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Date : 20130918


Dossier : IMM-12757-12

 

Référence : 2013 CF 962

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 18 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

MARIA LUISA RUEDA Y SOTOMAYOR

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

 

II. Contexte

[2]               La demanderesse, Mme Maria Luisa Rueda Y Sotomayor, est citoyenne mexicaine. Elle est mère de quatre enfants; deux sont résidents permanents du Canada (Irma Carmona Rueda et Montserrat Carmona Rueda), et deux vivent au Mexique. La demanderesse a également quatre sœurs et trois frères qui vivent au Mexique. Avant son arrivée au Canada, la demanderesse vivait avec son époux au Mexique. Quand son époux est décédé en octobre 2011, la demanderesse demeurait avec sa fille au Canada.

 

[3]               La fille aînée de la demanderesse qui réside au Canada, Irma, a obtenu le statut de résidente permanente en juin 2005, après que la qualité de personne à protéger lui eut été reconnue. L’autre fille de la demanderesse, Montserrat, est arrivée au Canada en juillet 2004, à titre de demandeure d’asile; toutefois, sa demande d’asile au Canada a été rejetée.

 

[4]               La demanderesse est d’abord arrivée au Canada le 20 janvier 2006; sa fille, Montserrat, venait de faire une hémorragie cérébrale et souffrait d’une hémiparésie spastique du côté gauche, qui l’empêchait de contrôler ses mouvements. On lui avait dit au départ qu’elle demeurerait dans un état végétatif. La demanderesse a obtenu un visa de résidente temporaire valide jusqu’au 20 décembre 2006 pour prendre soin de sa fille. (Dossier de la demande [DD], pages 31 et 32, et paragraphe 6 de l’affidavit, DD, page 15.)

 

[5]               Toutefois, le 2 septembre 2006, la demanderesse et sa fille Montserrat ont volontairement quitté le Canada et sont rentrées au Mexique pour être avec leur famille. Bien que Montserrat soit restée au Mexique presque deux ans (DD, page 10), les seuls traitements qu’elle a reçus sont les soins spécialisés et les traitements médicaux qui lui avaient été prodigués au Canada. Elle n’a reçu ni soins ni traitements médicaux au Mexique.

 

[6]               Le 24 janvier 2008, la demanderesse et Montserrat sont revenues au Canada et ont été admises de nouveau à titre de résidentes temporaires. La demanderesse a clairement expliqué que ce retour au Canada avait expressément pour but de permettre à sa fille de recevoir des traitements de suivi (DD, page 10).

 

[7]               En juin 2008, Montserrat, la fille de la demanderesse, a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada après avoir épousé son ancienne colocataire, Miriam Castillo de Pedro, en février 2008. Le statut de résidente permanente lui a été accordé le 26 janvier 2009.

 

[8]               D’après le DD, Mme Castillo de Pedro et Montserrat, bien que mariées, n’ont jamais vécu ensemble après leur mariage. De leur retour au Canada en janvier 2008 jusqu’en novembre 2009, la demanderesse et sa fille Montserrat sont demeurées avec Irma, l’autre fille de la demanderesse, avec laquelle la demanderesse est maintenant brouillée, selon le témoignage et les éléments de preuve non contredits. Depuis novembre 2009, la demanderesse demeure seule avec sa fille Montserrat. Le mariage de Mme Castillo de Pedro et de Montserrat a pris fin à un moment donné en 2010 (DD, page 11).

 

[9]               En avril 2010, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Dans sa demande, la demanderesse explique qu’elle ne peut quitter le Canada parce que sa fille Montserrat, dont la mobilité est réduite, dépend fortement d’elle pour répondre à ses besoins quotidiens essentiels, comme s’habiller, faire les travaux ménagers et prendre les mesures nécessaires pour assurer son bien‑être personnel.

 

[10]           En novembre 2012, après avoir examiné l’affaire, l’agent a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse.

