la présomption de protection de l’État en République tchèque. Les demandeurs n’ont pas établi que la protection de l’État est inadéquate.

 

[33]           Troisièmement, les efforts faits par les demandeurs pour obtenir la protection de l’État étaient inadéquats. La République tchèque est une démocratie parlementaire fonctionnelle. Par conséquent, les demandeurs ne doivent pas se contenter d’alléguer simplement que la police n’en a pas fait assez pour les aider. La SPR a conclu avec raison que les demandeurs n’avaient pas déployé tous les efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État avant de la demander à l’étranger, car ils avaient certains recours pour remédier à l’inaction de la police, y compris la possibilité pour le ministre de l’Intérieur et le défenseur public d’enquêter sur les plaintes déposées contre la police. De plus, la demanderesse principale ne s’est pas tournée vers des organisations autres que la police qui auraient pu l’aider.

 

[34]           Le défendeur ajoute que la police n’avait pas pu enquêter sur la plainte de la demanderesse principale parce que l’identité des skinheads qui l’avaient agressée en mai 2008 était inconnue. Il était donc difficile de faire enquête, et la SPR n’a pu conclure, selon la preuve qui lui avait été fournie, que la police n’était pas disposée à agir. Le même raisonnement s’applique pour ce qui est de l’introduction par effraction. Il ressort de la jurisprudence qu’une telle impossibilité de faire enquête n’équivaut pas à une protection de l’État inadéquate.

 

[35]           Quatrièmement, le défendeur affirme que la SPR n’a pas fait abstraction de la preuve sur le caractère adéquat de la protection de l’État produite par la demanderesse principale quant à l’introduction par effraction. La SPR n’est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve dans ses motifs, car elle est présumée avoir pris en considération la totalité de la preuve. En ce qui concerne l’allégation de la demanderesse principale selon laquelle la SPR n’a pas tenu compte de l’incident à la suite duquel la police n’avait pas pris de notes, le défendeur soutient que la SPR pouvait simplement examiner si la police avait répondu à l’appel signalant l’introduction par effraction d’après l’information dont elle disposait au moment d’apprécier le caractère adéquat de la protection de l’État. De plus, les demandeurs pouvaient se tourner vers un certain nombre d’organisations pour remédier à l’inaction de la police, mais n’y ont pas eu recours.

 

[36]           Le défendeur soutient enfin que la SPR a tenu compte de la preuve concernant l’enfant née au Canada. La SPR a raisonnablement conclu que, si le renvoi de l’enfant en République tchèque soulevait certaines préoccupations, la preuve ne suffisait pas à établir que l’État ne lui fournirait pas de soins médicaux adéquats. Contrairement à ce qu’allègue la demanderesse principale, la protection de l’État peut être obtenue par l’entremise d’organismes administrés par l’État, comme des ONG. La SPR a également souligné l’assistance que pouvaient offrir le défenseur public et le Secrétariat du conseil national des minorités, qui ne sont pas des ONG. Le défendeur ajoute que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait sous le régime du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR, étant donné que l’absence de soins médicaux en République tchèque ne peut fonder une demande d’asile, bien qu’elle puisse constituer une difficulté excessive dans un contexte humanitaire. L’incapacité de payer les soins médicaux ne peut fonder à elle seule une demande d’asile. Il faut prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les soins seront refusés pour un motif discriminatoire, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.

 

V.        Arguments écrits supplémentaires des parties

[37]           À l’audience, la Cour a ordonné aux parties de lui présenter des observations écrites supplémentaires sur la question des soins de santé pour la petite‑fille de la demanderesse. Les demandeurs ont déposé leurs observations écrites supplémentaires le 7 juillet 2013; ils avancent l’argument selon lequel la SPR a tiré des conclusions sur la crainte de discrimination dans l’accès aux soins de santé sans tenir compte de la preuve soumise, plus particulièrement en ce qui concerne le caractère insuffisant de la preuve présentée sur la question des soins de santé et la pertinence des ONG dans l’appréciation de la protection de l’État.

 

[38]           Dans ses observations écrites supplémentaires déposées le 12 juillet 2013, le défendeur soutient que la décision de la SPR en cause était raisonnable. Se fondant sur la documentation limitée lui ayant été présentée, la SPR a correctement observé la jurisprudence sur le sous‑alinéa 97(1)b)(iv). Le défendeur affirme que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait sous le régime de ce sous‑alinéa et qu’ils avaient le loisir de plaider leur cause par une autre voie, c’est‑à‑dire demander une dispense pour motifs d’ordre humanitaire.

