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Date : 20130911

Dossier : T‑1070‑07

Référence : 2013 CF 945

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

YEHUDA PINTO

 

demandeur

 

et

 

CENTRE BRONFMAN DE L’ÉDUCATION JUIVE
TOVA SHIMON, SHLOMO SHIMON,
TAL AMI ‑ TOCHNIT LIMUDIM IVRIT
MORESHET ISRAEL BE’AM, TAL AM

 

défendeurs

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 



Aperçu

[1]               Dans la présente action, Yehuda Pinto, le demandeur, poursuit le Centre Bronfman de l’éducation juive, TaL AM, Tova Shimon et Shlomo Shimon afin d’obtenir des dommages‑intérêts pour violation du droit d’auteur.

 

[2]               Cette allégation concerne les travaux de composition, d’exécution, de production et d’enregistrement de musique que M. Pinto a réalisés pour TaL AM, un programme d’enseignement de la langue hébraïque et de la religion, de la culture et de l’histoire juives destiné aux écoles primaires. Ce programme, créé entre autres par les défendeurs, a connu un succès mondial et il est enseigné dans au moins 347 écoles au Canada, aux États‑Unis, en Europe, en Afrique du Sud, en Amérique du Sud, en Australie et en Asie.

 

[3]               Les parties ont reconnu que M. Pinto est titulaire du droit d’auteur relativement à ses compositions originales. Les défendeurs soutiennent toutefois qu’il a autorisé l’utilisation de sa musique, dans le cadre d’un contrat de service. Par conséquent, la question déterminante concerne le consentement.

 

[4]               Je conclus que M. Pinto a consenti à l’utilisation de sa musique en accordant aux défendeurs une licence implicite dont ils n’ont pas outrepassé la portée. Par conséquent, la présente action est rejetée.

 

Les parties

[5]               En 1987, M. Pinto a quitté Israël pour immigrer au Canada. Il a commencé à se produire dans des événements de la communauté juive comme des mariages et des bar‑mitsvahs, et a acquis une réputation de musicien talentueux.

 

[6]               Le Centre Bronfman de l’éducation juive, autrefois connu sous le nom de Conseil de l’éducation juive (le CBEJ, tout au long de la décision), est un organisme sans but lucratif constitué en personne morale au Québec, ayant pour mandat de coordonner, de planifier et de soutenir l’instruction juive à Montréal. Son financement provient de la Fédération CJA, l’organisme central de planification et de coordination des services et de levées de fonds de la communauté juive de Montréal.

 

[7]               Les défendeurs Shlomo et Tova Shimon sont mari et femme.

 

[8]               Monsieur Shimon a travaillé comme enseignant au secondaire. Il a suivi une formation en études juives et en technologie pédagogique. Il était chef de la direction du CBEJ durant les périodes pertinentes.

 

[9]               Madame Shimon, autrefois directrice de la création des programmes du CBEJ, était responsable de l’élaboration de TaL AM, et de son précurseur Tal Sela, un programme d’enseignement de la langue hébraïque dans les écoles juives. Elle a travaillé comme enseignante et directrice d’une école secondaire, et a enseigné pendant dix ans au sein du programme de formation des professeurs de l’Université McGill. Elle a étudié la philosophie des religions, la technologie pédagogique et la création de programmes.

 

[10]           En octobre 2006, TaL AM est devenu une entité juridique distincte du CBEJ. Le 1er avril 2007, l’actif et le passif se rapportant au programme TaL AM ont entièrement été transférés du CBEJ à TaL AM. Madame Shimon en est la présidente et directrice administrative, et M. Shimon le directeur de l’exploitation.

 

Les questions en litige

[11]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1.         Qui est le titulaire du droit d’auteur relativement à la musique, aux chansons, aux enregistrements et au programme?

2.         Monsieur Pinto a‑t‑il accordé une licence au CBEJ? Le cas échéant, à quelles conditions?

3.         Qui sont les véritables défendeurs?

4.         Quel est le montant des dommages‑intérêts?

 

La preuve

Tal Sela

[12]           De concert avec l’équipe du CBEJ, M. et Mme Shimon ont créé Tal Sela, un programme d’enseignement de la langue hébraïque destiné aux élèves de deuxième à sixième années dans les écoles juives. En 1979, Tal Sela a bénéficié d’un financement public et a été endossé par le Congrès juif canadien, ce qui a permis d’obtenir les fonds de démarrage nécessaires au  programme.

 

[13]           La musique du programme a été composée, arrangée, exécutée, produite et enregistrée par Fran Avni, une professeure de musique qui vit à Montréal. Comme les fonds disponibles étaient limités, le CBEJ ne la payait pas à un taux horaire, mais a accepté de lui verser une redevance de 2,75 $ par cassette vendue; ce montant est passé ensuite à 3,00 $. Le CBEJ lui remettait une avance sur les redevances futures pour chaque année scolaire de manière à couvrir les coûts de production. Par exemple, Fran Avni a reçu en 1986 une avance de 6 500 $ pour le programme de cinquième année. Cette avance a été remboursée en 2001, date à partir de laquelle elle a commencé à gagner des redevances. En 2012, celles‑ci s’élevaient à 30 $.

 

[14]           Dina Sabbah, une professeure de musique, a également créé des compositions musicales originales. Elle détient un doctorat en musicologie ainsi qu’une maîtrise en éducation. Elle avait conclu une entente verbale suivant laquelle elle devait être rémunérée d’abord à la chanson, puis à un taux horaire. Il n’a jamais été prévu qu’elle reçoive des redevances.

 

[15]           Madame Shimon a déclaré durant son témoignage que les coûts de recherche et de développement du programme Tal Sela ont atteint 600 000 $, plus 400 000 $ pour les coûts de production. Les subventions gouvernementales s’élevaient à environ 207 000 $. Il y a eu d’autres sources de financement, comme la Pincus Foundation qui a fourni 50 000 $, et divers dons privés. Cependant, ces dons et subventions ne suffisaient pas à couvrir les coûts de Tal Sela. Le programme « est passé dans le rouge ». La Fédération CJA a fait office de banque pour ce programme et a fourni un prêt. En outre, Mme Shimon a travaillé bénévolement pendant un an, sans être payée.

 

[16]           En 1989, Tal Sela était utilisé dans 167 écoles en Amérique du Nord, en Europe, en Afrique du Sud et en Australie. Les ventes ont fini par couvrir les dépenses et toutes les dettes ont été remboursées. Madame Shimon a expliqué qu’ils ont alors commencé à mettre de l’argent de côté pour la phase suivante de développement du programme.

 

Projet pilote pour la première année

[17]           Le succès de Tal Sela a amené M. et Mme Shimon à envisager un nouveau projet, TaL AM, qui servirait à l’enseignement non seulement de la langue hébraïque, mais aussi de l’histoire, de la religion et de la culture juives, pour former un programme totalement intégré.

 

[18]           Plusieurs employés du CBEJ étaient chargés de l’élaboration de TaL AM. En plus de M. et Mme Shimon, deux coordonnatrices, Drorit Farkas et Miriam Cohen, y ont contribué.

 

[19]           Madame Farkas a commencé à travailler pour le programme Tal Sela en 1985 comme auteure à la pige. Elle a suivi des études de philosophie et de pensée juives, avec une spécialisation en histoire, et des cours spéciaux de littérature pour enfants. Elle était rémunérée à l’histoire et à un taux horaire, sans avoir signé d’entente écrite. Elle n’a jamais reçu de redevances.

 

[20]           Madame Cohen détient un doctorat en sciences de l’éducation de l’Université de Florence (Italie) et jouit d’une expertise considérable en création de programmes acquise à l’Université de Tel‑Aviv. Elle a précisé durant son témoignage que TaL AM était [traduction] « pauvre » à ce stade et qu’elle n’était donc payée qu’au salaire minimum.

 

[21]           En 1990, l’équipe TaL AM a commencé à travailler sur le programme de première année; en 1992, cette équipe était prête à tester le programme‑pilote dans les écoles qui utilisaient déjà Tal Sela.

 

[22]           À ce stade, TaL AM a eu besoin d’un musicien pour la composante musicale du programme. Comme l’a expliqué Mme Shimon durant son témoignage, la musique favorise la mémoire, elle renforce les structures linguistiques et l’acquisition des concepts importants. Elle sert aussi de déclic et permet aux élèves de se rappeler certaines notions d’une année à l’autre. Enfin, la musique crée une ambiance de célébration et de joie dans la classe. La musique faisait partie intégrante du programme : elle n’avait pas de fonction indépendante, mais servait à remplir les objectifs pédagogiques.

 

[23]           Monsieur Pinto est entré en scène en 1992, lorsque Mme Cohen l’a invité à chanter des chansons israéliennes dans le cadre d’un événement organisé pour les enseignants de Tal Sela. À la fin de son numéro, Mme Farkas l’a abordé et lui a proposé de composer de la musique pour TaL AM.

 

[24]           Le lendemain, M. Pinto a rencontré Mme Shimon, qui lui a décrit les objectifs du programme Tal Sela. Elle lui a expliqué que celui‑ci servait à enseigner l’hébreu dans les écoles juives aux élèves de deuxième à sixième années, et que le programme destiné à la première année, TaL AM, était en cours de rédaction et qu’il allait nécessiter une musique d’appoint.

 

[25]           Le témoignage de M. Pinto quant à la question de savoir s’il connaissait Tal Sela avant de rencontrer Mmes Farkas et Shimon était contradictoire. Lors du procès, il a déclaré qu’il n’avait jamais entendu parler de ce programme. Cependant, il a été mis en présence durant le contre‑interrogatoire du témoignage qu’il a livré devant la Cour supérieure du Québec le 22 février 2011, où il affirmait qu’il connaissait Tal Sela, car sa fille, qui était en deuxième année, l’utilisait pour apprendre l’hébreu.

 

[26]           Madame Shimon lui a‑t‑elle indiqué que Tal Sela servait d’outil d’enseignement à l’extérieur de Montréal? Les parties ne s’entendent pas sur ce point. Monsieur Pinto affirme qu’elle l’a informé que le programme était utilisé dans la région de Montréal, mais Mme Shimon se souvient spécifiquement lui avoir montré une carte du monde avec des punaises représentant les différents pays et écoles qui utilisaient Tal Sela.

 

[27]           Madame Shimon a également indiqué à M. Pinto que Mme Avni avait composé et produit la musique pour Tal Sela. Monsieur Pinto a précisé qu’il avait voulu la rencontrer pour savoir pourquoi elle ne contribuait pas à TaL AM et pour s’enquérir de la nature de son contrat.

 

[28]           Durant cette rencontre, Mme Avni lui a expliqué que de travailler sur TaL AM ne l’intéressait pas et qu’elle ne s’opposait pas à ce qu’il le fasse. Elle l’a informé qu’elle avait signé un contrat. Dans son témoignage M. Pinto a indiqué qu’il voulait en savoir plus, mais Mme Avni lui a répondu que l’entente était [traduction] « confidentielle ».

 

[29]           Après avoir préparé une maquette, M. Pinto a été engagé comme pigiste pour composer, arranger, exécuter, produire et enregistrer la musique pour le projet pilote TaL AM de première année. Il devait à la fois composer des musiques originales et exécuter et arranger des chansons écrites par d’autres, notamment des chansons traditionnelles et populaires.