 

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[11]           L’agent a rendu sa décision sous forme de lettre, datée du 22 novembre 2012, et les motifs de la décision de l’agent portent la même date. L’agent a estimé que la demanderesse n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve lui permettant de conclure que le retour au Mexique équivaudrait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[12]           Après évaluation, l’agent a déterminé que la demanderesse avait fait peu d’efforts pour s’établir au Canada. À l’époque de la décision, la demanderesse ne parlait ni l’une ni l’autre des langues officielles, même si elle parvenait à se faire comprendre, comme elle l’a expliqué dans son témoignage. Elle n’occupait pas d’emploi, mais avait fait du bénévolat. Elle subvenait entièrement à ses besoins en partageant avec sa fille les prestations d’aide sociale de celle‑ci et en ayant recours à une banque alimentaire.

 

[13]           De plus, l’agent a conclu que les allégations de la demanderesse concernant l’intérêt supérieur de son « enfant », à savoir sa fille de 40 ans, Montserrat, ne pouvaient être acceptées, car la fille ne pouvait être considérée comme une enfant au sens de la loi, en raison de son âge. (Avec raison, quoique tout enfant est une personne à charge, mais toute personne à charge n’est pas nécessairement un enfant.) L’agent a examiné la preuve documentaire et les notes d’entrevue afin de déterminer les répercussions que le départ du Canada de la demanderesse aurait sur la fille de la demanderesse, Montserrat. (L’agent ne traite pas du contenu et du contexte des multiples rapports médicaux et rapports d’hôpital particuliers rédigés par des spécialistes expliquant clairement l’état de santé de Montserrat et les soins dont elle a besoin.)

 

[14]           L’agent a conclu que la preuve ne suffisait pas à étayer l’allégation de la demanderesse selon laquelle sa fille ne pourrait compter sur d’autres soins en son absence. L’agent a noté que Montserrat avait une sœur, Irma, qui demeurait dans une ville à proximité (Drummondville, au Québec) et une épouse, Miriam Castillo de Pedro. Sans tenir compte de la totalité de la preuve, l’agent a conclu que ces deux personnes pourraient vraisemblablement aider dans une certaine mesure en l’absence de la mère, bien qu’il ait été clairement démontré que la fille aînée ne soutenait plus sa mère financièrement et ne la parrainait plus, s’étant elle-même coupée de sa mère et brouillée avec elle, et que l’épouse de la fille était séparée d’elle sans que rien en l’espèce ne prouve le contraire.

 

[15]           L’agent est parvenu à la conclusion que la demanderesse n’avait pas présenté d’éléments de preuve établissant l’absence de services communautaires disponibles pour les personnes ayant des problèmes de mobilité. (La demanderesse a bel et bien soumis des éléments de preuve sur le manque de services existants pour les personnes en perte d’autonomie et a aussi établi l’absence de solution de rechange dans sa situation en raison de l’état physique, mental et émotif de sa fille (laquelle serait placée en établissement si sa mère devait partir – selon la page 106 du dossier certifié du tribunal [DCT]), pièces 1 et 2 aux pages 53 à 60 et 62 à 67 du DD respectivement.)

 

[16]           Enfin, en ce qui concerne la réintégration de la demanderesse au Mexique, l’agent a mentionné que la demanderesse avait deux filles et sept frères et sœurs demeurant encore au Mexique. Selon l’agent, cette famille formerait un réseau de soutien solide qui faciliterait la transition de la demanderesse au Mexique. (Bien que le témoignage démontre autre chose, demeurer avec la famille au Mexique n’a pas été considéré comme un choix possible en raison de l’absence de moyen de transport, de soins médicaux, de thérapie et de mesures d’intégration en emploi au Mexique – pièce 1, pages 32 à 35.)

 

[17]           L’agent n’était pas convaincu que la famille subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Par conséquent, il a conclu que la situation de la demanderesse ne justifiait pas qu’elle soit dispensée de l’obligation de présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger.

 

IV. Question en litige

[18]           L’agent d’immigration a‑t‑il fait abstraction de la preuve et a‑t‑il rendu une décision raisonnable?

