Date : 20130830
Dossier : IMM-8091-12
Référence : 2013 CF 928
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 30 août 2013
En présence de madame la juge Gleason
ENTRE :
QI GUO CHEN
demandeur
et
LE
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 17 juillet 2012 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR ou la Commission] a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[2] Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine qui vivait dans la province du Fujian avant de prendre la fuite pour le Canada. Il prétend s’être joint à une maison‑église catholique clandestine en Chine, qui, peu après, a été l’objet d’une descente du Bureau de la sécurité publique [BSP]. Il a également fréquenté une église catholique au Canada. Le prêtre de cette paroisse a écrit une lettre indiquant que le demandeur avait assisté à des offices, avait suivi des cours et avait fait du bénévolat à l’église, et qu’il allait être baptisé en avril 2012. À l’audience de la SPR, le demandeur a indiqué que le baptême n’avait pas été célébré parce qu’il était divorcé.
[3] Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, la Commission a rejeté la demande du demandeur, concluant qu’il n’y avait un fondement ni subjectif ni objectif à la crainte de persécution qu’il disait éprouver, au sens de l’article 96 de la LIPR, et qu’aucun fondement objectif ne permettait de conclure qu’il s’exposait à des risques, au sens de l’article 97 de la LIPR. Plus précisément, tout en admettant qu’il se pouvait que le demandeur ait fréquenté une maison-église en Chine, la SPR n’a pas ajouté foi à la prétention de ce dernier selon laquelle cette église avait été l’objet d’une descente, en raison du manque de corroboration de son témoignage. À cet égard, la Commission a accordé peu de poids à la présumée assignation du BSP que le demandeur avait produite, parce que celle-ci ne comportait pas d’adresse à laquelle il devait se présenter et que, en Chine, les faux documents sont monnaie courante. La SPR a également signalé qu’il ne ressortait pas de la documentation objective concernant la province du Fujian que le BSP avait fait des descentes dans des maisons-églises de petite taille.
[4] Le demandeur soutient que la Commission, dans sa décision, a commis quatre erreurs susceptibles de contrôle. Premièrement, elle a omis d’énoncer clairement les raisons pour lesquelles elle rejetait la prétention du demandeur selon laquelle sa maison-église avait été l’objet d’une descente. Deuxièmement, elle a omis de conclure explicitement que l’assignation n’était pas authentique et a donc commis une erreur en n’accordant aucun poids à ce document. Troisièmement, elle n’avait aucune raison de douter de l’authenticité de l’assignation, car ce document indique bien le poste de police d’où elle a été émise, et la Commission s’est livrée à une conjecture inappropriée en présumant qu’il fallait qu’une assignation chinoise comporte une adresse à laquelle se présenter. Quatrièmement, elle a commis une erreur en concluant que le demandeur ne s’exposerait à aucun risque s’il retournait dans la province du Fujian car cette conclusion repose sur l’affirmation selon laquelle les membres des maisons-églises ne sont pas arrêtés, ce qui est une conception déraisonnablement étroite du type d’activité qui peut constituer une persécution religieuse justifiant l’octroi d’une protection sous le régime de la LIPR.
[5] À mon avis, aucun de ces points n’offre une raison quelconque pour infirmer la décision de la Commission. La norme de contrôle applicable à la décision est la raisonnabilité, car les conclusions contestées sont toutes des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit (Rajadurai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 532, au paragraphe 23, 228 ACWS (3d) 530; Henguva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 483, au paragraphe 4, 228 ACWS (3d) 216). La raisonnabilité est une norme empreinte de déférence, qui prévoit que l’on ne peut infirmer une décision si les motifs du tribunal administratif sont transparents, intelligibles et justifiés et si l’issue appartient à l’éventail des options possibles au vu des faits et du droit applicable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).
[6] Les deux premières erreurs alléguées invitent la Cour à se livrer à une interprétation microscopique de la décision, ce qui est l’antithèse d’un examen fondé sur la norme dite « déférente » de la raisonnabilité. La Cour suprême du Canada a confirmé qu’une telle manière de procéder n’est pas justifiée selon la norme de la raisonnabilité et elle a précisé qu’on se doit de confirmer une décision si les motifs énoncés permettent à la partie en cause et au tribunal de contrôle de savoir pourquoi elle a été rendue. Au paragraphe 16 de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, le juge Abella, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré :
Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale […]. En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.
[Renvois omis]
[7] Dans l’arrêt Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65, [2012] 3 RCS 405, la Cour suprême abonde dans le même sens, au paragraphe 3 :
La Commission n’était pas tenue de traiter expressément de toutes les interprétations possibles de ces dispositions. Notre Cour a insisté sur le fait qu’un tribunal administratif n’a pas l’obligation d’examiner et de commenter dans ses motifs chaque argument soulevé par les parties. La question que doit trancher le tribunal judiciaire siégeant en révision demeure celle de savoir si la décision attaquée, considérée dans son ensemble, à la lumière du dossier, est raisonnable […].