 

[30]           Il n’y a pas eu de contrat écrit. Il est donc essentiel de déterminer ce qui s’est passé entre M. Pinto et Mme Shimon. Leurs conversations se sont déroulées en hébreu, sans qu’il soit fait explicitement mention de redevances, de droit d’auteur ou d’autres termes juridiques. Par ailleurs, plus de deux décennies se sont écoulées depuis les premières négociations contractuelles.

 

[31]           Madame Shimon a déclaré qu’elle a informé M. Pinto que tous les artistes qui contribuaient au programme travailleraient comme pigistes et seraient rémunérés pour leurs services suivant une grille tarifaire. Monsieur Pinto avait droit à un salaire horaire de 30 $ pour composer, arranger, produire et enregistrer la musique. Le produit fini appartiendrait au CBEJ à titre de [traduction] « cadeau au peuple juif », et il n’y aurait aucune autre forme de paiement. Madame Shimon souligne qu’elle a bien expliqué que tous les « droits » appartiendraient à TaL AM, comme elle l’avait fait avec tous les autres pigistes de ce programme, incluant les concepteurs graphiques et les illustrateurs. Avi Katz, un illustrateur israélien, a indiqué qu’il avait travaillé pour TaL AM à ces conditions.

 

[32]           Madame Shimon a déclaré que les revenus devaient être mis de côté en vue de la prochaine phase de développement du programme. Les programmes ont une durée de vie de sept à dix ans, après quoi ils doivent être mis à jour en fonction des intérêts de la génération suivante. Elle jugeait donc essentiel que TaL AM dispose de fonds de démarrage et qu’il génère des revenus destinés aux phases suivantes. Elle ne voulait pas se buter aux mêmes difficultés de financement qu’avec Tal Sela.

 

[33]           Monsieur Pinto se rappelle avoir demandé un contrat écrit et avoir exprimé le désir de conserver ses « droits ». Il prétend que la propriété du droit d’auteur était la première chose qu’il ait abordée avec Mme Shimon. Il se souvient qu’elle l’a informé [traduction] « [qu’]ils étaient dans le rouge », ce à quoi il aurait répondu : [traduction] « Proposez‑moi [une] entente écrite et je serais ravi de travailler avec vous. »

 

[34]           Entre‑temps, M. Pinto a accepté de travailler au tarif proposé par Mme Shimon. Il a déclaré : [traduction] « Tova Shimon a offert de me payer en attendant de me soumettre [une] entente. » Il a reconnu que le tarif horaire de 30 $ couvrait les travaux de composition, de production et d’arrangement, ainsi que les heures passées en studio.

 

[35]           Madame Shimon ne se souvient pas qu’il ait été question d’une entente écrite. Elle nie avoir accepté de lui en soumettre une puisqu’aucun des pigistes engagés par TaL AM n’avait de contrat écrit. Madame Shimon insiste sur le fait qu’elle a bien indiqué qu’aucun pigiste ne serait payé pour autre chose que le travail facturé et que [traduction] « tout appartient à TaL AM et il ne recevra aucune autre rémunération. Il est payé pour ce qu’il facture, rien de plus. »

 

[36]           Monsieur Pinto n’a pas soulevé la question des redevances à ce moment‑là, car le concept lui était inconnu.

 

[37]           En ce qui concerne M. Pinto, le travail s’est déroulé comme suit :

a)         Il recevait des paroles qui avaient un rapport avec une notion ou une leçon du programme. Certaines de ces paroles étaient accompagnées de musique, il s’agissait de chansons populaires ou écrites par d’autres compositeurs ayant collaboré au programme. Madame Shimon, Mme Cohen et Mme Farkas discutaient avec lui du mode, du ton et de l’objet de la chanson, c’est‑à‑dire de son lien avec les leçons. Le Service des programmes du CBEJ a rédigé les paroles de 58 des chansons en question.

b)         Lorsque les paroles étaient déjà mises en musique, M. Pinto arrangeait la mélodie pour l’adapter aux textes.

c)         Monsieur Pinto composait la musique des textes qui n’avaient pas d’accompagnement musical. Madame Shimon a déclaré que Mme Sabbah lui apportait son aide en tant que consultante en musique, ce que cette dernière a confirmé durant son témoignage. Cependant, M. Pinto ne se souvient pas d’avoir rencontré Mme Sabbah durant cette période et nie qu’elle l’ait aidé avec les compositions.

d)         Après avoir composé ou arrangé la musique, M. Pinto rencontrait Mmes Shimon, Cohen et Farkas. Madame Shimon et Mme Cohen ont expliqué qu’elles entendaient M. Pinto exécuter sa musique à la guitare dans leurs bureaux. Dans certains cas, elles suggéraient des changements ou adaptaient les paroles des chansons pour qu’elles s’accordent mieux avec la musique. Madame Cohen a déclaré qu’il s’agissait d’une collaboration. Elles chantaient avec lui pour voir si le tempo convenait ou si le ton était trop haut ou trop bas pour les enfants.

e)         Monsieur Pinto enregistrait les chansons dans un studio situé dans l’édifice de la Fédération CJA. Une enseignante, que M. Pinto rémunérait, chantait aussi sur certains enregistrements.

f)         Henry Beagal, le technicien du studio, mixait les enregistrements et remettait ensuite les cassettes au CBEJ.

 

[38]           En 1992 et 1993, le projet pilote a été testé dans douze écoles de Montréal, New York, Los Angeles, Atlanta, Chicago et Seattle, d’après le témoignage de Mmes Shimon et Farkas.

 

[39]           Deux enseignantes, Tovi Varga et Sharon Cohen, ont expliqué que durant la phase pilote, des cahiers d’exercices, des livres grand format, des livres de bibliothèque, des cartes de support visuel, des affiches et de la musique ont été remis aux enseignants. Sharon Cohen a précisé que la cohésion de toutes les composantes reposait sur la cohérence visuelle, la répétition et des mots clés. À mesure que les enseignants avançaient avec les élèves dans leurs cahiers d’exercices, les chansons servaient à appuyer la leçon.

 

[40]           Les enseignants participaient ensuite à des séances avec TaL AM durant lesquelles ils offraient leurs commentaires et visionnaient des vidéos de l’enseignement réel en classe. Monsieur Pinto n’a pas reçu de vidéocassettes, car les écoles participantes ont demandé qu’aucune copie ne soit faite. Durant son témoignage, il a déclaré que l’accès aux commentaires et aux vidéos lui a été [traduction] « systématiquement refusé ». Cependant, Mme Shimon a précisé qu’il avait été invité à assister aux séances et à entendre les commentaires.

 

Édition commerciale pour la première année

[41]           Il n’y a pas eu de travail pour M. Pinto de 1993 à 1995 étant donné que l’équipe TaL AM se préparait au lancement complet du programme de première année. Il s’est produit quelques fois dans des séminaires destinés aux enseignants qui participaient au projet pilote. L’équipe TaL AM l’a aussi engagé pour des événements privés, par exemple la bar‑mitsvah du fils de Mme Cohen, et a imprimé un catalogue de ses chansons avec sa photo et son numéro de téléphone à des fins promotionnelles.

 

[42]           En 1995, TaL AM a demandé à M. Pinto d’arranger, d’exécuter, de produire et d’enregistrer la musique de la dernière édition (dite aussi édition commerciale) du programme de première année.

 

[43]           Madame Cohen a fourni à M. Pinto les versions finales de la musique et ils ont travaillé ensemble à la pré‑production entre le printemps 1995 et le début de 1997. Les factures de M. Pinto démontrent que Mme Cohen et lui ont mis beaucoup de temps avant d’enregistrer, pendant lequel il a reçu le répertoire et ils se sont entendus sur la [traduction] « topographie » des compositions. Ce processus collaboratif est décrit par exemple dans la facture no 49022, datée du 14 août 1995.

 

[44]           Lorsqu’est venu le temps d’enregistrer, M. Pinto a choisi un studio externe, celui d’Elan Kunin, qu’il louait 10 $ de l’heure, tarif incluant l’utilisation de son équipement et l’accompagnement de M. Kunin au clavier. Monsieur Pinto a également engagé une enseignante comme chanteuse qu’il payait aussi 10 $ de l’heure. Il a demandé à certains enfants de chanter et a répété les chansons avec eux. Les différentes parties ont ensuite été mixées dans le studio de M. Kunin sur des cassettes chrome analogues, que M. Pinto remettait à Mme Cohen ou à d’autres membres du CBEJ.

 

[45]           Henry Biegel, le technicien du studio du CBEJ, a ajouté des sons ou des parties musicales additionnelles correspondant aux besoins du programme, comme des prières ou des versets bibliques lus par un rabbin, M. Lanton. Monsieur Biegel a ensuite reproduit le résultat final sur des audiocassettes que le CBEJ vendait aux écoles.

 

[46]           Comme durant les phases de production commerciale précédentes, M. Pinto a reçu un salaire horaire en échange de ses services. C’est ainsi qu’il payait les heures de studio et la chanteuse. Il facturait également certaines dépenses au CBEJ. Par exemple, la facture no 49020 du 23 mai 1995 inclut un montant de 25,05 $ pour deux cassettes DAT (bande audionumérique)

 

[47]           Monsieur Pinto affirme avoir soulevé quelques fois la question du droit d’auteur et indiqué qu’il voulait recevoir plus d’argent en 1995. Apparemment, on lui répondait toujours que le CBEJ était [traduction] « dans le rouge », mais qu’on lui ferait une proposition écrite à une date ultérieure.

 

[48]           Entre le 28 avril 1995 et le 28 juillet 1997, M. Pinto a facturé et reçu la somme de 34 941,51 $ en échange de ses services.

 

[49]           À la fin de la phase de production commerciale du programme de première année en décembre 1997, le CBEJ a offert à M. Pinto une « prime » de 100 $ pour chacune de ses quatorze compositions qui seraient utilisées dans le programme final de première année. Le paiement que M. Pinto avait reçu pour les compositions du projet pilote était assez modeste, et le CBEJ voulait le rémunérer davantage. Madame Cohen a expliqué qu’au stade du projet pilote, TaL AM n’avait pas de grandes ressources financières. À cette époque toutefois ils avaient plus d’argent. Il avait été question de cette prime autour de 1995 alors que les tests du projet pilote étaient très prometteurs. On s’attendait qu’à l’avenir, TaL AM ne donnerait pas de travail à M. Pinto pendant un moment.

 

[50]           Monsieur Pinto a reçu un chèque de 1 400 $ lors d’une réunion avec Mme Cohen. Rien n’indique que le droit d’auteur ou les redevances ont alors été évoquées. Monsieur Pinto a pris des notes indiquant que Mme Cohen lui avait suggéré de rencontrer les directeurs et professeurs qui utilisaient le programme pour qu’ils l’invitent à se produire dans leurs écoles, étant donné que son travail avait pris fin.

 

[51]           Monsieur Pinto a déclaré que quelque temps après, dans le courant de 1997, M. Shimon lui a demandé les cassettes DAT (les bandes maîtresses) pour le programme de première année, et qu’il les lui a fournies. La facture no 49049 de M. Pinto du 28 juillet 1997 incluait des frais de reproduction des bandes maîtresses.