 

V. Dispositions législatives pertinentes

[19]           La disposition suivante de la LIPR s’applique en l’espèce :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

25.      (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

 

25.      (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

VI. Analyse

[20]           Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, la Cour suprême du Canada a conclu « qu’on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi » (au paragraphe 62).

 

[21]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême du Canada a statué que, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, la Cour doit s’intéresser « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[22]           Dans ses observations, la demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte des lettres de divers professionnels de la santé qu’elle avait fournies relativement à l’état de santé de sa fille. Selon la demanderesse, ces éléments de preuve démontrent le manque de services à l’intention des personnes éprouvant des problèmes de mobilité au Mexique et soulignent l’importance de sa présence au Canada pour le bien‑être physique et mental de sa fille.

 

[23]           La demanderesse se fonde sur les décisions Jamrich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804, et Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 244, pour affirmer que la décision de l’agent ne résiste pas « à un examen assez poussé ». Elle fait référence aux multiples rapports médicaux et rapports d’hôpital rédigés par des spécialistes qui doivent être consultés pour établir que le défendeur n’a pas respecté ce critère. Elle renvoie à la preuve et montre la preuve pour ce qu’elle est, en soi, plutôt que de formuler des commentaires et des points de vue détaillés sur elle. La preuve méticuleuse constituée par les rapports médicaux et rapports d’hôpital rédigés par des spécialistes fait état de graves conséquences pour la fille si sa mère quittait le Canada.

 

[24]           Comme l’a souligné le défendeur, les observations de la demanderesse sur la norme de contrôle applicable sont erronées; la norme de la raisonnabilité n’exige pas que les décisions résistent « à un examen assez poussé ».

 

[25]           Le défendeur soutient que la Cour doit plutôt se demander, pour ce qui est du caractère raisonnable, si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[26]           En réponse à l’allégation principale de la demanderesse selon laquelle l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve pertinents dans sa décision, le défendeur soutient que l’agent a bien tenu compte de l’ensemble de la preuve soumise par la demanderesse; toutefois, aucun élément de preuve ne semble avoir aidé l’agent à déterminer si la demanderesse serait exposée à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives dans l’éventualité où elle serait tenue de présenter sa demande de résidence permanente depuis le Mexique.

 

[27]           En l’espèce, la Cour conclut que la demanderesse a soulevé des arguments de fond dans son mémoire pour montrer qu’elle satisfaisait à ce critère. La demanderesse a fait référence aux rapports médicaux et rapports d’hôpital détaillés rédigés par des spécialistes précisant que sa fille devrait être placée en établissement si elle devait quitter le Canada (elle renvoie à la page 106 du DCT, où se trouve un rapport de l’Institut neurologique de Montréal, rattaché à l’Université McGill, dans lequel les conséquences sont précisées) pour expliquer pourquoi elle n’accepte pas le poids que l’agent a attribué à la preuve en ce qui concerne l’état de santé de sa fille.

 

[28]           Dans un commentaire récemment formulé à cet égard dans l’arrêt Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, [2012] 3 RCS 405, la Cour suprême du Canada a souligné qu’un tribunal siégeant en révision doit considérer la décision du décideur dans son ensemble, à la lumière du dossier, afin de savoir si elle est raisonnable :

[3]        [...] un tribunal administratif n’a pas l’obligation d’examiner et de commenter dans ses motifs chaque argument soulevé par les parties. La question que doit trancher le tribunal judiciaire siégeant en révision demeure celle de savoir si la décision attaquée, considérée dans son ensemble, à la lumière du dossier, est raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708). [Non souligné dans l’original.]

 

[29]           En l’espèce, la Cour a examiné le fondement de la décision de l’agent pour décider que la décision était déraisonnable à la lumière de l’ensemble du dossier; le dossier contient des évaluations détaillées faites par du personnel médical et hospitalier spécialisé qui vont à l’encontre du raisonnement et de la conclusion de l’agent.

