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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20130829

Dossier : IMM-12791-12

Référence : 2013 CF 915

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

Entre :

 

LIU, JIANCHUAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), visant le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’immigration (l’agent), datée du 31 octobre 2012 (la décision), par laquelle l’agent a rejeté la demande de visa de résident permanent parce que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de la catégorie du regroupement familial, parce que son père (le répondant) n’a pas fait examiner le demandeur lorsqu’il a présenté sa propre demande de résidence permanente au Canada.

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Chine né le 17 février 1990, et il est le fils aîné du répondant.

[3]               Le répondant a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 22 octobre 2008. Pendant le traitement de sa demande en 2006, le répondant a choisi de ne pas faire subir d’examen médical à ses trois enfants. Une déclaration solennelle datée du 26 mai 2008 montre que le répondant savait qu’en faisant traiter sa demande ainsi, il lui serait impossible de parrainer ses enfants dans l’avenir (dossier du demandeur, page 21).

[4]               Selon une lettre datée du 14 février 2012 présentée par l'avocat du répondant à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) (dossier du demandeur, page 16), le répondant a été incapable de faire subir un examen médical à ses enfants parce qu'il ne possédait pas les documents nécessaires à l'appui de la demande de ses enfants. Il était d’avis que la seule façon dont il pouvait régler la situation était d’obtenir la résidence permanente pour lui-même afin de garantir qu’il puisse revenir au Canada s’il quittait ce pays, puis de retourner en Chine pour régler la situation.

[5]               Le répondant a présenté une demande de parrainage pour ses trois enfants, y compris le demandeur, dans la catégorie du regroupement familial le 16 février 2012, et il a demandé que l’on tienne compte de motifs d’ordre humanitaire pour ces demandes. Le répondant a soutenu que les difficultés auxquelles il a été confronté lorsqu’il a tenté de faire subir un examen médical à ses enfants ont été bien consignées au moment où sa demande a été traitée en 2008, et qu’à cette époque, le répondant n’avait eu d’autre choix que de déposer la renonciation demandée.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[6]               La décision en l’espèce est constituée d’une lettre envoyée au demandeur et datée du 31 octobre 2012 (la lettre de refus) et des notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) de l’agent, qui se trouvent au dossier (les notes). Dans la lettre de refus, l’agent déclare que le demandeur n’est pas admissible au parrainage à titre de membre de la catégorie du regroupement familial, parce que son répondant ne lui a pas fait subir d’examen médical lorsqu’il a lui-même présenté sa demande de résidence permanente au Canada. Par conséquent, la demande du demandeur ne pouvait pas être traitée. L’agent n’a pas été convaincu qu’il existait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour remédier à l’incapacité du demandeur de satisfaire aux normes de sélection.

[7]               Dans les notes datées du 24 octobre 2012, l’agent a noté les difficultés que le répondant avait eues à faire subir des examens médicaux à ses enfants au moment où il a fait traiter sa demande de résidence permanente en 2008, en raison du manque de coopération de son épouse. L’agent a noté que les parents du demandeur étaient mariés à l’époque et qu’il n’y avait à ce jour aucune preuve qu’ils étaient divorcés. L’agent a aussi noté que le répondant avait été bien avisé des conséquences qu’aurait sa décision de ne pas faire examiner ses enfants au moment de sa demande, mais qu’il a choisi de poursuivre sa demande malgré cela. Le répondant a obtenu le droit d’établissement au Canada sans que ses enfants n’aient été examinés, à sa demande, et par conséquent, l’agent n’était pas d’avis que le paragraphe 117(10) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) s’appliquait en l’espèce. L’agent a noté que le répondant avait déclaré que sa motivation était de faire traiter sa demande de résidence permanente afin qu’il puisse ensuite retourner en Chine et régler la situation, mais l’agent n’a pas vu de lien entre la demande et le retour en Chine et il n’était pas d’avis que le répondant ou son avocat avait clairement établi de lien.