 

[52]           Le témoignage de Mme Cohen diverge sur ce point. Elle affirme qu’en 2002, les écoles préféraient avoir la musique sur des CD plutôt que sur des cassettes. Elle a donc réclamé les bandes maîtresses à M. Pinto de manière à ce que TaL AM puisse les transférer sur CD. D’après elle, M. Pinto a demandé à être payé pour les bandes maîtresses et elle lui a remis un chèque au nom du CBEJ. Elle ne se souvient pas du montant, et n’a pas non plus produit de facture ou de talon de chèque confirmant le paiement et la date.

 

[53]           Le matériel TaL AM de première année, et notamment les audiocassettes, les cahiers d’exercices et les guides de lecture, présentent le CBEJ comme le titulaire du droit d’auteur.

 

Deuxième à quatrième années

[54]           Monsieur Pinto n’a pas offert ses services à TaL AM entre 1997 et 2002. Cependant, il se produisait dans les écoles qui offraient ce programme, dans des séminaires d’enseignants et des événements privés organisés par des membres de l’équipe TaL AM.

 

[55]           Dans cet intervalle, TaL AM a commencé à mettre au point le projet pilote de deuxième année, grâce aux recettes du programme de première année et à des subventions et des dons additionnels reçus par le CBEJ. Plus important encore, en 2000, le CBEJ a commencé à recevoir des subventions de l’AVI CHAI Foundation, en échange de quoi il devait offrir une remise de 33 % sur le prix du matériel offert à la vente dans les écoles.

 

[56]           Pendant ce hiatus de cinq ans, M. Pinto communiquait périodiquement avec les membres de l’équipe pour leur demander s’ils avaient du travail pour lui. Au printemps 2002, Mme Farkas l’a appelé pour qu’il compose la musique des projets pilotes des deuxième et troisième années.

 

[57]           Monsieur Pinto affirme qu’il a soulevé à nouveau la question du droit d’auteur et indiqué qu’il voulait un contrat écrit. Selon lui, Mme Shimon lui aurait répondu qu’elle lui proposerait un arrangement écrit, ce qu’elle nie une fois de plus.

 

[58]           D’après le témoignage de Mme Shimon, les conditions étaient identiques, à ceci près que les tarifs de M. Pinto avaient augmenté. Il devait encore être payé à l’heure pour ses frais et services et recevoir une somme fixe de 400 $ par composition.

 

[59]           Le tarif convenu entre juillet 2002 et juillet 2003 était de 35 $ de l’heure pour l’arrangement musical, 45 $ de l’heure en studio, 50 $ la séance de composition de texte et de présentation de chanson, et 25 $ ou 45 $ par piste chantée.

 

[60]           Entre août 2003 et 2004, M. Pinto a facturé plus cher : 40 $ de l’heure pour l’arrangement musical, 50 $ de l’heure en studio, 55 $ la séance de composition de texte et de présentation de chanson, 55 $ par piste chantée, 450 $ par chanson composée, et 200 $ pour une exécution.

 

[61]           Entre avril et novembre 2004, M. Pinto a facturé suivant cette grille : 55 $ de l’heure pour la direction, les répétitions, les présentations, les rencontres et les ateliers, 25 $ de l’heure pour le travail de bureau, 35 $ de l’heure pour l’arrangement musical, 55 $ de  l’heure en studio, 105 $ par piste chantée et 450 $ pour une composition.

 

[62]           Les tarifs de M. Pinto ont encore augmenté en décembre 2004 : 55 $ de l’heure pour l’arrangement musical, 90 $ de l’heure en studio et pour la production musicale, et 110 $ par piste chantée.

 

[63]           Le CBEJ a payé toutes les factures qui lui ont été présentées. Entre le 11 juillet 2002 et le 6 juin 2006, M. Pinto a facturé et reçu 299 562,25 $ pour ses services et dépenses.

 

[64]           Monsieur Pinto a déclaré qu’entre 2002 et 2006, il a soulevé la question de la propriété du droit d’auteur, et exigé un contrat écrit et une rémunération additionnelle, ce qu’ont corroboré jusqu’à un certain point d’autres témoins. Madame Shimon déclare que M. Pinto lui a parlé pour la première fois du droit d’auteur en 2002, et qu’elle lui a invariablement répondu que le matériel appartenait à TaL AM.

 

[65]           Madame Cohen a confirmé que M. Pinto s’est enquis auprès d’elle du droit d’auteur et de sa rémunération. Il demandait plus exactement : [traduction] « [e]t mes droits? » et Mme Cohen le renvoyait à Mme Shimon. Elle se souvient de lui avoir dit : [traduction] « Yehuda, écoute, je ne suis titulaire d’aucun droit. Tova non plus, ni Drorit. Personne ne l’est. Le droit d’auteur est […] à TaL AM. Il n’y a rien à rajouter. »

 

[66]           Madame Farkas a reconnu que M. Pinto demandait souvent plus d’argent, mais qu’il n’évoquait pas spécifiquement la propriété du droit d’auteur.

 

[67]           Monsieur Shimon assure s’être entretenu avec M. Pinto au sujet du droit d’auteur et d’une rémunération additionnelle, et lui avoir toujours répété qu’il ne serait payé que pour ce qu’il facturait. Aucun autre témoin, hormis M. Pinto, ne se souvient qu’il ait réclamé spécifiquement un contrat écrit.

 

[68]           Le processus de création des programmes de deuxième à quatrième années ressemblait à celui du programme de première année. Cette fois encore, Mmes Farkas, Cohen et Shimon transmettaient le contenu du programme à M. Pinto sous forme de paroles qui devaient compléter et renforcer les leçons. Mesdames Farkas et Cohen décrivaient le thème et le mode désirés, la « couleur » et la « topographie » de la chanson. Monsieur Pinto composait la musique et la présentait à Mmes Shimon, Cohen et Farkas. Madame Farkas lui donnait des indications sur ce qui plairait à l’équipe TaL AM.

 

[69]           Une fois les compositions achevées, M. Pinto arrangeait, exécutait, produisait et enregistrait les chansons dans un studio de son choix. Il modifiait aussi certaines chansons du programme de première année à incorporer dans celui de deuxième année. Il faisait de même avec les chansons des programmes de première et de deuxième années destinées à prendre place dans celui de troisième année. Conformément aux instructions des créateurs du programme, les chansons se répétaient d’une année à l’autre pour stimuler la mémoire des enfants qui passent d’une classe à la suivante.

 

[70]           Pour le projet pilote de deuxième année, M. Pinto s’est servi du studio de musique d’Alexander Ivanov. Pour la version finale de ce programme, il a loué celui de Lahit Barosh. Il a payé le temps d’utilisation de chaque studio, entre 20 $ et 27 $ de l’heure pour celui de M. Barosh.

 

[71]           Monsieur Pinto a remis au CBEJ le CD original contenant la musique qu’il avait enregistrée. Le produit final comprenait des CD de deuxième et de troisième années sur lesquels il était indiqué que le CBEJ était le titulaire du droit d’auteur.

 

[72]           Monsieur Pinto a commencé à travailler sur le programme de troisième année en 2003. Le processus de création était le même que pour le programme de deuxième année.

 

[73]           Il est arrivé à Mme Shimon de donner un chèque personnel à M. Pinto parce que le processus de traitement des factures du CBEJ était plus long et que M. Pinto voulait être payé « rapidement ». Par exemple, Mme Shimon lui a remis un chèque personnel le 4 août 2002 pour acquitter une facture du 28 juillet. Monsieur Shimon lui a également apporté son aide en garantissant un prêt de 7 000 $ en 2006. Il a dû régler 800 $ sur cette somme, car M. Pinto ne l’a pas remboursé au complet.

 

[74]           Monsieur Pinto a déclaré avoir reçu à la fin de 2003 la collection des CD de première année, ainsi que les pilotes des deuxième et troisième années. À son avis, TaL AM avait [traduction] « modifié » sa musique, en la transférant des cassettes aux CD.

 

[75]           En 2005, on lui a demandé de commencer à travailler sur la version pilote du programme de quatrième année. Il a soumis une maquette, mais n’a contribué d’aucune autre manière à ce projet. Aucune de ses nouvelles compositions n’a été incluse, mais le matériel de quatrième année contenait malgré tout certaines de ses compositions précédentes pour les programmes de première à troisième années.

 

[76]           Durant cette période, M. Pinto a assisté à des séminaires destinés aux enseignants se servant du programme dans des écoles au Canada, aux États‑Unis, en France, en Suisse et en Israël.

 

Goof‑Li

[77]           Le Dr Goof‑Li est un personnage du programme TaL AM de deuxième année qui apprend aux élèves à adopter de bonnes habitudes alimentaires dans le cadre d’un module sur la vie quotidienne. Il avait déjà fait une apparition dans l’unité de Tal Sela appelée « Bon Appetite ». Ce personnage figure dans une pièce jouée par les enfants, et dans plusieurs chansons didactiques. Madame Varga, une enseignante, a déclaré que la pièce mettant en scène le Dr Goof‑Li faisait partie du programme de deuxième année, et a expliqué que celui de troisième année avait aussi une composante théâtrale.

 

[78]           Monsieur Pinto a commencé à composer la musique qui accompagne le texte de cette pièce à l’été 2005. La facture no 30832 du 16 août 2005 indique qu’il a pris connaissance du concept de la pièce durant une rencontre avec Mme Cohen le 26 juillet 2005. Madame Farkas a expliqué qu’elle lui avait présenté la chose de la même manière qu’avec les autres chansons et qu’elle avait travaillé étroitement avec lui en lui offrant ses commentaires et sa rétroaction.

 

[79]           Monsieur Pinto estime que le Dr Goof‑Li est un produit de travail distinct et séparé du programme de deuxième année. Cependant, les pièces produites et les témoignages livrés par Mmes Shimon, Varga et Farkas établissent que le personnage faisait partie du programme, au même titre que le contenu des autres pièces.

 

[80]           La facture no 30833 indique que M. Pinto a produit la musique du « Dr Guff [sic] Li » pendant huit heures le 21 septembre 2005 moyennant un taux horaire de 90 $. Il a également facturé sept heures de travail, à raison de 55 $ de l’heure, pour une rencontre avec Mme Farkas le 19 janvier 2006. Cette réunion concernait plusieurs sujets, notamment la présentation de son travail sur le Dr Goof‑Li.

 

[81]           Monsieur Pinto a déclaré que Mme Farkas a communiqué avec lui le 23 janvier 2006 pour l’informer qu’il était urgent qu’il termine ses travaux sur le Dr Goof‑Li, car Mme Shimon en avait besoin pour un séminaire à Los Angeles. Monsieur Pinto a remis le CD à Mme Farkas le soir même au bureau du CBEJ de Montréal.

 

[82]           Ce qui s’est passé le soir du 23 janvier 2006 est âprement contesté. Dans l’exposé conjoint des faits et admissions, les parties reconnaissent que le CD remis par M. Pinto [traduction] « se rapportait aux parties de la pièce du “Dr Goof Li” que le CBEJ voulait expressément intégrer au cahier d’exercices. » Lorsqu’il a donné le CD, M. Pinto prétend avoir informé Mme Farkas qu’il détenait le droit d’auteur de la musique pour le Dr Goof‑Li, et exigé de rencontrer Mme Shimon dès son retour de Los Angeles. Il a ajouté que le CD qu’il a fourni comportait une inscription revendiquant son droit d’auteur.

