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Date : 20130919

Dossier : IMM-6273-12

Référence : 2013 CF 964

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Annis

 

 

ENTRE :

 

AMBREEN NAUMAN

 

 

 

demanderesse

 

                                      et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, de la décision par laquelle a été rejetée la demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) présentée par la demanderesse.

 

[2]        La demanderesse demande une ordonnance de certiorari annulant la décision défavorable et une ordonnance de mandamus enjoignant au défendeur de réexaminer sa demande.

 

Contexte

[3]        Madame Nauman est une ressortissante pakistanaise. Le 14 octobre 2010, elle a présenté une demande d’immigration au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) en tant que physiothérapeute, code 3142 de la Classification nationale des professions (CNP). Elle a fourni ses relevés de notes du baccalauréat et de la maîtrise de l’université de Karachi, un certificat attestant son appartenance à la Société de physiothérapie du Pakistan, et des documents de l’Ashfaq Memorial Hospital à Karachi indiquant qu’elle a travaillé à l’hôpital en tant que physiothérapeute principale de juillet 2002 à juillet 2009 et faisant l’énumération de ses tâches de physiothérapeute.

 

[4]        Le bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de Sydney (Nouvelle‑Écosse) a provisoirement approuvé sa demande et l’a transmise aux hauts‑commissariats à Islamabad, au Pakistan et à Londres (Royaume‑Uni). 

 

[5]        L’agent des visas à Londres a évalué l’expérience de la demanderesse à la lumière de la description de la CNP, et il a conclu que Mme Nauman n’avait pas démontré de façon satisfaisante qu’elle comptait au moins une année d’expérience de travail au poste mentionné. L’agent des visas a inscrit dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) que la liste des tâches fournies correspondait presque textuellement à la description des fonctions des physiothérapeutes figurant dans la CNP. Il a également précisé qu’il avait des réserves au sujet de l’authenticité des documents provenant de l’Ashfaq Memorial Hospital, parce que le certificat de salaire et le contrat étaient du même format que la lettre de recommandation, même s’ils avaient été rédigés à huit années d’intervalle selon les dates y figurant, et parce que l’en‑tête laissait apparaître des pixels visibles. Il n’a cependant pas envoyé de lettre relative à l’équité pour informer la demanderesse de ces préoccupations. Il a refusé la demande. Dans la lettre de refus, il a expliqué que la liste des tâches effectuées par la demanderesse ne montrait pas que celle‑ci avait exercé toutes les fonctions essentielles et une partie appréciable des fonctions principales décrites dans la CNP.

 

Questions en litige

[6]        Les questions en litige sont les suivantes :

         L’agent des visas a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas à la demanderesse la possibilité de dissiper ses doutes?

         L’agent des visas a‑t‑il rendu une décision déraisonnable compte tenu des documents qui lui avaient été présentés?

 

Norme de contrôle applicable

[7]        Lorsque la norme de contrôle applicable à une question donnée a déjà été déterminée par les tribunaux, la cour de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57). Comme il a été mentionné dans Patel c Canada (MCI), 2011 CF 571 [Patel], aux paragraphes 18 et 19, et dans Kamchibekov c Canada (MCI), 2011 CF 1411 [Kamchibekov], aux paragraphes 12 et 13, il est établi que si les questions d’équité procédurale sont évaluées au regard de la norme de la décision correcte, la norme de contrôle qui s’applique à la décision de l’agent des visas concernant l’admissibilité au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), une question mixte de fait et de droit, est celle de la décision raisonnable.

 

Analyse

L’agent des visas a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas à la demanderesse la possibilité de dissiper ses doutes?

(i)         En quoi consiste la décision?

[8]        Il convient d’examiner deux questions préliminaires avant de procéder à l’analyse de la question de l’équité procédurale. La première est de savoir quel document constitue la décision contestée. La demanderesse affirme que la décision qui lui a été transmise dans une lettre datée du 9 mai 2012 diffère beaucoup des motifs inscrits dans les notes du STIDI. Il est seulement écrit dans la lettre que [traduction] « l’énumération des principales fonctions ne montre pas que vous exerciez l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal de la CNP […] ».

