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Date : 20130925


Dossier : IMM-10069-12

 

Référence : 2013 CF 982

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

QAZIME TALO
JURGEN TALO

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit du second contrôle judiciaire mettant en cause les demandeurs. Dans la décision Talo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 478 (CanLII), le juge Campbell a infirmé la première décision défavorable de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] et a ordonné que l’on statue à nouveau sur l’affaire, en fonction des directives suivantes :

Du fait de sa vulnérabilité, Dajana ne devrait pas être mise dans la situation d’avoir à prouver son innocence et sa crédibilité une seconde fois; de ce fait, la nouvelle décision sera fondée à la fois sur le fait que la preuve produite dans le présent dossier est tenue pour crédible et sur une application des Directives du président sur la persécution fondée sur le sexe. Il sera loisible aux demandeurs de fournir des éléments de preuve et des arguments additionnels sur la question de la protection de l’État en Albanie.

II.        LE CONTEXTE

[2]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs sont une mère, Quazime Talo, et son fils, Jurgen. Le premier contrôle judiciaire avait principalement trait à la fille, Dajana. Tous sont citoyens de l’Albanie.

 

[3]               La famille a présenté sa demande d’asile en 2009, en se fondant sur ce que Dajana avait vécu en Albanie. Celle-ci craignait d’être enlevée et forcée à se prostituer par des trafiquants d’êtres humains. Ces derniers l’avaient abordée à de nombreuses reprises et, en fin de compte, elle avait été violée par deux hommes.

 

[4]               La mère a fait état à maintes reprises de la crainte que suscitent ces trafiquants d’êtres humains, surtout lorsqu’un membre de la famille tente de s’opposer à eux.

 

[5]               La Commission a rejeté la première demande, qui a été infirmée par le juge Campbell dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Avant de donner ses directives, le juge Campbell a fait deux déclarations importantes pour sa décision :

[8]        Je conclus que la preuve que cite la SPR dans sa décision et celle que l’avocat des demandeurs a déposée amènent à douter sérieusement qu’il existe une protection de l’État pour les femmes vivant en Albanie.

[9]        En définitive, je conclus que la décision faisant l’objet du présent contrôle est entachée d’une erreur susceptible de contrôle, et ce, pour deux raisons : les Directives du président sur la persécution fondée sur le sexe n’ont pas été appliquées comme il faut, et les éléments de preuve disponibles n’ont pas été analysés de façon équitable.

[6]               À l’audience que la Commission a tenue par la suite, les demandeurs (la mère et son fils) n’ont produit aucune preuve. Leur conseil avait écrit à la Commission et indiqué que [traduction] « ces demandeurs d’asile n’auront pas à témoigner [de nouveau] car leur crédibilité ne pose aucun problème ». Il a par ailleurs ajouté qu’étant donné que le témoignage de Dajana était digne de foi, la seule question à trancher était celle de la protection de l’État en Albanie.

 

[7]               À l’audience, la Commission a conclu que la seule question en litige consistait à savoir si les demandeurs étaient en mesure de bénéficier d’une protection de l’État.

 

[8]               Dans la seconde décision, la Commission a essentiellement conclu que la crainte qu’avait la mère ou le fils de retourner en Albanie était dénuée de fondement.

 

III.       ANALYSE

[9]               Les demandeurs sont d’avis qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale car la Commission n’a pas posé de questions à la mère et n’a pas pris en compte la totalité des éléments de preuve. Cela étant, la décision doit être contrôlée en fonction de la norme de la décision correcte.

 

[10]           Le défendeur soutient que la véritable question en litige est la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la protection de l’État, une question qui est régie par la norme de contrôle de la raisonnabilité (Andoni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 516 (CanLII)).

 

[11]           Le compte rendu de l’audience n’est pas tout à fait clair, mais ce sont les demandeurs qui ont décidé de ne pas produire de preuves sur la question de la crainte parce que les directives ne faisaient mention que de la protection de l’État.

 

[12]           Cependant, dans la présente affaire, la question en litige consiste à savoir si ces personnes en particulier bénéficieraient d’une protection de l’État. Il ne peut s’agir d’un examen purement générique de la disponibilité d’une protection de l’État pour toutes les personnes présentes en Albanie.

 

[13]           Étant donné que le juge Campbell a indiqué qu’il était « loisible aux demandeurs de fournir des éléments de preuve et des arguments additionnels sur la question de la protection de l’État en Albanie » et que leur conseil a décidé de ne pas fournir d’éléments supplémentaires, je ne puis conclure que la Commission a commis une erreur sur le plan de l’équité procédurale.

 

[14]           La véritable question qui est en litige en l’espèce est la décision de la Commission selon laquelle les demandeurs bénéficient d’une protection de l’État. À cet égard, elle est arrivée à des résultats qui ne concordent pas avec une conclusion de disponibilité de protection de l’État.

 

[15]           En analysant cette question, la Commission s’est reportée à un document intitulé « Trafficking in Persons report 2011 » et a tiré la conclusion importante qui suit :

Les efforts déployés par l’État, sa capacité et sa volonté de mettre en œuvre le cadre procédural ne peuvent être évalués à partir de la documentation sur le pays susmentionnée.

 

[16]           Étant arrivée à cette conclusion, la Commission n’analyse pas plus avant la question de la protection de l’État. Il est impossible de concilier l’extrait qui précède avec la conclusion ultime de la Commission.

 

[17]           La Cour n’a pas à trouver des moyens de miner l’assise d’une décision (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654), mais on ne peut lui laisser deviner sur quoi repose la conclusion concernant l’existence d’une protection de l’État. La Cour a déjà traité de ce genre de problème (voir Contreras c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 589 (CanLII)) et a conclu qu’il s’agit d’un motif pour annuler une décision.

 

IV.       LA CONCLUSION

[18]           Je suis donc disposé à faire droit à la demande de contrôle judiciaire, à annuler la décision de la Commission et à renvoyer la demande d’asile des demandeurs afin qu’elle soit tranchée par un commissaire différent. Je ne formulerai pas de directives (cela peut avoir causé en l’espèce davantage de problèmes non voulus). Il appartiendra au commissaire, après en avoir avisé les parties, de déterminer les questions à examiner ainsi que les procédures à suivre.

 

[19]           Il n’y a pas de question à certifier.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision de la Commission annulée et la demande d’asile des demandeurs renvoyée en vue d’être tranchée par un commissaire différent.

 

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-10069-12

 

INTITULÉ :                                      QAZIME TALO, JURGEN TALO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 16 SEPTEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE PHELAN

 

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 25 SEPTEMBRE 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

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