 

[83]           Monsieur Pinto a déclaré avoir fait trois copies identiques de ce CD. Il a remis la première à Mme Farkas, qui l’a perdue depuis. Il a conservé les deux autres copies et a produit en preuve un CD censé être l’une de celles‑là.

 

[84]           Madame Farkas nie que M. Pinto ait alors soulevé la question du droit d’auteur et soutient qu’il était [traduction] « impossible » que le CD qu’il a fourni comporte une inscription à cet effet. Elle a déclaré : [traduction] « [S]i j’avais vu ça [en se référant au CD que M. Pinto a produit en preuve], je serais allée voir Shlomo sur‑le‑champ. » Lors du contre‑interrogatoire, elle a répété : [traduction] « Non, je peux vous dire catégoriquement que ce n’est pas le CD qui m’a été remis parce qu’il n’aurait pas pu avoir cette inscription. Si je l’avais vue, j’aurais arrêté ça. Vraiment, je suis catégorique. Ce n’est pas ce que j’ai reçu. »

 

[85]           Madame Shimon a confirmé n’avoir vu aucune revendication de droit d’auteur sur le CD qu’elle a reçu à Los Angeles. Ce CD n’a pas été retrouvé.

 

[86]           Ce soir‑là, Mme Farkas a demandé à Ami Brandes de reproduire le CD pour l’envoyer par messagerie à Los Angeles à Mme Shimon. Madame Farkas ne sait pas ce qu’il est advenu du CD original. Il est impossible de confirmer par une preuve directe ce que M. Pinto a écrit exactement sur ce CD ou s’il a écrit quoi que ce soit.

 

[87]           Le lendemain, soit le 24 janvier 2006, M. Pinto a rencontré M. Shimon et lui a fait jouer le CD du Dr Goof‑Li. Il affirme avoir signalé à M. Shimon qu’il était titulaire du droit d’auteur de cette musique et lui avoir montré l’inscription à cet effet. Il aurait ajouté qu’il ne fournissait la musique du Dr Goof‑Li que pour les besoins du séminaire de Los Angeles. Il l’aurait également averti que cette musique ne devait pas être reproduite tant que la question du droit d’auteur n’était pas réglée. Monsieur Pinto se souvient que M. Shimon a déclaré que la musique appartenait au CBEJ puisqu’il le payait pour la composer, mais qu’il pouvait en parler avec Mme Shimon à son retour de Los Angeles. Toujours d’après les souvenirs de M. Pinto, M. Shimon lui aurait fait remarquer que Fran Avni avait reçu 8 $ par cassette pour ses travaux sur le projet Tal Sela.

 

[88]           Monsieur Shimon ne se rappelle pas que M. Pinto ait soulevé la question du droit d’auteur durant cette rencontre.

 

[89]           Monsieur Pinto a rencontré brièvement Mme Shimon les 6 et 9 février 2006. D’après son souvenir, elle lui a indiqué qu’il ne recevrait pas de redevances sur les compositions concernant le Dr Goof‑Li et que le CBEJ était titulaire du droit d’auteur. Monsieur Pinto se souvient avoir répondu que le CBEJ ne pouvait pas utiliser sa musique du Dr Goof‑Li à d’autres fins que celles du séminaire de Los Angeles.

 

[90]           Durant cette réunion, Mme Shimon a fait savoir à M. Pinto qu’elle jugeait une facture récente [traduction] « outrageusement élevée » (facture no 30836 du 22 janvier 2006 au montant de 18 237,21 $). Elle s’est arrangée pour que le CBEJ l’acquitte, mais lui a demandé entre‑temps de signer une lettre attestant que le Centre examinerait toutes ses factures à la recherche de frais excessifs.

 

[91]           Monsieur Pinto a déclaré que la réunion a pris fin après que Mme Shimon eut promis de lui proposer un accord sur les conditions de travail dans les deux semaines, ce que cette dernière nie.

 

[92]           En février ou mars 2006, Mme Farkas a demandé à M. Pinto de lui remettre le CD du Dr Goof‑Li contenant la piste vocale des enfants. Monsieur Pinto le lui a fourni et n’a plus contribué à la musique liée à ce personnage.

 

[93]           Le programme TaL AM de deuxième année comprenait le CD 2S‑C2. Les pistes 17 à 36 de ce CD contiennent les interactions du Dr Goof‑Li avec différents groupes alimentaires et le chant des enfants extrait du CD fourni par M. Pinto. Ce dernier a déclaré que les élèves avaient joué la pièce du Dr Goof‑Li et qu’il n’avait jamais autorisé le CBEJ ou TaL AM à en faire cette utilisation.

 

Rupture de la relation

[94]           Les parties ont mis fin à leur relation en juillet 2006.

 

[95]           À partir du 6 mars 2006, M. Pinto a commencé à inclure dans ses factures du texte caché concernant le droit d’auteur. Il soumettait ses factures par voie électronique et chaque dépense était rédigée en noir sur fond blanc. Le texte caché était rédigé en blanc sur fond blanc, ce qui le rendait invisible à moins d’être surligné par le curseur sur l’écran. On peut y lire entre autres choses que [traduction] « [t]outes mes anciennes factures, incluant la présente, se rapportent uniquement à mes services de production musicale et de studio ».

 

[96]           Le 5 juin 2006, M. Pinto a réclamé une avance de 20 000 $ pour lui permettre de payer le mariage de sa fille, prévu le 21 juin suivant. Il a adressé cette demande à Mme Farkas, en la priant de la transmettre à Mme Shimon. Le lendemain, il a rencontré M. Shimon et a encore réclamé cette avance. Après quelques échanges, M. Shimon lui a indiqué que le CBEJ pouvait lui avancer 12 000 $, mais que le reste allait être retenu pour assumer les dépenses de studio. Il a ajouté qu’il allait devoir consulter d’autres membres du CBEJ.

 

[97]           Le lendemain, M. Shimon a remis à M. Pinto un chèque de 2 000 $, à titre de prêt personnel. Monsieur Pinto ne l’a pas remboursé.

 

[98]           Puis, au début du mois de juin, un employé du CBEJ a découvert par hasard les inscriptions cachées sur une facture. Cet employé a averti Mme Farkas, qui a informé Mme Shimon. Cette dernière a été choquée d’apprendre que le CBEJ avait acquitté des factures contenant de telles annotations. Madame Farkas et elle craignaient qu’il soit tenu pour acquis que le CBEJ avait consenti à ces conditions. Elles estimaient aussi que l’inclusion de ce texte caché constituait un abus de confiance exigeant une attention immédiate. Pour citer Mme Farkas : [traduction] « C’était une telle trahison […] nous travaillions si étroitement alors pourquoi le faire derrière notre dos? J’étais vraiment fâchée. »

 

[99]           Le 13 juin 2006, M. Shimon a téléphoné à M. Pinto pour l’informer qu’il avait un chèque pour son avance de 12 000 $. Ils se sont rencontrés le lendemain, le 14 juin, et M. Shimon lui a demandé de signer une lettre reconnaissant que le CBEJ était le titulaire du droit d’auteur de la musique composée par M. Pinto : [traduction] « Tous vos travaux payés par TaL AM en vue de produire une bande maîtresse, notamment les compositions, arrangements, exécutions, enregistrements ou toute autre activité connexe, appartiennent à TaL AM. »

 

[100]       Monsieur Pinto a refusé de signer ce document. Monsieur Shimon lui a alors présenté une deuxième lettre indiquant que ses services ne seraient plus retenus à moins qu’il ne signe la reconnaissance de droit d’auteur. La réunion a pris fin sur‑le‑champ.

 

[101]       Monsieur Pinto a appelé M. Shimon ultérieurement pour essayer de résoudre le problème. Monsieur Shimon lui a simplement répété qu’il devait signer la lettre. Les deux hommes ont fini par se rencontrer le 4 juillet 2006; M. Pinto avait préparé une lettre récapitulant, de son point de vue, la séquence des événements jusque‑là :

[traduction]

Jusqu’à présent, vous avez fait de TaLAM [sic] une entreprise commerciale, vous vous occupez de la publicité du produit et de la promotion des ventes par le biais de séminaires au Canada et dans le monde entier. Vous n’avez jamais réclamé mon autorisation écrite et vous êtes comportés comme si ma musique était la vôtre. Vous n’avez pas accepté d’agréer à ma demande d’avance de fonds, vous avez immédiatement mis fin à mes services tout en continuant à vous servir de ma musique dans un but commercial, ce qui ne correspond pas à l’intention initiale au moment où on m’avait demandé de produire de la musique à des fins éducatives.

 

[102]       Monsieur Shimon a proposé lors de cette réunion de compiler sur un CD les meilleures pièces de M. Pinto, qui recevrait des redevances sur les ventes. Monsieur Shimon a précisé qu’il en parlerait à Mme Shimon et d’autres membres du CBEJ.

 

[103]       Monsieur Pinto a rédigé une seconde lettre résumant cette rencontre qu’il a envoyée à M. Shimon. D’après ce document, ils auraient envisagé que le CD soit vendu pour 15 $ US, et que M. Pinto reçoive 3 $ US par CD vendu. La lettre confirme par ailleurs que M. Shimon devait consulter d’autres personnes chez TaL AM.

 

[104]       Le 18 juillet 2006, M. Pinto a reçu un appel de la secrétaire de M. Shimon l’avisant qu’elle lui enverrait une lettre qu’il devait lire attentivement. Elle lui a recommandé de consulter un avocat puis de signer la lettre et de la lui retourner s’il la jugeait acceptable. Cette lettre prévoyait la cession de son droit d’auteur au CBEJ, et soumettait une offre de la part de TaL AM de lui verser 10 % du produit brut des ventes des anthologies de TaL AM, sans reconnaître la moindre violation de la propriété intellectuelle.

 

[105]       Monsieur Pinto a refusé de signer cette lettre, choisissant plutôt de retenir les services d’un avocat. Le 27 juillet 2006, ce dernier a envoyé une lettre alléguant que le CBEJ avait [traduction] « reproduit et distribué illégalement » la musique que son client avait composée pour le programme TaL AM.

 

[106]       Monsieur Pinto a ensuite intenté la présente action.

 

Analyse

Le jugement de la Cour supérieure du Québec

[107]       Les parties se sont déjà opposées en cour, cf. Pinto c Bronfman Jewish Education Center, 2011 QCCS 3458, M. Pinto ayant allégué que les défendeurs avaient illégalement résilié le contrat de service. La Cour supérieure du Québec a rejeté l’action de M. Pinto et l’appel relatif à cette décision est en instance.