 

[30]           La Cour reconnaît que le paragraphe 25(1) est une disposition d’exception; elle permet une dispense seulement lorsque le demandeur peut prouver qu’il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’il devait présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger.

 

[31]           Les difficultés injustifiées sont des difficultés non envisagées dans la LIPR ou son règlement d’application et résultent, dans la plupart des cas, de circonstances indépendantes de la volonté du demandeur. Les difficultés excessives surviennent lorsque le demandeur subirait un impact déraisonnable en raison de sa situation personnelle s’il devait présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger (voir le guide d’immigration IP 5, paragraphes 5.7 et 5.8; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 11, 340 CFPI 29, au paragraphe 19).

 

[32]           En raison de la nature exceptionnelle de la dispense prévue au paragraphe 25(1), le demandeur doit satisfaire à un critère rigoureux pour que la dispense lui soit accordée (Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1906 (QL/Nexis) (CFPI), au paragraphe 12; Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 635).

 

[33]           Le renvoi du Canada de la demanderesse semble créer, outre la séparation familiale, de graves conséquences d’ordre médical, physique, mental et émotionnel en raison des nécessités de la vie quotidienne; il est donc permis de dire que le renvoi causerait, en lui‑même, des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Le juge Denis Pelletier, alors qu’il était à la Cour fédérale, a formulé des lignes directrices utiles à cet égard dans la décision Irimie, précitée :

[12] […] Il semblerait donc que les difficultés qui déclencheraient l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire pour des raisons d’ordre humanitaire doivent être autres que celles qui découlent du fait que l’on demande à une personne de partir une fois qu’elle est au pays depuis un certain temps. Le fait qu’une personne quitterait des amis, et peut-être des membres de la famille, un emploi ou une résidence ne suffirait pas nécessairement pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire en question. [Non souligné dans l’original.]

 

(Il est également fait référence à la décision Mayburov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 953 (C.F. 1re inst.) (QL/Lexis).) La décision susmentionnée du juge Pelletier démontre en fait qu’il faudrait une preuve beaucoup plus étoffée pour appuyer la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que la preuve matérielle produite en l’espèce relativement aux difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

 

[34]           Selon l’appréciation qu’il a faite de l’affaire, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer qu’elle satisfaisait au critère et subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées si elle était séparée de sa fille et renvoyée au Mexique.

 

[35]           Après avoir examiné la preuve soumise par la demanderesse concernant son établissement au Canada, l’agent a conclu qu’elle n’était pas assez établie pour justifier que la dispense prévue par la loi lui soit accordée.

 

[36]           De l’avis de la Cour, il s’agit d’un cas d’espèce, car il semble que la demanderesse a, en fait, soumis suffisamment d’éléments de preuve clairs pour corroborer son besoin de demeurer au Canada. Comme on l’a vu ci‑dessus, à l’époque où l’agent a rendu sa décision, la demanderesse ne s’exprimait dans ni l’une ni l’autre des langues officielles (après avoir passé presque cinq ans au Canada, bien que la preuve démontre qu’elle est capable de se faire comprendre). Selon la preuve, la demanderesse n’a pas occupé d’emploi en raison de contraintes de temps, mais elle a fait du bénévolat. Elle subvenait entièrement à ses besoins en partageant les prestations d’aide sociale que recevait sa fille et en ayant recours à une banque alimentaire. La demanderesse a en outre fourni un certain nombre de lettres d’appui rédigées par des membres de sa famille et des amis, dont fait état la décision; néanmoins, la majorité des rapports médicaux et des lettres démontrent que la fille a besoin de la présence de sa mère au Canada et que l’établissement de la demanderesse, lié aux soins fournis à sa fille, demeure, à toutes fins utiles, non abordé. La mère ne demande pas de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour ses propres besoins, mais pour répondre aux besoins quotidiens de sa fille, besoins qui ne pourraient être comblés sauf par un placement en établissement, selon la preuve, si elle ne restait pas au Canada.