[8]               L'agent a ensuite noté que le certificat de naissance du demandeur disait qu'il est né à Hubei, mais qu'un autre document déclarait qu'il est né à Fujian. Le répondant a déclaré que la différence provenait du fait que la famille avait falsifié un document afin de tenter de se soustraire à la politique de l’enfant unique, mais cela n’avait aucun sens pour l’agent, puisque le fils aîné était le premier enfant de la famille. Il y avait aussi des différences dans les dates de naissance de la sœur et du frère cadets du demandeur. L'agent a douté de l'authenticité de l'adoption de la jumelle, et il a noté que le frère et la belle-sœur du répondant avaient pris soin d'elle. L’agent soupçonnait que l’« adoption » ait pu servir à aider un parent, et il a recommandé que les trois enfants subissent une analyse d’ADN. En général, l’agent n’a pas cru qu’il existait des preuves suffisantes pour croire que les liens familiaux étaient authentiques.

[9]               En ce qui a trait aux motifs d’ordre humanitaire, l’agent a répété qu’il n’était pas convaincu de l’authenticité des relations, mais il a ensuite examiné différents facteurs d’ordre humanitaire. Il a noté que le répondant était séparé de ses enfants depuis 1999 et que rien ne donnait à penser que cela avait créé des difficultés importantes. Le demandeur avait aussi maintenant plus de 22 ans et, par conséquent, il avait donc censément moins besoin de soutien qu'un enfant à charge mineur. Il n'y avait aussi aucune preuve que le demandeur avait des besoins en matière de soutien financier ou émotif qui nécessitaient un examen spécial. Pour l’agent, le fait que le répondant ait choisi de procéder à sa propre demande sans ses enfants laissait croire que le répondant avait fait le choix personnel d’établir sa vie au Canada sans ses enfants. Il n’a pas été démontré que sa motivation pour rester au Canada visait à offrir une meilleure vie à ses enfants. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour remédier à l’inadmissibilité du demandeur.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]           Le demandeur soulève la question en litige suivante dans la présente demande :

1.                  L’agent a-t-il entravé son pouvoir discrétionnaire en interprétant mal la preuve ou en donnant une importance indue aux raisons pour lesquelles les enfants ne faisaient plus partie de la catégorie du regroupement familial au sens de l’alinéa 117(9)d) du Règlement?

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer dans chaque cas une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie, la cour de révision peut l’adopter. C’est seulement lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

[12]           L’examen d’une décision discrétionnaire de permettre ou non à des motifs d’ordre humanitaire de remédier à l’exclusion prévue à l’alinéa 117(9)d) est assujetti à la norme de la raisonnabilité (Sultana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 533, au paragraphe 17 (Sultana)). Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59.  Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

[13]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Objet en matière d’immigration

 

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

[…]

 

d) de veiller à la réunification des familles au Canada;

 

[…]

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Objectives — immigration

 

 

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

 

[…]

 

(d) to see that families are reunited in Canada;

 

[…]

 

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

 

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible or does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

[14]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent en l’espèce :

Restrictions

 

117. (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

 

[…]

 

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

 

Exception

 

(10) Sous réserve du paragraphe (11), l’alinéa (9)d) ne s’applique pas à l’étranger qui y est visé et qui n’a pas fait l’objet d’un contrôle parce qu’un agent a décidé que le contrôle n’était pas exigé par la Loi ou l’ancienne loi, selon le cas.

Excluded relationships

 

117. (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

 

[…]

 

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

 

Exception

 

(10) Subject to subsection (11), paragraph (9)(d) does not apply in respect of a foreign national referred to in that paragraph who was not examined because an officer determined that they were not required by the Act or the former Act, as applicable, to be examined.

 

 

LES ARGUMENTS

Le demandeur

 

[15]           Le demandeur souligne que lorsque la demande de résidence permanente du répondant présentée depuis le Canada a été approuvée le 29 avril 2002, c’était uniquement en raison d’un examen des risques qui s’est avéré positif. La partie 9,3 du guide de Citoyenneté et Immigration, Chapitre IP 5 : Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, mars 2001, précise que l’admissibilité des enfants à charge à l’étranger n’est pas pertinente. Le demandeur soutient qu’il n’est pas clair, en fonction du dossier, si cette question a été tranchée.

[16]           De plus, le demandeur soutient que c’est une demande présentée en application de l’article 25 de la Loi qui est nécessaire pour se soustraire à l’obligation de l’alinéa 117(9)d) du Règlement (Sultana, précité, aux paragraphes 21 et 22). Les circonstances entourant le défaut de faire examiner des enfants à charge qui n’accompagnent pas le demandeur sont des questions pertinentes pour une demande présentée en application de l’article 25.