 

[108]       Les défendeurs demandent instamment à la Cour de faire siennes les conclusions de la Cour supérieure du Québec et font valoir que M. Pinto essaie de contester indirectement ce jugement. Cependant, la Cour supérieure du Québec ne pouvait pas examiner la question de la propriété ou de la violation du droit d’auteur. Par conséquent, ses conclusions n’ont qu’une pertinence indirecte et ne sont pas contraignantes pour la Cour. De même, la Cour doit se faire son opinion indépendante en ce qui a trait à la crédibilité et aux principales conclusions de fait. L’équité l’exige et c’est pour cette raison que les conclusions de la Cour supérieure du Québec n’ont pas été prises en compte.

 

Crédibilité

[109]       Les dépositions de témoins clés présentent des incohérences, dont une partie peut être mise sur le compte de la difficulté à se souvenir de conversations qui ont eu lieu en hébreu il y a plusieurs années. Cependant, en dépit de ce facteur, le témoignage de M. Pinto est problématique.

 

[110]       Pour évaluer la crédibilité, la Cour a examiné le comportement de chaque témoin, la fidélité de leur mémoire ou les raisons qu’ils avaient de mentir, et a cherché à savoir si leur témoignage concordait avec des preuves indépendantes, comme les pièces, et s’il semblait raisonnable.

 

[111]       Le témoignage de M. Pinto est incohérent et il a une tendance à exagérer ou à minimiser la preuve en fonction de ses intérêts.

 

[112]       Par exemple, il a déclaré lors du procès qu’il n’avait jamais entendu parler de Tal Sela avant d’avoir rencontré Mmes Farkas et Shimon. Cependant, il avait affirmé devant la Cour supérieure du Québec qu’il connaissait ce programme parce que sa fille l’étudiait à l’école.

 

[113]       Monsieur Pinto prétend qu’on l’a informé que Mme Avni recevait des redevances de 8 $ par cassette vendue, alors qu’il s’agissait de moins de la moitié. Voilà un exemple de sa tendance à exagérer. Monsieur Shimon a affirmé qu’il ne pouvait pas avoir dit à M. Pinto que Mme Avni touchait une redevance de 8 $ puisque ces cassettes ne se vendaient que 9 $ la pièce. [traduction] « [I]l est absolument ridicule d’envisager de verser une somme de 8 $ à Mme Avni par cassette », a déclaré M. Shimon.

 

[114]       Monsieur Pinto a également minimisé la participation de Mmes Cohen, Farkas et Shimon au processus de création. Il a déclaré qu’il allait chercher les textes des chansons et qu’il travaillait ensuite en studio. Cependant, les factures démontrent qu’il passait énormément de temps avec ces dames, qui étaient responsables de la direction, du thème et de la finalité de la musique comme support des objectifs pédagogiques. En contre‑interrogatoire, M. Pinto a fermement soutenu qu’il passait une grande partie de ce temps à attendre que Mme Cohen fasse des photocopies ou s’acquitte d’autres tâches. J’accepte le témoignage de Mmes Cohen, Farkas et Shimon selon lesquelles les parties ont collaboré au processus de création et que les échanges ont été soutenus.

 

[115]       Monsieur Pinto a déclaré avoir utilisé le terme « droit d’auteur » durant sa conversation avec Mme Shimon en 1992. Or, celle‑ci a expliqué qu’ils avaient évoqué le concept de « zkhuyot » qui signifie « droits ». Elle a ajouté que « droit d’auteur » se traduit par « zkhuyot yotzrim », et qu’il n’en a jamais été question.

 

[116]       Je constate par ailleurs que les factures de M. Pinto ne contiennent pas de frais explicites de composition après mars 2004, quoiqu’il était encore convenu entre les parties qu’il facturerait et serait payé pour ses travaux de composition musicale. Il est possible qu’il ait ainsi voulu se réserver de manière détournée les droits de composition.

 

[117]       Fait plus important sans doute, les annotations que M. Pinto a dissimulées sur ses factures mettent en doute son honnêteté.

 

[118]       Madame Shimon s’est révélée un témoin juste et impartial. Elle a tenu des propos élogieux sur M. Pinto, affirmant qu’il [traduction] « avait un don » et qu’elle aimait son travail. Son époux et elle étaient honnêtes lorsque leur mémoire leur faisait défaut. Même s’ils ont eu la possibilité de s’entendre sur la teneur de leur témoignage, ils ont offert chacun un point de vue unique et indépendant sur les événements. Leurs dépositions ne semblaient ni préparées ni conçues pour se corroborer. J’estime que leurs témoignages sont dignes de foi.

 

[119]       Mesdames Farkas et Cohen ont elles aussi témoigné d’une manière franche, sans enjolivement. Elles ont dit du bien du travail de M. Pinto et n’ont fait preuve d’aucune animosité à son égard. Leur témoignage me paraît également digne de foi.

 

[120]       J’estime également que le CD contenant la musique du Dr Goof‑Li que M. Pinto a donné à Mme Farkas ne portait pas d’inscription faisant valoir son droit d’auteur. Aucun élément de preuve indépendant n’est venu confirmer que le CD que M. Pinto a produit en preuve est identique à celui qu’il a remis à Mme Farkas, comme il le prétend. J’estime que si Mme Farkas, Mme Shimon ou M. Shimon avaient appris que M. Pinto revendiquait un droit d’auteur sur la musique du Dr Goof‑Li, les parties se seraient immédiatement réunies pour en discuter, comme elles l’ont fait dans le cas des annotations cachées. Ainsi que l’a déclaré Mme Farkas, si M. Pinto avait fait valoir son droit d’auteur sur la musique du Dr Goof‑Li, [traduction] « alors tout ce qui devait – qui s’est passé en juin, serait arrivé en janvier », ce qu’a confirmé M. Shimon : [traduction] « j’aurais immédiatement pris des mesures ».

 

[121]       Le témoignage de M. Pinto selon lequel l’inscription figurait sur les trois copies du CD ne correspond pas davantage à la relation professionnelle prolongée des parties. Bien que Mme Farkas ait trouvé sa facture du 22 janvier [traduction] « outrageusement élevée », elle l’a néanmoins acquittée. Monsieur Shimon s’est également efforcé d’aider M. Pinto à couvrir les coûts du mariage de sa fille, en lui donnant une avance et en lui consentant un prêt personnel. Monsieur Shimon a également proposé de produire un CD contenant les musiques les plus populaires de M. Pinto, pour lui permettre de toucher des redevances.

 

Propriété du droit d’auteur

[122]       La loi canadienne sur le droit d’auteur vise à pondérer l’intérêt du public dans la dissémination d’une œuvre et la garantie d’une juste rétribution pour le créateur. Les droits du créateur doivent être reconnus tout « en accordant l’importance qu’il convient à la nature limitée de ces droits » : Théberge c Galerie d’Art du Petit Champlain inc, 2002 CSC 34, [2002] 2 RCS 336, aux paragraphes 30 et 31; Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 RCS 231, au paragraphe 7.

 

[123]       La violation du droit d’auteur est définie au paragraphe 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42 :

27. (1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir.

 

27. (1) It is an infringement of copyright for any person to do, without the consent of the owner of the copyright, anything that by this Act only the owner of the copyright has the right to do.

 

[124]       L’article 3 énonce les droits du titulaire du droit d’auteur. Ces droits, particulièrement pertinents en l’espèce, sont notamment les suivants :

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

 

a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l’œuvre;

 

[…]

 

d) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique ou musicale, d’en faire un enregistrement sonore, film cinématographique ou autre support, à l’aide desquels l’œuvre peut être reproduite, représentée ou exécutée mécaniquement;

 

[…]

 

i) s’il s’agit d’une œuvre musicale, d’en louer tout enregistrement sonore;

 

 

[…]

 

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

 

3. (1) For the purposes of this Act, “copyright”, in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, and includes the sole right

 

 

(a) to produce, reproduce, perform or publish any translation of the work,

 

 

(d) in the case of a literary, dramatic or musical work, to make any sound recording, cinematograph film or other contrivance by means of which the work may be mechanically reproduced or performed,

 

 

 

 

(i) in the case of a musical work, to rent out a sound recording in which the work is embodied, and

 

 

and to authorize any such acts.

 

 

[125]       Il convient donc d’établir d’abord à qui appartient le droit d’auteur.

 

[126]       À titre préliminaire, j’ai examiné les certificats d’enregistrement du droit d’auteur (nos 1049691 et 1049692, délivrés le 4 juillet 2007), lesquels désignent M. Pinto comme étant le détenteur de [traduction] « MES COMPOSITIONS MUSICALES ET CHANSONS UNIQUEMENT SUR LA COLLECTION TaLAM, de première à quatrième année. À l’exception de la musique de Mme Fran Avni sur cette collection. (PAS SUR LE TEXTE) » et [traduction] « MES COMPOSITIONS MUSICALES ET CHANSONS UNIQUEMENT SUR LA COLLECTION DU Dr GOOF‑LI (PAS SUR LE TEXTE) ».

 

[127]       Un certificat d’enregistrement valide constitue une preuve prima facie de propriété : Roger T Hughes et Susan J Peacock avec la collaboration de Neal Armstrong, Hughes on Copyright & Industrial Design, 2e éd. feuilles mobiles, (Markham, Ontario : LexisNexis, 2005), chapitre 59, aux pages 422 et 423.

 

[128]       Les défendeurs font valoir que l’enregistrement est invalide puisqu’en vertu de l’alinéa 5(1)a) du Règlement sur le droit d’auteur, DORS/97‑457, il ne doit viser qu’une seule œuvre. Monsieur Pinto a essayé d’enregistrer plusieurs œuvres dans chaque certificat.

 

[129]       Les travaux ayant trait au Dr Goof‑Li peuvent sans doute être considérés comme une seule œuvre. Cependant, il ne me paraît pas nécessaire de résoudre cette question. Les certificats ne créent qu’une présomption de propriété. Comme ils ont été enregistrés après que M. Pinto a intenté la présente action, cette présomption a moins de poids : CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut‑Canada, 2002 CAF 187, au paragraphe 63. Quoi qu’il en soit, les éléments de preuve additionnels concernant la propriété du droit d’auteur sont en l’espèce importants et tous antérieurs à l’enregistrement. Comme nous le verrons plus loin, ces éléments de preuve réfutent toute présomption découlant de l’enregistrement, en supposant que celui‑ci soit valide.

 

[130]       La musique, les chansons, les enregistrements et l’ensemble du programme TaL AM sont protégés par de multiples droits d’auteur. Il s’agit d’œuvres distinctes aux fins de la propriété intellectuelle, et elles seront examinées une à une.

 

Musique

[131]       Monsieur Pinto est titulaire du droit d’auteur sur les 58 compositions qu’il a créées pour TaL AM, conformément au paragraphe 13(1) de la Loi :

13(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre.

 

13(1) SuCBEJt to this Act, the author of a work shall be the first owner of the copyright therein.

 

 

[132]       Le paragraphe 13(3) prévoit une exception pour les œuvres créées dans le cadre d’un contrat de travail. Comme le reconnaissent les défendeurs, ces dispositions ne s’appliquent pas à M. Pinto, qui travaillait comme pigiste plutôt que comme employé.

 

[133]       Le paragraphe 13(4) prévoit que le titulaire du droit d’auteur peut céder ce droit et que la cession doit s’effectuer par écrit. Les défendeurs reconnaissent aussi que cette disposition est inapplicable. Monsieur Pinto n’a pas cédé de droit d’auteur au CBEJ puisqu’il n’y a pas eu d’entente écrite.