 

[9]        Le motif de la description insuffisante des tâches est également mentionné dans les notes, suivi de deux raisons invoquées à l’appui de la décision : premièrement, les renseignements fournis étaient insuffisants, car les fonctions principales énumérées à l’annexe 3 et la description de l’expérience de travail fournie par l’employeur avaient été reprises presque textuellement de la CNP 3142; deuxièmement, l’agent des visas avait des doutes quant à « l’authenticité » des documents soumis compte tenu des pixels apparents dans l’en‑tête et du format des documents signés par la même personne à huit années d’intervalle, que je décrirais comme des questions de crédibilité.

 

[10]    Je conviens avec la demanderesse que les notes du STIDI constituent « la décision » visée par la présente demande, lesquelles font état du caractère suffisant et de la crédibilité comme facteurs liés au refus de la demande de résidence permanente. Voir Sanif c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 115.

 

(ii)        Quel est le contenu de l’obligation d’agir équitablement?

[11]    La deuxième question préliminaire, plus complexe, est celle de la distinction que font les parties entre une description « suffisante » de l’expérience de travail de la demanderesse et « l’authenticité », ou ce que j’appellerais les aspects liés à la crédibilité et à la fiabilité, des pièces justificatives soumises. La réponse à cette question semble axée sur l’obligation d’agir équitablement de l’agent des visas.

 

[12]    Le défendeur affirme qu’il n’y a en fait aucune distinction entre le « caractère suffisant » et « l’authenticité », invoquant la décision Obeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1542 [Obeta], plus particulièrement le paragraphe 25, reproduit ci‑après :

[25]      Comme il est expliqué précédemment, l’obligation de fournir des renseignements suffisants incombe au demandeur et, lorsque les préoccupations de l’agent découlent directement des exigences de la Loi ou de son règlement d’application, l’agent n’est nullement tenu de faire part de ses doutes ou de ses préoccupations au demandeur (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 442, au paragraphe 11, [2010] ACF no 587 (QL) [Kaur]; décision Hassani, précitée, au paragraphe 24). En outre, contrairement à ce qu’avance le demandeur, l’agent n’a aucune obligation absolue de cette nature lorsque la demande est à première vue dénuée de crédibilité. En ce qui concerne le caractère suffisant des renseignements, ce n’est pas simplement parce que la demande est « complète » que l’obligation sera transférée à l’agent. Le demandeur a l’obligation de présenter une demande qui non seulement est « complète », mais aussi pertinente, convaincante et sans ambiguïté (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2012 CF 526, [2012] ACF no 548; décision Kamchibekov, précitée, au paragraphe 26). Malgré la distinction que tente d’établir le demandeur entre le caractère suffisant et l’authenticité des renseignements, il n’en demeure pas moins qu’une demande complète est, en réalité, insuffisante si les renseignements qu’elle renferme sont dénués de pertinence, non probants ou ambigus.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[13]     Les faits de l’affaire Obeta différaient de ceux de la présente affaire en ce sens que la description de l’expérience de travail du demandeur aurait été suffisante n’eût été les constatations énoncées au paragraphe 6 de la décision, selon lesquelles l’agent avait conclu que les lettres de soutien n’étaient pas crédibles et qu’elles avaient été fabriquées à des fins d’immigration, ce qui revient presque à affirmer qu’elles n’étaient pas authentiques.

 

[14]    À la différence de l’affaire Obeta, j’établirais une distinction entre le fait de rejeter des renseignements en raison de leur caractère insuffisant ou inadéquat, ce qui comprendrait tout renseignement non pertinent, non convaincant et même ambigu, et le fait de rejeter des renseignements jugés non crédibles ou non authentiques. Dans ce dernier cas, c’est le plaignant lui‑même qui est visé. Ainsi, la question comporte une dimension morale (mensonge, documents frauduleux, etc.) et ne concerne pas uniquement les renseignements fournis en soi. Je serais porté à penser que, dans ce dernier cas, il incombe à l’agent des visas de faire part au demandeur de ses réserves et de lui fournir la possibilité de répondre.