 

[39]           Les demandeurs ont répondu aux observations du défendeur le 24 juillet 2013. En plus de préciser leurs allégations, ils indiquent que l’exclusion visée au sous‑alinéa 97(1)b)(iv) ne s’applique pas à la présente question des soins de santé, car elle faisait partie de leur demande d’asile. Le défendeur n’a pas répondu aux observations écrites supplémentaires des demandeurs.

 

VI.       Question en litige

1.  La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État?

 

VII.     Norme de contrôle

[40]           Les conclusions sur la protection de l’État doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

 

VIII.    Analyse

[41]           Les demandeurs affirment avoir démontré l’inefficacité de la protection de l’État, car la police n’a pas adéquatement répondu à leurs plaintes.

 

[42]           Comme l’a statué la Cour suprême dans Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, 20 Imm LR (2d) 85, il y a lieu de présumer que l’État est en mesure de protéger ses citoyens. La conclusion de la SPR selon laquelle la République tchèque est un État démocratique, présumé capable de protéger ses citoyens, est raisonnable. En effet, la SPR a examiné la preuve contradictoire et a conclu que la République tchèque offrait une protection adéquate aux citoyens roms.

 

[43]           Il est de droit constant que la protection de l’État n’a pas besoin d’être parfaite et qu’un État est présumé capable de protéger ses ressortissants à moins que le contraire ne puisse être démontré. Dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, (1992) 18 Imm LR (2d) 130, 99 DLR (4th) 334, la Cour d’appel fédérale a statué que la protection ne doit pas nécessairement être parfaite :

 

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. Le terrorisme au service d’une quelconque idéologie perverse est un fléau qui afflige aujourd’hui de nombreuses sociétés; ses victimes, bien qu’elles puissent grandement mériter notre sympathie, ne deviennent pas des réfugiés au sens de la Convention simplement parce que leurs gouvernements ont été incapables de supprimer ce mal […] lorsqu’un État a le contrôle efficient de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

 

[44]           Par conséquent, le fait qu’un gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger ceux qui se trouvaient dans la même situation qu’un demandeur d’asile particulier ne suffit pas à établir que la protection de l’État n’est pas offerte au demandeur d’asile dans son pays d’origine. En l’espèce, la demanderesse principale n’a jamais été en mesure de donner de l’information qui aurait permis d’identifier les auteurs des crimes. Par conséquent, si les autorités avaient eu d’autres renseignements, elles auraient pu enquêter sur ces incidents. La conclusion sur la protection de l’État tirée par la SPR sur ce point était donc raisonnable.

 

[45]           Toutefois, la SPR a commis une erreur dans son analyse de la question de savoir si la petite‑fille gravement malade de la demanderesse principale pourrait bénéficier d’une protection de l’État adéquate.

 

[46]           Tout d’abord, la SPR a reconnu l’insuffisance de la preuve concernant la capacité et la volonté de la République tchèque de fournir des soins médicaux à une enfant rom gravement malade, puis a conclu que la protection de l’État serait toutefois offerte à la fille de la demanderesse principale si elle faisait l’objet de discrimination en voulant obtenir des soins de santé pour son enfant, étant donné qu’un certain nombre d’ONG pourraient leur prêter assistance.

 

[47]           La disponibilité de soins de santé adéquats pour la petite-fille de la demanderesse principale, ou l’absence de soins, est une question sérieuse, qui doit être examinée en profondeur par la SPR. Que le cas de la demanderesse principale soit examiné à la lumière de l’article 96 ou du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR, la question de savoir si la petite-fille de la demanderesse principale recevrait un soutien médical prompt et adéquat dans l’éventualité où son état de santé l’exigerait et si les soins de santé sont financés par l’État en République tchèque doit être analysée en détail par la SPR parce qu’elle soulève de graves préoccupations. Ainsi, il faut analyser minutieusement la preuve produite pour rendre la décision qui s’impose. En effet, il ne faut pas oublier que la petite‑fille de la demanderesse principale est citoyenne canadienne et que son droit à la vie et à la sécurité est protégé par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11.

 

[48]           Ensuite, la SPR a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État en concluant que les ONG offriraient une protection adéquate à la petite‑fille de la demanderesse principale. La SPR estimait qu’une protection adéquate serait fournie par certaines ONG présentes en République tchèque et a conclu ceci :

 