 

[134]       Par conséquent, les défendeurs reconnaissent que M. Pinto détient le droit d’auteur pour la musique qu’il a composée pour TaL AM. Monsieur Pinto a créé 14 œuvres originales pour la première année, 28 pour la deuxième et 16 pour la troisième. Il est titulaire du droit d’auteur sur ces 58 compositions.

 

[135]       Le CBEJ a donc demandé qu’il consente, par l’octroi d’une licence, à ce que sa musique soit utilisée par TaL AM, notamment pour la production d’un enregistrement sonore et son utilisation dans le programme.

 

Chansons

[136]       Bien qu’il soit titulaire du droit d’auteur sur sa musique originale, le CBEJ et M. Pinto sont tous deux titulaires du droit d’auteur sur les chansons du programme TaL AM, soit la musique et les paroles.

 

[137]       L’article 2 de la Loi contient la définition suivante :

« œuvre créée en collaboration » Œuvre exécutée par la collaboration de deux ou plusieurs auteurs, et dans laquelle la part créée par l’un n’est pas distincte de celle créée par l’autre ou les autres.

 

“work of joint authorship” means a work produced by the collaboration of two or more authors in which the contribution of one author is not distinct from the contribution of the other author or authors;

 

[138]       John S. McKeown fournit d’autres précisions dans Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4e éd. (Toronto, Ontario : Carswell, 2012), chapitre 17, à la page 13 :

[traduction]

Par exemple, lorsque deux personnes collaborent à la composition d’un opéra comique, l’un par l’écriture des paroles et l’autre par la musique, l’opéra est une œuvre dont la paternité est conjointe et aucun d’eux ne peut acquérir de droit d’auteur indépendamment de l’autre. […] Il n’est pas nécessaire que les contributions de chaque coauteur soient identiques, et différentes parties de l’œuvre peuvent être créées par différents individus. Par exemple, l’auteur qui rédige le scénario d’un opéra devient coauteur de l’opéra en raison du scénario, bien qu’il n’ait pris part à aucun autre aspect de la création.

 

[139]       Les employés du Service de création des programmes du CBEJ ont écrit les paroles des 58 chansons dont M. Pinto a composé la musique. La musique créée par M. Pinto combinée aux paroles du CBEJ a produit une œuvre artistique, la chanson du programme TaL AM. Il y a paternité conjointe et donc cotitularité du droit d’auteur, relativement à cette œuvre entière.

 

[140]       Par conséquent, sous réserve du consentement dont l’effet juridique sera analysé ci‑après, M. Pinto et le CBEJ (à présent TaL AM) doivent tous deux autoriser l’enregistrement ou l’exécution des chansons en question.

 

Enregistrements sonores

[141]       En plus des droits d’auteur distincts relatifs aux chansons et à la musique, le « producteur » d’un enregistrement sonore détient le droit d’auteur à l’égard de cet enregistrement aux termes de l’article 18 de la Loi :

18. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le producteur d’un enregistrement sonore a un droit d’auteur qui comporte le droit exclusif, à l’égard de la totalité ou de toute partie importante de l’enregistrement sonore :

 

 

a) de le publier pour la première fois;

 

b) de le reproduire sur un support matériel quelconque;

 

c) de le louer.

 

Il a aussi le droit d’autoriser ces actes.

 

18. (1) SuCBEJt to subsection (2), the maker of a sound recording has a copyright in the sound recording, consisting of the sole right to do the following in relation to the sound recording or any substantial part thereof :

 

(a) to publish it for the first time,

 

(b) to reproduce it in any material form, and

 

(c) to rent it out,

 

and to authorize any such acts.

 

 

[142]       Un enregistrement « acquiert une sorte d’autonomie », et se distingue de l’exécution d’une œuvre. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada, « [a]près avoir enregistré son œuvre ou en avoir autorisé l’enregistrement, un compositeur a cédé de façon définitive une large part de contrôle sur la présentation de son œuvre au public » : Bishop c Stevens, [1990] 2 RCS 467, au paragraphe 21.

 

[143]       L’article 2 de la Loi prévoit que le « producteur » est « [l]a personne qui effectue les opérations nécessaires […] à la première fixation de son dans le cas d’un enregistrement sonore ». L’article 2.11 explique que les opérations nécessaires s’entendent notamment des opérations liées « à la conclusion des contrats avec les artistes‑interprètes, au financement et aux services techniques nécessaires à la première fixation de son dans le cas d’un enregistrement sonore ».

 

[144]       La jurisprudence dans laquelle ces dispositions sont interprétées souligne l’élément de risque financier et de paiement de l’enregistrement. Le producteur n’est pas nécessairement celui qui a effectué lui‑même les opérations nécessaires, mais plutôt l’individu ou l’entreprise qui a assumé le risque financier, comme la compagnie de disque : Hughes on Copyright & Industrial Design, chapitre 24, à la page 219.

 

[145]       La preuve sur ce point est contradictoire.

 

[146]       Monsieur Pinto a eu recours aux services de studios de musique et a payé de sa poche la location horaire des installations et de l’équipement. Il a engagé et payé la chanteuse, choisi les enfants qui devaient chanter et répété les chansons avec eux.

 

[147]       Cependant, c’est en définitive le CBEJ qui assumait le risque financier de l’enregistrement, attendu que les paiements à M. Pinto couvraient tous ses coûts, notamment ceux du studio et de la chanteuse. De plus, Mme Farkas a collaboré au processus d’enregistrement, même si elle ne se trouvait pas dans le studio. Voici ce qu’elle a déclaré dans son témoignage : [traduction] « […] [S]i M. Pinto m’appelait du studio pour me demander comment faire ci ou ça, alors j’intervenais. J’ai donc évidemment participé. Je n’ai pas chanté. Je ne faisais pas – je ne jouais pas du clavier. Mais j’ai certainement pris part à ce qui se faisait et j’étais au courant de chaque étape. »

 

À mon avis, quoiqu’il ne fût pas un employé, M. Pinto était en droit de se faire rembourser ses dépenses, de sorte qu’il n’assumait pas la responsabilité financière de l’enregistrement. Il est significatif que pendant quatorze ans, le CBEJ ait acquitté toutes les factures qu’il a soumises, notamment toutes ses dépenses. Par conséquent, je conclus que le CBEJ était le producteur de l’enregistrement sonore et le titulaire du droit d’auteur.

 

Compilation

[148]       Le programme TaL AM est un ensemble intégré de textes, d’illustrations, d’éléments graphiques, de paroles, de musique et de pièces de théâtre. De nombreux éducateurs, illustrateurs, concepteurs graphiques, musiciens et interprètes ont contribué à l’élaboration de ce produit, sous la direction de l’équipe de création des programmes TaL AM.

 

[149]       L’article 2 de la Loi définit en ces termes les compilations :

« compilation » Les œuvres résultant du choix ou de l’arrangement de tout ou partie d’œuvres littéraires, dramatiques, musicales ou artistiques ou de données.

 

“compilation” means

 

(a) a work resulting from the selection or arrangement of literary, dramatic, musical or artistic works or of parts thereof, or

 

(b) a work resulting from the selection or arrangement of data;

 

 

[150]       Le même article prévoit que les compilations peuvent être des œuvres artistiques et qu’elles peuvent donc bénéficier de la protection du droit d’auteur :

« œuvre artistique » Sont compris parmi les œuvres artistiques les peintures, dessins, sculptures, œuvres architecturales, gravures ou photographies, les œuvres artistiques dues à des artisans ainsi que les graphiques, cartes, plans et compilations d’œuvres artistiques.

 

“artistic work” includes paintings, drawings, maps, charts, plans, photographs, engravings, sculptures, works of artistic craftsmanship, architectural works, and compilations of artistic works;

 

 

[151]       Par conséquent, en plus du droit d’auteur relatif aux œuvres individuelles, la compilation en tant qu’ensemble peut bénéficier de la protection d’un second droit d’auteur concomitant. Ce second droit d’auteur n’a pas pour effet de supprimer celui qui protège les composantes individuelles de l’œuvre collective. Ils existent simultanément : Robertson c Thomson Corp, 2006 CSC 43, [2006] 2 RCS 363, au paragraphe 31.

 

[152]       Pour que la compilation soit protégée par un droit d’auteur, la sélection et l’arrangement des œuvres individuelles doivent être originaux et supposer un exercice de goût et de jugement : Hughes on Copyright & Industrial Design, chapitre 22, à la page 186; Slumber‑Magic Adjustable Bed Co c Sleep‑King Adjustable Bed Co, [1984] BCJ no 3054, au paragraphe 6.

 

[153]       J’estime que les employés du CBEJ ont fait preuve d’une expertise et d’une originalité considérables en assemblant la compilation. Madame Shimon, plus particulièrement, est spécialisée en pédagogie. Selon Mme Farkas, la musique et les chansons n’avaient pas été créées à des fins artistiques : [traduction] « [S]i Barbara Streisand décide de produire de la musique, elle s’y prendrait, disons, selon ses goûts […] lorsque vous créez un programme, ce sont les normes pédagogiques qui sont votre critère. Non – et on se demande ensuite si la musique est assortie, si elle est appropriée, si elle convient à l’âge des auditeurs, si le contenu est adéquat, etc. »

 

[154]       Madame Shimon a expliqué comment les multiples éléments de TaL AM avaient été choisis pour stimuler différents types d’intelligence, y compris la créativité et le raisonnement logique des enfants. Divers personnages et images ont été retenus pour établir une connexion avec Israël et assurer une cohésion entre les outils pédagogiques et le niveau scolaire, qu’il s’agisse du choix des couleurs, du design et du graphisme, des paroles ou des objectifs généraux d’apprentissage.

 

[155]       La question qui se pose est donc celle de savoir si les employés du CBEJ ont obtenu le consentement de M. Pinto pour se servir de sa musique dans la compilation. Si tel est le cas, le paragraphe 3(1) de la Loi accorde au CBEJ (et maintenant à TaL AM) un droit d’auteur sur la compilation : Slumber‑Magic, au paragraphe 7. En cas contraire, le CBEJ a violé le droit d’auteur de M. Pinto en créant la compilation.

 

Licence, consentement et révocation

[156]       La question cruciale à laquelle il nous faut répondre en l’espèce est celle de savoir si M. Pinto a consenti à ce que le CBEJ se serve de sa musique dans le cadre du programme TaL AM. Bien qu’il soit titulaire du droit d’auteur sur la musique et d’un droit d’auteur conjoint sur les chansons, il ne peut y avoir de violation s’il y a eu consentement.

 

[157]       Comme M. Pinto est celui qui veut établir qu’il y a eu violation du droit d’auteur, il lui incombe de prouver qu’il n’a pas donné son consentement : Harmony Consulting Ltd c GA Foss Transport Ltd, 2012 CAF 226, aux paragraphes 31 et 32.