[17]           La Cour a abordé la question principale de la demande en l’espèce au paragraphe 2 de la décision Ebebe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 936 :

Au cœur de la décision faisant l’objet du présent contrôle est le conflit inhérent entre le maintien de l’unité de la famille, notamment le respect de l’intérêt supérieur d’un enfant touché par la décision, et l’important principe de la protection du système d’immigration contre la tromperie et l’abus. Comme c'est le cas dans la plupart des affaires de ce genre, les choix qui s'offrent au décideur sont difficiles et, dans une certaine mesure, désagréables...

 

[18]           Les raisons pour lesquelles un enfant à charge n'a pas fait l'objet d'un examen doivent être examinées avec d'autres motifs positifs d'ordre humanitaire (Sultana, précité, aux paragraphes 30 et 31; Phung c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2012 CF 585 , aux paragraphes 34 et 39; Aggrey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF, au paragraphe 7). La raison pour laquelle un membre de la famille n'a pas été déclaré ou examiné peut justifier une exemption (Bernard c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 1121, aux paragraphes 13 à 15).

[19]           De plus, le défaut de tenir compte de l'objectif établi à l'alinéa 3(1)d) de la Loi, qui est de veiller à la réunification des familles au Canada, est aussi une erreur (Krauchanka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 209, au paragraphe 36).

[20]           En l'espèce, il n'y a eu aucune inconduite ou supercherie, et le répondant a déployé tous les efforts afin de satisfaire aux exigences pour que ses enfants soient examinés. Le demandeur soutient qu'il était inapproprié pour l'agent de donner une importance négative à la raison pour laquelle les enfants n'avaient pas fait l'objet d'un examen et que l'agent a omis d'apprécier le fait que, si le répondant était retourné en Chine avant de devenir résident permanent, il aurait mis en péril sa capacité de parrainer ses enfants.

[21]           La suggestion de l'agent selon laquelle le répondant a choisi de s'établir au Canada sans ses enfants plutôt que de déployer tous les efforts pour que ses enfants soient examinés, ou d'annuler sa propre demande afin de retourner habiter avec ses enfants, n'est pas seulement une mauvaise interprétation des faits, mais constitue un défaut de reconnaître l'objectif établi de veiller à la réunification des familles au Canada. Le fait d'empêcher les enfants d'entrer au Canada n'a peu ou pas d'objectif légal et le demandeur soutient que la décision est déraisonnable.

Le défendeur

[22]           Le répondant reconnaît qu'il n'a pas déclaré ses enfants lorsqu'il est arrivé au Canada. L'alinéa 117(9)d) du Règlement exclut de la catégorie du regroupement familial tous les membres de la famille qui n'accompagnent pas le demandeur et qui n'ont pas été examiné au moment de la demande initiale de résidence permanente du répondant. La déclaration signée par le répondant montre clairement qu'il était conscient des conséquences de ne pas déclarer ses enfants, mais qu'il a choisi de poursuivre sa demande.

[23]           Une demande présentée pour des motifs d'ordre humanitaire vise à accorder une réparation en cas de « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » (Krauchanka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 209), et qu'il s'agit de la seule façon dont un demandeur peut éviter l'application stricte de l'alinéa 117(9)d) du Règlement. Un agent doit examiner divers facteurs, dont beaucoup portent sur la séparation géographique des membres de la famille (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 189 (Kisana), au paragraphe 33). L'agent a examiné ces facteurs en détail et a expliqué pourquoi ils étaient insuffisants pour qu'il accorde la demande. De plus, la décision était appuyée par la preuve précise de la décision du répondant d'habiter au Canada, loin de ses enfants, et par un manque de preuve de soutien financier ou émotif.

[24]           L'objectif d'une demande présentée pour des motifs d'ordre humanitaire est d'offrir une souplesse afin de traiter les cas fondés dont les circonstances n'ont pas été prévues par la loi (Kisana, précité, au paragraphe 22). Le répondant a pu avoir à prendre une décision difficile lorsqu'il a décidé de ne pas rester en Chine et de ne pas faire examiner ses enfants, mais l'agent a examiné en détail tous les facteurs d'ordre humanitaire pertinents en l'espèce. Bien que le demandeur ne soit pas d'accord avec l'agent, il ne s'agit pas d'une raison pour accorder le contrôle judiciaire.