 

[15]    Je reconnais que le contenu de l’obligation d’agir équitablement d’un agent des visas se situe à l’extrémité inférieure du spectre, selon Canada (MCI) c Patel, 2002 CAF 55, au paragraphe 10 :

Dans le devoir d’équité procédurale, l’obligation de motiver la décision dépend du contexte décisionnel particulier auquel se rapporte l’obligation. Le devoir d’équité auquel est astreint un agent des visas lorsqu’il décide d’une demande de visa présentée par un requérant de la catégorie indépendante se situe vers l’extrémité inférieure du registre.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[16]    Cependant, je crois que le degré d’équité exigé dans le cas où l’agent des visas tire des conclusions défavorables au sujet du demandeur serait plus élevé que la norme minimale, de sorte que l’on ne doit pas simplement s’assurer que la décision ne reposait pas sur une conclusion de fait erronée ou n’avait pas été tirée de façon abusive ou arbitraire sans égard aux éléments portés à la connaissance du décideur. Dans un contexte où des conclusions négatives ont été préalablement tirées au sujet du demandeur, j’élargirais l’étendue du devoir d’équité procédurale pour y inclure l’obligation de donner la possibilité de répondre.

 

[17]    Il semble que mon collègue, le juge Mosley, a adopté le même raisonnement dans Hassani c Canada (MCI), 2006 CF 1283 [Hassani], aux paragraphes 24 à 27 :

[24]      Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

 

[25]      En l’espèce, le demandeur prétend que l’agente a commis une erreur en omettant de lui faire part de ses réserves, en particulier de celle concernant le fait qu’il n’avait aucune expérience dans le domaine [traduction] « exploitation/administration/compatibilité/gestion » et le fait qu’il ne possédait aucune connaissance de l’anglais.

 

[26]      La conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait de l’expérience dans le domaine [traduction] « exploitation/administration/compatibilité/gestion » et que, en conséquence, il n’avait pas les qualités d’un directeur des comptes et de l’exploitation et de l’entretien d’immeubles est fondée directement sur les exigences de la loi et des règlements. Il incombait au demandeur de démontrer qu’il satisfaisait aux critères de la profession pour laquelle il avait demandé à être évalué. Il n’était pas nécessaire que le demandeur soit informé des réserves de l’agente concernant la preuve produite à cet égard.

 

[27]      En ce qui concerne la question de la connaissance de l’anglais, l’agente avait l’obligation, conformément au Règlement de 1978, d’effectuer une évaluation linguistique du demandeur, comme je l’expliquerai ci‑dessous. L’agente a conclu en l’espèce, sans procéder à une telle évaluation, que le demandeur ne connaissait pas l’anglais, malgré le fait que celui‑ci avait dit être capable de parler anglais difficilement, mais de lire et d’écrire cette langue correctement. Les notes de l’agente inscrites dans le CAIPS mentionnent qu’un interprète avait dû assister à l’entrevue, mais non de quelle façon ou pour quelles raisons l’agente a conclu que le demandeur n’avait [traduction] « aucune connaissance de l’anglais ». En outre, il ressort clairement de ces notes que l’agente n’a rien dit au demandeur de ses réserves à cet égard.

 

[18]    Même si le juge Mosley fait une distinction entre les réserves qui découlent directement des exigences de la loi et celles qui surgissent dans un autre contexte, j’estime qu’il pourrait également être juste d’affirmer que le fait de tirer une conclusion défavorable concernant le demandeur personnellement impose aussi le devoir d’agir équitablement.

 

[19]    Par conséquent, je ne souscrirais pas à l’observation du défendeur selon laquelle il ne subsiste aucune distinction entre le caractère insuffisant des renseignements et leur authenticité. Je rejette également la suggestion selon laquelle la loi a en quelque sorte modifié ces exigences depuis Hassani. J’estime qu’en raison du degré d’équité exigé en ces matières, on ne peut tirer une conclusion défavorable pertinente liée aux attributs d’une personne qui empêcherait celle‑ci de se prévaloir d’un avantage sans lui offrir la possibilité de répondre.

 

(iii)       Qualifier de conduite frauduleuse le fait d’avoir reproduit une description de la CNP

[20]    Pour compliquer davantage les choses, il semblerait y avoir une divergence de vues au sein de la Cour quant à la façon de qualifier la conclusion d’un agent des visas selon laquelle un demandeur a reproduit textuellement une description de la CNP dans sa demande.