 

[158]       Dans l’arrêt Harmony Consulting, la Cour d’appel fédérale a cité en l’approuvant un article de David Vaver, « Consent or No Consent : The Burden of Proof in Intellectual Property Infringement Suits » (2011) 23 IPJ 147, aux pages 148 et 149 :

[traduction]

Le fait pour le demandeur de prouver qu’il n’a pas donné de consentement exprès est rarement une corvée : c’est lui le mieux placé pour dire s’il l’a donné. […] Si, dans l’appréciation de la preuve, la cour est convaincue que le demandeur n’a pas donné son consentement implicite, celui‑ci obtient gain de cause. Si le défendeur parvient à prouver le consentement implicite, le demandeur, qui ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve, perd. En théorie, si la preuve ne permet pas à la cour d’être convaincue que le demandeur n’a pas donné son consentement implicite, le demandeur perd aussi. [Souligné dans l’original.]

 

[159]       Monsieur Pinto n’a pas réussi à établir cet aspect crucial de la violation. D’après la preuve, il a consenti à ce que CBEJ se serve de sa musique et d’ailleurs en a activement facilité l’usage. Il n’y a ici incertitude ni ambigüité. La preuve va dans le sens du consentement.

 

[160]       Les tribunaux peuvent conclure qu’une licence implicite a été accordée lorsqu’une œuvre artistique a été créée dans le cadre d’un contrat de pigiste à la demande de l’acheteur. Dans ce cas, l’interprétation du contrat commande l’inclusion d’une licence tacite autorisant l’acheteur à utiliser l’œuvre aux fins pour lesquelles elle a été créée.

 

[161]       Dans Netupsky c Dominion Bridge Co, [1972] RCS 368, aux pages 377 et 378, la Cour suprême du Canada a fait sien le raisonnement juridique de la Cour suprême de Nouvelle‑Galles‑du‑Sud dans Beck v Montana Construction Pty Ltd, (1963), 5 FLR 298, aux pages 304 et 305, ici reproduit :

[traduction] […] que l’engagement que prend une personne de produire moyennant rémunération une chose susceptible de faire l’objet d’un droit d’auteur implique l’utilisation de la chose avec la permission ou le consentement ou la licence de celui qui a pris cet engagement, en la manière et pour les fins qu’au moment de l’engagement les parties avaient à l’esprit au sujet de son utilisation.

 

[162]       Ce principe est directement applicable aux circonstances présentes. Le CBEJ a engagé M. Pinto pour qu’il compose, produise, arrange, exécute et enregistre la musique pour le programme TaL AM. L’organisme l’a payé pour son travail, et en contrepartie a obtenu la licence implicite l’autorisant à utiliser l’œuvre aux fins envisagées par les parties : Nicholas c Environmental Systems, (International) Ltd, 2010 CF 741, au paragraphe 49.

 

[163]       Jusqu’en mars 2004, M. Pinto ajoutait des frais explicites de composition dans ses factures, après quoi, il a cessé de le faire, sans en aviser les défendeurs. Quoi qu’il en soit, l’entente restait malgré tout inchangée. Monsieur Pinto savait en tout temps que son travail était commandé aux fins du programme TaL AM.

 

[164]       Durant son interrogatoire préalable et au procès, M. Pinto a reconnu qu’il avait autorisé le CBEJ à se servir de sa musique aux fins du programme TaL AM. Lors de l’interrogatoire antérieur au plaidoyer du 22 juillet 2008, il a déclaré avoir dit ce qui suit à Mme Shimon en 1992 : [traduction] « Je vous autorise à utiliser ma musique. Cela ne veut pas dire que vous pouvez en faire ce que vous voulez. » Il a expliqué : [traduction] « Comme je l’ai expliqué au début, je leur ai permis d’utiliser la musique, car il s’agit d’un organisme sans but lucratif qui soutient l’éducation juive. »

 

[165]       Ce témoignage prouve que M. Pinto avait donné son consentement.

 

[166]       Lorsqu’une licence est accordée moyennant contrepartie, comme en l’espèce, elle ne peut pas être unilatéralement révoquée : Silverson c Neon Products Ltd, [1977] BCJ no 1092 (CS), aux paragraphes 33 à 36; Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, chapitre 19, à la page 29.

 

[167]       Les annotations dissimulées sur les factures que M. Pinto a établies à partir de mars 2006 n’ont aucune valeur probante. Il essayait apparemment d’amener le CBEJ à le payer suivant des conditions qui avaient antérieurement été refusées, en sachant bien qu’elles n’auraient pas été acceptées s’il les avait énoncées explicitement.

 

[168]       Le fait pour M. Pinto d’avoir réclamé une entente écrite n’est pas pertinent non plus. En attendant qu’un arrangement écrit acceptable lui soit proposé, il a continué d’accepter du travail et de le faire, sur la base du contrat oral. Il aurait sans doute préféré un accord différent ou plus avantageux, mais il n’en a pas moins continué de travailler, par intermittence, sans contrat écrit, pendant quatorze ans. Il s’agit à tout le moins d’un consentement implicite aux conditions proposées par les défendeurs.

 

[169]       La Cour suprême du Canada a établi que pour pouvoir utiliser l’œuvre, il n’est pas nécessaire que le consentement soit donné par écrit pour accorder une licence non exclusive ou une autorisation. La forme écrite ne s’impose que pour le transfert effectif du droit de propriété, qui donne au cessionnaire le droit d’intenter une action en violation du droit d’auteur : Robertson c Thomson Corp, au paragraphe 56.

 

Limites

[170]       Comme j’ai conclu que M. Pinto avait consenti à ce que le CBEJ utilise son œuvre, la Cour doit s’interroger sur les limites de ce consentement, s’il en est.

 

[171]       Monsieur Pinto a déclaré qu’il avait autorisé le CBEJ à utiliser sa musique parce qu’il s’agissait d’un organisme sans but lucratif soutenant l’éducation juive. Rien n’indique qu’il ait explicitement informé le CBEJ de ces conditions dans le cadre des négociations de l’entente. Quoi qu’il en soit, Mme Shimon a déclaré qu’elle considérait TaL AM comme un [traduction] « cadeau » au peuple juif, notamment pour l’instruction des enfants. Je reconnais que ces visées caritatives et pédagogiques étaient connues de toutes les parties et qu’elles revêtaient une importance cruciale pour les défendeurs. Cela ne signifie pas qu’elles étaient partagées par tous ceux qui ont collaboré au projet, en particulier les pigistes, pour qui il s’agissait d’une occasion professionnelle ou commerciale.

 

[172]       Monsieur Pinto estime que les défendeurs sont devenus « millionnaires » et que TaL AM est une entreprise « commerciale » plutôt qu’un produit éducatif, dont la promotion se fait à présent à l’échelle mondiale. Son utilisation a donc dépassé la portée de toute licence implicite, d’ailleurs limitée à la région de Montréal, à ce qu’il prétend.

 

[173]       La preuve n’appuie pas cette prétention.

 

[174]       J’accepte le témoignage de Mme Shimon selon lequel elle a clairement indiqué à M. Pinto que Tal Sela et TaL AM seraient utilisés à l’extérieur du Canada. En 1992, Tal Sela était déjà employé dans de nombreux pays, ce que M. Pinto pouvait savoir en 1993 d’après les cartes représentant la diffusion du programme dans le bureau du CBEJ.

 

[175]       La preuve établit d’ailleurs sans équivoque que le CBEJ puis TaL AM ont toujours été et restent des organismes sans but lucratif. Les produits de la vente du programme sont réinvestis de manière à ce qu’il soit revu et élargi au fil des ans.

 

[176]       L’écrasante majorité des ventes profitent directement aux écoles, qui doivent toutes participer aux stages de formation TaL AM pour permettre aux enseignants de maîtriser le programme. Les ventes directes aux parents d’élèves sont limitées, mais j’accepte le témoignage de M. Shimon selon lequel elles représentent moins de 1 % de toutes les ventes, et qu’elles visent à compléter le programme scolaire.

 

[177]       L’objection de M. Pinto se compare à celle qu’avait soulevée le demandeur dans Cselko Associates Inc c Zellers Inc, [1992] OJ no 1456 (Div. gén.). Dans cette affaire, le demandeur était payé par Zellers pour créer des illustrations publicitaires, puis il s’est rendu compte que ses dessins étaient utilisés sur des emballages et des publicités. Le demandeur faisait valoir que ces deux choses étaient différentes. Son argument n’a pas été retenu, car il n’avait pas fait connaître son opinion à la défenderesse. Il n’avait pas assorti son consentement d’une restriction expresse.

 

[178]       De même, bien que j’admette que toutes les parties savaient que la musique serait utilisée à des fins pédagogiques, je ne pense pas que des restrictions plus précises aient été revendiquées par M. Pinto ou raisonnablement envisagées par les parties. Il s’attendait peut‑être à ce que la musique atteigne un plus petit auditoire, et que la diffusion soit moins large, mais rien n’indique qu’il l’ait fait savoir en exigeant une limite à l’usage autorisé. La licence implicite n’avait pas pour condition que TaL AM ne connaisse qu’un succès modeste.

 

[179]       Je ne souscris pas non plus à l’observation de M. Pinto selon laquelle il [traduction] « pourrait avoir accordé [aux d]éfendeurs le droit d’utiliser et de reproduire ses 58 compositions musicales, toujours sous réserve de signer une entente écrite et du règlement de ses revendications de droit d’auteur ». Bien que M. Pinto déclare qu’il avait exigé une entente écrite, il n’a pas indiqué qu’il en avait fait une condition explicite à l’octroi d’une licence. D’ailleurs, une telle condition serait très problématique et sans doute inapplicable, compte tenu du fait qu’on ne sait pas quelle en serait la teneur et qu’on ne connaît pas les raisons pour lesquelles l’une ou l’autre partie pourrait la refuser. Une condition aussi vague donnerait à M. Pinto le droit unilatéral de révoquer l’entente et de réclamer des dommages à tout moment. Comme nous l’avons vu plus haut, le consentement est irrévocable lorsqu’il est accordé moyennant contrepartie.

 

[180]       J’accepte le témoignage de Mme Shimon selon lequel elle n’avait pas promis à M. Pinto de lui fournir un contrat écrit, et rejette l’argument voulant que la licence comportât la condition implicite de le faire. La preuve montre plutôt de façon constante que les défendeurs préféraient une entente orale.

 

[181]       Bien qu’il ait déclaré avoir soulevé la question du droit d’auteur (ses « droits ») dès qu’il a commencé à travailler sur le programme TaL AM en 1992, M. Pinto n’a mentionné les redevances que plus tard, en 2002 ou autour de cette période. À l’époque de la rencontre initiale, il ne connaissait pas ce concept.

 

[182]       Monsieur Pinto a continué de produire des œuvres et à être payé en dépit de ses insatisfactions concernant sa rémunération. Monsieur Pinto aurait préféré recevoir des redevances, en plus de son salaire horaire, mais cet arrangement a été refusé plusieurs fois. Étant donné qu’il a continué néanmoins à travailler, on doit comprendre qu’il l’a accepté. Il ne lui appartient pas de modifier unilatéralement l’entente à présent, en exigeant un paiement additionnel qu’il n’a pas réussi à négocier.

 

[183]       J’estime que le CBEJ n’a jamais accepté de verser des redevances. Le Centre acceptait de payer à M. Pinto son tarif horaire et ses frais de composition, rien de plus. Comme l’indique l’exposé conjoint des faits et les admissions, [traduction] « [les représentants du CBEJ] ont indiqué qu’ils n’avaient pas pour politique de verser des redevances aux artistes qui collaborent au programme TaL AM ».