[25]           De plus, le répondant a reconnu que le demandeur n'est ni son enfant biologique, ni son enfant légalement adopté. Le demandeur doit faire partie de l'une de ces deux catégories pour être considéré comme un membre de la catégorie du regroupement familial (Savescu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 353 (Savescu), au paragraphe 26). Par conséquent, la conclusion de l'agent selon laquelle le demandeur n'est pas un enfant à charge au sens de l'article 2 du Règlement est raisonnable.

ANALYSE

[26]           J'ai entendu et examiné les demandes dans les dossiers IMM-12793-12, IMM-12791-12 et IMM-12794-12. Bien que je sois saisi de trois demandes distinctes et de trois demandeurs distincts (qui sont frères et sœur), les faits de chaque demande sont identiques pour tous les points importants, comme le sont les motifs de contrôle et les arguments légaux et la jurisprudence que les deux parties ont présentés.

[27]           Les demandeurs ont soulevé un argument particulier en l'espèce à l'appui d'une erreur susceptible de révision. Ils soutiennent que l'agent, en examinant une demande présentée en application de l'article 25 de la Loi pour remédier à l'exclusion des enfants de la catégorie du regroupement familial parce qu'ils n'ont pas subi d'examen au moment où le répondant est devenu résident permanent, a mal apprécié la preuve ou a accordé une importance négative indue aux raisons pour lesquelles les enfants n'ont pas subi d'examen.

[28]           Comme les demandeurs le notent, rien ne donne à penser en l'espèce qu'il y a eu inconduite ou supercherie de la part du répondant, et il a déployé tous les efforts au cours des années pour satisfaire aux règles. La seule raison pour laquelle les demandeurs ont finalement été exclus de la demande de résidence permanente du répondant en 2008 était qui lui avait été impossible (en raison de la résistance des gardiens des demandeurs en Chine) de persuader ses enfants d'obtenir un examen médical et de le présenter aux autorités canadiennes, et il avait dû choisir entre perdre sa propre résidence permanente en retournant en Chine ou terminer sa demande sans ses enfants.

[29]           Les demandeurs soutiennent que l'agent n'a pas apprécié les réalités du choix que le répondant avait dû faire en 2008, qu'il a accordé une référence négative indue et déraisonnable au comportement du répondant et qu'il n'a pas reconnu que la décision du répondant en 2008 avait été prise afin de satisfaire aux lois et d'éventuellement faciliter des retrouvailles avec les demandeurs au Canada.

[30]           Qui plus est, les demandeurs soutiennent qu'il n'y a aucun objectif légal qui soit servi en les empêchant de se prévaloir de l’occasion habituelle d'être parrainés. Reconnaissant que l'application de l'alinéa 117(9)d) les force à demander un recours au sens du paragraphe 25(1) de la Loi (voir Savescu, précitée, au paragraphe 33), les demandeurs soutiennent qu'ils ne devraient pas maintenant avoir à démontrer qu'ils seraient exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, ou qu'ils ont des liens plus forts avec leur père répondant que ce qui aurait été le cas en 2008, s'ils avaient fait partie de la demande de résidence permanente du répondant. Enfin, ils soutiennent qu'on leur demande de satisfaire à un fardeau plus lourd de parrainage sans qu'il n'y ait de motif valable à l'appui des objectifs de la Loi. On demande maintenant au répondant de démontrer qu’il a une bonne relation avec ses enfants (il est reconnu que leur relation est tendue), ce qu’on ne lui aurait pas demandé en 2008, et le répondant est puni pour le temps qui s’est écoulé alors que ce n’est nullement sa faute. Il s’agit d’arguments convaincants.

[31]           De l’autre côté, le défendeur soutient que le temps qui s’est écoulé a en effet eu une grande incidence sur la relation entre les demandeurs et le répondant, et que même si les demandeurs n’avaient pas été déclarés sur la demande de 2008 n’était pas la faute du répondant, le fait est que les liens familiaux réels des demandeurs sont maintenant en Chine. Ils sont maintenant des adultes et ils n’ont pas eu de contact significatif avec le répondant, qui n’a pas déployé d’efforts pour maintenir une relation avec eux à partir du Canada ou pour fournir un soutien financier, ou même pour agir rapidement afin de les parrainer après qu’il a obtenu sa résidence permanente en 2008. Le temps qui s’est écoulé a changé ce qui est maintenant en litige. Il s’agit là aussi d’arguments convaincants.