 

[21]    Dans la décision Kamchibekov, précitée, le juge Pinard a rejeté une demande de contrôle judiciaire au motif que la décision en cause n’était pas déraisonnable, ayant précisé aux paragraphes 19 à 21 que, puisque la demande du demandeur était une quasi‑copie des fonctions énoncées dans la CNP, tout comme l’était sa lettre de référence, l’agent des visas n’avait pas pu évaluer convenablement si le demandeur possédait l’expérience professionnelle requise. J’estime que ce raisonnement irait dans le même sens que celui formulé dans la décision Hassani et dans les autres affaires qui l’ont suivie.

 

[22]    Il est important de noter que, dans Kamchibekov, la Cour n’a pas considéré la répétition textuelle des fonctions de la CNP comme une question touchant à la crédibilité du demandeur relativement à l’authenticité des documents soumis. De plus, l’agent des visas n’a pas donné la possibilité au demandeur de fournir des renseignements supplémentaires parce que la reproduction littérale des fonctions de la CNP ne constituait pas une description exacte de l’expérience de travail du demandeur.

 

[23]    Dans Kamchibekov, la Cour n’a pas tenu compte de la décision Patel, précitée, ni même mentionné cette décision qui avait été rendue quelques mois auparavant. Dans des circonstances qui semblent identiques ou très similaires, la Cour avait alors conclu que l’agente des visas avait considéré que le simple fait de copier la description de la CNP était une conduite frauduleuse, au paragraphe 26 :

[26] Cependant, l’agente souligne que, selon elle, les fonctions énoncées dans la lettre d’emploi ont été copiées directement de la description de la CNP et que les fonctions mentionnées dans la lettre concernant l’expérience professionnelle sont identiques à celles qui figurent dans la lettre d’emploi. Je conviens avec le demandeur principal que l’agente n’a pas donné suffisamment d’explications permettant de comprendre pourquoi cet aspect était problématique. À mon avis, ces préoccupations donnent à entendre que l’agente croyait que la lettre concernant l’expérience professionnelle était frauduleuse.

 

 

 

[24]    Dans la décision Patel, la Cour a affirmé que l’agente des visas avait conclu que le fait de reproduire la description de la CNP était considéré comme une conduite frauduleuse, de sorte que l’obligation d’agir équitablement lui imposait de donner au demandeur la possibilité de répondre. Il n’y a dans Patel aucune référence à la jurisprudence citée dans Kamchibekov, ni d’ailleurs au Bulletin opérationnel 120; Demandes de travailleurs qualifiés (fédéral) – Procédures aux bureaux des visas (BO 120, cité ci‑après) au sujet du caractère insuffisant d’une demande qui ne contient qu’une reproduction de la description des fonctions de la CNP, ni du pouvoir discrétionnaire d’un agent des visas de se questionner au sujet d’une description de travail inadéquate.

 

[25]    Si les faits exposés dans la décision en cause se limitaient à la simple reproduction de la description de la CNP, sans que des conclusions sur l’authenticité des documents d’accompagnement aient été tirées, et si je devais choisir entre Patel et Kamchibekov, mon choix se porterait sur la seconde décision, car il n’y est question que du caractère insuffisant, sans présupposition de mauvaise foi, ce qui semble également aller dans le sens de l’abondante jurisprudence qui y est citée.

 

[26]    Je conclus qu’il est difficile, sans disposer de renseignements supplémentaires, d’établir avec certitude comment l’agent des visas a pu conclure qu’il y avait eu fraude simplement parce que l’employeur de la demanderesse avait reproduit la description de la CNP, au lieu de conclure que la demanderesse et son employeur ne connaissaient tout simplement pas les instructions ou ne les avaient pas suivies au moment de remplir la demande. Imputer une fraude impose l’application d’une norme de preuve beaucoup plus rigoureuse fondée sur des éléments de preuve qui permettraient de déduire qu’il y a eu intention ou connaissance du délit chez la demanderesse. En l’absence de renseignements supplémentaires, j’estime que la meilleure conclusion serait d’affirmer que, par sa décision, l’agent des visas a simplement rejeté des documents jugés insuffisants, et qu’il ne prête aucune disposition ou intention négative à la demanderesse.

 

[27]    Appliquer ce raisonnement aux faits de l’espèce signifie donc que le simple fait d’avoir reproduit la description de la CNP ne permettait pas pour autant à l’agent de tirer une conclusion défavorable qui l’aurait obligé à donner à la demanderesse la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas.