 

[184]       Différents témoins, y compris Mme Farkas et M. Shimon, ont convenu que M. Pinto avait réclamé à plusieurs reprises plus d’argent. Il augmentait ses tarifs sur les factures, sans en aviser le CBEJ au préalable. Le Centre a accepté de le payer plus cher, mais jamais de lui verser des redevances.

 

[185]       En décembre 1997, M. Pinto a reçu une « prime » pour ses compositions pour le programme de première année. Il ne s’agissait pas d’une redevance. Mesdames Shimon et Cohen ont déclaré que cette prime ne concernait pas le droit d’auteur, mais plutôt qu’elle avait été donnée librement parce que le projet pilote de première année avait bien marché. Pour ce projet pilote, les services de M. Pinto avaient été assez médiocrement rémunérés. D’ailleurs, le montant accordé était arbitraire, puisque rien ne prouve qu’il a été déterminé sur la base des ventes.

 

Défendeurs

[186]       L’identité des véritables défendeurs devant la Cour n’est certes pas contestée par les parties, mais les actes de procédures, compte tenu de leurs multiples itérations et du changement d’avocat, n’ont pas été modifiés en conséquence. Il sera donc ordonné que l’intitulé de la cause soit modifié de manière à correspondre à l’intitulé de la présente décision.

 

[187]       Comme j’ai conclu qu’il n’y avait pas eu violation du droit d’auteur de M. Pinto, il n’y a pas lieu d’établir lequel des défendeurs en assumerait la responsabilité. J’examinerai cette question subsidiairement.

 

[188]       La responsabilité personnelle de M. et Mme Shimon n’est pas engagée. À toutes les périodes pertinentes, ils étaient dirigeants et employeurs du CBEJ et de TaL AM. Les personnes morales ont une existence juridique distincte, et la responsabilité des individus ne sera pas engagée en cas de violation du droit d’auteur commise par une personne morale à laquelle ils sont associés, s’il n’est pas établi qu’ils ont délibérément commis la violation : Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, chapitre 24, à la page 16.2.

 

[189]       La preuve est bien loin d’établir que M. et Mme Shimon ont délibérément ou imprudemment posé des actes dont ils savaient qu’ils étaient susceptibles de constituer une violation du droit d’auteur.

 

[190]       Monsieur Pinto contractait directement avec le CBEJ, lequel est justement désigné dans la présente action. En outre, comme le CBEJ a transféré à TaL AM son actif et son passif liés à la propriété intellectuelle, les deux organismes sont solidairement responsables en cas de dommages.

 

Dommages‑intérêts préétablis

[191]       La dernière question à examiner, subsidiairement, concerne le montant des dommages‑intérêts auxquels M. Pinto aurait eu droit si j’avais conclu à la violation de son droit d’auteur.

 

[192]       Monsieur Pinto sollicite des dommages-intérêts s’élevant à 320 000 $.

 

[193]       Monsieur Pinto ne sollicite pas les dommages‑intérêts visés au paragraphe 35(1), mais demande plutôt que des dommages‑intérêts préétablis soient évalués en vertu de l’alinéa 38.1(1)a) de la Loi :

38.1 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le titulaire du droit d’auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou l’ordonnance qui met fin au litige, choisir de recouvrer, au lieu des dommages‑intérêts et des profits visés au paragraphe 35(1), les dommages‑intérêts préétablis ci‑après pour les violations reprochées en l’instance à un même défendeur ou à plusieurs défendeurs solidairement responsables :

 

a) dans le cas des violations commises à des fins commerciales, pour toutes les violations — relatives à une œuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d’auteur —, des dommages‑intérêts dont le montant, d’au moins 500 $ et d’au plus 20 000 $, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence;

 

38.1 (1) Subject to this section, a copyright owner may elect, at any time before final judgment is rendered, to recover, instead of damages and profits referred to in subsection 35(1), an award of statutory damages for which any one infringer is liable individually, or for which any two or more infringers are liable jointly and severally,

 

 

 

 

(a) in a sum of not less than $500 and not more than $20,000 that the court considers just, with respect to all infringements involved in the proceedings for each work or other suCBEJt‑matter, if the infringements are for commercial purposes;

 

[194]       Le montant de ces dommages‑intérêts préétablis doit être déterminé en fonction des facteurs énoncés au paragraphe 38.1(5), à savoir :

(5) Lorsqu’il rend une décision relativement aux paragraphes (1) à (4), le tribunal tient compte notamment des facteurs suivants :

 

a) la bonne ou mauvaise foi du défendeur;

 

b) le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle‑ci;

 

c) la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question;

 

d) dans le cas d’une violation qui est commise à des fins non commerciales, la nécessité d’octroyer des dommages‑intérêts dont le montant soit proportionnel à la violation et tienne compte des difficultés qui en résulteront pour le défendeur, du fait que la violation a été commise à des fins privées ou non et de son effet sur le demandeur.

 

(5) In exercising its discretion under subsections (1) to (4), the court shall consider all relevant factors, including

 

 

(a) the good faith or bad faith of the defendant;

 

(b) the conduct of the parties before and during the proceedings;

 

(c) the need to deter other infringements of the copyright in question; and

 

 

(d) in the case of infringements for non‑commercial purposes, the need for an award to be proportionate to the infringements, in consideration of the hardship the award may cause to the defendant, whether the infringement was for private purposes or not, and the impact of the infringements on the plaintiff.

 

[195]       Il doit y avoir un certain lien entre les dommages‑intérêts normalement évalués et les dommages‑intérêts préétablis : Hughes & Peacock on Copyright and Industrial Design, à la page 665. Le juge Hughes et Susan Peacock font par ailleurs les observations suivantes :

[traduction]

La mission première du juge qui évalue les dommages‑intérêts préétablis au lieu des dommages‑intérêts et profits perdus est d’arriver à une évaluation raisonnable en tenant compte de l’ensemble des circonstances, et de parvenir à un résultat équitable. Il doit exister une certaine corrélation entre les dommages‑intérêts normalement évalués et les dommages‑intérêts préétablis.

 

[196]       Ces considérations nous amènent maintenant à examiner un large éventail de facteurs, notamment la question de savoir si les défendeurs étaient de bonne ou de mauvaise foi et le besoin de dissuasion.

 

[197]       La mauvaise foi renvoie à [traduction] « un comportement contraire aux normes collectives définissant ce qui est honnête, raisonnable ou juste. Il s’agit également du comportement d’une partie qui a pour effet de défaire en grande partie les objectifs contractuels ou de causer un préjudice important à l’autre partie, en contravention des intentions ou des attentes initiales des parties » : Century 21 Canada Ltd Partnership v Rogers Communications Inc, 2011 BCSC 1196, au paragraphe 408. On ne peut pas dire que les défendeurs se soient comportés de manière malhonnête, déraisonnable ou injuste.

 

[198]       Les défendeurs ont agi de bonne foi. Le témoignage de M. et Mme Shimon établit qu’ils croyaient sincèrement détenir le droit d’auteur de toutes les œuvres créatives spécifiquement créées pour le programme TaL AM, et qu’ils avaient obtenu le consentement de M. Pinto à cette fin. Ils ont utilisé la musique dans le but pour lequel elle a été créée.

 

[199]       Les défendeurs soutiennent qu’ils ont agi en toute innocence, et que la Cour pourrait donc accorder aussi peu que 200 $ par œuvre, aux termes du paragraphe 38.1(2) de la Loi :

(2) Dans les cas où le défendeur convainc le tribunal qu’il ne savait pas et n’avait aucun motif raisonnable de croire qu’il avait violé le droit d’auteur, le tribunal peut réduire le montant des dommages‑intérêts visés à l’alinéa (1)a) jusqu’à 200 $.

 

(2) If a copyright owner has made an election under subsection (1) and the defendant satisfies the court that the defendant was not aware and had no reasonable grounds to believe that the defendant had infringed copyright, the court may reduce the amount of the award under paragraph (1)(a) to less than $500, but not less than $200.

 

 

[200]       Les défendeurs se sont comportés en personnes raisonnables avant et durant l’instance. Comme je viens de le dire, ils croyaient être titulaires du droit d’auteur et avoir obtenu le consentement de M. Pinto pour utiliser la musique pour laquelle ils ont payé plus de 330 000 $, une somme substantielle.

 

[201]       Il est significatif que M. Pinto ait permis aux défendeurs d’utiliser sa musique pendant quatorze ans, et qu’il n’ait allégué une violation du droit d’auteur qu’en juillet 2006. Comme dans le jugement Nicholas, au paragraphe 102, M. Pinto était en partie responsable de la confusion des défendeurs. Comme dans cette affaire, il n’y a pas lieu d’accorder des dommages‑intérêts importants.

 

[202]       Je ne pense pas non plus que la dissuasion soit un facteur pertinent en l’espèce. Le CBEJ et TaL AM ne se sont pas montrés réticents à respecter la loi. Bien que les parties n’aient soumis aucun jugement portant précisément sur les dommages‑intérêts préétablis que des sociétés sans but lucratif pourraient être condamnées à payer, j’estime que ce facteur est utile pour savoir quelle serait l’incidence d’une condamnation sur les défendeurs. Tous les revenus générés par les ventes des documents TaL AM ont été réinvestis dans le développement du programme. Il n’y a aucun mobile d’ordre lucratif.

 

[203]       Le défendeur soutient que les taux de redevances de l’Agence canadienne des droits de reproduction musicaux ltée sont un point de référence permettant d’établir la valeur réelle de la violation du droit d’auteur. À mon avis, rien ne permet d’affirmer que les redevances que M. Pinto aurait pu recevoir auraient été calculées sur cette base. Quoique les taux de l’Agence s’appliquent à 90 % de la musique commercialement vendue au Canada, l’œuvre dont il est question en l’espèce s’adresse à un créneau exclusif : les jeunes élèves juifs.

 

[204]       J’estime également que la jurisprudence invoquée par M. Pinto n’a pas grande pertinence en l’espèce. Les défendeurs lui ont versé une somme importante pour sa musique, ce qui n’a rien à voir avec les cas où les défendeurs se sont arrogé des droits de propriété intellectuelle pour faire des profits, sans la moindre apparence de droit.

 

[205]       Par conséquent, je conclus, eu égard aux facteurs pertinents, que les dommages‑intérêts se situeraient dans l’échelle inférieure. J’accorderais 300 $ pour chaque œuvre. Comme M. Pinto détient les droits d’auteur sur ses 58 compositions originales, la somme s’élèverait à 17 400 $.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente action est rejetée. Des observations sur les dépens peuvent être soumises dans les 20 jours de la présente. Il est ordonné que l’intitulé soit modifié de manière à correspondre à celui de la présente décision.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1070‑07

 

INTITULÉ :                                                  YEHUDA PINTO c CENTRE BRONFMAN DE L’ÉDUCATION JUIVE et autres

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Les 27 et 31 mai et le 6 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 11 septembre 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Uditsky

Jason S. Novak

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mathieu Bouchard

Emma Lambert

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robertson, Sheppard Shapiro

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Irving Mitchell Kalichman

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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