[32]           Lorsque j'examine les décisions, je ne crois pas qu'il y ait grand-chose à l'appui de l'argument des demandeurs selon lequel l'agent a mal apprécié la preuve ou qu'il a accordé une importance négative indue aux raisons pour lesquelles les enfants n'ont pas subi d'examen en 2008 lorsque le répondant a dû les exclure de sa demande de résidence permanente. Les motifs de la décision, tels qu’on les trouve dans les notes du STIDI, se lisent en grande partie comme suit :

[traduction] Examen des motifs d’ordre humanitaire : j’ai examiné toute la preuve au dossier, présentée par le demandeur, et j’ai apprécié les motifs positifs et négatifs d’ordre humanitaire. J’ai examiné les éléments de difficulté suivants qui pourraient justifier une exemption pour motifs d’ordre humanitaire : 1. Répercussions de la séparation actuelle. 2. Besoins financiers et émotifs du demandeur. 3. Autres options et conséquences futures de la séparation. 4. Force de la relation, authenticité du lien de dépendance. Analyse : analyse constante pour les trois enfants dans les demandes F000091315, F000091314 et F000091312. Aucune indication que la situation est différente.  Le demandeur principal semble habiter avec son frère et sa sœur chez les parents de sa mère. Cela semble être le cas depuis de nombreuses années, depuis que le répondant est arrivé au Canada en 1999.  Aucune déclaration ou preuve présentée dans la présente demande ou celles du frère ou de la sœur ne montre que la situation a changé.  Pas de preuve suffisante qu’ils ont subi d’importantes difficultés du fait de leur séparation du répondant.  Le conflit familial apparent aurait été aggravé par le départ du répondant, cependant, il n’y a pas de preuve suffisante que la vie du demandeur en Chine a été rendue plus difficile en raison de sa séparation du répondant. Je note que le demandeur a maintenant plus de 20 ans et, par conséquent, bien qu’il n’ait pas encore 22 ans au sens du R2, il peut être considéré comme un adulte qui a moins de besoins qu’un enfant à charge en bas âge.  Il n’y a pas assez de renseignements permettant d’établir qu’il existe des difficultés importantes qui pourraient signifier que, malgré l’âge du demandeur, des motifs d’ordre humanitaire doivent être considérés en raison des besoins financiers et émotifs du demandeur auxquels le répondant répond.  L’âge du demandeur signifie qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.  Pas de preuve suffisante montrant qu’une séparation continue en raison du rejet de la demande constituerait des difficultés excessives pour le demandeur ou le répondant. La relation de dépendance avec le répondant n’a pas été établie. Pas suffisamment de preuve de soutien financier ou émotif ou du désir de retourner en Chine pour habiter avec les enfants et en prendre soin. Le fait que le répondant a choisi de procéder à sa propre demande de résidence permanente sans ses enfants donne à penser qu’il a fait le choix personnel d’établir sa vie au Canada sans eux, plutôt que de déployer les efforts nécessaires pour faire examiner les enfants, ou d’annuler sa propre demande pour retourner en Chine habiter avec eux. Il n’a pas été prouvé que sa motivation pour rester au Canada visait à offrir une meilleure vie à ses enfants, y compris le demandeur. J’ai apprécié les facteurs positifs et négatifs au sujet du recours à une exemption pour des motifs d’ordre humanitaire. Je ne suis pas convaincu que les renseignements au dossier justifient une recommandation positive d’exemption pour des motifs d’ordre humanitaire à l’inadmissibilité du demandeur au sens de l’alinéa 117(9)d) du Règlement. Demande rejetée.

[33]           Le demandeur ne semble contester qu’une seule phrase de cette analyse

Le fait que le répondant a choisi de procéder à sa propre demande de résidence permanente sans ses enfants donne à penser qu’il a fait le choix personnel d’établir sa vie au Canada sans eux, plutôt que de déployer les efforts nécessaires pour faire examiner les enfants, ou d’annuler sa propre demande pour retourner en Chine habiter avec eux.