 

[28]    L’analyse portant sur le devoir d’agir équitablement ne s’arrête cependant pas là, car la décision de l’agent des visas ne semble pas uniquement fondée sur le caractère insuffisant des documents : il y est fait explicitement référence à « l’authenticité » des documents et donc à la crédibilité de la demanderesse. Par conséquent, les faits ne correspondent ni à ceux de l’affaire Patel, ni à ceux de l’affaire Kamchibekov. De plus, l’observation du défendeur selon laquelle les questions liées à la crédibilité sont sans pertinence demeure valable, car rien ne permet de conclure que les renseignements étaient suffisants, et ce, que la demanderesse ait été crédible ou non.

 

(iv)       Le fait que l’agent des visas a le pouvoir discrétionnaire de demander une explication à la demanderesse donne‑t‑il néanmoins naissance à une obligation d’agir équitablement?

 

[29]    J’estime que la question de l’équité continue de se poser, en ce sens que l’examen d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité devrait tenir compte du fait que l’agent des visas avait le pouvoir discrétionnaire d’interroger ou non la demanderesse afin de vérifier si la description de la CNP décrivait son expérience de travail avec exactitude.

 

[30]    À cet égard, le défendeur a fait référence au BO 120 en reconnaissant qu’il était pertinent, mais qu’il n’était toutefois pas déterminant dans la présente affaire. Le BO 120 renferme ce qui suit :

En ce qui concerne la catégorie SW1 (l’une des 38 professions mentionnées dans les IM), examiner les documents relatifs à l’expérience de travail. Ces documents sont notamment ceux qui sont énumérés dans la liste de contrôle des documents de l’appendice A des formulaires propres au bureau des visas. Ils devraient comporter suffisamment de détails pour prouver que le demandeur a une année d’expérience de travail continue ou d’expérience équivalente d’un travail rémunéré dans la profession au cours des dix dernières années. Il faut accorder moins de valeur probante aux documents qui ne fournissent pas suffisamment d’information au sujet de l’employeur ou qui contiennent seulement de vagues descriptions des tâches et des périodes d’emploi. Les descriptions de tâches reproduisant littéralement la formulation de la CNP doivent être considérées comme intéressées. Les agents des visas à qui l’on présente de tels documents peuvent se demander si ceux‑ci décrivent avec exactitude l’expérience du demandeur. Un document ne comportant pas suffisamment de précisions pour permettre la vérification éventuelle ni une description crédible de l’expérience d’un demandeur risque de ne pas convaincre un agent de l’admissibilité d’une demande.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]      Selon la demanderesse, le bulletin laisse entendre que l’agent des visas devrait interroger le demandeur, mais je ne suis pas de cet avis. Je conviens avec le défendeur que le BO 120 donne à entendre que l’agent des visas peut questionner davantage le demandeur, mais qu’il n’est pas tenu de le faire. À mon sens, il fait seulement état du pouvoir discrétionnaire que l’agent des visas peut exercer pour obtenir des renseignements supplémentaires au sujet d’une description reproduisant littéralement la formulation de la CNP.

 

[32]    Toutefois, compte tenu du pouvoir discrétionnaire, deux questions relatives à l’obligation d’agir équitablement se posent : la première est la question de savoir si l’agent est tenu de fournir les motifs expliquant pourquoi il n’a pas questionné davantage la demanderesse pour vérifier que son document renfermait une description exacte de son expérience de travail; la seconde est la question de savoir si, même en l’absence d’une telle exigence, l’obligation de donner à la demanderesse la possibilité de répondre découle d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

L’exigence de fournir les motifs

[33]    La demanderesse a fait remarquer que les personnes qui présentent une demande au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) n’obtiennent pas d’information ni de conseils au sujet du BO 120. Étant donné le nombre de cas où il y a reproduction des descriptions de la CNP, il semblerait raisonnable de modifier les instructions à l’intention des demandeurs de façon à expliquer clairement qu’il n’est normalement pas suffisant de reproduire la description de la CNP sans apporter des précisions sur la façon dont les exigences de la CNP sont respectées.

 

[34]    Par ailleurs, il m’apparaît raisonnable que les demandeurs reprennent la formulation des exigences du poste. En fait, je serais surpris si elles n’apparaissaient pas dans la plupart des cas. Le véritable problème survient lorsqu’un demandeur ne donne pas une explication suffisante de la nature de son travail qui lui permette de démontrer son admissibilité. J’imagine que la demanderesse a pu expliquer à son employeur que la lettre d’appui devait confirmer que les fonctions qu’elle exerçait dans le cadre de son travail étaient celles qui étaient énumérées dans la liste des exigences de la CNP, et que c’est ce qu’elle a obtenu.