 

[37]           La preuve en elle‑même, comme en témoigne le retour de la demanderesse au Mexique peu après l’apparition de la maladie de sa fille, démontre que la demanderesse a une vaste famille qui la soutient au Mexique. Ce soutien l’a aidée à réintégrer le cadre familial lors de son retour précédent, mais, comme la preuve détaillée le précise, aucun traitement ni soin médical n’était disponible pour sa fille dans le contexte de la situation familiale. Dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la demanderesse a précisé qu’en quittant son époux (décédé pendant qu’elle se trouvait auprès de sa fille au Canada), sa famille, son emploi et son pays afin de venir au Canada, elle avait renoncé à une grande partie de sa vie (DD, aux pages 32 et 35) pour veiller à ce que sa fille ait les soins nécessaires, car sa fille ne pouvait se débrouiller autrement sans être placée, comme le confirment de multiples rapports rédigés par des professionnels de la santé et ceux qui vivent dans l’entourage de la demanderesse et de sa fille.

 

[38]           La preuve au dossier indique que si Montserrat a une sœur et une épouse demeurant au Canada, ni l’une ni l’autre ne peut être considérée comme une soignante possible en l’absence de la mère de Montserrat. Tous les éléments de preuve venant des autorités médicales, en plus de ceux venant d’amis, montrent également tout le contraire. Par ailleurs, il est démontré que les services de soutien en santé, dont il a été question dans le témoignage, ne sont pas disponibles au Mexique dans le cas de Montserrat, compte tenu de sa situation familiale particulière.

 

[39]           Dans ses observations, la demanderesse fait référence à une lettre, comprise à la page 70 du dossier de la demanderesse, dans laquelle il est allégué qu’Irma, la sœur de Montserrat, ne parle plus à Montserrat ni à la demanderesse. Cette allégation a été présentée pour expliquer l’absence de solution de rechange qui permettrait à Montserrat de recevoir des soins au Canada. Il semblerait donc qu’Irma, la sœur de Montserrat, ne prendrait pas soin de sa sœur puisqu’elle ne parle pas à Montserrat ni ne vit avec elle.

 

[40]           De même, au cours de son entrevue avec l’agent, la demanderesse a précisé que sa fille n’entretenait plus de relation avec son épouse; aucun élément de preuve n’a montré le contraire en ce qui concerne la séparation de Montserrat et de son épouse.

 

[41]           À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle dans son appréciation et sa pondération de la preuve; par conséquent, la Cour est d’avis que l’agent n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve. La décision de l’agent n’appartient pas aux issues acceptables et ne se justifie pas au regard des faits et du droit.

 

[42]           La Cour conclut que le fait de ne pas avoir examiné les difficultés qui découleraient du retour au Mexique de la demanderesse du point de vue des besoins de sa fille, selon la vaste preuve objective détaillée quant à l’absence de soins continus pour la fille de la demanderesse, à moins que la fille ne soit placée en établissement au Canada, illustre les conséquences découlant du défaut de l’agent de tenir compte d’éléments de preuve particuliers sur les questions essentielles qui se trouvent au cœur même des considérations d’ordre humanitaire sans adéquatement, même brièvement, s’expliquer ou en avoir discuté. La preuve claire et sans équivoque établit que si la mère (la demanderesse) est renvoyée au Mexique, la seule solution pour sa fille serait le placement en établissement au Canada, d’après les rapports médicaux rédigés par des spécialistes (référence susmentionnée à la page 106 du DCT).

 

VII. Conclusion

[43]           Étant donné qu’il s’agit d’un cas d’espèce en raison d’éléments de preuve particuliers, la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse est accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent d’immigration pour réexamen (de novo). Aucune question de portée générale n’est soulevée aux fins de certification.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.

 


Cour fédérale

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-12757-12

 

INTITULÉ :

MARIA LUISA RUEDA Y SOTOMAYOR c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 septembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 18 septembre 2013

 

 

COMPARUTIONS :

Viken G. Artinian

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ian Demers

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associés

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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