Bien que je sois consciente qu’il ne s’agit pas d’organismes gouvernementaux, ces organisations sont financées en partie par le gouvernement pour veiller à l’efficacité opérationnelle des dispositions législatives qui ont été adoptées. Je conclus que, si la fille de la demandeure d’asile principale fait l’objet de discrimination ou qu’elle reçoit des soins de santé inadéquats pour sa fille, elle peut obtenir l’aide d’ONG qui ont le mandat de se pencher sur les problèmes avec lesquels la communauté rom est aux prises et qui pourraient l’aider à veiller à ce que des soins adéquats soient offerts à sa fille. Les services qu’ils offrent sont semblables à ceux qui lui ont été offerts par l’organisme Catholic Children’s Aid, à Hamilton, qui l’a aidée pendant son séjour au Canada. De plus, les demandeurs d’asile pourraient s’adresser au défenseur public des droits, qui traite un grand nombre de problèmes, dont des problèmes liés à des personnes qui sont aux prises avec des difficultés financières, comme des personnes qui demandent son aide pour trouver un logement. Compte tenu de la gravité de la maladie de l’enfant de la fille de la demandeure d’asile principale, rien n’indique que le défenseur public ne l’aiderait pas si elle éprouvait des difficultés. La preuve démontre plutôt que le défenseur public a traité un grand nombre de cas de difficulté et qu’il a enquêté sur des pratiques adoptées par des autorités municipales, notamment dans les domaines de la santé publique, de l’emploi et des centres de logement. Ils peuvent également s’adresser au Secrétariat du conseil national des minorités au besoin.

 

[49]           La lecture de la décision de la SPR révèle que celle‑ci a considéré que les ONG prêtant assistance à la population rom en République tchèque constituaient la principale source de protection. En effet, la SPR a d’abord longuement analysé les activités de certaines ONG qui veillent à la mise en œuvre efficace des lois antidiscrimination promulguées par le gouvernement. Elle a ensuite conclu sans équivoque que ces ONG seraient la première ressource vers laquelle se tourner pour obtenir une protection adéquate si la fille de la demanderesse principale faisait l’objet de discrimination en tentant d’avoir accès à des soins médicaux pour la grave maladie de son enfant. Bien que la SPR ait mentionné que le défenseur public des droits et le Secrétariat du conseil national des minorités pouvaient aider, il ressort nettement que, selon le raisonnement de la SPR, les ONG mises en place pour veiller au respect des lois antidiscrimination constituaient le principal organe qui offrirait protection à la petite‑fille de la demanderesse principale.

 

[50]           Toutefois, une abondante jurisprudence soutient la thèse selon laquelle les acteurs non étatiques, ce qui comprend les ONG, ne peuvent remplacer la protection qui devrait essentiellement être offerte par l’État (voir Dominguez Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1211, au paragraphe 23, 164 ACWS (3d) 842; Thakur c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 600; Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1081, aux paragraphes 24 à 30; Balogh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 809, au paragraphe 44, 22 Imm LR (3d) 93). En outre, comme l’a statué la Cour, « [i]l est extrêmement difficile, sur le plan de la preuve, de déterminer si une organisation non gouvernementale peut assurer la protection en lieu et place de l’État » (Aurelien c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 707, au paragraphe 17, [2013] ACF no 752).

 

[51]           Il fallait, pour que la décision de la SPR soit confirmée, que sa conclusion selon laquelle la jeune fille ne subirait pas de discrimination qui l’empêcherait d’avoir accès à des soins médicaux pour sa grave maladie soit fondée sur la protection offerte par un agent de l’État. Ce n’est pas le cas, car l’analyse de la SPR est centrée sur l’assistance pouvant être prêtée par des ONG. Il est déraisonnable de conclure que la présence d’ONG qui prêtent assistance à la population rom équivaut à une protection de l’État adéquate, car il est hautement improbable que ces organisations puissent être en mesure de prendre des arrangements pour que la petite-fille de la demanderesse principale reçoive une assistance médicale prompte en cas d’urgence.

 

[52]           Pour l’ensemble de ces motifs, la décision doit être renvoyée pour réexamen, mais seulement en ce qui concerne la conclusion sur la protection de l’État pour la jeune fille, qui est déraisonnable. Comme la Cour l’a souligné aux paragraphes 42 à 44, les autres conclusions sur la protection de l’État sont raisonnables. Comme la commissaire de la SPR qui était saisie de la demande connaît bien les faits et les questions en litige qui concernent la jeune fille, l’affaire devrait lui être renvoyée. Les motifs prononcés ayant trait à la jeune fille devraient être utiles à la SPR.

 

[53]           Les parties ont été invitées à soumettre des questions aux fins de certification, mais aucune n’a été proposée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR statue que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.

 

2.         La décision de la SPR concernant la protection de l’État offerte à la jeune fille est annulée, et l’affaire est renvoyée au même tribunal de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

3.         Aucune question n’est certifiée.

 

       « Simon Noël »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6542-12

 

INTITULÉ :                                      DANA DAVIDOVA et autres c LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 8 juillet 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 septembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mieszko J. Wlodarczyk

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Ezrin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mieszko J. Wlodarczyk

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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