[Renvois omis]
[8] En l’espèce, en ce qui concerne ses deux premiers arguments, le demandeur tente de contester la décision de la Commission parce qu’elle a simplement omis d’énoncer ses conclusions de manière plus détaillée. Comme il a été signalé, il est clair que la Commission a conclu que la descente n’avait pas eu lieu à cause des problèmes que posaient les preuves corroborantes. À cet égard, elle a déclaré : « […] étant donné l’absence d’éléments de preuve attestant que cette maison-église a fait l’objet d’une descente en mai 2010, le Tribunal croit que celle-ci n’a pas fait l’objet d’une descente et que le demandeur d’asile n’est donc pas recherché par le BSP, pas plus qu’aucun membre de l’église n’a été arrêté » (la décision, au paragraphe 18). Dans le même ordre d’idées, pour ce qui est de l’assignation, la Commission a conclu qu’elle accordait « peu de poids à cette preuve documentaire » à cause de l’absence d’une adresse à laquelle se présenter et de la disponibilité de faux documents en Chine (la décision, au paragraphe 15). Ces motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision de la Commission et il convient donc de rejeter les deux premiers arguments du demandeur.
[9] Outre les raisons tout juste mentionnées, les décisions qu’invoque le demandeur à l’appui de son argument selon lequel la Commission a commis une erreur en omettant de tirer des conclusions sur la présumée descente (notamment Wei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 539, 229 ACWS (3d) 232; Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 157, 405 FTR 21; Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 254, 176 ACWS (3d) 500) peuvent en outre être distinguées de la présente espèce en fonction des faits qui leur sont propres. Dans chacune de ces affaires, les conclusions de la Commission quant à la crédibilité n’étaient fondées que sur les preuves objectives, à l’exclusion des preuves du demandeur, ou n’avaient pas été formulées du tout. Dans le cas présent, la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité à propos du fait de savoir si la descente dans l’église du demandeur avait eu lieu, en se fondant sur un manque de corroboration du récit du demandeur et sur un manque d’authenticité de l’assignation produite.
[10] Quant au troisième argument du demandeur, à savoir que la Commission a commis une erreur en concluant que l’absence d’adresse à laquelle se présenter dans l’assignation suscitait des doutes quant à l’authenticité de ce document, je suis d’avis qu’il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer cette conclusion, compte tenu surtout de la taille de la ville de Fuzhou et, de façon plus générale, du fait que le demandeur n’avait pas été en mesure de fournir des détails sur la situation ou l’emplacement actuels de l’une quelconque des autres personnes qui étaient censément présentes au moment de la descente. La jurisprudence reconnaît que la SPR peut s’inspirer du bon sens pour tirer des conclusions relatives à la vraisemblance (Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 143 NR 238, au paragraphe 1 (CAF); Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155, au paragraphe 10, 223 ACWS (3d) 195; Chavarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1119, aux paragraphes 30 à 32, 194 ACWS (3d) 1228). Quant à la norme de contrôle « déférente » de la raisonnabilité, la décision qu’a prise la Commission de mettre en doute l’authenticité d’un présumé document d’assignation dénué d’une adresse à laquelle se présenter était raisonnable dans le contexte, même si ce document contenait effectivement le nom du poste de police en question.
[11] Enfin, s’il est vrai qu’une demande d’asile peut être fondée sur un cas de persécution religieuse n’allant pas jusqu’à une arrestation (voir p. ex. Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1198, 182 ACWS (3d) 982), contrairement à ce qu’affirme le demandeur la Commission n’a pas fondé sa conclusion uniquement sur l’absence d’arrestations de chrétiens dans la province du Fujian. Elle a plutôt examiné la documentation de façon générale et a fait remarquer que, bien que les preuves soient partagées, il y avait peu de preuves récentes que l’on persécutait des catholiques laïques au Fujian. La Commission a fait remarquer que, même si certains comptes rendus faisaient état d’inquiétudes générales à propos des libertés religieuses au Fujian, ces comptes rendus manquaient de détails sur les problèmes que vivent les chrétiens dans cette province et, de ce fait, elle leur a accordé peu de poids. La SPR a donc conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il s’exposerait à un risque objectif quelconque s’il était renvoyé dans la province du Fujian.
[12] Au vu des éléments de preuve soumis à la Commission, cette décision est raisonnable. En fait, comme le fait remarquer le défendeur, la Cour a récemment confirmé des décisions semblables dans plusieurs affaires (voir p. ex. Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 9; He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1199; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 636; Yanni Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1350; Kai Bin Wei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 911; Yan Ping Ke c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 862; Shoupeng Wei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 854; Yu Kun Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 671.
[13] La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune question à certifier n’a été soumise, aux termes de l’article 74 de la LIPR, et il ne s’en pose aucune en l’espèce.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. aucune question de portée générale n’est certifiée, aux termes de l’article 74 de la LIPR;
3. aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.
« Mary J.L. Gleason »
Juge
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-8091-12
INTITULÉ : QI GUO CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 11 JUIN 2014
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE GLEASON
DATE DES MOTIFS : LE 30 AOÛT 2013
COMPARUTIONS :
Jayson Thomas
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POUR LE DEMANDEUR
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Prathima Prashad |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Levine and Associates, Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
William F. Pentney, Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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