[34]           Il me semble que la seule partie de cette phrase qui puisse être contestée en fonction des faits est la suivante : « plutôt que de déployer les efforts nécessaires pour faire examiner les enfants ».S’il y a eu une conclusion défavorable à cet endroit, ou une mauvaise compréhension de ce qui s’est passé en 2008, je ne crois pas que, dans le contexte de la décision entière, il est possible de soutenir que la décision a été fondée sur une mauvaise compréhension de la preuve ou que l’agent a [traduction] « accordé une importance négative indue aux raisons pour lesquelles les enfants n'ont pas subi d'examen ». Il ne s’agit pas du même type de situation que dans la décision Sultana, précitée, où l’agent s’en est tenu seulement au défaut de divulguer et a ainsi entravé son pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1). L’agent en l’espèce a apprécié tous les facteurs pertinents. La raison pour laquelle les enfants n’ont pas subi d’examen a peu d’importance dans une décision qui examine de nombreux autres facteurs, que les demandeurs ne contestent pas. L’élément principal de la décision est que les demandeurs sont maintenant des adultes dont la vie et les liens familiaux sont en Chine. Ils n’ont eu aucune interaction avec le répondant depuis de nombreuses années. Le rejet de la demande présentée en application de l’article 25 peut faire échec au désir des demandeurs de venir au Canada, mais on peut difficilement dire, compte tenu des faits, que le défaut de venir au Canada leur causera des difficultés ou en causera au répondant, et encore moins qu’il s’agirait de difficultés importantes, injustifiées ou excessives.

[35]           Selon mon interprétation des décisions, le répondant et les demandeurs ne sont pas punis pour le temps qui s’est écoulé ni pour le fait qu’ils ont respecté les règles en matière d’immigration au Canada. L’agent a simplement apprécié la situation au sens du paragraphe 25(1) telle qu’elle était en 2012, au moment où les demandes ont été présentées.

[36]           Dans leurs observations écrites, les demandeurs soutiennent que l’agent a [traduction] « mal apprécié la preuve ou a accordé une importance négative indue aux raisons pour lesquelles les enfants n'ont pas subi d'examen ».Leur argument principal, lors de leur exposé oral devant moi, était cependant que la décision ne correspondait pas aux objectifs et aux éléments à apprécier pour l’utilisation du paragraphe 25(1) à titre de recours permettant d’atténuer et de surmonter l’application stricte des exigences de l’alinéa 117(9)d) du Règlement.

[37]           Compte tenu des faits, il me semble évident que les demandeurs et le répondant n’ont pas eu recours à de la supercherie ou de l’abus. Cependant, il est aussi évident que l’agent a tenu compte des facteurs établis dans les parties pertinentes du Règlement et confirmés par la jurisprudence. Voir Rodriguez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 437, au paragraphe 18 et Sultana, précitée, au paragraphe 23.

[38]           La jurisprudence établit clairement que, dans certains cas, l’article 25 de la Loi peut atténuer la rigueur des exigences de la Loi, y compris la rigueur découlant de l’alinéa 117(9)d). Cela peut comprendre le fait de tenir compte de la raison pour laquelle un membre de la famille n’a pas été déclaré ou examiné. Voir Bernard c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1121, au paragraphe 15.

[39]           Même si aucune faute n’est attribuable en l’espèce aux demandeurs et au répondant, et que l’exclusion des enfants en 2008 était hors du contrôle du répondant, la décision montre clairement que, compte tenu de tous les facteurs, l’agent a conclu que le recours prévu au paragraphe 25(1) n’était pas justifié parce qu’il n’existait pas de relation continue entre les demandeurs et le défendeur, et que les demandeurs étaient maintenant des adultes dont la vie et les liens familiaux interactifs se trouvaient en Chine. Ils disent qu’ils souhaitent maintenant venir au Canada, mais rien ne montre qu’ils avaient besoin d’une exemption en raison des difficultés auxquelles ils auraient pu être exposés du fait de l’application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement.

[40]           À mon avis, l’agent n’a pas entravé son pouvoir discrétionnaire et la décision était raisonnable. La Cour ne peut intervenir.

[41]           Les avocats des parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, ce qui est également l’avis de la Cour.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-12791-12

 

INTITULÉ :                                      LIU, JIANCHUAN

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 18 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 29 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Cannon

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Edward Burnet

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associés

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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