 

[35]    La décision d’exercer ou non le pouvoir discrétionnaire d’obtenir des renseignements supplémentaires auprès de la demanderesse dépendait essentiellement du contenu de ses documents. L’agent aurait dû chercher à savoir si d’autres renseignements laissaient penser que la demanderesse pouvait satisfaire aux exigences du poste et si le défaut de fournir les renseignements suffisants ne s’expliquait pas par la confusion suscitée chez elle ou chez son employeur par les subtilités du « remplissage de formulaires ».

 

[36]    En l’espèce, les documents relatifs aux études compris dans la demande montraient que la demanderesse avait fait de nombreuses années d’études pour devenir physiothérapeute, qu’elle avait obtenu une maîtrise, et qu’elle était membre en règle de l’association des physiothérapeutes. L’authenticité des documents contenant ces renseignements ne soulève pas de doute. Par conséquent, je serais porté à penser que la demande contenait suffisamment de renseignements probants pour soulever la question grave de savoir si la demande décrivait avec exactitude l’expérience de travail de la demanderesse, même si elle ne précisait pas en quoi elle répondait aux exigences de la CNP.

 

[37]    Il conviendrait également de rappeler que le Canada a besoin de travailleurs qualifiés ayant reçu une formation adéquate. Il est dans l’intérêt du pays de rechercher des personnes possédant ces qualifications et de les encourager à s’établir au Canada. Voilà un autre facteur qui aurait dû inciter l’agent des visas à faire des démarches supplémentaires pour dissiper la confusion qui entourait manifestement les documents de la demanderesse.

 

[38]    Comme il a été souligné dans l’arrêt Patel, précité, l’obligation de motiver la décision dépend fortement du contexte. La Cour d’appel a évité de rendre une décision sur l’obligation en concluant que l’agente avait fourni suffisamment de motifs pour expliquer pourquoi la demande avait été rejetée. Si je lis entre les lignes de cet arrêt, je serais normalement hésitant à imposer à ces agents l’obligation de fournir les motifs pour lesquels ils n’ont pas exercé leur pouvoir discrétionnaire de demander des renseignements supplémentaires à l’auteur d’une demande jugée insuffisante parce qu’elle reprenait littéralement les exigences de la CNP. D’une manière générale, la jurisprudence précitée appuie ce raisonnement, bien qu’aucune affaire traitant de cette question précisément n’ait été portée à mon attention.

 

[39]    Je conclus toutefois que, dans les circonstances de l’espèce, l’agent était tenu d’expliquer pourquoi il n’avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire de vérifier que les documents de la demanderesse rendaient compte de ses qualifications avec exactitude.

 

[40]    N’eût été le fait que la Cour a déjà dû trancher bon nombre d’affaires où les exigences de la CNP avaient été reprises textuellement, je n’imposerais pas une obligation de fournir les motifs. Or, je suis préoccupé par le fait que les agents semblent renoncer de plus en plus fréquemment à leur pouvoir discrétionnaire de se demander si les documents reflètent les qualifications du demandeur avec exactitude, même lorsque de bonnes raisons peuvent le laisser penser compte tenu de l’ensemble des documents fournis.

 

[41]    Comme il a été mentionné, cette question a été soulevée dans nombre d’affaires, de sorte que les instructions devraient insister sur l’importance de ne pas simplement reproduire la description. Je conclus qu’il ne faudrait pas s’étonner qu’il y ait de l’incompréhension et de la confusion lorsqu’un employeur affirme simplement, sans autre explication ou détail, qu’un employé satisfait aux exigences de la CNP. Compte tenu des circonstances de l’espèce, qui permettent de penser que la demanderesse possède effectivement les qualifications requises, et à la lumière de l’objet de la loi, qui est d’encourager les personnes qualifiées dans les catégories désignées à émigrer au Canada, je conclus que l’agent des visas était tenu de fournir les motifs expliquant pourquoi il n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire d’obtenir des éclaircissements comme il y était autorisé selon le BO 120.

 

[42]    Je tiens cependant à insister sur le fait que l’obligation susmentionnée est rigoureusement circonscrite aux faits de l’espèce.

 

Même s’il n’avait pas l’obligation de fournir des motifs, l’agent avait‑il l’obligation d’offrir la possibilité de dissiper les doutes concernant la crédibilité?

[43]    L’arrêt Patel appuie également la proposition selon laquelle la Cour ne tiendra pas compte d’un manquement à l’équité procédurale si elle estime que le manquement n’aurait eu aucun effet sur la décision. Le paragraphe 5 des motifs s’énonce comme suit :

[5]  Un pouvoir discrétionnaire semblable a été exercé dans des procédures de contrôle judiciaire où le droit d’une personne à l’équité procédurale avait été nié, mais où la juridiction de contrôle était persuadée que la négation du droit n’avait pu avoir d’effet sur la décision : voir par exemple Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, à la page 228; Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 172 N.R. 308 (C.A.F.).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[44]    Si la demande, à première vue, n’a pas suffi à démontrer que la demanderesse avait exercé toutes les fonctions requises, je conclus que le pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas de se demander si les documents de la demanderesse décrivaient son expérience avec exactitude donne naissance à une obligation d’agir équitablement dès lors que l’agent tire des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité de la demanderesse. L’obligation prend naissance parce que le défaut d’interroger la demanderesse sur l’authenticité de ses documents pourrait avoir un effet sur la décision.

 

[45]    En reconnaissant qu’un agent des visas a le pouvoir discrétionnaire de demander, ou non, des renseignements supplémentaires au demandeur – ce qu’il n’a pas, pour les besoins du présent argument, à justifier –, je conclus que la situation est tout autre lorsque l’agent décèle un manque de crédibilité ou de la mauvaise foi chez le demandeur.

 

[46]    De façon implicite, l’agent affirme que s’il n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire alors que d’autres renseignements au dossier laissent penser que la demanderesse pourrait bien être qualifiée mais qu’elle aurait mal compris les exigences relatives à la présentation de la demande, c’est qu’il ne l’a pas crue parce que ses documents n’étaient pas authentiques, c’est‑à‑dire qu’ils avaient été copiés frauduleusement pour que la demanderesse puisse être admise au pays.

 

[47]     En pareilles circonstances, où l’agent des visas a précisé que les doutes quant à l’authenticité comptaient parmi les facteurs ayant influé sur sa décision de refuser l’admissibilité à la demanderesse au Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) et où d’autres éléments de preuve laissent penser qu’il aurait pu y avoir un malentendu quant aux exigences à respecter, je conclus que l’obligation d’agir équitablement lui imposait de déterminer s’il y avait une explication au fait que la demanderesse avait fourni des documents dont l’authenticité soulevait des doutes. Si une explication raisonnable avait été obtenue à la question de l’authenticité des documents, l’agent des visas n’aurait eu aucune raison de ne pas chercher à obtenir des renseignements plus détaillés au sujet des qualifications de la demanderesse. Les renseignements supplémentaires obtenus auraient pu amener l’agent des visas à accepter sa demande.

 

Conclusion

[48]    Il y a eu manquement à l’équité procédurale parce que l’agent a omis de donner les motifs pour lesquels il n’avait pas cherché à obtenir des renseignements supplémentaires auprès de la demanderesse pour confirmer qu’il n’y avait pas eu d’erreur dans sa demande, ou parce qu’il n’a pas donné à la demanderesse la possibilité de dissiper les doutes qu’il entretenait quant à sa crédibilité parce qu’elle avait présenté des documents non authentiques.

 

[49]    Par conséquent, la demande est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il procède à un nouvel examen, après que la demanderesse aura eu la possibilité de répondre aux préoccupations relatives à l’authenticité de ses documents et de fournir des renseignements plus détaillés sur la façon dont son travail satisfaisait aux exigences de la CNP.

 

[50]     À la lumière des conclusions susmentionnées, il n’est pas nécessaire d’examiner la question du caractère raisonnable de la décision.

 

[51]    La décision de l’agent des visas est annulée, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :                                        IMM-6273-12

 

INTITULÉ :

AMBREEN NAUMAN c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :                                                       LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

                                                            Le 19 septembre 2013

COMPARUTIONS :

Max Chaudhary

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chaudhary Law Office

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 


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